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Qu'est-ce qui fonde nos jugements moraux?

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Qu'est-ce qui fonde nos jugements moraux?

TAVAGLIONE, Nicolas

Abstract

Dans un ouvrage court et ambitieux, Mark Hunyadi, philosophe et collaborateur au Samedi Culturel, tente de résoudre l'un des plus épineux débats de la pensée morale européenne, en traçant une troisième voie entre idéalisme et communautarisme

TAVAGLIONE, Nicolas. Qu'est-ce qui fonde nos jugements moraux? Le Temps , 2012

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:25960

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livre Samedi13 octobre 2012

Par Par Nicolas Tavaglione*

Dans un ouvrage court et ambitieux, Mark Hunyadi, philosophe et

collaborateur au Samedi Culturel, tente de résoudre l’un des plus épineux débats de la pensée morale européenne, en traçant une troisième voie entre idéalisme et communautarisme

Genre: pHILOSOPHIE

Réalisateurs: Mark Hunyadi Titre: L’Homme en contexte.

Essai de philosophie morale Studio: Cerf, 242 p.

VVVVV

L’ambition d’un livre se mesure rarement à sa longueur. Pour s’en convaincre, le dernier ouvrage de Mark Hunyadi tombe à pic. En moins de 250 pages, le philosophe genevois – professeur à l’Université catholique de Louvain et collaborateur au Samedi Culturel – vise simplement à régler une bonne fois pour toutes l’un des plus vieux conflits de la pensée morale européenne.

Comment fonder nos jugements éthiques? Deux réponses s’affrontent classiquement. D’abord, on trouve l’idéalisme universaliste: nos jugements doivent s’appuyer sur des principes universels formulés par une raison détachée des fureurs et des obscurités du monde de la vie. Il faut sortir de la caverne et oublier le contexte réel où nous nous débattons. De Platon à Habermas en passant par Kant, tel fut le «préjugé philosophique européen par excellence» (p. 222). Les principes universels ainsi obtenus nous permettent certes de juger le réel – car ils nous offrent un point de vue hors du monde pour mesurer le monde. Mais ils s’éloignent tant du sol où nous marchons qu’ils sont

«déconnectés de l’expérience morale des acteurs» (p. 214).

Pourquoi ne pas inverser la vapeur? Oublions les principes universels, restons rivés à nos formes de vie concrètes et enracinons-y toute la solidité de nos jugements moraux. Ces derniers tireront leur validité de leur conformité, non à des principes universels, mais aux pratiques réelles qui gouvernent nos communautés historiques. Tel est le noyau dur du communautarisme. Certes, cette voie nous épargne le «point de vue de Dieu» inaccessible de l’idéalisme universaliste. Mais elle enterre l’esprit critique et la réflexion morale tout court: comment critiquer légitimement le contexte si toute légitimité dérive du contexte? On serait condamné à «reproduire tautologiquement les normes en vigueur du contexte en question» (p. 23). Et dans une société esclavagiste, on serait obligé de crier

«Hourra l’esclavage!».

Récusant à la fois l’idéalisme universaliste, impuissant à guider des acteurs qu’il survole sans leur parler, et le contextualisme communautariste, qui emmure les acteurs dans «la prison» de ce «qui est le cas» (p. 26), Hunyadi tente de marier le potentiel critique du premier au réalisme anthropologique du second. Telle est l’ambition du «contextualisme critique».

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Il n’y a rien, nous dit Hunyadi, au-delà du contexte. Mais si je veux critiquer le contexte qui m’environne, je peux puiser dans le contexte lui-même: pour critiquer l’interdiction des unions homosexuelles, je peux invoquer une norme d’égale dignité qui existe déjà dans mon contexte – au fronton des bâtiments publics, dans les textes de loi, dans les discours publics. Mon contexte m’offre toutes les ressources critiques dont j’ai besoin et dont je peux rêver: «En morale, il n’y a pas de table rase contextuelle» (p. 192).

Que se passe-t-il néanmoins si je m’interroge sur la validité de ces ressources critiques? Mon contexte m’offre par exemple tout un arsenal d’arguments esclavagistes et de principes sexistes – sédimenté dans les livres d’histoire ou dans la mémoire des vieux crabes. Puis-je invoquer cette ressource pour critiquer l’égalité homme-femme et revendiquer l’introduction du servage

domestique? Le seul moyen de le savoir est de répondre à la question: «Qui voulons-nous être?» Si l’esclavage «ne correspond plus à la description que nous voulons donner de nous-mêmes» (p. 198), alors les ressources esclavagistes disponibles dans notre contexte sont impropres à l’usage critique.

Nourrie par le contexte, l’identité morale – cette réponse à la question «Qui voulons-nous être?» basée sur ce que nous héritons du contexte et sur ce que nous souhaitons devenir – est ainsi «le degré suprême de la réflexivité morale» (p. 193).

Rien à voir ici, assure l’auteur, avec une morale du choc identitaire. Rien n’interdit en effet aux acteurs d’emprunter à des contextes étrangers les ressources de leur réflexion morale – comme le prouve aux yeux d’Hunyadi l’exemple des Printemps arabes: le principe de leur révolte, les activistes de Tunis l’ont «importé d’une tradition extérieure, mais qui à leurs yeux devait désormais valoir pour eux»

(p. 216). Les contextes épars pourraient ainsi finir par fusionner dans un horizon universel. Ce dernier, simplement, serait un universel construit par le bas grâce aux acteurs eux-mêmes, et non un universel hors-sol imposé par le penseur solitaire.

Si le projet est ambitieux, quelques réserves s’imposent. On pourra se sentir légèrement oppressé par un texte qui se déploie comme un long monologue sûr de son fait. On pourra rester sur sa faim: tout ça pour terminer sur un «Qui voulons-nous être?» somme toute assez banal. Et face à l’esclavage, Hunyadi semble nous inviter à scruter nos nombrils sans consulter les esclaves.

On pourra s’agacer enfin du traitement expéditif réservé à certains problèmes. Un exemple: qui est ce

«Nous» dont nous parle Hunyadi? Telle est pourtant l’énigme fondamentale de toutes les philosophies du «Nous». On peut répondre: «Toutes les personnes concernées.» Mais ce faisant, on laisse entrer l’universalisme par la fenêtre – et la position d’Hunyadi apparaît alors comme bien plus universaliste qu’il ne le prétend. On peut répondre: «Tous les membres de ma communauté.» Mais ce faisant, on verse dans le communautarisme dont l’auteur voulait se distancier. Des doutes peuvent donc subsister et quelques réponses nous manquent. Il est pourtant certain que le livre est d’une grande qualité et que son auteur s’élève, sans jamais les singer, au rang des meilleurs philosophes allemands.

* Philosophe et politologue, Université de Genève.

© 2013 Le Temps SA

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