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Toutes les drogues interdites bientôt autorisées ? (2)

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1788 Revue Médicale Suisse www.revmed.ch 22 septembre 2010

actualité, info

Toutes les drogues interdites   bientôt autorisées ? (2)

Continuons l’analyse des différents termes de l’équation – médicale, politique et écono- mique que soulève l’émergence du question- nement sur la dépénalisation/légalisation des produits psycho-actifs aujourd’hui illi- cites 1 (Revue médicale suisse des 1er et 15 sep- tembre). Mais comment pourrait-on mener cette analyse sans effectuer un retour vers le passé ? Qui – hors les historiens et les socio- logues spécialisés dans ce domaine –- sait qu’il y a moins d’un siècle toutes les «dro- gues» étaient autorisées à la vente et à la consommation dans un monde qui n’avait de cesse de s’industrialiser ; du moins toutes les drogues existant à une époque où la chi- mie de synthèse n’avait pas encore envahi ce champ. L’affaire est parfaitement exposée dans un savant et dérangeant petit ouvra ge 2 signé Henri Bergeron, sociologue chercheur à Sciences Po (Paris) et au Centre de sociologie des organisations du Centre national fran- çais de la recherche scientifique.

L’auteur nous explique que les substances psycho-actives ont au fil des siècles régulière- ment changé de statut, passant fréquemment d’une fonction ou d’un usage à un autre.

Ainsi le café, l’alcool, l’opium, l’héroïne ou le cannabis ont-ils successivement été perçus

comme des médecines, des aliments, des sup- ports de fêtes ou de rituels religieux, voire comme des poisons. On a oublié que le café et le tabac furent longtemps considérés com- me des remèdes facilitant la digestion et la

«purification» de l’organisme ainsi que des moyens de stimulation de l’activité intellec- tuelle et «d’affûtage» des sens et de la vigi- lance. «Le développement de leur usage aux XVIIe et XVIIIe siècles est ainsi intimement lié à celui de la société de cour en ce qu’ils en étaient un ingrédient essentiel de la conver- sation pratiquée dans les salons, rappelle Henri Bergeron. L’opium, les toniques, l’al- cool de mélisse, le laudanum et même l’ab- sinthe servaient à traiter sélectivement la douleur physique ou morale, la fatigue ou la neurasthénie.»

L’auteur précise que l’opium connaissait tout particulièrement un très large spectre de possibilités d’utilisation (contre la fièvre, les maux d’estomac ou les rhumatismes).

Quant à l’héroïne, synthétisée pour la pre- mière fois à partir de la morphine en 1874 par C. R. Alder Wright au St Mary’s Hospital de Londres (puis de nouveau synthétisée en 1898 par Heinrich Dreser, un chimiste allemand travaillant pour Bayer), elle fut utilisée com me

antituberculeux. «Héroïne» (de l’allemand heroisch «héroïque») car tenue pour être de nature à soigner l’addiction à la morphine...

elle-même proposée comme un substitut à l’opium. Elle était aussi vendue librement en pharmacie comme pilule antitussive, anti- asthmatique, voire comme somnifère pédia- trique. C’était l’époque, nous dit encore Henri Bergeron où Freud (Sigmund) conseillait la cocaïne pour traiter l’hystérie, la neurasthénie et les troubles digestifs. Et l’on sait qu’aujour- d’hui de nombreuses initiatives visent à réin- tégrer le cannabis dans la pharmacopée au rayon, notamment, des antalgiques.

En fait, l’essentiel dans ce domaine n’est pas tant dans les tâtonnements quant à l’usa ge thérapeutique que l’on pouvait faire de telle ou telle substance dont on n’avait pas saisi le potentiel d’assuétude. Il est – précisément du fait de ce potentiel – dans le phénomène grandissant de l’échappement de l’usage de ces substances des cadres culturel, religieux ou professionnel. Pour Henri Bergeron com me pour d’autres sociologues ou historiens, cette

«grande division» commence dès la moitié du XIXe siècle. «L’usage régulier, puis com- pulsif, en dehors de tout contexte thérapeu- tique (ou échappant à l’encadrement théra- peutique dans lequel le produit avait été pres- crit) commence à se développer, écrit l’auteur.

Ce qui se constitue en intoxication iatrogé- nique alerte les médecins sur les dangers que recèleraient certains produits.» Où l’on voit que le corps médical n’est nullement étranger au phénomène de la «toxicomanie», terme qui apparaît dans le vocabu- laire (médical) vers 1880, pathologie exogène causée par l’introduction in- tra corporelle d’une sub stance.

Et le corps médical est toujours là avec la mise au point de la seringue hypodermique (pour injecter la mor- phine) qui aurait, sem ble-t-il, été l’un des vecteurs expliquant la rapide augmentation du nombre des toxi- comanes. Elle permet de soulager les patients immédiatement, procurant ainsi un sentiment de toute puissan- ce aux médecins souligne Henri Ber- geron qui ajoute aussitôt : «Le déve- loppement d’un usage intensif (de substances psycho-actives) dans cer- taines catégories sociales, comme les ouvriers et les pauvres, marque éga- lement le début d’une volonté (es- sentiellement exprimée au départ par la corporation médicale) si ce n’est d’une prohibition ou d’une interdic- tion, du moins d’une distinction rai- sonnée par la médecine entre ce qui soigne et ce qui met en danger, et point de vue

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Revue Médicale Suisse www.revmed.ch 22 septembre 2010 1789 d’un contrôle plus strict des prescriptions.»

«Faire la part entre ce qui soigne et ce qui met en danger…». Subtil équilibre bien déli- cat à trouver. Equation première de santé publique à partir de laquelle tout découlera, de la prohibition jusqu’aux problématiques d’aujourd’hui. Tout ceci se passe alors dans une société occidentale ivre de s’industrialiser à grande vitesse. Séparer et contrôler dans un paysage hautement mouvant : progrès des techniques et des savoirs médicaux et chi- miques ; augmentation des capacités indus- trielles de production des médicaments ; dé- veloppement du commerce international et de l’essor économique. La menace d’un nou- veau péril prend corps à ce stade de la révo- lution industrielle. Aussi faut-il trancher. Et, de fait, on tranche : d’un côté, les aliments (café, thé, chocolat) et les usages raffinés, hautement socialisés (tabac, boissons alcoo- lisées) ; de l’autre, les «drogues» dont les con- sommateurs ne cesseront plus, dès lors, d’être stigmatisés.

(A suivre)

Jean-Yves Nau jeanyves.nau@gmail.com

1 Books ; l’actualité par les livres du monde. Numéro daté septembre 2010. www.booksmag.fr

2 Bergeron H. Sociologie de la drogue. Paris : Editions La Découverte ; Collection Repères, 2009. ISBN : 978-2- 7071-3869-9

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