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Bibliothèque du psychiatre. <i>L'institution en négation. Rapport sur l'hôpital psychiatrique de Gorizia</i>, de Franco Basaglia (dir.)

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Journal Identification = IPE Article Identification = 1889 Date: December 21, 2018 Time: 4:29 pm

Livres

L’Information psychiatrique 2018 ; 94 (10) : 857-9

Bibliothèque du psychiatre

Franco Basaglia (dir.) L’institution en négation.

Rapport sur l’hôpital psychiatrique de Gorizia Paris : seuil, 1970

(1reédition, Seuil, 1970) Trad. de L. Bonalumi

L’institution en négation1sort en Italie en 1968 et, dès le début, l’impact que cette publication a sur l’opinion est tellement formidable qu’en l’espace de quelques mois seulement, soixante mille exem- plaires sont vendus ; elle devient, avec d’autres textes militants qui cir- culaient déjà à l’époque, un point de référence pour le mouvement de contestation dans les universi- tés et dans les usines. Ce que ce succès a de singulier, c’est qu’il concerne un texte de psychiatrie ou plutôt, de critique de la psy- chiatrie qui, de manière inattendue,

1Le livre a été republié en France en 2012 parLes éditions Archêavec une préface inédite de P. Di Vittorio. Nous faisons référence à cette édition.

capte l’attention du grand public. Il conquerra bien vite aussi la faveur des intellectuels franc¸ais, Sartre, Foucault et Castel notamment, qui en parleront avec grand intérêt.

Franco Basaglia

Le livre rend compte de manière passionnée de l’extraordinaire expérience de transformation ins- titutionnelle, menée par Franco Basaglia et son équipe, qui a eu lieu à l’asile de Gorizia dans les années soixante et qui marquera profondément la dure réalité asi- laire italienne, tout comme d’autres expériences analogues dans dif- férentes régions du pays, et qui conduira, en 1978, au terme d’un long processus de luttes poli- tiques et désinstitutionalisation, à l’approbation par le Parlement italien de la loi 180 grâce à laquelle seront progressivement fermés tous les hôpitaux psychiatriques en Italie. Pour la première fois dans le monde, une résolution radicale met fin au scandale de la ségrégation psychiatrique et de l’exclusion des personnes souffrant de troubles

mentaux, nie le préjugé de la dan- gerosité lié à la maladie mentale et ouvre la voie à une nouvelle expé- rience scientifique et sociale pleine d’inconnu mais riche d’espoir.

Franco Basaglia, brillant psy- chiatre vénitien travaillant à la clinique universitaire de Padoue et auteur de nombreux ouvrages scientifiques parus dans des revues nationales et internationales, arrive à Gorizia en 1961. L’hôpital psychia- trique – qui se trouve à l’époque sur la ligne de frontière entre l’Italie et la Yougoslavie – est un lieu qui se situe aux confins du pays et dramatiquement hors de la civili- sation. Six cents malades y sont internés, dans des conditions ter- ribles d’abandon et de promiscuité ; sales, déguenillés, mal soignés, ils sont continuellement soumis à la violence et privés des plus élémen- taires droits humains de dignité et de respect de la personne. Les portes sont fermées, les sorties de l’asile rares, l’espoir de guérir impossible. À son arrivée, Basa- glia y reconnaît la même odeur de merde qui l’avait dégoûté quand, à l’âge de vingt ans, en 1944, accusé d’antifascisme, il avait été incarcéré et avait risqué la peine de mort.

Tout de suite, il fait comprendre au personnel que les choses vont changer : quand l’inspecteur en chef lui demande d’apposer une signa- ture d’autorisation sur le registre des contentions, ordonnées par les médecins et pratiquées la veille par les infirmiers, il refuse de signer.

Il comprend qu’il faut qu’il fasse valoir son autorité de directeur pour contrecarrer les rituels et les complicités invétérés et imposer un nouveau cours : il abolit les pra- tiques violentes de coercition, les contentions physiques et les théra- pies de choc et, grâce à un travail quotidien attentif aux besoins indi- viduels des internés, il fait en sorte que leurs vêtements civils et leurs effets personnels leur soient ren- dus ; il fait progressivement ouvrir les portes des pavillons et abattre les

doi:10.1684/ipe.2018.1889

Rubrique coordonnée par Eduardo Mahieu

857

Pour citer cet article : Bibliothèque du psychiatre.L’Information psychiatrique2018 ; 94 (10) : 857-9 doi:10.1684/ipe.2018.1889

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clôtures et les grilles aux fenêtres, permettant ainsi aux patients de cir- culer librement dans l’hôpital et puis aussi dehors, dans la ville, pour que commence le parcours difficile mais enthousiasmant de réappropriation de leur existence.

De la

désinstitutionalisation...

Autour de Basaglia se rassemble une équipe de jeunes et valables collaborateurs – Antonio Slavich, Agostino Pirella, Giovanni Gervis, Domenico Casagrande, Lucio Schit- tar – qui vont aider Basaglia dans ce difficile travail de désinstitutionali- sation et qui se disperseront ensuite dans différentes régions d’Italie pour le poursuivre. Leurs voix, ainsi que celles de nombreux profes- sionnels et usagers, constituent la trame d’interventions et de témoi- gnages sur laquelle se construit L’institution en négation. Le livre raconte l’expérience de Gorizia, les difficiles passages institutionnels, le changement graduel des pratiques quotidiennes, qui donnent lieu à une transformation radicale non seule- ment de l’assistance psychiatrique, mais également de la mentalité de ceux qui travaillent là et des habi- tants de la ville.

Ce qui justifie l’internement psy- chiatrique, ce ne sont pas unique- ment la maladie et les prétendus comportements importuns ou dan- gereux du malade, mais ce sont aussi les préjugés de la population et des professionnels eux-mêmes qui doivent donc changer leur manière de voir. Pour cela, il faut un travail patient de dépassement progressif des contradictions qui émergent chaque jour à l’hôpital : par exemple, à chaque fois qu’on décide d’ouvrir les portes d’une unité – expérience entreprise à l’issue de longues assemblées entre professionnels et patients – un senti- ment de suspension et d’incertitude réapparaît car on ne sait pas bien

ce qui se va se passer après.

Dans sa très belle introduction documentaire, Nino Vascon (pp. 51- 57) rappelle l’exemple de l’unité B pour hommes qui fut la première ouverte et gérée selon le modèle de la Communauté thérapeutique de Maxwell Jones, introduit à Gori- zia par Basaglia lui-même. Cette unité était constituée de cinquante malades et d’un groupe plus petit d’infirmiers qui ont réussi à faire sortir la moitié des patients. La satis- faction qui s’ensuit est grande, le rôle des infirmiers ne se limite plus à celui de gardiens mais se charge d’un autre sens thérapeutique et de réhabilitation. Toutefois, à la place des patients qui sont sortis, vingt- cinq autres arrivent, plus âgés et dans un état de régression plus grave, par conséquent, plus diffi- ciles à faire sortir. Les infirmiers sont alors en difficulté et ne trouvent plus la même satisfaction qu’avant dans leur travail quotidien car ils sentent qu’ils n’ont plus ce rôle de réhabilitation qu’on leur avait attri- bué, ni même cette importance dans le cadre de l’hôpital, puisqu’entre- temps, dans d’autres unités, les portes ont été ouvertes et qu’une nouvelle gestion communautaire a commencé ailleurs dans l’hôpital. Ils avaient acquis un rôle et un savoir et ils sentent à présent qu’ils les ont perdus et qu’il va falloir les recon- quérir en recommenc¸ant tout depuis le début.

C’est cela la force de Gorizia, une expérience qui se défait au fur et à mesure qu’elle se fait.

L’institution en négation en est l’image fidèle. Le 19 janvier 1968, Basaglia écrit à Giulio Bollati qui a supervisé la publication du livre pour la maison d’édition Einaudi :

« La situation change continuelle- ment et aujourd’hui déjà, elle n’est plus celle que tu as vécue ; c’est précisément de là que viennent les difficultés quotidiennes [. . .]. Ma crainte est que l’institution en néga- tion (j’entends l’entreprise en soi) ne devienne une idéologie et ne conti-

nue pas, au contraire, à se nier».([1]

p. 944, notes]

. . . à la critique de la société

Nier l’institution est une entre- prise en cours qui produit de l’idéologie si elle ne s’accompagne pas également d’un engagement intellectuel qui doit partir de l’expérience concrète sur le terrain mais qui ne doit pas se leurrer de pouvoir tout simplement faire de l’antipsychiatrie. D’ailleurs, Basaglia et son équipe ne se reconnaissent pas dans les positions de Laing et Cooper en Angleterre, ou de Szasz aux États-Unis. Ils refusent cette étiquette et revendiquent au contraire leur rôle de psychiatres qui exercent une action de critique permanente de l’institution pour offrir aux patients une réponse alternative à celle qui leur a été don- née jusqu’alors. Au moment où ils prennent conscience de l’existence de la contradiction entre ce qui est déclaré par la société et par la science – l’hôpital psychiatrique est un lieu de soins – et la réalité quotidienne – l’hôpital psychia- trique est un lieu de violence et d’exclusion –, les professionnels deviennent des techniciens du savoir pratique menant une bataille qui est en même temps politique et scientifique, en tant qu’elle met au jour la position idéologique de la psychiatrie, l’effet d’exclusion des savoirs et des pouvoirs institution- nels et leur dépendance du système social dans lequel ils sont insérés afin de sauvegarder celui-ci. Initia- lement mobilisés dans une pratique de défense de la personne internée pour répondre à ses besoins et lui rendre sa dignité et ses droits, les professionnels se rendent bien vite compte qu’ils ne peuvent couvrir les contradictions du système psy- chiatrique par une simple action réformiste d’assainissement de l’asile, d’amélioration des condi-

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tions de vie des internés et de modernisation du système de ges- tion des soins grâce au modèle de la communauté thérapeutique.

La critique permanente s’abat non seulement sur l’institution, pour contester la tendance à s’adapter confortablement à de nouveaux rôles et modèles de référence, opposés aux rôles et modèles traditionnels, mais également sur la science et la société qui ont consenti au scandale de l’asile et de l’exclusion du fou de la vie civile.

Bollati l’a parfaitement compris quand il répond à Basaglia, le 26 jan- vier :«Votre livre est très beau et très important. C’est un des très rares exemples (il y a des gens qui don- neraient leur vie pour réussir à le construire en laboratoire) d’un livre qui se construit de lui-même, vit des tensions qui se produisent en son sein, repose sur ses propres tendances autodestructrices. Je ne serais pas surpris que vous,drama- tis personæ, en soyez mécontent, irrité, offensé même plus que ce que

2L’expérience de Gorizia prend fin car l’administration provinciale de Gorizia, diri- gée par un conseil de centre-gauche, refuse d’ouvrir les centres externes et bloque de ce fait, dès sa naissance, une assistance territo- riale proposée comme une alternative à l’asile.

Franco Basaglia avait déjà démissionné de sa fonction de directeur en 1969 et, après une brève et infructueuse parenthèse à Parme, en 1971, il arrive enfin à Trieste où l’administration provinciale locale lui donne carte blanche pour mener jusqu’au bout le travail de désinsti- tutionalisation, en construisant des centres de santé mentale sur le territoire et en fer- mant l’hôpital psychiatrique local. Sur la vie et l’œuvre de F. Basaglia, voir : M. Colucci, P. Di Vit- torio,Franco Basaglia. Portrait d’un psychiatre intempestif[2].

(si je ne me trompe) vous l’êtes déjà

[. . .]. Je crois, moi aussi, que ce livre

a mis fin à toute une période. Après le livre, il ne peut y avoir à Gorizia que la “routine” (bien entendu avec tout ce qu’a de positif la routine de Gorizia) ou la prise d’assaut des édi- fices publics»([1], pp. 943-944).

Rien de tout cela ne suivra, ni la«routine»d’une institution bien gérée, car le 20 octobre 1972, toute l’équipe médicale décide de ne plus être de mèche avec le béotisme du pouvoir et les retards de la bureau- cratie et démissionne2, faisant un choix douloureux mais inévitable, qui n’est pas sans rappeler le geste de Franz Fanon qui, en 1956, quitte l’hôpital psychiatrique de Blida- Joinville en écrivant la célèbreLettre au ministre Résident; ni n’a lieu, fort heureusement, « la prise d’assaut des édifices publics»car l’impulsion révolutionnaire ne dépassera jamais les limites de la cohabitation civile, au-delà de laquelle – Basaglia n’aura de cesse de le répéter – il ne peut y avoir que la destruction même de la dialectique des contradictions3.

3 Basaglia aura toujours une position très ferme contre la dérive terroriste de l’action politique. En 1980, il écrit : « Aujourd’hui, dans la situation particulièrement chaude dans laquelle nous nous trouvons, certains disent que le terrorisme a ouvert des espaces de lutte, a ouvert des contradictions. Affirmer cela est une folie, tout comme penser que les Bri- gades rouges sont un phénomène qui met l’État devant une alternative ; elles sont plu- tôt l’image en miroir de l’État. Ouvrir des contradictions est une question beaucoup plus complexe et difficile.»[3, 4].

(Texte traduit de l’italien par Pascale Janot) Mario Colucci, psychiatre, affilié au Département de santé mentale de Trieste (Italie), psychanalyste, membre de l’École de psychanalyse des Forums du champ lacanien mariocolucci.trieste@gmail.com Liens d’intérêts

l’auteur déclare ne pas avoir de lien d’intérêt en rapport avec cet article.

∼Références

1.Mangoni L. Pensare i libri. Torino : La casa editrice Einaudi dagli anni trenta agli anni sessanta, Bollati Boringhieri, 1999. p. 944.

2.Colucci M, Di Vittorio P. Franco Basa- glia. Portrait d’un psychiatre intempestif.

Toulouse : Érès, 2005.

3.Basaglia F. “Conversazione: a propo- sito della nuova legge 180”. In :Scritti.

2 vol. Torino : Einaudi, 1981. Vol. II. p.

480-481.

4.Basaglia F.Psychiatrie et démocratie.

Toulouse : Éditions Érès, 2007. pp. 120, 131.

L’Information psychiatriquevol. 94, n10, décembre 2018 859

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