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Géographie Économie Société: Article pp.569-577 of Vol.18 n°4 (2016)

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Regards

Géographie, Économie, Société 18 (2016) 569-577

géographie économie société géographie économie société

sur…

GES participe de manière classique à la vie scientifi que par la diff usion des travaux des chercheurs, les comptes rendus de livres et de colloques etc. Nous proposons à travers cette rubrique « Regards sur les questions d’actualité » d’ouvrir la revue aux débats contemporains autour de questions d’actualités qui relèvent de la sociologie, de la géographie, de l’aménagement et de l’économie… L’objectif est de retracer, à partir d’interviews, le parcours de chercheurs et de penseurs provenant d’horizons disciplinaires divers et de recueillir leurs regards sur les grands enjeux spatiaux et sociétaux.

Lise Bourdeau-Lepage* et Leïla Kebir**

Une interview de Lena Sanders et Céline Rozenblat

Par Lise Bourdeau-Lepage * , Leïla Kebir ** et André Torre ***

Lena Sanders et Céline Rozenblat, passionnées d’analyse spatiale, nous apportent ici leurs regards croisés sur l’analyse de réseaux, des systèmes et sur leur articulation.

De Sapiens à Facebook, elles nous éclairent sur les apports de ces analyses dans la compréhension des dynamiques et du monde qui est le nôtre.

* Université Jean Moulin - Lyon 3, UMR EVS (CRGA), lblepage@gmail.com

** Ecole des ingénieurs de la ville de Paris, EA Lab’Urba, lykebir@gmail.com

*** INRA-Agroparistech - Université Paris-Saclay, UMR SADAPT, torre@agroparistech.fr Cette interview a été réalisée le 14 septembre 2016, à Paris.

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Fonction actuelle : Directrice de recherche, CNRS, UMR 8504 Géographie-cités.

Discipline : Géographie, statistiques

et mathématiques

Fonction actuelle : Professeure de géographie, Université de Lausanne.

Discipline : Géographie,

Lena Sanders Céline Rozenblat

Lena Sanders est née à Stockholm en 1955, elle choisit d’entreprendre des études universitaires de mathématiques alors que tout l’incite à suivre la voie tracée des grandes écoles. Arrivée à l’université, elle s’inscrit aussi en géographie par plaisir et curiosité. Elle poursuit ainsi le double cursus jusqu’à la maîtrise à l’Université Paris VII. Elle obtient dans la foulée, en 1980, un DEA de Statistiques à l’Université Paris VI et le Diplôme d’ingénieur statisticien de l’Institut de Statistiques des Universités de Paris (ISUP). Elle effectue ensuite diverses missions de chargée d’étude entre 1980 et 1982 avant d’être engagée comme assistante en géographie puis comme Maître de conférences à l’Univer- sité Paris VII. Ce sera l’occasion pour elle d’allier ses deux disciplines d’origine, qu’elle affectionne, et d’engager sa carrière de géographe. Elle rencontre Denise Pumain, Thérèse Saint Julien et découvre la modélisation spatio-temporelle et l’approche par les systèmes.

Elle obtient en 1984, son doctorat de géographie, avec une thèse intitulée Interaction spatiale et modélisation dynamique, une application au système intra urbain faite sous la direction de François Durand-Dastès à l’Université Paris VII. En 1986 elle devient Chargée de recherche CNRS. Lena Sanders est aujourd’hui Directrice de recherche au sein de l’UMR Géographie-cités.

Céline Rozenblat naît en 1965, à Paris. Après un baccalauréat scientifi que, elle s’en- gage en 1983 dans des études de géographie pour « découvrir le monde ». Inscrite à l’Université Paris VII, elle suit les cours de François Durand-Dastès et de Lena Sanders et découvre l’analyse spatiale et la géographie quantitative, domaines qui la passionnent.

Sa Licence et sa Maîtrise de Géographie obtenues, elle poursuit ses études dans le cadre du Diplôme d’études approfondies d’Analyse Théorique et Épistémologique en Géographie. Elle s’engage alors, sous la direction de Denise Pumain, dans l’étude des villes européennes. Son diplôme en poche, elle obtient en 1988, une bourse de la DATAR et entreprend ses études doctorales à l’Université Paris I, toujours sous la direction de Denis Pumain. Elle soutient sa thèse en 1992 sur le thème de l’articulation entre le réseau des entreprises multinationales et celui des villes européennes. Thèse pour laquelle, elle obtient le prix GREMI-Aydalot. Elle rejoint dans la foulée l’Uni- versité de Montpellier III, sous le statut de Maître de conférences. En 2006 elle obtient un poste de Professeur à l’Institut de Géographie de l’Université de Lausanne, poste qu’elle occupe toujours à ce jour.

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Une fois n’est pas coutume. Pour aborder la question des réseaux qui structure ce numéro, nous avons choisi d’effectuer une interview croisée. En effet pouvait-on aborder, dans Géographie, Économie, Société, la problématique des réseaux, des interrelations, sans penser aux éléments qu’ils relient et aux systèmes dans lesquels ils s’intègrent ? C’est donc tout naturellement que nous nous sommes tournés vers Lena Sanders, spécia- liste des systèmes urbains et Céline Rozenblat, experte des réseaux de villes et de firmes.

Vous travaillez toutes les deux depuis plusieurs années sur la géographie des systèmes et des réseaux urbains notamment. Comment cela se traduit-il aujourd’hui ? Quelles problématiques vous occupent actuellement ?

Céline Rozenblat : Mes recherches actuelles portent sur la relation « micro-méso- macro » dans les réseaux. J’essaie de comprendre comment les économies d’agglomé- ration se créent dans l’interaction entre des entreprises au niveau « micro ». À partir d’observations empiriques, j’analyse la manière dont elles se développent dans les villes.

Par exemple, les villes chinoises sont aujourd’hui très intéressantes car elles se trouvent au début d’un processus de complexification tel que celui qu’on a pu observer dans celles de l’Europe de l’Est, alors que ces réseaux étaient, il y a vingt ans, très hiérarchisés, donc très « simples ». L’objectif est d’identifier pourquoi et comment différentes villes voient se complexifier à la fois leurs réseaux internes et externes. Je m’aperçois, à partir de mes bases de données, que ces réseaux intra-urbains représentent une part de plus en plus importante des liens entre entreprises, jusqu’à 35 % au niveau mondial en 2013.

Cela signifie qu’au-delà des liens établis par les multinationales, il existe une mise en réseau très locale et importante dans la création de ce qui va « sortir » de la ville dans l’interurbain. Cette mise en réseau participe indirectement du renforcement de groupes qui vont ensuite exporter ou se lier à l’extérieur de la ville, que ce soit pour organiser du travail ou être organisés avec d’autres entreprises dans des logiques de groupes. J’analyse également la dimension économique de ces réseaux intra-urbains et plus particulièrement les processus de diversification des activités et la manière dont les « variétés relatives » se mettent en place à travers eux. Aujourd’hui, je commence à réfléchir à la manière dont on pourrait articuler ces processus aux réseaux sociaux et interpersonnels, qui agissent certes à proximité mais aussi dans le cadre de relations de très longue portée, comme dans le cas de la migration par exemple.

Lena Sanders : Céline a évoqué les liens « micro-méso-macro », je pense que ce qui caractérise les travaux de géographie c’est justement l’analyse de toute la hiérarchie de ces niveaux intermédiaires qui constituent le « méso ». Pour ma part, je suis passée très rapidement du système intra-urbain aux systèmes de villes, et ensuite, plus généralement, aux systèmes de peuplement1. Dans tous ces travaux, c’est la dimension spatio-tempo- relle qui m’a intéressée et particulièrement le changement. Ces cinq dernières années, j’ai donc beaucoup travaillé sur le concept de transition dans les systèmes de peuplement. J’ai coordonné une recherche financée par l’agence nationale de la recherche (ANR) française dont l’idée était d’utiliser, dans une approche comparative, un même cadre conceptuel pour approcher des transitions très diverses des points de vue des périodes ou des espaces

1 Par « système de peuplement », Lena Sanders désigne l’ensemble des entités qui sont habitées par la population.

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dans lesquels elles se sont déroulées. La première de ces transitions est la sortie d’Afrique de Sapiens, il y a 70 000 ans. Une autre, que j’ai beaucoup analysée, est l’expansion des Bantu vers le Sud, qui s’est déroulée parallèlement à la transition du néolithique, en Afrique, il y a 3 000 ans. Nous avons également travaillé sur l’émergence des villes et la transition la plus récente dans laquelle nous nous trouvons, à savoir l’émergence des méga-cités, des villes multipolaires, etc… Il est intéressant de constater, en lien avec ce que disait Céline, que, dans un de nos modèles, un des moteurs de l’expansion Bantu vers le Sud est justement les interactions sociales qui existaient avec les populations Pygmées présentes dans cet espace.

Comment fait-on pour penser à la fois la sortie d’Afrique de Sapiens et l’émergence des méga-cités ? Lena Sanders : Ce projet réunissait d’une part, des « thématiciens », experts dans leurs domaines, à savoir des linguistes, des géographes, des historiens, des archéologues, et d’autre part, des modélisateurs, mathématiciens, informaticiens, philosophes et écono- mistes. C’était un projet interdisciplinaire, dans lequel était partagée une même concep- tion des systèmes complexes, conception qui nous renvoie à l’approche multi-échelle dont il était question tout à l’heure et qui repose sur l’hypothèse que les interactions entre des entités que l’on peut observer à une échelle géographique donnée font émerger des structures observables à un niveau d’organisation supérieur, sans que cela n’ait été voulu, pensé ou conçu. Il nous a également fallu définir le cadre conceptuel et en particulier ce que l’on entendait par transition. Cette définition devait être rendue opérationnelle pour pouvoir observer la sortie d’Afrique, l’émergence des méga-cités, la croissance des villes au moment de la conquête romaine, l’émergence de villages, d’une structure de chefferies chez les Pueblo dans le Colorado…, c’était très varié. Comment allait-on, à un moment donné, repérer un système ? À savoir un ensemble d’entités en interaction, qui se diffé- rencie de son environnement et fonctionne de telle façon qu’il se reproduit au cours du temps. Allions-nous en être capables ? Allions nous pouvoir repérer, à un autre moment, un système qualitativement différent dans son fonctionnement ? Si oui, et à condition de définir ce que « qualitativement différent » veut dire, nous pourrions alors parler de transition entre les deux systèmes. C’est à travers le partage de ces concepts qu’il a été possible de discuter de ces objets si différents.

Est-ce que cette approche des systèmes, que vous avez appliquée à différents cas, peut s’appliquer à tous les cas, ou du moins à tous les cas de transition ? Cela signifie-t-il qu’il existe un prima de l’outil ou de la modélisation et que c’est par ce prisme qu’on peut analyser et décrire la réalité ?

Lena Sanders : Je pense que cette approche peut s’appliquer aux situations où il existe des phénomènes d’interaction et d’émergence à plusieurs échelles. Ce qui n’est pas systématiquement le cas. Il faut ensuite que l’approche systémique et l’analyse multi-échelle aient du sens. Dans notre recherche, ce qui a été intéressant, c’est le travail collectif de réflexion mené pour construire le cadre conceptuel, pour définir une transi- tion. Ensuite, chacun s’est appuyé sur ses pratiques, ses savoir-faire, ses compétences, pour effectuer la modélisation. Il y a donc eu finalement une variété de modèles. Est-ce à dire que ces modèles donnent des éclairages différents d’une même réalité ? Oui.

C’est intéressant, parce qu’en principe, le modèle est une représentation simplifiée de la réalité. Il y a plusieurs façons de simplifier. C’est une négociation. Chaque modèle

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est dans le cadre de cette recherche, une négociation entre différents thématiciens et on peut dire que le modélisateur joue un rôle de médiateur dans cette négociation.

Dans un réseau ou un système, qu’est-ce qui importe le plus ? Les liens entre les villes, les individus, les entreprises ? Le poids que représentent les différents nœuds ou groupes d’acteurs du réseau ? Le pouvoir qui est exercé, etc. ? Comment analyse-t-on cela à travers le temps ?

Céline Rozenblat : Il y a, selon moi, plusieurs niveaux. Tout d’abord, l’analyse des réseaux porte le plus souvent sur les liens entre les acteurs, sans s’intéresser aux acteurs eux-mêmes. Les acteurs existent essentiellement par leurs liens. Ensuite, intervient la qualité ou l’intensité du lien, qui est très importante mais souvent difficile à qualifier. Par exemple, j’ai pu observer que certaines villes ont beaucoup de liens avec d’autres villes, mais que ces liens sont assez faibles. D’autres ont moins de relations mais les liens sont plus forts. Qu’est-ce qui est mieux ? Peut-être qu’une ville qui a des relations très fortes mais moins diversifiées avec d’autres villes sera plus vulnérable, parce que plus attachée à ces dernières. D’un autre côté, celle qui a des relations plus diversifiées est peut-être un peu éparpillée. On peut citer la métropole Marseille-Provence pour laquelle nous avons réalisé une étude qui montrait justement qu’elle a des relations très éclatées par rapport à d’autres villes aux relations plus ciblées. L’idée des acteurs que l’on a rencontrés était alors de mettre en place des stratégies vers certaines villes, pour renforcer certains types de relations en France et dans le monde. Pour ce qui concerne la question de l’importance du lien et du nœud en termes de pouvoir, on peut se demander où est le pouvoir ? Est-il dans les personnes ou dans leurs liens ? Je dirais qu’il est un peu dans les deux. Dans la capacité de la personne à gérer ses liens et à les entretenir, mais souvent, le lien et le car- net d’adresses sont aussi importants, pour parler d’une personne physique. Enfin, il faut souligner que la capacité de cette personne à entretenir des relations de bonne qualité avec les personnes de son carnet d’adresses est également déterminante.

Lena Sanders : Je n’ai rien de particulier ici à ajouter si ce n’est que ce n’est pas le modèle qui va pouvoir répondre à ces questions. C’est l’interprétation du thématicien. Ce sont les différentes hypothèses qu’il va introduire dans le modèle qui vont elles-mêmes montrer l’importance de tel ou tel lien ou élément.

Est-ce que tous les réseaux sont identiques ? Est-ce que l’outil réseau peut s’appliquer de la même manière sur différents objets, villes, entreprises, individus ? Peut-il s’appliquer à différents niveaux ?

Céline Rozenblat : La question est encore celle des niveaux. Il n’est pas équivalent de s’intéresser à des individus ou à la ville, qui est un ensemble d’individus. Mais la ville n’est pas que l’addition des individus. Elle est, à la fois, tous ces individus et leurs inte- ractions, qui vont elles-mêmes créer les liens de la ville. Cela a deux conséquences, d’une part, l’écueil de la personnification des villes : ce n’est pas la ville qui a des relations. Ce n’est pas la ville de Paris qui a des relations avec la ville de Londres, ce sont des acteurs de Paris qui ont des relations avec des acteurs de Londres. On observe souvent un glissement sémantique à ce niveau-là. Il n’y a pas d’intentionnalité dans les villes. À moins que ce soit le gouvernement de la ville, le Maire, qui décide de créer des liens de jumelage, etc. D’autre part, comment qualifier la ville au-delà de la somme de ses individus ou des liens de ses individus ? Est-ce que ces individus de la ville auraient développé autant de relations s’ils étaient isolés les uns des autres ? C’est bien là que réside l’effet multiplicateur supposé de

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la ville. On peut alors émettre des hypothèses sur cet effet que l’on connaît mal, qui se situe au-delà des effets additionnels et qu’on peut appeler « économies d’agglomération ». Ces effets sont variables d’une activité à l’autre et ils varient dans le temps…

Lena Sanders : On peut aussi mentionner toutes les interactions voire les imbrica- tions avec les autres entités qui composent la ville : les entreprises, les commerces, les réseaux techniques. Pour pouvoir considérer la ville comme une entité, il faut considérer toutes ces interactions-là. Ensuite, je suis assez d’accord avec Céline, on peut utiliser tous les outils qui nous sont proposés, par les économistes, les sociologues, les physiciens, les mathématiciens, etc., tout le problème est de savoir comment les appliquer. Ce qui nous ramène toujours à cette réflexion sur le sens. Quelquefois, il s’agit simplement d’un problème de vocabulaire. Par exemple, lorsqu’on utilise des systèmes multi-agents pour formaliser les interactions entre les villes et la dynamique qui en découle, il est évident que l’agent « ville » n’a pas d’intentionnalité telle qu’on vient de la définir. Le terme multi-agents a été emprunté par les informaticiens aux sociologues par commodité. Mais si on regarde l’objet informatique, il n’a absolument rien d’un agent. Je pense donc qu’il y a très souvent un malentendu qui est dû aux terminologies mobilisées dans les diffé- rentes disciplines, et de manières différentes. On l’observe chaque fois que l’on travaille avec des collègues d’autres disciplines. Que ce soient des collègues d’autres sciences humaines et sociales ou des sciences dures, il faut toujours, commencer par un long tra- vail d’apprivoisement mutuel. L’objectif n’est pas de converger sur le vocabulaire, ce n’est pas utile selon moi. C’est plutôt de se comprendre et ainsi de savoir comment le même terme peut être mobilisé avec un sens différent suivant les champs. Je pense donc que tous les outils peuvent être transférés, à condition qu’il y ait une explicitation du sens donné à leur usage.

On ne peut évoquer la question des réseaux sans aborder ce que l’on appelle aujourd’hui les

« réseaux sociaux » à savoir Facebook, Twitter, LinkedIn, etc. Est-ce que le développement de ce type de réseaux, souvent à distance, réinterroge l’approche en termes de réseaux ? Est-ce que cela modifie la structure des systèmes ?

Céline Rozenblat : Jusqu’à présent, les études ont montré que ces réseaux suivent encore des règles géographiques. Mais de manière plus générale ils réinterrogent bien entendu beaucoup nos disciplines. Le fait d’avoir introduit des nouvelles technologies différencie les individus selon qu’ils les utilisent ou non. Les chercheurs en sciences de la communication spécialisés dans la mondialisation de ces réseaux, intègrent de plus en plus la technologie et l’hyper-infrastructure dans le réseau lui-même, en tant qu’acteurs. L’hyper-infrastructure participe alors du développement du réseau, à la création de nouveaux réseaux ou au ren- forcement d’autres. Dans le cas des jeux, par exemple, des amis vont se passer le mot et essayer de jouer ensemble sur de nouveaux réseaux, sur Facebook cela se passe de la même manière. Aussi ces réseaux offrent des données intéressantes, mais qu’il faut remettre à leur place. Les réseaux tels que Facebook ne sont pas que des réseaux d’amitié ; ils sont bien plus étendus. Il est difficile de pondérer la part des liens donnant lieu à une vraie amitié ou liant des personnes qui font vraiment des choses ensemble. Il y a donc ces deux aspects en jeu : la transformation du réseau par le réseau lui-même et l’hyper-infrastructure d’un côté, et de l’autre côté l’avènement du big-data et des nouvelles informations qui sont très inté- ressantes à étudier, mais qu’il faut replacer aussi dans ce cadre-là.

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Lena Sanders : Je dirais pour ma part que les systèmes évoluent lentement. Si l’on considère le système de villes, il n’est pour le moment pas influencé par ces nouvelles technologies. Céline a dit quelque chose d’important : l’organisation de ces réseaux sociaux, leur structure, suit les organisations qui existaient précédemment et qui évoluent très lentement. En revanche, au niveau des individus, oui, le changement est considérable.

Surtout dans le rapport au temps : la relation est beaucoup plus instantanée, diversifiée, etc. Les pratiques, de l’espace, des réseaux d’amitié, des réseaux professionnels, etc., se modifient de manière très forte cependant cela ne bouleverse pas encore les structures à un niveau d’organisation plus important. Sans doute cela va-t-il venir, mais à quelle échelle de temps ?

Les réseaux sociaux ne sont-ils pas en train de faire émerger un nouveau type de géographie ou de proximité ? En quoi cela modifie-t-il ou pourra-t-il modifier les processus d’urbanisation, la modéli- sation urbaine voire peut-être la morphologie des villes et du système tout entier ?

Lena Sanders : C’est une révolution cognitive qui, faisant évoluer la capacité de com- munication, a entraîné la sortie d’Afrique de Sapiens. Puis, c’est l’accélération de la vitesse qui est à l’origine de l’émergence des métropoles polycentriques. La révolution numérique, etc., quelles conséquences va-t-elle avoir sur les structures ? Au tout début, on imaginait que chacun allait pouvoir travailler chez soi, qu’il y allait donc avoir une plus grande dispersion de la population, que les campagnes allaient être réinvesties, etc., ce n’est pas du tout ce qui s’est produit. Pour le moment, il y a un télescopage des vitesses de réaction entre ce qui se passe dans nos vies, au niveau individuel et les structures qui elles restent dans une autre dynamique, la précédente, liée au transport.

Céline Rozenblat : Il me semble que là encore, se pose la question de la qua- lité du réseau, de son contenu. Qu’est-ce qui est transporté dans un réseau social ? Quel type d’idées ? Quelles sont les intentions et les motivations des acteurs ? On assiste aujourd’hui à une renaissance de l’identité, quelle qu’elle soit. Se forment des groupes sociaux très identifiés, par origine, diaspora, religion ou type de préférences.

Cela peut-il conduire, par exemple, à de la ségrégation sociale dans les villes ? Les réseaux sociaux tels qu’ils avaient été étudiés par l’école de Chicago qualifiaient les personnes selon leur origine ou leur type. Aujourd’hui, ils se qualifient par « Je fais partie d’un réseau social ou je m’identifie à cela ». Il y a des recoupements mais pas uniquement. Pour les sciences sociales, cela redéfinit l’idée de la catégorie et du groupe. Alors qu’on étudiait les groupes sociaux à partir de catégories définies a priori, comme les catégories socio-professionnelles, le groupe émerge désormais de lui-même, par le réseau. Sans qu’il ne soit forcément identifié a priori, il va évoluer de lui-même, par sa structure. Cela peut modifier l’approche des sciences sociales.

En économie régionale, les proximités vont se construire de manière plus modulable et flexible. Cela dit, on observe des inerties et des retours en arrière au sein et entre les villes, par exemple autour de l’identité sociale. Pour les diasporas, le fait de rester en lien est beaucoup plus facile aujourd’hui grâce à Internet, des téléphones mobiles quasiment gratuits, de Skype, etc., en revanche, je peux vous dire d’expérience fami- liale que la diaspora était très importante et pesait un poids considérable dans nos vies, bien avant l’avènement de toutes ces technologies. Donc tout dépend de ce que les personnes en font, je pense.

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Bonus

Quel est le livre que vous avez lu récemment et que vous avez apprécié ?

Lena Sanders : j’ai été enthousiasmée par « Sapiens, une courte histoire de l’huma- nité », de Yuval Noah Harari, c’est emballant. L’auteur est un historien préhistorien, et ça se lit comme un roman, on ne le lâche pas, alors qu’il y a 500 pages.

Céline Rozenblat : le dernier livre qui m’a vraiment plu et dont je ne pouvais plus décrocher, c’était « 7 » de Tristan Garcia… Il comporte sept histoires. La septième lie toutes les autres.

Pour Lena, quelle est votre ville, ou système de ville préféré ? Si toutes devaient disparaître sauf une.

Lena Sanders : Mais c’est terrible !…. Là, vous me prenez par mon point faible : Stockholm, s’il ne doit en rester qu’une. En dehors du fait que j’y suis née, c’est une ville qui marie selon moi d’une façon extraordinaire l’artificiel, le bâti et la nature. Mais une ville qui me fait rêver, c’est Lisbonne, la Lisbonne des films, j’ai adoré « Dans la ville blanche » et aussi le film de Wenders. Sinon, une autre ville qui me fait rêver, c’est la Prague des années 70. Prague comme Lisbonne, ce qui me plaît, c’est leur mystère, c’est toute cette beauté cachée.

Pour vous, Céline, quel est votre réseau préféré ?

Céline Rozenblat : Ah je n’ai pas le droit à ma ville préférée ? Si vous pouvez nous la dire. C’est Paris évidemment. En fait c’est parce que c’est ma ville d’enfance, c’est là où je peux me promener et me rappeler… de ma première promenade seule par exemple je devais avoir 5 ans. Paris, c’est plus une question de quartier, de village. Et puis, parce qu’elle est magnifique et qu’elle m’a toujours éblouie.

Et pour mon réseau préféré…C’est le réseau des amis, le réseau des personnes chères sans lesquelles on ne peut pas vivre…

Sélection d’ouvragesLena Sanders

2017 (coord.), Transitions dans les systèmes de peuplement : observer, interpréter et simuler l’émergence du changement spatial, Presses Universitaires François Rabelais (à paraître).

2014, avec Livet P., Phan D., Diversité et complémentarité des modèles multi-agents en sciences sociales, Revue Française de Sociologie 55 (4), 689-729.

2014, avec H. Mathian, Geographical objects and process of change Spatio-temporal approach, Wiley (coll.

FOCUS- GIS and Territorial Intelligence Series), London. Version française Objets géographiques et processus de changement. Approches spatio-temporelles, ISTE, London.

2013, Trois décennies de modélisation des systèmes de villes : sources d’inspiration, concepts, formalisations, RERU 5, 833-856.

2013, avec Pumain D., Theoretical principles in inter-urban simulation models: a comparison, Environment and Planning A, vol 45, 2243-2260.

2012, avec Favory F., Nuninger L., Intégration de concepts de géographie et d’archéologie spatiale pour l’étude des systèmes de peuplement, l’Espace Géographique 4, 295-309.

2001 (coord.), Modèles en analyse spatiale, Hermes-Lavoisier, Paris.

1992, Système de villes et synergétique, Economica-Anthropos, Paris.

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Sélection d’ouvragesCéline Rozenblat

2017, avec Pumain D., Velasquez E. (eds.), International and Transnational Perspectives on UrbanSystems, UN-Habitat / MIT Press, Boston (à paraître).

2016, avec Zaidi F. etBellwald A., The multipolar regionalization of world cities in the multinational firms networks, Global Networks.

2015, Approches multiplexes des systèmes de villes dans les réseaux d’entreprises multinationales, Revue d’Économie Régionale et Urbaine 3, 393-424.

2014, avec Di Lello O. Les réseaux des firmes multinationales dans les villes d’Europe centre-orientale, Cybergeo – European Journal of Geography.

2013, avec Mélançon G. (eds.), Multilevel analysis and visualization of geographical networks, Methodos Series, n° 11, Springer, Netherlands.

2010, avec Parshani R., Havlin S., Ducruet C., Ietri D., Inter-similarity between coupled networks, EPL.

2005, avec Amiel, M., Mélançon G. Réseaux multi-niveaux : l’exemple des échanges aériens mondiaux, M@

ppemonde, n° 3.

2004 : Tissus de villes. Réseaux et systèmes urbains en Europe. Habilitation à diriger des recherches, Université Montpellier III.

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