M. E YTAN
Quelques propriétés de la loi de Pareto et leurs incidences en sciences humaines (I)
Mathématiques et sciences humaines, tome 8 (1964), p. 21-26
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QUELQUES PROPRIETES DE LA L0i 1 DE PARETO ET LEURS INCIDENCES EN SCIENCES HUMAINES (I)
M. EYTAN
Parmi les
modèles mathématiques
utilisés en SciencesHumaines,
y on faittrès largement appel
aux modèlesprobabilistes.
Ils’agit
souvent deph.én.omènes
que l’onpeut
sereprésenter
commeentièrement caractérisés
par la donnée d’unnombre,
va-leur d’une certaine variable aléatoire X. Tout un chacun s ait combien
l’ hypothèse
selon
laquelle
X suit une loi "normale"(c’est-à-dire
deLaplace-Gauss)
est(ou
dumoins était
jusqu’à
cesdernières années) répandue.
Ce
postulat
estcritiquable
pou.rplusieurs
raisons:1)
il semblearbitraire,
2)
la loi deLaplace-Gauss,
dont la fonction derépartition
estdonnée
parest
très
fortement concentrée autour de lamoyenne
m, les valeurs de Xqui
s’enéloignent
assez peu. sonttrès
peuprobables.’ exemple
on sait queIl est donc
"probable"
que X neprendra "jamais"
une valeu.rs’ éloignant
de lamoyenne de
plus
de 5 6. Plusprécisément
on a uneprobabilité négligeable
d’obser-ver une valeur tant, soit peu
éloignée (c’est-à-dire
deplus
de5 4
de m. Or il estd’observation
courante de constater que certainsphénomènes expérimentaux
nepré-
sentent pas cette
caractéristique:
parexemple
larépartition
des villes des Etats- Unis selon leurpopulation.
Enfin la loi de
Laplace-Gauss
a une varianceCette circonstance aussi
peut
être contredite parl’expérience,
dans le sens sui-vant :
lorsqu’on augmente
la taille del’ échantillon,
la varianceexpérimentale augmente
deplus
enplus,
sans borne. Parexemple
l’étude de certaines valeurs enbourse
présente
ce caractère de varianceexpérimentale-
croissante sans borne.Qu’à
cela netienne,
y dira-t-on: si lescaractéristiqu.es
ci-dessus sont criti-(1)
Les propriétés exposées ci-dessous sont bien connues des probabilistese; leur utilisation en Scien-ces Humaines est due à B. Mandelbrot,
quables,
choisissons une autreloi,
y et choisissons-la bien. La loi de Pareto parexemple:
lesgrandes
valeurs de la variable sont relativementfréquentes (du
moinsen
comparaison
avec la loi deLaplace-Gauss),
et la variance estinfinie, quoique
la moyenne soit finie.
Contrairement
à la loi deLaplace-Gauss,
elles’intéresse davantage
aux pro- babilités des valeurséloignées de l’origine.
Sa fonction derépartition
est don-née par:
où a est un
paxamètre (en général
onimpose
la.condition 1 ’ a’ 2),
C une cons-tante ’0.
Sous
cetteforme,
elle aété étudiée
par Pareto en1897 (1 )
pourreprésenter
la distribution des revenus, le nombre
d’individus ayant
un revenusupérieur
ouégal
à xétant
donné parG(x) = Cx Î
Plus
généralement
onappellera
loiasymptotiquement parétienne
une loi dontla fonction de
répartition H(x)
vérifie:Cependant,
y nou.sdira t-on, pourquoi
’la loi de Pareto serait-elledigne
d’in-térêt
depréférence
à uneautre,
n’ est-ellepas..tout
aussi arbitraire que la loi deLaplace-Gauss ?
Certes il y a d’autres raisons des’intéresser
à la loi dePareto,
des raisons
"profondes" c’est-à-dire théoriques
et non pasempiriques. Son, choix
n’est
pasarbitraire,
pasplus
d’ailleurs que celui de la loi deLaplace-Gauss
pour décrire certainsphénomènes
dans les Sciences Humaines.Venons-en donc aux
résultats
de la théorie.Soient XI
etX2
des variables aléa-toires
indépendantes
suivant lamême
,On dit que la loi
é
eststable si, quels
que soient les nombresa
’>0, b ,
, 1 1
a2
’>0, b2y
il existe des nombres a ’>0,
b et une variable aléatoire X suivant la,
tels
que:Autrement
dit,
y on ne sort pas du domaine de la en yprocédant
à des ad-ditions de variables
aléatoires indépendantes
définies àl’origine
et àl’échelle (positive) près.
Définissons maintenant une
généralisation,
en un certain sens, de la notion de loi stable. Pour cela soitdonnée
unesuite, X1’
yX2,
..~yX~ ...
de variablesaléa-
toires
indépendgrites -I, suivant
toutes lamême
loie -
(l)
Pareto: Cours d’Economie Politique, Travaux de Droit, d’Economie et de Sociologie n° 26, nouvelle édition par Bousquet et Busino - Librairie Droz-Genève(1964).
,Considérons
la variablealéatoire:
et
soit Y’
n sa loi. Si lasuiteil
converge(1)
vers une loiquand
n onn
dit 1 est une loi-limite.
Théorème 1 (2) :
Pour que la loiJ~
soit uneloi-limite,
il faut et il suffitqu’ elle
soit stable. 1
Il faut
donc,
y si nous voulonsdéterminer
la classe deslois-limites,
chercherquelles
sontles’ lois
stables. Or on les connait toutes(3):
.’
Théorèmé
2: les lois stables sont de laforme (4) F(x;
a,~, Y, c)
où0 ’ a ’ 2, ~, Y,
c sont desparamètres.
Elles ont lespropriétés
suivantes:Pour oc 4
1et oc 4
2 elles sontasymptotiquement parétiennes
’
Pour oc= 1 ce sont des lois du
type
dite loi de
Cauchy,
nepossédant
ni moyenne ni variance finie.Pour a = 2 ce sont les lois de
Laplace-Gauss
.1
Corollaire
(5):
la loi deLaplace-Gauss
est la seule loi stable à variance finienon nulle.
Soit maintenant
X , "2
... ,X
y ... une suite de variables aléatoires indé-(i )
li s’agit de convergence en loi c.a.d. de la convergence des fonctions de répartition aux pointsde continuité de la fonction de répartition 1 i-m 1 te.
(2) (SRV)
p.’ 162. ,(3) (AVA)
p. 198;(SRV) §
34;(PDI)
pf.89-90).
(4)
Leurfonction
caractéristiquef(t)
est de la forme:où y est réel 1
(c’est
lamoyenne),
0"pendantes
suivant la mêmeloict;
intéressons nous à la valeur, extrême(1)
Théorème
3(Fréchet) :
les lois-limites de la valeurextrême
sont de la forme(à
unchangement d’origine
etd’échelle près):
’c’est-à-dire asymptotiquement parétiennes.
La suite
X1’
yX2,
2 ...,Xi,
y ... devariables aléatoires
suivanttoujours
lamême
n
loi 2 ,
on dira que la loiX appartient
au domaine d’ attraction de la loi deLaplace-Gauss
si la loi detend vers la loi de
Laplace-Gauss lorsque
Théorème 4 (2):
pour que la loi~ appartienne,
au domaine d’attraction de la loi deLaplace-Gauss
centrée et réduiteil faut et il suffit
qu’elle
ait une variance finie , et alorsnécessairement
Définissant
ledomaine d’attraction
d’une loiasymptotiquement paxétienne
defaçon analogue,
on a le résultat suivant(3) :
Théorème
5: pourqu’ une
loiowappar-tienne
au domaine d’attraction de la loi asymp-totiquement parétienne,
y il faut et il suffitqu’elle
soit elle-mêmeasymptotiquement
paréti enne
etquelconque).
Revenons
maintenant auxmodèles probabilistes,
et supposons que l’onpuisse
considérer comme
acquis,
tout au moins enpremière approximation,
que la variable aléatoirereprésentative
duphénomène
est une moyenned’un très grand
nombre devariables aléatoires
indépendantes
suivant lamême
loi. Une tellehypothèse peut être
valable parexemple
dans la théorie des erreurs d’observation ou dans celle(1 ) (VE), (SE)
(2) (AVA)
p. 110;(SRV)’
p. 181.(3) (SRV)
p. 181 et 182..du revenu d’un individu
(beaucoup
de facteurs contribuant au revenuqui
est consi- déré comme leurmoyenne),
y ou d’un grouped’individus.
Nous pouvons supposer alorsqu’en
fait on observe la variable"apparente" Sn
résultant des n variables "laten- tes"X. 1
par la formule:-
.
1J.
Pour
qu’il
y ait une certainerégularité,
il faut que la loi deS n
tende versune limite
(sinon
nos observations oscilleraient defaçon erratique
avecn).
Maisd’après
lethéorème
2 une telle limite nepeut
êtrequ’une
loi stable c’est-à-direou bien
gaussienne (variance
et moyennefinies),
y ou bien deCauchy (ni
variance ni moyennefinies)
ou bienasymptotiquement parétienne.
Eliminant le casparticulier
de la loi de
Cauchy,
nous voyons donc que nous sommes conduitsà postuler
que lemodèle
doit fournir des observations suivant soit une loigaussienne (variance
fi-nie),
y soit une loiasymptotiquement parétienne (variance
nonfinie).
Mais dans lecas de variance non
finie,
lethéorème
5 nousindique
que si la loi limite estasymptotiqu.ement pa,rétienne,
la loi desXi
l’est aussi.Ainsi
donc, à
condition de bienpondérer
les moyennes que l’onétudie,
unphénomène
pourraêtre postulé
suivre la loi deLaplace-Gauss
si la variance estfinie,
la loiasymptotiquement parétienne sinon;
dans ce dernier cas ce ne sont pas seulement les moyennes mais encore les constituantsprimitifs qui
serontasymptotiquement pa,rétiens.
Tout cela sous réserve que l’onpuisse postuler
uneaggrégation
se traduisant par unemoyenne pondérée (et l ’ indé endance
des consti-tuants).
’
Mais il y a encore mieux: supposons que l’on
procède
à uneopération
de maxi-misation sur les variables aléatoires du
modèle (par exemple
pour les revenus un individu pourra secomporter
comme s’il avait le loisir deremplir plusieurs
fonc-tions,
et il choisittoujours
cellequi
luirapporte
leplus).
Alorsd’après
lethéorème
3 la loi-limite ne pourraêtre qu’asymptotiquement parétienne.
Remarquons
enpa,ssant
quelorsqu’on
observe unphénomène
aussi mal défini queceux
qu’il
est usueld’observer
en SciencesHumaines,
la stabilité estindispensa-
ble pour une autre raison encore: on ne
sait jamais
si l’ontraite
lephénomène global (par exemple
revenutotal)
ou seulement unepartie
isolée(par exemple
despa,rties
isolables durevenu)
duphénomène.
Il doit donc exister une invariance par addition pour que les diverses définitionspossibles
ne donnent pas lieu à des lois différentes(1 ) .
Disons enfin
quelques
mots sur lescomportements
différents suivantqu’une
variable est
gaussienne
ouasymptotiquement parétienne.
flnpeut
montrer(2)
que dans le cas de la loi deLaplace-Gauss
,
1V1
et
réciproquement.
Donc dans le casasymptotiquement parétien
lerapport n n
ne tendn
(1) (PRF)
p. 525.(2) (PRF)
p. 523.pas vers D : si a
priori
lesXi
contribuent defaçon identique
àSn (et
pour unepart négligeable
à limSn),
1 il n’en est pas de même apostériori,
car alors leplus grand
desXi n’est plus négligeable, l’emportant
sur les autrestrès largement.
~