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Preprint submitted on 3 Mar 2020
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Les robots sexuels : Objets auto-érotiques, fétiches ou nouvelle forme d’objets transitionnels pour adultes ?
Bertrand Tondu
To cite this version:
Bertrand Tondu. Les robots sexuels : Objets auto-érotiques, fétiches ou nouvelle forme d’objets tran-
sitionnels pour adultes ?. 2020. �hal-02497286�
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Les robots sexuels : Objets auto-érotiques, fétiches ou nouvelle forme d’objets transitionnels pour adultes ?
Bertrand Tondu
Université Fédérale de Toulouse, INSA, Campus de Rangueil, 31077 Toulouse email : bertrand.tondu@insa-toulouse.fr
Résumé : Comment caractériser le statut objectal du robot sexuel ? Bien que son anthropomorphisme global, fondé sur son hyper-réalisme, lui confère une réalité incontestable, nous cherchons à montrer que son mode d’existence est flottant soit comme dispositif auto- érotique dont le rôle serait de fermer le corps du sujet sur lui-même de manière plus élaborée que par l’usage d’un sex-toy ou d’une sex-machine ; soit, encore, comme fétiche lorsqu’il s’agit d’une sex doll privée de ses organes génitaux, figure muette a-sexuée qui renvoie, notamment, le sujet masculin à ses rêveries de femme inaccessible et donc intouchable ; soit, enfin, comme objet transitionnel, touchable, soignable, ré-confortable mais qui place le sujet dans une zone d’illusion où, selon les termes mêmes de Winnicott, le sujet est mis en danger de démence.
Abstract : How to characterize the object status of the sex robot? Although its global anthropomorphism, based on its hyper-realism, gives it an indisputable reality, we seek to show that its mode of existence is floating either as an auto-erotic device whose role would be to close the subject's body on itself- even in a more elaborate way than by the use of a sex toy or a sex machine; or, again, as a fetish when it comes to a sex doll deprived of its genitals, dumb a-sexual figure which refers, in particular, the male subject to his dreams of an inaccessible and therefore untouchable woman; or, finally, as a transitional, touchable, treatable, re-comfortable object that places the subject in an area of illusion where, according to Winnicott's very words, the subject is in danger of dementia.
Le terme de robot appartient, à la fois, au domaine de la science-fiction, depuis sa
création par Karel Capek et sa popularisation par Isaac Asimov, et au domaine de la technologie
depuis l’apparition des premiers-télémanipulateurs après la seconde guerre mondiale et
l’introduction des robots industriels dans les usines automobiles, notamment, aux alentours des
années 1980. Ces deux réalités, littéraire d’une part, technologique et industrielle d’autre part,
se sont progressivement disjointes avec les avancées de la robotique scientifique. Le concept
de robot sexuel a récemment remis en cause la séparation entre ces deux modalités,
fantasmatique et technique : le robot sexuel peut, en effet, être perçu comme un dispositif
technologique qui réaliserait la fiction de l’amant/amante artificiel/le telle qu’on la rencontre
dans certaines scènes de Barbarella imaginées par Jean-Paul Forest (Fig. 1). Techniquement
parlant, le robot sexuel est encore loin de pouvoir prétendre aux performances dignes des éloges
de l’héroïne Barbarella, mais la technologie robotique est suffisamment présente dans nos
sociétés pour que le fantasme s’installe ; ainsi, au tournant des années 2010, la société
2 américaine True Companion annonçait, sur son site web de l’époque, avoir conçu Roxxxy, pour sa version féminine, et Rocky, pour sa version masculine, deux robots humanoïdes censés pouvoir devenir de véritables « loving friends » ; « She can even have an orgasm », précisait le site. La présence de Roxxxy au salon Adult Entertainment Expo de Las Vegas, en 2010, a suscité un véritable intérêt médiatique – voir, par exemple, Svensson (2010) – bien que certains experts n’y voyaient que supercherie (Levy, 2013).
Figure 1. Le robot sexuel Barbarella (redessiné d’après l’image originale de la bande dessinée de J.-C. Forest reprise par Jasia Reichardt (1978, page 82).
Toujours est-il que la possibilité d’un tel marché, comme l’apparition, cette fois-ci indéniable, du marché des « sex dolls », dont nous préciserons plus loin les spécificités, ont entraîné de larges débats entre opposants radicaux à cette nouvelle forme de technologie sexuelle, à travers, par exemple, le mouvement féministe anti-robots sexuels initié par Kathleen Richardson (2016) et optimistes béats qui envisagent très sérieusement de pouvoir se marier dans un futur proche avec un robot sexuel (Levy, 2007). Récemment, un certain nombre de philosophes et spécialistes de l’éthique ont abordé la question du consentement entre humains et robots sexuels (Danaher et McArthur, 2018) et les conséquences d’un usage des robots sexuels sur les tendances masculines au viol et à la pédophilie (Danaher, 2014).
Ces études sont, généralement, le fait de non-roboticiens pour qui le robot sexuel est une
machine postulée plutôt que réalisée et même réalisable : David Lévy, l’auteur même du livre
de référence Love+Sex with Robots n’est pas roboticien mais spécialiste du dialogue
homme/robot. Au-delà de la difficulté à prédire le futur d’une telle technologie robotique, les
analyses éthiques proposées laissent de côté toute question psychologique dans la possible
relation humain-robot sexuel du fait, notamment, d’un manque de données de terrain et d’un
certain désintérêt des psychologues pour un domaine encore mal cerné. Cet article a pour
3 objectif de tenter de définir un cadre d’étude psychologique de ce que l’on pourrait oser appeler une robotique sexuelle à partir de ce qu’elle est actuellement. Pour ce faire, nous proposons de privilégier une lecture analytique de la relation humain/robot faisant appel aux notions d’auto- érotisme, de fétichisme et d’objet transitionnel. Mais, auparavant, du fait d’un certain flottement actuel sur la définition du robot sexuel, nous allons tout d’abord chercher à la préciser.
1. L’anthropomorphisme global du robot sexuel :
Alors que les dispositifs de satisfaction sexuelle, communément appelés sex toys, se
limitent, généralement, à des outils d’excitation génitale (vibro-masseur, etc…), ou à des
dispositifs mimant les organes génitaux (godemiché, buste moulé incluant un orifice vaginal,
etc…), le concept de robot sexuel se veut être une représentation globale du corps humain et
c’est là sa profonde originalité. On peut, dans ce contexte, opposer un anthropomorphisme
global, propre aux robots sexuels qui prennent l’apparence d’un véritable être humain, de sexe
féminin ou de sexe masculin, à un anthropomorphisme local des sex-toys mimant une sphère
génitale plus ou moins étendue, voire au non-anthropomorphisme d’un certain nombre d’entre
eux, dont le plus marquant est sans doute le vibro-masseur auquel Rachel Maines (1999) a
consacré un livre pour en décrire l’évolution technique tout au long du XXème siècle. Cette
opposition a été, selon moi, trop peu soulignée dans la réflexion sur la nouvelle place que
cherche à prendre la robotique sexuelle au sein des technologies dites sexuelles. Rappelons que
la technologie des machines et, plus particulièrement, celles destinées à remplacer l’homme
dans ses tâches quotidiennes, se sont, pour des raisons d’efficacité, progressivement éloignées
de l’anthropomorphisme : le cas de la machine à laver est particulièrement frappant de ce point
vue là – voir, par exemple, le travail classique de Giedion (1970). Et c’est, d’une certaine
manière, parce qu’il est particulièrement difficile de concevoir une main robotisée que le vibro-
masseur substitue au mouvement de caresse du doigt sur le clitoris un simple système de
vibration, voire une stimulation sans contact avec les nouveaux modèles développés par la
société womanizer avec, pour conséquence, une efficacité qui peut même s’avérer supérieure à
celle de la main humaine (Prause et al., 2012) ; certains dispositifs assurent même des modes
d’excitation difficilement réalisables lors du coït, comme la double stimulation clitoridienne et
vaginale réalisée par le fameux rabbit, popularisé par la série Sex and the City. Ce que l’on
appelle sex-machine est un autre exemple particulièrement intéressant de renoncement à
l’anthropomorphisme pour faire, à moindre coût, mieux que le corps humain. Une sex-machine,
dont nous proposons Fig. 2 un schéma fonctionnel, est, d’une certaine manière, un anti-robot
sexuel : le mouvement de va-et-vient de son godemiché est produit par un système bielle-
4 manivelle – archétype s’il en est du génie mécanique humain – entraîné par un simple moteur électrique dont la vitesse réglable assure pour son utilisateur/utilisatrice le contrôle du rythme.
Les quelques robots sexuels mâle du commerce, comme le robot Henry de la marque Realbotix (https://www.realdoll.com), ou les robots plus frustes que l’on peut trouver sur le site alibaba, proposent l’usage d’un pénis artificiel en érection mais celui-ci ne peut, pour le moment tout au moins, être animé d’un mouvement coïtal tant un tel mouvement chez l’homme engage en fait tout le système musculo-squelettique pour combiner la maîtrise d’un mouvement d’avant en arrière tout en assurant l’équilibre du corps, chose d’autant plus difficile si la surface des support est mouvante. La sex-machine, en combinant rigidité et précision de son mécanisme rigide avec la souplesse du godemiché, réussit cet exploit d’automatiser à faible coût un mouvement particulièrement intime et lui donne même une vigueur qu’aucun humain ne peut fournir, voir la possibilité de mouvements sexuels non prévus par la nature comme la quasi-surréaliste double pénétration proposée par certaines marques (voir, par exemple, le modèle proposé par la société Américaine Hismith).
Figure 2. Schéma fonctionnel d’une sex-machine : le système bielle-manivelle motorisé génère le mouvement de va-et-vient du godemiché que le sujet peut contrôler manuellement à la manière d’un télé-manipulateur.
D’une certaine manière, le défi de la robotique sexuelle consiste à réintroduire la forme humaine et, notamment, le visage humain au sein même de cette technologie sexuelle. Elle y parvient en tirant parti des possibilités actuelles de moulage de structures souples sur un squelette rigide articulé, dont la mise en position doit permettre de mimer différentes positions sexuelles. Cette variété des positions amoureuses du robot dépend, bien sûr, de la complexité articulaire propre au squelette du robot, qui varie selon les marques, mais, à l’exception de rares
système bielle-machine actionné par moteur électrique
godemiché
contrôle
manuel sujet récepteur
5 tentatives à l’efficacité douteuse, la motorisation de ces articulations en est toujours à l’état de projet. De ce point de vue, le robot sexuel s’apparente plus, mécaniquement parlant, à un mannequin d’atelier grandeur nature qu’aux robots humanoïdes actuels dont on sait combien il est toujours difficile de les faire marcher sans risque de chute, comme de les munir de mains aptes à mimer la diversité des prises humaines. Il est, cependant, intéressant de remarquer que, bien que le public visé soit essentiellement masculin, la passivité actuelle du robot sexuel peut finalement s’adapter aux deux sexes dès le moment où une position est choisie dans laquelle le robot joue le rôle du partenaire sexuel passif. La différence entre le robot sexuel et le mannequin d’atelier réside alors, d’une part, dans sa pseudo-enveloppe charnelle et, d’autre part, dans l’adaptation à cette enveloppe d’artéfacts d’organes génitaux dérivés de la technologie classique des sex-toys. Quant à l’apparence externe du robot sexuel dérive, elle dérive d’un certain art de la statue hyperréaliste profitant, dans les années 70-80, des nombreuses possibilités de moulage offertes par la diversité des caoutchoucs synthétiques pour mimer les nuances et la souplesse de la carnation humaine (Mat MacMullen, créateur de la société Abyss Creations, à l’origine des premiers robots sexuels Américains, est justement issu de ce courant artistique). Mais, à la différence d’une statue hyperréaliste, le robot sexuel n’est pas destiné – sauf peut-être dans un usage fétichiste que nous aborderons plus loin – à disposer d’un socle. Lourd de plusieurs dizaines de kilogrammes, et ne possédant pas actuellement d’autonomie de déplacement, il est finalement un objet qui, après avoir été monté s’il est livré en plusieurs pièces, ne peut reposer que dans une position avachie dans un canapé, ou allongée sur un lit. Son statut d’objet transitionnel, que nous étudierons également plus loin, ne serait pas sans lien avec ce manque de maintien. Deux approches s’opposent alors dans le développement de ces corps sexués artificiels : une première approche qui fait de cette immobilité la caractéristique essentielle d’un dispositif que l’on dénommera love doll – toujours au singulier – en référence aux love doll japonaises dont Agnès Giard (2016) a récemment fait une remarquable synthèse, une deuxième approche, que l’on pourrait qualifier de véritablement robotique, selon laquelle les difficultés actuelles de la robotique humanoïde finiront par être dépassées pour être adaptées à un robot sexué et qui, faute de pouvoir actuellement motoriser le robot-sexuel, cherche à lui donner la parole. La société Américaine Realbotix, branche de la société Abyss Creations, de MacMullen a été justement créée en 2017 « with the goal of integrating robotic components and artificial intelligence into high ended silicone dolls » (Lindroth, 2019). Harmony est le fruit d’une telle intégration d’intelligence artificielle dans un corps de love doll : présentée au public par son
« AI/content director », elle apparaît assise, répondant avec application aux questions qu’il lui
pose, en tournant légèrement la tête vers son interlocuteur (idem); Harmony peut aussi tirer la
6 langue mais elle ne peut pas se lever de sa chaise et encore moins suivre son propriétaire pour poursuivre cette discussion au lit. Le robot sexuel d’aujourd’hui soit donc se mure dans le silence de la love doll à la bouche définitivement close oi, dans l’attente d’être portée au lit, se fait bavarde sans que son interlocuteur-trice sache vraiment qui la pousse à maintenir le dialogue. Il y a dans ces robots sexuels quelque chose de l’Hadaly de L’Eve future (1886) au sujet de laquelle Villiers de l’Isle Adam écrivait, pour justifier les limites de la
“programmation” du dialogue avec son Andréide : “En vérité, tout, je vous assure, peut, absolument, répondre à tout : c’est le grand kaléidoscope des mots humains. Étant donnés la couleur et le ton d’un sujet dans l’esprit, n’importe quel vocable peut toujours s’y adapter en un sens quelconque, dans l’éternel à peu près de l’existence et des conversations humaines”
(page 187). Mais, même si Harmony ou les Japonaises les plus sophistiquées ne sont pas capables d’aller à la rencontre de Lord Ewald dans le parc de la propriété d’Edison pour lui déclarer un amour sincère (chapitre « Par un soir d’éclipse » du livre sixième de L’Eve future), elles imposent néanmoins à leur propriétaire une présence sensible dont l’acceptation – au sens de non-rejet comme un corps vivant ne rejette pas un implant – ne va pas de soi.
2. Au-delà de l’inquiétante étrangeté
C’est aux tous débuts de la robotique scientifique que Masharito Mori (1970) publie, en
Japonais, et dans l’une de ces revues que l’on dit obscures, un texte dont le titre
original « Bukini no tani gensho » est généralement traduit en anglais par « The uncanny
valley » et en français par « La vallée de l’étrange ». Dans ce texte, Mori défend l’idée selon
laquelle la présence d’une machine dont la ressemblance avec l’humain est trop poussée peut
provoquer un sentiment de malaise d’autant plus marqué que l’objet est mobile. Mori exprime
son intuition dans deux schémas qui dessinent, chacun, une « vallée de l’étrange » dont les
fonds sont, respectivement, marqués par deux figures de la répulsion : le cadavre dans le cas de
l’immobilité, le zombie dans le cas du mouvement (voir Fig. 3). C’est à l’occasion de la sortie
des premiers films d’animation entièrement numériques, comme Polar Express en 1984, qui
ont parfois provoquées de fortes réactions de rejet de la part du public comme de la critique,
que les idées de Mori, totalement oubliées jusqu’alors, ont refait leur apparition dans le domaine
scientifique et sont toujours discutées au sein de la communauté des spécialistes de robotique
humanoïde (Ho MacDorman, 2010), (Tondu, 2012). Curieusement, cette question d’un
éventuel sentiment de malaise suscité par la présence d’une structure artificielle hyper-
anthropomorphe ne semble guère avoir été prise en compte par les fabricants de robots sexuels
qui ne mentionnent pas ce risque sur leurs sites commerciaux. Une manière d’appréhender cette
7 apparente exception des robots sexuels à la théorie de Mori peut consister à rapprocher l’idée Japonaise de « Bukini no tani gensho » de la notion Jentscho-Freudienne d’« unheimliche ».
Nous avons gardé, dans le titre de cette section, l’expression française d’inquiétante étrangeté,
due à Marie Bonaparte, plutôt que l’expression d’« inquiétant » qui a été retenue dans la
nouvelle traduction de l’essai Freudien mais qui rend, selon nous, moins bien compte de cette
rencontre entre la pensée occidentale analytique et l’intuition de Mori. Rappelons l’une des
conclusions de l’essai de Freud (1919, page 184) dans sa nouvelle traduction française: « Notre
résultat s’énoncerait alors : L’inquiétant dans l’expression de vie se produit lorsque des
complexes infantiles refoulés sont ramenés à la vie par une impression, ou lorsque des
convictions primitives surmontées paraissent de nouveau confirmées » et, parmi les formes de
refoulés les plus intimes, la crainte de la mort occupe une place prépondérante : « Ce qui paraît
au plus haut degré inquiétant à beaucoup d’êtres humains est ce qui est en corrélation avec la
mort, les cadavres et le retour des morts, les esprits et fantômes » (idem, page 175). Dans ce
contexte, cadavre et zombie, au fond de la vallée de l’étrange, joueraient le rôle de figures du
refoulé particulièrement effrayantes. Cependant, toujours dans ce contexte Freudien, on
pourrait émettre l’hypothèse que la pulsion sexuelle ne serait pas troublée par le refoulé de la
peur de la mort car, pour l’homme tout au moins, elle serait fondée sur une volonté
fondamentale de transgression, que Freud a presque honte à nous avouer : « Ce que je vais dire
est déplaisant à entendre et au surplus paradoxal, mais on est pourtant forcé de le dire : pour
être, dans la vie amoureuse, vraiment libre et, par-là, heureux, il faut avoir surmonté le respect
pour la femme et s’être familiarisé avec la représentation de l’inceste avec la mère ou la sœur »
(Freud 1912, page 61). La violence subie par les robots sexuels est toujours soulignée avec
étonnement (voir plus loin, le cas de cet étudiant asiatique qui a abimé sa real doll comme s’il
avait voulu mimer une série de crimes sexuels). Le même phénomène se produit dans ce que
Giard appelle des « bordels de poupées » au sujet desquels elle écrit : « Il s’avère que les clients
reviennent rarement. L’état des « filles » les horrifie : elles sont couvertes d’égratignures, voire
pire » (page 105). Le porte-parole de la société Canadienne Aura Dolls, un bordel de poupée
directement inspiré de l’expérience Japonaise, souligne que son établissement est, notamment,
adapté à certains hommes frustrés avec des tendances violentes : « We try to focus on the fact
that since we have this service, for men who have these dark, violent fantasies, instead of putting
out the urge to act aggressively, they can do something like this which is safe for everyone »
(Da Silva, 2018). Celui ou celle qui assouvit sa pulsion sexuelle avec un robot ne serait donc
pas concerné par l’avertissement de Mori ; la transgression suspendrait le risque de retour du
refoulé et, plus particulièrement, celui relatif aux idées de mortalité – elle la suspendrait mais
8 ne l’annulerait pas comme nous le rappelle ce vers d’Eluard, cité par Xavière Gauthier (1971, page 135) : « En pleine chair je conjuguais sperme et squelette ».
Et, pourtant, Giard, note encore : « il semble en effet que de nombreux clients soient perturbés par la tête de leur love doll lorsque, se réveillant dans la nuit, ils la voient fixer le plafond ou leur visage avec une intensité inquiétante » (page 128). Ce serait, selon elle, pour cette raison que : « Pratiquement, toutes les firmes possèdent en catalogue au moins une poupée surnommée me toji (« aux yeux fermés ») ou tsamuri me (« aux yeux clos ») (page 128).
L’intensité inquiétante dont parle Giard n’est-elle pas celle du cadavre de celui ou de celle qui vient de mourir ? Et il suffirait, alors, de fermer les yeux de ce visage figé pour que la sérénité de celui ou celle, avec qui le robot partage son lit, soit retrouvée. De cette manière, et en dehors de l’acte sexuel, la love doll échapperait encore à la loi de Mori. On pourrait même se demander si, pour certains et dans certaines conditions, la love doll ne serait pas ce point indéfini que Mori trace sur sa courbe avant qu’elle ne plonge dans la vallée de l’étrange (voir Fig. 3).
Figure 3. Courbe de Mori où la love doll pourrait être interprétée comme un maximum local.
Il y a, en effet, une recherche d’optimalité dans la love doll que Giard exprime ainsi : « les fabricants sont unanimes : ils n’essayent pas de reproduire mais de « créer » un humain. […]
Même dotée de grains de beauté, cette enveloppe doit garder l’aspect factice, irréel, d’une créature de rêve » (page 132). « Nos poupées n’ont rien à voir avec les mannequins de cire de Madame Tussauds » rapporte encore Giard lors d’une interview d’un fabricant de love doll et l’on peut imaginer que Mac Mullen dirait de même de sa poupée Harmony. A cet
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Ressemblance
Fa mil ia ri té
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Êtres humains Choses
personne jeune et en parfaite santé
love doll/robot sexuel capable de locomotion ?
cadavre humain
zombie
: choses/êtres immobiles : choses/êtres mobiles