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Les enseignants dans l'entretien individuel avec les parents : entre souci de la relation et exigence d'efficacité

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Academic year: 2022

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Les enseignants dans l'entretien individuel avec les parents : entre souci de la relation et exigence d'efficacité

CHARTIER, Marie, RUFIN, Diane Laurene, PELHATE, Julie

Abstract

Dans un contexte où les politiques éducatives mettent l'accent sur l'importance de développer les liens entre l'école et les familles pour lutter contre l'échec scolaire, cet article s'intéresse aux entretiens individuels entre les enseignants et les parents d'élèves dans les écoles du Réseau d'enseignement prioritaire (REP) de Genève. Cet article porte l'attention sur l'agir enseignant, car ce dernier est le principal entrepreneur des entretiens : il les sollicite bien souvent et les anime. Néanmoins, les parents d'élèves sont loin d'être passifs et témoignent aussi d'une hétérogénéité d'attitudes, de postures et de stratégies. Dans cette optique, l'étude approfondie de ces moments d'échange est présentée en trois temps : ce qui est dit par les enseignants et comment la parole des parents est configurée. Quelles sont les informations énoncées ou recherchées ? Puis sont détaillées les stratégies de communication mises en œuvre de manière consciente ou non par les enseignants, selon les types d'informations échangées. Une diversité de postures à l'égard des parents est déclinée [...]

CHARTIER, Marie, RUFIN, Diane Laurene, PELHATE, Julie. Les enseignants dans l'entretien individuel avec les parents : entre souci de la relation et exigence d'efficacité. Education et Sociétés , 2014, vol. 34, no. 2, p. 39-54

DOI : 10.3917/es.034.0039

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:138265

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Les enseignants dans l’entretien individuel avec les parents : entre souci de la relation et exigence d’efficacité

Marie c

hartier

Centre de Recherche HIstorique sur les Sociétés Méditerranénnes (CRHISM) Université de Perpignan

Faculté de lettres et sciences humaines 52, avenue Paul Alduy, 66100 Perpignan

<mariechartier110@gmail.com>

Diane r

ufin

Sociologie de l’Action – Transformation des Institutions – Éducation (SATIE) Faculté de psychologie et des sciences de l’éducation

Bd du Pont d’Arve 40, 1205 Genève – Suisse

<Diane.Rufin@unige.ch>

Julie P

elhate

Sociologie de l’Action – Transformation des Institutions – Éducation (SATIE) Faculté de psychologie et des sciences de l’éducation

Bd du Pont d’Arve 40, 1205 Genève – Suisse

<Julie.Pelhate@unige.ch>

L

a lutte contre l’échec scolaire fait l’objet de politiques éducatives qui récem- ment ont abouti à une évolution de la division du travail éducatif entre l’école et les familles (Tardif & LeVasseur 2010). Le lien de causalité entre le dévelop- pement de la relation école-familles et la réussite scolaire est désormais admis par les décideurs de l’institution scolaire. Une injonction à impliquer les parents dans la scolarité de leur(s) enfant(s), à favoriser leur présence au sein même de l’école et à développer un partenariat avec les différents acteurs éducatifs a émergé. Elle est d’autant plus forte quand les publics scolaires sont composés d’une part impor- tante de familles des “nouvelles classes populaires” (Périer 2012, 86), issues de milieux sociaux défavorisés, d’origines migratoires diverses et souvent allophones ou, en d’autres termes, dans les écoles où la difficulté scolaire se concentre. Si les modalités de cette relation tendent à se diversifier, le format traditionnel de l’entretien en face à face reste incontournable. La cohabitation de ces différentes formes de rencontres témoigne de l’empilement de logiques anciennes et plus

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récentes (Payet et al. 2011) véhiculées par l’évolution des politiques éducatives au sujet de la relation école-familles.

Cet article s’intéresse aux entretiens individuels entre les enseignants et les parents d’élèves qui ont lieu dans les écoles du Réseau d’enseignement priori- taire (REP) de Genève, au moment de la signature du carnet trimestriel. Ces rencontres ont pour objectif officiel de communiquer aux parents les résultats et l’évolution du travail de l’élève (Directive “relations famille-école” 2010). Afin d’étudier ces moments d’échange, leur déroulement concret a été observé dans trois établissements primaires du REP, pendant deux années scolaires. Le corpus de données s’inscrit dans le cadre d’une recherche ethnographique en cours. Pour cet article, un échantillon de 24 rencontres représentatif de la diversité des éta- blissements, enseignants et degrés scolaires observés a été prélevé parmi un corpus global de 164. Les observations directes ont été complétées par des entretiens post-observation réalisés auprès des enseignants. Le croisement de ces deux types de données permet de rapprocher le déroulement des entretiens du vécu des ensei- gnants, de clarifier leurs objectifs et d’en comprendre les enjeux.

L’analyse développée ici consiste à interroger les entretiens individuels en tant qu’élément constitutif de la relation école-familles. Cette relation est en effet composée d’échanges entre l’enseignant et les parents qui prennent des formes diverses : échanges informels au seuil de l’école, participation à des sorties de classe ou à des fêtes de l’école, réunions collectives d’information des parents, ren- contres dans le quartier, etc. La relation école-familles, pensée par l’institution et au sein des établissements scolaires, se concrétise lors de ces différents moments et s’incarne particulièrement dans les entretiens individuels. Relation et entretiens sont orientés par l’idée partagée que la réalisation de ces rapprochements favorise la réussite scolaire des élèves concernés. Cependant, leur mise en œuvre témoigne de logiques qui sont imbriquées, mais divergentes (Rufin et al. à paraître).

Cet article porte l’attention sur l’agir enseignant (Payet et al. 2011), car ce dernier est le principal entrepreneur des entretiens : il les sollicite bien souvent et les anime. Néanmoins, les parents d’élèves sont loin d’être passifs et témoignent aussi d’une hétérogénéité d’attitudes, de postures et de stratégies. Dans cette op- tique, l’étude approfondie de ces moments d’échange est présentée en trois temps : ce qui est dit par les enseignants et comment la parole des parents est configurée.

Quelles sont les informations énoncées ou recherchées ? Puis sont détaillées les stratégies de communication mises en œuvre de manière consciente ou non par les enseignants, selon les types d’informations échangées. Une diversité de pos- tures à l’égard des parents est déclinée selon les moments de l’entretien individuel.

Enfin, différents enjeux sont mis au jour dans lesquels les enseignants sont pris au cours de ces rencontres, censées être des moments d’échange qui alimentent la relation école-familles. Des ambivalences sont soulignées dans la manière dont les enseignants se représentent les entretiens individuels qu’ils considèrent à la

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fois comme nécessaires et peu efficaces, mais aussi dans la perception et l’usage potentiel des informations qui y sont échangées. Ces ambivalences témoignent du jeu de l’enseignant entre les logiques paradoxales auxquelles il est soumis lors de ces échanges avec des parents d’élève.

Une énonciation des enseignants structurée autour de deux thèmes

L

es enseignants sont nombreux à reconnaître qu’ils parlent davantage que les parents au cours des entretiens individuels et de fait la discussion est généra- lement orchestrée par leurs soins. L’objectif officiel d’informer les parents sur la situation scolaire de leur enfant s’enrichit de propositions d’actions.

Des informations sur les résultats scolaires de l’élève

Le premier thème d’énonciation, l’information sur les résultats scolaires de l’élève, fait clairement partie du domaine de compétence des enseignants ; pour autant, il ne leur est pas aisé. Il semble que les mauvais résultats, tout comme les bons, les questionnent : les efforts de l’élève (et des parents) seront-ils maintenus si seuls des aspects positifs sont mentionnés ? A contrario, si les difficultés d’un élève sont trop soulignées, ne va-t-il pas se décourager ? Les parents vont-ils punir trop sévèrement leur enfant à l’annonce des résultats ? Les enseignants construisent ainsi en situation un discours médian sur leur jugement scolaire pour limiter des réactions indésirables –de fierté ou de honte, d’enthousiasme ou d’abattement, de gratitude gênante ou d’agressivité– directement dans l’interaction avec les pa- rents, mais aussi indirectement, entre l’enfant et les parents, de retour à la maison.

Ils donnent donc à entendre des résultats scolaires qui s’avèrent difficiles à saisir par leurs interlocuteurs du fait de ce brouillage de l’information.

Brouillage de la présentation des résultats scolaires

Concernant les apprentissages dans les disciplines scolaires, les enseignants ne se limitent pas à transmettre les résultats. Ils les illustrent à partir de supports, expliquent le travail à réaliser, ses objectifs, précisent sur quoi porte l’évaluation et/ou situent les élèves par rapport à leurs attentes. Cela est d’autant plus vrai que l’élève se trouve en situation de réussite. Mais plus ses difficultés sont grandes, plus les enseignants éprouvent un malaise à les présenter aux parents. Deux stratégies distinctes ont été repérées, qui toutes deux rendent opaque l’énoncé de leur juge- ment scolaire. La première consiste à moduler la présentation des résultats. On

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observe soit une euphémisation de l’annonce de la difficulté de l’élève par la valo- risation de quelques progrès, et ce pour adoucir la nouvelle, soit une dramatisation ou une insistance à son sujet. Ce cas de figure est présent lorsque l’enseignant veut alerter les parents quant à la nécessité d’agir, pour anticiper des difficultés futures ou encore mettre l’accent sur la perfectibilité permanente des apprentissages. La deuxième stratégie identifiée consiste pour les enseignants à employer des termes techniques au sujet de leurs enseignements, issus du champ de la didactique ou renvoyant aux dimensions cognitives des apprentissages. Ces explications liées au domaine de compétence des enseignants sont éloignées des connaissances des parents. Loin de faciliter la compréhension des informations transmises, ces deux types de stratégies complexifient pour les parents l’estimation du degré de diffi- culté de leur enfant.

Focalisation sur le comportement de l’élève

Dans les textes officiels (Directive “évaluation des compétences et des connaissances des élèves” 2013), l’évaluation de l’élève est déclinée en appren- tissages des disciplines et de la vie scolaire. Néanmoins, l’analyse des manières de dire des enseignants durant l’entretien avec les parents montre que le jugement scolaire se compose de trois éléments fortement imbriqués dans leur discours : l’apprentissage des disciplines scolaires, du comportement d’élève et le comporte- ment de l’enfant. Une enseignante illustre cette imbrication : “en fin de compte le comportement… enfin les apprentissages, soit tu es bien dans tes apprentissages, soit… mais ça dépend aussi de ton comportement”. Tout comme les apprentis- sages des disciplines, le comportement de l’élève devient observable dans la classe, mesurable et évaluable.

Les difficultés scolaires sont moins explicitées en termes d’acquisition des savoirs que de compétences d’apprenant –les enseignants nomment ces dernières le “métier d’élève”. Ils attendent un comportement correspondant à un élève

“idéal” (Becker 1952/1997, 258), ce qui les amène à évoquer devant les parents la non-maîtrise de codes ou une bonne attitude en classe. Ils mobilisent autant des remarques sur des faits (agitation dans la classe, oubli de matériel, désordre sur le pupitre…), que sur la “nature” de l’élève (“il est rêveur”, “il est encore petit”).

La focalisation des enseignants sur le comportement permet d’expliquer les éven- tuelles difficultés dans les disciplines, sans trop évoquer leur prise en charge en classe. Ainsi, un enseignant peut parler d’“un enfant rêveur”, ce qui pour lui im- plique diverses lacunes renvoyant au métier d’élève, sans que les parents prennent la mesure de ces difficultés implicites. Face à un tel commentaire, des parents peuvent même manifester de la satisfaction, l’interprétant comme un jugement positif sur leur enfant.

Par ailleurs, il faut souligner le caractère particulièrement variable d’une évaluation qui porte sur le comportement de l’élève et se fonde sur l’observation

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de l’enseignant. Ces fluctuations se repèrent à deux échelons : d’abord dans une même classe, entre différents élèves ayant un même comportement. Le jugement de l’enseignant oscille alors en termes de “trop” ou de “pas assez”, entre un com- portement excessif (“il est trop timide”) et un comportement insuffisant (“il ne participe pas assez”). Puis entre enseignants, le “juste” comportement se situerait dans une dynamique fortement dépendante de leur seuil de tolérance et de leur jugement face à certains comportements.

Des propositions d’actions

Dans la logique de l’entretien, l’annonce des résultats scolaires de l’élève se poursuit par la proposition de transformations, voire de compléments à l’action pédagogique en place. La situation est d’autant plus délicate pour les enseignants que la difficulté des élèves implique, selon eux, une prise en charge qui s’effectue en dehors de l’école et de la maison. Dans les discours des enseignants, recueillis en entretien post-observation, il ressort que proposer l’enseignement spécialisé, prise en charge la plus éloignée de la classe, revient souvent pour eux à “dire le gros mot”.

Des actions à mettre en œuvre hors de la classe

Les actions pédagogiques mises ou à mettre en œuvre dans la classe sont peu évoquées par les enseignants. Ils estiment probablement que c’est un domaine relevant de leur champ de compétence sur lequel il n’est pas important de s’attar- der. Cette omission peut également leur permettre de se protéger d’une éventuelle critique concernant leurs activités d’enseignement. Ils orientent leur discours sur des sujets qu’ils pensent davantage concerner les parents et sur lesquels ils peuvent proposer des conseils à appliquer dans la sphère familiale. Les parents sont invités à agir en les prenant en considération. Paradoxalement, les enseignants donnent des conseils éducatifs, mais avouent souvent ne pas se sentir légitimes pour inter- venir sur la sphère privée. De plus, au sentiment de manque de légitimité, s’ajoute l’incertitude concernant la mise en œuvre de ces conseils à la maison et l’impact que cela peut avoir sur l’élève et ses apprentissages.

Dans l’école, la sollicitation de l’éducateur représente un soutien pour les enseignants et un complément à leurs propres actions. En effet, sa présence au sein des établissements du REP permet de faire sortir de la classe les difficultés n’étant pas considérées comme relevant du champ de compétences des ensei- gnants. L’éducateur peut orienter vers d’autres partenaires, mais aussi prendre en charge l’élève sur le temps scolaire. Cet acteur est aussi celui qui facilite la communication avec les parents ; ce rôle l’amène dans des situations perçues comme délicates à être invité par l’enseignant aux rencontres individuelles avec les parents.

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Ce type d’actions internes à l’établissement est relativement facile à pro- poser et à faire accepter. Il en va différemment pour des actions externes, comme le suivi par un logopédiste, un psychomotricien, un psychologue et en dernier recours, l’orientation vers les structures spécialisées. Ces propositions impliquent en amont l’annonce d’une difficulté scolaire conséquente. Il s’agit pour l’ensei- gnant d’énoncer avec le plus grand tact possible son existence et la nécessité de sa prise en charge externe. Différentes stratégies argumentatives sont mobilisées, dont le but est bien, in fine, que les parents donnent leur accord et mettent en place la prise en charge souhaitée par l’institution.

Des stratégies d’annonce fondées sur des registres d’empathie et d’autorité Les enseignants ont conscience que le dialogue doit rester ouvert avec les familles, que l’accord est fragile et qu’il se négocie (Goffman 1974, Strauss 1992).

En ce sens, ils tendent à ajuster les actions proposées aux réactions des parents et à déployer des stratégies argumentatives pour les persuader de leur bien-fondé et re- chercher l’adhésion. D’une part, les enseignants mobilisent le registre émotionnel montrant une certaine empathie : “ça me fait mal de le voir comme ça”. Il s’agit ici de construire un intérêt commun autour du bien de l’enfant et de convaincre les parents d’agir. D’autre part, certains n’hésitent pas à avouer leurs limites aux parents lorsqu’il s’agit de montrer la nécessité de faire établir un diagnostic de la difficulté scolaire par des experts ou d’une prise en charge externe, alors présentée comme une aide pour eux-mêmes : “c’est juste que j’y arrive pas, moi […] J’aime- rais bien que quelqu’un m’aide pour ça”.

Une autre stratégie d’annonce est de citer des personnes absentes lors de la rencontre, mais qui présentent une autorité en la matière et auraient préalable- ment donné un avis favorable pour mettre en place ces actions. Tel peut être le cas du directeur d’établissement ou d’autres professionnels intervenant déjà dans la situation : “on en a parlé avec la directrice et on pourrait demander conseil au spécialisé”. Ainsi les enseignants oscillent-ils entre compassion et impersonnalité (Sennett 2003) pour présenter leurs propositions.

Des espaces de parole pour les parents, configurés par l’enseignant

S

i l’entretien est un lieu d’énonciation des enseignants, toutes les observa- tions montrent des espaces d’expression pour les parents qu’ils soient sim- plement esquissés, précisément suscités par l’enseignant ou saisis spontanément par les parents. La participation des parents à ces échanges, bien qu’attendue, est

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perçue comme une source d’incertitude pour les enseignants qui souhaitent en maîtriser le déroulement. Cependant, plusieurs facteurs les conduisent à offrir un espace de parole aux parents : les incitations institutionnelles “remarques des parents à susciter” (trame d’entretien proposée par le Service de la coordination pédagogique 2011), le besoin de négocier des actions éducatives futures quand la situation de l’élève le nécessite et la volonté des enseignants de “faire participer”

les parents.

Des espaces de parole esquissés : cadrage et séquencement de la rencontre

Les esquisses d’espaces de parole apparaissent dans quasiment tous les en- tretiens, sous des formes diverses et à différents moments. En amorce, lorsque l’espace de parole est verbalisé (“n’hésitez pas à poser des questions”), il est asso- cié à la présentation du cadre de la rencontre. Il permet à l’enseignant d’afficher l’entretien comme lieu d’échange. En parallèle, les enseignants instaurent un cli- mat de convivialité et de confiance en mobilisant des civilités d’usage ou l’histoire de la relation avec les familles. Ces éléments manifestent une posture d’écoute personnalisée qui permet de resituer la relation dans une continuité. Pour ces tout premiers échanges, les enseignants sollicitent parfois la parole sur d’infimes aspects organisationnels (“il n’est pas venu ?”, “vous avez pris connaissance du livret ?”). Ces variations dans l’ouverture peuvent modifier la situation en mettant l’accent sur des aspects scolaires ou plus personnels. Elles situent les protagonistes et la participation, donnent le ton. Elles peuvent par ailleurs, très vite, rassurer les parents ou les déstabiliser, par exemple en mettant l’accent sur un manque ou un oubli.

Au cours de l’entretien, des espaces de parole sont esquissés soit par des questions telles que “vous comprenez ce que je dis ?” visant à percevoir la qualité de la transmission du message, soit plus fréquemment, sous sa forme type “vous avez des questions ?”. Cette dernière catégorie de relances semble avoir deux fonc- tions : formaliser la possibilité d’expression des parents (et là, il s’agit du type d’espace de parole suivant) et séquencer l’entretien, c’est-à-dire signifier qu’une partie est terminée et qu’une autre va s’ouvrir. La parole des parents est canalisée pour que les informations arrivent en temps voulu et qu’une pause soit marquée afin de jauger leurs réactions. Ces questions, ne faisant qu’esquisser la parole des parents, sont très difficiles à saisir par ces derniers et n’ouvrent que très rarement un réel espace de parole. Leur silence peut même dans certains cas être interprété comme un désintérêt tant les enseignants sont convaincus d’avoir par ce biais sol- licité leur participation. Une enseignante dit à ce sujet : “je pense lui avoir laissé la porte ouverte à chaque fois si elle avait des questions”. Lorsque les parents sont plus entreprenants, ces questions n’apparaissent quasiment pas.

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“Vous avez autre chose à ajouter ?” Souvent, cette formule purement rhé- torique donne le signal de la fin de l’entretien. Il s’agit de terminer sur une note participative et projeter la relation dans le futur. Si la discussion a porté sur des annonces ou propositions jugées difficiles, la conclusion permet de rassurer les parents (une écoute ou des explications sont possibles ultérieurement) et de don- ner l’impression que rien n’est figé, parfois en proposant un prochain rendez-vous :

“on a dit beaucoup de choses. N’hésitez pas à venir me voir si vous avez des ques- tions”. Ce souci de terminer dans une atmosphère apaisée, souvent partagé par les parents, masque parfois les enjeux réels de la rencontre, notamment quand une décision vient d’être actée de manière peu explicite.

Des espaces de parole suscités :

recherche d’informations et stratégies argumentatives

Les enseignants posent ici des questions qui impliquent pour les parents de transmettre des informations sur le versant éducatif et familial. Ces questions pré- sentent divers aspects.

Des questions intermédiaires, entre espace de parole et recherche d’informations

Certaines questions, plus précises que celles correspondant aux espaces esquissés, s’en rapprochent pourtant : “comment ça se passe à la maison ?”, “et pour les devoirs ?”. Elles sont qualifiées d’intermédiaires pour plusieurs raisons.

Elles mentionnent une thématique, mais laissent une latitude de réponse très grande. Elles sont d’ailleurs saisies de manières très différentes par les parents.

Elles portent sur des sujets qui se situent entre les deux mondes : l’école et la maison. Si ces sollicitations qui servent à “faire parler” apparaissent très fréquem- ment, leur fonction est variable et semble dépendre de l’interprétation que les enseignants ont de la situation scolaire des élèves. Elles peuvent inciter une par- ticipation sans attente particulière ou, au contraire, s’inscrire dans la vérification d’une hypothèse d’explication de la difficulté scolaire. Cette ambivalence génère dans certains cas des malentendus, de l’incertitude ou encore de l’inattendu.

Des questions ciblées pour situer le problème

Les questions plus ciblées s’articulent autour de quelques thématiques ré- currentes principalement orientées sur un versant éducatif : la langue (pour les familles étrangères) et le langage, le sommeil, les modes de garde, les activités extrascolaires, les écrans (audiovisuel, internet…). Ces questions apparaissent es- sentiellement lorsque des difficultés sont perçues. Elles s’inscrivent dans une pers- pective de “faire dire”, car il s’agit souvent de confirmer des présupposés en faisant verbaliser par les parents certaines difficultés (de l’enfant ou d’eux-mêmes) pour

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aboutir à un constat partagé. Toujours formalisé, cet accord minimal représente un préalable argumentatif à la proposition d’actions. Quelle que soit sa teneur, la réponse risque d’être réappropriée dans le sens attendu par l’enseignant.

Vers la proposition d’actions

Si certaines questions ont pour fonction de parvenir à une proposition d’ac- tions, d’autres visent à connaître celles qui sont mises en place à l’initiative des parents, soit au sein de la maison (ce qui peut confirmer les présupposés relatifs aux pratiques familiales ou contribuer à faire passer des messages éducatifs), soit auprès des professionnels (ce qui peut rassurer les enseignants, mais aussi contri- buer à renforcer leur diagnostic, comme si la prise en charge prouvait l’existence d’une difficulté). Les séries de questions sont particulièrement emblématiques du faire dire : “est-ce qu’il vous écoute ? Quand vous lui demandez quelque chose, il fait ? Ou il faut répéter ? Quand il s’habille par exemple, il fait vite ?”. Là non plus, les parents peuvent ne pas comprendre où l’enseignant veut en venir et se sentir mis en cause ou pris au piège par ces questions de plus en plus précises.

Des espaces de parole saisis par les parents : posture, résistance, reconnaissance

Si la parole des parents est requise, certains ne font pas que répondre aux sol- licitations et interviennent sans y avoir été explicitement invités. Ils anticipent des reproches potentiels et des attentes perçues, évoquent leurs propres actions, demandent des explications sur des aspects précis de la scolarité. Ils donnent leur point de vue sur la situation scolaire de leur enfant, parfois pour exprimer un accord avec ce que dit l’enseignant par une observation convergente, parfois pour modérer ou avancer une divergence d’interprétation (“non, moi je pense que c’est parce qu’il ne travaille pas assez”), ou carrément pour s’opposer à une décision (“je vous dis non, il ne retournera pas à l’OMP (Office médico-pédagogique)”.

La résistance des parents, toujours difficile à mettre en œuvre, peut porter sur le diagnostic ou la solution de prise en charge externe. S’opposer revient souvent à replacer l’explication dans le cadre scolaire quand les enseignants cherchent à l’en faire sortir. Ces derniers peuvent alors se sentir remis en question en tant que professionnels. Refuser une proposition d’action est encore plus délicat, car les enseignants risquent de percevoir les parents comme ne faisant pas ce qu’il convient pour leur enfant. Cette forme de résistance parentale consiste souvent à repousser l’échéance de la réponse (“il faut qu’on en discute entre nous et avec lui pour voir… après on pourra vous dire”), ce qui permet de ne pas accepter sans dégrader la relation.

Il ne faut pas oublier toutes les interventions qui expriment une inquiétude, une confidence, une demande d’avis ou de conseil. Les parents font aussi appel à

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l’expertise éducative de l’enseignant ou à sa connaissance de l’élève (“Vous avez remarqué des changements ?”, “Qu’est-ce que vous en pensez ?”). Si ces demandes expriment une forte reconnaissance à l’égard de l’enseignant, elles peuvent aussi le déstabiliser, notamment lorsque le rôle qui lui est alors assigné dépasse les li- mites qu’il se fixe.

Ce qui est fait de la parole des parents

Les réactions et tactiques des parents peuvent ainsi servir ou entraver les stratégies (objectifs définis en amont de la rencontre) et techniques des ensei- gnants (habitudes de séquencement, de réponses, mais aussi réactions face à ce qui est dit par les parents).

L’argument des parents peut être simplement rejeté. C’est assez rare et cela semble montrer que l’enseignant est dubitatif ou s’impatiente “non (ce n’est pas vrai), on vous en a déjà parlé”. Aussi, l’argument peut être ignoré ou peu repris par l’enseignant quand il est considéré comme inadapté pour plusieurs raisons : inat- tendu, reconnu valable, mais sur un mode faible, jugé non pertinent, en désaccord avec les constats ou principes de l’enseignant et enfin lorsqu’il risque de dériver sur des sujets perçus comme délicats, par exemple les collègues, les effets pervers des actions proposées, etc. Ce relatif silence de l’enseignant s’observe surtout si le propos ne va pas dans le sens de l’argumentation souhaitée.

Toujours dans cette situation de désaccordage, l’enseignant peut rebondir pour pondérer l’élément apporté, justifier le bien-fondé de sa proposition ou signifier la divergence avec diplomatie. Dans le cas contraire, lorsque la parole des parents est concordante avec le point de vue de l’enseignant, elle est en général immédiatement saisie pour asseoir un accord, acter un constat ou énon- cer la nécessité d’agir. Les enseignants semblent soulagés par ces interventions des parents qui vont dans leur sens. Par ailleurs, ils peuvent aussi rebondir pour signifier une écoute, rassurer les parents sur la situation de l’élève (pas si dra- matique) ou sur leur réaction en entretien (“vous avez le droit de ne pas être d’accord”), pour les conforter ou les encourager dans leur action (“non, mais ce que vous faites, c’est bien !”).

Parmi les thèmes mobilisés par les parents, des arguments trop scolaires ou trop familiaux déstabilisent les enseignants. La qualité de l’information donnée par les parents tend à se mesurer à son utilité : les informations recherchées sont celles que les enseignants peuvent se réapproprier pour agir dans leur classe (Tardif & Lessard 1999). En cas contraire, l’information peut être jugée hors su- jet, voire disqualifiée. Une même information peut alors être considérée comme appropriée ou rejetée selon les enseignants ou selon les situations par un même enseignant.

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Ce que les entretiens individuels font à la relation école-familles

L

’étude du déroulement des entretiens individuels est maintenant à replacer dans la perspective de construction de la relation entre l’école et les familles.

Il s’agit de faire dialoguer les logiques à l’œuvre dans ces deux dimensions. Diverses ambivalences sont alors mises au jour. L’hybridation des enjeux qui en découle se traduit par une institutionnalisation de la relation aux parents et une tendance forte pour les enseignants à rechercher l’adhésion à leurs jugements scolaires et propositions d’actions. Ces deux dimensions interrogent les termes du partenariat école-familles.

Relation conviviale vs entretiens formalisés

Si le développement de la relation est envisagé sur le mode de la convi- vialité par les équipes éducatives des établissements scolaires, l’aspect formel des entretiens individuels tend à rompre cette dynamique. Leur ancrage institution- nel induit deux mouvements paradoxaux. D’une part, l’injonction officielle de ces rencontres s’impose aux acteurs de l’école, voire de la famille, et en détermine la forme. D’autre part, au cours des rencontres avec les parents, les enseignants prennent soin de situer aussi bien les échanges eux-mêmes que le travail effectué avec les élèves dans les directives et les programmes officiels. Ces deux aspects, contraignants et habilitants, font référence à la “dualité du structurel” (Giddens 1987, 226).

La formalisation de la rencontre

Les entretiens concernant la signature du carnet font l’objet de plusieurs documents officiels et constituent une obligation pour les enseignants (Charte et cahier des charges de l’enseignant primaire 1997). Leur fréquence et leur ob- jectif sont définis par une directive (Directive “transmission de l’évaluation aux familles” 2009) et leur déroulement peut s’appuyer sur une trame d’entretien pro- posée par le Service de la coordination pédagogique (SCOP, renommé depuis Ser- vice formation et développement : SeFOD). S’il est courant d’observer une nor- malisation des tâches effectuées par les enseignants selon leur environnement de travail (van Zanten 2001), l’analyse montre ici une forte adhésion aux prescrip- tions institutionnelles. Les incertitudes générées par cette activité, considérée par les enseignants comme ne faisant pas partie du cœur du métier et pour laquelle ils ne se sentent pas formés, sont en partie limitées par une mise en conformité avec le discours officiel. De plus, l’aspect formel des échanges les ampute du caractère

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convivial d’une véritable rencontre, que les enseignants essaient de réintroduire de manière quelque peu artificielle au cours des entretiens, comme évoqué au sujet des esquisses d’espace de parole. La forme réglée de leur déroulement présente des contradictions avec le principe de développement de la relation.

La dépersonnalisation de la relation

Une autre forme d’institutionnalisation consiste pour les enseignants à parler et agir non selon leurs principes et convictions pédagogiques, mais en s’ap- puyant sur les décisions officielles et en concertation avec les différents acteurs éducatifs. Cette tendance a été observée aussi bien au cours de la présentation des résultats scolaires et du travail effectué en classe, qu’au sujet des proposi- tions d’actions éducatives. En effet, l’organisation institutionnelle des ensei- gnements est mobilisée au sujet des apprentissages. Les enseignants montrent très souvent leur caractère officiel pour légitimer leur travail en classe : le Plan d’étude romand (PER) est cité au sujet de la programmation des apprentissages, les manuels scolaires ont mobilisé pour expliquer la difficulté d’un texte étudié en français, les albums jeunesse choisis par l’institution sont énumérés et enfin, un vocabulaire technique, qui n’est pas propre aux enseignants, mais constitue un jargon partagé au sein de l’institution scolaire est employé. De plus, quand il s’agit d’annoncer des actions éducatives à mettre en place, les enseignants pré- sentent les décisions en mentionnant de manière appuyée qu’elles sont collec- tives et non de leur seul fait. Quand l’enseignant pense être en difficulté pour les présenter il peut faire venir le directeur ou évoquer les autres acteurs éducatifs impliqués (logopédiste, psychomotricien, psychologue, éducateur). Cette réfé- rence à des décisions officialisées ne représente pas seulement une contrainte qui s’impose aux enseignants, mais plutôt la possibilité de se déresponsabiliser des jugements et décisions prises pour s’en remettre à ceux de l’institution : des situations de désapprobation de la part des parents peuvent alors être déconflic- tualisées. En situation, les enseignants semblent plus sereins lorsque leur dis- cours s’adosse à une expertise institutionnellement et socialement reconnue. Ils font preuve d’une forte croyance en ces décisions et modalités d’action qui sont peu questionnées.

Relation entre partenaires reconnus vs entretiens entre partenaires potentiels

Les parents sont dorénavant des partenaires éducatifs incontournables (Giuliani 2012) et les entretiens individuels constituent un des rares moments où les termes de la co-éducation sont négociés. Quand les difficultés de cer- tains élèves induisent la recherche de solutions adaptées à leurs besoins, les enseignants doivent à la fois annoncer aux parents les difficultés de leur enfant

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et solliciter leur accord pour mettre en œuvre de nouvelles actions censées y remédier. Les enseignants emploient des stratégies argumentatives pour s’assurer une meilleure maîtrise du déroulement des entretiens, bâtir un terreau d’entente favorable à la proposition d’actions et faire accepter leur jugement scolaire tout comme les actions à mettre en place. La recherche de ces accords minimaux présente deux visées : confirmer des présupposés et rechercher le consensus avec les parents.

Confirmer des présupposés

Les informations recherchées par les enseignants dans l’entretien indivi- duel portent principalement sur le repérage et la nature des difficultés scolaires, le comportement de l’élève et ce qui est fait en dehors de la classe, notamment à la maison. Quand l’enseignant constate un problème concernant un de ses élèves, il en effectue son propre diagnostic à partir de ses connaissances de la situation, mais aussi d’informations glanées dans la salle des maîtres ou directement auprès des anciens enseignants de l’élève en question. En entretien, il cherche directement ou indirectement à faire parler les parents sur des thèmes qui lui semblent expli- quer les difficultés scolaires de l’élève, dans le but de confirmer les éléments de son diagnostic. Dans ce cas-là, l’avis de l’enseignant est non seulement renforcé, mais sa logique argumentative est alors consolidée puisqu’il peut s’appuyer sur les affirmations des parents.

Rechercher le consensus

Une autre recherche d’informations est effectuée pour aboutir à un consen- sus avec les parents. Dans les entretiens, l’énonciation de phrases telles que “nous aussi on trouve que” ou “à la maison c’est pareil” constitue de véritables étapes dans le déroulement des entretiens enseignant-parents, dans le sens où elles té- moignent d’un constat partagé des difficultés d’apprentissage dans les disciplines ou du métier d’élève. En effet, atteindre ce type de consensus établit un monde commun entre l’enseignant et les parents qui sinon est inexistant, tant ces deux mondes ont tendance à être “étanches” l’un à l’autre (Payet et al. 2011, 29). Étant donné que l’élève enfant constitue un objet commun aux sphères scolaire et fami- liale, il apparaît primordial que les connaissances à son sujet soient partagées. Les enseignants, tout comme une grande partie des parents, sont curieux de savoir comment l’enfant se comporte dans l’autre monde. Quand l’élève est en situa- tion de difficulté scolaire, cette curiosité consiste pour les enseignants à savoir si les parents en ont conscience ou si, comme le redoutent bon nombre de profes- sionnels de l’éducation, ils le dénient. Dès que le constat de la difficulté au sujet des apprentissages ou du comportement est partagé, les enseignants peuvent alors émettre des propositions. Sans ce consensus, ils sont mis en difficulté pour la suite de l’entretien.

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Négocier la division du travail éducatif proposée par l’institution

La récurrence de cette recherche d’accords minimaux peut s’expliquer par le fait que les enseignants sont à la fois convaincus des solutions de prise en charge externe qu’ils proposent et conscients que la décision ne peut finalement être prise que par les parents. Ils doivent donc les persuader du bien-fondé de leurs pro- positions pour permettre aux élèves en difficulté de trouver leur place au sein de l’institution scolaire. Comme évoqué plus haut, les enseignants disposent d’une expertise sur les questions d’apprentissages qui à leurs yeux rend leur travail et leurs propositions légitimes. Par ailleurs, la participation des parents au travail scolaire ne semble pas être perçue comme efficace pour favoriser les apprentis- sages. Les actions éducatives réalisées dans la sphère familiale ou à partir de leur propre initiative, c’est-à-dire en dehors du “contrôle de l’enseignant” (Glasman 1992), font l’objet de peu de considération, voire de suspicion. Cela est d’autant plus prégnant dans un environnement social défavorisé où la densité d’élèves en difficulté induit un regard déficitaire sur leur famille. En conséquence, les ren- contres individuelles avec les parents sont rarement considérées comme pouvant avoir des effets sur la prise en charge des difficultés scolaires de l’élève à la maison : bien que la division du travail éducatif soit recherchée, le travail scolaire se fait au sein de l’institution ou par des professionnels de l’éducation.

Un mouvement contradictoire s’opère donc pendant les rencontres avec les parents, ce qui leur donne des airs de “faux dialogues” (Lantheaume & Hélou 2008, 53). D’une part, les enseignants reconnaissent l’implication des parents et verbalisent le besoin de travailler “ensemble” : une rhétorique autour d’un monde commun est largement mobilisée. Cela renvoie à la “reconnaissance comme pure rhétorique” mise au jour par Payet (2008, 110). D’autre part, la recherche d’ac- cords minimaux sert aux enseignants à faire des propositions d’actions auxquelles les parents consentent plus facilement. Ainsi, ces derniers sont reçus dans l’école en tant que partenaires éducatifs, mais bien souvent, on attend d’eux qu’ils ad- hèrent aux décisions prises au sein de l’école, faute de quoi, ces parents risquent alors d’être qualifiés de “non collaborants”.

Conclusion : l’entretien individuel, un révélateur de l’hybridation des enjeux et des logiques dans la relation entre école et famille

Dans un environnement où la difficulté scolaire est concentrée, la commu- nication des résultats scolaires des élèves devient une tâche particulièrement sen- sible. Les différents types d’informations énoncés et recherchés par les enseignants ont été détaillés, mais aussi les différentes stratégies argumentatives mises en œuvre au cours de l’entretien, afin de cerner ce que les entretiens individuels font à la relation enseignant-parents. Ce texte a évoqué des tensions et des ambivalences dans lesquelles sont pris les enseignants, signes d’une hybridation des enjeux de

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ces entretiens conçus comme un élément de la relation école-familles. En effet, leur réalisation relève de logiques paradoxales, notamment le décalage entre la recherche de convivialité de la relation et le formalisme des entretiens, mais aussi le fait de considérer les parents comme des partenaires de la relation tout en étant à la recherche de leur consentement au cours des entretiens. Ces deux logiques paradoxales ne sont pas les seules. Apparaissent aussi : la superposition de logiques anciennes et de logiques récentes (mentionnées en introduction), la différence de temporalité entre des entretiens ponctuels et la continuité de la relation, une recherche d’efficacité “par” les rencontres individuelles et “pour” la relation elle- même et enfin, une pratique individuelle des entretiens enseignant-parents et col- lective de la relation école-familles (par exemple, dans le cadre du projet d’établis- sement). Cette accumulation de paradoxes dans la mise en œuvre des rencontres en face à face avec les parents comme outils de la relation entre l’école et la famille crée des tensions avec lesquelles les enseignants doivent composer.

Dans la réalisation des entretiens enseignant-parents un écueil –qui appa- raît en filigrane dans le texte– concerne l’obligation de résultat qui pèse sur les enseignants et se concrétise par une recherche d’efficacité dans leurs différentes tâches, dont ces rencontres. Les échanges avec les parents ne sont pas appréhendés comme un moyen en soi de lutte contre les difficultés scolaires, mais deviennent un instrument de gestion de la difficulté scolaire (Kalubi & Lesieux 2006, 573). Cette visée utilitariste des rencontres avec les parents amène les enseignants à devoir convaincre, dans un calendrier relativement rigide, de la légitimité de leur juge- ment scolaire et des actions proposées par l’école. Cette intention est en contra- diction avec des objectifs de coopération et de partenariat à construire entre l’école et les familles, qui reposent en particulier sur une temporalité flexible, une écoute et une prise en compte réciproques des points de vue et une co-construction des actions. Les stratégies des enseignants pour satisfaire les exigences d’efficacité de l’entretien, le souci de bien faire leur travail et maintenir leur confort profession- nel (Becker 1997) consistent en partie à institutionnaliser les échanges, à recon- naître les limites de leurs actions pédagogiques au sein de la classe et à mobiliser d’autres professionnels de l’éducation pour compléter leurs actions. Par ailleurs, pour répondre aux exigences de la relation, les enseignants mettent en œuvre des stratégies telles que la construction d’un climat convivial, l’euphémisation de la difficulté scolaire et/ou de l’action éducative proposée et le brouillage de l’informa- tion. Elles ont l’avantage d’éviter le conflit dans l’interaction, mais peuvent créer des malentendus au sujet du jugement scolaire et des enjeux du suivi de la scolarité.

Les enseignants mettent ainsi en place des “compétences interactionnelles”

(Cicourel 2008, 14) pour répondre à la fois aux exigences institutionnelles et aux impératifs de l’interaction avec les parents. Néanmoins, les effets produits sont bien éloignés des principes affichés par l’institution scolaire au sujet du dévelop- pement de la relation école-familles.

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Références bibliographiques

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