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Une nouvelle revue sur le genre en éducation et en formation

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Academic year: 2022

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Une nouvelle revue sur le genre en éducation et en formation

© Publié en 2017 par la Revue GEF, numéro 1, www.revuegef.org

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Sommaire du numéro 1

Éditorial

GEF, une revue pour valoriser les recherches sur le genre en éducation et formation

Isabelle Collet et Sigolène Couchot-Schiex

1-3

Un colloque thématique de l’AECSE « Genre dans les sphères de l’éducation, de la formation et du travail » organisé par le CEREP

Nassira Hedjerrassi

4-5

Introduction au numéro Sigolène Couchot-Schiex

6-7

Dossier Stéréotypes et représentations dans les pratiques enseignantes et culturelles en milieu scolaire

Genre en éducation sexuelle. Réflexion sur les cours dispensés à des élèves ayant une déficience intellectuelle

Sophie Torrent

8-16 Enseignement de l’histoire et représentations sociales. Comment des thèmes

d’histoire du genre permettent d’objectiver les stéréotypes de sexe Valérie Opériol

17-29

Implications épistémologiques de l’évaluation formative dans la (re)production du genre

Didier Chavrier

30-39

Le jugement professoral en EPS à travers les bulletins scolaires : comparaison entre une enseignante d’EPS et ses deux collègues

Julien Moniotte

40-48

Les sciences appliquées des classes de fin d’études, en rose et bleu. Images, vignettes, illustrations… des manuels scolaires des années 1950

Joël Lebeaume

49-62

Scientifiques de pixels et scientifiques en herbe. Les images des sciences et leur rôle dans l’élaboration des représentations enfantines en milieux populaires

Clémence Perronnet

63-75

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Varia

Conduites entre élèves : des décalages perceptifs au cœur des questions scientifiques, éducatives et pour les protagonistes

Annie Léchenet

76-86 Entrevues

Entrevue avec Nicole Mosconi à propos de son livre De la croyance à la Différence des sexes

Isabelle Collet

87-89 Entretien avec Marie Duru-Bellat à propos de son livre La tyrannie du genre

Céline Delcroix

90-92

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Article sous licence Creative Commons BY NC ND 1

GEF, une revue pour valoriser les recherches sur le genre en éducation et formation

Isabelle Collet, MER, Université de Genève

Sigolène Couchot-Schiex, MCF HDR, ESPE de Créteil

Pour citer cet article

COLLET, I. & COUCHOT-SCHIEX, S. (2017). GEF, une revue pour valoriser les recherches sur le genre en éducation et formation. Revue GEF (1), 1-3. Repéré à https://revuegef.org

« On ne naît pas femme, on le devient. » : l’importance de la question du genre en éducation est au cœur de la citation féministe la plus célèbre du monde francophone : cette phrase de Simone de Beauvoir (1949, p.285) est connue par la femme et l’homme de la rue, quand bien même elle et il n’auraient aucune connaissance en études de genre. À partir du moment où il est affirmé qu’aucune nature, qu’aucune biologie, qu’aucun destin pré-écrit ne permet d’expliquer (et de justifier) le monde social, à l’instant où on admet que « l'intervention d'autrui dans la vie de l'enfant est presque originelle et que dès ses premières années sa vocation lui est impérieusement insufflée » (de Beauvoir, 1949, p.286), alors la question du genre en éducation et en formation devient centrale pour comprendre l’organisation sexuée de la société.

Des écrits très anciens traitant d’éducation statuent sur la place du genre… ou plutôt des femmes, ne serait-ce que pour les exclure explicitement de l’acquisition et de la production des savoirs. Les dialogues de Socrate (Xenophon, 2015) définissent un périmètre étroit d’apprentissage, car la jeune fille « doit voir le moins de choses possible, entendre le moins possible, poser le moins de questions possible » puisque tout lui serait enseigné par son mari. La première épitre de Paul impose aux femmes d’apprendre dans la soumission et lui interdit d’enseigner, car se serait prendre autorité sur l’homme.

On comprend dès lors que l’accès à l’éducation constitue un bon indicateur des rapports de domination qui règnent dans une société, car le groupe dominant a l’habitude de décider de ce que les dominé·es doivent savoir et de ce qu’elles ou ils n’ont pas besoin d’apprendre. L’égalité en éducation est un enjeu de taille, car l’accès au savoir est avant tout un accès au pouvoir, mais aussi un accès aux outils qui permettent de critiquer la manière dont le pouvoir est exercé.

Par la sélection et la distribution inégale des savoirs, l’éducation fabrique du genre. Les différents champs théoriques qui s’intéressent à l’éducation ont compris qu’il s’agissait d’« une catégorie utile d’analyse historique » (Scott, 1988) qui permet simultanément d’insister sur le caractère socioconstruit du masculin et du féminin et de référer à « une façon première de signifier des rapports de pouvoir » (p. 141).

La sociologie matérialiste met l’accent sur les rapports sociaux de sexe qui produisent continuellement un système de représentation qui hiérarchise le masculin et le féminin : le masculin, supposé être l’apanage des hommes, valant plus que le féminin, supposé être dans la nature des femmes. La psychologie s’intéresse au genre comme producteur de normes de sexe bicatégorielles, attribuant des compétences dites « féminines » ou « masculines » aux individus, indépendamment de leur catégorie de sexe, et sans que cet arbitraire ne remette en cause la hiérarchie entre masculin et féminin. Le concept de genre a également extrait le masculin de l’universel et a ouvert la voie à l’étude des masculinités. En renouvelant la réflexion autour des identités, le genre a permis d’étudier les

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Article sous licence Creative Commons BY NC ND 2 sexualités, en particulier dans le domaine des études queer qui remettent fondamentalement en cause la pertinence de la bicatégorisation de sexe et revendiquent l’apparition d’identités de genre fluides, non binaires.

L’opérationnalisation de ces théorisations dans le domaine des sciences de l’éducation se fait sous forme de dispositifs qui tendent à se répartir en deux catégories. Les premiers placent au centre de leur action la lutte contre les discriminations (luttes contre les stéréotypes, le sexisme ordinaire, les LGBTQI phobies, le harcèlement, la violence de genre, l’accueil des publics issus de l’immigration…) avec l’idée que la suppression des mécanismes discriminants permettra plus d’égalité. Les seconds entrent par la question de l’égalité dont la mise en œuvre, à tous les degrés et dans tous les espaces mettra fin aux discriminations (pédagogie de l’égalité, gender mainstreaming, accès à tous les métiers, mise en œuvre d’une mixité réelle dans la classe ou en formation…).

In fine, que l’on parle de didactique ou de pédagogie, qu’on l’aborde de manière transversale ou disciplinaire, qu’il s’agisse éducation des enfants ou de formation des adultes, que l’on se situe dans des institutions de formation ou dans des contextes non formels, il s’agit toujours de venir à bout de la hiérarchie qui existe entre les sexes et les sexualités, soit en formant les individus de manière égalitaire, soit en débarrassant l’éducation des inégalités qui la traversent.

Pour autant, les rapports sociaux de sexe ne sont pas isolés des autres rapports sociaux par lesquels un groupe d’individus exerce son pouvoir sur d’autres groupes. Les rapports sociaux consubstantiels (Kergoat, 2009) qui façonnent l’expérience individuelle se fabriquent à partir des multiples logiques de pouvoir établies sur les critères de la classe sociale, du handicap, de la racisation, ethnicisation des individus, des catégories de sexe ou de sexualité. Les conséquences individuelles et collectives s’avèrent plus complexes que la somme d’avantages ou d’inconvénients de chaque rapport pris isolément, plus imbriquées qu’une simple superposition. Ces imbrications participent de la construction d’un ordre social pluridimensionnel hiérarchisé qui n’épargne pas les sphères de l’éducation ou de la formationpuisque la société fait l’école.

Bien qu’aujourd’hui, il parait impensable de faire abstraction du genre quand on parle d’éducation, cette dimension a été jusque récemment considérée comme anecdotique, voire, inexistante en recherche comme dans les politiques éducatives. Comme l’ont souligné les auteures féministes des années 70-80 (dont Delphy, 1970 ; Kandel, 1975 ; Mosconi, 1989), la sociologie française de l’éducation des années 1960-1970 s’est essentiellement préoccupée des inégalités de classes, reportant la « variable sexe » à un niveau secondaire (Prost, 1986). Suite au texte pionnier de Liliane Kandel (1975) qui pointait le fait que le système éducatif français - malgré les principes d’égalité qui l’anime - discrimine les filles et les femmes, des ouvrages fondateurs de ce champ paraissent dans les années 1990. Nicole Mosconi (1994) interroge les effets de la mixité scolaire et crée peu à peu le concept de

« rapport sociosexué au savoir » : si tous les individus ont le droit d’acquérir tous les types de savoir, dans les faits, certains savoirs sont considérés comme tabous ou infamants, naturels ou transgressifs selon sa classe sociale et sa catégorie de sexe. De son coté, Marie Duru-Bellat (1990) rend compte de la façon dont l’école prépare les filles et les garçons à des rôles sociaux distincts.

Qu’en est-il quarante plus tard ? La recherche sur le genre en éducation et formation s’est déployée dans de nombreuses directions et ses résultats principaux ne font plus réellement débat dans les cercles scientifiques : l’orientation est sexuée au même titre que l’emploi est sexué ; les prises de paroles en classe sont déséquilibrées en faveur des garçons ; les contenus d’enseignement sont loin d’être exempts de stéréotypes sexués ; les garçons de milieu populaire sont surreprésentés parmi les élèves en échec et constituent le gros des effectifs des décrocheurs ; paradoxalement, les filles malgré leurs brillants résultats scolaires restent minoritaires dans les filières d’excellence ; quel que soit leur diplôme, elles le rentabilisent moins bien que les garçons sur le marché du travail ; leur expérience ordinaire des faits d’un sexisme latent et permanent à leur encontre, les amène à construire des stratégies de réussite scolaire, mais de soumission sociale.

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Article sous licence Creative Commons BY NC ND 3 Pourtant en quarante ans, le politique n’a pas lésiné : dans les différents pays francophones, une armada de textes institutionnels affirme et réaffirme au fil du temps l’importance des enjeux : circulaires, recommandations, lois sur l’instruction publique, Bulletins officiels, plans d’études, programmes ou quel que soit le nom donné d’un pays à l’autre, ils font tous la promotion de l’égalité entre les sexes. Mais de quelle égalité parle-t-on ? Pour quels enjeux ? Quels objectifs ? Avec quels moyens ? Si dans les sciences de l’éducation, comme dans le reste des sciences humaines et sociales, les discours essentialistes sont devenus très minoritaires, le bienfondé des études de genre pour comprendre les phénomènes éducatifs ne va pas encore de soi. Pourtant, la recherche est plus prolifique que jamais : les mémoires, les thèses, les habilitations se soutiennent sur les questions de genre et d’éducation ou formation. En formation aussi, les avancées sont notables, les parcours spécialisés font leur apparition, dans les parcours ordinaires des modules émergent aussi... encore en marge, ou marginalisés ainsi qu’on peut le regretter en Europe francophone comme au Québec. Ce qui est frappant aujourd’hui, c’est l’écart entre le fort intérêt des étudiant·es, d’un nombre croissant d’enseignant·es et de formateur·trices pour les questions de genre et la faiblesse des moyens accordés pour ces enseignements, leur manque de reconnaissance en soi, l’étroitesse de la place qu’on leur réserve... c’est bien parce qu’il le faut, parce que la loi l’impose : beaucoup considèrent toujours ces questions comme de second ordre...

Cinq ans après la création de l’Association de Recherche sur le Genre en Éducation et Formation en août 2012 au Congrès international des recherches féministes francophones (CIRFF) de Lausanne, nous affirmons notre volonté d’aller plus loin en créant la première de revue électronique francophone : Genre Éducation Formation (GEF) accordant une place spécifique aux questions d’éducation et de formation envisagées à partir des études de genre dans leur pluralité d’orientation et de points de vue. Cette nouvelle revue dans le paysage scientifique répond à un véritable besoin de débat et de partage sur les questions qui nous préoccupent et tombe à point nommé pour contribuer au débat sociétal.

Références

Beauvoir, S. (de) (1949). Le Deuxième Sexe. Paris : Gallimard.

Delphy, C. (1998). L'ennemi principal I : L'économie du patriarcat. Paris : Syllepse.

Duru-Bellat, M. (1990). L'école des filles : quelle formation pour quels rôles sociaux ? Paris : L'Harmattan.

Kandel, L. (1992). La non-mixité comme métaphore. In C. Baudoux et C. Zaidman (Eds.), Egalité entre les sexes. Mixité et démocratie (pp. 231-248). Paris : L’Harmattan.

Kergoat, D. (2009). Dynamique et consubstantialité des rapports sociaux. In E. Dorlin (Ed.), Sexe, race, classe : pour une épistémologie de la domination (pp. 111-125). Paris : PUF.

Mosconi, N. (1989). La mixité dans l'enseignement scolaire : un faux semblant ? Paris : PUF.

Mosconi, N. (1994). Femmes et savoir. La société, l'école et la division sexuelle des savoirs. Paris : L'Harmattan.

Prost, A. (1983). Histoire générale de l'enseignement et de l'éducation en France. L'école et la famille dans une société en mutation, depuis 1930 (Vol. T.4). Paris : Nouvelle Librairie de France.

Scott, J. (1988). Genre : une catégorie utile d’analyse historique, Les cahiers du GRIF, 37-38, 125- 153.

Xénophon (2015). Mémorables. Paris : Les belles lettres.

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Un colloque thématique de l’AECSE « Genre dans les sphères de l’éducation, de la formation et du travail » organisé par le CEREP

Nassira Hedjerrassi, Professeure des universités, Université de Reims Champagne-Ardenne

Pour citer cet article

HEDJERRASSI, N. (2017). Un colloque thématique de l’AECSE « Genre dans les sphères de l’éducation, de la formation et du travail » organisé par le CEREP. Revue GEF (1), 4-5. Repéré à https://revuegef.org

Genèse du Colloque thématique de l’AECSE

Le choix de la thématique du genre dans les sphères de l’éducation, de la formation et du travail s’inscrivait clairement dans le sillage de la voie ouverte par Nicole Mosconi, qui fut co-présidente de l’Association des Enseignants et Chercheurs en Sciences de l’Education (AECSE). Cette dernière avait participé à développer une tradition d’organisation de symposium « Genre en éducation et formation » à l’intérieur des Congrès d’actualité de la recherche en éducation et en formation (AREF), proposés tous les 4 ans par l’AECSE (Strasbourg 2007, Genève 2010, Montpellier 2013). Cet élan s'est poursuivi et intensifié. Lors du Congrès AREF 2013 à Montpellier, le co-président Yvan Abernot a participé à l’Assemblée Générale de l’ARGEF et marqué son soutien au projet en germe d’une proposition de Colloque autour du genre en éducation et en formation. En effet, si ces dernières décennies de nombreux numéros de revues (Hedjerassi & Avenel, 2016) avaient pu être consacrés au Genre en éducation ou formation, aucun Colloque de l’AECSE n’avait été dédié à cette thématique. La visée était clairement de donner de la visibilité aux travaux menés dans les domaines de l’éducation et de la formation, pour participer de la reconnaissance de ce champ de recherche.

Thématique

En réponse à l'appel à organisation du colloque thématique de l'AECSE, le Centre d’études et de recherches sur les emplois et les professionnalisations (CEREP, EA4692), de l’Université de Reims Champagne-Ardenne (URCA), et plus particulièrement en son sein le Groupe Genre qui venait de se constituer, a proposé la thématique des images et représentations au prisme du genre dans les sphères de l'éducation, de la formation et du travail. La visée du colloque était selon les termes de l’appel à communication « d'interroger au prisme du genre, les intersections et articulations existantes entre, d'une part, les sphères de l'éducation, de la formation et du travail, et d'autre part, les représentations et mises en images ».

Si l’un des enjeux est de contribuer à donner de la visibilité au champ de recherche du genre en éducation et en formation, la thématique proposée est large, ouverte à des disciplines plurielles tant les sciences de l’éducation que la sociologie, les sciences de l’information et de la communication (SIC), les sciences (STAPS), mais aussi les disciplines littéraires, artistiques, linguistiques, historiques etc.

Le choix est aussi d’entendre dans des acceptations très larges les notions de « mises en images » et de

« représentations » qui « balayent un large spectre d'objets allant du plus abstrait au plus concret ».

Images mentales, représentations sociales, stéréotypes sont visées tout autant que les matérialisations (dans le domaine de l'éducation, les supports…) ». Les mises en images et représentations sont susceptibles tant d’être analysées dans leurs contenus que comme des « traces d'une certaine construction des réalités sociales » ou encore « comme matérialisation de rapports sociaux de domination », notamment de sexes.

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Article sous licence Creative Commons BY NC ND 5 C'est également dans un sens très large que le genre était entendu, couvrant à la fois les travaux sur les femmes et les hommes, le féminin et le masculin, les sexualités... Pour autant, le fil rouge du colloque était d’interroger les processus par lesquels les mises en images, les représentations participent à « la construction d'un ordre social hiérarchisé ».

Stéréotypes, représentations sexuées, pratiques enseignantes

Dans la sphère de l’éducation, l’école, et notamment les pratiques enseignantes, constitue un terrain privilégié pour analyser les mises en images et représentations sous l’angle du genre. L’appel à textes invitait à un questionnement sur l’éducation sexuelle, sur les normes véhiculées dans le temps, notamment selon les publics. C’est précisément cette problématique croisée avec un groupe minorisé (celui des élèves ayant une déficience intellectuelle) dans le contexte suisse qu’aborde l’article de Sophie Torrent selon une approche définie comme intersectionnelle.

Comme les travaux curriculaires, parmi lesquels le travail de Nicole Mosconi sur les savoirs scolaires (Mosconi, 2004), le mettent en exergue, les contenus d’enseignement peuvent eux-mêmes participer à la (re)production du genre entendu comme « un système de normes de sexe hiérarchisant, producteur d’inégalités, qui légitime ces inégalités en les naturalisant » (Marro, 2012). De nombreuses disciplines scolaires ont été interrogées sous cet angle : par exemple la philosophie (Mosconi, 2004, Hedjerassi, 2008), l’histoire (Zancarini-Fournel, 2004), les enseignements de sciences et de technologies (Lebeaume, 2014), etc. Et inversement, le travail sur les programmes mêmes peut faire émerger ces représentations stéréotypées sexuées, et contribuer à leur dé-construction. Ce que propose Valérie Opériol dans son article portant sur l’enseignement del’histoire.

Les travaux docimologiques ont depuis longtemps montré les biais dans les pratiques d’évaluation, et ils font notamment ressortir des différences nettes dans les notations des copies selon le sexe des élèves, selon la logique du double standard. Deux articles explorent les pratiques évaluatives au prisme du genre : l’un (par Julien Moniotte) analyse un corpus de bulletins scolaires, l’autre (par Didier Chavrier) interroge les implications épistémologiques de la pratique d’évaluation formative sur la (re)production du genre.

Parmi les travaux relevant du domaine de l’éducation scolaire, les images des manuels constituent dans les travaux curriculaires sous l’angle du genre un bel observatoire des processus de construction et de transmission de représentations stéréotypées, de normes sexuées. C’est ce que l’article de Joël Lebeaume explore sur un plan historique, en analysant un corpus de manuels scolaires des années 1950 portant sur les sciences appliquées des classes de fin d’études. Dans cette même lignée, mais avec un angle qui croise rapports sociaux de sexe et rapports sociaux de classe, l’article de Clémence Perronnet interroge de manière originale les images des sciences et des métiers scientifiques véhiculées par les supports culturels pour la jeunesse auprès de publics enfantins de milieux populaires.

Références

Hedjerassi, N. (2008). Des élèves de lycées face à la philosophie : des rapports sociaux de sexe en jeu, Canadian Journal of Education, 31(1), 1-21.

Hedjerassi, N. & Avenel, C. (2016) (dir.). Orientation et formation : l’approche transversale du genre, Éducation et socialisation, n°42 [En ligne : http://journals.openedition.org/edso/1807].

Lebeaume, J. (2014). L'enseignement ménager en France. Sciences et techniques au féminin, 1880- 1980. Rennes : Presses universitaires de Rennes, coll. « Histoire ».

Marro, C. (2012). Dépendance-indépendance à l’égard du genre, Recherche et formation, 69, 65-80.

[En ligne : http://journals.openedition.org/rechercheformation/1722].

Mosconi, N. (1994). Femmes et savoirs. La société, l’école et la division sexuelle des savoirs. Paris : L’Harmattan.

Zancarini-Fournel, M. (2004). La place de l’histoire des femmes dans l’enseignement de l’histoire, Cahiers d’histoire. Revue d’histoire critique, n°93, pp.63-78.

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Article sous licence Creative Commons BY NC ND 6

Introduction au numéro

Sigolène Couchot-Schiex, MCF HDR, ESPE de Créteil

Pour citer cet article

COUCHOT-SCHIEX, S. (2017). Introduction au numéro. Revue GEF (1), 6-7. Repéré à https://revuegef.org

Le numéro par lequel nous inaugurons l’ouverture de notre revue se compose, outre les textes de l’éditorial et la présentation du contexte du dossier, d’un article de varia et de deux textes tirés d’entrevues avec deux auteures majeures de notre champ ayant publié chacune, un ouvrage à l’automne 2017.

Dossier

Les six textes qui composent le dossier Stéréotypes et représentations dans les pratiques enseignantes et culturelles en milieu scolaire coordonné par Sigolène Couchot-Schiex, relèvent du champ des sciences de l’éducation et sont issus de communications réalisées dans le cadre du colloque thématique de l’AECSE «Genre dans les sphères de l’éducation, de la formation et du travail »1. Ils interrogent ou articulent les conceptions et réflexions des élèves et des enseignant·es, la mise en scène et la construction des savoirs scolaires in situ, dans l’expérience de la classe soumise aux jeux et enjeux des acteurs et des actrices dans leurs positions sociales et scolaires ; montrent le façonnage du jugement professoral soumis à l’influence des représentations de genre.

Le premier article écrit par Sophie Torrent « Genre en éducation sexuelle. Réflexion sur les cours dispensés à des élèves ayant une déficience intellectuelle » rend compte de l’imbrication des rapports identitaires construits à la fois par le handicap et par le genre dans le cadre des cours d’éducation sexuelle spécialisée dispensés aux élèves et du poids du système de genre héréronormatif qui infléchit les représentations des enseignantes spécialisées de l’étude.

Valérie Opériol nous plonge dans l’«Enseignement de l’histoire et représentations sociales. Comment des thèmes d’histoire du genre permettent d’objectiver les stéréotypes de sexe » à partir d’un corpus recueilli dans des cours dispensés dans le secondaire visant à repérer les stéréotypes de sexe construisant les représentations adolescentes des rapports sociaux à l’occasion de l’évocation de figures historiques masculines ou féminines. L’objectif final étant d’outiller les enseignant·es pour faciliter la déconstruction critique de ces représentations qui participent de la reproduction du système de genre.

Les deux textes suivant explorent le jugement professoral et la construction des faits évaluatifs dans le contexte de l’éducation physique et sportive (EPS). Dans son article : « Implications épistémologiques de l’évaluation formative dans la (re)production du genre », Didier Chavrier, explore les processus de construction des faits évaluatifs soumis à la normalisation du genre. L’évaluation perçue comme un pivot de la didactisation de l’EPS en tant que discipline scolaire n’est envisagée que dans son apparente neutralité des comportements différenciés sur la base du critère du sexe de l’élève, postulat que l’auteur soumet au relevé de données de terrain recueillies in situ.

1 Colloque international Le Genre dans les sphères de l’éducation, de la formation et du travail. Mises en images et

représentations (coordination Sophie Divay, Nassira Hedjerassi et Françoise F. Laot), Cérep, AECSE, Université de Reims Champagne-Ardenne, 28-30 octobre 2015.

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Article sous licence Creative Commons BY NC ND 7 Julien Moniotte dans « Le jugement professoral en EPS à travers les bulletins scolaires : comparaison entre une enseignante d’EPS et ses deux collègues » mobilise les catégories de l’entendement professoral qu’il applique à l’évaluation en EPS, discipline dans laquelle les représentations du masculin et du féminin sont particulièrement clivées selon un mode binaire qui induit une forme de hiérarchisation de la lecture des comportements des élèves filles ou garçons.

Un regard historicisé sur les manuels scolaires des années 1950 comme supports des cours de sciences appliquées est proposé par Joël Lebeaume à partir d’une enquête sur : « Les sciences appliquées des classes de fin d’études, en rose et bleu. Images, vignettes, illustrations... des manuels des années 1950 » passés au crible de l’analyse des stéréotypes de genre. Ce texte riche en illustrations iconographiques met en valeur les évolutions de l’inégal accès aux savoirs par leur attribution sexuée et la participation des choix curriculaires à la reproduction des dispositions sexuées et des rôles sociaux ségrégués.

Enfin, le dossier se termine par une mise en perspective à partir des représentations enfantines sur les sciences abordées par Clémence Perronet dans son article : « Scientifiques de pixels et scientifiques en herbe. Les images des sciences et leur rôle dans l’élaboration des représentations enfantines en milieux populaires ». Comment les enfants en âge de l’école primaire réceptionnent et s’approprient les représentations sociales sur le monde scientifique proposées par les produits culturels pour la jeunesse.

Comment s’élabore et se caractérise leur imaginaire des sciences ?

Varia

Dans « Conduites entre élèves : des décalages perceptifs au cœur des questions scientifiques, éducatives et pour les protagonistes », Annie Léchenet interroge les décalages perceptifs entre jeunes et adultes à propos des relations sexuées. La lecture de comportements pouvant être identifiés comme violents ne va pas de soi. En effet, les différent·es protagonistes, selon que l’on se place du coté des jeunes, filles ou garçons, ou du coté des adultes qui les observent, n’envisagent pas ces comportements avec les mêmes enjeux. Quelles observations peut-on faire de ce que l’auteure décrit comme des

« violences de genre » ? Comment les interpréter, les comprendre ?

Entrevues

A l’occasion de leur dernière publication, GEF recueille les propos de deux chercheuses pionnières des questions de genre en éducation. Découvrons leurs actuelles propositions ...

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Genre en éducation sexuelle. Réflexion sur les cours dispensés à des élèves ayant une déficience intellectuelle

Sophie Torrent, Université de Fribourg (Suisse), Département de pédagogie spécialisée

© Publié en 2017 par la Revue GEF, numéro 1, www.revuegef.org

Pour citer cet article

TORRENT, S. (2017). Genre en éducation sexuelle. Réflexion sur les cours dispensés à des élèves ayant une déficience intellectuelle. Revue GEF (1), 8-16. Repéré à https://revuegef.org

Résumé

En Suisse romande, des cours d'éducation sexuelle sont dispensés aux élèves en situation de handicap par des spécialistes en santé sexuelle intervenant dans les écoles spécialisées. Une recherche doctorale s’intéresse au contenu de ces cours et aux enjeux liés aux questions de genre. Deux séquences de cours, filmées puis analysées, sont illustrées dans cet article. Elles démontrent la difficulté pour l’éducation sexuelle spécialisée de s’extraire du cadre hétéronormé.

Mots-clés : éducation sexuelle spécialisée, déficience intellectuelle, doing gender, hétéronormativité.

1. L’éducation sexuelle en Suisse romande, entre institutionnalisation et remise en question Bien que les parents soient les premiers à dispenser l’éducation sexuelle à leurs enfants, et que leur entourage, leurs pairs et les médias y contribuent, nous aborderons ici uniquement l’éducation sexuelle formelle, dispensée depuis les années 701. Si le thème central des cours à ce moment-là était la contraception, l’arrivée de l’épidémie du SIDA a mis la priorité sur la prévention des infections sexuellement transmissibles dans les années 80-90. L’éducation sexuelle a pris un tournant dans les années 2000, avec une préoccupation pour la lutte contre les inégalités de genre, l’homophobie ou les violences sexuelles. L’éducation sexuelle destinée aux enfants et aux jeunes aujourd’hui est une éducation holistique :

Par éducation sexuelle, on entend une manière d’aborder l’enseignement de la sexualité et des relations interpersonnelles qui soit adaptée à l’âge, culturellement pertinente et fondée sur une information scientifiquement précise, réaliste et s’abstenant de jugements de valeur. L’éducation sexuelle offre la possibilité d’explorer ses propres valeurs et attitudes, et de développer des compétences en matière de prise de décisions, de communication et de réduction des risques, concernant de nombreux aspects de la sexualité (Organisation des Nations Unies pour l’Éducation, la Science et la Culture, 2010, p.2).

Elle vise à transmettre des informations scientifiques sur tous les aspects de la sexualité. Elle favorise aussi le développement de compétences sociales et d’attitudes qui permettent aux enfants et aux jeunes de déterminer personnellement leurs relations et leur sexualité. En Suisse romande, cette éducation

1Pour une vision historique de l’éducation sexuelle en Suisse romande, lire le document de Cortolezzis et Muheim (2002).

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Article sous licence Creative Commons BY NC ND 9 sexuelle est dispensée non pas par des enseignant·es, mais par des spécialistes en santé sexuelle (Jacot-Descombes, 2008) qui interviennent lors de la scolarité obligatoire des enfants et adolescent·es.

Ces cours d’éducation sexuelle s’inscrivent dans le plan d’étude romand, qui définit les objectifs de l’enseignement public: les objectifs de l’éducation sexuelle y sont en effet mentionnés, en termes d’objectifs de santé et de bien-être, mais également comme objectifs d’éducation citoyenne et sociale (Santé Sexuelle Suisse, 2014).

Les élèves en situation de handicap ont aussi droit à une éducation sexuelle dans le cadre scolaire, les droits sexuels s’appliquant à toutes et à tous. On parle alors d’éducation sexuelle spécialisée. Ce terme renvoie aux cours d’éducation sexuelle dispensés à des élèves scolarisé·es dans des filières spécialisées, soit des élèves ayant besoin d’une adaptation de l’enseignement du fait d’une déficience motrice, sensorielle, intellectuelle, ou plus généralement d’autres difficultés qui les excluent de l’enseignement ordinaire.

L’éducation sexuelle spécialisée «doit encourager et enseigner l’estime de soi, la capacité de faire des choix et d’expérimenter certains plaisirs, en particulier en relation avec le corps et l’apparence générale » (Santé Sexuelle Suisse, 2012, p.4). Cette éducation est dispensée sur demande des institutions et des écoles spécialisées. Le contenu et le matériel pédagogique sont adaptés aux types de handicap et aux niveaux de compréhension.

Si l’éducation sexuelle semblait être un acquis dans le paysage suisse depuis plus de 40 ans, elle a récemment été remise en cause. Tout comme en France, où les détracteurs du mariage pour tous ont créé un climat de méfiance voire de « panique de genre » (Espineira, 2015) appelant au boycott des ABCD de l’égalité, des craintes similaires ont émergé en Suisse en ce qui concerne l’éducation sexuelle. Ainsi, en 2013, une initiative populaire intitulée «Oui à la protection contre la sexualisation à l’école maternelle et à l’école primaire» a été déposée dans le but d’interdire l’éducation sexuelle aux enfants de moins de 12 ans. Dans les arguments des dépositaires, on retrouve le refus de donner la même valeur aux familles arc-en-ciel qu’aux familles traditionnelles, mais aussi la crainte de la diffusion de la supposée « théorie du genre », dont les milieux homosexuels sont considérés comme responsables. Si en 2015, le comité de cette initiative l’a finalement retirée, il a promis de rester attentif au bon déroulement de l’éducation sexuelle, s’attribuant ainsi un rôle similaire aux « vigie- gender » français.

2. Cadre théorique : Se savoir sexué et s’extraire des normes : le genre à l’épreuve du handicap Au croisement des gender studies et des disability studies, les recherches qui mettent en lien les aspects de genre et le handicap sont rares, surtout celles qui concernent la déficience intellectuelle.

Elles nous révèlent cependant deux dimensions. Un premier constat, émanant de la revue de littérature, est la confusion de l’enfant quant à son identité de genre. Bien qu’il ou elles’identifie en partie à son parent du même sexe, il ou elle perçoit avant tout la différence, à savoir la présence d’un handicap, contrairement à son parent. Ainsi, l’identification au genre est entravée et l’enfant se retrouve confus·e quant à savoir s’il est un garçon ou si elle est une fille (Brandao, Mercier, Delville, Zucman, Juncker

& Lachal, 2005). Concernant maintenant les facteurs environnementaux, en présence d’un handicap, l’identité de genre a tendance à être reléguée au deuxième plan. Le handicap peut alors être utilisé comme l’équivalent de la différence sexuelle, comme le facteur qui amène une différence. Lorsque l’entourage peine à reconnaitre l’identité sexuée de l’enfant, ceci engendre des difficultés pour l’enfant de se reconnaître comme fille ou garçon (Céleste, 2009 ; Korff-Sausse, 1996). Cette tension ne s’arrête pas à l’enfance mais se poursuit à l’âge adulte, avec des conséquences sur la vie intime et sexuelle. En effet, retirer à la personne la possibilité d’être un être sexué est aussi une étape qui facilite le retrait de la possibilité d’une sexualité partagée.

Un deuxième constat concerne l’enfant en situation de handicap mental : ces enfants présentent souvent une attitude d’hypernormalisation. De par les attitudes, de par l’habillement, mais aussi dans les interactions, le genre se construit ici de façon très stéréotypée, plus que chez des jeunes sans handicap (Vaginay, 2010). Sans doute ceci est à mettre en lien avec l’habitude de ces enfants d’imiter au mieux les modèles dominants dans le but d’être accepté·es. Dans ce même ordre d’idée, l’exemple

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Article sous licence Creative Commons BY NC ND 10 des expériences homosexuelles chez les adolescents en situation de handicap est révélateur : ces jeunes vivraient plus d’expériences homosexuelles que leurs pairs sans handicap (Thompson, 2001).

Ceci s’explique pour des raisons de proximité et de disponibilités de jeunes du même sexe dans les foyers notamment. Pourtant, ces jeunes ont un « discours plutôt réprobateur envers l’homosexualité souvent jugée par eux dégoûtante » (Vaginay, 2010, p. 119). L’hypothèse faite ici est celle d’une volonté de se conformer à la norme dominante, l’enjeu d’être comme tout le monde étant plus marqué pour les jeunes des milieux spécialisés.

Deux tendances se dessinent donc ici : d’une part, une difficulté à se définir comme filles ou garçons, et de l’autre une plus grande soumission aux normes de genre. Dans le modèle social du handicap (Fougeyrollas, 2010), les facteurs environnementaux impactent sur le handicap. Ces deux tendances exprimées ici peuvent être renforcées ou diminuées par l’environnement social et attitudinal. Dans ces deux cas de figure, le rôle de l’éducation sexuelle dans le cadre scolaire est essentiel : il permet d’abord d’aider à se construire comme un être sexué, mais il est aussi un outil pour réduire les inégalités de genre (Le Prévost, 2009). Mais comment d’un côté donner des repères pour aider à se repérer comme une personne sexuée, et de l’autre de déconstruire les stéréotypes de genre ? Comment se fait la construction du genre dans l’éducation sexuelle spécialisée ? Quelles sont les pratiques des spécialistes en santé sexuelle ?

3. Aspects méthodologiques

Cette présentation est issue d’une recherche doctorale en cours réalisée à partir de l’analyse d’enregistrements vidéos des cours d’éducation sexuelle spécialisée. Nous avons ainsi suivi durant deux années scolaires, de façon hebdomadaire, les quatre spécialistes en santé sexuelle qui interviennent dans un canton suisse romand pour donner d’une part les leçons d’éducation sexuelle dans les classes dites ordinaires, mais aussi dans les milieux spécialisés, à savoir dans les institutions spécialisées ou les écoles spécialisées. Ces quatre femmes ont suivi une formation universitaire postgrade afin de devenir spécialistes en santé sexuelle. Elles ont ensuite été formées aux spécificités liées aux handicaps. Elles sont toutes sensibles aux questions des stéréotypes et de l’égalité des genres.

Nous nous centrerons uniquement sur les leçons données en milieux spécialisés. Divers moyens ont été mis en œuvre pour récolter et produire les données : l’observation de cours d’éducation sexuelle spécialisée, la prise de notes in situ, la réalisation d’enregistrements vidéos des cours, l’observation d’autres moments informels. Ceci nous a ainsi permis une triangulation des types de données et des sources (Paquet, Crahay & de Ketele, 2006). Si notre intérêt porte sur ce qui est explicitement transmis lors des cours, les transmissions implicites ne sont pas négligées. « Les normes peuvent être explicites ou non, et lorsqu’elles opèrent en tant que principe normalisateur dans les pratiques sociales, elles restent habituellement implicites, difficiles à décrypter et il n’est pas simple de discerner clairement les effets qu’elles produisent » (Butler, 2006, p. 58). La confrontation à diverses sources d’informations nous permettent un meilleur accès au curriculum caché, c’est-à-dire «ces choses qui s’acquièrent à l’école (savoirs, compétences, représentations, rôles, valeurs) sans jamais figurer dans les programmes officiels ou explicites» (Forquin, 1996, p. 23).

La notion du doing gender (West & Zimmermann, 1987) permet de comprendre la construction du genre, comme constituant de l’identité sexuée. Le genre n’est ici plus vu comme une série de traits individuels, ni une variable, ni un rôle. Il est une activité quotidienne plus qu’un attribut. « Faire le genre signifie créer des différences entre les filles et les garçons, les femmes et les hommes, des différences qui ne sont ni naturelles, ni essentielles ou encore biologiques. Une fois que les différences ont été produites, elles sont mobilisées en retour pour faire valoir la “naturalité“ du genre. » (West &

Zimmermann, 1987/2009, p.47). Si le genre se fait dans les interactions, c’est au travers du discours qu’il est produit et reproduit (Butler, 2006). Nous allons présenter ici deux moments significatifs des cours d’éducation sexuelle dispensés à des élèves avec une déficience intellectuelle modérée puis légère. Ces deux extraits ont été sélectionnés pour plusieurs raisons : d’un part, ils représentent les deux dimensions émanant de la revue de la littérature présentée plus haut : la construction sexuée et les normes de genre. D’autre part, ces deux extraits représentent des interventions que nous avons très souvent observées.

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Article sous licence Creative Commons BY NC ND 11 4. La construction du genre à l’œuvre : deux extraits de cours

Les spécialistes en santé sexuelle qui travaillent dans les milieux spécialisés ont une certaine marge de manœuvre : possibilité de travailler en petits groupes, d’utiliser un tel ou un tel matériel éducatif, etc.

Le plan du cours n’est pas défini en avance et l’importance est mise sur les réponses aux besoins exprimés par les élèves. Ainsi, les cours commencent souvent avec la demande aux élèves des sujets qu’ils aimeraient aborder. Lorsque le niveau de compréhension et/ou de communication, la gêne ou d’autres choses ne permettent pas à l’élève d’expliciter ses besoins, les professionnelles amènent alors les sujets qui leur paraissent centraux, comme dans le prochain extrait.

4.1. Soutenir la compréhension de l’identité sexuée des élèves ayant une déficience intellectuelle modérée

Un point central selon les professionnelles est la nécessité pour les élèves de savoir se situer en termes de genre : de comprendre la différence entre les filles et les garçons et de réussir à se définir comme l’un ou comme l’autre. « Si l’on veut qu’ils avancent, ils doivent savoir qui ils sont » (Spécialiste en santé sexuelle A). Le premier extrait est issu d’un cours dispensé à un groupe de filles de 13 et 14 avec une déficience intellectuelle modérée à profonde. Elles ont très peu de possibilités de communication, ce qui rend l’exercice difficile, mais l’objectif semble assez important pour être tout de même tenté :

« On va leur donner cette possibilité, qu’ils prendront ou qu’ils prendront peut-être jamais de se dire

“Je suis un garçon“, “Je suis une fille“, “Je suis comme ci ou comme ça“ » (Spéc B).

Le cours commence par cette remarque de la spécialiste en santé sexuelle (Spéc B) sur le physique de la jeune fille :

Spéc B : Ça va, les filles ? [S’adressant à l’une d’entre elles] Qui c’est qui t’a coiffé ce matin, et qui t’a fait une belle tresse ?

La professionnelle commence par utiliser des cartes sur lesquelles sont dessinés des filles et des garçons, des femmes et des hommes. Elle leur demande d’identifier les personnes :

Spéc B : C’est un monsieur ? Ou bien c’est une dame ? Fille : Dame.

Spéc B : Non, monsieur. Et là, c’est une dame ou un monsieur ? Fille : Monsieur.

Spéc B : Non, c’est une dame.

L’exercice est trop difficile et les réponses données par l’élève fille sont fausses, mais il est poursuivi.

La spécialiste leur demande de classer les cartes en deux tas distincts, un tas avec les cartes présentant le masculin, l’autre le féminin. A certains moments, des explications viennent soutenir et aider ce classement et cette différenciation filles/garçons :

Spéc B : Oui, c’est une fille. Qu’est-ce qu’elle tient dans les mains ? Elle a des fleurs. Et ici, c’est qui? C’est un garçon. Qu’est-ce qu’il a sous le pied ? Un ballon. Il fait du foot, c’est un garçon. [S’adressant à moi] C’est vachement stéréotypé tout ça. Mais ça donne des pistes. [Reprenant le cours]

Et ça, c’est une dame ou un monsieur ? Fille : Monsieur !

Spéc B : Regarde bien : c’est une dame, elle a une jupe, des talons, on met chez les dames, on met chez la fille.

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Article sous licence Creative Commons BY NC ND 12 Les explications qui viennent aider à la compréhension du genre qui sont proposées sont de l’ordre des stéréotypes de genre. Ils sont utilisés ici de manière consciente, car ils permettent une meilleure compréhension pour les élèves avec des difficultés intellectuelles.

Après quelques cartes classées, la spécialiste en santé sexuelle les renseigne sur leur propre genre :

Spéc B : C’est une dame comme toi. C’est une dame, elle a des seins, comme toi.

Les filles vont alors être identifiées et assignées par la professionnelle à des filles, s’appuyant dans un premier temps sur les ressemblances aux images sur les cartes. La professionnelle va utiliser ensuite un autre support que les cartes images : les bébés sexués, qui sont des poupées avec les organes génitaux externes dessinés. Elle va, avec l’aide des élèves, déshabiller les poupées, leur enlever les couches, pour montrer le sexe de la poupée fille pour s’en servir comme d’un modèle d’identification.

Spéc B : Elle a un sexe de fille, une zézette, c’est une fille comme Anita, comme Hélène, comme moi.

Durant l’échange, la spécialiste en santé sexuelle les informe sur le fait qu’elles sont des filles, en montrant le sexe nu du bébé sexué qu’elle leur a posé dans les bras. Elle informe : « Tu es une fille, comme ce bébé-là, qui a un sexe de fille aussi » (Spéc B). L’identité de genre est ici résumée au sexe biologique, plus précisément dans sa forme visible et extérieure.

Le cours se poursuit avec un troisième outil : des puzzles en bois représentant un garçon et une fille, que l’on peut habiller ou déshabiller, en plaçant et déplaçant les pièces. La fille dessinée sur le puzzle a des cheveux longs, avec un nœud dans les cheveux et porte une robe. Le garçon a un pantalon et porte une casquette. Les parties génitales sont dessinées et visibles lorsque certaines pièces de puzzle sont enlevées. Ici, l’identité sexuée est aussi basée sur le sexe biologique, dans sa forme génitale et visible, mais surtout sur l’expression du genre, avec l’importance sur les habits portés et autres caractéristiques (cheveux longs, cheveux courts), eux-mêmes marqueurs du genre. Les filles sont ici aussi comparées et définies comme semblables à la fille sur le puzzle.

4.2 : Aborder l’homosexualité et l’identité de genre avec des élèves ayant une déficience intellectuelle légère

Le deuxième extrait de cours porte sur la diversité sexuelle. Les spécialistes en santé sexuelle traitent très régulièrement de l’homosexualité dans un réel souci de lutter contre l’homophobie dans le cadre scolaire. Ce thème est aussi amené parfois spontanément par les élèves, comme dans cet extrait.

Nous sommes ici à un cours d’éducation sexuelle donné à des garçons de 13 à 15 ans ayant une déficience intellectuelle légère et des troubles de l’apprentissage. Ils ont de bons niveaux de compréhension et communiquent avec facilité. La discussion démarre car il y a une confusion exprimée par un élève entre les termes pédé, pédophile et homosexuel. La professionnelle (Spéc C) explique et différencie ces termes, puis elle en profite pour donner des informations sur l’homosexualité :

Spéc C : Alors, la difficulté qu’ont beaucoup de jeunes, c’est qu’en fait, on ne choisit pas ça. On ne reçoit pas un petit sms pour nous dire : « Prépare- toi, tu es différent des autres… » Les jeunes trouvent qu’ils sont différents des autres, mais ils ne comprennent pas très bien. Puis ils commencent à comprendre… mais est-ce qu’ils sautent de joie ? Ou est-ce que c’est plutôt compliqué, vous pensez ?

Garçon : Mais ça dépend des gens.

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Article sous licence Creative Commons BY NC ND 13 Spéc C : Alors ça dépend des gens, des familles, mais est-ce qu’à votre âge,

on a envie d’être très différents des autres ?

Garçon: Moi ça ne me dérange pas d’être différent des autres.

Spéc C : Ouais mais beaucoup de jeunes de votre âge, ils aiment bien s’habiller un peu comme les copains, faire les mêmes activités.

S’il semble en effet important de préciser que l’orientation sexuelle n’est pas quelque chose de choisi, le problème réside ici dans l’insistance sur la différence et la difficulté qui y est rattachée. Difficulté pourtant atténuée par l’élève lui-même qui essaie de la relativiser. De plus, en faisant ce parallèle aux activités et à l’habillement, pour montrer l’importance d’être comme tout le monde, un biais peut être créé : cette affirmation laisse en effet sous-entendre que les personnes homosexuelles s’habillent différemment et ont d’autres loisirs que les personnes hétérosexuelles.

Le discours se poursuit ensuite sur le nombre de personnes concernées :

Spéc C : Et les homosexuels, il y en a combien vous pensez ? Garçon : 3 ? 5 ? 10 ?

Spéc C : Entre 8 et 10, sur 100 personnes, ça veut dire moins de 1 personne sur 10, ça veut dire aussi la difficulté, souvent ils se sentent très seuls et il y a souvent une période entre 12 et 20-25 ans, où ils sont là tout seuls, avec ce secret et ils osent en parler avec personne, et ils ne se sentent pas bien avec ça. Et puis après, en général, une fois qu’ils ont pu régler ce problème, qu’ils ont pu travailler là-dessus, qu’ils ont pu en parler, comment s’appelle le terme quand un homosexuel dit aux gens autour de lui qu’il est homosexuel ?

Garçon : Des aveux ?

Spéc C : Ouais alors on utilise un terme anglais qui s’appelle coming out.

Après avoir montré combien ce phénomène était rare, ce qui marque à nouveau la différence, le discours porte, sans nuance, sur les difficultés d’être homosexuel, en lien à l’isolement et au secret, et ce durant une décennie. Si l’on peut imaginer que le but visé ici est d’implorer la bienveillance et la compassion des élèves participants aux cours envers de potentiel·les ami·es homosexuel·les, la formulation est problématique car elle donne une image très grave de l’homosexualité. Un des élèves mentionne d’ailleurs le terme aveux, comme en parlant d’une faute, ou d’un crime, et ce terme n’est non seulement pas déconstruit par la professionnelle, mais il est même validé par un ouais. Ce registre de la faute est aussi utilisé par la professionnelle quand elle parle de problème à régler, où l’on ne comprend pas si le problème mentionné est l’homosexualité ou le silence qui l’entoure. Enfin, ce registre va être repris par Spéc B lorsqu’elle explique au groupe qu’ils ont une responsabilité s’ils sont témoins du harcèlement d’un élève en lien à l’orientation sexuelle, tout en admettant qu’il n’est pas facile de réagir pour soutenir un ami victime: « C’est pas facile quand on est en groupe, parce que si tout le monde insulte les homosexuels, alors des fois on n’a pas envie de les défendre parce qu’on se dit que l’on va être accusés » (Spéc C). Accusés renvoie à nouveau à une notion de faute.

S’ensuit un dernier propos sur l’homosexualité à propos de l’injonction pour les personnes directement concernées de se confier à quelqu’un. « Si un jour vous avez un copain ou une copine qui vous dit qu’il se pose des questions, il faut l’encourager à parler avec quelqu’un, de ne pas rester seul avec ce secret » (Spéc C). A nouveau sont amenées ici la solitude et la souffrance en lien à l’homosexualité. Si l’idée derrière ce propos est à nouveau de soutenir un·e ami·e potentiellement en souffrance, le fait de l’amener ainsi stigmatise encore plus l’homosexualité. Avec cette injonction faite ici de dévoiler des choses intimes, ce qui n’est jamais demandé aux personnes hétérosexuelles, la séparation entre ces deux orientations est à nouveau marquée.

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Article sous licence Creative Commons BY NC ND 14 La discussion se poursuit et touche ensuite à l’identité de genre, lorsqu’un élève fait une confusion entre le genre (s’habiller comme une fille si l’on est un garçon) et l’orientation sexuelle. L’élève a besoin de mieux comprendre ces dimensions. La spécialiste fait alors un schéma sur un tableau et explique :

A la naissance, on va naitre soit avec un sexe de fille, soit avec un sexe de garçon, et en fonction du sexe qui est là, on va se sentir garçon ou on va se sentir fille. Ça, c’est la plupart du temps, c’est comme ça. Et puis après, la majorité des filles qui sont filles dans leur sexe et filles dans leur tête, sont attirées par le sexe opposé. Et puis de temps à temps il y a des garçons qui naissent avec un sexe de garçon, mais qu’en grandissant, ils ont l’impression que la nature s’est trompée. Ça, ça va être compliqué, parce qu’ils ont l’impression qu’on ne les comprend pas, quand on leur dit « non, tu ne peux pas mettre une jupe parce que les jupes c’est les filles qui les mettent », il va dire « mais je suis une fille ». Et ça, c’est les personnes trans ou transsexuelles. C’est très compliqué à l’intérieur de la tête quand on a une question trans (Spéc C).

Le fait de nommer en premier les aspects les plus évidents, tels que la nature le prévoit, quand la nature ne se trompe pas ostracise à nouveau les personnes ne correspondant pas à la norme de genre.

Ici le discours mentionne que c’est le sexe biologique, auquel on est assigné, qui va déterminer si l’on se sent fille ou garçon. Ce qui renforce la naturalité du phénomène et qui invisibilise les personnes intersexes. Or, on sait qu’elles sont plus nombreuses à connaître des ambiguïtés du développement sexuel, dans le domaine de la déficience intellectuelle. Par rapport au schéma dessiné, le fait de définir les différentes dimensions de l’identité (genre-sexe-sexualité) devrait permettre une approche non binaire de la diversité. Or, ici, la façon d’amener le sexe, le genre et l’orientation sexuelle comme des éléments la plupart du temps liés, contribuent à créer une matrice hétéronormative (Butler, 2005). De plus le discours ici reste uniquement axé sur des explications biologiques et naturelles, et aucunement sur des dimensions sociales. Par ailleurs, en dessinant ce schéma uniquement pour parler des exceptions car un élève pose une question, et non pour aborder les identités de chacun et chacune, la spécialiste marque encore cette séparation entre ce qui est établi de ce qui ne l’est pas.

5. Différentialisme et reproduction des normes dominantes

Ces deux extraits de cours d’éducation sexuelle ont porté sur des thèmes divers, ont été donnés par deux professionnelles différentes, à deux groupes différents de par leur genre et de par leurs niveaux de compréhension. Pourtant, ces deux moments touchent à la construction du genre, dans le sens du doing gender.

Il est déjà important de signaler que le discours sur le genre est intrinsèquement lié au type de handicap, plus particulièrement au niveau de compréhension des élèves qui reçoivent ces cours. En effet, les explications fournies à des élèves ayant un niveau de compréhension limité seront moins nuancées, que des informations transmises à des élèves qui ont déjà des notions cognitives qui leur permettent de faire des opérations d’abstraction, des comparaisons, ou autres opérations complexes.

Les informations plus stéréotypées, parfois presque caricaturales, sont utilisées car elles sont vues comme étant plus faciles à comprendre. Le niveau de développement et les particularités des handicaps sont donc directement en lien avec les outils et les types de discours utilisés, ceci est propre à l’éducation sexuelle spécialisée. Toutefois, il faut être conscient du double risque des stéréotypes sexués: ils amènent une discrimination (un jugement ou un traitement moins favorable en fonction du genre) et ils sont prescriptifs car ils indiquent le comportement qui doit être adopté pour correspondre à la norme (Gresy & Georges, 2012). Cet élément risque donc de renforcer la tendance à l’hypernormalisation des jeunes avec une déficience intellectuelle.

Par ailleurs, le fait de trier, de faire des cases, de séparer de façon bien visible ce qui est masculin de ce qui est féminin est utilisé pour soutenir la compréhension. Ainsi, dans le premier extrait, on insiste

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Article sous licence Creative Commons BY NC ND 15 sur la différence entre les garçons et les filles, et on n’évoque jamais leurs ressemblances ou les choses qu’ils et elles ont en commun.

Ce différentialisme appliqué à l’éducation à la sexualité consiste à construire, à cristalliser et à naturaliser la différence entre les sexes, au lieu d’en présenter les similitudes. (…) Le différentialisme repose sur l’idée d’une complémentarité des sexes, instaurant cette impression d’équilibre dans l’hétérosexualité, l’hétéronormativité étant bien sûr au fondement du différentialisme (Devieilhe, p. 389).

On peut aussi se questionner sur l’assignation de genre, qui est faite ici par les professionnelles par le discours « Tu es une fille » (Spéc B). Dans un contexte comme celui-là, où le sujet ne peut pas confirmer ou infirmer cette affirmation, le sujet reçoit cela comme un destin. On retrouve ici l’énoncé performatif, qui, selon Butler (2005), fait ce qu’il dit: c’est à dire qu’il inscrit le sujet dans un genre, avec les attentes qui y sont liées. Or, pour rappel, dans ce moment, l’identité sexuée de l’élève n’est que présupposée car pour en être sûr, il faudrait faire toutes sortes de tests, les mêmes utilisés dans les situations d’intersexuation. S’il est discriminant que l’identité sexuée d’une personne soit masquée par son handicap, si l’on peut comprendre l’effort fait par les professionnelles pour que cette dimension de genre soit présente, on ne peut toutefois pas résoudre cet état de fait en assignant un genre, de façon arbitraire, à une personne, en lui répétant qu’elle est une fille. La personne en situation de handicap ne saurait être réduite à une seule dimension, que ce soit son handicap, son genre, sa classe sociale, son statut d’élève, … La focale sur son genre, comme élément essentiel à son bien-être, n’est pas ici justifiée.

Quant aux notions de genre, de sexe et de sexualités qui sont présentées dans le deuxième extrait, ce schéma ne permet pas une déconstruction des normes de genre, au contraire. Comparable à la « matrice hétérosexuelle » (Butler, 2005) qui est un système construit sur une juxtaposition entre corps, expression de l’identité sexuée, désir et orientation sexuelle, il transmet des représentations hétéronormatives de la réalité où les vrais hommes et les vraies femmes sont ceux et celles dont les notions sont alignées.

6. Conclusion

L’éducation sexuelle spécialisée se résume encore à un discours hétérosexuel, centré sur la complémentarité des différentes anatomies et celle des rôles entre les femmes et les hommes, et basé sur la reproduction. Si elle aborde les orientations sexuelles, c’est encore d’une façon dichotomique, en les opposant les unes aux autres, marquant silencieusement ce qui est de l’ordre établi, de ce qui ne l’est pas (Elia, 2000, cité par Richard, 2015). Le discours de l’éducation sexuelle spécialisée reste ainsi un discours hétérocentré, qui invisibilise les diversités sexuelles (Löfgren-Mårtenson, 2008). Ce qui tend à renforcer les clichés de genre et nourrir l’hypernormalisation. Dans un contexte délicat comme celui de la déficience intellectuelle, où les professionnelles ont le souci de ne pas nier l’identité sexuée des élèves, même celles et ceux qui ont un handicap lourd, ce travail est loin d’être simple.

Accompagner l’émergence de l’identité sexuée n’est pas coller une étiquette, ce n’est pas non plus ne traiter que d’une unique dimension : le genre. C’est aussi intervenir en réfléchissant aux besoins des élèves, et parfois oser s’extraire des attentes de la société, construite encore sur un système binaire et hétéronormé. Différentes choses doivent donc être pensées en termes de formation continue pour proposer une matrice de transformation : réfléchir aux discours produits, à leurs sens, mais aussi aux outils utilisés et questionner leurs aspects hétérocentrés. Ce n’est que comme cela que l’éducation sexuelle peut être un enjeu fondamental de l’égalité entre les filles et les garçons (Le Chevanton, Blat

& Wielhorski, 2014). Sans cela, le risque est que «l’éducation sexuelle (spécialisée) privilégie l’adoption de comportements sexuels attendus au détriment du développement et de la construction d’une personnalité sexuelle» (Dupras & Dionne, 2014, p. 153).

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Enseignement de l’histoire et représentations

sociales. Comment des thèmes d’histoire du genre permettent d’objectiver les stéréotypes de sexe.

Valérie Opériol, chargée d’enseignement, IUFE, Université de Genève

© Publié en 2017 par la Revue GEF, numéro 1, www.revuegef.org

Pour citer cet article

OPÉRIOL, V. (2017). Enseignement de l’histoire et représentations sociales. Comment des thèmes d’histoire du genre permettent d’objectiver les stéréotypes de sexe. Revue GEF (1), 17-29. Repéré à https://revuegef.org

Résumé

Par l’analyse d’interactions observées lors de leçons d’histoire du genre, cette contribution cherche à repérer les stéréotypes de sexe qui sont exprimés par les élèves et examine en quoi les opérations d’historicisation, comme la contextualisation, la comparaison avec le présent ou la périodisation, peuvent contribuer à leur déconstruction critique.

Mots-clés : enseignement de l’histoire du genre, stéréotypes de sexe, pensée historienne

Introduction

À Genève, depuis quelques années, des thématiques d’histoire du genre sont introduites par plusieurs enseignant·es dans leurs cours. Nous avons observé des leçons au secondaire I et II1 traitant de deux d’entre elles: la première portait sur les femmes et les hommes durant la Première Guerre mondiale.

Elle s’intéressait à l’expérience des combattants et aux incidences du conflit sur la virilité, ainsi qu’à la vie des femmes à l’arrière et à l’effet de la guerre sur leur émancipation; elle ciblait plus particulièrement les soldats blessés de la face (les gueules cassées) et les infirmières. La seconde abordait les femmes tondues à la Libération et les représentations qu’on a pu en avoir, sur le moment puis dans les décennies qui ont suivi, jusqu’à aujourd’hui.

Ces thématiques donnent lieu à de nombreux échanges au sein des classes. Des représentations émergent, des stéréotypes s’énoncent, que notre contribution se propose de repérer. Nous nous référons pour cela aux conceptualisations dont les représentations sociales ont fait l’objet en didactique et nous nous aidons de deux grilles de lecture, une typologie des archétypes de sexe et un ensemble de dichotomies utilisées notamment par les historien·nes du genre. Nous examinons également notre corpus sous l’angle de la pensée historienne. C'est-à-dire que nous cherchons à savoir dans quelle mesure les propos naturalisant les différences entre les sexes peuvent être mis à distance par des opérations d’historicisation mobilisées en classe; à cet effet, nous utilisons l’outil de la grammaire du questionnement de l'histoire. Présentons brièvement ces trois points théoriques, avant de passer, dans la deuxième partie, à l’analyse des interactions.

1 Le secondaire I correspond aux trois dernières années du collège français (12-15 ans) et le secondaire II correspond au lycée (voie générale et technologique), avec une année supplémentaire à Genève par rapport à la France pour la voie générale, qui se termine donc à 19 ans.

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