• Aucun résultat trouvé

"Mais ces traits n'étaient pas de ceux qui pussent lui être un moyen pour être honoré chez les Crows".

Ruth Benedict, Échantillons de civilisations, 1967

1 - Faire abstraction de la pauvreté ?

Peut-on parler du vagabondage sans aborder la notion de pauvreté, ni même celle d'exclusion ? A priori il s'agit d'un passage obligé dès lors que ces notions sont intimement liées au phénomène qui nous préoccupe. En effet, suivant un cercle vicieux, la pauvreté conduirait à l'exclusion. C'est en tout cas l'analyse qui découle des études économiques de ces dernières années. Une synthèse des plus récentes nous éclaire sur la question1. Certains auteurs2, animés par une logique "d'euphémisation" tentent de montrer que le nombre absolu de pauvres diminue en France. Ceci est surtout dû au fait que la pauvreté conserve un caractère relatif et absolu, et que la croissance économique des sociétés complexes en élève aussi le seuil. De sorte qu'avec l'apparition du RMI en décembre 1988, le terme de pauvreté a été remplacé par celui d'exclus.

Cela redouble la difficulté d'appréhension du phénomène, car si les

1 Patrick Valtriani. "La notion de pauvreté : des frontières floues", in Problèmes

économiques, n°2.386 du 17 août 1994 : 18-24. 2 Cf. Serge Milano.

critères de la pauvreté sont circonscrits, ceux de l'exclusion deviennent plus larges. Pour Éliane Mossé, la pauvreté est définie "comme la situation de personnes ou groupes de personnes marquées par l'insuffisance des ressources disponibles, la précarité du statut social et l'exclusion d'un mode de vie (matériel et culturel) dominant"(Mossé, 1985 : 37). Par contre l'auteur utilise les travaux de Peter Townsend afin d'élaborer "une approche de la pauvreté en terme d'exclusion par rapport à un mode de vie dominant" (ibid. : 64). C'est par la notion de "déprivation"1 que Peter Townsend définit l'exclusion : "Des gens seront considérés comme en état de déprivation s'ils n'ont pas les types de régime alimentaire, vêtements, habitat, environnement, éducation, conditions de travail et conditions sociales, activités et distractions qui sont habituels, ou du moins largement encouragés et approuvés, par la société dans laquelle ils vivent" (ibid. : 64). Cette définition renvoie au caractère économique du manque, mais aussi au caractère social et culturel, qui dépasse de loin la définition purement économique.

Ainsi, les critères de l'exclusion sont plus étendus que les critères de la pauvreté, et tiennent compte, de ce fait, de son caractère relatif. Or, ces deux notions ne sont pas forcément complémentaires. Un pauvre est-il forcément exclu ? et un exclu est-il forcément pauvre ? La réponse n'est pas évidente. De même qu'il n'est pas certain de savoir si l'exclusion est antérieure à la pauvreté et réciproquement. Ces notions font donc apparaître un état, ou une situation, qui peut être temporaire ou permanente, complémentaire ou indépendante. Colette Pétonnet le montre dans son article "argent mode d'emploi" , où elle donne un aperçu des différentes utilisations possibles de l'argent. Dans son exemple, deux ménages d'origines culturelles différentes utilisent une somme équivalente de façon opposée : le premier dilapide la somme en quelques jours, le second la thésaurise.

1 Qu'il ne faut pas confondre avec le concept employé par D.W. Winnicott (cf. Bibliographie).

Pour cette raison, il n'est pas possible d'assimiler exclusion et pauvreté, car le rapport à l'argent est aussi un rapport culturel, et que les critères d'exclusion sont établis en fonction d'une norme qui n'est pas commune à toutes les catégories sociales et à tous les groupes culturels. Concrètement, la notion d'exclus recouvre un champ social beaucoup plus vaste puisqu'elle englobe les sans-abri, mais aussi les jeunes de banlieue, les chômeurs… De plus, comme je le démontrerai, les "exclus" — au sens médiatique du terme se rapportant aux sans-abri — n'existent pas au sens anthropologique du terme ! Et cette exclusion recompose une nouvelle catégorie sociale faisant partie à part entière.

Pourtant lorsqu'on se penche sur cette problématique, il n'est pas question de faire abstraction de la pauvreté, car sa présence est constante. Néanmoins, comme le souligne Colette Pétonnet, "la pauvreté est un état où l'on entre et d'où l'on sort, un état qui n'est pas plus stable que la richesse" (Pétonnet, 1987 : 122). Car il n'est de pauvre que dans la relation avec le riche. Or, bien que la pauvreté soit une réalité chez les sine domo, la variable diachronique montre des états différents au sein de l'hétérogénéité de la population. Lorsque les sine

domo passent d'une période de pauvreté (sans aucune ressource) à une

période de grande richesse (gain exceptionnel, perception de plusieurs mois de RMI,…) ils n'en restent pas moins "sine domo", au sens où cet état serait ancré en eux. C'est tout du moins une des thèses que je développerai ici et qui peut se formuler ainsi : pourquoi une fois le processus déclenché, peu de sine domo "s'en sortent"1 ? Et de poser la pauvreté comme un postulat tout au long de cette thèse : les sine domo sont pauvres en majorité2, mais avant tout sine domo.

1 Par l'expression "s'en sortir", j'entends avoir accès à une mobilité sociale ascendante, même réduite.

2 Des exemples sont toujours là pour montrer le contraire et alimenter le mythe. Cf. "Mort de froid dans sa cahute, son or bien au chaud à la banque", in Libération du 5 janvier 1993.

2 - Du vagabondage à la problématique sine domo

D'ailleurs, la pauvreté est une constante historique qui permet de penser le vagabondage sur une continuité historique. C'est ce fil conducteur qui me permettra d'élaborer la problématique du vagabondage que j'ai intitulé : problématique sine domo. Car elle n'est autre que l'étude du phénomène du vagabondage contemporain, et revient à construire la charpente de cette institution, c'est-à-dire "tout ce qui, dans une société donnée, prend la forme d'un dispositif organisé, visant au fonctionnement ou à la reproduction de cette société, résultant d'une volonté originelle (acte d'instituer) et d'une adhésion, au moins tacite, à sa légitimité supposée" (Bonte, 1991 : 378). Ici, l'acte d'instituer et sa légitimité se retrouvent dans les lois visant à réprimer le vagabondage.

Comme le montre l'historien, l'histoire du vagabondage se retrouve dans les fondations de notre civilisation (Geremek, 1987). Aujourd'hui, la société contribue largement à construire cet objet d'étude. L'édition 1994 du Petit Robert en est une preuve, et témoigne de l'impuissance de l'homme sur la civilisation, en y normalisant le terme de SDF. Cela marque l'acceptation sociale du phénomène, tout en banalisant et en réduisant le vocable à une catégorie socioculturelle. Être SDF, c'est être "sur le pavé, sans toit, à la rue, sans feu ni lieu, une personne sans domicile fixe, un clochard, un vagabond, un nomade, un squatter" (Petit Robert, 1994).

Nous retrouvons cette banalisation dans un film grand public. Philadelphia1 est un film "hollywoodien de consommation courante"2 qui aborde le Sida d'une manière pédagogique, tout en attirant le spectateur par la présence d'acteurs populaires. Par des travellings dans les rues de Philadelphie, le générique montre les homeless allongés sur les

1 Jonathan Demme, Philadelphia, long métrage, 1993. Ou encore la comédie de John Hughes, Curly Sue, 1991, qui raconte les aventures de "deux vagabonds aux basques d'une riche avocate" (Canal+, n°84, septembre 1994).

trottoirs. En acceptant de les montrer et de montrer la misère des rues — sans rapport direct avec le film puisqu'il n'en est plus question après — l'auteur montre que les homeless font désormais partie du paysage urbain et des problèmes contemporains. Mais en les montrant de la sorte, ne cherche-t-on pas à les banaliser — et banaliser le

homelessness — ainsi que la misère qui les entoure ? Et plus grave, ne

cherche-t-on pas à en faire une unité ? Cet exemple n'est pas isolé, mais je pense qu'il nous éclaire sur la tendance actuelle.

3 - Les rythmes saisonniers, l'espace liminaire et la logique sacrificielle Ma problématique s'appuie principalement sur trois hypothèses développées par le groupe de recherche dont je faisais partie au moment de l'étude financée par le Plan Urbain. Celle-ci a débouché sur la production d'un rapport que j'ai déjà mentionné (cf. Infra). Les questions qui sous tendaient cette étude relevaient principalement d'hypothèses définies durant la recherche — et conformes à la démarche ethnologique — mais une vérification nécessitait un travail plus long que la présente thèse se veut de combler en partie.

Tout d'abord, il s'agissait de collecter des données propres à la question des rythmes saisonniers. Nous référant à la notion de variations saisonnières que Marcel Mauss a défini dans son étude sur les sociétés Eskimos1, l'hypothèse repose sur la recherche d'une mobilité géographique liée aux saisons. En effet, la question qui oriente cette hypothèse relève de savoir si l'errance, qui caractérise la population sine domo, participe d'une logique rationnelle, observable et identifiable comme étant une logique caractérisant le phénomène sine

1 Mauss, "Essai sur les variations saisonnières des sociétés Eskimos. Étude de morphologie sociale" (1905), in Sociologie et anthropologie, (1950), Paris, PUF, 1985.

domo en fonction de variations saisonnières ? En d'autres termes et

d'une façon plus large, dans une société où la norme prône la sédentarité, quels sont les degrés de liberté accordée aux sine domo, et comment cette "liberté" fonctionne ? Ce questionnement est présent tout au long de la thèse, et nous verrons qu'il mérite d'être posé à l'échelle du rythme circadien, dans une société où le piéton ne peut parfois même plus s'arrêter un instant sur le trottoir sans se faire remarquer.

Comme le montre Patrick Gaboriau, "le trottoir est un sablier qui écoule les êtres et les canalise" (Gaboriau, 1995 : 25). Or, "l'homme à la rue" est plutôt l'homme du trottoir. Il s'y arrête pour faire la manche. Il y vit son histoire tout en observant celles des autres, gens pressés qui passent et jettent une pièce dans sa sébile "à la volée", sans même s'arrêter. Mais la norme réapparaît et le chasse de sa place : il est condamné à errer à nouveau car la société lui interdit paradoxalement de s'arrêter.

Sur le plan de la métaphore, ce passage obligé et perpétuel s'inscrit dans une transition sans fin qui caractérise la notion de liminarité définie par Arnold Van Gennep. C'est ici la base de notre deuxième hypothèse. Des trois grandes étapes dont relèvent les rites de passage, c'est la deuxième — celle de la liminarité — qui doit retenir notre attention. Chez le sine domo, cette étape liminaire prend une dimension fondamentale puisqu'elle régit désormais le cours de sa vie. Et comme l'écrit Daniel Terrolle, "selon son importance, la liminarité est susceptible soit de faire office d'état provisoire et intermédiaire, soit de se transformer en structure, comprenant elle-même sa temporalité propre, illimitée et informelle, comme une sorte d'éternité du vivant où la limite ne relève plus alors que du coefficient de résistance issu des interactions biologiques, physiologiques et psychologiques de l'individu qu'elle signifie" (Terrolle, 1995 : 12).

Ce point est conforté sur la base de l'analyse de Victor W. Turner, pour qui la période liminaire qu'il nomme communitas "est révélatrice

d'un état fondamental de société" (Deliège, 1995 : 50). Selon mon hypothèse, la communitas caractériserait le principe de fonctionnement des sine domo. S'opposant au système structuré, normé et hiérarchisé de la société, la communitas est caractérisée par sa forme "non structurée ou structurée de façon rudimentaire et relativement indifférenciée" (Turner, 1990 : 97). Or, la société qui finit par institutionnaliser le sine domo, qu'elle appelle "SDF", "vagabond" ou "clochard", l'enferme dans un état de non retour qui s'inscrit dans un processus dialectique indispensable à la survie de la société. Turner écrit que "la vie sociale est une espèce de processus dialectique qui entraîne l'expérience successive du haut et du bas, de la communitas et de la structure, de l'homogénéité et de la différenciation, de l'égalité et de l'inégalité" (ibid. : 98). Dans une société où les gagnants sont rois, l'importance des perdants est rendue manifeste afin que la société puisse asseoir une stabilité sans laquelle elle sombrerait. D'après Turner, la communitas n'est que temporaire ; ce n'est qu'un passage vite rattrapé par la mise en place d'une structure. Seulement, la communitas chez le sine domo semble conserver un caractère permanent. C'est tout au moins une hypothèse qui sera reprise dans la troisième partie.

Enfin, la troisième hypothèse s'inscrit dans un prolongement logique effrayant. Je n'hésite pas à employer ce qualificatif qui laisse filtrer une opinion qui devrait être absente d'un travail scientifique. Néanmoins, cette recherche aboutit à de telles conclusions, qu'un point de vue libéré uniquement d'une froideur scientifique ne serait pas complet. Par là, je rejoins les propos de Robert Cresswell relatifs au rôle et à l'éthique de l'ethnologue dont je discute dans le septième chapitre de l'introduction (cf. infra).

M'appuyant sur la thèse que René Girard a développé dans son livre La violence et le sacré, je pense que l'hypothèse d'une population sacrifiée dans la logique de l'économie libérale telle que nous la vivons n'est pas une absurdité totale. C'est dans le dernier chapitre du livre de Colette Pétonnet On est tous dans le brouillard, que s'est profilée l'idée

qu'une population pourrait avoir comme réponse culturelle, face à un état pathogène de la société, l'autopunition. Paraphrasant Roger Bastide, l'auteur écrit : "En face d'une situation conflictuelle, une alternative culturelle existe ; on peut y répondre soit par un développement de la magie, soit par une chute dans la folie" (Pétonnet, 1979 : 219). Mais une troisième solution se profile et qui caractérisait la population de la Cité au moment de sa recherche : celle du sacrifice. Colette Pétonnet avait alors émis l'hypothèse selon laquelle le sacrifice serait présent dans nos sociétés complexes, "totalement désacralisé, extrêmement effacé quant aux rites, refoulé et complètement intériorisé quant à sa fonction demeurée intacte" (ibid. : 249). A sa suite, les travaux dirigés par Daniel Terrolle reprennent l'écho de cette hypothèse et s'engagent dans cette voie1.

Ainsi, à la lumière des travaux de Colette Pétonnet et de René Girard, j'estime que le mécanisme de la victime émissaire s'est engrené sur certains groupes de sine domo — notamment les "SDF" —, et qu'une résistance accompagnée d'une dénonciation2 aura pour conséquence de déplacer le phénomène sur d'autres groupes, comme il en a été pour la population des Cités (ibid. : 253). Aussi, il faut croire que ce mécanisme sera d'une durée variable — peut-être de l'ordre d'une à deux décennies — et que son observation deviendra par conséquent de moins en moins évidente à condition d'avoir atteint le sommet.

Enfin, d'autres hypothèses viennent se greffer à celles-ci et se combinent dans la construction de ma problématique. La métaphore entre l'alcoolisme et le vagabondage me servira à construire une vision du sine domo et de son institutionnalisation.

1 Max Lafont s'est servi de la thèse de René Girard afin d'expliquer l'extermination des malades mentaux en France au cours de la Seconde Guerre mondiale. J'utilise son étude en parallèle. Cf. Lafont, 1987.

2 C'est ce que font les membres de l'association Droit Au Logement par exemple, sous la respectabilité de l'abbé Pierre et de Monseigneur Gaillot.

4 - L’alcoolisme comme une métaphore de la problématique sine domo

Comme nous allons le voir, l'alcoolisme ressemble à bien des égards au phénomène sine domo. L'étude de l'alcoolisme, que Michèle Monjauze appelle la problématique alcoolique m'a permis de dégager mes propres hypothèses me conduisant à compléter la problématique sine

domo. Mais il faut avant tout bien préciser qu'il ne s'agit pas de

démontrer par là que l'état de sine domo s'apparente à un état pathologique comme peut l'être l'alcoolisme. La résultante est différente. J'emploie cet exemple sur le plan de la métaphore afin de montrer des mécanismes similaires, mais non identiques.

Si l'alcoolique entretient une relation privilégiée avec l'alcool, le

sine domo maintient des liens avec l'errance. Tous deux sont liées à la

notion de besoin. Bronislaw Malinowski a défini différentes catégories de besoins (Malinowski, 1979). Si l'on prend la série des besoins élémentaires et leurs réponses culturelles suivant leurs classifications, on peut faire apparaître les absences observées chez le sine domo. Par exemple, le métabolisme a pour réponse culturelle la subsistance. Or, l'absence ou les carences en nourriture sont des traits qui caractérisent l'état de sine domo.

Néanmoins, il existe d'autres types de besoins, que la psychiatrie qualifie du terme de compulsifs. Un besoin compulsif possède la particularité d'obliger la personne à l'assouvir. Sous la forme imagée, je veux dire qu'elle ne peut s'empêcher d'aller vers ce besoin. Alors je propose de m'inspirer de quelques concepts propres à la psychiatrie afin de dégager des hypothèses chevauchant deux disciplines assez voisines. En effet, la psychiatrie est contenue dans la médecine, et je pense que la médecine est contenue dans l'anthropologie. Ainsi la psychiatrie se voit contenue dans l'anthropologie. Ce syllogisme me permet de resserrer la famille des Sciences Humaines, où les frontières, parfois difficiles à traverser, sont autant d'ouvertures vers la connaissance. Tenter d'allier plusieurs disciplines me permet de repousser les limites intellectuelles de la connaissance de mon objet.

Car pour comprendre ce qui pourrait paraître contradictoire dans le monde du sine domo, il suffit d’utiliser la métaphore de l’alcoolique. En bien des points, le sine domo s’apparente à l’alcoolique — quand il ne l'est pas lui-même. Non pas dans sa manière de boire, mais dans sa manière de se comporter. De même qu’un alcoolique peut s’arrêter de boire, un sine domo peut s’arrêter d’errer — parfois plusieurs mois, parfois plusieurs années, et parfois tout le reste de sa vie. Michèle Monjauze écrit qu'"un alcoolique reste toujours un alcoolique, sobre ou non" (Monjauze,1991 : 7). Mais tous deux ont en commun de n’avoir pas choisi ce sort : et d'affirmer que de même qu’on ne boit jamais par plaisir, on n’erre jamais par plaisir. Ceci est à prendre comme précepte, et contredit le discours souvent entendu selon lequel certains vagabonds le sont devenus par plaisir. On parle alors du "vagabond philosophe" (Vexliard, 1956). Comme me l'a fait remarquer Patrick Gaboriau, "les thèses de nos ancêtres ont fait école jusqu'à ce jour"1.

Concernant cette assertion, mon hypothèse est qu'il n'existe pas de choix, dans la mesure où l'état de sine domo relève d'un processus antérieur au discours que produit le sine domo lui-même lors des entretiens. Discours que l'on doit analyser par ailleurs plutôt comme un mythe que comme une histoire personnelle. Comme nous le verrons, il s'agit d'un discours reconstruit et adapté en fonction de l'interlocuteur, travailleur social, journaliste, ethnologue…

Mais l'homologie va plus loin et peut s'attacher au fonctionnement même de l'institution qui s'occupe des sine domo. Dans sa problématique, Michèle Monjauze dresse l'état de l'alcoologie en montrant les étroites similitudes entre la science et son objet. L'alcoologie est constituée de différentes disciplines — juridique, médicale, sociologique, etc. — qui présentent autant d'approches qu'il existe de disciplines et de pays en cause. De cet amalgame, l'auteur émet l'hypothèse selon laquelle "les symptômes de l'appareil psychique

du groupe social mis en jeu par l'alcoolisme, les fantasmes inconscients en résonance dans ce corps groupal, sont un reflet de la psychopathologie alcoolique" (ibid. : 11). Cette hypothèse est construite suivant trois axes : le premier concerne l'absence de structure, repérable par l'absence d'un cadre formel et d'une coordination entre les

Documents relatifs