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Approche de la problématique 'sine domo' en Haute-Loire et au Puy-en-Velay du milieu du xixe siècle à nos jours.<br />Contribution à l'étude du vagabondage

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Submitted on 29 Dec 2006

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Approche de la problématique ’sine domo’ en

Haute-Loire et au Puy-en-Velay du milieu du xixe siècle

à nos jours.Contribution à l’étude du vagabondage

Noël Jouenne

To cite this version:

Noël Jouenne. Approche de la problématique ’sine domo’ en Haute-Loire et au Puy-en-Velay du milieu du xixe siècle à nos jours.Contribution à l’étude du vagabondage. Anthropologie sociale et ethnologie. Université René Descartes - Paris V, 1997. Français. �halshs-00005814v2�

(2)

UNIVERSITE RENE DESCARTES

-

PARIS V

FACULTE DES SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES

SORBONNE

DEPARTEMENT DE SCIENCES SOCIALES

Approche de la problématique sine domo

en Haute-Loire et au Puy-en-Velay

du milieu du

XIX

e

siècle à nos jours :

contribution à l'étude du vagabondage

PAR

N

OËL

JOUENNE

THESE PRESENTEE EN VUE DE L

'

OBTENTION DU DOCTORAT

SOUS LA DIRECTION DE MONSIEUR LE PROFESSEUR

P

HILIPPE

LABURTHE-TOLRA

(3)

Remerciements

Penser qu'une thèse est le fruit d'un travail personnel procède d'une vision erronée. En réalité, une multitude de personnes en sont directement ou indirectement partie prenante. Afin de rétablir une certaine vérité, je tiens à remercier tous ceux et celles qui m'ont permis, durant ces années, de construire ce travail.

En premier lieu, je remercie le Professeur Philippe Laburthe-Tolra qui a su épauler ma recherche avec une certaine complicité épistolaire, compte tenu de la distance qui nous séparait. Il en est de même pour Daniel Terrolle, qui a assuré le suivi de ce travail au sein du Laboratoire d'Anthropologie Urbaine d'Ivry-sur-Seine. Que soient remerciés aussi tous ses membres, et plus particulièrement Éliane Daphy, Patrick Gaboriau, Colette Pétonnet et Patrick Williams. Qu'il me soit également permis de remercier le Professeur François Laplantine, les docteurs Maurice Berger et Jean-Louis Chevreau pour leurs conseils en ethnopsychiatrie. Je remercie encore l'ethnologue Bernard Champion, le comédien Gérard Jugnot ainsi que la costumière Martine Rapin.

En second lieu, je tiens à remercier Auguste Rivet, du Conseil Général de la Haute-Loire, qui a su m'introduire dans la société ponote, ainsi que tous les habitants de la Haute-Loire qui m'ont accueilli. Il s'agit en particulier de Madame Amargier, de François-Xavier Amprimoz, conservateur du musée du Puy, de Jean-Claude Besqueut, d'Alex Brolles, du Capitaine Henri Bonnet, de François Boulet, de M. Boyer, du docteur Couade, de Bernard Féminier, de Josette, de Rosa Mazoyer, de Élie Pandrau, de Maïté De Pellegrin, de Jean-Luc et Patricia Planet, de Monsieur et Madame Peyrelong, du commandant Reberotte, de Jean-Louis Rocher, de l'inspecteur Rondevair, de Régis Sahuc, de Dominique Vidal, ainsi que des pères Chamaly, Chanal, Ploton et Rouchon. Puis, je remercie tous les sine domo avec qui j'ai partagé un moment de leur vie.

Du côté institutionnel, je tiens à adresser mes remerciements à Mademoiselle Pinat, directrice de la DDASS ; Madame Philibert, directrice de la Croix-Rouge ; Bernard Gauthier, président des Amis d'Emmaüs, et Paul Dutang, président de HELP, ainsi que Denis, Jacky et Michel ; l'équipe du Tremplin, et particulièrement Marie-Odile Pouilhe et Michèle Creva ; Madame Fraisse, responsable du Secours Catholique du Puy, ainsi que les bénévoles de l'accueil de jour ; Madame Ouillon, sous-directrice de l'Hôpital Émile Roux, ainsi que madame Déshors ; M. Nelva, directeur de l'Hôpital Sainte-Marie, ainsi que de Madame Poton ; Madame Cabrole, des Archives municipales, Monsieur De Framon des Archives départementales, Monsieur Broise, directeur de la Maison d'arrêt du Puy, ainsi que Monsieur Acquarone, Juge d'application des peines ; enfin, Sylviane Lambourg, directrice de l'ADI, l'équipe de Météo-France de Loudes et Julien Damon de la Mission solidarité de la SNCF.

En dernier lieu, j'adresse un grand merci à Danièle Delcroix qui a effectué une relecture du manuscrit avec patience et tenacité, et Annette Haudiquet pour ses précieux services.

A mes parents ;

A Jean-Louis et Marie-Thérèse Chevreau ; A Clémence et Zélie, pour tous les jours.

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Introduction générale

"La maison est d'abord une personne morale, détentrice ensuite d'un domaine composé de biens matériels et immatériels".

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A) Du vagabond au sine domo : l'évolution de la catégorisation sociale

Au cours de la dernière décennie, la notion de vagabond a été abandonnée au profit de celle de sans-domicile-fixe. Rapidement, son utilisation sous sa forme abrégée apparaît au début des années quatre-vingt : il s'agit du terme SDF. Or, la notion de sans-domicile-fixe, ou de SDF, a été socialement construite à partir d'une catégorie hétérogène de la population, dont la situation n'est a priori qu'un état. Mais à cause de la vulgarisation du terme de SDF, cette population va passer d'un état "passager" ou conjoncturel à un état "permanent" ou structurel. C'est tout du moins ce qui semble résulter d'une analyse de la situation au regard des médias et des politiques institutionnelles.

De prime abord, la construction d'un tel objet d'étude apparaît délicat. Je me propose de décomposer cette "pseudo-catégorie" afin d'en comprendre les mécanismes, avant de proposer un concept beaucoup plus large qui me servira tout au long de ce travail. Pensant qu'en toile de fond ce phénomène s'inscrit dans le contexte plus large de l'histoire du vagabondage, je suis amené à en déduire qu'il évolue dans une logique d'exclusion propre à nos sociétés postindustrielles. Je partirai de l'existence juridique du vagabond qui nous conduira jusqu'à la définition du sine domo, après en avoir décousu avec les diverses définitions que proposent les chercheurs et autres travailleurs sociaux. Notons encore que les estimations les plus récentes font état d'une population "sans-abri", "sans-logis" ou "SDF" dont le nombre est

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compris entre 98.000 et 627.000 personnes, suivant les critères retenus et les finalités (Damon, 1995).

1 - L’existence juridique du vagabond au regard du nouveau code pénal : un tournant dans l’histoire du vagabondage et de la mendicité?

Sans nous en rendre compte, nous venons de tourner une page de l’histoire du vagabondage et de la mendicité (Bertholet, 1980). Le nouveau Code pénal, en application depuis le 1er mars 1994 vient

d’abroger une suite de lois datant du milieu du siècle dernier.

On peut dire qu’à partir de la deuxième moitié du XIXe siècle, le

vagabondage et la mendicité vont se retrouver, pour plus d’un siècle, sous le versant de la répression. L’emploi du terme de “sans domicile fixe” apparaît déjà en 18601 . Mais dès 1840, la situation extrême de la

pauvreté en Haute-Loire, d’après les statistiques du Bureau de bienfaisance, fait apparaître un problème de taille. Il en ressort qu’il faut déjà s’occuper de ses pauvres avant de s’occuper des mendiants nomades, car la population la plus pauvre des villes a recours à la mendicité pour survivre. Avec les inondations qualifiées d’exceptionnelles de 1846, la hausse du prix du grain qui en découle a pour conséquence l’accroissement du nombre d’indigents à secourir. Pour la ville du Puy-en-Velay, c’est 1.000 à 2.000 individus (340 à 490 familles) qu’il faut secourir en distribuant des soupes économiques et d’autres secours (des vêtements, du charbon…). D’année en année, le nombre de mendiants “à domicile” (c’est-à-dire non-nomades) ne cesse de croître et ceci malgré, par exemple, la fabrique de la dentelle qui procure aux femmes de cette époque “un travail abondant et bien rétribué”2. Or, à partir de ces années, le vagabondage va être interdit

dans les départements limitrophes avec la création de dépôts de mendicités. De sorte qu’en 1860 la Haute-Loire se trouve être le seul

1 Cf. AM : I 227 2 Cf. ADHL : 17M-14

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département encore exempt de cette interdiction, et de ces établissements. Il en résulte une migration des départements voisins qui vient s’ajouter au nombre déjà important d’indigents appartenant aux villes. Dès 1861, la préfecture lance une enquête auprès de toutes les communes du département afin de quantifier et de cerner le problème1. On y fait distinction des indigents appartenant au

département et des indigents étrangers au département. Ceci participe de la logique de discrimination encore présente de nos jours. En 1862, le recensement fait état pour la Haute-Loire de 2.591 indigents dont 1.491 mendiants, et pour la ville du Puy de 1.086 indigents dont 533 mendiants. Cette enquête aboutit à l’arrêté préfectoral du 6 août 1863 instituant l’interdiction du vagabondage et de la mendicité en Haute-Loire. Les vagabonds et les mendiants arrêtés seront conduits en fourgons cellulaires au dépôt de mendicité de Rabès dans le Puy de Dôme2. Aujourd'hui encore, quelques plaques interdisant la mendicité

en Haute-Loire sont visibles à l'entrée de certaines villes. C'est le cas du Puy-en-Velay, mais encore près de La Chaise-Dieu ou bien au Chambon-sur-Lignon3.

Fig. 1 : Plaque d'interdiction apposée à la façade d'une maison

1 Cf. BM : 6383 2 Cf. ADHL : 11M-13

3 Ces plaques émaillées sont placées sur les grands axes de communication de

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près de La Chaise-Dieu (1993)

Les enquêtes menées en 1881 ne montrent pas une évolution marquante, ni dans un sens, ni dans l’autre. Le vagabondage ne cesse de croître alors que la solution consiste à réprimer les “faux pauvres” et à contrôler les “vrais pauvres”. Des auteurs comme Louis Chevalier, Michel Foucault, Bronislaw Geremek ou Michelle Perrot ont abondamment écrit sur la question (cf. Bibliographie). Le principe était et est resté le suivant : après enquêtes sociales de la part des visiteurs de la Conférence de Saint-Vincent de Paul, des Bureaux de Bienfaisance, et autres institutions charitables, les “bons” ou les “vrais” pauvres, ceux qui appartiennent à la ville et les méritants sont aidés. Les Fourneaux municipaux, à l’identique de nos Restaurants du Cœur aujourd’hui, ne cesseront de fonctionner durant les hivers rigoureux. Quant aux vagabonds et aux mendiants, oisifs de tout poils, ils sont punis de leur délit, expulsés de la ville le plus souvent.

A l’aube du XXIe siècle, on pourrait croire ces pratiques surannées.

Or, toute proportion gardée, il n’en est rien. Les rapports de l’administration pénitentiaire font toujours état d’incarcérations pour “vagabondage et mendicité”. En l’espace de quatre années (de 1989 à 1992), 17 personnes dont une femme ont été incarcérées en France pour ces délits. Évidemment, nous ne pouvons comparer ces chiffres à ceux du XIXe siècle. Le fruit du travail d'Eugen Weber nous renseigne sur le

nombre d'arrestations pour vagabondage en France à cette période. En 1830, c'est 2.500 vagabonds qui sont arrêtés. Mais ce chiffre passe à 20.000 en 1890 pour s'étendre jusqu'à 50.000 en 1899 (1983 : 105). Eugen Weber commente ces chiffres en disant que "l'augmentation de la mendicité semble le fait des temps difficiles, et la crise jetait sur les routes nombre de gens qui, sans cela, n'eussent jamais bougé de chez eux" (1983 : 105). En ce qui concerne la ville du Puy, les rapports journaliers de police font état d’arrestations pour vagabondage

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jusqu’aux années 19601. Ceci nous amène à constater l’aspect

non-symbolique qui témoigne d’une relative rigidité, voire inertie, face à ce qu’on pourrait appeler le “progrès social”. Or, depuis le 1er mars 1994,

les lois concernant le vagabondage et la mendicité sont abrogées2.

Sur le plan juridique, nous pouvons croire qu'il s'agit d'une ouverture vers une toute autre dimension de pensée, puisque le vagabondage comme la mendicité ne sont plus des délits. Sur le plan historique et symbolique, cela marque un tournant vers une reconsidération de la pauvreté en France. Gageons qu’une prise de conscience en découlera : à l’image du vagabond oisif, au vagabondage vu comme une pathologie génétique du début du siècle se substituera peut-être la vision d’un état de souffrance, indice d’une société souffrante. A moins que cette abrogation ait pour but de cacher davantage ce symptôme d'un malaise social ?

2 - Auparavant

L'Encyclopédie Dalloz Pénal et le Juris-Classeur nous renseignent précieusement sur la teneur des notions de vagabondage et de mendicité. A remarquer que ces deux notions vont de pair au regard de la loi. Elles ont des dispositions communes que je citerai plus bas. Ceci inciterait à penser que celui qui vagabonde, mendie et réciproquement. Ainsi on peut lire que "le vagabondage et la mendicité sont des genres de vie que la loi érige en délits. Ce sont moins des faits criminels en eux-mêmes que des manières d'être menaçantes pour la société. En les réprimant, la loi veut atteindre des habitudes vicieuses parce qu'elle les considère comme des états préparatoires aux crimes et aux délits et parce qu'elle a tout à la fois le droit et le devoir de prendre en considération leur état dangereux pour l'ordre public" (1969 : 1). Une

1 Cf. AM : 140 W6

2 Viennent s'y substituer des mesures répressives concernant l’incitation à la mendicité

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manière de résumer ces lignes se trouve dans le recours à cet adage trivial : mieux vaut couvrir que guérir, pour résumer ce commentaire qui pose les bases d'une volonté répressive vieille de près d'un siècle.

"Le vagabondage est un délit" proclame l'article 269 du Code pénal. Cette concision est sans appel, et renvoie à la notion de domicile certain — et à l'absence d'un état fixe — auquel tout citoyen se doit d'en prouver la réalité. La constitution du délit comprend quatre éléments constitutifs qui sont "l'absence d'un domicile certain, l'absence de moyens de subsistance, le défaut habituel de métier ou de profession et la faute de l'argent. La réunion de ces éléments est nécessaire pour constituer le délit" (ibid.). La notion de domicile certain renvoie quant à elle, non pas au domicile légal établi par le code civil, mais au domicile

de fait, celui qui est réellement habité par la personne au moment de

son contrôle. Néanmoins, le domicile n'a pas besoin d'être fixe. Ainsi, le colporteur et le commis-voyageur ne sont pas considérés comme des vagabonds. Mais la résidence doit conserver un caractère avouable. C'est-à-dire, qu'entre en compte la notion de bonnes mœurs, qui se perd au contact de repris de justice, de fille publique, et en général, là où le doute persiste. Il en est de même concernant l'exercice d'un métier et des moyens de subsistances. Car le vagabondage est un délit intentionnel, où l'intention est inséparable du fait lui-même (ibid.).

Ainsi, nous constatons qu'à partir de la définition de vagabond, l'opinion publique a recentré son jugement sur l'absence de domicile. Auparavant, "les vagabonds et gens sans aveu sont ceux qui n'ont ni domicile certain, ni moyen de subsistance et qui n'exercent habituellement ni métier, ni profession" (Art.270). Or, pour la notion de sans-domicile-fixe, il s'agit de prendre en compte avant tout l'absence de domicile, qui n'est plus certain, mais fixe. Et cela inverse le rapport de la définition, puisque le contenu devient contenant. Être sans-domicile-fixe écarte, tout en l'englobant, la notion de vagabondage. Et c'est à mon avis cet amalgame qui est la cause d'une confusion. Où l'on prend le SDF pour un vagabond et vice versa.

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Cette confusion n'est d'ailleurs pas innocente. Les articles de presse le montrent bien. Lorsque le sujet met en cause un SDF dans une affaire délictueuse, les termes de vagabond, de clochard, voire de clodo1 peuvent être employés comme synonyme. Par contre, si le sujet

rend compte d'un événement social dramatique ou apitoyant, les termes employés seront plutôt "sans-abri"2, ou "sans-logis"3. Contourner ces

enjeux idéologiques demande d'élaborer un néologisme. Mais qu'en est-il des définitions ?

La notion de sans-domicile-fixe peut-être examinée par la loi du 16 juillet 1912, remplacée par la loi du 3 janvier 1969. Celle-ci distingue trois catégories :

• "Les personnes qui exercent à titre indépendant des activités ambulantes ;

• Les personnes qui exercent à titre salarié des activités ambulantes, soit travaillant sur des grands chantiers mais vivant en permanence dans des caravanes, soit disposant de ressources régulières leur assurant des conditions normales d'existence ;

• Les autres nomades" (Liégeois, 1984).

Dans le rapport Liégeois (1984), l'accent est mis sur le fait qu'une définition unique est "source de confusion et d'incohérence et l'approche juridique est réductrice ou inopérante". Il est ajouté plus loin que "le double critère de l'intégration économique et de l'intégration sociale et culturelle permet de mettre en évidence la spécificité des S.D.F. dans la société". Or, depuis 1984 les médias ont largement contribué à faire de cette catégorie "multi-axiale" une catégorie unique, celle du pauvre d'entre les pauvres, qui à regarder de plus près, recouvre encore une multitude de sous-catégories que je définirai après m'être arrêté un instant sur la définition que propose le code de la Sécurité

1 Cf. Le Parisien du 29 nov. 1993.

2 Cf. Libération du 17 jan. 1992, Le Monde du 24 nov. 93. 3 Cf. Le Parisien du 15 déc. 1992.

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Sociale.

3 - La notion de sans-domicile-fixe et la Sécurité Sociale1

Il convient d’amorcer cette approche par la définition concernant le domicile, utilisée dans le code de la Sécurité Sociale, et qui jalonne mon travail. Dans l’article 102 du code civil, il est écrit que le domicile est le lieu où une personne “a son principal établissement”. Dans le mémento Dalloz, il est précisé que “le domicile est un attribut de la personnalité, au même titre que le nom et l’état” (Dupont Delestraint, 1985 :12). Ainsi, le domicile, qui trouve son origine dans le domus, terme latin, ferait partie de la personne, au sens ou il serait une extension de celle-ci.

Il faut également distinguer la notion de domicile de celle de la résidence. En effet, la résidence est un “endroit où une personne séjourne, en général momentanément, en dehors du lieu de son principal établissement” (ibid.). Cette définition sous-entend que la résidence est “secondaire” par rapport au domicile qui lui est “principal”. A la notion de fixité s’adjoint celle de la permanence. L’établissement d’une personne doit être “fixe et permanent” (ibid.). En outre, le domicile possède un caractère obligatoire et unitaire. Ainsi, il est écrit que “toute personne doit avoir un domicile;—si le domicile d’une personne ne peut être déterminé, on admet qu’elle a conservé son domicile d’origine (celui qu’elle avait à sa naissance)—et si le domicile d’origine est inconnu la résidence tient lieu de domicile” (ibid. :14). Ainsi, la résidence remplace le domicile à certaines conditions. L’absence d’un domicile ou d’une résidence est par conséquent considérée comme un manquement à un devoir puisque l’obligation n’est pas observée2.

L’aide à l’hébergement et à la réadaptation sociale a été instituée

1 Cf. Code de la sécurité sociale, Dalloz, 1990.

2 Concernant l’aide sociale aux personnes handicapées, cf. Loi d’orientation du 30 juin

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en 1953. La loi du 19 novembre 1974 modifie l’article 185 du Code de la famille et de l’aide sociale. Le décret du 15 juin 1976 précise la formule en la complétant. En 1953, la loi prévoit l’hébergement provisoire à des “personnes socialement rejetées (vagabonds, anciens détenus, anciennes prostituées, anciens malades mentaux)” (Dupeyroux, 1984 :1017). En 1974, l’aide s’ouvre “aux individus et aux familles qui éprouvent des difficultés pour reprendre ou mener une vie normale, notamment en raison du manque ou de conditions défectueuses de logement, et qui ont besoin d’un soutien matériel et psychologique et, le cas échéant, d’une action éducative temporaire” (ibid.). Le décret du 15 juin 1976 précise cette formule très extensive qui s’applique dorénavant aux “inculpés placés sous contrôle judiciaire et les condamnés soumis au sursis avec mise à l’épreuve, les personnes et les familles sans logement, de nationalité française, rapatriées de l’étranger, les personnes et les familles sans logement en instance d’attribution du statut de réfugiés, les personnes et les familles qui se trouvent privées de logement par suite de circonstances indépendantes de leur volonté et qui ont besoin d’être momentanément hébergées, les personnes et les familles qui ne peuvent pas assurer seules leurs responsabilités sociales ou familiales” (ibid.)1.

Ces définitions ont une importance primordiale puisque d'elles vont dépendre des règlements grâce auxquels il sera possible d'opérer des décisions concernant le statut d'une personne. Dans le cas d'une aide médicale gratuite (AMG) par exemple, cette notion de domicile est capitale puisque l'accès aux soins gratuit en dépend. Dans le cas des sans-domicile-fixe, le problème se résout par une prise en charge de l'État. Aussi comme nous le verrons plus loin, il est plus commode d'enregistrer une personne avec l'étiquette "SDF" plutôt que d'aller solliciter la commune de son domicile de secours.

1 A propos de la lutte contre les situations de pauvreté et de précarité, cf. rapports

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4 - Du sans-abri au SDF : construction médiatique d’une nouvelle catégorie sociale

Le concept de "sans-abri" semble apparaître après la seconde guerre mondiale, en 1946, avec les premières actions des mouvements de squatters à Marseille (Combrez, 1953). Au cours de l'hiver 1954-1955, l'Abbé Pierre parle de "sans-logis", un dérivé du terme. En ce qui concerne les SDF, le concept est beaucoup plus récent. C'est apparemment à partir de l'hiver 1984-19851 et à cause de sa rigueur

exceptionnelle que le France va découvrir cette population qui meurt de froid dans la rue. La presse écrite s'empare de ce phénomène qui semble alors nouveau et qui ne fera que s'accentuer.

Or, on peut lire sur une note interne émanant du Bureau d'aide sociale (BAS)2 que ses permanences ont reçu 14.655 personnes SDF au

cours de l'année 1982. Ceci montre que l'administration emploie couramment ce terme et le phénomène est donc bien antérieur à la prise en compte des médias.

Étroitement lié à la problématique de la pauvreté, le phénomène du sans-abri découlerait de dysfonctions économiques et politiques sur le plan social. En l'espace de dix ans, il se serait formé une nouvelle pauvreté, venant s'ajouter à celle existante. Selon Luc Laurent, "la pauvreté nouvelle résulte de l'arrêt de la croissance des économies, de leur reflux, bref de ce qu'il est convenu d'appeler la crise : le déséquilibre des mécanismes de la sécurité sociale crée de nouveaux pauvres" (Laurent, 1984). A cela, l'auteur donne cinq définitions, empruntées à divers ouvrages portant sur la question. De définitions suffisamment larges et générales, nous aboutissons à celle résultant

1 Cf. "Le bon usage de la charité", in L'Express du 26 oct.-1er nov. 1984, et "La ronde

hivernale des sans-abri", in Libération du 11 jan. 1985.

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des travaux du Parlement Européen1 :

"L'expression de "sans-abri" reflète avant tout une réalité socio-économique et non, au sens littéral du terme, le fait d'être dépourvu d'un toit. Est donc sans-abri toute personne incapable de s'assurer un logement permanent pour elle-même ou sa famille".

Cette définition s'applique aux vagabonds mais non à certaines catégorie de nomades. De là règne une confusion dans l'utilisation des concepts, qui habilement employées, concourent aux malentendus généralisés, mais accepté, comme nous le verrons plus loin.

Le concept de "sans-domicile-fixe", SDF est communément admis pour définir le sans-abri. Originairement "sans domicile ni résidence fixe", cette notion contient trois sous-catégories définies par la loi du 3 janvier 19692. Il s'agit des personnes qui exercent à titre indépendant

des activités ambulantes ; puis, des personnes qui exercent à titre salarié des activités ambulantes, c'est-à-dire, du personnel travaillant dans les grands chantiers, mais vivant en permanence dans des caravanes, soit disposant de ressources régulières leur assurant des conditions normales d'existence ; et enfin, les autres nomades.

La catégorie qui nous intéresse au titre de cette recherche s'inscrit donc dans une problématique caractérisée par "un double critère de l'intégration économique et de l'intégration sociale et culturelle"3. Le

sans-domicile-fixe, tel que je vais l'aborder est celui qui est économiquement incapable d'assurer son hébergement et sa subsistance sur un long terme, et qui se voit désolidarisé de sa classe socioculturelle d'origine. Il est aussi pauvre et misérable que l'est celui qui a atteint l'abîme, comme le raconte Jack London dans son récit

1 Cf. Communautés Européennes - Parlement européen - documents de séance

1986-1987 - série A2-246/86. Rapport fait au nom de la Communauté des Affaires sociales et de l'emploi sur le logement des sans-abri dans la communauté Européenne.

2 Liégeois, Jean-Pierre. 1984, Crise et solidarité, groupe 7 : les sans-domicile-fixe, ENA,

promotion Léonard de Vincy.

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autobiographique.

Relatant son expérience personnelle, Jack London, au cours de l'été 1902 s'est immergé dans les bas quartiers de Londres. Il avait rapidement estimé à 450.000 le nombre d'individus se mourant dans "cet impitoyable creuset social" (London, 1975). Dans la revue de presse

Diogène1 un article y est consacré (Diogène, 1995, n° 10). Maxime Gorki

en avait déjà fait l'expérience à la fin du XIXe siècle. Le milieu du XXe

siècle voit cette situation se réitérer.

En 1936, Georges Orwell s'intéresse à son tour à la pauvreté que subit l'Angleterre. The Road to Wigan Pier est écrit après deux mois passés dans le Yorkshire et le Lancashire. Cet ouvrage (Orwell, 1989) s'inscrit dans une certaine continuité pour l'auteur, puisqu'il avait écrit en 1933 Down and Out in Paris and London (Orwell, 1985), où il raconte une époque de pauvreté qu'il avait subie, ce qui permet une comparaison quelques trente années plus tard avec l'ouvrage de Jack London. Au même moment, la future sociologue et photographe Gisèle Freund répondait à une commande de Life Magazine, qui l'envoyait dans cette même Angleterre y faire un reportage. Son travail consistait à mettre en avant la différence entre la richesse de certains et la pauvreté de beaucoup d'autres, sachant que "le sens d'une image dépend de la force selon laquelle elle est présentée" (Freund, 1983 : 166). Elle raconte :

"J'étais encore étudiante et Life Magazine, récemment fondé, m'a envoyé dans le Nord de l'Angleterre pour photographier ce qu'on appelait "les pays en détresse", là où il y avait des millions de chômeurs. Au bord de la rivière Tyne près de Newcastle, il y avait des chantiers navals, et des usines fondées au début du XIXe siècle, le berceau du capitalisme. Maintenant ces usines étaient démodées et les propriétaires préféraient quitter le pays et construire ailleurs des usines modernes. Ils laissaient derrière eux

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toute une population sans travail qui vivait dans la misère. A la même époque se passait le scandale Simpson. Le roi Edouard était amoureux d'une Américaine divorcée. Il voulait se marier avec elle. Un énorme scandale éclata. Le roi est attaqué dans la presse. Le peuple anglais encore sous l'influence de la moralité victorienne refuse un roi qui veut se marier avec une Américaine et qui en plus, est divorcée. Finalement il abdique. Dans Life Magazine en Amérique on montrait — sur un grand nombre de pages —, la vie, dès sa naissance, de Mrs Simpson et au milieu de ce reportage, on montrait mes photos sous le titre anodin :"Ce que les Anglais comprennent sous "Pays en détresse". Pour encore souligner la misère de ces chômeurs et les enfants en loques, on avait reproduit ces photos sur le fond d'un papier déchiré. A côté de ces photos on avait inséré celle de la Reine-Mère, portant autour du cou un triple collier de perles, à ses côtés la princesse Elizabeth, la reine actuelle, et sa sœur Margareth. Sur ses genoux, un bébé, son petit-fils1. Le contraste entre cette image et celles des pauvres chômeurs

était saisissant. C'est de cette manière que les Américains libéraux se vengeaient des Anglais hypocrites. Il n'y avait pas besoin de légendes. Le contraste sautait aux yeux. Bien entendu, je ne savais pas qu'on utiliserait mes photos de cette manière." (Freund, 1983 : 167-168).

Ce témoignage rendu public lors d'un colloque2 fait apparaître

toutes les nuances montrant avec quels intérêts et avec quels desseins il est possible de s'emparer de phénomènes sociaux aigus. Cela n'est pas sans rappeler la période présente où le battage médiatique côtoie l'intérêt économique. De plus, cette anecdote amorce le problème de l'utilisation de la photographie comme source de connaissance. J'en reparlerai le moment venu. Auparavant, revenons sur la notion de domicile.

1 Il s'agit vraisemblablement d'un petit neveu. Cf. Freund, 1974 : 128-129, pour la

reproduction de cette photographie.

2 Colloque international pour la photographie du 23 au 31 janvier 1982, Université Paris

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5 - La question du domicile et de la résidence

Le domicile est une notion complexe qu'il m'apparaît utile de définir, tant son absence est déterminante pour la circonstance. Une littérature abondante1 montre l'ambiguïté du problème. L'article 102 du

Code civil définit le domicile d'une personne comme le "lieu où elle a son principal établissement" (Perrot, 1972). A cela vient s'ajouter la notion d'habitation avec l'article 103. Il en résulte que "le domicile est une localisation de la personne dans l'espace" (ibid.). Cette définition très large ne permet pas de définir l'état de sine domo, puisque le caractère de sans-domicile est lié à l'absence d'un bien matériel. Cette définition s'applique-t-elle au clochard, qui par son caractère sédentaire est localisé et localisable, étant donné que le domicile conserve un caractère de fixité ? D'ailleurs au regard de la loi le terme de domicile-fixe est redondant puisque la fixité est une des conditions de l'établissement du domicile.

Aussi, nous regarderons du côté de la résidence, puisque rappelons-le, la formule générale qui définit le SDF est à l'origine "sans domicile ni résidence fixe". Il y a une double obligation. La résidence est l'endroit où la personne "habite réellement au moment considéré" (ibid.). Il s'agit bien de deux notions à distinguer. Et comme l'écrit Roger Perrot : "Certes, dans bien des hypothèses, résidence et domicile se confondent parce que, le plus fréquemment, la personne a son principal établissement au lieu même où elle réside effectivement. Mais c'est là une coïncidence purement fortuite qui n'infirme en rien la portée de cette distinction" (ibid.).

Le domicile est capital en matière de juridiction et de certains droits. Par exemple, la juridiction compétente en matière de juridiction contentieuse est établie en rapport avec le domicile du défendeur. Mais c'est aussi le domicile qui détermine le "lieu d'exercice des droits

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politiques et notamment du droit de vote" (ibid.). Pour ce qui nous concerne, nous remarquerons également que le droit d'affouage est déterminé par le domicile. Ainsi, une personne qualifiée de SDF n'a légalement pas le droit de recueillir du bois de chauffage dans une forêt communale !

Alors que la résidence peut être multiple, le domicile est unique. La preuve du domicile incombe à celui qui conteste les dires de la personne inquiétée. Quelques jurisprudences concernent cette question, mais le décret du 26 septembre 1953 stipule qu'une attestation sur l'honneur suffit à fournir la preuve du domicile ou de la résidence (Décret.1953.364, appliqué par Décret.1954.155). Il est précisé qu'"aucune pièce, telle que titre de propriété, quittance de loyer ou toute autre, ne saurait être exigée à l'appui de ladite attestation" (ibid.). Cela n'est pas sans laisser quelques interrogations que nous reposerons le moment venu. Notons simplement que ce décret est rarement pris en compte dans la vie quotidienne de chacun.

Enfin, le code de la famille et de l'aide sociale définit un domicile particulier qui "sert à déterminer l'endroit où les personnes malades et sans ressources peuvent recevoir gratuitement l'assistance médicale"

(ibid.). Appelé domicile de secours, il tient une place importante chez le

"SDF" dans la mesure où la prise en charge administrative incombe au budget de l'État lorsque le "SDF" en est dépourvu. En général, le fait de porter la mention de "SDF" renvoie à l'absence d'un domicile de secours. En cas de doute, ou devant la présomption d'une lourdeur administrative, les services comptables de l'hôpital général préfèrent apposer cette mention plutôt que de ne jamais voir recouvrir les dépenses engagées.

6 - Les différentes catégories de SDF

En remontant suivant un axe historique contemporain, je donnerai les définitions empruntés aux différents auteurs qui nous permettront

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d'apprécier les enjeux suivant les variations. C'est d'abord avec Alexandre Vexliard que je commence. En 1957, l'auteur d'une thèse de psychologie-sociale sur le vagabondage regroupe les vagabonds en cinq catégories qui sont :

• Les clochards, dont il distingue trois types : les victimes de la misère, les délinquants et les philosophes ;

• Les "sans-domicile", qui sont victimes de la crise du logement ; • Les mendiants et les délinquants ;

• Le travailleur occasionnel ;

• Les psychopathes, dont Jack London était pour Vexliard un exemple, et qu'il qualifie de "vagabond illustre".

Sans entrer dans le détail, je souhaite faire la critique d'un aspect trop réducteur de ces catégories. Nous savons, par exemple, que le mendiant n'est pas forcément un vagabond. Il en est ainsi depuis l'origine et bon nombre de travaux valident cette affirmation qui sera traitée plus bas. Il faut aussi émettre l'hypothèse qu'une catégorie puisse se recouper avec une autre. Par exemple, un travailleur occasionnel peut être victime de la crise du logement, mendiant pour la circonstance, et psychopathe reconnu. Ainsi la validité de ces catégories pose un problème que je tenterais de résoudre.

A titre de comparaison, je donne la liste établie par Nels Anderson en 1923, dont Alexandre Vexliard s'est inspiré. Les homeless men que l'on peut traduire par sans-domicile, sont regroupés en six catégories :

• Les travailleurs saisonniers ; • Le hobo, travailleur migrant ;

• Le migrant, mais non travailleur (Wanderlust) ;

• Les casaniers (Homes-Guard, membre de la milice de Chicago) ; • Le clochard ;

• Les Vagabonds, classés en quarante-sept sous-divisions (Anderson, 1923, 1993).

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centres d'intérêts du chercheur, mais aussi du contexte dans lequel se place l'auteur. La comparaison montre qu'il y a toujours une "catégorisation" due à l'hétérogénéité de la population et de ses tenants sociaux et culturels, mais que cette "catégorisation" est construite différemment d'un chercheur à l'autre, et utilisée différemment d'un média à l'autre. Anderson met l'accent sur la notion de travail. Cette fonction et l'absence de cette fonction entre en compte pour les quatre premières catégories. Le clochard reste une catégorie à part, sa particularité de sédentaire et de non travailleur le distingue des autres catégories. Quant aux vagabonds, ils semblent être définis par leurs particularités, leur mode d'apparence, ou leur façon d'agir (Anderson, 1993 : 122-123). Il en est tout autrement pour Vexliard, qui semble ne privilégier aucun aspect particulier. Nous noterons aussi que de la catégorie "clochard", découle trois sous-catégories qui affinent davantage l'unique catégorie d'Anderson. Mais la comparaison montre la grande disparité que compte ce monde du vagabondage/homelessness. L'étape suivante de ma démarche consistera à faire l'état des lieux en la matière au moyen de travaux de travailleurs sociaux.

7 - La définition du SDF chez le travailleur social

C'est en faisant la somme des définitions au moyen de mémoires du diplôme d'assistant de service social que je vais essayer de montrer de quelle représentation le SDF fait l'objet. Le manque de référence, et la qualité non-scientifique de ces travaux, donne des définitions qui parfois s'effondrent dans le lieu commun. A ce titre il est intéressant d'en connaître le contenu1, pensant que cette naïveté se rapproche

fortement des représentations dépassant le monde du travail social. L'image du SDF qu'en donne le travailleur social est fortement imprégnée des a priori véhiculés par notre société.

1Ce qui est plus grave, c'est de savoir que sur cette base, les travailleurs sociaux vont

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Cette étude ne procède pas d'un choix, mais d'une approche systématique des travaux disponibles à la Bibliothèque Sociale, ou à la bibliothèque du BAS de Belleville à Paris.

Élisabeth Piermé (1986) remarque une hétérogénéité d'où elle déduit quatre types de situations qui sont :

• Les personnes qui sortent d'institutions, comme la prison, les foyers de jeunes travailleurs, les foyers de réfugiés, le service militaire et les hôpitaux ;

• Ceux qui quittent leur région à la recherche d'un emploi ; • Ceux qui quittent leur domicile à la suite d'un conflit familial ; • Ceux qui se font expulser, comme les squatters.

Première critique : la notion d'institution est prise sous une forme réduite ne coïncidant pas avec la définition anthropologique du terme (Bonte, 1991). Sous ce même concept, l'auteur amalgame "prison" avec "foyers de jeunes travailleurs"!… D'autre part, ces catégories sont centrées sur des causes immédiates, comme si l'on devenait SDF du jour au lendemain. Ceci est à rapprocher avec la notion de rupture souvent employée par les travailleurs sociaux, et utilisée dans la définition qui suit.

Dans son travail, Sophie Mollet propose la définition suivante : "Être SDF1 c'est vivre en situation de rupture par rapport à la

société dite "normale". Cet état se caractérise par le fait de ne plus avoir de lieu de vie régulier à soi, de ne plus avoir d'emploi ni de ressources, de ne plus bénéficier de protection d'aucune sorte, et par conséquent de ne plus avoir d'engagement envers la société. Être SDF c'est à la fois l'expression d'une grande pauvreté et d'une marginalité parce que l'on a pas su ou pas pu s'adapter aux normes de la société en vigueur. La perte de toutes attaches et valeurs de référence éloigne les

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personnes SDF de la société, elles sont en situation d'exclusion et voient décroître leurs chances d'être réintégrées au fur et à mesure que se prolonge leur errance" (Mollet, 1988 : 8). A noter également que certains travailleurs sociaux disent des SDF qu'ils sont cassés, comme le montre Céline Trouvé (Trouvé, 1994). Cela induit une idée de non retour à la normale.

Ce qu'il faut remarquer, c'est que l'auteur commence son mémoire en posant ces affirmations qui seront la fondation de son travail. D'autre part, la notion d'"errance" conserve un caractère emprunt à la psychologie que l'on peut rapprocher des travaux de Bertrand Bergier. Ce dernier définit l'errance comme un processus individuel, où chaque groupe se doit de posséder "un lot de traditions donnant contenu à sa sous-culture…" (1992b :12). Évidemment je ne peux être d'accord avec ce genre de discours, car il y a antinomie entre la notion de "processus individuel" et "groupe". De plus les notions de "tradition" et de "sous-culture" renvoient à des jugements de valeur qui rendent le discours subjectif. Je me rends compte de la difficulté à puiser dans l'outillage théorique, tantôt dans une discipline, tantôt dans une autre.

Sabine Dzik, dont l'intérêt du travail est centré sur les SDF parisiens définit cette notion d'un point de vue administratif. Elle écrit :

"Sont considérés comme SDF, les personnes vivant à Paris :

• Ne justifiant pas du délai d'un mois de séjour dans un arrondissement ;

• Ayant une adresse provisoire ;

• Hébergés en Centres d'hébergement ; • Sans-abri" (Dzik,1989).

Cette définition très réductrice est centrée sur le domicile. N'interviennent pas les notions de travail, de ressource, ni de moyens de subsistance. D'autre part, il faut remarquer que la prise en charge des SDF sur la capitale par le BAS n'est effective que si ce dernier peut justifier de sa présence à Paris depuis au moins un mois — inscription

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ANPE par exemple. C'est-à-dire que la reconnaissance d'un statut n'engendre pas forcément un suivi social.

Dans son travail, Bertrand Legoff utilise comme source de départ la définition du clochard qu'en donne le Petit Robert1, où il est écrit qu'un

clochard est "une personne socialement inadaptée qui vit sans travail et sans domicile et ce, dans les grandes villes". L'auteur y ajoute "une idée de durée, de perte de repères sociaux, voire d'identité". Devant une population hétérogène, l'auteur refuse de catégoriser. Évidemment, je ne suis pas d'accord avec cette définition, car comme nous le verrons, la notion de travail est à reconsidérer, la perte de repères sociaux s'effectue au profit de nouveaux repères, idem pour l'identité.

A aucun moment, nos auteurs ne prennent en compte des caractéristiques comme l'origine géographique, ethnique ou culturelle. Pas plus, ils ne s'intéressent aux classes d'âges, ni au sexe, car le SDF est a priori un homme. Les travailleurs sociaux évoluent dans une logique normative, où il est normal de rencontrer les notions de rupture, de repère social et d'identité. Or, c'est bien au contraire d'une socialisation qu'il s'agit : par la construction sociale de la catégorie "SDF", entretenue par le réseau institutionnel des centres d'hébergement, et du secteur caritatif. Car le SDF navigue à la marge de la société, à sa liminarité. En cela, il est partie intégrante de la société, où sa place est une institution à elle seule : l'institution du sans-domicile-fixe, que je reprends sous le terme d'institution sine domo.

Chaque institution, tant caritative qu'étatique ou municipale, fait état d'une distinction entre les "vieux" et les "jeunes" SDF. Cette distinction n'est pas fixée par une norme commune ou un accord commun, mais dépend du règlement intérieur propre à chaque institution. Si tous ont fixé à dix-huit ans l'âge minimal d'un "jeune"

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SDF, cette notion devient plus floue en ce qui concerne l'âge maximum, et l'âge médian par lequel on passe d'un statut à l'autre. Le BAS de Paris fixe cet âge à vingt-huit ans. Au delà, la personne est accueillie dans une autre permanence, en fonction de la première lettre de son patronyme, et cela jusqu'à soixante-cinq ans. Après cette ultime étape, le SDF peut être pris en charge dans une maison de retraite. Mais comme nous le verrons plus loin, cet âge est très rarement atteint. Au Puy-en-Velay, l'association Le Tremplin accueille en principe des personnes de 18 à 27 ans. Des dérogations de la DDASS sont nécessaires, mais possibles, quand l'âge est dépassé.

Traditionnellement, la population "jeune" était inscrite dans la fourchette 18/25 ans1. En deçà, le fait d'être mineur implique un tutorat

par quelque moyen que se soit. La responsabilité relève de l'Aide Sociale à l'Enfance lorsque les parents font défaut, ou du Ministère de la justice, s'il y a délinquance. Les écrits ne font plus état de vagabondage mais de fugue. Cette distinction, qui n'existe pas aux États-Unis, empêche un travail en amont de la majorité, bien que les mineurs SDF existent, comme nous le verrons plus loin.

La mise en place du RMI et l'augmentation du nombre de SDF a fait reconsidérer cette fourchette qui s'est étendue à vingt-huit ans. C'est notamment "l'âge où la population reste réceptive à un discours de type éducatif" me dit la responsable d'une permanence d'accueil. Il n'en est pas de même pour tous les Centres. Le Centre Corot2 fixe la limite d'âge

à vingt-cinq ans, en ajoutant "pas gravement marginalisé"3. Le

responsable de ce Centre admet préférer les jeunes de dix-huit à vingt-deux ans, afin de limiter les "risques" d'un autre suivi, en disant "qu'un type déjà suivi dans un autre endroit ne s'en sort généralement pas". Quelle vision défaitiste ! Néanmoins, pour ce Centre, la limite d'âge n'existe plus pour les personnes séropositives. Pourtant, quel que soit

1 François Dubet utilise la classe 16/25 ans (Dubet, 1987). 2 4 rue Corot dans le XVIe arrondissement de Paris.

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l'âge les maghrébins ne sont pas admis. Ceci est argumenté par le manque de compétences des bénévoles envers une population d'origine culturelle différente de la leur.

D'autres exemples montrent qu'un choix arbitraire est souvent à l'origine d'une limitation d'âge, des "jeunes" comme des "vieux", puisque des dérogations sont toujours possibles1. Cette notion de jeunesse est

inévitablement à mettre en parallèle avec le texte de Pierre Bourdieu : "Les divisions entre les âges sont arbitraires" (Bourdieu, 1984 : 143-154), et sont l'objet d'enjeux sociaux. Ainsi, nous pouvons penser que la catégorie des SDF est manipulée — consciemment ou non — par des subdivisions qui font apparaître les catégories suivantes : les hommes et les femmes, bien que la notion de couple apparaisse dans quelques Centres ; et les jeunes et les vieux, compte tenu de zones plus ou moins floues comme nous l'avons vu. Tout ceci marque l'importance de ce "hors-jeu social" qu'implique la classification des "jeunes" dans une catégorie jugée par la société comme irresponsable.

Le fonctionnement des structures en Haute-Loire est identique. Les descriptions que j'en donne dans la troisième partie nous permettront d'en mesurer les nuances. Moins visibles en Haute-Loire, les distinctions portant sur l'origine ethnique existent d'une manière officieuse et détournée. Un chapitre réservé à l'étranger en fera mention.

8 - La définition du SDF dans les professions scientifiques

Jusqu'à présent force est de remarquer l'incroyable embarras soulevé lorsque l'on veut définir la population observée. Et la thèse d'Alain Metteau peut nous aider à comprendre cette complexité. Car le SDF n'est pas né en un seul jour. Avant lui, celui qui par son mode de

1 Ceci permet de justifier un refus ou une admission sans possibilité de faire appel

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vie et son comportement suscitait quelques intérêts de la part de la médecine ou de la criminologie était nommé vagabond. Je remarque que la difficulté de définir une telle population — en dehors du fait admis par tous de son hétérogénéité — tient à ce qu'au cours du temps s'est succédée une infinité de vocables qui rend une définition unique imprécise et risquée. Car de surcroît, chaque corps scientifique a utilisé son vocable et sa définition.

A ce sujet, Alain Metteau écrit qu'"au moyen âge ils étaient parchemins, gueux, routiers ; dans les rapports de police on les désignait comme des "demeurant partout". Plus tard ils devinrent chemineaux, trimardeurs (gens qui vont et viennent pesamment, avec fatigue, sans but précis). Durant toute cette période les termes utilisés sont liés à une réalité sociale ; on désigne les vagabonds d'après la place qu'ils occupent (ou plutôt qu'ils n'occupent pas) dans la société. A la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle les médecins, les

juristes et les psychiatres démantelèrent la notion de vagabondage et apparaissent alors les premiers vocables liés aux théories psychologiques : à côté du vagabondage d'ordre socio-économique, on distingue en effet un vagabondage d'ordre psychique, vagabondage d'habitude (vagabondage constitutionnel des dégénérés) ou d'occasion (fugueurs, délinquants, captivés…) et l'on décrit des aliénés migrateurs, des poriomaniaques, des déambulateurs simples, des dromomanes… On parle d'invalides moraux !" (Metteau, 1972 : 4-5).

Alain Metteau fait remarquer que dans les années soixante-dix, c'est le terme de "clochard" qui est repris au détriment d'autres vocables argotiques tels que : ripards, tire-laine, traîne-patte-pilon ou pied-de-biche. Cette succession de termes pose le problème du camouflage d'une réalité trop directe et frappante. Avec l'arrivée de la "nouvelle pauvreté" au début des années quatre-vingt, va s'ensuivre l'arrivée d'une panoplie de termes euphémisés qui vont servir à masquer et à banaliser notre quotidien.

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renvoie à la définition juridique. C'est cette définition qu'utilise le collectif du Rapport sur l'amélioration de la vie quotidienne des "sans domicile

fixe", commandé par le secrétaire d'État auprès du Premier Ministre

chargé de l'Action Humanitaire, en 1990. Il s'agissait de mener une étude sur "les personnes privées de logement, habituellement désignées par des termes comme "Sans Domicile Fixe" ("SDF"), "sans-abri", sans résidence stable", ou plus traditionnellement comme "vagabonds" et "clochards"." Une tentative de définition aboutissait au fait que "les "sans domicile fixe" sont ainsi généralement des personnes psychologiquement fragiles, professionnellement peu qualifiées quand elles ne sont pas illettrées" (Collectif, 1990). En second plan, la définition induit le problème de la responsabilité. Le recours aux théories psychologiques dédouane, pour une partie, d'une responsabilité pesante de la part de la société.

Les derniers travaux en la matière rendent compte avec brio de cette disparité et du flou qui en résulte. La sociologue Pascale Pichon1

constate cette hétérogénéité, mais distingue les termes de clochard et de sans-abri qu'elle qualifie de "désignations souterraines" (Pichon, 1991 : 9). "Le clochard est celui qui a renoncé à une vie normale, qui a choisi un mode de vie déviant, alors que le "sans-abri" pèse tout le poids d'un destin malheureux associé à une pauvreté endémique" (ibid.). Plus récemment Julien Damon a entrepris à son tour de définir cette population. Après avoir remarquer que "sous ce terme se retrouve une multitude de perceptions et de situations sociales" (Damon, 1994b : 24), il entame le dépouillement d'ouvrages divers2 sans pour autant donner

sa propre définition. Il résulte que "l'univers sémantique de l'errance urbaine oscille entre les notions de "sans-logis, "sans-abri", et "SDF"

1 Ses travaux sont à la base de l'appel d'offres du Plan Urbain dirigé par Isaac Joseph

auquel j'ai répondu avec Daniel Terrolle (1993). Ils doivent être reconnus comme éléments fondateurs d'une vague française de recherche sur les SDF. Six équipes furent retenues : J. Guillou, J-F. Laé, C. Lanzarini, P. Pichon, S. Roy et D. Terrolle. Seule cette dernière a été menée dans la discipline de l'ethnologie urbaine. Pour l'étude, notre équipe s'est enrichie de C. Amistani et de G. Teissonnières.

2 Dans l'ordre de dépouillement : P. Pichon, A. Vexliard, J-L. Porquet, B. Durou, X.

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(ibid. : 25).

Néanmoins, il faut remarquer que c'est toujours sous le terme de vagabondage que la médecine étudie ce phénomène. Antoine Porot le définit ainsi : "Le vagabondage est l'état des individus qui ne se fixent nulle part" (Porot, 1984). Mais l'auteur ajoute plus loin que "le vagabondage vrai est une situation habituelle, soit par sa permanence, soit par sa récidive persistante" (ibid.).

Enfin, c'est avec le livre de Patrick Gaboriau que je boucle ces définitions. Non qu'il soit le plus récent, cet ouvrage est le premier ouvrage à caractère ethnologique sur la question. Ayant recentré son objet d'étude sur un groupe de cinq "clochards" que l'auteur englobe dans la grande catégorie des "sans-abri", il en donne cette définition : "Le clochard se définit par son lieu de vie. Pour lui l'abri pose problème. Négativement, c'est une personne qui ne possède pas d'espace privé reconnu ; positivement, c'est celui qui vit sur les lieux publics" (Gaboriau, 1993 : 12). L'absence d'une dimension sociologique excuse cette lacune au profit d'une étude de type qualitatif irremplaçable. Car l'expérience sur le terrain ne peut-être remplacée par les discussions de salon.

Et c'est par l'ethnologie qu'il m'a été possible de comprendre que cette diversité était mouvante à l'intérieur même de cette "terminologie". J'ai pu le constater à maintes reprises. Lorsque son enveloppe change d'une institution à l'autre, pour les uns c'est un vagabond, pour d'autres c'est un SDF ou un zonard, un homme à la rue ou un sans-abri. Ainsi, une même personne peut être qualifiée différemment d'un lieu à l'autre, d'une situation à l'autre au cours d'une même journée : au CCAS c'est un "clochard" ; au Secours Catholique c'est un "sans-abri" ; à l'accueil de nuit c'est un "SDF"… De sorte que le vocable employé varie en fonction des institutions1. Comment s'y

1 J'emploie ici le concept d'institution sous sa forme réduite. Plus généralement, le sine domo est une institution. Cf. définition infra.

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retrouver ?

9 - Définition du sine domo

La solution que j'envisage est de créer un néologisme, outil théorique qui me servira tout au long de ma thèse. Sur le plan idéologique, il doit être exempt de tout a priori et de toute connotation. On a vu plus bas qu'une utilisation habile des termes permettait d'appuyer le discours général. Les termes de "vagabond" et de "clochard" sont connotés négativement dans la presse écrite. Par contre, elle attache une notion de pitié, voire de compassion, aux termes de "sans-logis" et de "sans-abri", alors que celui de "SDF" est tantôt l'un tantôt l'autre. Il en est de même sur le plan politique, économique et religieux. Aujourd'hui, l'utilisation d'un de ces vocables renvoie à un discours idéologique rendant impossible toute volonté de neutralité scientifique. Or, la recherche de l'objectivité doit partir sur des bases saines.

La notion de sine domo est exprimée au latin. Afin d’éloigner tout "parasitage" idéologique, j’ai choisi ce concept que l’on peut traduire par : sans maison. Domus, la maison, est aussi le logis, mais encore le foyer et la famille. Et c'est là que réside toute la force de ce concept, parcouru par la dialectique de l'absence. Le sans-domicile est aussi le sans-foyer et le sans-famille — tout au moins du point de vue symbolique lorsqu'elle n'est pas réelle. D'ailleurs, le "SDF" n'est souvent appelé que par un prénom : la perte du patronyme succède à celle de la maison. Nous rejoignons ici la citation de Claude Lévi-Strauss. Si le phénomène des SDF comprend les clochards, les errants, les indigents, les routards, les sans-abri, les sans-logis, les vagabonds, voire les mendiants, il sous entend également l’absence de foyer familial qui devient manifeste grâce à l'utilisation du terme de sine domo. Ainsi, ce concept doit être saisi dans une acception large, afin de pouvoir comprendre qu’un SDF, dans son parcours, s’il peut avoir un logis, n’a pas forcément de “famille”, réelle ou symbolique. Cela permet de prendre en compte les intermittences de la vie d'un sine domo, lorsque

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celui-ci passe par des moments de stabilité, et qui sont des aspects insaisissables d'une manière quantitative.

C'est au moyen de la notion d'espace sine domo qu'il est possible d'appréhender les différentes catégories auxquelles je me rapporte. Le principe est que tout individu serait lié à l'état de sine domo par un axe conjoncturel et un axe structurel. Alors que le premier est indépendant de l'individu — catastrophe naturelle, crise du logement, chômage, etc. —, le second est dépendant de l'individu — structure familiale défaillante, incapacité à la reconversion, troubles du comportement, etc. Afin de clarifier cette notion, j'utiliserai une représentation spatiale à deux dimensions. L'axe des abscisses correspond à un contexte conjoncturel, qui va d'aucune corrélation conjoncturelle à un état conjoncturel total comme c'est le cas pour des réfugiés après une catastrophe naturelle par exemple : les médias parlent alors de "sans-abri". Et lorsque ce caractère tend à se prolonger, où est lié à une cause structurelle — comme l'insuffisance de logements — il s'agit plutôt de "sans-logis".

Nous avons compris que l'axe des ordonnées correspond à un contexte structurel, où l'on doit prendre en compte le caractère structurel de l'état de sine domo. A ce titre l'exemple des tsiganes correspond à un état structurel total puisque lié culturellement aux tsiganes1. Le "vagabond philosophe" décrit par Alexandre Vexliard est à

ce titre mué par une volonté structurelle d'où ressort son état de sine

domo. Le clochard, qui se trouve dans l'abîme du processus de

clochardisation, se trouve lui aussi mué par un effet structurel important. Le routard est à mi-chemin car son état fluctue entre la route et l'hébergement. Le zonard s'apparente au routard, mais la différence réside dans le mode d'hébergement — plutôt un squat — et par l'âge — plus jeune. Enfin le SDF, qui se trouve à une étape

1 Il faut noter toutefois que la courbe obtenue pour les Tsiganes pourrait être inversée

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intermédiaire, "tombe" dans la rue suite à une accumulation d'effets conjoncturels et structurels malheureux. Partant de là, il est possible d'en donner une représentation graphique comme ci-dessous :

Fig. 2 : L'espace sine domo

Tsigane vagabond philosophe routard clochard zonard SDF sans-abri sans-logis Effet structurel Effet conjoncturel

Évidemment, il ne s'agit pas de reporter la faute sur les uns ou sur les autres, et de dégager la responsabilité des pouvoirs publics sous prétexte que la cause majeure résulte d'un effet lié en propre à la personne. C'est pour cette raison que j'utilise la notion de structure car la responsabilité structurelle dépend bien de la société globale dans laquelle la personne évolue. Et qu'un défaut structurel n'est pas forcément repérable par l'individu lui-même, et n'est corrigible que par une volonté sociopolitique globale. Pour exemple, je citerai la cas de l'illettrisme qui est présent chez 80% des SDF1. Et bien, sans

l'approbation de la société dans sa totalité, rien ne sera fait pour corriger cet état de fait au niveau des lieux de socialisation : l'école et la famille.

1 D'après un entretien au Secours Catholique au CHRS de la rue de la Comète à Paris

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B) La problématique sine domo

"Mais ces traits n'étaient pas de ceux qui pussent lui être un moyen pour être honoré chez les Crows".

Ruth Benedict, Échantillons de civilisations, 1967

1 - Faire abstraction de la pauvreté ?

Peut-on parler du vagabondage sans aborder la notion de pauvreté, ni même celle d'exclusion ? A priori il s'agit d'un passage obligé dès lors que ces notions sont intimement liées au phénomène qui nous préoccupe. En effet, suivant un cercle vicieux, la pauvreté conduirait à l'exclusion. C'est en tout cas l'analyse qui découle des études économiques de ces dernières années. Une synthèse des plus récentes nous éclaire sur la question1. Certains auteurs2, animés par une

logique "d'euphémisation" tentent de montrer que le nombre absolu de pauvres diminue en France. Ceci est surtout dû au fait que la pauvreté conserve un caractère relatif et absolu, et que la croissance économique des sociétés complexes en élève aussi le seuil. De sorte qu'avec l'apparition du RMI en décembre 1988, le terme de pauvreté a été remplacé par celui d'exclus.

Cela redouble la difficulté d'appréhension du phénomène, car si les

1 Patrick Valtriani. "La notion de pauvreté : des frontières floues", in Problèmes économiques, n°2.386 du 17 août 1994 : 18-24.

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critères de la pauvreté sont circonscrits, ceux de l'exclusion deviennent plus larges. Pour Éliane Mossé, la pauvreté est définie "comme la situation de personnes ou groupes de personnes marquées par l'insuffisance des ressources disponibles, la précarité du statut social et l'exclusion d'un mode de vie (matériel et culturel) dominant"(Mossé, 1985 : 37). Par contre l'auteur utilise les travaux de Peter Townsend afin d'élaborer "une approche de la pauvreté en terme d'exclusion par rapport à un mode de vie dominant" (ibid. : 64). C'est par la notion de "déprivation"1 que Peter Townsend définit l'exclusion : "Des gens seront

considérés comme en état de déprivation s'ils n'ont pas les types de régime alimentaire, vêtements, habitat, environnement, éducation, conditions de travail et conditions sociales, activités et distractions qui sont habituels, ou du moins largement encouragés et approuvés, par la société dans laquelle ils vivent" (ibid. : 64). Cette définition renvoie au caractère économique du manque, mais aussi au caractère social et culturel, qui dépasse de loin la définition purement économique.

Ainsi, les critères de l'exclusion sont plus étendus que les critères de la pauvreté, et tiennent compte, de ce fait, de son caractère relatif. Or, ces deux notions ne sont pas forcément complémentaires. Un pauvre est-il forcément exclu ? et un exclu est-il forcément pauvre ? La réponse n'est pas évidente. De même qu'il n'est pas certain de savoir si l'exclusion est antérieure à la pauvreté et réciproquement. Ces notions font donc apparaître un état, ou une situation, qui peut être temporaire ou permanente, complémentaire ou indépendante. Colette Pétonnet le montre dans son article "argent mode d'emploi" , où elle donne un aperçu des différentes utilisations possibles de l'argent. Dans son exemple, deux ménages d'origines culturelles différentes utilisent une somme équivalente de façon opposée : le premier dilapide la somme en quelques jours, le second la thésaurise.

1 Qu'il ne faut pas confondre avec le concept employé par D.W. Winnicott (cf.

Figure

Fig. 1 : Plaque d'interdiction apposée à la façade d'une maison
Fig. 3 : Carte du relief de la Haute-Loire
Fig. 4 : Carte des réseaux ferrés d'après U. Rouchon, 1933
Fig. 6 : Heures d'arrivées des trains en provenance
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