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La thèse interroge le primat scolaire du langage d’un double point de vue. Enfances du lan-

gage : les enfants doivent apprendre un langage scolaire pensé au singulier, mais vivent des

enfances différenciées. Comment ces enfances sont-elles saisies par la norme du langage sco- laire ? Langages de l’enfance : un langage institué est destiné à tout un groupe d’âge, la pe- tite enfance, mais il n’est pas leur seul langage, car d’autres coexistent. Quels sont les lan- gages de l’enfance et quels rapports entretiennent-ils ? Enfances du langage et langages de

l’enfance : en prenant pour objet les primes socialisations langagières, la thèse étudie la so-

cialisation plurielle et la différenciation sociale de la petite enfance scolarisée.

L’analyse sociohistorique montre que le primat du langage à l’école maternelle vient d’une attention sociale au jeune enfant qui, après s’être portée sur son corps fragile, a investi ses productions symboliques, révélées par une « science de l’enfant » ethnocentrique. Progressi- vement, le jeune enfant devient un « objet culturel » (Chamboredon, Prévot, 1973). Au XIXe

siècle, ce processus se situe dans les fractions instruites et dominantes de la bourgeoisie et de l’aristocratie, et les femmes de ces milieux investissent la petite enfance. Une première péda- gogie du langage s’invente, au moins idéalement, dans l’école maternelle de la IIIe Répu-

blique, qui voulait former un citoyen raisonnable. Mais c’est dans la deuxième moitié du XXe

siècle que le langage devient une question scolaire, quand le problème social de l’« échec scolaire » surgit avec la massification. Un champ d’intervention professionnelle (Morel, 2010) se constitue et impose des contenus et des pratiques légitimes. Entrepreneur de la littératie précoce, il véhicule les normes pédagogiques et les attentes de la bourgeoisie cultivée autour d’un « client idéal » (Becker, 1997/1952) : une définition élitiste du jeune enfant, qui présup- pose son autonomie politique et cognitive (Lahire, 2007a/2005). L’enquête ethnographique décrit des primes socialisations plurielles à la rencontre de plusieurs instances et leurs pro- duits socialement différenciés : l’acculturation scolaire, la socialisation entre pairs, les sociali-

3 Les annexes A, B, C appartiennent au document principal (respectivement : chronologie, index des enquêtés,

index des sigles), elles accompagnent la lecture du texte. Les annexes numérotées (1 à 15) dans le document à part présentent les pièces complémentaires à l’appui du travail de la recherche.

Introduction

22 sations familiales, la culture matérielle et symbolique de l’enfance (i. e. culture ludique et fictionnelle, culture graphique, alphabétique et lectorale, « traditions scolaires », culture légi- time). Elle dévoile comment l’inégale distribution de ces produits langagiers structure des rapports sociaux (de classe, de genre) entre enfants dans l’école maternelle au croisement de l’acculturation scolaire et d’un langage entre pairs. L’enquête conclut à la reconfiguration des fonctions différentielles de l’école maternelle (Chamboredon, Prévot, 1973) autour d’un curri-

culum réel, duquel une partie des milieux populaires est proche, et d’un curriculum caché,

secondarisé (Goigoux, Bautier, 2004). Celui-ci est l’apanage des milieux dotés en ressources scolaires et l’objet légitime du champ d’intervention professionnelle. Finalement, la thèse montre que la priorité accordée au langage à l’école maternelle au nom de la réduction des inégalités scolaires perpétue la domination scolaire. Elle se réalise par la domination péda- gogique que les entrepreneurs et entrepreneuses de normes exercent sur les agents des primes socialisations.

Le propos s’organise donc autour du triptyque normes – pratiques – rapports sociaux, dont les trois composantes seront toujours saisies ensemble, en privilégiant l’une ou l’autre dans l’analyse. Le texte se compose de trois parties et de six chapitres. La première partie est une sociohistoire qui s’appuie sur l’enquête documentaire. Dans le triptyque, elle prend les normes comme objet privilégié de l’analyse et montre L’invention du jeune enfant langa-

gier dans les fractions dominantes et cultivées de la société et la manière dont elle s’est ré- fractée dans l’école. Dans le chapitre I, elle examine d’abord comment la société s’est préoc- cupée de Cultiver la petite enfance, au sens de maintenir les enfants en vie puis de faire du jeune enfant un sujet, objet culturel et être de langage. Puis le chapitre II étudie la transposi- tion de cette définition sociale dans l’institution scolaire quand la société s’est préoccupée de

Scolariser la petite enfance. De la salle d’asile à la IIIe République qui a institué l’école ma-

ternelle, jusqu’à l’école maternelle secondarisée d’aujourd’hui, l’analyse retrace ce processus au travers des groupes sociaux et des acteurs – principalement des actrices – qui ont fondé l’institution et ses normes. La deuxième partie se focalise plus spécifiquement sur les pra- tiques, et plonge dans l’enquête ethnographique en examinant la socialisation scolaire : À

l’école du langage. Une double socialisation. Le chapitre III est consacré à L’acculturation

scolaire, décrite dans ses différentes dimensions, avec ses acteurs et actrices multiples (en-

Introduction

23 décrit Le langage entre pairs. Il montre comment il s’apprend dans et par la pratique et en décrit les propriétés sociales et cognitives, les variations, et son articulation socialement dif- férenciée à l’acculturation scolaire. Enfin, la troisième partie prend l’entrée des rapports so- ciaux pour examiner les pratiques et les normes, en croisant des apports de l’enquête docu- mentaire et de l’enquête ethnographique : Primes socialisations langagières et rapports so-

ciaux. Dans un premier temps, le chapitre V sort de l’école et poursuit l’exploration ethno- graphique en décrivant Les fabriques familiales du jeune enfant langagier, jusque dans les milieux populaires : l’école maternelle externalise son curriculum mais elle ne le voit pas. Mais des pratiques relevant d’un curriculum caché, secondarisé, font également la différence au bénéfice des familles dominantes culturellement. Enfin, le chapitre VI montre en quoi le travail du jeune enfant langagier est pris dans La domination pédagogique exercée par des entrepreneurs et des entrepreneuses de la littératie précoce sur les acteurs et les actrices des primes socialisations langagières.

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Note méthodologique

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