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Splendeur et misère de l'unité de la matière

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Splendeur et misère de l'unité de la matière

TANQUEREL, Thierry

TANQUEREL, Thierry. Splendeur et misère de l'unité de la matière. Revue de droit suisse , 2020, vol. 139, Halbbd. I, no. 2, p. 115-139

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:136104

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Thierry Tanquerel

*

A. Introduction

Le principe de l’unité de la matière occupe une place centrale aussi bien dans le droit positif régissant les instruments de démocratie directe helvétiques que dans les débats qui accompagnent ces instruments lorsqu’ils sont en action. On ne s’étonnera donc pas qu’il ait beaucoup occupé la doctrine juridique1et qu’il ait, de façon récurrente, donné lieu à de vives controverses, comme lors du scru- tin de mai 2019 sur la loi fédérale relative à la réforme fiscale et au financement de l’AVS (RFFA)2, acceptée par le peuple le 19 mai 20193: l’un des comités

* Professeur honoraire à lUniversité de Genève, Le présent article est fondé sur la leçon dadieu donnée par lauteur à lUniversité de Genève le 10 septembre 2019.

1 Voir, dans la doctrine très récente, PASCALMAHON, Les droits politiques, in: Diggelmann/Hertig Randall/Schindler (éd.), Droit constitutionnel suisse, vol. II, Zurich/Bâle/Genève, 2020, p. 1499 ss, no52 ss; ANDREASKLEY, Die Einheit der Materie bei Bundesgesetzen und der Stein der Weisen, ZBl 2019, p. 3 ss;LE MÊME, Kompromiss«Trickserei» oder Voraussetzung der Demokratie?, AJP 2018, p. 1379 ss; RETOFELLER, Art. 139 Abs. 3 und 194 Abs. 2, in: Weerts et al.(éd.), Révision imaginaire de la Constitution fédéraleMélanges en hommage au Prof.

Luzius Mader, Bâle, 2018, p. 248 ss; GORANSEFEROVIC, Volksinitiative zwischen Recht und PolitikDie Staatsrecthliche Praxis in der Schweiz, den USA und Deutschland, Berne, 2018, no227 ss. Voir aussi PATRIZIAATTINGER, Les initiatives populaires cantonales et lunité de la matière: risques et responsabilité, in: Marchner/Zumsteg (éd.), Risiko und Verantwortlichkeit, Zurich/St-Gall, 2016, p. 3 ss; PATRIZIAEGLI, Die Einheit der Materie bei kantonalen Gesetzvor- lagen, ZBl 2006, p. 397 ss; CRISPINF. M. HUGENSCHMIDT, Einheit der Materieüberholtes Kriterium zum Schutze des Stimmrechts?, Bâle/Genève/Munich, 2001; ROBERTHURST, Der Grundsatz der Einheit der Materie, Zurich, 2002 (avec un exposé de la doctrine plus ancienne, en particulier GIACOMETTI, p. 16 ss); MANFREDBEATKUHN, Das Prinzip der Einheit der Mate- rie bei Volksinitiativen auf Partialrevision der Bundesverfassung, Winterthour, 1956; PASCAL

MAHON/ELOIJEANNERAT, La notion de «révision totale matérielle», Un remède inutile à lexi- gence dunité de la matière?, AJP 2013, p. 1390 ss; DANIELMOECKLI, Die Teilgültigerklärung und Aufspaltung von Volksinitiativen, ZBl 2014, p. 579 ss; GEORGMÜLLER, Mantelgesetze und Einheit der Materie, LeGes 2013, p. 507 ss; PAULRICHLI, Wie weiter mit der Einheit der Materie?10 Thesen im Nachgang zur Ungültigerklärung der Halbierungsinitiative, in: Zen- Ruffinen/Auer (éd.), De la ConstitutionEtudes en lhonneur de Jean-François Aubert, Bâle/

Francfort-sur-le-Main, 1996, p. 267 ss. Le sujet a évidemment été aussi largement abordé dans les ouvrages traitant des droits populaires, dans les ouvrages généraux de droit constitutionnel, ainsi que dans les commentaires des art. 139 al. 3 et 194 al. 2 Cst., de même que de lart. 121 al. 3 de la Constitution fédérale du 29 mai 1874 (aCst.), lesquels seront cités plus loin en tant que besoin.

2 FF 2018 6077 ss.

3 FF 2019 4771 ss.

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référendaires affirmait dans la brochure explicative diffusée auprès de tous les électeurs que l’association de «deux objets qui n’ont pas de lien entre eux est une insulte à la démocratie et ne permet pas d’exprimer sa volonté de manière fidèle et sûre»4.

Selon la définition classique qu’en donne le Tribunal fédéral, le principe de l’unité de la matière, dans son essence, «interdit de mêler, dans un même objet soumis au peuple, plusieurs propositions de nature ou de but différents, qui for- ceraient ainsi le citoyen à une approbation ou à une opposition globales, alors qu’il pourrait n’être d’accord qu’avec une partie des propositions qui lui sont soumises»5. A première lecture, une telle règle semble relever de l’évidence dans un pays qui chérit autant l’expression directe de la volonté populaire. On tentera toutefois de montrer, dans les lignes qui suivent, que, tant sur la justifi- cation et la portée du principe qu’en ce qui concerne la manière dont il est mis enœuvre, les choses ne sont pas si simples.

On verra que la force du principe–sa splendeur–vient d’abord de la légi- timité incontestable de l’objectif qui lui est assigné, à savoir garantir l’intégrité de la volonté populaire exprimée par les voies de la démocratie directe. Elle découle aussi de sa consécration quasi unanime par la Constitution, la juris- prudence et la doctrine, consécration que confirme un coup d’œil au droit comparé.

Mais, derrière le vernis d’impeccable principe démocratique, se cachent des éléments beaucoup plus discutables, et parfois vivement discutés. Le principe même présente des failles sur lesquelles il convient de s’interroger. Mais, plus encore, ce qu’il prétend combattre, le si facilement dénigré «paquet ficelé», ne mérite en général pas l’infamante étiquette antidémocratique dont il est réguliè- rement affublé. Ce qui amène à se demander si, comble de la misère, le principe ne risque pas d’être privé de sa raison d’être.

Cette approche critique du principe de l’unité de la matière conduira à pro- poser non pas d’y renoncer purement et simplement, mais de redéfinir sa place parmi les instruments visant à garantir l’intégrité de l’expression démocratique.

4 Brochure relative à la votation populaire du 19 juin 2019, p. 17 (www.admin.ch/rffa-fr). Voir aussi les réactions relatives à ce projet compilées par KLEY(note 1, 2018), p. 1379, etLE MÊME

(note 1, 2019), note 106.

5 ATF 137 I 200, 203, c. 2.2 (avec références).

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B. Splendeur

I. Un objectif inattaquable

1. La liberté de vote

Lorsqu’il fait appel au principe de l’unité de la matière, le Tribunal fédéral fait un lien clair et explicite avec l’article 34 alinéa 2 Cst.: «[l]’exigence d’unité de la matière découle de la liberté de vote et, en particulier, du droit à la libre for- mation de l’opinion des citoyens et à l’expression fidèle et sûre de leur volonté (art. 34 al. 2 Cst.).»6

La doctrine dominante est sur la même ligne, celle qui traite de la liberté de vote y inclut le principe de l’unité de la matière7et celle qui analyse le principe le rapporte à la liberté de vote8. La protection de la liberté de choix de l’électeur est largement mise en évidence. Ainsi, pour Grisel, «inviter des individus à donner une seule réponse à des problèmes distincts serait leur imposer une contrainte inadmissible»9.

Faire découler le principe de l’unité de la matière de la garantie de la liberté de vote a une double conséquence. La première, juridique, est que le principe, fondé sur la Constitution fédérale, vaut pour toutes les collectivités, même lors- qu’il n’est pas mentionné explicitement par la constitution ou la législation to- pique10. La deuxième, idéologique, est la forte légitimation du principe: com- ment oserait-on contester une règle dont l’objectif est d’assurer la liberté des titulaires des droits politiques lorsqu’ils exercent ces droits? KLEYrelève que, dès lors que l’unité de la matière a été rattachée à la liberté de vote, quiconque critiquait ce principe était politiquement marginalisé, pour oser contredire une

6 ATF 137 I 200, 203, c. 2.2, et déjà, sous langle du droit de vote garanti implicitement par laCst., ATF 90 I 69, 73 s., c. 2b.

7 Voir, par exemple, JACQUESDUBEY, Droits fondamentaux, Vol. II, Libertés, garanties de lEtat de droit, droits sociaux et politiques, Bâle, 2018, no5161 ss et 5217 ss, spéc. no5218; GEROLD

STEINMANN, Art. 34, in: Ehrenzelleret al.(éd.), Die schweizerische Bundesverfassung, St. Gal- ler Kommentar, 3eéd., Zurich/St-Gall, 2014, no13, 15, 17 et 23; GIOVANNIBIAGGINI, BV Kom- mentar, 2eéd., Zurich, 2017,adArt. 34, no22; PIERRETSCHANNEN, Art. 34, in: Waldmann/

Belser/Epiney (éd.), Basler Kommentar zur Bundesverfassung, Bâle, 2015, no41 ss.

8 Voir, par exemple, ATTINGER(note 1), p. 3 s.; EGLI(note 1), p. 397; MÜLLER(note 1), p. 509;

SEFEROVIC (note 1), no227; HUGENSCHMIDT (note 1), p. 59 et 234; ASTRIDEPINEY, STEFAN

DIEZIG, Art. 139, in: Waldmann/Belser/Epiney (éd.), Basler Kommentar zur Bundesverfassung, Bâle, 2015, no25; BERNHARDEHRENZELLER, GABRIELGERTSCH, Art. 139, in: Ehrenzelleret al.

(éd.), Die schweizerische Bundesverfassung, St. Galler Kommentar, 3eéd., Zurich/St-Gall, 2014, no40; RENÉRHINOW, MARKUSSCHEFER, PETERUEBERSAX, Schweizerisches Verfassungsrecht, 3eéd., Bâle, 2016, no2071; ANDREASAUER, GIORGIOMALINVERNI, MICHELHOTTELIER, Droit constitutionnel, Vol. I, LEtat, 3eéd., Berne, 2013, no857; YVOHANGARTNER, ANDREASKLEY, Die demokratischen Rechte in Bund und Kantonnen der Schweizerischen Eidgenossenschaft, Zurich, 2000, no2480 s.; RICHLI(note 1), p. 275. Voir cependant lapproche critique de HURST

(note 1), p. 4 ss.

9 ETIENNEGRISEL, Initiative et référendum populaires, 3eéd., Berne, 2004, no635.

10 ATF 129 I 366, 369 s., c. 2.1.

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liberté démocratique11. Cela étant, si le but de la règle est en quelque sorte im- munisé contre la critique, il reste possible de se demander si cette règle, telle qu’elle est conçue et telle qu’elle est appliquée, atteint véritablement ce but.

2. La démocratie directe

Comme le principe de l’unité de la matière est déduit de la garantie de la liberté de vote, son champ d’application est celui de l’exercice de cette liberté, donc celui des instruments de démocratie directe, les élections devant à l’évidence être traitées différemment, puisqu’elles ne consistent pas à demander aux titu- laires des droits politiques de répondre par oui ou par non à une question qui leur est posée. On relèvera cependant que la conception selon laquelle le corps électoral doit pouvoir se prononcer le plus finement possible, sans se voir impo- ser de bouquets prédéfinis, qui est au cœur de l’exigence d’unité de la matière, irrigue également le droit électoral helvétique: la prédominance du système pro- portionnel, avec possibilité de latoisage et de panachage, et donc le rejet clair des listes bloquées, en est une illustration frappante12.

Lorsque le principe de l’unité de la matière a été consacré par la Constitution ou la loi, qu’il a fait l’objet de décisions judiciaires ou qu’il a été traité en doc- trine, c’est donc toujours à propos d’objets soumis au référendum ou proposés par des initiatives populaires13. Le principe a ainsi été considéré comme «indis- pensable au bon fonctionnement des droits populaires».14Selon la doctrine do- minante, puisque les électeurs ne peuvent répondre à la question posée lors d’une votation populaire que par oui ou par non, la libre et fidèle expression de leur volonté politique ne peut être garantie que si le scrutin peut être réduit à une seule question politique15. Sinon, les électeurs se trouveraient dans une situation de contrainte (Zwangslage)16, voire dans un état de surcharge lié à l’excès de complexité de la question qui leur est posée17.

A vrai dire, la possibilité que des choix soient en quelque sorte faussés, voire abusivement contraints, par la réunion de plusieurs objets dans une seule ques- tion à laquelle il convient de répondre par oui ou par non n’est pas une spécia- lité de la démocratie directe. Comme Aubert l’a justement remarqué, chacun se voit, dans sa vie, confronté à de tels choix, qui ne satisfont pas les critères déga- gés par la jurisprudence et la doctrine pour le respect du principe d’unité de la

11 KLEY(note 1, 2019), p. 14.

12 Voir aussi HANGARTNER/KLEY(note 8), no2484, sur lapplicabilité par analogie du principe de lunité de la matière lors délections.

13 InfraB, II.

14 GRISEL(note 9), no637.

15 PIERRETSCHANNEN, Staatsrecht der Schweizerischen Eidgenossenschaft, 4eéd., Berne, 2016,

§ 52, no41.

16 ATF 129 I 366, 370, c. 2.2.

17 HUGENSCHMIDT(note 1), p. 210 s., 234 et 248.

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matière18. On soulignera en particulier que les parlementaires sont régulière- ment confrontés, lors des votations finales sur un projet législatif, au dilemme de devoir accepter un texte qui contient des éléments qu’ils contestent ou de re- fuser ce texte en renonçant à celles de ses dispositions qui leur sont chères.

C’est d’ailleurs une tactique parlementaire classique pour un groupe opposé à un texte de voter des amendements qui le rendent plus extrême, afin de favori- ser sa chute lors du vote final.

La différence de traitement entre le vote parlementaire et le scrutin populaire est souvent justifiée par le fait que les parlementaires ont eu l’occasion de dis- cuter du texte en cause, de proposer le cas échéant des amendements à celui-ci et de voter séparément sur chaque article, contrairement aux électeurs lors d’un scrutin populaire. Cette règle de base de la procédure parlementaire concrétise- rait le principe de l’unité de la matière, celui-ci n’étant dès lors plus nécessaire lors du vote final19. Ce raisonnement ne tient pas compte du fait que, si chaque parlementaire a pu s’exprimer sur chaque élément d’un projet législatif, il n’est nullement certain que son point de vue ait systématiquement prévalu. En termes de logique de tout ou rien, avec sa composante de «contrainte», sa situation lors du vote final est exactement la même que celle de l’électeur qui doit se pronon- cer sur le texte soumis au scrutin populaire.

Il faut donc trouver ailleurs la justification du lien entre unité de la matière et scrutin populaire. Une première piste serait de considérer que la capacité déci- sionnelle du parlementaire est supérieure à celle de l’électeur, en raison de son immersion dans le sujet et de sa participation aux débats parlementaires. Il aurait donc moins besoin d’être protégé contre le risque de prendre des déci- sions ne correspondant pas à sa réelle volonté politique. On voit d’emblée que cette approche relève d’une vision assez paternaliste de la démocratie directe, dont les acteurs doivent, pour leur bien, souffrir certaines contraintes.

Une seconde approche s’inscrit au contraire dans la vénération dont jouit la démocratie directe en Suisse. On rappellera que les droits politiques ne dé- signent pas seulement un droit individuel des électeurs et électrices, mais aussi une fonction étatique: les citoyens actifs forment un organe politique20. Dans cette perspective, l’article 34 Cst. a une portée non seulement individuelle mais aussi institutionnelle21. Il se justifie alors, selon cette approche, que l’intégrité des scrutins populaires soit soumise à des exigences plus élevées que celle des votes parlementaires.

C’est sous l’empire explicite ou plus souvent implicite de la seconde ap- proche que le principe de l’unité de la matière voit sa légitimité renforcée par

18 JEAN-FRANÇOISAUBERT, Art. 139, in: Aubert/Mahon, Petit commentaire de la Constitution fé- dérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999, Zurich/Bâle/Genève, 2003, no13.

19 KLEY(note 1, 2018), p. 1381, etLE MÊME(note 1, 2019), p. 20.

20 DUBEY(note 7), no4847.

21 Idem, no4869 s.

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son lien exclusif avec la démocratie directe: il est difficile de contester une règle dont le but est d’assurer l’intégrité d’un des piliers de la démocratie helvétique, à savoir le scrutin populaire. Là encore, entre la légitimité incontestable du but proclamé et l’aptitude de la règle à atteindre ce but, il peut y avoir un hiatus qui mérite discussion.

II. Une consécration quasi unanime

1. La Constitution

Si la doctrine majoritaire et la jurisprudence font découler le principe de l’unité de la matière de la liberté de vote, c’est par voie d’interprétation, l’article 34 Cst. ne le mentionnant nullement. Le principe est en revanche expressément consacré à l’article 139 alinéa 3 Cst. en ce qui concerne les conditions de vali- dité d’une initiative populaire constitutionnelle et à l’article 194 alinéa 2 en ce qui concerne les révisions partielles de la Constitution en général, donc aussi bien celles qui émanent d’initiatives populaires que celles qui émanent du Par- lement22. La règle relative à l’initiative constitutionnelle date de l’introduction même de ladite initiative au niveau fédéral en 189123. Elle était déjà bien pré- sente dans le débat institutionnel. Elle figurait ainsi dans le projet de Constitu- tion fédérale de 1872, qui prévoyait une initiative législative «dans une matière déterminée»24. La question avait d’ailleurs déjà été évoquée auparavant, en re- lation avec celle de la distinction entre révision totale et révision partielle de la Constitution25. Quant à la règle relative aux révisions partielles de la Constitu- tion, elle n’est explicite que depuis la Constitution de 1999, mais il était déjà admis auparavant, sous l’empire de l’article 121 aCst., que le principe de l’unité de la matière s’appliquait aux projets constitutionnels des autorités26.

Toutes les constitutions cantonales connaissent aujourd’hui des dispositions relatives au principe de l’unité de la matière, parfois, comme au Tessin ou à So- leure27, depuis très longtemps. Ces dispositions concernent le plus souvent l’initiative populaire, mais, dans certains cas, elles visent aussi d’une manière générale, avec des formulations diverses, les révisions partielles de la constitu- tion cantonale28.

22 BIAGGINI(note 7),adArt. 194, no3.

23 KUHN(note 1), p. 31 ss et 63 ss.

24 Idem, p. 22.

25 Idem, p, 13 ss et 60 ss; KLEY(note 1, 2019), p. 5.

26 LUZIUSWILDHABER, Art. 121/122, in: Aubertet al.(éd.), Commentaire de la Constitution fédé- rale de la Confédération suisse du 29 mai 1874, Bâle, 19871996, no26.

27 KUHN(note 1), p. 67 s.

28 Voir, par exemple, art. 174 al. 2 Cst./VD, art. 100 al. 2 Cst./NE. Voir aussi EGLI(note 1), p. 399, note 8.

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Le principe de l’unité de la matière est donc évoqué aussi bien par la Consti- tution fédérale que par les constitutions cantonales, mais pas dans toute sa por- tée, qui s’étend à l’ensemble des votations populaires et découle de l’interpré- tation de l’article 34 Cst.

2. La jurisprudence

Comme on l’a déjà relevé, la jurisprudence a depuis longtemps rattaché le prin- cipe de l’unité de la matière à la liberté de vote, ce qui le rend applicable même sans base constitutionnelle ou légale particulière, à tous les scrutins populaires, qu’ils portent sur des initiatives populaires ou sur des projets des autorités et qu’ils concernent des normes ou qu’il s’agisse de référendums financiers29.

Mais la jurisprudence a aussi défini le contenu de l’exigence d’unité de la matière, qui n’est exprimée que de manière générale dans les dispositions constitutionnelles pertinentes, lorsqu’elles existent. L’interdiction de principe de mêler, dans un seul scrutin, des propositions «de nature ou de but diffé- rents», induit une obligation positive: «[i]l doit ainsi exister, entre les diverses parties d’un objet soumis au peuple, un rapport intrinsèque ainsi qu’une unité de but, c’est-à-dire un rapport de connexité qui fasse apparaître comme objecti- vement justifiée la réunion de plusieurs propositions en une seule question sou- mise au vote»30.

Cette règle jurisprudentielle a été reprise en substance, sous une formulation simplifiée, à l’article 75 alinéa 2 de la loi fédérale sur les droits politiques du 17 décembre 197631, qui prévoit que «[l]’unité de la matière est respectée lors- qu’il existe un rapport intrinsèque entre les différentes parties d’une initiative».

On remarquera que le glissement d’une simple interdiction à une obligation positive renforce la portée du principe, en réduisant la marge de manœuvre des auteurs de propositions soumises à scrutin populaire32.

Cela étant, l’application de l’exigence de rapport intrinsèque entre les di- verses parties d’un objet soumis à scrutin populaire est susceptible de nuances.

Le Tribunal fédéral souligne que «[l]’unité de la matière est une notion relative qui doit être appréciée en fonction des circonstances concrètes»33. La jurispru- dence a notamment adopté une approche graduée en fonction du contexte et du type de scrutin populaire.

Le Tribunal fédéral a ainsi indiqué que les exigences du principe de l’unité de la matière sont plus élevées pour des révisions partielles de la Constitution que pour des révisions totales34. On reviendra plus loin sur les implications de

29 SupraB, I, 1, spéc. note 6. Voir aussi ATF 129 I 366, 370, c. 2.2.

30 ATF 137 I 200, 203, c. 2.2 (avec références).

31 LDP, RS 161.1.

32 Cf. KLEY(note 1, 2019), p. 10.

33 ATF 137 I 200, 203, c. 2.2; 129 I 381, 385, c. 2.3.

34 ATF 130 I 185, 195, c. 3.1; 129 I 366, 370, c. 2.2; 129 I 381, 385, c. 2.2.

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cette affirmation, en particulier quant à l’applicabilité du principe de l’unité de la matière aux révisions totales de la Constitution35.

Les exigences sont aussi plus élevées pour une initiative formulée que pour une initiative sous forme de vœu, le Tribunal fédéral justifiant cette différence par le fait que cette dernière contient une proposition générale qu’il appartiendra encore au législateur de concrétiser36, ce qui lui permettrait d’utiliser sa marge de manœuvre dans cet exercice pour corriger le vice37. A cet égard, si l’on conçoit que le législateur puisse exercer un pouvoir correcteur en cas de violation mi- neure du droit supérieur, notamment en appliquant le principe de l’interprétation conforme au droit supérieur pour concrétiser les demandes d’une initiative sous forme de vœu, on voit moins comment il pourrait, dans la concrétisation d’une telle initiative, corriger une violation du principe de l’unité de la matière. La seule solution serait de ne tout simplement pas concrétiser une partie de l’initia- tive qui n’aurait pas de rapport intrinsèque avec le reste de celle-ci. Mais cela re- viendrait alors à une annulation partielle, qui devrait intervenir dans la procédure de vérification de la validité de l’initiative et dont on ne voit pas pourquoi elle devrait être conduite différemment que pour une initiative rédigée.

Enfin, le Tribunal fédéral a régulièrement considéré que le principe de l’unité de la matière pouvait se voir reconnaître un poids plus grand pour les initiatives que pour les projets des autorités, car il fallait, d’une part, admettre, pour des raisons pratiques, que le législateur puisse réunir dans une seule révi- sion législative plusieurs projets de modification arrivés à maturité et, d’autre part, éviter que la récolte des signatures pour une initiative soit indûment facili- tée38. Il a été soutenu que le Tribunal fédéral aurait renoncé à cette distinction39. Il ne l’a en tout cas pas fait expressément40. Dans l’un des arrêts auxquels se réfère la doctrine précitée41, le Tribunal fédéral indique certes que, fondamenta- lement, peu importe qu’il s’agisse d’une initiative ou d’un projet des autorités, mais il réitère presque aussitôt la distinction que l’on vient d’exposer. Il a per- sisté à citer cet arrêt42et, dans un arrêt non publié de 2013, il a encore expressé- ment repris la distinction43. Il convient donc d’admettre que cette différence de traitement est toujours d’actualité pour le Tribunal fédéral. La question de son bien-fondé sera examinée plus loin44.

35 InfraC, I, 1.

36 ATF 130 I 185, 195, c. 3.1; 129 I 381, 385, c. 2.2.

37 ATF 123 I 63, 72, c. 4b.

38 ATF 129 I 366, 370 s., c. 2.2 (avec références); 123 I 63, 72, c. 4b.

39 BIAGGINI(note 7),adArt. 34, no22, et TSCHANNEN(note 7), no43, tous deux se référant à lATF 130 I 185, 195 s., c. 3 s., qui névoque pas la question. Voir aussi KLEY(note 1, 2018), p. 1381, note 18, etLE MÊME(note 1, 2019), p. 21, note 112, se référant à lATF 129 I 366, 370 s., c. 2.2.

40 TSCHANNEN(note 15), § 52, no48.

41 ATF 129 I 366, 370 s., c. 2.2.

42 Ainsi dans lATF 137 I 200, 203, c. 2.2 et lATF 1C_501/2014 du 23 juin 2015, c. 5.2.

43 ATF 1C_305/2012 du 26 février 2013, c. 2.1.

44 InfraC, II, 2.

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La pratique jurisprudentielle du Tribunal fédéral est complétée par celle de l’Assemblée fédérale tant pour ses propres projets que dans le cadre de sa tâche de contrôle de la validité des initiatives populaires (art. 139 al. 3 Cst.).

En ce qui concerne ses propres projets, en particulier de révision partielle de la Constitution., l’Assemblée fédérale ne s’est certainement pas imposé des contraintes trop fortes45. Si elle a estimé que, dans certains cas, comme la ré- forme de la justice fédérale et la réforme de la péréquation financière et de la répartition des tâches entre la Confédération et les cantons, il convenait de re- courir à la procédure de révision totale, vu la portée des projets en cause, quali- fiés de «révisions totales matérielles»46, elle n’a pas non plus hésité à considérer comme une révision partielle admissible des projets qui modifiaient de très nombreux articles de la Constitution, comme par exemple la réforme de la for- mation47. Sur le plan législatif, pour lequel l’applicabilité du principe de l’unité de la matière ne s’est imposé que progressivement48, on rappellera le cas de la RFFA49, qui a fait couler beaucoup d’encre et sur lequel on reviendra50. Le Conseil fédéral et les Chambres ont souvent cherché à contourner la difficulté par la formule de «l’acte modificateur unique» (Mantelgesetz ou Mantel- erlass)51. Cette manière de faire a été critiquée par la doctrine favorable à une application stricte du principe de l’unité de la matière52.

La pratique de l’Assemblée fédérale relative aux initiatives populaires a sou- vent été qualifiée de généreuse par la doctrine, qui relève notamment que seules deux initiatives populaires ont été invalidées pour violation du principe de l’unité de la matière53, l’initiative dite «contre la vie chère et l’inflation» en 197754et l’initiative «pour moins de dépenses militaires et davantage de poli- tique de paix» en 1995. En outre, une initiative avait été scindée pour la même raison en 192155. A vrai dire, dans le cas d’annulation intervenu en 1995, on ne peut parler de générosité. L’initiative en cause prévoyait une réduction des dé- penses militaires de 10% et une réaffectation des sommes ainsi économisées à la politique de paix et à la sécurité sociale. Bien entendu, il n’est pas impossible que certains électeurs aient pu approuver les économies et non leur affectation ou approuver une hausse des dépenses dans les deux domaines visés sans sou-

45 BIAGGINI(note 7),adArt. 34, no22 etadArt. 194, no5.

46 MAHON/JEANNERAT(note 1), p. 1393 ss.

47 Id. p. 1394.

48 KLEY(note 1, 2019) p. 11 ss.

49 SupraA.

50 InfraC, II, 1.

51 KLEY(note 1, 2019), p. 16 ss. Voir, p.ex. FF 2015 1, 233 ch. 6.3.

52 MÜLLER(note 1), p. 510 ss, et la doctrine citée par KLEY(note 1, 2019), p. 18, note 99.

53 AUBERT(note 18), no13 s.; WILDHABER(note 26), no96; FELLER (note 1), p. 250; SEFEROVIC

(note 1), no227; EPINEY/DIEZIG(note 8), no30; RHINOW/SCHEFER/UEBERSAX(note 8), no2075;

AUER/MALINVERNI/HOTTELIER(note 8), no782; HURST(note 1), p. 100 (avec références).

54 FF 1977 III 947.

55 FF 1921 I 175.

(11)

haiter de réduction des dépenses militaires. Mais il est beaucoup trop sévère d’affirmer que prévoir une économie et en même temps la réaffectation des sommes en cause, ou, prenant le problème dans l’autre sens, prévoir de nou- velles dépenses en indiquant où trouver le financement par des économies consiste à réunir deux objets qui n’ont pas de lien intrinsèque56. S’il avait été généralisé, ce qui n’a pas été le cas, le critère appliqué en 1995 aurait incontes- tablement conduit à de très nombreuses invalidations d’initiatives.

3. La doctrine

Ayant largement suivi l’impulsion donnée par Giacometti déjà dans la première moitié du XXesiècle57, la doctrine très majoritaire est favorable au principe de l’unité de la matière, qu’elle fait découler de la liberté de vote58et auquel elle accorde une place centrale. L’unité de la matière est ainsi considérée comme

«une des conditions principales de la validité des initiatives populaires canto- nales»59 et plus généralement, on l’a déjà relevé, comme «indispensable» au bon fonctionnement de la démocratie directe60.

La doctrine dominante est parfois plus exigeante que le Tribunal fédéral et l’Assemblée fédérale. Certains auteurs, qui critiquent la distinction que fait le Tribunal fédéral entre les initiatives populaires et les projets des autorités, de- mandent que les seconds soient traités aussi sévèrement que les premiers61. Par ailleurs, la conformité au principe de l’unité de la matière a été contestée ou du moins mise en doute à propos de diverses initiatives que l’Assemblée fédérale a jugées valables: par exemple l’initiative «Halte à la surpopulation– Oui à la préservation des ressources naturelles» (Ecopop)62, l’initiative «Le droit suisse au lieu de juges étrangers (initiative pour l’autodétermination)»63et l’initiative

«Pour le couple et la famille–Non à la pénalisation du mariage»64. En 2015, la

56 Voir les critiques de AUBERT(note 18), no14; EPINEY/DIEZIG(note 8), no31; BIAGGINI(note 7), adArt. 139, no12; HANGARTNER/KLEY(note 8), no2507 ss; HUGENSCHMIDT(note 1), p. 76 s.

57 KLEY(note 1, 2019), p. 10, 15 ss et 26; HURST(note 1), p. 16 ss.

58 Voir les auteurs citéssupranotes 7 et 8.

59 ATTINGER(note 1), p. 3.

60 GRISEL, citésupranote 14.

61 EGLI(note 1), p. 402; SEFEROVIC(note 1), no228; ASTRIDEPINEY, STEFANDIEZIG, Art. 194, in:

Waldmann/Belser/Epiney (éd.), Basler Kommentar zur Bundesverfassung, Bâle, 2015, no7.

Plaidant, à linverse, pour une générosité égale, BIAGGINI (note 7), ad Art. 194, no5;

TSCHANNEN (note 15), § 52, no48; ULRICH HÄFELIN, WALTER HALLER, HELEN KELLER, DANIELATHURNHERR, Schweizerisches Bundestaatsrecht, 9eéd., Zurich/Bâle/Genève, 2016, no1389 et 1791.

62 FF 2014 4943; STÉPHANEGRODECKI, La démocratie directe en Suisse au XXIesiècleune évo- lution nécessaire, RDS 132 II 95 ss, p. 118; EHRENZELLER/GERTSCH(note 8), no42; RHINOW/ SCHEFER/UEBERSAX(note 8), no2075.

63 FF 2018 3615; HÄFELIN/HALLER/KELLER/THURNHERR (note 61), no1790; HELENKELLER, YANNICKWEBER, Folgen für den Grundrechtsschutz und verfassungsrechtliche Gültigkeit der

«Selbstbestimmungsinitiative», AJP 2016, p. 1007 ss, p. 1016 ss.

64 FF 2015 4403; DUBEY(note 7), no5162.

(12)

commission des institutions politiques du Conseil des Etats a consulté une dou- zaine d’experts, pour la plupart professeurs de droit public, au sujet des condi- tions de validité des initiatives populaires et a relevé dans son rapport qu’une forte majorité de ceux-ci se prononçaient pour une application plus stricte du principe de l’unité de la matière65.

La doctrine a aussi tenté de préciser, en s’inspirant de la pratique, dans quelles situations le principe de l’unité de la matière pouvait être considéré comme respecté, en particulier pour les initiatives populaires. Pour Wildhaber, tel est le cas, alternativement, quand l’initiative se limite à un seul sujet, quand elle se limite à un seul objectif en proposant un mode de financement pour le concrétiser, quand le sujet est assorti d’une disposition transitoire, quand un thème abstrait et général est assorti d’une norme interdisant une grande installa- tion déterminée, publique ou privée, quand l’objectif est lié aux moyens affé- rents ou aux mesures concrètes en résultant nécessairement, quand plusieurs éléments sont liés par un thème unique (p.ex. objectif principal et objectifs se- condaires)66. Plus synthétiquement et, du coup, plus généreusement, Tschannen voit le principe respecté s’il existe entre les éléments d’un projet une relation but-moyen, ou que ces éléments poursuivent le même but ou encore s’ils concernent une thématique unique67. Quelle que soit la marge d’interprétation qu’offrent les formulations proposées, il reste qu’en voulant préciser la portée négative de l’unité de la matière (Koppelungsverbot68) et en définissant positi- vement la palette des situations dans lesquelles l’exigence d’unité de la matière est remplie, la doctrine tend à solidifier le carcan posé par le principe.

Il existe toutefois quelques voix discordantes. Ainsi, pour Hurst, il est erroné de rattacher le principe de l’unité de la matière à la liberté de vote. Ce principe est surtout le critère de distinction entre révision totale et révision partielle de la Constitution, ainsi qu’un moyen de diminuer le risque de votations populaires contradictoires69. Pour Mahon et Weerts, le principe de l’unité de la matière de- vrait faire l’objet d’un réexamen, dans le sens d’une plus grande différencia- tion70. Enfin, plus tranchés, Feller ainsi que Kley plaident pour un abandon pur et simple de ce principe, dont, souligne le premier, les inconvénients surpassent les avantages71. L’existence de cette tendance doctrinale, certes minoritaire, mais pour l’essentiel très récente, justifie que l’on ne parle que d’une consécra- tion «quasi» unanime du principe de l’unité de la matière.

65 FF 2015 6485, 6501.

66 WILDHABER(note 26), no105 ss.

67 TSCHANNEN(note 15), § 52, no45.

68 Idem, § 52, no44.

69 HURST(note 1), p. 22, 50 s. et 84.

70 MAHON(note 1), no52 ss; PASCALMAHON/SOPHIEWEERTS, La procédure dadoption et de révi- sion de la Constitution fédérale, in: Diggelmann/Hertig Randall/Schindler (éd.), Droit constitu- tionnel suisse, Vol. III, Zurich/Bâle/Genève, 2020, p. 1883 ss, no65.

71 FELLER(note 1), p. 251 ss; KLEY(note 1, 2019), p. 26 s.

(13)

4. Le droit comparé

La Suisse n’est pas le seul pays doté d’institutions significatives de démocratie directe dans lequel le principe de l’unité de la matière se pose. Le débat existe notamment aux Etats-Unis, où l’initiative populaire est connue dans 24 Etats72 (mais pas sur le plan fédéral) et en Allemagne, où des instruments de démo- cratie directe sont certes clairement exclus sur le plan fédéral, mais présents, dans une mesure et selon des modalités variables dans tous les Länder, tant au niveau du Land qu’au niveau communal73.

Aux Etats-Unis, la règle du sujet unique(single subject rule)existe, sous une forme ou sous une autre, dans 43 des 50 Etats74. Elle s’est d’abord appliquée aux parlements, avant même le développement des instruments de démocratie directe75. Elle a ensuite été étendue aux initiatives populaires. Ainsi, par exemple, l’article II § 8 (d) de la Constitution de Californie prévoit-il qu’une initiative comprenant plus d’un sujet ne peut être soumise au vote des électeurs et ne peut avoir un quelconque effet76.

Quand elle n’avait pas simplement pour but de brider la capacité législative d’un parlement77, lasingle subject rules’est vu en général attribuer un triple ob- jectif: premièrement, éviter au niveau parlementaire la manœuvre consistant pour une faction à voter en faveur d’un objet cher à une autre faction sous condition de réciprocité concomitante(logrolling)78; deuxièmement, éviter les

«cavaliers»(riders), à savoir les dispositions ajoutées, souvent subrepticement, à un acte voté par le Parlement et n’ayant aucun rapport avec cet acte, disposi- tions qui n’auraient guère eu de chance d’être adoptées seules79; enfin réduire la complexité des questions posées aux électeurs80.

72 SEFEROVIC(note 1), no43;LE MÊME, Single subject ruleDie Einheit der Materie in den Glied- staaten der USA, ZBl 2019, p. 28 ss, p. 32. Voir aussi, ANDREASAUER, Le référendum et lini- tiative populaire aux Etats-Unis, Bâle, 1989, no63.

73 Pour un panorama général, voir PETERNEUMANN, Regelungsbestand der Sachunmittelbaren Demokratie in Deustchland 2009, in: Neumann/Renger (éd.), Sachunmittelbare Demokratie im interdisziplinären und internationalen Kontext 2008/2009, Baden-Baden, 2010; JOHANNESRUX, Direkte Demokratie in Deutschland, Baden-Baden, 2008, p. 259 ss et 405 ss; STÉPHANE

SCHOTT, Linitiative populaire dans les Etats fédérés allemands, Paris, 2012, p. 37 ss. Pour un exposé comparatif systématique avec la Suisse, voir BEATNIKLAUSKUONI, Rechtliche Pro- blemfelder direkter Demokratie in Deutschland und in der Schweiz, Zurich, 2015, no77 ss.

74 SEFEROVIC(note 72), p. 29.

75 Idem, p. 28 s.

76 «An initiative measure embracing more than one subject may not be submitted to the electors or have any effect» (http://www.leginfo.ca.gov/const-toc.html).

77 Voir la remarque de KLEY(note 1, 2018), p. 1383, note 29, sur la motivation de la reine Anne dAngleterre pour imposer cette règle à lEtat du New Jersey.

78 SEFEROVIC(note 72), p. 29; HUGENSCHMIDT(note 1), p. 185; NICOLAS VONARX, Ähnlich, aber AndersDie Volksinitiative in Kalifornien und in der Schweiz, Genève/Bâle/Munich, 2002, p. 240 s.

79 SEFEROVIC(note 72), p. 29 s.; HUGENSCHMIDT(note 1), p. 186 s.;VONARX(note 78), p. 241.

80 HUGENSCHMIDT(note 1), p. 185.

(14)

Les tribunaux appliquent la règle avec beaucoup de disparité. A la sévérité extrême de la Cour suprême de Floride répond la pratique beaucoup plus libé- rale des juridictions suprêmes en Arizona ou en Californie81. La pratique judi- ciaire en la matière peut être fortement influencée par les convictions politiques des juges82.

En Allemagne, on parle d’interdiction de couplage (Koppelungsverbot)83, mais la question n’occupe nullement une place centrale dans la discussion rela- tive aux instruments de démocratie directe. La doctrine n’en parle guère84. Quant à la jurisprudence, on n’en trouve qu’en Bavière et à Hambourg85. La cour constitutionnelle de Bavière s’est d’ailleurs référée plusieurs fois au sys- tème suisse, parlant expressément d’unité de la matière86, mais pas toujours à bon escient et avec exactitude87. Dans un arrêt de 2016 de la Cour constitution- nelle de Hambourg, le vocabulaire utilisé était aussi très proche de celui préva- lant en Suisse, la cour se montrant au demeurant très stricte dans l’application duKoppelungsverbot88.

La place réduite accordée à la problématique de l’unité de la matière en Allemagne tient sans doute au fait que les instruments de démocratie directe y sont, d’une manière générale, soumis à plus de contraintes qu’en Suisse, notam- ment quant aux sujets qui peuvent faire l’objet d’une initiative populaire89.

Cette brève incursion en droit comparé montre que la problématique de l’unité de la matière n’est nullement une spécialité suisse. Elle se retrouve dans d’autres pays qui connaissent, certes uniquement au niveau infranational, des instruments de démocratie directe, avec parfois des échos explicites des débats helvétiques. L’importance de ce principe et la manière dont il est appliqué peuvent cependant varier au sein même de ces pays. Aux Etats-Unis, mais guère en Allemagne, la question a, comme en Suisse, suscité de vives discus- sions doctrinales90.

81 SEFEROVIC(note 72), p. 31 ss;LE MÊME(note 1), no274 ss.

82 SEFEROVIC(note 72), p. 32.

83 SEFEROVIC(note 1), no298 ss; RUX(note 73), p. 303 ss; KUONI(note 73), no287 ss.

84 Dans sa somme de près de 1000 pages sur la démocratie directe en Allemagne, RUX(note 73) ny consacre que deux pages.

85 SEFEROVIC(note 1), 298 ss; RUX(note 73) p. 303 ss; KUONI(note 73), no289 ss.

86 Ainsi dans larrêt du 24 février 2000, Vf. 112-IX-99, c. IV, 3, b.

87 SEFEROVIC(note 1), no298, note 2431.

88 Arrêt du 13 octobre 2016, HverfG 2/16, c. II, 1.

89 Sur ces limites cf. SCHOTT(note 73), p. 115 ss.

90 Cf. les exemples fournis pour la Californie par HUGENSCHMIDT(note 1), p. 194 ss, etVONARX

(note 78) p. 246 ss.

(15)

C. Misère

I. Le ver était-il dans le fruit? Les failles dans le principe

1. La question des révisions totales de la Constitution

Si l’on prend à la lettre l’affirmation du Tribunal fédéral selon laquelle les exi- gences du principe de l’unité de la matière sont plus élevées pour des révisions partielles de la Constitution que pour des révisions totales91, on pourrait en dé- duire logiquement que le principe vaut, fût-ce sous une forme atténuée, pour les révisions totales92. Une telle conclusion conduirait à un résultat absurde. Une révision totale de la Constitution concerne inévitablement une variété de sujets dont le seul lien est que le constituant a jugé opportun de les faire figurer dans le texte constitutionnel. Poser une exigence, même limitée, d’unité de la matière à la révision totale de la Constitution, c’est en fait exclure le principe même d’une telle révision93. La doctrine presque unanime considère donc à juste titre que l’exigence de l’unité de la matière n’est pas applicable aux révisions totales de la Constitution94.

La doctrine voit souvent dans le principe de l’unité de la matière le critère de distinction entre révisions partielles et révisions totales de la Constitution:

les projets de modification qui ne respectent pas ce principe doivent être trai- tés comme des propositions de révision totale95. Il a aussi été soutenu qu’une initiative qui modifie fondamentalement les institutions devait, pour cette raison déjà, être considérée comme visant une révision totale «matérielle» de la Constitution96. On laissera ici de côté cette dernière approche, qui ne porte pas sur le principe de l’unité de la matière. Il reste que la relation de celui-ci avec la distinction entre révision partielle et révision totale de la Constitution mérite une analyse critique.

Il faut souligner d’abord que cette problématique n’existe qu’en ce qui concerne les révisions constitutionnelles. Il n’y a pas en Suisse de procédure différenciée pour une révision partielle ou une révision totale d’une loi, y com- pris lorsque la procédure législative est enclenchée par une initiative populaire.

91 Supranote 34.

92 Envisageant cette hypothèse, MAHON/JEANNERAT(note 1), p. 1393.

93 THIERRYTANQUEREL, La procédure de révision des constitutions cantonales et communales, in:

Diggelmann/Hertig Randall/Schindler (éd.), Droit constitutionnel suisse, Vol. III, Zurich/Bâle/

Genève, 2020, p. 1913 ss, no37.

94 Parmi beaucoup dautres, TSCHANNEN(note 15), § 44, no2; MAHON(note 1), no53, note 143;

RHINOW/SCHEFER/UEBERSAX(note 8), no2071; HANGARTNER/KLEY(note 8), no2517.

95 RHINOW/SCHEFER/UEBERSAX(note 8), no448 et 2076; HURST(note 1), p. 50 s. Sur cette ques- tion, sous langle de la distinction entre révision partielle et révision totale, voir aussi TANQUE- REL(note 93), no33 ss, spéc. no42.

96 Voir par exemple, KELLER/WEBER(note 63), p. 1020 s.; pour une discussion critique de cette ap- proche, voir MAHON/JEANNERAT(note 1).

(16)

Pour les révisions constitutionnelles, la conséquence d’une violation de l’unité de la matière est fondamentalement différente suivant que la révision émane des autorités ou qu’elle émane d’une initiative populaire.

Pour les initiatives constitutionnelles rédigées de toutes pièces ayant abouti, la sanction de la violation du principe de l’unité de la matière sera, sur le plan fédéral comme dans la plupart des cantons, la nullité, éventuellement par- tielle97, de l’initiative, sous réserve des cas où le droit cantonal prévoit la scis- sion98. En effet, sauf dans les cantons de Genève, Thurgovie et Zoug, l’initiative visant à la révision totale de la Constitution n’est admise que sous forme de vœu99. Il ne sera donc pas possible de sauver une initiative rédigée de toutes pièces et ne respectant pas le principe de l’unité de la matière en la considérant comme une initiative visant à la révision totale de la Constitution. A cela s’ajoute que, lorsque le droit cantonal prévoit un seuil de signatures plus élevé pour l’initiative visant à la révision totale100, il se peut que l’initiative en cause ne l’ai pas atteint. Au demeurant, même lorsque le droit cantonal ne prévoit pas de procédure particulière pour la révision totale de la Constitution, personne n’a eu l’idée de prétendre, pour sauver une initiative contestée pour violation du principe de l’unité de la matière, qu’il s’agissait en fait d’une initiative visant la révision totale101.

Pour les projets de révision constitutionnelle émanant des autorités, traiter comme une révision totale ceux d’entre eux qui ne respectent pas le principe de l’unité de la matière n’a de conséquence concrète que lorsque la procédure de révision totale de la Constitution est clairement différente et plus lourde que la procédure de révision partielle. Ce sera le cas lorsque, comme 20 cantons le prévoient102, la procédure de révision totale doit commencer par un vote sur le principe d’une telle révision, accompagné dans certains cantons d’un vote sur la détermination de l’organe qui doit s’en charger103. Une procédure de ce type implique que le contenu de la révision totale reste entièrement ouvert au moment du vote de principe.

Il en va autrement lorsque les différences procédurales sont nulles ou rela- tivement mineures, comme dans quelques cantons et, en pratique, sur le plan fédéral. Dans ce dernier cas, le seul risque pour l’Assemblée fédérale est que subsiste un désaccord entre les deux conseils, entraînant un vote du peuple sur le principe de la révision totale, suivi, en cas de décision positive, d’une disso- lution des Chambres (art. 192 al. 2 et 3 Cst.). Ce risque peut facilement être évité: il suffit que le conseil favorable à un projet ne s’obstine pas si l’autre ne

97 Pour le droit fédéral, art. 139 al. 3 Cst. et 75 al. 1 LDP.

98 InfraC, I, 2, note 110.

99 TANQUEREL(note 93), no83.

100 Dans quatre cantons (NW, NE, BE, VD), cf. TANQUEREL(note 93), no82.

101 Par exemple, pour le canton de Genève, ATF 130 I 185; 129 I 381; 123 I 63.

102 TANQUEREL(note 93), no79.

103 Idem, no80.

(17)

le suit pas. Lorsque la procédure de révision totale de la Constitution ne pré- sente pas d’obstacles significatifs, il est donc facile aux autorités de contourner les exigences de l’unité de la matière pour des révisions «sectorielles» ou «par paquets» en suivant cette procédure. Il leur est permis de choisir cette voie, sous réserve de l’abus de droit, car il n’est guère possible de déterminer abstraite- ment un seuil minimal de modification matérielle de la Constitution qui devrait obligatoirement être atteint pour qu’une révision puisse être qualifiée de to- tale104.

Il faut encore relever que, à une exception près, les particularités procédu- rales relatives à la révision totale de la Constitution, lorsqu’elles existent, ne sont pas en relation avec le principe de l’unité de la matière. Elles sont plutôt liées à l’importance et au caractère extraordinaire de l’entreprise en cause. Le fait de poser une question de principe préalable–par voie d’initiative, par déci- sion du parlement cantonal ou sur décision maintenue d’une seule chambre fé- dérale–ou encore celui d’exclure l’initiative rédigée de toutes pièces ne sont en rien des réponses à un défaut d’unité de la matière. Seule l’élévation du seuil de signatures requis pour une initiative populaire pourrait à la rigueur être interpré- tée comme découlant de l’hypothèse qu’il est plus facile de récolter des signa- tures en vue d’une révision totale, car les motivations des signataires pourraient porter sur des sujets constitutionnels différents.

Ainsi, sous l’angle de la distinction entre révision partielle et révision totale de la Constitution, le principe de l’unité de la matière est triplement probléma- tique. Premièrement, il limite surtout l’initiative populaire, sans que cela ne soit justifié par un lien logique entre la raison d’être du principe et les éléments de procédure qui induisent ce traitement différencié. Deuxièmement, sur le plan fédéral et dans plusieurs cantons, il est particulièrement facile d’éluder l’exi- gence d’unité de la matière en qualifiant une révision de totale et en appliquant la procédure y relative, quand bien même il ne serait pas question de réexami- ner l’ensemble de la Constitution. Troisièmement, si l’on considère que le res- pect de l’unité de la matière est indispensable à la libre expression de la volonté de l’électeur, on doit logiquement admettre que l’on renonce à cet objectif en cas de révision totale105.

2. La tension avec l’effectivité des droits politiques

On a vu comment le lien proclamé entre le principe de l’unité de la matière et la protection de la liberté de vote ainsi que son rôle jugé essentiel pour assurer l’intégrité des processus de démocratie directe tendent à renforcer la légitimité de ce principe106.

104 Idem, no44.

105 HURST(note 1), p. 4 s.

106 SupraB, I.

(18)

Mais, de droit, l’exigence d’unité de la matière contraint plus strictement les projets émanant d’initiatives populaires que ceux des autorités et, de fait, son application n’est ni cohérente ni prévisible, les bouffées de sévérité étant en gé- néral dirigées contre des initiatives. La doctrine a relevé à raison l’utilisation politique du principe de l’unité de la matière107. Il n’est d’ailleurs pas certain qu’elle n’ait pas parfois elle-même succombé à la tentation de porter le coup de grâce à une initiative lui déplaisant pour d’autres raisons, sans doute plus fondamentales, en invoquant le non-respect de l’unité de la matière108.

En observant la pratique, on ne peut s’empêcher de penser que l’exigence d’unité de la matière constitue surtout un moyen pour le Parlement, à qui in- combe, sous réserve de trois cantons109, le soin de contrôler la validité des ini- tiatives populaires, de poser des limites à l’exercice de la démocratie directe.

Dans ce contexte, des remèdes moins graves que l’annulation ont certes été développés, comme l’annulation partielle ou, sur le plan cantonal, la scission des initiatives qui posent un problème d’unité de la matière110. On peut saluer le fait qu’au nom du principe de proportionnalité ces remèdes permettent de

«sauver» certaines initiatives. Il n’en reste pas moins que, au nom de la protec- tion de la liberté de vote, ces remèdes reviennent à faire voter le corps électoral sur une autre question–ou d’autres questions–que celle à l’appui de laquelle des électeurs ont apposé leur signature, étant rappelé que le droit de signer une initiative est aussi protégé par la liberté de vote111.

La relation entre le principe de l’unité de la matière et l’intégrité de la mise enœuvre de la démocratie directe est donc plus ambiguë que l’objectif assigné au principe ne le laisse entendre.

3. Un deuxième regard sur la liberté de vote

Comme le stipule expressément l’article 34 alinéa 2 Cst., la garantie des droits politiques protège deux objets distincts: d’une part la libre formation de l’opi- nion des citoyens et des citoyennes, d’autre part l’expression fidèle et sûre de leur volonté. Le premier élément se rapporte au processus intérieur qui conduit une personne à voter dans un sens ou dans un autre. Le second relève de l’inter- prétation du résultat du scrutin.

107 KLEY(note 1, 2019), p. 9, 12 et 18; FELLER(note 1), p. 253; AUBERT(note 18), no14.

108 Voir la doctrine citéesupranotes 62, 63 et 64.

109 Genève (art. 60 al. 1 Cst./GE), Saint-Gall (art. 36 al. 2 et 59Gesetz über Referendum und Initia- tivedu 27.11.1967), Vaud (art. 80 al. 1 Cst./VD).

110 Voir par exemple, lart. 60 al. 3 Cst./GE. Toujours pour le canton de Genève, voir ATF 130 I 185, 200 ss, c. 4; 129 I 381, 387 ss, c. 4; 123 I 63, 70 ss, c. 4. Sur linvalidité partielle et la scis- sion en général, voir MOECKLI(note 1), qui relève, p. 584 s., quoutre celui de Genève, les can- tons du Valais, de Zurich et dAppenzell Rhodes Intérieures prévoient la possibilité de scission dune initiative.

111 HÄFELIN/HALLER/KELLER/THURNHERR(note 61), no1363. Ne retenant pas cet élément dans lappréciation de la justification dune scission, MOECKLI(note 1), p. 589 ss.

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