• Aucun résultat trouvé

JOURNAL DE BORD « AU MEXIQUE

N/A
N/A
Protected

Academic year: 2022

Partager "JOURNAL DE BORD « AU MEXIQUE"

Copied!
16
0
0

Texte intégral

(1)

JOURNAL DE BORD «

I

AU MEXIQUE

14 février. — Acapulco s'étale en hauteur, en longueur, disposé en gradins ; le bas de la ville baigne dans la vaste baie au milieu de laquelle la Jeanne d'Arc vient mouiller. L a baie d'Acapulco est une des plus belles du monde. L'Océan y est calme, très protégé par les montagnes en forme d'arc de cercle, un côté seulement communiquant avec la mer.

Que d'hôtels ! I l y en a pour tous les goûts, du palace à la modeste pension. I l y en a une cinquantaine qui se suivent presque à la file. Nous sommes descendus à terre évidemment et nous voyons des terrains de golf, de tennis, des piscines ; i l faut tout cela pour ceux qui viennent se reposer dans ce nid de verdure.

Dolorès del Rio est là en ce moment. Des yachts américains où on lit sur les bas-côtés Los-Angeles, San Francisco, sont à quai. Les amateurs de pêche peuvent s'adonner à leur sport favori. Comme à Honolulu c'est un petit paradis où l'on ne constate aucun change- ment de température d'un bout de l'année à l'autre. L'eau y est toujours invariablement à 26 ou 270. Nous passons l'après-midi sur la plage. D e 2 à 5 heures, nous faisons les lézards avec de fréquentes incursions dans cet océan divinement tiède, mais on nous a prévenus : « Faites attention, les indigènes aiment beaucoup les montres ». L e soir à l'hôtel Reforma Casablanca, on peut voir une attraction, celle d'un nageur s'élançant du haut du plongeoir qui domine l'océan éclairé pas des projecteurs ; on suit, durant quelques secondes, la courbe élégante de son corps évoluant dans les airs pour plonger ensuite dans l'océan.

(1) Voir La Revue des 1" et 15 octobre, 1" novembre.

(2)

75 février. — Acapulco est la grande station de bains de mer du Mexique. Mexico est à une heure de vol. J'ai retenu hier ma place dans l'avion qui, plusieurs fois par jour, fait la navette entre cette station de tourisme idéale et la capitale du Mexique. A 8 h. 30 un taxi affrété par la Compagnie me dépose à 15 km. du centre de la ville, à l'aéroport d'Acapulco. I l est de l'autre côté de la mon- tagne au pied'de laquelle se trouve la ville. E n bordure de l'Océan, l'aéroport est agréable. Je me trouve assis à côté d'une famille du Texas en attendant le départ. Venue passer une semaine à Aca- pulco, elle regagne Mexico par avion et prendra ensuite* le train jusqu'au Texas. Quel voyage pour une si courte détente ! L'Amé- ricain aime se déplacer loin et vite. I l le fait facilement.

A 9 h. 40, les passagers se dirigent vers le D C 4 qui est sur l'unique piste de l'aérodrome parallèle à la mer. Je me présente au pied de l'escalier comme tous les passagers pour m'entendre dire : « No place for you in this plane ». Je cours au bureau de la Compagnie et j'essaie de plaider ma cause. J'ai mon billet en main avec heure et date de départ, le tout parfaitement en règle ; au reste, la Compagnie n'a-t-elle pas pris la responsabilité de mon départ puisqu'elle m'a fait amener en taxi ? Je suis visiblement hors de moi, d'autant que j'ai envoyé hier soir un télégramme à des amis à Mexico qui doivent venir m'attendre à l'arrivée de l'avion à l'aéroport. L e chef de bord de l'avion arrive sur ces entrefaites pour prendre les papiers de l'appareil. I l a écouté la discussion et dans un français impeccable, i l me dit d'un ton autoritaire : « Suivez-moi ». Je ne saisis pas très bien, toutefois j'obéis. Je le suis maintenant avec son co-pilote et les deux ste- wardesses. I l m'a cédé le pas devant l'escalier où sont toujours rassemblés les passagers. I l fait un signe à l'employée qui i l y a un instant m'avait refusé l'accès de l'avion. Je monte le premier dans l'appareil. L e capitaine Antonio Gomez Castresana prend sa place de chef à bord, le co-pilote occupe son siège habituel, une valise est mise debout derrière eux et je suis prié de m'y ins- taller. Je ferai le voyage avec l'équipage. Je n'ai encore reçu aucune explication. Comme je me trouve très bien placé, je ne proteste pas. Les 54 passagers sont en place ; effectivement l'avion est plein, i l n'y a aucun siège libre.

Le D C 4 dévore la piste. Nous voici à 9000 pieds ; nous nous faufilons à travers des montagnes qui montent par escaliers les unes au-dessus des autres et cela jusqu'à 4, 5 et, tout au loin,

(3)

644 L A R E V U E

6.000 mètres même. L'aimable pilote, tenant toujours son volant en main, me raconte alors qu'il ne pouvait pas laisser un Français abandonné sur un terrain, surtout lorsque ce Français était avia- teur, car, me dit-il : « J'ai appris à piloter en France, à l'école Hanriot, à Bourges en 1935. J'ai travaillé en France, j'ai des parents à Toulouse ». L a glace est rompue. Je me confonds en remercie- ments. Je ferai, grâce à lui, un voyage court mais merveilleux, dans tous les cas extrêmement curieux. De ce balcon mouvant, je puis voir des mines d'or au flanc d'une montagne. A u sommet d'une colline, sur son échine en pente, on distingue un point blanc, c'est un Piper-Cub qui est sur le terrain d'atterrissage. Quel ter- rain ! On charge le petit avion, d'or, à bloc. Il le transporte dans la plaine, au pied de la montagne. Là se trouve une autre piste que l'on voit beaucoup mieux celle-là. U n D C 3 transportera la précieuse cargaison à Mexico.

Quelle économie de camions représente ce tout petit avion qui, à lui seul, peut transporter dans une seule journée ce que, péni- blement, on peut amener dans une semaine par la route jusqu'à Mexico ! L ' o n distingue nettement la route en lacets qui monte jusqu'à ces mines d'or. Les camions se suivent, avan- çant au pas de l'homme, points noirs qui se déplacent lentement sur ce petit ruban blanc brillant au soleil. Et toujours des montagnes, des pics. Nous passons dans les vallées, un lac brille à l'horizon, une autre mine d'or, un autre terrain, un autre Piper-Cub. L a route d'Acalpuco à Mexico, la route aux deux mille tournants, serpente à travers ces montagnes. I l faut 8 heures pour aller de la côte du Pacifique à la capitale du Mexique, 50 minutes en avion.

Encore une chaîne de montagnes et derrière elle, c'est la plaine : une plaine à 2.400 mètres d'altitude. Mexico s'étend tout au long de ce plateau. On devine la ville plus qu'on ne la voit. Elle est entourée d'une brume opaque, de fumée plutôt, qui l'enveloppe entièrement. L'après-midi, la ville apparaît toute blanche au soleil, la luminosité est alors parfaite. L'aéroport est très spacieux, dégagé de tous côtés. De nombreuses pistes, très longues. Elles sont néces- saires car la pression atmosphérique est très gênante pour le décol- lage sur ce terrain à une telle altitude. Je prends congé de mon ai- mable cicerone. Grâce à lui, j'ai pu « toucher » tout ce parcours au point que je ne l'oublierai jamais.

Petite déception. Les amis que j'avais prévenus de mon arri- vée ne sont pas à l'aéroport. J'apprends par un coup de téléphone

(4)

qu'ils n'ont pas reçu le télégramme qui a été pourtant expédié hier. J'oublie qu'au Mexique les choses ne se passent pas toujours comme ailleurs. Mais ils ne tardent pas à me cueillir et ma première visite, avant même de pénétrer dans la ville, est pour la Venise mexicaine que je survolais i l y a un instant et que le pilote m'a bien recommandé de parcourir. Xochimilco, que l'on appelle aussi

« les jardins flottants », ne mérite pas tout à fait son nom de Venise mexicaine. Je préférerais l'appeler la Bangkok du Mexique car, à l'inverse de Venise où pas un véhicule motorisé ne trouve sa place, à l'exception des bateaux ou des gondoles, ici, comme à Bangkok, i l y a des rues où voitures à chevaux et automobiles cir- culent et, comme à Bangkok, la petite cité est coupée de canaux qui se croisent et s'entrecroisent. Des jonques fleuries circulent en tous sens. D ' u n petit pont à dos d'âne nous pouvons suivre des yeux des espèces de périssoires longues et effilées, chargées à bloc. L'une d'elles est pilotée par un vieillard bronzé qui emmène sa femme et deux enfants ; l'eau arrive à fleur de l'arête. Comment ne coule-t-elle pas ? U n autre coin abrite une trentaine d'embarca- tions ; c'est le garage. Barques jaune clair à fond plat, très larges, avec deux rangées de chaises se faisant face. Quatre piquets sup- portent un toit indispensable car le soleil est dur et le dimanche,

lorsqu'on passe la journée à bord, i l faut se protéger de ses rayons cuisants et perfides. Les couples d'amoureux glissent alors le long de l'eau et i l y a toujours une guitare et un guitariste improvisé.

On déjeune, on dîne, on soupe. Les canaux sont parfumés de l'odeur des fleurs qui l'emporte heureusement sur celle de la vase ou de l'eau qui croupit. Quand je parle de l'eau, je devrais dire de l'eau verte car elle est recouverte de petites fleurs de mousse. E n fin de semaine, on ne trouve pas une barque à louer. C'est un village flottant qui vit en avançant lentement au fil des eaux tran- quilles. A u loin, de grands peupliers donnent une certaine majesté.

L'austérité de l'église de Xochimilco contraste de façon bizarre avec les canaux qui ceinturent la petite ville ; surtout lorsque le dimanche, jour du Seigneur, le peuple est en liesse. Les murs inac- cessibles de cette énorme bâtisse font-ils croire aux persécutions que subiraient les églises ? Je ne le pense pas. L e Mexique est peuplé de fanatiques de la religion et pourtant dans les rues on ne rencontre pas un seul prêtre m soutane, pas une seule religieuse en habit. C'est que le port leur en est défendu.

E n revenant vers Mexico, nous croisons sur la route des Indiens

(5)

646 L A R E V U E

tenant par une corde leurs mulets lourdement chargés. Ces pauvres bourricots peinent pour avancer sous le soleil de plomb à cette heure de la journée. I l est une heure de l'après-midi. Vêtus de hardes misérables, ces Indiens continuent de vivre comme aux temps préhistoriques, cependant que les voitures américaines les plus luxueuses les frôlent tout au long de la route où ces humbles cara-

vanes se succèdent.

A l'entrée de Mexico, nous nous arrêtons au « Bois de Boulogne » de la ville, Chapultepec. Des arbres plusieurs fois centenaires ornent les belles allées où se promènent cavaliers et piétons ; ils viennent, comme aux « Acacias » à Paris, passer un moment avant déjeuner.

Ces saules pleureurs, dont les branches retombent élégamment sur des pelouses vertes, ont été les témoins du glorieux règne des

« Aztecs ». U n rapide coup d'œil au château de Chapultepec au milieu de son parc immense qui domine la capitale. L e souvenir de l'empereur Maximilien et de sa femme Charlotte de Belgique plane sur cette demeure qu'ils habitèrent. Siège autrefois des empereurs aztèques, ils furent également la demeure des prési- dents de la République qui se succédèrent jusqu'à celui qui gou- verne actuellement l'Etat mexicain.

2 h. 1/2, c'est une heure raisonnable pour déjeuner à Mexico.

O n a adopté ici les coutumes d'Espagne. Je fais connaissance avec le quartier résidentiel de Mexico. De longues avenues, de larges allées montantes et descendantes. Des maisons d'une blancheur immaculée toutes précédées d'un petit jardin fleuri. Chaque propriétaire a évidemment sa voiture. O n aperçoit le garage un peu isolé de la maison du maître ; on est ici assez loin du cœur de la cité. Les intérieurs sont coquets, simples, mais élégants ; de grands coffres en bois sculptés, des sièges en bois recouverts de cuirs aux couleurs vives ; sur le mur blanc, un seul tableau d'un maître mexicain, souvent du peintre le plus répandu, Rivera.

France et Lolita, les enfants de ma gracieuse hôtesse, arrivent du collège à deux heures. Elles ont travaillé de huit heures du matin à une heure et demie. Elles feront ensuite leurs devoirs à la mai- son. Je fais connaissance avec le caractère très spécial de la domes- ticité. Elle a, en effet, une particularité : elle est extrêmement sus- ceptible et ne supporte aucune observation. L e cuisinier, le valet de chambre descend de sa montagne, de sa hutte, pour venir gagner un peu d'argent à la ville. A la première observation, i l retourne à ses rêveries dans son village et mange l'argent qu'il a gagné!

(6)

Quand i l n'en a plus, i l redescend à la ville. Souvent, on apprend que le domestique est un assassin ; mais le crime n'a pas toujours le même sens, la même portée au Mexique qu'ailleurs. S'il y a un mariage au village ou à la ville, trois jours de fêtes et d'amusements sont nécessaires. « Ce mariage a été quelconque, i l n'y a eu aucun mort », disait dernièrement le Mexicain qui apprend le piano aux jeu- nes enfants de mon hôte. Trois policiers boivent dans un café et plai- santent. L ' u n d'eux dit subitement à son collègue qui est en train de fumer : « Viens dans la cour ; d'un coup de revolver je vais éteindre ta cigarette ». Si un morceau de visage est emporté, tant pis ; personne ne dira rien, même si le fumeur est tué ; aussi le mari de la cuisinière de mon hôte a-t-il décidé de quitter la police dont i l fait partie parce qu'un jour ou l'autre cela finit mal et qu'il est difficile de se récuser quand un collègue, vous provoque de la sorte ; on passerait pour un poltron. Tout cela se passe entre Mexicains, entre Indiens ou indigènes. O n ne touche pas à l'étran- ger.

On m'avait dit à bord : « Surtout, n'oubliez pas d'aller voir le

« Desierto des Liones ». L a route qui y mène est vraiment splendide.

De tous côtés, des montagnes à l'horizon ; mais voici une flèche indiquant la direction du désert, on quitte la grand-route bitumée et on va à travers une forêt de pins ; on monte, la route tourne, tourne et je m'attends à tout instant à découvrir un plateau, une surface plane, sans arbre, tout comme à Nairobi ou dans le Mozam- bique où deux piliers traditionnels encadrent la grande porte qui donne accès à la réserve d'animaux sauvages, quand tout à coup mon aimable cicérone me dit : « Je vous présente le désert des lions ». Nous sommes au cœur de la forêt de pins, nous mettons pied à terre, nous laissons la voiture et, par une route ombragée de grands arbres centenaires, nous nous acheminons vers une bâ- tisse en ruines. C'est un ancien monastère, œuvre des Carmélites, datant de 1600. L'endroit est bien gardé et un cerbère nous en interdit l'entrée. L'heure de la fermeture a sonné. Nous insistons, il se laisse fléchir. Une vieille Indienne nous fait les honneurs des souterrains. Elle nous précède, armée d'une bougie, chacun de nous la suit avec également une bougie à la main et nous voilà engagés dans des dédales, dans de véritables catacombes. Si l'on n'avait eu quelque confiance dans le militaire qui nous en a faci- lité l'accès, j'avoue qu'on eût été en droit d'avoir peur ; aussi bien apprènons-nous qu'autrefois ceux qui ne croyaient pas en Dieu

(7)

648 LA R E V U E

étaient jetés dans ces cachots où la lumière ne pénètre jamais.

I l y fait très frais, froid même, et lorsque nous sortons par une autre issue donnant sous un grand porche en ruines nous sommes étouffés par la chaleur. Autour de nous, ces ruines donnent à penser que plusieurs révolutions sont passées par là. Près de ce monastère, une allée ombragée donne accès à la forêt. L'endroit est propice au recueillement, le soleil filtre à peine à travers ces feuillages touffus. On pense aux moines en prière ou méditant à l'ombre de ces grands arbres. On ne perçoit lorsqu'on marche que le craquement des aiguilles de pins dans le grand silence de la forêt. Voilà ce qu'on appelle au Mexique le Désert des lions ! Comme on le voit, i l n'y a pas plus de désert que de lions dans cette forêt où l'on n'entend que le gazouillement des oiseaux.

L e soir, je suis convié à dîner au « léna », nom particulièrement difficile à prononcer par les Mexicains. L'entrée du restaurant est décorée de drapeaux. L e drapeau français domine les autres ; on distingue, brodé en lettres d'or, un « léna » aux lettres bien sépa- rées. U n des murs de la salle est orné d'un tableau représentant la bataille d'Ièna. Pourquoi ce léna à Mexico ? Personne n'a pu m'éclairer. Je pense tout simplement que le propriétaire a voulu donner une raison à la décoration empire de sa salle.

Après le dîner, on me fait voir la ville la nuit et nous entrons dans un night-club populaire du quartier de « Tenya ». Dès l'en- trée on s'aperçoit que c'est un genre de café comme on en voit rue de Lappe à Paris. L a salle de danse est divisée en petites cases ouvertes, on danse des « mambos » endiablés dans les allées. L ' o r - chestre se tient au milieu, i l y a un ténor doué d'une voix de ton- nerre qui domine celle des « marachis ». Et la nuit durant on boit du « tequila », sorte de vodka qui vous emporte la bouche.

Quand on arrive à l'improviste à Mexico, on est sûr de ne pas trouver de place dans les grands hôtels de la ville. Par le plus grand des hasards, j'hérite, au D e l Prado, d'une chambre laissée par une Parisienne au moment même où, ô combien téméraire! j'osai me présenter à la réception de l'hôtel. I l est un fait, c'est que dans tous les pays du monde, lorsque les hôtels sont complets, l'employé de la réception trouve bien hardi le client qui vient lui demander un abri. C'est un hôtel à l'américaine où l'on rencontre au rez-de- chaussée absolument tout ce dont peut avoir besoin la clientèle.

Par ailleurs, une vraie caserne. Mexico est d'allure très américaine.

Grands « buildings », larges avenues, circulation intense. U n nombre

(8)

incalculable d'automobiles roulent sans arrêt jour et nuit. Les gens sont pressés, affairés, tout comme à New-York. L'hôtel par exemple est bruyant, le bruit de la rue arrive jusque dans le chambres. Dans la grande* avenue de la Réforme, au n° i , i l y a un building de douze étages. C'est la plus belle bâtisse de Mexico.

A u rez-de-chaussée se trouvent les bureaux du tourisme et A i r France.

L a police est bien moins sévère par exemple qu'aux Etats-Unis.

I l n'est pas rare de voir les piétons se faufiler à travers les voitures en marche, ce qui à New-York est puni presque à l'égal d'un crime.

Les nuits sont heureusement fraîches ; n'oublions pas que nous sommes à plus de 2.000 mètres. A partir de 5 heures de l'après- midi, lorsque le soleil se cache, les lainages s'imposent.

16 février. — Après un déjeuner pris très rapidement au Long- champ, genre de drugstore — on ne déjeune jamais avant deux heures et on peut difficilement se faire servir avant cette heure tardive — je vais aux fameuses pyramides de Toetihuacan. L a route est mono- tone : 60 kilomètres. On parcourt une longue plaine sans intérêt et on se trouve au pied des hautes montagnes où les Indiens ont élevé ces pyramides. Elles sont moins curieuses que celles d'Egypte mais le touriste à l'avantagé de les voir avec plus de recul quand i l arrive de Mexico. Lorsque l'on débouche de la grande route au Caire on tombe littéralement sur les pyramides, sans pers- pective aucune, et on a, à mon avis, une légère déception. Celles-ci ne manquent pas de majesté. L a pyramide du Soleil, dédiée à cet astre par les Aztèques, a 76 mètres de haut. A l'origine, elle était incrustée d'or. L e soleil pouvait ainsi s'y refléter dès qu'il dépassait l'horizon. Nous en faisons le tour, un escalier monumental aux marches imposantes permet d'accéder à son sommet. I l fait réelle- ment trop chaud aujourd'hui pour s'imposer cette fatigue. A un kilomètre environ, une autre pyramide, dédiée celle-là à la Lune, est plus basse avec ses 46 mètres. Elle a 156 mètres de long et 130 de large. Tout à côté, le Temple de Quetsalcoatl — le Dieu du Vent — est riche en sculptures ; les principales figurent des serpents entourés de toutes sortes de coquillages. Les peuples indiens adoraient ici leurs dieux. Ils avaient voulu élever le plus haut possible ces colossales bâtisses faites de pierres plutôt petites, à l'opposé de celles d'Egypte construites avec des matériaux de grandes

(9)

650 L A R E V U E

dimensions. De même qu'en Egypte, l'architecte n'était-il pas ici au service de la religion et des rois ?

Pour nous protéger d'un soleil réellement chaud, nous allons dans une caverne toute proche où est aménagé un restaurant appelé à juste titre la « Gruta ». C'est une véritable grotte dont la m â - choire s'ouvre sur un des côtés. L e soleil ne pénètre jamais dans cet antre. Une table en fer à cheval est occupée par une douzaine d'officiers mexicains avec leurs femmes. Nous arrivons au moment d'un toast porté par le président de cette assemblée. Nous ne tar- dons pas à découvrir que c'est un déjeuner de mariage et que le président, un général d'artillerie, est le marié. Sa toute jeune femme se lève pour dire à son tour quelques mots, les bans retentissent.

Nous laissons là tous ces convives au moment ou le curé, puis le maire y vont de leurs petits speechs en levant leur verre à la gloire de l'artillerie.

Sur le chemin du retour, un arrêt au Musée de Acolman. C'est un ancien couvent dans lequel on pénètre par une porte sculptée d'une rare beauté. A gauche de l'entrée, un Christ qui est tout de souffrance, de douleur, d'où le sang semble jaillir. I l rappelle à ce peuple qui a eu autrefois ses idoles que le seul Dieu méritant un culte est celui qui a souffert, dont on voit les plaies, les plaies saignantes, la peau arrachée, les genoux couronnés. Ce Christ-là parle aux foules. Aussi les Indiens viennent-ils nombreux le vénérer.

Notre-Dame de la Guadeloupe où nous nous arrêtons avant de rentrer à Mexico est dans un quartier populeux aux portes de la ville. Une haie de marchands ambulants d'objets de piété l'an- noncent. A l'intérieur nous marchons en zigzaguant entre des pénitents qui avancent péniblement à genoux, le regard fixé vers le chœur, les mains en croix. L'église déborde de fleurs et une grande caméra est même faite de fleurs. Cet après-midi, en effet, c'était la fête du cinéma ; toutes les stars de Mexico sont venues se faire bénir. Dans un sanctuaire, une Vierge, à l'image de Notre Dame de Lourdes, la Vierge des Miracles. L e mur est couvert d'ex-votos, de béquilles, de bras en miniature, attestant les guéri- sons. Soutenus par des parents, je vois plusieurs impotents venir toucher la Vierge, déposer un cierge, prier avec ferveur. L e silence est impressionnant.

Il y a beaucoup de Français à Mexico, aussi y a-t-il de bons restaurants. L e plus récent est le Larue. Des amis me font la sur-

(10)

prise de m'y faire manger des grenouilles préparées à la proven- çale. A la façon de Monseigneur à Paris, des violonistes viennent de table en table jouer des airs à la mode. O n est très loin de Mexico et des plats mexicains dans cette ambiance. Je finis la soirée en haut du gratte-ciel de l'avenue de la Réforme où son propriétaire, Pedro Fernando Coreuera, a rassemblé des Mexicains et des Fran- çais. J'y fais des rencontres inattendues : le prince Poniatowski qui vit depuis dix-huit ans à Mexico, Rubirosa, l'ex-mari de D a - nielle Darrieux. J'ai une conversation passionnante avec un des plus grands toreros de l'époque. Retiré maintenant, i l est champion de golf et vient disputer des championnats du monde à Deauville et à Cannes. Je lui demande s'il avait le « trac » lorsqu'il entrait dans l'arène. « J'étais alors un autre homme, à tel point que si un ami très cher venait me toucher la main, j'étais incapable non seule- ment de dire son nom mais même de le reconnaître. Croyez-moi, j'avais très, très peur. » I l y a de très grosses fortunes au Mexique.

Le père de Fernando Coreuera savait en faire profiter ses amis.

Il donnait des fêtes sensationrlelles ici ou dans sa villa d'Acapulco.

Il était très connu à Paris où on pouvait le voir chez Maxim,s vêtu toujours de son smoking rouge.

17 février. — Cuernavaca-Taxco est l'excursion traditionnelle que doit faire le touriste de passage au Mexique. Je ne manque pas à la règle. Je choisis le dimanche malgré l'ennui, ce jour-là, de l'encom- brement des routes. C'est d'ailleurs heureux, car j'ai ainsi plus de temps pour admirer le panorama qui en vaut la peine et d'abord la vue sur Mexico, que l'on peut contempler longuement à mesure que l'on monte en direction de Cuernavaca. Devant nous, les deux grands volcans du Popocatepelt et de l'Ixtaccihualt se dressent à l'horizon dans la brume à peine dissipée du matin. Leurs sommets neigeux tranchent nettement sur le fond rosé de l'horizon. L e Popo- catepelt, de 1.000 mètres plus haut que le Mont Blanc, avec ses 5.810 mètres, et l'Ixtaccihualt qui signifie la femme endormie — i l ressemble en effet à une femme couchée — avec 5.774 mètres de haut seront nos points de mire durant tout notre voyage. Nous les aurons tantôt devant nous, tantôt à notre droite. Nous traver- sons des coins sauvages, des pierres et toujours des pierres." De petits bois viennent heureusement rompre la monotonie du par- cours et les innombrables cactus qui, tels des piquets, servent à limiter des champs et ressemblent de loin à de longues stalagmites

(11)

652 L A R E V U E

qui auraient poussé du sol. Des champs de maïs et de cannes à sucre réchauffent un peu l'œil tandis que la route tourne, tourne toujours. C'est bien la route aux deux mille tournants qui, de Mexico à Acapulco, demande à un chauffeur expérimenté un mini- mum de huit heures.

Nous arrivons à la capitale de l'Etat de Morelos, à Cuernavaca.

L a ville s'est ressentie fortement des révolutions de 1910 et de 1916. I l ne faisait pas bon être habillé à l'européenne à cette époque.

Des bandes armées massacraient sans pitié sur leur passage tous ceux qui étaient vêtus d'une veste et d'un pantalon et coiffés d'un chapeau. Les écoles furent brûlées, les maîtres massacrés. Sur la place, le palais de Fernand Cortés, le conquérant espagnol qui s'em- para du Mexique en 1521, est transformé en mairie. Une galerie au premier étage est ornée de fresques révolutionnaires dues au pinceau de Diego Rivera. L a vue, de cette galerie, est magni- fique.

C'est la cité de « l'éternel printemps » si apprécié par les cita- dins dont l'ambition est d'avoir ici une résidence. O n me cite le cas d'un ambassadeur belge qui préférait faire tous les jours les 75 kilomètres qui séparaient son ambassade de Cuernavaca et habiter ici plutôt q u ' à Mexico, dont l'altitude est fatigante.

U n arrêt à Vista Hermosa. C'est l'hôtel le plus curieux que l'on puisse imaginer. Quelle en est l'origine ? Joseph L e Borde, per- sonnage devenu légendaire, était un Français arrivé au Mexique au début du x v me siècle. I l amassa une grosse fortune grâce aux mines d'or et d'argent de Taxco. Sa passion était l'horticulture. I l s'installa confortablement, dessina des jardins superbes, les agrémenta de terrasses fleuries, de cascades, de jets d'eau et planta toutes sortes d'arbres tropicaux. A sa mort, cette habitation passa en des mains étrangères. Aujourd'hui la belle demeure est la propriété d'un Italien qui en a fait un hôtel. L a grande surprise est de trouver là une piscine à l'eau claire alimentée par des chutes et coupée en deux par un vieil aqueduc ; i l donne à cet endroit si moderne un air d'antiquité qui frappe lors- qu'on voit les naïades aux maillots colorés plonger du haut des arches de cette vieille construction ; le spectable est assez inat- tendu.

Nous quittons avec regret cette séduisante oasis pour nous élancer sur une route où le soleil chauffe durement à cette heure. I l nous reste 65 km. à franchir pour arriver à Taxco ; route sinueuse,

(12)

encombrée. Les quelques villages que nous apercevons sont tristes, les habitants pauvrement vêtus. L e Mexicain n'est pas travailleur.

La révolution a bien entraîné le partage des terres, les maîtres ont été dépouillés, les propriétés divisées, distribuées, mais les nou- veaux propriétaires se contentent de cultiver les champs à proxi- mité de leur hutte. O n se borne à l'indispensable, on ne fait pas d'effort pour augmenter son bien, ni même son bien-être.

Après maints et maints virages, la route cherche sa voie dans le cahot des montagnes. J'aperçois, tapi sur le flanc de celle qui nous fait face, un amas de maisons ; elles grimpent, escaladant cette muraille qui, avec le recul, nous apparaît verticale. C'est Taxco baignant au soleil de midi sur une paroi de la montagne rose : cette vision est unique. I l est de ces panoramas qui vous surprennent, qui vous émeuvent ; la vue de Taxco au détour de la route est une apparition qui vous console de la longueur du chemin et de la chaleur.

Taxco — du mot aztèque « Tlacho », signifie « place où l'on joue à la pelote » — perché sur un rocher, n'a pas l'air réel ; on croirait voir un décor de théâtre. L a voiture a peine à se glisser le long des rues étroites qui cependant s'évasent, oh ! rarement, pour per- mettre le croisement. E n revanche, ici, tout respire la joie de vivre ; on sent la gaieté sur tous les visages. L e ciel est bleu, d'une pureté extraordinaire, le soleil brille d'un éclat inaccoutumé et une brise légère vient à point vous caresser le visage. Toutes les portes ouvertes des maisons permettent à l'automobiliste qui chemine lentement de découvrir des intérieurs propres, coquets même ; les rues elles aussi sont nettes et nous montons, nous montons toujours. Que de magasins ! Devant la porte de chacun d'eux, des bracelets d'argent, des bagues d'argent, des gobelets d'argent ; tout cet argent scintille au soleil, c'est la ville argent, le pays des mines d'argent et des mines d'or. Fondée par les Espagnols, Taxco est différente des autres villes. Ici pas de mendiants, pas de quémandeurs courant après les voitures.

Encore une montée, la plus dure celle-là, et nous voilà au sommet du lieu, au restaurant qui ressemble à une maison particulière dont nous serions les hôtes. C'est « Rancho Telva ». De la terrasse où sont disposées les tables abondamment fleuries, la vue sur Taxco est incomparable. La- lumière est extraordinaire. Déjeuner mexicain à base de riz. Auprès de notre table, des Américains en vacances, suivis d'un guide qui, selon la tradition, partage le repas avec

(13)

654 LA R E V U E

eux. L a température est ici meilleure qu'à Mexico. Nous sommes à 1.781 m. I l faut s'arracher aux délices de cet endroit idéal où l'on vient, paraît-il, passer la Noël.

Allons visiter l'église de Santa Prisca construite par Joseph L e Borde. Elle est sur là place bien encombrée de Taxco. Des enfants à peine habillés jouent à la petite guerre devant le porche.

L'esprit de la révolution est-il en sommeil et se réveillerait-il chez les jeunes ? Mais ici tout le monde a l'air si heureux qu'un réveil de ce genre paraît improbable. L'eau coule à flots et c'est encore un bienfait de Joseph L e Borde qui avait introduit l'eau potable.

Des fontaines datant de deux siècles coulent en abondance. J'ad- mire de près le travail minutieux, la ciselure artistique de tous ces bibelots en argent dont les magasins regorgent. Couverts en argent, tasses, candélabres, tout brille d'un v i f éclat.

18 février. — L e représentant de l'Agence France-Presse m'a donné rendez-vous à YUniversal, le grand journal de Mexico, pour y rencontrer un rédacteur d'origine française, M . Regagnon, qui appartient à ce journal depuis quarante ans. I l s'est habitué au pays tout en regrettant la France. I l est un des pionniers de l'aviation mexicaine. I l a volé en 1910 et i l me parle des meetings organisés par Védrine, Garros et Pégoud. L'aviation française a été à l'honneur au Mexique, aux temps préhistoriques de 1' « aéro- plane ». L'attaché culturel est lui-même un fanatique de l'aviation ; i l a son avion personnel, et Dieu sait s'il y a peu de terrains d'aviation dans ce Mexique montagneux !

Je déjeune chez le directeur de la Banque « Atlantico », M . Raoul Charles. Cette banque est une filiale de la B . N . C. I. I l me confie à un cicérone qui me fait visiter rapidement la cathédrale. Elle bénéficia de la générosité de Joseph L e Borde comme en avait bénéficié celle de Taxco. Sur la même place, la cathédrale voisine avec le « Palacio National ». De vastes pièces décorées de peintures rappellent les grandes batailles du Mexique. L e Musée est atte- nant ; j ' y admire les vestiges des arts mayas et aztèques, mais ces pierres ne rappellent-elles pas aussi le sacrifice de tous les inno- cents immolés sur elles ? On ne peut pas quitter Mexico sans visi- ter les grands bazars et me voilà assis sur une estrade dominant une grande pièce où sont accumulés des centaines de mètres de drap.

On m'a signalé la présence à Mexico d'un homonyme, Jean Cas- tex. Je suis assez curieux pour l u i rendre visite ; même accent et

(14)

de plus, c'est une gageure, nous nous ressemblons. I l est né à Léran, près de Salies du Salât. Sa femme est de Mane, dans le Saint-Gironnais. Nous avons un lien de parenté par une cousine commune. Cette rencontre est pour le moins inattendue ; elle nous amuse beaucoup tous les deux. Je me suis attardé et j'ai juste le temps, — i l est 5 h. 1/2 — d'accomplir les formalités pour mon départ du lendemain : billet d'avion, autorisation de sortie du Mexique et d'entrée au Guatemala. L a Pan American Airways me promettant de faire le nécessaire, auprès du service de l'Immi- gration de l'aéroport : ma dernière visite est pour l'Institut de France.

Je suis reçu par François Chevalier qui en est le directeur.

Il me fait visiter toutes les salles de cours. Dans l'une d'elles, un professeur explique l'accord du participe passé. Je lis : Conférence sur l'Afrique française. F i l m sur le Niger. Théâtre : La Répétition en VAmour puni, de Jean Anouilh. Littérature : Racine, Victor Hugo. Cours de français : initiation, élémentaire, moyen, supérieur, perfectionnement. Toute la gamme. « O n suit assidûment tous ces ccurs, le nombre des élèves va croissant ». L a culture française à travers le monde est chose dominante, i l n'est que de voyager pour s'en rendre compte. Les pouvoirs publics se doivent plus que jamais d'encourager, de protéger, de donner même une i m - pulsion nouvelle aux services si importants des relations intellec- tuelles à l'étranger.

Je rentre à l'hôtel harassé de fatigue. L a journée a été longue et fatigante en visites de toutes sortes et elle n'est pas finie. Je pense jouir d'un court repos lorsqu'un attaché de l'ambassade, qui s'es: gentiment dérangé, me prévient qu'il y a une difficulté à l'Iirmigration, c'est-à-dire à ma sortie du Mexique. Je n'ai pas fait viser mon passeport à l'entrée, je ne peux pas sortir sans ce visa.

Nous allons ensemble au ministère des Affaires étrangères et, au bout d'une heure et demie, j'ai une lettre qui me permettra de sortir, mon cas y étant expliqué tout au long. Aussi, suis-je très en retard à la Galerie Amor où a lieu le vernissage d'un peintre belge, et je me retrouve enfin à 9 heures au « Normandie », un autre restaurant français créé récemment. J'y passe la soirée avec les directeurs d'Air France ainsi qu'avec un pilote qui eut son heure de célébrité, M . Lacombe. O n boira à l'ouverture de la future ligne Paris-Mexico. Nous sommes là les hôtes de Jean Sirol, notre attaché cultarel. Je finis la soirée dans un night-club, Le Capri, où le meilleur orchestre de Mexico se fait entendre tous les soirs avec

(15)

656 LA R E V U E

le concours aujourd'hui d'un pianiste virtuose: Auguste Lara. On lui demande de jouer les airs des chansons qu'il a composées : Muyer, Maria Bonita. I l les a dédiées à celle qui fut sa femme : Maria Félix... C'est ma dernière soirée à Mexico.

iç février. — U n taxi me mène au Central Airport de Mexico.

- A 10 heures, je me trouve au milieu d'une troupe de théâtre qui gravit l'escabeau de l'avion. Sur les marches, à côté de moi, l'artiste Vora Veryan est en pleurs. Elle quitte ses parents pour plusieurs mois. A 10 h. 10, le D C 4 des Pan American Airways, chargé de quarante passagers, décolle et nous voici, un quart d'heure après., à gauche du fameux volcan « L a Femme couchée » auréolé d'une couronne de neige. Puis un autre pic de 5.500 mètres, le Popso, plus loin à gauche le Pico et puis l'Orizaba, de plus de 6.000 mètres, dont les sommets neigeux tranchent sur le ciel bleu. L a vedette cb la tournée est assise auprès de moi, Sophia Alvarez. « Vedete de l'écran, du théâtre et de la chanson », me dit, non sans fierté, le seul acteur de la tournée qui parle français, Lalito Montemayor, le comique de la troupe. Ces 21 artistes, douze hommes et neuf femmes, vont faire le tour de l'Amérique Centrale et de l'Amérique du Sud ; ils joueront durant quelques mois une comédie en trois actes : La famille Barret de Rodolphe Bessière. « Nous n'avons qu'un désir, me disent-ils tous, c'est de connaître Paris, ses grands artistes, tes théâtres ». I l y a là Miguel Garcia, Maria Antoinetta Verjean ; toutes les femmes sont jolies, brunes évidemment. Déjeuner très américain avec le verre d'eau glacée de rigueur et, après un survol ininterrompu de montagnes, de crêtes, de pics, nous nous posons sur la seule piste de Aurora Field, l'aéroport de Guatemala City.

Le voyage a duré trois heures un quart.

A u pied de l'escalier, l'aimable ministre de France, Jacques Coiffard, me fait l'agréable surprise de m'attendre, accompagné de son attaché culturel. Douane, police, toutes les formalités me sont ainsi simplifiées. Par une longue avenue bien tracée, bordée de blanches villas au milieu de leurs jardins, je gagne l'habitation du ministre qui est située dans le quartier résidentiel de Guatemala City. Je regarde non sans plaisir le grand lit qui me permettra de goûter enfin un bon repos ; mais i l est déjà deux heures et je n'ai pas trop de tout cet après-midi pour aller visiter la fameuse Antigua Guatemala. « Voyez mon correspondant de l'Agence France-Presse », m'avait dit M . Cats à Mexico. Je l'ai tout de suite au bout eu fil

(16)

et, dans la Pontiac du ministre, M . Mulet-Decamps m'accompagne jusqu'à la ville antique. Nous sommes encadrés de volcans éteints et, au bout d'une demi-heure, quittant une grande artère, nous pre- nons une route poussiéreuse à flanc de coteau. Elle nous amène au-dessus d'Antigua Guatemala qui m'apparaît au fond d'une plaine vaste, au pied du volcan Agua. Ce volcan a une histoire. E n 1541, à la suite de pluies torrentielles qui tombèrent durant plu- sieurs jours, le cratère se remplit d'eau, une éruption se produisit et toute cette eau se répandit dans la plaine où était bâtie la capitale, Ciutad Vieja. I l ne resta rien de la ville ; les Espagnols construi- sirent alors Antigua, la nouvelle capitale. A son tour celle-ci fut détruite en 1773 par un tremblement de terre et de nouveau fut reconstruite. L a petite cité s'étale en longueur ; les rues se coupent et s'entrecoupent à angle droit. Les maisons basses ne respirent pas l'opulence, mais elles ont néanmoins un extérieur soigné.

On tressaute dans la voiture car les pavés sont loin d'être uniformes.

Je visite coup sur coup un monastère ancien et une église plus récente. Dans le premier édifice on voit l'emplacement où le patient subissait le supplice de la goutte d'eau quand i l se refusait à croire.

Les Espagnols étaient intraitables et imposaient par tous les moyens la religion catholique. U n renfoncement dans le mur pour la place d'un corps debout et au-dessus une canalisation d'où l'eau devait tomber goutte à goutte sur le crâne du supplicié ; plusieurs esca- vations se succèdent le long du mur.

Sur la piste asphaltée, des contrastes nous attendent lorsquq nous rentrons. Nous croisons des chars à bœufs rentrant des champs au crépuscule. U n pauvre Indien marche à côté d'un mulet chargé de maïs, de quelques bananes. Une femme en haillons porte sur sa tête un panier gigantesque rempli d'énormes feuilles sèches.

Ces Indiens vêtus de guenilles, avec leurs outils de travail à la main, que j'ai vus tout à l'heure venir se plier en deux devant une grotte miraculeuse, m'ont ému et si l'on ajoute que la cité que nous venons de quitter a été deux fois détruite et deux fois reconstruite, on se rend compte ici plus qu'ailleurs de la volonté des hommes qui les pousse à vivre sur le sol même qui les a vus naître.

(A suivre).

L O U I S C A S T E X .

Références

Documents relatifs

travaille depuis a l'analyse de ce qui se passe dans une classe coopérat ive radicalemen t transformée par les techni·. ques Fre ine t, et l'ins titutionnalisa tion

Ces logiciels peuvent parfois scénariser les enchaînements de séquences (audio et vidéo) et créer des didacticiels ("Director"), des films interactifs ou de

o écrire, en respectant les critères d’évaluation, un texte court expliquant l’expression « Voir loin, c’est voir dans le passé », texte qui sera à rendre sur feuille pour

Exit, voice and loyalty a ainsi pour objectif d’étudier les conditions de développement, conjoint ou non, des deux modes d’action, leur efficacité respective dans

La virgule permet de séparer la partie entière de la partie décimale dans un même nombre.. Elle indique le rang

Ce soir, on a manger dans un petit restaurant sympa dans le Quartier Latin et demain nous allons visiter le Louvre.. Ah, le Louvre, le plus grand musée du monde avec la Joconde,

Elle est donc composée de deux bases (chacune étant formée d’un rectangle et de deux demi-cercles) et d’un grand rectangle qui doit s’enrouler autour de

Montrer que E n’est pas de type fini comme K[X ]-module (on pourra montrer que, si c’´ etait le cas, il existerait des polynˆ omes P 1 ,.. Montrer que L|K