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Enfances du langage et langages de l'enfance. Socialisation plurielle et différenciation sociale de la petite enfance scolarisée

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Academic year: 2021

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(1)

THÈSE

Pour l'obtention du grade de

DOCTEUR DE L'UNIVERSITÉ DE POITIERS UFR de sciences humaines et arts

Groupe de Recherche et d’Etudes Sociologique du Centre Ouest (Poitiers) (Diplôme National - Arrêté du 25 mai 2016)

École doctorale : Sociétés et organisations - SORG (Limoges) Secteur de recherche : Sociologie

Présentée par :

Fabienne Montmasson-Michel

Enfances du langage et langages de l'enfance.

Socialisation plurielle et différenciation sociale

de la petite enfance scolarisée

Directeur(s) de Thèse :

Gilles Moreau, Mathias Millet

Soutenue le 23 novembre 2018 devant le jury Jury :

Président Sandrine Garcia Professeure en sciences de l'éducation - Université de Bourgogne Rapporteur Sylvia Faure Professeure de sociologie - Université Lyon 2

Rapporteur Stéphane Bonnery Professeur en sciences de l’éducation - Université Paris 8 Saint-Denis Membre Gilles Moreau Professeur de sociologie - Université de Tours

Membre Mathias Millet Professeur de sociologie - Université de Tours Membre Wilfried Lignier Chargé de recherche en sociologie, HDR - C.N.R.S

Pour citer cette thèse :

Fabienne Montmasson-Michel. Enfances du langage et langages de l'enfance. Socialisation plurielle et

différenciation sociale de la petite enfance scolarisée [En ligne]. Thèse Sociologie. Poitiers : Université de Poitiers, 2018. Disponible sur Internet <http://theses.univ-poitiers.fr>

(2)

Université de Poitiers

UFR Sciences humaines et arts

École doctorale Sociétés et Organisations

Groupe de recherches sociologiques sur les sociétés contemporaines

GRESCO EA 3815

Section CNU : 19

ENFANCES DU LANGAGE

ET LANGAGES DE L’ENFANCE

Socialisation plurielle et différenciation sociale de

la petite enfance scolarisée

Thèse pour l’obtention du grade de docteure en sociologie présentée par :

Fabienne MONTMASSON-MICHEL

Soutenue le 23 novembre 2018

Composition du jury :

Stéphane BONNÉRY. Professe

ur en sciences de l’éducation, université Paris 8 Saint-Denis.

Rapporteur

Sylvia FAURE. Professeure de sociologie, université Lyon 2. Rapporteure

Sandrine GARCIA. Professeure en

sciences de l’éducation, université de Bourgogne.

Examina-trice

Wilfried LIGNIER. Chargé de recherches en sociologie habilité à diriger les recherches, CNRS.

Examinateur

Mathias MILLET. Professeur de sociologie, université François Rabelais Tours. Directeur de

thèse

(3)
(4)

Enfances du langage et langages de l’enfance

R

ÉSUMÉ

ENFANCES DU LANGAGE ET LANGAGES DE L’ENFANCE. Socialisation plurielle et

différen-ciation sociale de la petite enfance scolarisée

À la fin du XXe siècle, l’école maternelle française est devenue l’école du langage pour toute une

tranche d’âge, la petite enfance scolaire, afin de réduire les inégalités scolaires devant l’école. Or le langage, tout comme l’enfance, ne sont pas uniques et uniformes car ils sont socialement va-riables. La thèse interroge le primat du langage à l’école maternelle d’un double point de vue. Comment des enfances socialement différenciées sont-elles saisies par la norme du langage sco-laire, un langage inscrit dans la culture écrite ? Quels sont les langages de l’enfance et quels rap-ports entretiennent-ils ? En prenant pour objet les primes socialisations langagières, la thèse étudie la socialisation plurielle et la différenciation sociale de la petite enfance scolarisée. L’analyse socio-historique montre que le primat du langage à l’école maternelle vient d’une attention sociale au jeune enfant. Après s’être portée sur son corps fragile, elle a investi ses productions symboliques, révélées par une « science de l’enfant » ethnocentrique. Progressivement, le jeune enfant devient un « objet culturel ». Au XIXe siècle, ce processus se situe dans les fractions instruites et

domi-nantes de la bourgeoisie et de l’aristocratie, et les femmes de ces milieux investissent la petite en-fance. Une première pédagogie du langage s’invente, au moins idéalement, dans l’école mater-nelle de la IIIe République qui voulait former un citoyen raisonnable. Mais c’est dans la deuxième

moitié du XXe siècle que le langage devient une question scolaire, quand le problème social de

l’« échec scolaire » surgit avec la massification. Un champ d’intervention professionnelle se consti-tue et impose des contenus et des pratiques légitimes. Entrepreneur de la littératie précoce, il véhi-cule les normes pédagogiques et les attentes de la bourgeoisie cultivée autour d’un « client idéal » : une définition élitiste du jeune enfant, qui présuppose son autonomie politique et cognitive. L’enquête ethnographique décrit des primes socialisations plurielles à la rencontre de plusieurs instances et leurs produits socialement différenciés : l’acculturation scolaire, la socialisation entre pairs, les socialisations familiales, la culture matérielle et symbolique de l’enfance (i. e. culture lu-dique et fictionnelle, culture graphique, alphabétique et lectorale, « traditions scolaires », culture légitime). Elle dévoile comment l’inégale distribution de ces produits langagiers structure des rapports sociaux (de classe et de genre) entre enfants au croisement de l’acculturation scolaire et d’un langage entre pairs. Elle reproduit la structure sociale. L’enquête conclut à une reconfigura-tion des foncreconfigura-tions différentielles de l’école maternelle : autour d’un curriculum réel, duquel une partie des milieux populaires est proche, et d’un curriculum caché, secondarisé, présupposant la réflexivité. Celui-ci est l’apanage des milieux dotés en ressources scolaires et l’objet légitime du champ d’intervention professionnelle de la littératie précoce. Finalement, la thèse montre que la priorité accordée au langage à l’école maternelle au nom de la réduction des inégalités scolaires perpétue la domination scolaire. Elle se réalise par la domination pédagogique que les entrepre-neurs et les entrepreneuses de normes exercent sur les agents des primes socialisations.

Mots clés : langage, socialisation, scolarisation, petite enfance, école maternelle, corps, littératie, culture matérielle de l’enfance, pratiques pédagogiques, culture des pairs, éducations familiales, inégalités scolaires, rapports sociaux, genre, classe sociale, intersectionnalité.

(5)

Enfances du langage et langages de l’enfance

A

BSTRACT

LANGUAGE’S CHILDHOODS AND CHILDHOOD’S LANGUAGES. Plural socialization and social

differenciation in schooled early childhood.

At the end of the 20th century, the French nursery school has become the school of language for a

whole age group, early childhood, in order to reduce school inequalities. However, both language and childhood are not unique and uniform because both of them are socially variable. This thesis questions the primacy of language in the nursery school from a double point of view: how do norms of school language, i.e. early literacy, affect children from socially different backgrounds? What are childhood’s languages and how are they connected? By taking language socialization as a research object, this thesis studies the plural socialization and social differentiation in schooled early childhood. The sociohistorical analysis shows that the primacy of language in nursery school came from social attention towards the young child. After having studied his fragile body, it invested his symbolic productions, revealed by an ethnocentric “science of the child”. Gradual-ly, the young child becomes a “cultural object”. Over the 19th century, this process took place in

the educated and dominant parts of the upper class and the aristocracy. Women from these social groups took a close interest in early childhood. A first pedagogy of language was invented, at least ideally, in the Third Republic’s nursery school which aim was to bring up a reasonable citi-zen. But over the second half of the 20th century, language became a school issue, when the social

problem of “school failure” appeared with mass schooling. A professional intervention field of early literacy was formed and imposed contents and norms for legitimate practices. Those early literacy entrepreneurs convey the educational standards and expectations of the cultivated middle class towards an “ideal customer”: by the elitist definition of a young child as someone with pre-supposed political and cognitive autonomy. The ethnographic inquiry describes plural socializa-tion involving several instances together and their socially differentiated products: school accul-turation, socialization among peers, family socializations, children material and symbolic culture

(i.e. playful, fictional, graphic, alphabetical and reading culture, “school traditions”, legitimate culture). It reveals how the unequal distribution of these language products structures social rela-tions (both class & gender) between children at nursery school, at the crossroads between school acculturation and peer language. It reproduces social structure. The study concludes that the dif-ferential functions of nursery school are structured around both a real curriculum, (which part of the working class is comfortable with), and a hidden reflexive curriculum, (i. e. as a principal of extended literacy). This latter one belongs to social groups with education resources (i. e. middle class) and is the legitimate object of the professional intervention field in early literacy. Finally, the thesis shows that language established as a priority in order to reduce school inequalities actually perpetuates school domination. It happens through the pedagogical domination imposed by the norms entrepreneurs on the early language socialization’s agents.

Key words: language, socialization, schooling, early childhood, nursery school, body, literacy, childhood’s material culture, pedagogical practices, peer culture, family education, school ine-qualities, social relationships, gender, social class, intersectionality.

(6)

Enfances du langage et langages de l’enfance

R

EMERCIEMENTS

Si j’ai pu parvenir au bout de ce long travail solitaire, c’est, justement, parce que je n’étais pas seule.

Merci à mes proches pour leur compréhension, leur patience, leur soutien.

Merci à Mathias Millet et Gilles Moreau qui ont dirigé ce travail. Leur disponibilité et la très grande qualité de leur accompagnement scientifique ont été un point d’appui considérable. Merci à Mathias Millet qui m’a plus d’une fois sorti la tête de l’eau quand je buvais la tasse. Merci à Fanny Renard qui a accompagné cette recherche depuis ses débuts, en tant qu’enseignante sur le master SHE, en venant assister à mes communications et jusqu’aux relectures de fin d’écriture. Ses encouragements, critiques et suggestions m’ont beaucoup aidée. Elle m’a ouvert les yeux sur des aspects à explorer et sur des points à clarifier. Elle m’a donné de précieux conseils pour la rédaction.

Merci au GRESCO et à ses membres pour la qualité de ses séminaires et de ses journées d’étude, pour la valeur accordée dans ce laboratoire aux recherches doctorales, pour son sou-tien aux activités doctorales, pour m’avoir financé des déplacements à l’occasion de commu-nications dans d’autres universités.

Merci aux doctorants et aux doctorantes du GRESCO pour nos activités scientifiques et con-viviales et tout ce que cela nous a permis d’apprendre ensemble.

Merci aux chercheuses et aux chercheurs qui m’ont invitée à présenter des communications sur cette recherche lors de séminaires ou de manifestations scientifiques. Marie-Hélène Jacques pour des journées d’étude Espé et GRESCO Les transitions en contexte scolaire à Poi-tiers. Jean-Noël Retière pour le séminaire Chantiers de recherche du CENS à Nantes. Sandrine Garcia et Géraldine Farges pour le colloque de l’IREDU Nouvelle Gestion Publique et évolution

des conditions de travail des professeurs des écoles, quels liens ? à Dijon. Séverine Kakpo et

Sté-phane Bonnéry pour le séminaire Escol Classes populaires et scolarisation à Saint-Denis. Ces communications, les questions et les remarques qui m’ont été faites, ont été des moments charnière et décisifs dans l’avancée de la recherche.

Merci aux personnels des services communs de documentation et des bibliothèques universi-taires pour la qualité des services proposés (mise à disposition des collections et de la docu-mentation numérique, formations), pour leur accueil, leur disponibilité et l’aide qu’ils m’ont apportée : BU droit et lettres, BU Foucault, Espé de Poitiers, de Niort et d’Angoulême ; BU et UFR de sociologie de Nantes ; BU et UFR des sciences psychologiques et sciences de l’éducation de Paris-Nanterre. L’enquête documentaire de cette recherche doit beaucoup à leur travail.

(7)

Enfances du langage et langages de l’enfance

Merci aux composantes et aux enseignants-chercheurs qui m’ont recrutée sur des postes d’ATER : l’UFR de sociologie de l’université de Nantes et le département de sciences de l’éducation de l’université Paris-Nanterre.

Merci à leurs personnels administratifs pour leur accueil et pour leur précieux travail d’organisation au service des enseignants et des étudiants.

Merci aux doctorants, doctorantes et ATER de ces universités pour leur accueil et leur aide. À Nantes : Mary David, Margot Delon, Juliette Mengneau, Anna Mesclon, Matéo Sorin, Ma-rie Szarlej. À Nanterre : Konstantinos Markakis, Alice Olivier.

Merci au directeur académique des services de l’Éducation nationale qui a autorisé mon dé-tachement dans l’enseignement supérieur pour occuper des fonctions d’ATER.

Merci à celles et ceux qui développent les logiciels libres, les mettent à disposition de la col-lectivité et les font vivre. En particulier, cette thèse a utilisé : https://inkscape.org/en/ ; http://www.iramuteq.org/ ; https://www.r-project.org/ ; https://www.zotero.org/

Merci pour leur assistance technique sur la liste de diffusion du logiciel Iramuteq à : Lucie Loubère, , J.-F. Plateau, Pierre Ratinaud.

Merci à Simon Michel pour le codage des graphes dans le logiciel R.

Merci à Isabelle Godeau, Simon Michel et Muriel Treharne pour leur aide à la traduction du résumé.

Merci aux inspecteurs et inspectrices de l’Éducation nationale et aux responsables, élues et élus de collectivités locales qui m’ont autorisée à réaliser cette enquête.

Merci à mes collègues, amis et amies, qui m’ont permis de trouver ces terrains de recherche, d’y entrer et d’y rester un moment.

Merci aux enquêtés et aux enquêtées, enfants, parents, enseignants, Atsem, qui m’ont accep-tée et accueillie à leurs côtés et qui ont livré un morceau de leur vie pour cette enquête. Merci, enfin, à celles et ceux, sociologues ou non-spécialistes, qui ont passé de nombreuses heures et mis beaucoup de soin à la relecture de longs morceaux de ce texte : Joachim Benet, Séverine Depoilly, Isabelle Godeau, Élie Michel, Frank Michel, Zoé Michel, Roland Mont-masson, Fanny Renard. Leurs remarques et leurs suggestions ont beaucoup compté pour améliorer et finaliser l’écriture.

(8)

Enfances du langage et langages de l’enfance

S

OMMAIRE

PREMIÈRE PARTIE

L’INVENTION DU JEUNE ENFANT LANGAGIER

Chapitre I : Cultiver la petite enfance

Chapitre II : Scolariser la petite enfance

DEUXIÈME PARTIE

À L’ÉCOLE DU LANGAGE : UNE DOUBLE SOCIALISATION

Chapitre III : L’acculturation scolaire

Chapitre IV : Le langage entre pairs

TROISIÈME PARTIE

PRIMES SOCIALISATIONS LANGAGIÈRES ET RAPPORTS

SOCIAUX

Chapitre V : Les fabriques familiales du jeune enfant langagier

Chapitre VI : La domination pédagogique

(9)
(10)

Table des matières

1

T

ABLE DES MATIÈRES

Table des matières ... 1

I

NTRODUCTION

... 5

1. Construction de l’objet, cadre théorique ... 12

2. Présentation de l’enquête ... 16

3. La thèse et le plan ... 21

N

OTE MÉTHODOLOGIQUE

... 25

1. L’enquête sur documents ... 26

2. L’enquête ethnographique... 26

P

REMIÈRE PARTIE

... 39

L’

INVENTION DU JEUNE ENFANT LANGAGIER

Introduction ... 40

C

HAPITRE

I.

C

ULTIVER LA PETITE ENFANCE

... 43

I.

1.

L

A DÉMOGRAPHIE

,

UNE HISTOIRE SOCIALE DES CORPS ENFANTINS

... 43

I. 1. 1.

La grande faucheuse d’enfants et la révolution démographique ... 44

I. 1. 2. De la conservation des enfants à leur sacralisation... 47

I.

2.

D

E LA SECONDE ENFANCE AU JEUNE ENFANT SUJET

,

ÊTRE DE LANGAGE

... 51

I. 2. 1.

Vers l’enfant naturel de la science de l’enfant ... 51

I. 2. 2. La psychanalyse, savoir de référence ... 58

I. 2. 3. Les métamorphoses de la contrainte ... 62

I.

3.

U

NE CULTURE MATÉRIELLE ET SYMBOLIQUE DE L

ENFANCE

... 69

I. 3. 1.

Les espaces contraints de l’autonomie enfantine ... 69

I. 3. 2. Jouets et jeu : entre divertissement et idéologies éducatives ... 70

I. 3. 3. Les livres pour enfants, la bibliothécaire et le psychanalyste ... 76

Conclusion du premier chapitre ... 87

C

HAPITRE

II.

S

COLARISER LA PETITE ENFANCE

... 89

II.

1.

L

A SALLE D

ASILE

:

FORMER L

OUVRIER MODÈLE

... 91

II. 1. 1.

L’ordonnancement des corps ... 93

II. 1. 2. Un contrôle disputé et une tutelle partagée ... 95

II. 1. 3. Le laboratoire pédagogique de Marie Pape-Carpantier (1815-1878) ... 99

II.

2.

L’

ÉCOLE MATERNELLE RÉPUBLICAINE

:

PRÉPARER L

ÉCOLIER

-

CITOYEN

... 104

(11)

Table des matières

2

II. 2. 2.

La discipline libérale et le régime de l’activité contenue ... 110

II. 2. 3. Une pédagogie du langage socialement située ... 117

II. 2. 4. La réalité des écoles et la constitution du corps professionnel ... 121

II.

3.

L’

ÉCOLE MATERNELLE MASSIFIÉE

:

UN ENFANT AUTONOME

,

EXPRESSIF

,

LITTÉRATIÉ

... 126

II. 3. 1. Une massification à contre-courant ... 128

II. 3. 2.

Le régime de l’activité contenue ... 130

II. 3. 3. Le modèle expressif : une pédagogie invisible et totale ... 133

II. 3. 4.

L’autre science de l’enfant : les spécialistes du langage scolarisé ... 138

II. 3. 5. Le curriculum

: l’enfant au centre et l’écrit au cœur ... 150

Conclusion du deuxième chapitre ...163

C

ONCLUSION DE LA PREMIÈRE PARTIE

... 165

D

EUXIÈME PARTIE

... 169

À

L

ÉCOLE DU LANGAGE

:

UNE DOUBLE

SOCIALISATION

Introduction ...170

C

HAPITRE

III.

L’

ACCULTURATION SCOLAIRE

... 173

III.

1.

L

E GOUVERNEMENT SCOLAIRE DES JEUNES ENFANTS

... 175

III. 1. 1. Gouverner par les structures ... 175

III. 1. 2. Gouverner par la présence... 182

III.

2.

L

A SOCIALISATION GRAPHIQUE

:

UNE INSCRIPTION CORPORELLE

... 191

III. 2. 1. Une structuration graphique ... 192

III. 2. 2. Des techniques scolaires du corps ... 197

III.

3.

L

A SOCIALISATION ALPHABÉTIQUE

:

TENIR LE LANGAGE DEVANT SOI

... 203

III. 3. 1. Le découpage graphique du langage alphabétique... 205

III. 3. 2. Le découpage phonique du langage alphabétique ... 209

III. 3. 3.

L’incorporation du code alphabétique ... 215

III.

4.

L

A SOCIALISATION DE LA PAROLE

:

INTÉRIORISER LE PARLER

-

PENSER DE L

ÉCRIT

…………... ... 221

III. 4. 1. Le bien parler et les maîtres et maîtresses du langage ... 224

III. 4. 2. La parole libre comme espace concurrentiel ... 232

III. 4. 3. Le récit et la description scolaires ... 240

III. 4. 4. Des arrangements pratiques et moraux ... 253

Conclusion du troisième chapitre ...259

C

HAPITRE

IV.

L

E LANGAGE ENTRE PAIRS

... 262

IV.

1.

U

N LANGAGE PRATIQUE

... 265

(12)

Table des matières

3

IV. 1. 2. Les évocations et les prouesses ... 271

IV.

2.

U

N LANGAGE PERMÉABLE AUX INCORPORATIONS

... 279

IV. 2. 1. Les objets détournés ... 279

IV. 2. 2. La culture ludique et fictionnelle et ses effets de genre ... 280

IV. 2. 3. Les recyclages de la culture scolaire ... 289

IV.

3.

U

N LANGAGE ENTRE PAIRS AU CŒUR DE LA SCÈNE SCOLAIRE

... 300

IV. 3. 1. Zones grises, glissements, et bascules pratiques ... 301

IV. 3. 2.

Bonheurs et malheurs d’école maternelle : des parcours socialisateurs pluriels et

différenciés... 310

1. L’excellence scolaire au masculin : dispositions scolaires et ressources agonistiques... 310

2. La double disqualification d’un enfant peu prédisposé ... 311

3. Des héritiers mal à l’aise dans les groupes masculins ... 312

4. Une héritière désappariée dans une école populaire ... 315

5. Un héritier qui s’y retrouve dans une école populaire : modestie et amitiés circonscrites ... 318

6. L’excellence scolaire au féminin : les ressources plurielles des héritières ... 319

7. Les conquêtes scolaires dominées des filles de milieux populaires ... 322

8. Une double disqualification féminine en milieu populaire ... 326

Conclusion du quatrième chapitre ...329

C

ONCLUSION DE LA DEUXIÈME PARTIE

... 332

T

ROISIÈME PARTIE

... 337

P

RIMES SOCIALISATIONS LANGAGIÈRES

ET RAPPORTS SOCIAUX

Introduction ...338

C

HAPITRE

V.

L

ES FABRIQUES FAMILIALES DU JEUNE ENFANT LANGAGIER

... 343

V.

1.

D

ES JEUNES ENFANTS CULTIVÉS EN LIBERTÉS SURVEILLÉES

... 346

V. 1. 1. Ni totalement dépourvues, ni exceptionnellement dotées, des familles inscrites

dans l’espace local ... 347

V. 1. 2. Le travail relationnel et organisationnel des mères ... 353

V. 1. 3.

L’orchestration de la demande et de ses limites ... 360

V. 1. 4. Une libre exploration ordonnée ... 369

V.

2.

P

AROLES ET ACTIVITÉS PARTAGÉES

:

OBJETS ET FORMES DU GUIDAGE PARENTAL

.. ... 382

V. 2. 1. Le travail familial de la parole ... 382

V. 2. 2. Livres, lectures partagées et autres imprimés ... 398

V. 2. 3. Les activités manuelles et les traditions de la petite enfance scolaire ... 413

(13)

Table des matières

4

V. 2. 5.

L’exemple des cahiers de vie : entre curriculum réel et curriculum secondarisé

... 430

Conclusion du cinquième chapitre ...441

C

HAPITRE

VI.

L

A DOMINATION PÉDAGOGIQUE

... 445

VI.

1.

D

E QUOI LA

« 

PRIMARISATION

 »

EST

-

ELLE LE NOM

 ? ... 447

VI. 1. 1.

Contours d’un problème social ... 451

VI. 1. 2.

D’un programme à l’autre : quand déprimariser c’est secondariser ... 463

VI.

2.

L’

ÉCRITURE INVENTÉE

:

UNE IDÉOLOGIE DE CLASSE POUR UNE PÉDAGOGIE DE CLASSE

……. ... 477

VI. 2. 1.

Une théorie psychogénétique de l’alphabétisation et ses appropriations

pédagogiques ... 479

VI. 2. 2.

L’écriture autonome : de l’idéologie aux pratiques ... 488

VI.

3.

D

ES LOGIQUES PÉDAGOGIQUES ÉGALISATRICES EMPÊCHÉES

... 495

VI. 3. 1. Une alphabétisation proximale et explicite qui ne dit pas son nom ... 495

VI. 3. 2. La socialisation proximale des Atsem

: l’incarnation d’une culture scolaire

dominée ... 501

Conclusion du sixième chapitre ...508

C

ONCLUSION DE LA TROISIÈME PARTIE

... 510

C

ONCLUSION

... 513

1. Le corps dans le langage et le langage dans le corps ... 514

2. Une histoire institutionnelle ... 516

3. La différenciation sociale de l’enfance ... 520

4. Les inégalités scolaires et le projet démocratique ... 525

5. Des espaces sociaux, des groupes professionnels, des mondes sociaux à explorer ... 528

Bibliographie ...531

Liste des encadrés méthodologiques ...577

Liste des figures ...578

Liste des tableaux ...582

A

NNEXES

... 585

DU DOCUMENT PRINCIPAL

Annexe A - Chronologie ...587

Annexe B - Index alphabétique des enquêtés et des enquêtées ...599

(14)

Introduction

5

(15)

Introduction

6 Le 27 mars 2018, en ouverture des Assises de la maternelle, le président de la République Emma-nuel Macron annonçait l’obligation scolaire à 3 ans « pour lutter contre la fabrique ou la repro-duction des inégalités », « éliminer (…) l’inégalité devant le langage », « prévenir le décrochage, permettre la réussite », tout en relevant le « défi » de « faire de l’école maternelle le lieu de cons-titution de la sécurité émotionnelle et de l’épanouissement affectif » (Élysée, 2018). Quelques semaines avant, son ministre de l’Éducation nationale, Jean-Michel Blanquer, annonçait ainsi l’événement : « permettre de penser l’école maternelle de demain pour en faire véritablement l’école de l’épanouissement et du langage »1. De nombreux experts et savants, des responsables

politiques, syndicaux et associatifs, et des cadres de l’éducation nationale, se sont rassemblés pendant 2 jours (les 27 et 28 mars), pour conduire cette réflexion placée sous l’égide des neuros-ciences, à propos desquelles le ministre semble nourrir beaucoup d’espoirs. Ils ne le savent peut-être pas, mais ils n’inventent rien. Cette cérémonie n’est ni plus ni moins que l’expression d’un état institutionnel de l’école maternelle et d’un état des savoirs et des conceptions légitimes à partir desquels elle est pensée. Car « chaque société, considérée à un moment déterminé de son développement, a un système d’éducation qui s’impose aux individus avec une force géné-ralement irrésistible. » (Durkheim, 2009/1922, p. 45) S’enticher de savoirs savants (en ce mo-ment : les neurosciences) qui révèlent une vie cognitive et affective précoce, pleine de perspec-tives éducaperspec-tives prometteuses ; généraliser l’école maternelle en lui assignant la réduction des inégalités sociales devant l’école ; définir son curriculum autour du diptyque « épanouissement » et « langage » ; rien de tout cela ne semble nouveau au regard de cette recherche.

Car, comme cette recherche le montrera, l’école maternelle n’a pas attendu ces déclarations pour se saisir passionnément des productions symboliques enfantines : dès le XIXe siècle, la

« science de l’enfant », psychologique, a beaucoup intéressé certains acteurs – actrices surtout – historiques de cette institution. Elle ne les a pas attendues non plus pour se généraliser : sa massification s’amorce après la Seconde Guerre mondiale et s’achève pour les 3-6 ans au mi-lieu des années 1990 (ministère de l’Éducation nationale [MEN], 2012, p. 83). Elle n’a pas plus attendu ces slogans pour s’identifier en tant qu’école de l’épanouissement et être proclamée école du langage. Sur le registre de l’épanouissement, un « modèle expressif » identitaire s’est élaboré au cœur du XXe siècle pour atteindre son apogée dans les années 1970. Et peu après, le

1 Propos rapportés par le Café pédagogique. [Consulté le 01/08/2018]. Disponible à :

(16)

Introduction

7 langage est devenu sa priorité : pour prévenir l’« échec scolaire », une nouvelle « science de l’enfant » s’est saisie de son langage à partir des années 1960. Elle a forgé un modèle linguis-tique de l’école maternelle, coexistant avec le modèle expressif. Il a pénétré dans le curriculum à la fin du XXe siècle pour y prendre la première place au début du XXIe. Si bien que

l’assignation de l’école maternelle à la réduction des inégalités scolaires, progressivement cris-tallisée sur le travail langagier, remonte à loin : elle jalonne les discours ministériels depuis la fin des années 1960. Ainsi, dans ce processus, ponctué d’événements rituels tels ces Assises de la

maternelle, l’école maternelle est devenue l’école du langage, afin, dit-on, de prévenir les inéga-lités socioscolaires. C’est le point de départ de la thèse : comment cela est-il advenu ? Quels en sont les effets concrets ? Quelles en sont les logiques et les significations sociales ?

Dans sa genèse, c’est un questionnement professionnel banal, en tant qu’enseignante en ma-ternelle destinataire de ces normes. L’approche sociologique a donné de l’intelligibilité à ce qui apparaissait le plus souvent comme des « énigmes » récurrentes et insolubles.

Encadré 1 : Des insatisfactions professionnelles repensées par l’approche sociologique J’adhérais grosso modo à ce discours normatif, ses justifications et son ambition, mais, en même temps, je devais faire face aux difficultés de sa mise en œuvre et à des résultats décevants. En particulier, le temps et l’énergie à préparer tout ce travail pédagogique sur le langage et à le mettre en œuvre, en regard des résultats obtenus, posait question. Avec mes collègues, nous remarquions ses bénéfices sur de nombreux élèves et, de ce point de vue, c’était gratifiant et in-téressant, mais ces résultats n’étaient pas homogènes sur tous les contenus, et surtout, il y avait toujours, dans toutes les classes, des élèves récalcitrants : ils ne mémorisaient pas les mots à l’oral, par exemple les noms des couleurs, des personnages des livres, des jours de la semaine ; ils ne mémorisaient pas les formes et les noms des lettres ; ils ne parvenaient pas, à la fin de la grande section, à raconter « une petite histoire simple » ; ils pouvaient encore « oublier » dans quel sens on « regarde » de l’écrit et on le trace ; ils regardaient l’image quand il fallait regarder le texte d’un support écrit ; ils semblaient irrémédiablement hermétiques à la phonologie. En faisant de la sociologie, quand je me suis mise à examiner systématiquement les origines so-ciales des enfants, j’ai constaté ce qu’on sentait de manière floue entre collègues. Ces enfants avaient des profils sociaux caractéristiques : beaucoup d’enfants de milieux populaires, surtout des garçons, presque tous les enfants des familles précarisées. A posteriori, je peux mettre ces éléments en rapport avec d’autres questionnements, qui prennent sens ensemble au regard de cette recherche, ce qui n’était pas le cas à l’époque. Par exemple, je devais m’occuper, en tant que formatrice de terrain, d’enseignants en apprentissage du métier aux prises avec leur confronta-tion rude à la responsabilité des classes. Deux difficultés envahissaient leur travail et gênaient leur formation pratique : d’une part, « tenir » la classe et, d’autre part, répondre aux exigences institutionnelles en matière de préparation écrite (i. e. toute la mise en œuvre doit être écrite et chaque moment ou activité doit faire l’objet d’un « apprentissage » objectivé dans les catégories

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8 du curriculum formel). D’autre part, une question lancinante revenait, que des collègues plus chevronnés m’ont également souvent posée pendant l’enquête : on fait comment, on fait faire quoi, dans les « ateliers autonomes », pour que « ça tourne » ? J’avais les mêmes difficultés qu’eux et je n’avais pas de réponse satisfaisante. Je voyais aussi des malentendus récurrents dans la façon de faire des enseignants qui apprenaient le métier. Par exemple leur propension à proposer à ces très jeunes élèves une littérature de jeunesse à la fois très exigeante culturelle-ment (sans le percevoir) et en même temps très (trop) subversive pour « faire apprendre l’école ». Un jour, une jeune collègue a proposé pour la rentrée, dans l’intention de faire ap-prendre les rituels scolaires (ses activités, ses règles), un album qui ridiculise la maîtresse de bout en bout, ce qui a provoqué une agitation qu’elle n’a pas réussi à « récupérer ». J’ai plusieurs fois assisté à des séances autour de ces albums qui faisaient peu apprendre les récits et la littéra-ture, mais qui étaient souvent l’occasion de rires et d’agitation et se finissaient presque toujours par la punition injuste d’un enfant pris dans l’agitation générale. Et finalement, on n’avait jamais le temps pendant ces stages sur le terrain de réfléchir et travailler à ce que je concevais comme « le cœur du métier » : enseigner, faire apprendre et, autant que possible, à tout le monde. Ces contraintes rendaient très difficiles la réflexion et le travail sur la manière de choisir, de préparer et de présenter un support pédagogique, la manière de formuler les consignes, d’accompagner verbalement les enfants dans leurs activités, etc. D’autres constats me sont venus plus tard, quand j’ai commencé à étudier la sociologie. Par exemple, de longue date, j’avais remarqué, comme tous mes collègues, que les garçons sont nettement plus « pénibles » que les filles, et ce, quelles que soient leurs origines sociales. La sociologie du genre m’a aidée à comprendre que, dans le fonctionnement mis en place pour gouverner les enfants dans la classe, je m’appuyais sur les filles pour « tenir » les garçons. Par exemple, je demandais systématiquement de faire des paires mixtes dans les rangs (ce que les garçons détestaient et certains m’en ont beaucoup vou-lu) et d’alterner un garçon et une fille sur les bancs (ce que les filles n’aimaient pas, mais elles s’y résignaient). A posteriori, je comprends que toutes ces difficultés renvoient à la définition légi-time du jeune enfant langagier qui impose de transposer dans la collectivité de jeunes enfants de toutes conditions sociales des principes et des idéaux éducatifs des classes sociales dominantes culturellement. On demande aux enseignants une pédagogie impossible dans les conditions qui leur sont faites si l’objectif reste toujours, comme nous étions nombreux et nombreuses à le croire, de faire apprendre tout le monde en réduisant les inégalités. Quant aux garçons des mi-lieux cultivés qui génèrent du désordre en classe tout en y devenant d’excellents élèves, tandis que les filles travaillent à les discipliner, c’est l’une des marques de cette construction inégali-taire : dans cette école qui a été fondée par des femmes, les garçons des classes dominantes ap-prennent à rester le groupe dominant, quand leurs pairs des milieux populaires y vivent sou-vent une expérience toute différente.

Si l’on revient à la montée du langage dans les discours et dans le curriculum de l’école mater-nelle, une première interrogation surgit : le singulier avec lequel l’institution scolaire désigne et pense le langage des jeunes enfants. Par exemple, le programme 2002 de l’école maternelle pro-clame « Le langage au cœur des apprentissages » (MEN, 2002, souligné par nous). Celui de 2008 prescrit de « s’approprier le langage », ajoute que « le langage oral est le pivot des apprentissages de l’école maternelle » et précise cet objectif : « l’enfant s’exprime et se fait comprendre par le

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9 langage. » (MEN, 2008, p. 12, idem) Or de très nombreux travaux en sciences humaines et so-ciales ont montré la variabilité sociale du langage, à la fois entre individus, mais également pour un même individu : variabilité selon les dispositions sociales (dispositions de classe, de genre) et variabilité selon les contextes d’usage (e. g. Bernstein, 1975 ; Labov, 1976/1972 ; 1978/1972 ; Gumperz, 1982 ; Thorne et al., 1983 ; Schieffelin, Gilmore, 1986 ; Philips et al., 1987 ; Bautier et al., 1992 ; Lahire, 1993a ; Street, 1993 ; West, Zimmerman, 2000 ; Duranti, 2009/2004). Ceux qui se sont penchés sur les primes socialisations ont révélé que le langage s’apprend et se façonne dans et par le langage du groupe social d’appartenance : il s’inscrit dans sa logique sociale et cognitive, il en a les caractéristiques (Bernstein, 1975 ; Heath, 1982 ; Miller, 1982 ; Ochs, Schieffe-lin, 1984 ; Miller, Moore, 1989 ; Wiley et al., 1998 ; Duranti et al., 2014). Scientifiquement, l’idée d’un langage au singulier ne tient donc pas. Appréhender le langage sociologiquement, c’est l’appréhender au pluriel : des langages, des locuteurs, des contextes, socialement variables. Mais pour comprendre le point de vue et la logique scolaires, il faut prendre au sérieux l’idée d’un langage au singulier comme discours de l’institution sur elle-même : pour l’école, il n’y a qu’un langage, le langage scolaire, un langage institué. Des recherches en ont objectivé les ca-ractéristiques : il est inscrit dans les logiques de l’écrit, même quand il recourt au canal oral et même sans les symboles linguistiques, quand il façonne une « raison graphique » (Goody, 1979/1977) (Lahire, 1993a ; 2008 ; Bautier, 1995 ; 2002 ; 2017 ; Ramognino et al., 2005 ; Michaels, 2006 ; Bonnéry, 2007 ; Bautier, Rochex, 2007 ; Joigneaux, 2009b ; Rochex, Crinon, 2011). Et dès la maternelle, cette enquête le confirme après d’autres : le langage scolaire est, avant même que le

curriculum prescrive explicitement l’apprentissage du code alphabétique (en CP), un langage qui a les propriétés de l’écrit (Gachet-Delaborde, 2009 ; Joigneaux, 2009a ; Joigneaux et al., 2012 ; Richard-Bossez, 2015 ; Mourot, 2016). S’apprenant à l’école, il est en affinité avec les pra-tiques langagières des familles dotées en ressources scolaires, qui y préparent et accompagnent leurs enfants dès leurs premières expériences socialisatrices, c’est-à-dire depuis le début de leur vie. Là se trouve un ressort déterminant des inégalités sociales devant l’école. Tous les enfants n’arrivent pas également prédisposés à pratiquer son langage : à leur entrée à l’école maternelle, certains sont des « initiés » du langage scolaire par leur héritage culturel familial, d’autres sont des « tard-venus » dont l’acculturation est plus dépendante de la socialisation scolaire (Suaud, 1989 ; Renard, 2011). Et pourtant, les recherches empiriques indiquent qu’à différents niveaux du système éducatif, l’école n’enseigne pas des prérequis langagiers et

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10 gnitifs sur lesquels elle fonde sa pédagogie (e. g. Bonnéry, 2007 ; Bautier, Rayou, 2009 ; Renard, 2011 ; Garcia, Oller, 2015). Et l’école maternelle ne fait pas exception (Bautier, ESCOL, 2008/2006 ; Joigneaux, 2009a ; 2009b ; Rochex, Crinon, 2011 ; Richard-Bossez, 2015 ; Millet, Croi-zet, 2016 ; Mourot, 2016). Aussi, interroger la priorité du langage à l’école maternelle en dé-cryptant le discours normatif et en décrivant ses effets sociaux amène à penser le langage d’un double point de vue. D’une part, le langage est une norme instituée : le langage de l’école, fa-çonné dans l’écrit, et légitime. D’autre part, le langage s’inscrit dans des pratiques sociales, qui prennent forme dans des contextes (des formes sociales, des situations, des interactions), et qui sont socialement variables : des pratiques langagières, des pratiques socialisatrices, plus ou moins légitimes. Enfin, ces pratiques et ces normes s’articulent à travers des rapports sociaux. Or en réponse à ce premier questionnement, la recherche montre que la montée du primat lan-gagier à l’école maternelle produit des inégalités sociales à l’opposé des effets attendus, selon un processus socialisateur différenciateur, mais complexe, parce que pluriel. Ces inégalités sociales sont produites par les effets conjugués d’instances socialisatrices dont l’école n’est qu’une parmi d’autres, mais en position légitime. Les axes de cette recherche se dessinent donc autour d’un triptyque : une étude des normes (leur sociogenèse, leur état contemporain) ; une étude des pratiques (saisies dans des contextes sociaux et culturels situés) ; l’analyse de leur articulation dans un espace social hiérarchisé, de leurs effets et de leurs produits.

D’autres travaux de recherche ont déjà remis en cause, depuis les années 70, le caractère égalisa-teur de l’école maternelle (Garnier, 2012b). De premières études, à l’apogée du modèle expressif, soulignent la proximité de ces normes montantes avec celles des couches cultivées des classes intermédiaires et supérieures et montrent qu’elle met à distance les milieux populaires qui furent pourtant son premier public (Chamboredon, Prévot, 1973 ; Bernstein, 2007a/1975 ; Plaisance, 1986). À la même époque, des enquêtes dans les classes dévoilent l’écart important entre les idéaux pé-dagogiques prescrits et les difficultés concrètes de leur mise en œuvre (Lurçat, 1976 ; Dannepond, 1979). Par ailleurs, des études quantitatives soulignent de longue date des écarts sociaux entre enfants à l’entrée au CP (Garnier, 2012b ; Mingat, 1984 ; Jeantheau, Murat, 1998 ; Colmant et al., 2002 ; Caille, Rosenwald, 2006 ; Goigoux, Ifé, 2015) et on commence à se demander s’ils ne s’amplifieraient pas dès la maternelle. Une nouvelle génération de recherches se penche sur la question en examinant la relation pédagogique comme relation sociale, cognitive, langagière,

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11 poursuivant ainsi le sillon tracé par B. Bernstein (1975). Ces recherches montrent la construction des inégalités scolaires dans la manière dont les enfants sont perçus, dont les savoirs en jeu sont (im)pensés et dont les activités scolaires sont mises en œuvre (Bautier, ESCOL, 2008 /2006 ; Joi-gneaux, 2009a ; Rochex, Crinon, 2011 ; Richard-Bossez, 2015 ; Millet, Croizet, 2016 ; Mourot, 2016). À la lumière de l’enquête, il semble pourtant que ces résultats scientifiques pénètrent peu dans l’institution et que, de toute façon, ils ne parviennent pas à la majorité des enseignants. Mais au plus haut sommet de l’institution, des discours plus circonspects pointent : un « modèle quasi mythique » de l’école maternelle serait en train de se fissurer si bien qu’on passerait « de l’assurance au doute » (Bouysse, 2006b ; 2006a). Cela dit, jamais l’institution scolaire ne s'est frontalement interrogée sur le sens et la pertinence de sa croisade pour le langage à l’école ma-ternelle. Bien au contraire, l’idée générale est qu’il faut toujours renforcer la priorité mise sur le langage. Avec constance, l’institution produit des discours confortant cette évidence, avec une force d’imposition chargée moralement : le langage est une priorité, car ce serait un patrimoine commun, un rempart contre les exclusions scolaires et sociales, et l’école maternelle serait sa première fabrique. Ainsi s’exprime le ministre Jack Lang dans la préface du programme 2002 pour la maternelle, qui a placé pour la première fois le langage en première place :

« Je le répéterai toujours : la langue nationale nous construit et nous réunit. Chaque enfant doit pouvoir entrer dans cette maison commune, s’y sentir à l’aise, chez lui. Un enfant qui ne peut y accéder, ou qui y accède imparfaitement, est un enfant évincé, blessé, humilié, et par consé-quent exclu […] Ces programmes accordent une place beaucoup plus grande à l’apprentissage de la langue. À l’école maternelle d’enseigner d’abord l’expression orale, puis, en grande sec-tion, de préparer à la lecture et à l’écriture. » (Jack Lang dans : MEN, 2002b, p. 8)

Comment donc ces normes se sont-elles édifiées ? Quelles ont été et quelles sont à présent les forces sociales qui les portent ? De quelles manières se réfractent-elles sur le terrain, dans les pratiques pédagogiques, auprès des jeunes enfants de toutes conditions sociales ? Avec quelles ressources entrent-ils dans cette socialisation scolaire et comment celle-ci les travaille-t-elle ? Et si l’école reproduit bien les inégalités sociales, alors quelle est la contribution de la socialisation langagière à ce processus ? En réponse à ces questions, la recherche montre que ces normes se sont édifiées dans les catégories dominantes, à l’aune de leur enfant idéal, et qu’elles s’imposent à toute une tranche d’âge socialement différenciée en accroissant ces différences. Elle montre aussi que ces normes exercent une domination symbolique sur toutes les catégo-ries d’acteurs et d’actrices de l’école maternelle : les enfants et celles et ceux qui les socialisent.

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1. Construction de l’objet, cadre théorique

Pour montrer comment l’école du langage différencie l’enfance alors qu’à ce titre elle prétend justement réduire les inégalités sociales, la recherche adopte trois focales : une historicisation du phénomène étudié ; l’analyse des pratiques (enfantines et socialisatrices) à partir d’une sociolo-gie de la socialisation ; et l’analyse du travail pédagogique. Pour ce faire, elle s’appuie sur une définition extensive du langage. Enfin, elle s’inscrit dans un périmètre délimité (population, périodes, zone géographique, objets de l’analyse, etc.).

1. 1. Une histoire sociale à reconstituer

L’analyse s’attache d’abord à reconstituer l’histoire sociale de la production des normes et de la pédagogie de l’école maternelle. Ce détour historique montre comment le primat du langage dans l’institution contemporaine est un problème social construit par des forces sociales, en l’occurrence des groupes sociaux dominants culturellement. Sans situer a priori ce phénomène dans l’école, la recherche montre comment il est devenu un problème scolaire, par l’entremise du processus de massification et d’allongement des scolarités, qui a également affecté l’école maternelle. Avec une approche sociohistorique, les catégories à travers lesquelles l’école ma-ternelle se pense et pense les enfants (Millet, Croizet, 2013 ; 2016) sont historicisées et donc dé-construites en tant qu’évidences ou comme catégories pertinentes de l’analyse.

1. 2. Des enfants destinataires et acteurs d’une socialisation plurielle

Le cadre théorique d’une sociologie de la socialisation (Darmon, 2010 ; Lahire, 2001c/1998 ; 2012 ; 2013) permet d’appréhender la fabrication sociale des dispositions langagières enfantines en s’intéressant aux pratiques sociales qui les façonnent et aux contextes de leur production et de leur activation. Comme l’indique B. Lahire, «[l]e contexte présent de l’action peut (…) être étudié de deux points de vue différents : en tant que cadre déclencheur de dispositions déjà incorporées, ou bien en tant que cadre socialisateur des acteurs. Lorsque les acteurs en question sont des en-fants, on n’a pas de peine à imaginer que les contextes d’action sont aussi des contextes de socia-lisation, c’est-à-dire des cadres où se forment les appétences et compétences, dispositions men-tales et comportemenmen-tales. » (2013, p. 138) De fait, l’enquête montre que les jeunes enfants sont travaillés par quatre instances socialisatrices aux effets conjugués qui constituent des configura-tions socialisatrices variées et complexes : 1) leurs socialisations familiales ; 2) et 3) une double socialisation dans l’école où s’articulent l’acculturation scolaire, légitime, et la socialisation parmi

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13 les pairs, qui lui résiste avec des variations sociales entre enfants ; 4) la production, surabondante et multiforme, de l’industrie culturelle pour amuser, cultiver et instruire la petite enfance.

Effectivement, dans l’école maternelle, il y a plusieurs catégories d’agents : des enseignants, mais aussi des Atsem2, très présentes auprès des enfants tout au long de la journée. Il y a aussi

et surtout un entre-soi enfantin dont l’intense activité sociale a été mise au jour dans de précé-dentes enquêtes sur l’enfance (Corsaro, 1985 ; Delalande, 2001). Cette recherche confirme ces résultats. Mais la perspective est différente : elle ne considère pas que le groupe enfantin existe en soi et qu’on pourrait le trouver, par exemple, dans les cours d’écoles maternelles. Bien au contraire, le groupe de pairs est envisagé comme un produit de l’institution : il est rendu pos-sible par la forme pédagogique, il est une dimension de la socialisation scolaire, et la socialisa-tion entre pairs coexiste avec l’acculturasocialisa-tion scolaire. L’entre-soi enfantin se manifeste dans de très nombreux contextes : certains sont spécialement pensés pour son déploiement (e. g. la ré-création), d’autres ne le tolèrent que dans certaines limites (e. g. le « travail » sur tables). Il hié-rarchise aussi les enfants. C’est donc une instance socialisatrice à prendre en compte dans son articulation avec la socialisation scolaire et les socialisations familiales. Enfin, l’école et les fa-milles ne sont pas autonomes des autres investissements sociaux sur les enfants et ne sont pas les seules instances majeures de la socialisation « verticale » de l’enfance (définie comme : pro-duite et transmise par des adultes). Toute une culture matérielle et symbolique propro-duite et contrôlée par l’industrie culturelle et ses techniques marchandes, imprègne très fortement les primes socialisations (Brougère, 2003 ; 2008 ; Garnier, 2012a ; Brougère, Dauphragne, 2017). L’école la filtre, sélectionnant une culture légitime, qu’elle trouve par exemple dans un seg-ment consacré de la littérature de jeunesse (Bonnéry, 2014b). Les parents la sélectionnent et l’interprètent pour l’enfant, orientant les appropriations et les effets socialisateurs, de manière variable selon leurs ressources et leurs perspectives éducatives. Les enfants l’incorporent dans leurs pratiques entre pairs, avec des effets performatifs importants, en particulier des effets genrés, socialement très différenciateurs. Ainsi, ces très jeunes individus, dont les dispositions sociales sont en construction, élaborent leur(s) langage(s) à travers des expériences sociales qui ont lieu avant, à côté, et dans l’école : elles sont multiples, et les principes différenciateurs sont

2 Agente Territoriale Spécialisée des Écoles Maternelles. Fonctionnaire territoriale de catégorie C recrutée sur

concours avec le CAP petite enfance. Sur le terrain, plusieurs d’entre elles font fonction sur d’autres supports de poste. La profession est très féminisée : 99,7 % pour les Atsem fonctionnaires (De Carlos, 2017, p. 8). Toutes les Atsem enquêtées sont des femmes. Elles seront toujours désignées au féminin dans ce texte.

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Introduction

14 variés et s’entrecroisent. Selon ce point de vue, l’école est une instance socialisatrice qui détient la légitimité culturelle, mais on ne présuppose ni son unicité ni sa valeur en soi. Et même si elle pense son langage au singulier, la recherche montre qu’il prend place parmi un univers de langages diversifiés. Plusieurs instances, tout aussi différenciatrices, produisent des formes et des ressources langagières qui entretiennent entre elles et avec le langage scolaire des rapports allant de l’antagonisme à l’amplification, en passant par la complémentarité.

Il y a donc une enfance, en tant que groupe social défini par sa catégorie d’âge, justiciable d’une acculturation au langage comme norme instituée. Mais il y a également des enfances, sociale-ment différenciées (Lareau, 2003 ; Lignier et al., 2012 ; Court, 2017), qui apprennent des langages dans des contextes socialisateurs pluriels. Le point de vue ouvre des perspectives qui vont au-delà de l’espace circonscrit de l’école maternelle (sociologie de l’enfance, sociologie du langage, sociologie institutionnelle, sociologie du curriculum, sociologie de la culture, etc.). En sortant de l’école (de ses espaces dédiés, de ses catégories, de son illusio), cette recherche apporte un nou-vel éclairage à la question de départ, aux inégalités sociales dans l’école maternelle et à la domi-nation scolaire : d’une part, le langage scolaire n’est pas le seul et l’acculturation scolaire coexiste de manière dialectique avec d’autres influences pour produire des effets sociaux diffé-renciateurs ; d’autre part, la perpétuation des inégalités scolaires dans l’école maternelle résulte de sa secondarisation, dans le sens où ses exigences se sont arrimées à celles de la scolarisation longue telle que la construisent et l’ambitionnent les catégories dominantes culturellement.

1. 3. Les pratiques socialisatrices comme travail

Enfin, pour analyser les effets de domination des normes qui s’imposent aux primes socialisa-tions langagières, les pratiques socialisatrices sont appréhendées en tant que travail : travail enseignant, travail des Atsem, travail parental et travail de l’appareil normatif qui les sur-plombe. La notion met les différentes pratiques des travailleurs du jeune enfant langagier sur un même plan et les passe au crible des mêmes catégories de l’analyse, ce qui garantit le prin-cipe d’homogénéité des explications sociologiques (Lemieux, 2012, p. 40‑41), sans adhérer à leur plus ou moins grande valeur sociale. La perspective de la sociologie du travail permet d’envisager une division sociale du travail pédagogique hiérarchisée, qui évolue et se reconfi-gure au cours du temps, au travers des rapports sociaux qui se tissent entre ces différentes ca-tégories de travailleurs et les entrepreneurs de normes (Hughes, 1996 ; Cartier, 2005).

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Introduction

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1. 4. Une définition extensive du langage

Le langage est considéré de manière extensive en s’inspirant de l’ethnographie de la com-munication (Gumperz, Hymes, 1986 ; Heath, 1983), d’où la prise en compte des diverses ma-nifestations du langage dans les situations sociales. Il est défini comme : pratique sociale par laquelle les individus communiquent et signifient entre eux et pour eux-mêmes, avec ou sans la médiation d’artéfacts.

De manière générale, on constate que les travaux de recherche en sciences sociales qui pren-nent le langage pour objet d’étude ne le définissent pas toujours. Mais surtout, le périmètre de ce qui peut être langage peut varier considérablement. À un pôle, une acception très large du langage, par exemple, comme « construction émanant de la co-présence des individus dans leur environnement, et liée à leurs capacités cognitives et physiologiques de gérer l’espace-temps interactif. » (Guaïtella, 2013, p. 13). À un autre, une définition restrictive, tel le langage de la linguistique saussurienne : un système formel de signes linguistiques ayant sa logique propre. Plusieurs auteurs ont critiqué cette autonomisation du langage des situations sociales où il est produit, et B. Lahire montre qu’il est l’idéal-type du langage scolaire réifié (Volochinov, 1977 ; Bourdieu, 1980 ; Lahire, 1993 ; 2001c/1998). La définition retenue est donc plus proche de la première. Elle ouvre le langage aux interactions les plus diverses ou encore aux significations non linguistiques et donc au corps dans le langage. Elle appréhende aussi les objets pris dans les pratiques langagières (e. g. objets de la culture écrite, objets de la cul-ture ludique et fictionnelle de l’enfance). L’enquête a donc appréhendé les productions lan-gagières en saisissant les paroles, mais aussi les productions signifiantes du corps et toutes les interactions faisant intervenir des objets (matériels et symboliques) influençant le langage (e. g. les dessins animés, les jeux symboliques, les devinettes, les musées), parmi lesquels de nombreux supports d’écrits (e. g. les livres, les cahiers d’activités, les jeux de lettres, les cartes de géographie). Enfin, partir de cette définition large du langage permet de définir les primes socialisations langagières en s’inspirant des travaux et des réflexions du courant des

Lan-guage Socialization Studies (Schieffelin, Ochs, 1986 ; Duranti et al., 2014). La prime socialisation langagière est définie comme : processus par lequel les jeunes individus sont socialisés au langage et par le langage dans diverses sphères du monde social, afin d’en acquérir les sa-voir-faire et les dispositions qui y sont socialement définis. L’enquête a donc cherché à saisir les quatre instances socialisatrices à la fois d’un point de vue synchronique (observer les

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in-Introduction

16 fluences conjointes) et diachronique (observer une évolution pour décrire une socialisation en train de se faire).

1. 5. Le périmètre de la recherche

La population au cœur de l’enquête est constituée par les enfants en âge d’être scolarisés à l’école maternelle (de 2 à 6 ans). Mais pour appréhender leur socialisation langagière, il a aussi fallu enquêter auprès des agents de leur socialisation verticale : directement auprès des agents scolaires et des parents ; indirectement à travers leurs pratiques et les récits enfantins et paren-taux pour saisir l’influence de l’industrie culturelle. En arrière-plan, il a fallu identifier les groupes sociaux qui façonnent les normes de la pédagogie et de l’acculturation langagière à l’école maternelle, les situer et les caractériser socialement, et collecter leurs discours pour l’analyse. La recherche se limite au cas français, à la différence de nombreuses recherches étu-diant les institutions éducatives de la petite enfance (e. g. Plaisance, Rayna, 1997 ; Rayna, Brou-gère, 2010 ; Garnier, 2016). L’exploration sociohistorique se concentre sur les XIXe et XXe siècles,

période où se forgent les institutions et les formes sociales qui socialisent aujourd’hui la petite enfance (famille resserrée, école, puériculture, industries culturelles, etc.), et où prennent racine les définitions du jeune enfant langagier qui se cristalliseront au XXe siècle. Pour la période

contemporaine, la recherche prend en compte des enfants utilisant la même langue (le français) dans les divers contextes de leur socialisation. L’analyse des socialisations familiales se centre sur les agents les plus influents dans les familles (en général la famille du foyer : mère, père, enfants). La famille plus élargie (grands-parents, oncles et tantes, cousins cousines, parrains marraines, etc.) est prise en compte quand elle a un rôle central, mais elle est plus souvent évo-quée sur des cas et des situations ponctuels sans faire l’objet d’une analyse en tant que telle. Enfin, la recherche appréhende les variations sociales entre enfants, entre familles, entre groupes sociaux et professionnels, mais les variations entre individus et pratiques au sein du groupe enseignant ou du groupe Atsem ne sont pas au centre de l’analyse et ne font pas l’objet d’un développement en tant que telles.

2. Présentation de l’enquête

Pour mettre au jour les résultats de cette recherche, l’enquête s’est déroulée sur plusieurs scènes sociales : une scène historique, qui reconstitue l’invention du jeune enfant langagier ; la scène scolaire, où se déroulent une socialisation verticale plurielle et une socialisation

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horizon-Introduction

17 tale entre enfants ; enfin, les familles de diverses conditions sociales, instances primordiales des primes socialisations. Deux enquêtes ont été conduites parallèlement : une enquête sur docu-ments et une enquête ethnographique. Cette section fait une présentation générale de l’enquête ethnographique : sa structure et les matériaux collectés. La méthode de collecte et de traitement du matériau de ces deux enquêtes, documentaire et ethnographique, est détaillée dans la note méthodologique présentée à la suite de l’introduction.

L’enquête a porté sur : 5 écoles et 15 classes enquêtées pendant 1 à 4 années scolaires ; 270 heures, sur 57 jours d’observations ; l’observation de 153 enfants, 12 enseignants et ensei-gnantes, 15 Atsem et 2 intervenantes ; 62 entretiens auprès de 58 enfants ; 34 entretiens au-près de 30 agents scolaires (19 enseignants et enseignantes, 9 Atsem, 2 intervenantes) ; 35 entretiens aux domiciles de 23 familles ; collecte de documents scolaires (travaux d’enfants, documents d’enseignants, listes, matériel, affichages, etc.), représentant environ 5000 photo-graphies et quelques dizaines de photocopies. Deux temps composent cette enquête, reliés par une même perspective de recherche : une préenquête et une enquête longitudinale. Le Tableau 1, p. 18 et le Tableau 2, p. 19 détaillent les terrains et les matériaux recueillis.

La préenquête, antérieure à la recherche doctorale, a été réalisée en 2010 et 2011 dans le cadre d’un mémoire de master (Montmasson-Michel, 2011 ; 2016). Elle était centrée sur la socialisa-tion scolaire et celle-ci se focalisait sur les enseignants. Elle portait sur 3 classes, situées dans 3 écoles à recrutements sociaux diversifiés. Elle décrivait le langage entre pairs, hétérodoxe au langage scolaire, et étudiait leur rapport antagoniste, générateur de différenciation et d’inégalités sociales. À l’issue de cette première enquête, des perspectives se sont dessinées pour prolonger cette recherche dans le cadre d’une thèse appréhendant les primes socialisa-tions langagières plurielles : comparer des écoles aux configurasocialisa-tions sociales différentes ; approfondir l’examen de la socialisation scolaire (recueillir plus de matériau, le diversifier pour éclairer plus d’aspects, prendre en compte la contribution des Atsem) ; porter une atten-tion plus grande aux formes féminines du langage entre pairs et au rapport social de sexe dans l’entre-soi enfantin ; examiner si des formes écrites ou des logiques du langage scolaire circulent et s’apprennent entre pairs ; enquêter dans les familles pour appréhender la cons-truction familiale des ressources langagières ; inscrire l’enquête dans une approche longitu-dinale pour saisir les dispositions en construction (Darmon, 2013).

(27)

Introduction

18

Terrains Enquêtés Matériaux bruts

P en q u êt e

École des vergers Année 2009-2010, mars 2010

Aubigné, commune rurale de 611 habitants au recensement 2009*

RPI (regroupement pédagogique intercommunal) à 3 classes

Recrutement social diversifié, plutôt populaire

Observations 1 classe (GS-CP) 16 enfants de GS 1 enseignante 1 Atsem Entretiens 1 enseignante 7 enfants 90 pages de notes 118 photographies** 17 séquences sonores*** 8 entretiens enregistrés École Lamartine Année 2009-2010, avril 2010

Amberre, commune de 5150 habitants au recen-sement 2009*, située dans l’espace métropolitain de la ville de Malmon

École maternelle à 2 classes Recrutement social diversifié

Observations 1 classe (PS-MS) 12 enfants de MS 1 enseignante 1 Atsem Entretiens 1 enseignante 5 enfants 69 pages de notes 112 photographies** 8 séquences sonores*** 6 entretiens enregistrés

École Jules Vernes Année 2010-2011, nov-déc 2010 Rochevent, commune de bourg rural de 1933 habitants au recensement 2009*

École primaire (maternelle + élémentaire) à 5 classes dont 2 maternelles

Recrutement social diversifié

Observations 1 classe (GS) 19 enfants de GS 1 enseignante 1 Atsem Entretiens 2 enseignantes 16 enfants 247 pages de notes 1767 photographies** 28 séquences sonores*** 18 entretiens enregistrés E n q u êt e lo n g it u d in al e

École Louise Michel Années 2011-2015, 4 années scolaires Malmon, ville moyenne de 60 484 habitants au recensement 2009*

École maternelle à 3 classes

Recrutement très majoritairement populaire (éducation prioritaire) Observations 5 classes (de la TPS à la GS) 52 enfants de la TPS à la GS 10 « enquêtés privilégiés » 3 enseignantes 6 Atsem 1 intervenante Entretiens 8 enseignantes 4 Atsem 2 intervenantes 15 enfants 9 familles 427 pages de notes 5768 photographies** 144 séquences sonores*** 45 entretiens enregistrés École de la vallée

Années 2012-2015, 3 années scolaires Beaulieu, bourg rural périurbain (20 km de Mal-mon) de 5379 habitants au recensement 2009* École maternelle à 7 classes dans le groupe sco-laire unique de la commune

Recrutement social diversifié, tendanciellement bourgeois (cat. int. et sup. surreprésentées)

Observations 7 classes (de la PS à la GS) 54 enfants de la TPS à la GS 15 « enquêtés privilégiés » 6 enseignantes et enseignants 6 Atsem Entretiens 7 enseignants et enseignantes 5 Atsem 15 enfants 14 familles 388 pages de notes 9681 photographies** 165 séquences sonores*** 54 entretiens enregistrés E n se m b le

5 écoles à recrutement social diversifié (2 rurales, 2 urbaines, 1 périurbaine)

Préenquête en 2010 et 2011 (2 années scolaires, 3 écoles) Enquête longitudinale de 2011 à 2015

(3 et 4 années scolaires, 2 écoles)

Observations 15 classes (de la TPS à la GS) 153 enfants de la TPS à la GS 25 « enquêtés privilégiés » 12 enseignantes et enseignants 15 Atsem Entretiens 19 enseignants et enseignantes 9 Atsem 2 intervenantes 58 enfants (MS et surtout GS) 23 familles 1221 pages de notes 15 679 photographies** 362 séquences sonores*** 131 entretiens enregistrés

Tableau 1 : Terrains et matériaux de l’enquête ethnographique.

TPS : toute petite section (2 - 3 ans) ; PS : petite section (3 - 4 ans) ; MS : moyenne section (4 - 5 ans), GS : grande section (5 - 6 ans) * Données Insee. ** scènes scolaires (environ 2/3), documents (environ 1/3), photographies lors des entretiens (environ 300 au total) *** enregistrées en conditions « naturelles » pendant l’observation.

(28)

Introduction 19 Éte nd ue de l’e nq uê te (e n ann ée s s col aire s) Observations Entretiens C la ss es (e nf ants )* Ens eign ants A ts em D u ré e en he ure s ; en jo ur s Ens eign ants ** (nb entr et ie ns) A ts em (nb entr et ie ns) In te rve n antes la n-ga ge *** (nb entr et ie ns) Enf ants (nb entr et ie ns) Fa m ill es (nb entr et ie ns) Préenquête (écoles des vergers,

Lamatine, Jules Vernes) 1 an

3 (47) 3 3 93 14 4 (4) / / 28 (28) Enquête longitudinale

École Louise Michel 4 ans

5 (52) 3 6 85 21 (10) 8 4 (4) 2 (2) 15 (19) 9 (10) Enquête longitudinale

École de la vallée 3 ans

7 (54) 6 6 92 22 7 (8) 5 (6) / 15 (15) 14 (25) Total 1 à 4 ans 15 (153) 12 15 270 57 (22) 19 9 (10) 2 (2) 58 (62) 23 (35)

Tableau 2 : Observations et entretiens de l’enquête ethnographique.

* Nombre total d’enfants saisis par l’enquête dans ces classes : un groupe dans les classes de l’école des vergers et de l’école Lamartine, toute la classe dans les autres classes, sachant que les enfants fréquentent successivement plusieurs classes à l’école Louise Michel et à l’école de la vallée. ** Enseignants et enseignantes des classes observées, et parfois d’autres classes, ainsi que « soutien langage », « plus de maîtres que de classe », spécialisées (maîtresses E du RASED, Réseau d’aide et de suivi pour les enfants en difficulté). *** Dispositif « Coup de pouce langage », financé par la Ville sur le temps périscolaire.

La deuxième phase de l’enquête, réalisée dans le temps de la thèse, est donc une ethnographie longitudinale (on observe les enfants de leur première à leur dernière année d’école) dans deux écoles maternelles à recrutements sociaux contrastés : pendant 4 ans à l’école Louise Michel, située en éducation prioritaire dans la ville de Malmon (environ 60 000 habitants), à recrute-ment très majoritairerecrute-ment populaire ; pendant 3 ans à l’école de la vallée, sur le même terri-toire, dans le bourg de Beaulieu (environ 5 500 habitants), où les catégories intermédiaires et supérieures sont surreprésentées alors que les catégories populaires sont sous-représentées (environ 1/3 de familles de chaque catégorie : populaire, intermédiaire, supérieure). Dans l’optique d’une enquête longitudinale, l’entrée sur le terrain s’est faite dans chaque école dans la classe des plus jeunes enfants, puis le groupe a été suivi dans la classe suivante et ainsi de suite. Mais dans les faits, rares sont les enfants qui ont pu être suivis sur tout leur cursus : les groupes classes ne sont pas stables d’une année à l’autre et peuvent se scinder ; certains enfants s’absentent, déménagent et d’autres arrivent ; et les autorisations d’enquêter peuvent varier pour une même famille d’une année à l’autre. Si bien que la longitudinalité n’est pas systéma-tique ni régulière : il ne s’agit pas d’un suivi de cohorte sur le modèle des enquêtes

Figure

Tableau 1  : Terrains et matériaux de l’enquête ethnographique .
Tableau 2  : Observations et entretiens de l’enquête ethnographique .
Figure 1  : Évolution de la mortalité infantile, d’après Pison, 2010
Figure 2 : Entrée des enfants, asile modèle Cochin,  1844. Musée national de l ’ éducation, Rouen
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