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Musique et transferts culturels : de l'Europe à la mondialisation

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Musique et transferts culturels : de l’Europe à la mondialisation

Conclusion de la Journée d’études du 21 novembre 2016 à l’Université d’Evry

Damien Ehrhardt

(Université d’Evry Val d’Essonne / Université Paris-Saclay)

L’étude des transferts : pour une approche dynamique

Le transfert culturel se caractérise essentiellement par sa dynamique et contraste nettement avec d’autres approches plus statiques comme celles fondées sur l’identité culturelle ou l’imagologie de l’altérité. Nullement essentialiste, l’identité est construite de manière discursive, le plus souvent par opposition à l’autre (Beat Föllmi). Cette vision constructiviste permet d’éviter l’écueil de l’essentialisme, afin de saisir l’identité dans son devenir et de placer son focus sur l’ensemble des processus d’auto-identification à des groupes sociaux.

Quant à l’imagologie de l’altérité, elle consiste à étudier les représentations de l’étranger et peut s’avérer pertinente dans l’étude des récits de voyage ou l’analyse de l’orientalisme.

Ainsi, les Russes ont associé un orientalisme « occidental » (Espagne) et un orientalisme

« oriental » (Caucase) aux musiques du bord de l’Europe, ce qui s’avère éclairant sur le plan de la représentation de l’autre (André Lischke). Toutefois, les recherches sur l’identité et l’imagologie, malgré leur intérêt sur le plan discursif, ne suffisent pas à comprendre la dynamique et la complexité du dialogue interculturel.

Les transferts culturel et la musicologie : état des lieux et perspectives

Les transferts culturels ont été théorisés au milieu des années 1980 par Michel Espagne et Michael Werner, en partie pour s’opposer à une vision réductionniste du comparatisme consistant à souligner les caractéristiques nationales des tenants de la comparaison. Les transferts culturels permettent de mettre l’accent sur l’objet, le canal de transmission (réseaux de médiateurs, mass medias…) et le contexte de la réception, compte tenu des enjeux d’hégémonie culturelle (Stefan Keym).

Les musicologues ont commencé tardivement à étudier les transferts en raison de la

concurrence d’une autre théorie, l’esthétique de la réception, développée en Allemagne depuis

les années 1970 par l’Ecole de Constance (Stefan Keym). Si la théorie de la réception et celle

des transferts culturels accordent une grande importance au récepteur, son domaine

d’application est plus large, puisqu’il intègre la dimension interculturelle et concerne non

seulement les œuvres et leurs auteurs, mais aussi les idées, les artefacts culturels, les pratiques

et les institutions, selon la définition de Hans Jürgen Lüsebrink. Des musicologues comme

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Herbert Schneider ou Arnold Jacobshagen ont appliqué les transferts culturels tout d’abord à la sphère de l’opéra et aux questions de traductions de livrets (Matthieu Cailliez) avant que la musique instrumentale ne soit prise en compte.

Le transfert se réfère à une appropriation d’un message et à sa mutation : le récepteur est susceptible de le filtrer ou de le modifier de façon plus ou moins créative. Cette mutation peut être liée à un phénomène de politisation ou de dépolitisation. Il en est ainsi du transfert culturel de la musique symphonique du monde germanique vers la Pologne. Si le symphonisme est souvent associé en Allemagne au « royaume nébuleux » de la musique absolue, elle devient plus engagée lorsqu’elle franchit la frontière polonaise (Stefan Keym).

La politisation de la musique comme celle du jazz dans le contexte de la guerre froide prend la forme d’un soft power où les acteurs jouent un rôle diplomatique. C’est ainsi que Louis Armstrong a été considéré comme un jazz ambassador (Stefan Keym). Le transfert peut aussi avoir comme corollaire une contestation de l’ordre établi. Tel est le cas de la pénétration de la musique de Brassens en Espagne, où elle est brandie comme un étendard contre le Franquisme (Xavier Sanchez). Le transfert s’effectue parfois dans un contexte de nationalisme ambiant, apparemment peu favorable aux relations interculturelles, comme en témoignent les échanges artistiques du temps des avant-gardes (Beat Föllmi / Damien Ehrhardt). Mais outre l’idéologie politique, l’appropriation d’une pratique ou d’un artefact culturel peut s’expliquer par des facteurs affectifs comme l’a souligné Hans Jürgen Lüsebrink.

Il en est ainsi des débuts de la réception de Wagner ou de R. Strauss en France (Damien Ehrhardt). En accordant de l’importance au récepteur et à sa créativité, le décalage entre l’émetteur et le récepteur ne saurait apparaître comme un retard, mais comme un transfert asymétrique, un décalage créatif, qui présente autant d’intérêt que l’objet initial.

Le degré de mutation des discours et des institutions, de l’imitation à l’appropriation créative, contribuent à dynamiser les transferts au même titre que l’intensité variable de la médiation, qui n’est pas nécessairement en phase avec les événements politiques. Déterminer les phases d’intense médiation et les périodes de latence pourrait s’avérer judicieux (Damien Ehrhardt), tout comme l’étude historique des transferts musicaux et culturels sur le temps long (Stefan Keym).

Si chaque transfert se doit d’être situé dans son contexte, il est possible d’en distinguer

plusieurs catégories : les transferts et re-transferts entre deux cultures, comme la trajectoire

Paris – Weimar – Paris, suivie par la musique à programme au XIXe siècle (Damien

Ehrhardt) ; les transferts triangulaires et multipolaires, faisant intervenir trois cultures ou plus

à l’image des relations musicales Paris-Berlin-Bucarest (Beat Föllmi), celles concernant l’art

lyrique entre la France, l’Allemagne et l’Italie au XIXe siècle (Matthieu Cailliez) ou

l’implantation des écoles nationales dans divers pays européens suite à la fondation de

Neudeutsche Schule. De la même manière qu’une expérience internationale amène une plus-

value transculturelle, les transferts triangulaires et multipolaires dépassent le cadre assigné à

chacune des relations bilatérales, ouvrant ainsi la voie à une « plus-value » qui ajoute de la

complexité aux échanges (Beat Föllmi). Mais le transfert peut également être considéré

comme la résultante d’un mélange interculturel : il en est ainsi des composantes franco-

allemandes du poème symphonique (Damien Ehrhardt).

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Parfois une phase d’appropriation de la culture du voisin peut être suivie d’une distanciation comme l’a observé Alexandre Kostka en ce qui concerne les relations franco- allemandes dans le domaine des beaux-arts. La situation est analogue pour ce qui est de la musique du XIX

e

siècle, époque où les compositeurs français se sont approprié la musique instrumentale allemande avant de s’en distancier avec Debussy, dont la musique française est en réalité transculturelle, puisant ses sources dans les musiques russe, espagnole et javanaise (Damien Ehrhardt).

Les études de transfert : un champ de recherche très large

Le champ de recherche des études de transfert est très étendu, puisque son instrumentarium comprend différentes théories : les transferts culturels (Michel Espagne / Michael Werner), l’histoire croisée (Michael Werner / Bénédicte Zimmermann), la médiation artistique (Alexandre Kostka / Françoise Lucbert), le champ culturel transnational (Hans-Jürgen Lüsebrink / Patricia Oster), les transfer studies (Damien Ehrhardt / Soraya Nour / Alain Patrick Olivier)… En outre, il est possible d’adjoindre à ces études d’autres approches comme celles concernant les voyages, la migration et la circulation des musiciens, ainsi que leurs réseaux internationaux. Ces différents points ne sont pas nécessairement liés : Schumann, par exemple, s’inscrit dans le champ franco-allemand de l’appropriation beethovénienne, autour des revues musicales de Paris et de Leipzig, sans séjourner une seule fois dans la capitale française. En revanche, pour ce qui est de la première moitié du XIX

e

siècle, les périodes de forte médiation franco-allemandes correspondent aux périodes où de nombreux musiciens allemands séjournent à Paris (Damien Ehrhardt).

Au-delà de l’Europe, le transfert s’inscrit souvent aujourd’hui dans la mondialisation.

Ainsi l’histoire de la Dance culture témoigne de plusieurs transferts intervenant entre différentes aires culturelles (Alexandre Augrand). A cette échelle, il pourrait être question du

« transfert inter-aréal », dont la portée est plus large que celle du transfert culturel à proprement parler. L’application du transfert à la sphère de la mondialisation permet de saisir celle-ci dans sa complexité, au-delà de l’uniformisation fréquemment associée à la globalisation financière ou d’une « civilisation mondiale composée d’un habit d’Arlequin » selon l’expression de Claude Lévi-Strauss. En histoire de l’art et en anthropologie, si hier les chercheurs s’attachaient à déterminer l’essence de traditions artistiques dans des isolats culturels, aujourd’hui, d’après James Clifford, ils tendent plutôt à étudier les salles de transit où les idées artistiques se croisent (Hélène Fleury).

Enfin, le transfert s’apparente souvent à la traduction tout en la transcendant. La traduction

peut s’appliquer à l’étude des livrets d’opéra (M. Cailliez), mais aussi aux recherches

anthropologiques et aux études culturelles, dans la mesure où elles permettent de traduire

davantage que des textes : des cultures. C’est le propre des translational studies – l’un des

turns identifiés par Doris Bachmann-Medick – selon lesquelles la culture est conçue comme

traduction. Mais au-delà de celle-ci, la culture peut être comprise à l’aune du transfert, objet

des transfer studies qu’il reste à développer.

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