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Bibliothèque du psychiatre. <i>Les psychopathes autistiques pendant l’enfance</i>, de Hans Asperger

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Journal Identification = IPE Article Identification = 1814 Date: May 21, 2018 Time: 2:34 pm

Livres

L’Information psychiatrique 2018 ; 94 (5) : 405-7

Bibliothèque du psychiatre

Hans Asperger

Les psychopathes autistiques pendant l’enfance

Paris : Les Empêcheurs de penser en rond, 1998 Traduction franc¸aise

de Elisabeth Wagner, Nicole Rivollier, Dominique L’Hôpital

Préface de Jacques Constant

Ce texte [1] a été écrit pour l’obtention d’une habilitation uni- versitaire par un pédiatre et péda- gogue autrichien, Hans Asperger (1906-1980) responsable du dépar- tement de « pédagogie curative » à la Clinique pédiatrique universi- taire de Vienne. Le site Wikipédia [2]

nous dit qu’il était déjà paru en 1938 dans Wiener Klinischen Wochen- schriftest.

Après la Seconde Guerre, Hans Asperger continua sa carrière de professeur en psychiatrie de l’enfant. Andreas Rett fut son élève. . . (Syndrome oblige ?). En 1948 il fonda la société autrichienne de Heilpädagogik qu’il présida jusqu’à sa mort. Le courant dit de la « pédagogie curative » connaît encore aujourd’hui une diffusion importante dans les pays de langue

allemande et propose une synthèse entre les pratiques médicales et éducatives. Il publia des manuels de psychiatrie de l’enfant mais peu d’articles sur le thème de l’autisme, et s’engagea dans les villages pour enfants victimes de guerre (SOS-Kinderdorf).

Discret, aimant se promener dans les montagnes, père de famille, il est resté très autrichien, participant peu aux congrès internationaux. Il existe une polémique récurrente sur inter- net quant à son éventuelle proximité avec le régime nazi. Nommé profes- seur en 1943, il n’était probablement pas dans une opposition active au pouvoir. Mais son œuvre huma- niste, sans en faire le héros résistant que certains décrivent, ni le mili- tant national socialiste que d’autres évoquent, plaide en sa faveur.

Un type d’enfants

Asperger décrit « un type d’enfants atteints d’une pertur- bation fondamentale, homogène, qui se manifeste typiquement dans le physique, l’expression, le comportement, et qui implique des difficultés d’adaptation. . . Dans beaucoup de cas, l’échec d’insertion sociale est au premier plan, mais dans d’autres, cet échec

est compensé par une originalité de pensée et de perception qui mène souvent à des performances extraordinaires par la suite».

Ce type de personnalité n’est pas exceptionnel, «dès qu’on a appris à repérer les expressions caracté- ristiques de l’autisme, on trouve cette perturbation psychopathique, surtout à un degré assez léger, assez souvent chez les enfants».

Les illustrations cliniques et insti- tutionnelles de quatre garc¸ons hos- pitalisés dans l’unité de pédagogie curative depuis plusieurs années, Fritz 6 ans à son admission, Harro 8 ans, Ernst 7 ans, Helmut 11 ans – servent à généraliser les traits du caractère de ces enfants en les réunissant sous le terme global de

« psychopathes autistiques ». Le choix du terme « autisme » est emprunté à la description de la schi- zophrénie par Bleuler, en 1911,«la perturbation fondamentale appelée pensée autiste par Bleuler réside en une pensée qui n’est pas définie par la réalité mais par les désirs, les passions, ce qui explique les difficultés, les échecs, comme les performances exceptionnelles».

Dans l’introduction intitulée

« typologies », l’auteur s’interroge sur « les tentatives de classifica- tion des phénomènes humains ».

Il connaît les travaux de carac- térologie des auteurs de langue allemande de cette époque : Ernst Kretschmer, Kurt Schneider et Paul Schröder, et ne dit pas un mot des écrits psychanalytiques de Sigmund Freud, son compatriote autrichien, et son contemporain. Il n’évoque pas non plus les travaux d’Ernest Dupré, mais il soutient « qu’on ne peut pas comparer une personna- lité avec le poids d’une balance qui donnerait un certain résultat par l’addition de qualités diverses, mais on peut la comparer à un tissu de fils vivants, dont chacun tient et lie l’autre ». Cette conception globale, on dirait aujourd’hui dimension- nelle (comme le remarque Jacques Hochmann [3] dans son « his-

doi:10.1684/ipe.2018.1814

Rubrique coordonnée par Eduardo Mahieu

405

Pour citer cet article : Bibliothèque du psychiatre.L’Information psychiatrique2018 ; 94 (5) : 405-7 doi:10.1684/ipe.2018.1814

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toire de l’autisme ») se réfère à un penseur allemand, Ludwig Klages (1872-195). Philosophe de la nature (L’homme et la terre, 1913), revenu à la mode outre-Rhin en ces temps écologiques, et fondateur de la «graphologie psychologique scientifique », cet auteur oriente le clinicien Asperger vers les moda- lités d’expression langagières,

« les manières dont s’exprime un homme nous révèlent son être».

L’introduction se termine par l’affirmation d’une méthode que l’on pourrait, avec anachronisme, qualifier d’observation institution- nelle : « la nature profonde de l’enfant ne se révélera qu’à celui qui est dans une situation pédagogique avec lui».

Enfin, la dimension éthique est soulignée, précision d’importance puisque ce texte est écrit en pleine période nazie, « nous montrerons que les personnes anormales peuvent occuper une place dans la société, surtout si elles sont guidées avec amour et compréhension».

La perturbation fondamentale

Asperger décrit la sémiologie et généralise à partir des détails de chaque cas. Des chapitres étudient ensuite les symptômes des psycho- pathes autistiques, l’intelligence, la fac¸on de s’exprimer, le comporte- ment en société, la vie sentimen- tale et compulsive, la biologie et l’hérédité, l’évaluation sociale.

Les symptômes sont durables et peu accessibles aux efforts éduca- tifs : « La perturbation fondamen- tale du psychopathe autistique est une limitation des relations avec l’environnement ». « À partir de 2 ans, ces traits sont très reconnais- sables et perdurent toute la vie.

Les difficultés qu’a le petit enfant quand il apprend le savoir-faire de la vie pratique et l’adaptation sociale résultent de la même perturbation qui est aussi à l’origine des pro- blèmes de l’écolier, des problèmes d’adolescence, des problèmes pro- fessionnels et des conflits matrimo-

niaux. C’est l’unité des symptômes et leur constance qui rend cet état aussi typique ». « Petits enfants, ils ont des stéréotypies de mouve- ments : balancements rythmiques, jeux répétitifs pendant des heures, certains jouets sont traités comme un fétiche. . . ils tapent et frappent, et jouissent du rythme. Ils font des alignements horizontaux avec leurs jouets au lieu de faire des cons- tructions, ils les classent selon les couleurs, les formes, la taille ou tout autre schéma d’ordre que nous ne connaissons pas. On peut difficile- ment les sortir de leurs jeux et de leurs problèmes».

L’intelligence et le langage de ces enfants sont difficiles à cerner avec les tests de Binet qu’Asperger uti- lise, détaille, et juge insuffisants :

« On pouvait se demander si ce garc¸on (Fritz) était intelligent ou débile mais il y a certainement beaucoup d’enfants débiles qui portent des symptômes typiques des psychopathes autistiques. Le refus de contact avec ses expres- sions typiques, le regard, la voix, la mimique, les gestes et la motri- cité, les difficultés de discipline, la méchanceté, la pédanterie, les stéréotypies, le fait que leur per- sonnalité est comme un robot, il ne leur est pas possible de repro- duire mécaniquement leurs actions mais leurs performances sponta- nées sont bonnes».«Ces perturbés du contact ont aussi une perturba- tion des expressions qui créent le contact. Ils ont tous un langage anor- mal».

« Les personnalités autistiques sont des automates de l’intelligence.

Souvent, les instituteurs sont désespérés devant la difficulté d’enseigner à ces enfants-là. Il y a des conflits caractéristiques entre instituteurs et parents. Les parents jugent les enfants selon leur expres- sion spontanée très intelligents et les tiennent pour très doués, le maître voit qu’ils apprennent mal et donnent de mauvaises notes.

Les conflits sont inévitables et on peut dire que les deux parties ont raison».

Le comportement en société, et l’évaluation sociale sont décrits avec un souci pédagogique pragma- tique, des attitudes à prendre sont citées évoquant bien des aspects des « méthodes» contemporaines recommandées par la HAS 70 ans plus tard !

« L’anomalie principale du psy- chopathe autistique est une pertur- bation des relations vivantes avec l’environnement, perturbation qui explique toutes les anomalies ».

« C’est par l’intellect que se fait l’adaptation sociale chez eux. Ils sont parvenus à une adaptation presque parfaite par l’établissement d’un horaire qui contenait exac- tement dès le réveil toutes les occupations et devoirs du jour».

«Du point de vue pédagogique, avec Harro, nous avons pris un pro- cédé qui a du succès chez la plupart des autistes. Ce petit garc¸on obéis- sait mieux dès qu’on ne s’adressait pas à lui comme à un individu personnellement, même si l’ordre en forme linguistique était géné- ral, impersonnel, comme une voie objective qui s’impose à l’enfant».

«Ces enfants sont déficients par rapport à des exigences pratiques».

À propos du cas Ernst, il ne cache pas les limites éduca- tives et soignantes. « Certaines de ses remarques ont du sens, elles montrent une bonne faculté d’observation mais entre cela et ses aptitudes pratiques, il y a un grand contraste. Il est incapable d’exécuter les actes les plus simples. Même s’il récite le déroulement de ce qu’il doit faire en se levant et en s’habillant, il oublie et confond les choses et se comporte de manière ridicule et maladroite».

Asperger est très optimiste pour l’avenir social de ces enfants :

«Ces personnalités anormales sont capables de développement et elles trouvent des possibilités d’insertion sociale inespérées auparavant au cours de leur développement. Cela nous oblige et nous autorise à faire tout pour eux si nous avons l’impression que c’est seulement par un engagement complet et affec-

406 L’Information psychiatriquevol. 94, n5, mai 2018

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Bibliothèque du psychiatre

tif de l’éducateur que nous pouvons obtenir un succès. Nous trouvons que ces personnes ont leur place dans l’organisation».

La biologie et l’hérédité :

« L’autisme n’est pas dû à des influences d’éducation défavorable mais à des dispositions héritées des parents».«Dans la plupart des cas, le père est celui qui a transmis les traits autistiques à l’enfant, il exerce une profession intellectuelle».

Asperger propose une théorie qu’on peut qualifier de «genrée » surprenante pour notre époque :

«La psychopathie autistique est une variante extrême de l’intelligence masculine, du caractère masculin».

La place du texte dans l’histoire

de la pédopsychiatrie

Attention : ce texte ne décrit pas le syndrome d’Asperger

Au moment de sa parution le texte d’Asperger, n’a eu aucun écho international. Ce n’est qu’en 1971 qu’un psychiatre hollandais, Arn Krevelen, le redécouvre et le compare au texte de Leo Kanner (1894-1981),Autistic Disturbance of Affective Contact, écrit à la même date (et non un an plus tôt comme le répètent tous les manuels) et qui va donner naissance à l’entité nosogra- phique«autisme infantile précoce».

Asperger, lui, ne connaîtra qu’une notoriété posthume. Un an après sa mort, en 1981, une pédopsy- chiatre britannique, Lorna Wing [4]

propose à partir de son texte de dis- tinguer une nouvelle entité qu’elle nomme«le syndrome d’Asperger» et dont elle définit les critères à par- tir de 34 cas : ensemble de troubles des interactions sociales et centres intérêts restreints avec maladresse, troubles du langage et bon niveau intellectuel. Dix ans plus tard, Uta Frith [5] fait connaître au monde anglophone«Asperger et son syn- drome».

S’ouvre alors la période encore actuelle du « syndrome d’Asperger », de son rapport avec le texte inaugural d’Asperger, et de

sa place dans les nosographies ; reconnu comme « entité noso- graphique de validité douteuse » dans les « Troubles envahissants du développement »de la CIM 10, il n’est plus individualisé dans les

«Troubles du spectre de l’Autisme» du DSM V mais reste très uti- lisé par les usagers regroupés en associations véhémentes (Aspies for freedom, en Angleterre par exemple).

1943, date clé dans l’histoire de la psychiatrie de l’enfant

Le succès ultérieur du choix de l’adjectif autiste pour distinguer le profil clinique de certains enfants par rapport aux débiles et aux schi- zophrènes fait que 1943 est devenue une date clé comme le remarquait Didier-Jacques Duché [6].

Alors que les deux auteurs ignorent réciproquement leurs travaux (on est en pleine guerre mondiale), ils reprennent le même terme dans la langue allemande qui leur est commune puisque l’on sait que Kanner l’américain est un immigré autrichien depuis 1924. Mais chez Bleuler en 1911, le concept d’autisme (version soft de l’autoérotisme de Freud) était une conséquence de la Spaltung (dissociation) dans sa conception de la schizophrénie. Il devient le trouble principal pour les deux auteurs de 1943 ; très vite l’adjectif devient substantif.

Jacques Hochmann [3] a mon- tré que cette réactualisation du mot

« autisme » est l’aboutissement d’une lente évolution des idées et des pratiques entre l’Europe et les États-Unis depuis le début du

XXesiècle.

Des convergences existent entre les descriptions contemporaines de Kanner et d’Asperger. Des diffé- rences aussi. La vision positive d’Asperger sur cette psychopathie autistique se distingue avec la des- cription de Kanner qui décrit les enfants vus en consultation, alors qu’Asperger les suit dans une insti- tution de pédagogie curative.

Nosographie et politique

En 1944 les forteresses volantes de la libre Amérique bombardent l’Autriche. Elles écrasent la clinique de pédagogie curative fondée avec sœur Victorine Sak, directrice péda- gogique«géniale», disait Asperger et victime collatérale qui meurt avec des enfants en soins sous les décombres. L’Europe libérée va découvrir dans les cantines de l’US Army«l’autisme de Kanner», dont le succès me semble autant lié à la pax americanaqu’aux travaux stric- tement nosographiques. En France et en Angleterre, le concept régio- nal de psychose va tenter de résister en incluant l’autisme en son centre mais il cédera devant la mondia- lisation des idées. En fouillant les décombres de la clinique de péda- gogie curative et en bricolant le

«syndrome d’Asperger»qui connaît un succès mondial, Lorna Wing a-t-elle voulu rendre hommage à l’autrichien vaincu par rapport à l’autrichien vainqueur ? Je l’ignore mais cette histoire me paraît démon- trer la place du politique dans la psychiatrie et la vanité de vouloir la nier.

Jacques Constant

<jacques.constant28@wanadoo.fr>

Liens d’intérêts

l’auteur déclare ne pas avoir de lien d’intérêt en rapport avec cet article.

∼Références

1.Asperger H. Die Autistischen Psy- chopathenim, Kindesalter. Berlin. Archiv für Psychiatrie und Nervenkrankheiten 1944 ; 117 : 76-136.

2.Asperger H. https://de.wikipedia.org/

wiki/Hans_Asperger. Consulté en février 2018.

3.Hochmann J. Histoire de l’autisme.

Paris : Odile Jacob, 2009.

4.Wing L. Asperger’s Syndrome : a Cli- nical Account. Psychological Medicine 1981 ; 11 : 115-30.

5.Frith U. Asperger and his syndrome.

Londres : Cambridge university press, 1991.

6.Duché DJ. Histoire de la psychiatrie de l’enfant. Paris : PUF, 1990.

L’Information psychiatriquevol. 94, n5, mai 2018 407

Références

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