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Une enquête historique centrée sur les sciences appliquées

des manuels scolaires des années 1950

3. Une enquête historique centrée sur les sciences appliquées

Parmi les enseignements scolaires définis explicitement d’une façon contrastée pour les filles et les garçons, les sciences appliquées bien que connexes aux travaux manuels s’en distinguent car il s’agit d’un enseignement exclusif pour la seule fin de la scolarité obligatoire (12-14 ans). Ces sciences appliquées constituent donc un enseignement scolaire particulièrement propice pour l’investigation comparée des contenus à enseigner et des valeurs implicitement incluses.

3.1. Les sciences appliquées des classes de fin d’étude

La classe de fin d’études primaires, initialement classe de scolarité prolongée, expérimentée dès 19362, réunit les enfants âgés de treize à quatorze ans qui vont quitter définitivement l’école. Les instructions de 1938 précisent l’ambition de cette classe terminale de rapprocher l’école de la vie :

Tous les sujets de lecture, de rédaction, de dictée, de calcul, de sciences, de travaux pratiques seront uniquement des sujets posés par les choses de la vie courante, dans la famille et dans la société, à la campagne et aux champs, à la ville et à l'usine. (Arrêté du 23 février 1938, p. 11).

Le qualificatif « appliquées » des sciences (à raison de 3h hebdomadaires sur 30h) indique cette visée de « culture pratique [qui] prend une couleur différente selon les milieux, rural ou urbain, industriel et agricole, et même selon les régions » (Bibliothèque Pédagogique EDSCO, 1948, p. 40). Dans cette perspective, les instructions proposent aux maîtres de composer un programme selon les nécessités locales et selon leurs propres moyens, en puisant dans les trois séries de leçons. La première série comprend 1) des outils de l’artisan ; 2) l’installation de la maison ; 3) la force motrice et 4) l’hygiène.

La deuxième série rassemble des sujets ruraux : 1) le sol ; 2) la plante ; 3) les différentes cultures de la région ; 4) les arbres du verger et de la forêt, la vigne ; 5) les animaux de la ferme ; 6) la ferme ; 7) gestion de la ferme et 8) travaux pratiques. La troisième série relève de l’éducation ménagère avec 1) cuisine ; 2) le ménage ; 3) entretien des vêtements ; 4) hygiène et 5) notions de puériculture. Ce programme organise l’enseignement pour les écoles urbaines de garçons (série 1), les écoles rurales de garçons (série 2) et pour les écoles de filles (série 3).

La loi de l’État français du 15 août 1941 (cf. Heurdier & Prost, 2014, p. 128) organise ces classes dans l’enseignement primaire alors structuré en deux cycles dont le second est sanctionné par le certificat d’études primaires. Les programmes du 16 août 1941 reprennent les grandes lignes de cet enseignement scientifique pratique dont l’esprit est particulièrement marqué par l’idéologie du gouvernement de Vichy valorisant le développement des Français ruraux aux rôles et responsabilités genrés. Les programmes de sciences appliquées (cf. Jolly, 1942, pp. 39-43) pour les écoles de filles et de garçons, urbaines et rurales, sont très légèrement modifiés. Pour les filles : cuisine, ménage, vêtements, hygiène, puériculture, le jardin potager et le petit élevage ; pour les garçons, selon leur milieu de vie, installation de la ferme, agriculture et horticulture, météorologie, gestion de la ferme, hygiène, ou bien installation de la maison, outils de l’artisan, cultures et travaux du jardin et petit élevage, enfin hygiène.

À la Libération, ces textes sont abrogés et l’arrêté du 24 juillet 19473 fixe les horaires et programmes de la classe de fin d’études des écoles primaires élémentaires pour les élèves de 12 à 14 ans (cf.

2 Cf. circulaires du 30 octobre 1936 et du 9 août l937

Article sous licence Creative Commons BY NC ND 52 annexe). Les éléments de sciences appliquées et les travaux pratiques et dessin partagent un volume horaire de 6h hebdomadaires (sur 30h). Les programmes de sciences appliquées maintiennent la distinction des milieux rural et urbain et des écoles de filles et de garçons. Ils sont structurés en deux grands domaines : 1) l’homme dans son milieu, indifférencié selon les écoles, et 2) les activités humaines, particularisées malgré des thématiques générales4.

Les nouveaux textes officiels de 1953 ne concernent que les classes rurales. L’enjeu majeur de ces textes pour les garçons et les filles est de lutter contre « la dangereuse désaffection » vers les professions agricoles. Il est aussi de conforter les connaissances scientifiques de base et la formation de l’esprit scientifique susceptibles d’être reprises et prolongées dans l’enseignement postscolaire. La tendance générale de l’évolution des programmes est de définir progressivement un enseignement scientifique, formateur de l’esprit et de rejeter les parties jugées techniques vers les formations suivantes.

3.2. Les sciences appliquées en images

Au cours de l’installation des classes de fin d’études, les manuels de sciences appliquées ajustent leurs contenus aux modifications des textes réglementaires. Les grands éditeurs (Bourrelier, Hachette, Hatier, Istra, Nathan…) publient des collections d’ouvrages pour les publics distincts jusqu’à la fin des années 1960 avec l’extinction progressive de ces classes et la suppression du certificat d’études primaires demeurant ouvert aux seuls adultes en 1972. Ces manuels gardent la trace des évolutions politiques en particulier de la période de Vichy avec les titres, par exemple de la collection Magnard Terre de France dont le sous-titre précise agriculture et sciences appliquées pour les écoles rurales, La vie pratique et travaux manuels sciences appliquées pour les écoles urbaines, ainsi que L’école du bonheur, enseignement ménager total pour les filles.

Foulon-Leblanc Mme. (1944).

L’école du bonheur. Paris : Magnard. 380 p.

Braconnier, R. & Theobald N.

(1941). La terre de France.

Paris : Magnard. 318 p.

Braconnier, R.& Theobald N.

(1943). La vie pratique, travaux manuels. Paris : Magnard. 299 p

Millet M. & Rossignol R. (1960, 1961). Mon livret de sciences appliquées. Tours : Barcla.

Figure 1 : Couvertures de manuels

3 Reprise de la circulaire du 12 octobre 1944 (cf. annexe).

4 Les contenus supprimés sont : la loupe, les lunettes et la correction de la vue ; l’appareil photographique ; la marmite norvégienne et bouteille thermos ; comment on se protège du froid et de la chaleur ; le télégraphe et le téléphone ; la TSF ; roue à aubes et turbines ; bateau et avion ; code de la route.

Article sous licence Creative Commons BY NC ND 53 Ces manuels témoignent également des évolutions des techniques d’impression précisées par Choppin (1992), d’abord exclusivement en noir et blanc, puis en quadrichromie. Ils sont également marqués par des compositions de plus en plus attractives avec notamment la présentation de leçons en doubles pages largement illustrées en remplacement de textes d’exposés accompagnés de vignettes ou bien de planches colorisées.

Foulon-Lefranc Mme. (1944). L’école du bonheur, 78-79.

Id. p. 209 Orieux et al. (1959). Filles É. rurales, 98-99.

Orieux et al. (1958). Filles É. urbaines, 98-99.

Orieux et al. (1959). Garçons É. rurales, 100-101.

Figure 2 : Évolution de la composition des pages

Ces évolutions de l’édition des manuels scolaires modifient ainsi d’une façon très nette l’équilibre des surfaces de textes et d’images qui tend à 50 % dans les ouvrages les plus récents.

Pour l’analyse des manuels, Choppin précise la typologie de l’illustration en se référant à l’échelle d’iconicité décroissante proposée par Moles qui classe les images selon leur degré de réalisme. Trois principaux types d’images sont ainsi suggérés par Richaudeau (1979, cité par Chopin, p. 158) : les photographies, les dessins et les schémas. Pour ces derniers, Adam (1999) distingue, selon les paramètres de figurativité et de textualité, les schémas textuels et narratifs avec beaucoup de textes et les schémas symboliques et figuratifs avec peu de texte et une iconicité faible ou forte. Concernant le domaine technique, les représentations distinguent les vues en perspective, en éclaté, les coupes et sections, les vues d’ensemble ainsi que les graphismes séquentiels qui précisent l’ordonnancement des procédures, des actions ou des gestes. La nature des illustrations doit néanmoins être complétée par l’identification de la fonction de l’iconographie. Les fonctions énumérées par Choppin (motivation, décoration, information, réflexion et exemple) ne retiennent pas la fonction d’explication et de modélisation particulièrement présente dans les documents scientifiques et techniques.

Lignon, Porhel et Rakoto-Raharimanana (2013) proposent une grille d’analyse des images des manuels qui croise pour chaque illustration abordée les sexes représentés sur l’image, les sphères d’activités au sein desquelles ils figurent, la présence ou non de stéréotypes. Ce repérage permet une analyse quantitative complétée par une analyse qualitative de chaque image qui explicite les motifs de son classement en stéréotypée, non stéréotypée ou contre stéréotypée.

Une première consultation des manuels de sciences appliquées permet d’engager une méthodologie moins sophistiquée en raison du très faible nombre d’images avec des personnages. Ainsi la grille d’analyse repère le nombre d’illustrations, décrit chacune d’entre elles et identifie sa fonction.

Article sous licence Creative Commons BY NC ND 54 Référence du manuel scolaire : auteur(s), année, titre, ville, éditeur.

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Tableau 1 : Grille d’analyse des manuels (la leçon et la page sont référencées pour chaque illustration)

Article sous licence Creative Commons BY NC ND 55 Au plan méthodologique, l’enquête historique et l’analyse comparée sont ainsi conduites en examinant cinq collections de manuels (Hachette Chabanas, puis Orieux, Nathan, Istra, Bourrelier) dédiés aux publics scolaires des écoles de filles et de celles de garçons sur la période de 1940-1960, c’est-à-dire celle de l’essor de l’enseignement ménager et du développement de l’enseignement postscolaire, notamment féminin, en préfiguration du système éducatif unifié. Les données sont recensées en identifiant toutes les illustrations (vignettes, dessins, schémas, images, photographies…) et en les caractérisant selon le tableau 1 (scènes de vie, opérations techniques, gestes, objets, légendes…).