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Les pratiques de la copropriété dans la ville de Tanger : du dispositif juridique à son interprétation par les usagers

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Texte intégral

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Centre Jacques-Berque

Maktabat al-Maghreb

Les pratiques de la copropriété dans la ville de Tanger : du

dispositif juridique à son

interprétation par les usagers

Stéphane Gignoux p. 841-851

Le Maroc au présent | Baudouin Dupret, Zakaria Rhani, Assia Boutaleb, et al.

1Un complexe immobilier flambant neuf sur le boulevard Mohammed V au cœur du centre-ville de Tanger : 417 appartements, 72 locaux commerciaux, 5 restaurants, 1 parking privé. Profitant du boom immobilier qu’a connu le Maroc au début des années deux mille, une société de promotion immobilière espagnole achève ce gigantesque chantier en 2010. Malgré des prix de vente exorbitants (plus de 20 000 dirhams le mètre-carré pour les appartements), le promoteur est au bord de la faillite et fait appel à un fonds d’investissement, propriété d’une banque allemande, pour renflouer sa trésorerie. Héritant des appartements invendus (la moitié), le fonds d’investissement assume les frais de gestion afférents aux parties communes du complexe puis décide de préparer la passation de cette gestion aux copropriétaires pour ne pas en supporter les coûts ad vitam æternam et se conformer à la loi 18.00 relative à la copropriété. Il contracte successivement avec deux sociétés de gestion de syndic puis décide, d’un seul coup, de ne plus consacrer d’argent à la gestion des parties communes. Une assemblée générale est convoquée. Le fonds d’investissement envoie des juristes pour se désengager juridiquement et financièrement de la gestion des parties communes du complexe. Les copropriétaires refusent la passation de la gestion des parties communes invoquant de nombreuses malfaçons dans la construction. Un bras de fer s’engage avec le fonds d’investissement. Ce dernier ne paye plus aucun frais : l’électricité est coupée, les ascenseurs arrêtés, le personnel de gardiennage et d’entretien n’est plus payé.

Finalement, après de longs mois de tractations, trois syndicats des copropriétaires sont créés : l’un pour la partie résidentielle, un autre pour la partie commerciale et un dernier pour le parking.

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2Cet exemple illustre de manière significative les difficultés rencontrées dans la gestion des résidences en copropriété à Tanger malgré la mise en place d’une nouvelle législation en 2002. Comment les usagers analysent et agissent dans ce nouveau cadre juridique ? L’objectif de notre contribution consiste ainsi à saisir les acteurs dans leur interprétation et leur application des instruments mis en place par les pouvoirs publics pour encadrer l’exercice et le droit de la copropriété au Maroc.

3La construction en milieu urbain connaît depuis les années quatre-vingt au Maroc un développement spectaculaire. La division et l’aliénation par appartements des immeubles bâtis concernent désormais un nombre croissant de citadins soumis à un statut spécifique, la copropriété. Cette « réforme collective de propriété », à la fois technique de construction et nouveau mode de logement, dispose d’une valeur hautement symbolique pour déchiffrer la société marocaine d’aujourd’hui. L’utilisation des parties communes d’un immeuble interroge en effet la vision de ses habitants sur l’appropriation de l’espace collectif et sur le « savoir et comment vivre ensemble ».

Une histoire de la copropriété au Maroc

4La politique de la copropriété a répondu dans un premier temps aux problèmes de rareté et de cherté des terrains, ainsi qu’au prix élevé des constructions dû au coût des matériaux. Le statut de la copropriété fut d’abord réglementé par l’article 126 du code foncier qui prévoyait, en l’absence de toute convention entre copropriétaires, une répartition succincte de certaines charges collectives.

5Le dahir du 16 novembre 1946 a réformé en profondeur le cadre juridique de la copropriété en instituant « des sociétés de construction », dont certaines continuent d’exister encore aujourd’hui malgré le nouveau dispositif législatif en vigueur. Ces sociétés regroupent des associés dans le but d’acquérir un logement. Chaque associé dispose d’un nombre de parts qui correspond à un appartement dans le futur immeuble.

Une fois l’immeuble construit, les parts des associés dans le partage sont constituées par l’appartement auquel correspondaient leurs parts dans la société. Le dahir de 1946 organise, d’autre part, le fonctionnement de la copropriété autour du règlement de copropriété qui détermine les conditions de vie dans l’immeuble et impose un syndicat des copropriétaires, personne morale composé de deux organes : l’assemblée générale, organe délibérant, et le syndic, organe exécutif.

6Deux problèmes majeurs dans l’organisation de la copropriété issue du dahir de 1946 vont surgir et nécessiter l’intervention des pouvoirs publics.

7Peu d’immeubles en copropriété vont être construits selon la technique des « sociétés de construction ». Initialement destinée à regrouper des personnes animées de la même volonté de construire en commun, des sociétés vont être principalement utilisés par des promoteurs, personnes physiques ou morales, qui disposent des fonds nécessaires pour porter la construction jusqu’à son achèvement sans faire appel aux éventuels acquéreurs. L’aliénation des appartements ne se réalise que lorsque l’immeuble est achevé. La société de construction se transforme dès lors en société de

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commercialisation à partir du moment où elle regroupe des promoteurs qui recherchent la réalisation de bénéfices en revendant leurs parts. Dès lors, le mécanisme de la société de construction instauré par le dahir de 1946 est faussé.

8L’autre difficulté concerne le statut de la copropriété qui, dans le dahir de 1946, est facultatif et essentiellement conventionnel. Le règlement de copropriété, quand il est élaboré, doit ainsi faire l’objet d’un accord entre copropriétaires, ce qui dans la pratique n’est guère évident. En l’absence de règlement de copropriété, aux problèmes liés aux classiques relations de voisinage, particulièrement étroites dans les immeubles divisés, viennent s’ajouter ceux de l’utilisation et de l’entretien des parties communes.

9Le législateur marocain a donc mis en place deux instruments correctifs le 3 octobre 2002. L’un, la vente en l’état futur d’achèvement (VEFA) a fait l’objet de la loi 44.00 et encadre la vente d’appartements par la promotion immobilière privée. L’autre, la loi 18.00 sur la copropriété des immeubles bâtis, donne un statut légal à la copropriété, en rendant notamment obligatoire le règlement de copropriété.

Le règlement de copropriété : une base juridique obligatoire mais inusitée ?

10Ce caractère obligatoire, prescrit par l’article 8 de la loi 18.00, « tout immeuble en copropriété soumis aux dispositions de la présente loi est régi par un règlement de copropriété », doit permettre aux copropriétés d’être dotées d’une base juridique de référence pour leur administration. L’élaboration du règlement est à la charge soit du promoteur immobilier, soit des copropriétaires. Dans la pratique, il est rédigé à l’origine par le promoteur, puis déposé à la Conversation foncière et enfin remis aux copropriétaires lors de l’achat final de leur bien.

11L’avenir et l’utilité du document va dépendre dans un premier temps du mode de gestion choisi lors de la livraison de l’immeuble. La passation entre le promoteur immobilier et les copropriétaires reste toujours un moment critique. Pour éviter qu’un vide ne s’instaure en matière de gestion de l’immeuble nouvellement construit lors de la passation, la plupart des promoteurs assument les charges communes de la copropriété pendant un certain temps. Celui-ci dépend du nombre d’appartements invendus : plus il est important, plus la nécessité de conserver l’administration de l’immeuble est forte pour le promoteur.

12Dans ce premier cas de figure, le premier règlement de copropriété élaboré lors de la phase de construction va rester pendant longtemps le document de référence de gestion de l’immeuble et sera difficile à amender par la suite. Il est dès lors très vite obsolète, n’ayant pas subi l’épreuve de la pratique par les copropriétaires, il n’a pas prévu un certain nombre de règles de vie commune.

13Lorsque la passation est effectuée aux copropriétaires dès la livraison de l’immeuble, à travers une première assemblée générale constitutive, un nouveau règlement de copropriété est rédigé qui disposera d’une force obligatoire plus efficiente car élaboré

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par les copropriétaires eux-mêmes. Ce qui facilite sa diffusion et sa connaissance auprès des habitants de l’immeuble, notamment en matière de gouvernance de la résidence et plus particulièrement sur le rôle des organes de gestion dans l’organisation statutaire.

Les organes de gestion de la copropriété ou la confusion des genres

14Le chapitre II de la loi 18.00 instaure une organisation statutaire tripartite : tous les copropriétaires d’un immeuble sont membres d’un syndicat des copropriétaires dont la mission consiste à la conservation de l’immeuble et l’administration des parties communes ; ce syndicat est administré par une assemblée générale et géré par un syndic.

15En pratique, de nombreuses résidences en copropriété ne sont pas administrées selon ce schéma légal. On trouve, sous différentes appellations, des « bureaux du syndicat », des « comités de gestion », des « présidents de syndic ou du syndicat » ce qui entraîne, génère des modes de gestion spécifiques à chaque résidence. La faible connaissance par les copropriétaires du règlement de copropriété et surtout du cadre légal de l’exercice de la copropriété ajoute aux différents modes de gestion évoqués ci-dessus une confusion certaine dans le rôle des organes de gestion. De fait, qui fait quoi ? Telle est la question récurrente que se posent de nombreux usagers de la copropriété.

16Le syndicat, qui représente l’ensemble des copropriétaires, est doté par la loi 18.00 de la personnalité morale et de l’autonomie financière. Ce qui implique, d’une part, qu’il peut, par exemple, ester en justice ou passer des contrats en son nom propre et, d’autre part, qu’il dispose d’un budget de fonctionnement propre. Dans les faits, rares sont les syndicats constitués qui contractualisent en leur nom, notamment les employés de la résidence, souvent par crainte de ne pouvoir payer les salaires par manque de fonds. En ce qui concerne l’autonomie financière, un premier obstacle consiste à ouvrir un compte bancaire au nom du syndicat, certaines banques exigeant que le syndicat soit enregistré comme association.

17Ce rapport ambigu avec le statut d’association trouve sa source dans l’obligation de déclaration aux autorités locales administratives (caïd, moqaddem) prévue à l’article 5 de la loi 75.00 réglementant le droit d’association. De son côté, la loi 18.00 n’oblige pas le syndicat à se déclarer auprès des autorités locales, ni à les prévenir avant une réunion ou une assemblée. Dans les faits, certains syndicats effectuent une déclaration préalable constitutive du syndicat auprès du caïd ou du moqaddem, mais la relation ne va pas plus loin en principe, sauf dysfonctionnements exceptionnels d’une certaine gravité.

18A la tête du syndicat, on trouve généralement un ou plusieurs copropriétaires qui vont porter différents titres comme « président » ou « vice-président ». Quand le syndicat est représenté par un nombre plus important de copropriétaires, un bureau se constitue avec plusieurs autres fonctions possibles comme celle de « trésorier ». Ces bénévoles

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deviennent « les hommes à tout faire » de la résidence. Le plus souvent ils cumulent plusieurs fonctions et missions : ils recouvrent les cotisations auprès des copropriétaires pour payer les charges communes, ils gèrent les budgets et passent des contrats au nom du syndicat. Dès lors, la tentation de « toute-puissance » devient forte et entraîne des « passe-droits » du fait de fonctions n’engageant juridiquement personne.

19En contrepartie de leur bénévolat, on peut ainsi voir certains « gestionnaires » s’arroger le droit d’utiliser la terrasse commune à des fins privatives, décider de ne pas payer leur quote-part de charges communes… Dans certains cas extrêmes, des membres du syndicat passent des contrats avec des tiers et perçoivent les rémunérations à la place du syndicat, c’est le cas par exemple d’une résidence qui va louer sa façade comme espace publicitaire ou sa terrasse pour y installer une antenne- relais téléphonique.

20L’assemblée générale, organe délibérant du syndicat, « procède à la gestion de l’immeuble en copropriété et prend des décisions dont l’exécution est confiée à un syndic » (article 15 de la loi 18.00). Pour organiser légalement une assemblée générale, il faut convoquer tous les copropriétaires par lettre recommandée avec accusé de réception ou, à défaut, par la remise en mains propres contre émargement. Première difficulté : le nombre de participants. Comment convoquer légalement les copropriétaires quand une partie de ceux-ci ne vont pas chercher à la poste les lettres recommandées et que le syndicat ne dispose pas de la trésorerie nécessaire aux envois ? L’affichage dans l’immeuble de la convocation reste l’alternative la plus courante et efficace.

21Une fois l’assemblée générale convoquée, une deuxième difficulté surgit : le lieu de la réunion. Très peu de résidences disposent d’un lieu permettant aux copropriétaires de se réunir. Les assemblées se font dès lors parfois chez un copropriétaire, au café, dans le bureau du promoteur, parfois même debout dans le hall d’entrée de l’immeuble, ce qui est peu propice à la sérénité de la discussion. Les débats y sont passionnés, l’ordre du jour rarement respecté, on parle de « tout et de rien », très souvent il y est question d’argent et de troubles du voisinage ! A la fin de l’assemblée, peu de décisions sont prises, tout le monde se congratule, et chacun repart chez soi. La dernière difficulté surgit alors : faire exécuter les rares décisions prises.

22Cette tâche est de la compétence exclusive du syndic. Celui-ci est désigné à la majorité par l’assemblée générale des copropriétaires et peut être soit un copropriétaire, soit un tiers, personne physique ou morale exerçant à titre libéral la profession de « syndic de copropriété ». Pour les résidences nouvellement construites, le promoteur conserve généralement pendant un certain temps la gestion de l’immeuble en tant que « syndic de fait », parce qu’il s’y est engagé lors de la vente des biens auprès des copropriétaires et qu’il lui reste un nombre conséquent d’appartements à vendre. Lorsque la passation est effectuée entre le promoteur et les copropriétaires et que les organes de gestion sont créés, les copropriétaires décident très souvent de s’organiser entre eux en choisissant parmi eux un « syndic bénévole ». Cette fonction

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ingrate ne résiste pas à l’épreuve du temps : le syndic bénévole, qui ne dispose pas d’assez de temps libre pour assumer la gestion de l’immeuble, se trouve désemparé au moment du recouvrement des cotisations des charges communes auprès de ses voisins.

Il se trouve ainsi en situation de « juge » et « partie ».

23Les sociétés de prestations de services viennent alors en appui dans la gestion de l’immeuble et se trouvent confrontées à deux problèmes majeurs. En premier lieu, elles ne disposent généralement d’aucun budget de départ et doivent très souvent avancer les fonds nécessaires au bon fonctionnement de la résidence sans avoir l’assurance d’être remboursées. Elles s’exposent ensuite à la méfiance des copropriétaires qui ne les connaissent pas et craignent qu’elles ne « partent avec la caisse ». On se retrouve dès lors dans une configuration inédite dont la problématique majeure consiste dans le recouvrement des cotisations aux charges communes des copropriétaires.

Le paiement des charges communes ou la recherche permanente de stratégies de recouvrement

24« Pour faire face aux dépenses courantes de maintenance, de fonctionnement et d’administration des parties communes et d’équipements communs de l’immeuble, l’assemblée générale des copropriétaires vote chaque année un budget prévisionnel et une provision pour la prise en charge des grands travaux d’entretien. Les copropriétaires versent au syndicat des provisions pour le financement du budget voté » (article 25 de la loi 18.00). Malgré un mécanisme clairement prévu légalement (la détermination d’une provision à verser par chaque copropriétaire à partir d’un budget prévisionnel) va surgir pour le syndic chargé de collecter les participations des copropriétaires toute une série de difficultés dont sa faculté à les résoudre va conditionner le bon fonctionnement de la copropriété.

25La répartition des charges communes entre copropriétaires constitue le premier obstacle à franchir. En principe, « chacun des copropriétaires est tenu de participer aux charges relatives à la conservation, l’entretien et la gestion des parties communes. Ces charges sont fixées en fonction de la quote-part de la partie divise de chaque copropriétaire par rapport à l’immeuble » (article 36 de la loi 18.00). Cette quote-part de chaque copropriétaire dans les parties communes est, selon l’article 6 de la loi 18.00, fonction de l’étendue de sa partie individuelle par rapport à l’étendue de l’ensemble des parties individuelles de l’immeuble au moment de l’établissement de la copropriété.

26Dans la pratique, seulement 5 à 10 % des immeubles en copropriété dans la ville de Tanger ont mis en place ce système de quote-part dans la répartition des charges communes. La plupart des copropriétés ont fixé une participation forfaitaire mensuelle à payer par chaque copropriétaire au syndicat, quelle que soit sa quote-part dans les parties communes. Dans ce dernier schéma, que l’on habite au 1er ou au 5e étage, que l’on dispose d’un appartement de 50 ou de 150 mètres-carrés, tous les copropriétaires

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doivent payer le même montant de cotisation pour assurer leur participation aux charges communes de la copropriété. Ce qui peut être ressenti comme source d’injustice entre copropriétaires, engendrer des tensions lors du règlement des charges ou justifier leur non-paiement.

27Une fois la répartition des charges communes approuvée se pose le problème le plus épineux auquel va devoir faire face le syndic : le recouvrement des participations auprès des copropriétaires. « La provision est exigible le premier jour de chaque trimestre ou le premier jour de la période fixée par l’assemblée générale (article 24 de la loi 18.00). » Un appel au versement d’une provision de charges doit ainsi être adressé à chaque copropriétaire. Dans les faits, le résultat obtenu par le syndic chargé de collecter les participations à l’issue de cette phase est très faible et le devient encore plus avec le temps. Il doit dès lors, selon la loi 18.00, envoyer une mise en demeure par lettre recommandée avec accusé de réception puis, à défaut de paiement dans les trente jours, saisir le président du tribunal de première instance pour qu’il ordonne le versement des provisions exigibles.

28Dans leur grande majorité, les syndics n’ont pas recours au recouvrement judiciaire, par manque de temps et de moyens. Ils préfèrent, dans un premier temps, rechercher des solutions que nous appellerons informelles : tenter de négocier avec les copropriétaires récalcitrants, afficher la liste des « mauvais payeurs » dans le hall d’entrée de l’immeuble, obliger les concierges à effectuer du « porte-à-porte » auprès des copropriétaires pour qu’ils règlent leurs cotisations, etc.

29Parfois, des syndics vont encore plus loin employant des solutions beaucoup plus radicales et en dehors du cadre légal, telles que la coupure d’électricité dans les parties communes ou la mise en place de cartes ou clés individuelles remises aux copropriétaires à jour de leurs paiements vis-à-vis du syndicat pour prendre l’ascenseur de l’immeuble. En résumé, pour le syndic bénévole, tous les moyens sont acceptables pour faire payer les copropriétaires. En effet, cette phase difficile du recouvrement des provisions de charge conditionne les missions essentielles du syndic bénévole.

Les missions du syndic à l’épreuve de la réalité

30Le syndic gère pour le compte des copropriétaires les biens qui leur sont communs et exécute l’ensemble des dispositions du règlement de copropriété dont il a la charge.

Ainsi, sa fonction revêt divers aspects : juridiques et organisationnels (convocation et organisation des assemblées générales), financiers (gestion des ressources financières de la copropriété) ou techniques (entretien et maintenance des parties communes).

31Le plus souvent, le syndic ne dispose pas de la compétence nécessaire pour gérer un ensemble immobilier comme une entreprise. Pourtant, il contracte au nom du syndicat avec le personnel affecté à la résidence dont il a la charge : concierges, femmes de ménage et jardiniers. Les concierges, « clés de voûte » des copropriétés, sont souvent

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très peu formés pour cette fonction. Que ce soit dans les petits immeubles où les concierges disposent d’une loge ou dans les grands complexes immobiliers nouvellement construits où ils se transforment en agents de sécurité, leur rôle de surveillance de la résidence va leur donner un pouvoir important et arbitraire sur le droit d’entrée dans la copropriété. Les concierges disposent dès lors d’un ascendant sur la vie privée des copropriétaires puisqu’ils peuvent décider qui peut entrer ou ne pas entrer dans l’immeuble.

32Le syndic est ensuite responsable de l’entretien préventif et des réparations de la copropriété. Cette tâche va lui être rendue difficile par trois sortes de cause. La première concerne son manque d’expérience et de compétence en matière technique. La seconde concerne la qualité des constructions par les promoteurs du secteur privé. Souvent avides de réaliser les profits les plus élevés possibles, des promoteurs construisent rapidement avec des matériaux qui ne résistent pas à l’épreuve du temps. La troisième sorte de cause tient à la faiblesse des budgets des copropriétés liée aux difficultés de recouvrement des participations des copropriétaires que nous avons exposées précédemment. Le syndic, qui doit en principe négocier les interventions avec les différents corps de métier, ne dispose que d’une marge restreinte pour choisir les différents intervenants. La plupart du temps, il choisit des artisans du secteur informel dont la compétence dans le travail n’est pas la qualité première. Ces derniers se contentent très souvent de « reboucher les trous ou colmater les brèches », ce qui nécessite des interventions de plus en plus nombreuses.

33Une autre mission particulièrement sensible du syndic consiste à faire respecter le règlement de copropriété. L’utilisation, voire l’annexion, de parties communes démontre parfaitement la difficulté rencontrée par le syndic dans cette tâche.

34Passant outre l’obligation d’autorisation préalable par les autorités compétentes et de respect des règles d’urbanisme, de nombreux copropriétaires n’hésitent pas à transgresser le règlement de copropriété pour effectuer des travaux divers, comme l’aménagement d’un couloir commun en extension d’un appartement ou l’occupation d’une partie commune en prolongement de son bien en y installant différents appareils électroménagers ou de rangement. Chaque copropriétaire agit comme si l’appropriation d’une partie commune était créatrice de droit et valait jouissance et propriété.

35Le degré de désapprobation collectif quant aux règles violées par certains copropriétaires va conditionner ou non la remise en l’état par le copropriétaire fautif. Si ce degré est fort et entraîne une mobilisation des voisins, les chances de succès sont élevées.

36Le syndic a aussi l’obligation d’assurer la copropriété contre les éventuels incendies, dégâts des eaux et autres risques en souscrivant une assurance multirisques. Dans la pratique, très peu d’immeubles en sont pourvus. Souvent par manque de ressources financières, ce poste de dépense est délaissé au profit d’autres dépenses plus urgentes.

Mais pour de nombreux acteurs de la copropriété, la vraie question que pose l’assurance des parties communes est celle-ci : à quoi sert d’assurer un immeuble

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contre des risques (incendies, inondations, etc.) qui ne dépendent pas de facteurs humains ?

37Les missions du syndic énumérées ci-dessus ne sont pas exhaustives, et d’autres problèmes peuvent surgir dans l’exercice de la copropriété. Nous citerons en dernier lieu le cas de l’exercice de la copropriété dans les centres commerciaux. En effet, certains promoteurs ont choisi de construire des galeries marchandes sous le mode de la copropriété. Les locaux sont vendus avec un titre foncier sans obligation d’activité commerciale. Nombreux sont ceux qui vont acheter sur plan des locaux avec l’unique intention de spéculer. On se retrouve dès lors avec des centres commerciaux

« fantômes » où très peu de locaux sont ouverts et avec une activité commerciale proche du néant : peu de boutiques donc peu de clients.

Améliorer l’exercice de la copropriété au Maroc : vers une refonte de la loi 18.00 ?

38Vivre en copropriété est difficile. Cela demande avant tout de respecter un certain nombre de règles communes que les pouvoirs publics ont souhaité encadrer avec un nouveau dispositif législatif. Dix ans après l’entrée en vigueur de la loi 18.00, un état des lieux apparaît nécessaire pour améliorer l’exercice de la copropriété au Maroc. Une meilleure application des règles impose la diffusion accrue des instruments mis en place auprès des usagers de la copropriété. Le renforcement de la connaissance de ces règles auprès de ces acteurs passe également par une nécessaire formation des syndics, qu’ils soient professionnels ou simples copropriétaires bénévoles. Aujourd’hui, les règles de politesse entre copropriétaires permettent un traitement amiable des problèmes de voisinage dans les copropriétés. Mais demain, sans un renforcement de l’accès à la justice en matière de copropriété, ces règles de courtoisie ne seront plus suffisantes pour affronter les nombreux défis qui attendent les copropriétés et remettront d’autant plus en question le « savoir vivre ensemble » de la société marocaine.

BIBLIOGRAPHIE

LEHZAM A., Le Logement urbain au Maroc : les ménages et l’Etat face à l’accès à la propriété et à la location, Rabat, CCMLA, 1994.

MINISTERE DE L’HABITAT ET DE L’URBANISME, Direction de la Promotion immobilière, Guide du syndic de copropriété, Rabat.

Référence électronique du chapitre GIGNOUX, Stéphane. Les pratiques de la copropriété dans la ville de Tanger : du dispositif juridique à son interprétation par les usagers In : Le Maroc au présent : D'une époque à l'autre, une société en mutation [en ligne]. Casablanca : Centre JacquesBerque, 2015 (généré le 16 avril 2017). Disponible sur Internet : ISBN : 9791092046304.

DOI : 10.4000/books.cjb.1127.

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Référence électronique du livre DUPRET, Baudouin (dir.) ; et al. Le Maroc au présent : D'une époque à l'autre, une société en mutation. Nouvelle édition [en ligne]. Casablanca : Centre Jacques Berque, 2015 (généré le 16 avril 2017). Disponible sur Internet : ISBN : 9791092046304.

DOI : 10.4000/books.cjb.990. Compatible avec Zotero

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