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Analyse dialectique des transformations du droit en Nouvelle-Calédonie : l'état colonial républicain face aux institutions juridiques Kanakes

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Academic year: 2021

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Texte intégral

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HAL Id: tel-02117111

https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-02117111

Submitted on 2 May 2019

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Raphael Mapou

To cite this version:

Raphael Mapou. Analyse dialectique des transformations du droit en Nouvelle-Calédonie : l’état colonial républicain face aux institutions juridiques Kanakes. Droit. Université de Perpignan, 2018.

Français. �NNT : 2018PERP0050�. �tel-02117111�

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Délivrée par

UNIVERSITE DE PERPIGNAN VIA DOMITIA

Préparée au sein de l’école doctorale INTER-MED ED 544

Et de l’unité de recherche CDED

Spécialité : Droit public

Présenté par Raphaël MAPOU

Soutenue le 05 juillet 2018 devant le jury composé de

M. François FERAL, Professeur émérite, UPVD Directeur de thèse

M. Ghislain OTIS, Professeur, Ottawa Rapporteur

M. Tamatoa BAMBRIDGE, Directeur CNRS, UPF Rapporteur Mme. Géraldine GIRAUDEAU, Professeur, UPVD Rapporteur

ANALYSE DIALECTIQUE DES TRANSFORMATIONS DU DROIT EN

NOUVELLE-CALEDONIE : L'ETAT COLONIAL REPUBLICAIN FACE AUX INSTITUTIONS JURIDIQUES

KANAKES

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Avertissement

La Faculté n’entend donner aucune approbation ni improbation aux opinions émises dans cette thèse ; elles doivent être considérées comme propres à leur auteur.

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Remerciements

Les études de master 2 que j’ai pu mener au département de Droit Public de l’Université Via Domitia de Perpignan (UPVD), m’ont ouvert de nouvelles portes à la fin d’une vie professionnelle multiple, laquelle se prolonge avec cette thèse de doctorat. Cela n’a pas été facile de travailler les concepts juridiques, de les retenir et il a fallut faire énormément de lectures.

Je remercie le Département Droit de l’UPVD pour mon inscription à 58 ans en tant qu’étudiant, et les professeurs de mon année de master 2, parmi lesquels, je citerai le professeur SEGUR. Le professeur FERAL m’a fait découvrir le droit et m’a transmis cette passion d’un droit dialectique dans la compréhension et la transformation des phénomènes de société. Il a accepté d’être mon directeur de thèse, m’a encouragé, encadré mon travail en prenant en compte l’intérêt particulier pour moi de ce thème de recherche. Avec son précieux appui, cette thèse arrive à son terme et je l’en remercie chaleureusement.

Ma découverte du pluralisme juridique s’est faite dans le cadre des travaux conduits par le Sénat coutumier. La préoccupation de cette institution née de l’Accord de Nouméa portait sur la reconnaissance institutionnelle du droit coutumier. La collaboration nouée avec les professeurs François FERAL et Ghislain OTIS au travers des colloques organisés dans les années 2010, 2011 et 2012, a permis de clarifier la problématique posée par la prise en compte du droit coutumier par le droit républicain applicable en Nouvelle-Calédonie suite à l’adoption de l’Accord de Nouméa. L’aboutissement de cette démarche d’auto définition et d’auto construction juridique est la proclamation sous l’égide du Sénat Coutumier de la Charte du Peuple Kanak en avril 2014 auquel j’ai eu la chance de participer en tant que juriste en formation.

Depuis 2013 et jusqu’en 2017, j’ai pu également participer en tant que représentant du Sénat coutumier et du Conseil National sur les Droits du Peuple Autochtone de Kanaky Nouvelle Calédonie au programme LEGITIMUS piloté par le professeur Ghislain OTIS et conduit sous la tutelle de l’Université d’Ottawa du Canada. Ce programme regroupe des chercheurs sur les trois continents Amérique, Océanie et Afrique.

Je remercie les professeurs FERAL et OTIS pour leur apport intellectuel et universitaire qui m’ont permis de comprendre et de saisir les limites structurelles imposées à la transformation du droit colonial, par le monisme juridique français.

Je remercie Anne-Lise MADINIE qui a collaboré au travail de recherche et m’a assisté dans la correction finale du manuscrit ainsi que mes filles Sarah et Nelly pour le travail de mise en page.

Je remercie mon employeur, le Sénat coutumier et les différents présidents qui ont été sensibles à mon parcours atypique, en particulier le Président Pascal SIAZE qui m’a

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autorisé à prendre une année de congé/formation pour pouvoir suivre et réussir le Mater 2 de droit public en 2012. Depuis 5 ans, je poursuis les travaux de recherches, en même temps que le Sénat coutumier construit le droit coutumier dans la perspective de rendre effectif, un modèle de pluralisme juridique coopératif. Je remercie chaleureusement, les différents présidents qui se sont succédés, pour m’avoir permis de participer à cette aventure.

Enfin, je remercie les membres de ma famille, de mon clan et de ma chefferie qui ont supporté mon absence prolongée sans m’en tenir rigueur et m’ont encouragé. Je m’excuse auprès de mes petits enfants pour mon éloignement et je leur dédie à eux et aux nouvelles générations de Kanaky, le fruit de cette aventure livresque et érudite.

Cette thèse n’aura pas été possible sans la ferveur et la confiance en mes capacités, affichées depuis le début de cette aventure par mon épouse, Paulette née TAKARA dont les encouragements ont été constants. Qu’elle en soit remerciée !

Je dédie également cet ouvrage à mes « grands parents », Nounou M’BREI et Woua ROSALIE qui m’ont élevé et Nounou OUMOA qui m’a transmis ses « goubââ », ses discours et sa maîtrise de la gestion des hommes.

Raphaël MAPOU

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Résumé

L’Etat de droit en Nouvelle-Calédonie en 2017, est le fruit d’un processus d’exportation du droit républicain de 164 ans, expression de la civilisation judéo-chrétienne sur un territoire situé à 22 000 kilomètres de la métropole et de sa confrontation avec le droit coutumier expression de la coutume ciment de la civilisation mélanésienne de l’igname apparue trois à quatre milles ans avant J.-C. .

Après une colonisation violente puis l’échec avéré d’une décolonisation « à la française » engagée en 1946, une autre décolonisation désirée par le peuple kanak suite à une crise insurrectionnelle de quatre années, prit naissance en 1988 et sera conduit à son terme en 2018 avec à la clé, la tenue d’une série de trois référendum d’autodétermination.

Le nouveau paradigme juridique introduit au niveau de la constitution française par l’accord de Nouméa a ouvert les chemins de la reconnaissance de la coutume en tant que source du droit coutumier et d’un assouplissement du monisme juridique français. Depuis se met en place lentement un dialogue juridique de fait, entre le droit autochtone kanak et le droit républicain. Il est relevé que les résistances au changement sont nombreuses et bien ancrées dans l’appareil administratif et institutionnel républicain. Dans ce processus, le peuple kanak et les autorités coutumières sous l’égide du Sénat coutumier ont adopté et proclamé en 2014, la CHARTE du peuple kanak laquelle est la traduction écrite des principes et du système des valeurs kanak, tout comme l’est, la déclaration des droits de l’homme et du citoyen pour le droit républicain. Grâce à cette avancée, le dialogue entre les deux systèmes juridiques –kanak et républicain - est possible car intelligible dans le cadre du pluralisme juridique inscrit dans l’accord de Nouméa.

Le présent travail de recherche rend compte de la nature et du contenu du processus de reconnaissance du droit coutumier et précise dans le contexte historique et politique de la Nouvelle-Calédonie, la nature des droits autochtones, du droit à l’autodétermination politique et du droit à l’autodétermination autochtone. Est enfin esquissé, le schéma d’évolution institutionnel de l’ère post-accord de Nouméa.

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Descripteurs : civilisation judéo-chrétienne, civilisation mélanésienne, empire colonial, expropriation, appropriation, indigénat, propriété des colons, droit colonial, décolonisation, droit civil coutumier, droit civil, coutume, Accord de Matignon, Accord de Nouméa, autodétermination, souveraineté, indépendance kanak, pluralisme juridique.

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Title and Abstract

The rule of law in New-Caledonia on September 30 2017, is the result of the republican law exportation procedure that lasted 164 years, the expression of the Judeo-Christian civilization on a territory that is situated 22 000 kilometres from continental France and its confrontation with customary rights, which is the expression and the cement of the Melanesian Yam civilization, consolidated one thousand years after Jesus christ.

After the violent colonization and the proven failure of "the french way" decolonization engaged in 1946, another decolonization desired by the Kanak people following the insurrectional crisis of 4 years, started in 1988 and came to an end in 2018, with a result, of a series of three auto-determination referendums.

The new juridical paradigm is introduced at the level of the french constitution by Noumea's agreement and it has opened the paths of a flexible french juridical monism and a legal dialogue between Kanak's indigenous law and the french republican law.

The Kanak people adopted in 2014 the kanak's People Chart and they have positioned themselves for a cooperative legal pluralism and is waiting for the opening of the dialogue.

Keywords: The Kanak’s People Chart, Indigenous People, Self-Determination, New Caledonia, Nouméa Accord, Kanak People, Unity, Indivisibility, Equality, Legal Pluralism

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Liste des sigles et abréviations

A.D.R.A.F. Agence de développement rural et d’aménagement foncier

A.D.N. Accord de Nouméa

al. Alinéa

A.J.D.A. Actualité juridique du droit administratif A.J.F. Actualité juridique famille

art. Article

Bull.civ. Bulletin des arrêts de la cour de cassation, chambres civiles B.I.C.C. Bulletin d’information de la cour de cassation

C.A. Cour d’appel

C.A.A. Cour administrative d’appel

Cass. Cour de cassation

Cass.civ. Cour de cassation, chambre civile

cef. Comparer avec

C.E.D.H. Convention européenne des droits de l’homme C.I.J. Cour Internationale de justice

coll. Collection

c.civ. Code civil

c.consom. Code de la consommation

C.D.B. Convention sur la diversité biologique

C.E. Conseil d’Etat

C.E.D.H. Cour Européenne des droits de l’homme C.J.C.E. Cour de Justice des communautés européennes

C.P. Code pénal

comm. Commentaire

concl. Conclusion

D. Recueil Dallos

dir. Direction

D.D.P.A. Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones

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Ed. Edition

F.L.N.K.S. Front de libération nationale kanak et socialiste Ibid Même ouvrage, page différente

Ibidem Même ouvrage, même page

impr. Imprimeur

Infra. Ci-dessous

I.R.G. Institut de recherche et débat sur la gouvernance I.S.E.E. Institut de la statistique et des études économiques

J.O. Journal Officiel

J.O.NC Journal officiel de Nouvelle-Calédonie

L. Livre

Loc.cit. Loco-citato = passage citée de la même page dans la note qui précède immédiatement.

jurisp. Jurisprudence

L.G.D.J. Librairie générale de droit et de jurisprudence

Numéro

N.B. Nota bene

N.D.A. Note de l’auteur N.D.L.R. Note de la rédaction N.D.T. Note du traducteur

N.C. Nouvelle-Calédonie

obs. Observation

O.E.A. Organisation des Etats d’Amérique crée en 1969 O.I.T. Organisation Internationale du travail

O.N.U Organisation des Nations Unies op.cit. Opus citatum- dans l’ouvrage citée

ord. Ordonnance

p. Page

pp. Pages

P.I.D.C.P. Pacte international relatifs aux droits civils et politiques

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P.I.D.E.S.C. Pacte international relatifs aux droits économiques sociaux et culturels

P.U.F. Presse universitaire de France P.U.G. Presse universitaire de Grenoble

pt. Point

R.D.P. Revue de droit public et de la science politique et France et à l’étranger.

rec. Recueil

rééd. Réédité

S.D. Sans date

sect. Section

S.L. Sans lieu

suiv. Suivant

supra. Ci-dessus

R.F.D.A Revue française de droit administratif R.F.D.C. Revue française de droit constitutionnel

R.P.C.R. Rassemblement pour la Calédonie dans la république T.A.N.C. Tribunal administratif de NC

t. Tome

trad. Traduction

U.C. Union Calédonienne

uOttawa Université d’Ottawa

UPF Université de la Polynésie Française UPVD Université de Perpignan Via Domitia

vol. Volume

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SOMMAIRE

PARTIE I DE LA CIVILISATION ORIGINELLE À LA SOUVERAINETÉ COLONIALE 62

TITRE1LE PEUPLE PREMIER MELANESIEN FACE A LA CONQUETE COLONIALE DE L’OCCIDENT 69

CHAPITRE I :SOCIETE ORIGINELLE ET EMPIRE COLONIAL 71

CHAPITRE II:IRRUPTION COLONIALE ET CONFRONTATION,1853-1945: LES FONDEMENTS

SEGREGATIONNISTES DU DUALISME JURIDIQUE 138

TITRE2LA DECOLONISATION A LA FRANÇAISE ET LE DUALISME DES DROITS DES PERSONNES : DE LA

FIN DE LINDIGENAT A L’ACCORD DE NOUMEA 218

CHAPITRE 1 :CONTEXTE INTERNATIONAL ET MODELE COLONIAL FRANÇAIS : LE DILEMME DE

LINTEGRATION ET DE LA DECOLONISATION 220

CHAPITRE 2:LES ACCORDS DE MATIGNON ET DE NOUMEA : RUPTURES ET CONTINUITES DU MODELE

INSTITUTIONNEL COLONIAL 275

PARTIE II : LES DROITS AUTOCHTONES, PIERRE ANGULAIRE DU DESTIN COMMUN

KANAK ET CALEDONIEN 319

TITRE1DROITS AUTOCHTONES ET CITOYENNETE REPUBLICAINE :LES DEUX FACETTES DE LA

DECOLONISATION 324

CHAPITRE 1 :PORTEE DE LA RECONNAISSANCE INTERNATIONALE DES DROITS DES PEUPLES COLONISES SUR

LA DECOLONISATION NEOCALEDONIENNE 327

CHAPITRE 2:LA CHARTE DU PEUPLE KANAK, COMPLEMENT INDISPENSABLE A LACCORD DE NOUMEA 393 TITRE2ETUDE PROPOSITIONNELLE ET PROSPECTIVE DES DIFFERENTS MODELES JURIDIQUES DU POSTCOLONIALISME DANS LE PACIFIQUE ET EN NOUVELLE-CALEDONIE 454 CHAPITRE 1 :LA PREEMINENCE DU DROIT ET DU MODELE CONSTITUTIONNEL DORGANISATION DU POUVOIR

DES PUISSANCES COLONIALES 457

CHAPITRE 2 :ETUDE PROSPECTIVE DU SCHEMA INSTITUTIONNEL POST-COLONIAL EN NOUVELLE-

CALEDONIE 527

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Prolégomènes

La colonisation est à partir du XVème siècle, le premier processus de mondialisation ayant conduit des États développant le même modèle et système de civilisation à conquérir le monde jusqu’alors infini ou indéfini, contrôlant et annexant sur leurs passages, des territoires alors inconnus et détruisant dans la grande majorité des cas d’autres civilisations au nom d’un droit divin et d’une civilisation dite universelle. Contrairement aux conquêtes antérieures de nature impériale, le nouveau phénomène s’appuie sur un développement technologique sans précédent et suivant des règles de concurrence entre États, connues et reconnues par eux seuls. Ce qui est nouveau également, c’est cette idée de partir d’un monde connu vers la conquête d’un monde considéré comme inconnu et infini. Cette conquête tiendra en haleine le monde civilisé jusqu’à la publication de la première carte du monde.

Mais le monde n’a jamais été un ensemble homogène et chaque territoire, chaque continent après des milliers d’années de peuplement1, a sédentarisé et forgé des milliers de peuples et ethnies qui se sont organisés en État, en royauté ou en simple chefferie, voire en communauté2. Depuis, le fil de l’histoire propre de ces communautés et peuples colonisés, appelés autochtones3 ou Nations Premières4, a alors été rompu et rattaché à l’histoire de l’occident. Depuis cette première mondialisation qui a pris fin au milieu du XXème siècle,

1 Homo habilis est apparu il y a environ 2,5 millions d’années et sa migration hors d’Afrique se situe il y a environ 2 millions d’années. Cf. en ce sens, FERDAIN Jean-Marie – Nos ancêtres les Kanadoniens - Histoire des civilisations p.20 Ed. Sudocéan, Nouméa 2012.

2 A propos de la nature politique des autorités traditionnelles. Cf. en ce sens CASTRE Pierre, La société contre l’Etat, p.25, Les éditions de minuit 1974/2011.

3 Le terme autochtone a une définition large et s’applique aux peuples qui ont toujours vécu sur un territoire donné depuis des temps immémoriaux. Ce terme est consacré par la Déclaration des Nations Unies sur les Droits des peuples Autochtones adoptée en 2007. Cf. en ce sens : Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, Résolution 61/295 adoptée par l’Assemblée générale des Nations Unies, A/RES/61/295, 107ème séance plénière, 13 septembre 2007.

4 Les grandes nations amérindiennes d’Amérique se sont toujours revendiquées d’être les « peuples premiers » ou les « premières Nations » en référence à leur civilisation millénaire et à leur occupation originelle.

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« la planète Terre est un monde fini et répertorié »5. La mémoire de chaque peuple dominé s’est reconstruite en tenant compte des conditions historiques, géographiques et humaines lesquelles resteront à chaque fois, les facteurs et les paramètres déterminants qui conditionneront ensuite son émancipation et son évolution.

Ainsi, le contexte historique qui s’ouvre après la guerre de trente ans6 et le traité de Westphalie est celui de la constitution des États-Nations d’Europe occidentale avec pour moteur, le développement de la manufacture, de l’industrie et l’ouverture de nouveaux marchés de produits exotiques, de métaux précieux et de matières premières. La concurrence entre les pays européens s’est emparée des mers et de nouvelles routes vers l’Orient, l’Afrique, les Amériques et le reste du monde sont tracées ou redécouvertes. Les caractéristiques propres de chaque État impérial donnaient à son action de colonisation, des tendances fortes dans la durée. On relèvera en particulier que la place qu’occupe aujourd’hui les grands États-Nation renvoie souvent à un passé colonial riche et impérial avec son déterminisme historique propre. C’est le cas de l’Angleterre, de la France et des pays Occidentaux en général, qui se sont bâtis depuis le XVème siècle sur le même modèle de développement de l’économie de marché. C’est également dans d’autres contextes historiques le cas de la Russie, de la Chine et du Japon.

Le mouvement des décolonisations s’est enclenché sur le plan mondial après les deux grandes guerres mondiales. La première a contribué à positionner à partir du champ militaire, les deux blocs que sont le bloc communiste et le bloc capitaliste occidental. La deuxième guerre a permis grâce à la puissance américaine devenue le premier État du nouveau monde et à la puissance soviétique devenue un modèle social alternatif, d’insuffler à partir de l’organisation des Nations-Unies nouvellement constituée, un vent de décolonisation et de libération dont ont bénéficié les colonies des différents continents. Le titre XI de la Charte7 de l’Organisation des Nations Unies et la résolution 15148 sur le droit

5 Expression empruntée à BOUQUET EL KAÏM Jérôme, « Le droit des peuples autochtones à l’autodétermination », thèse de doctorat en droit public, 2001-2002, P.20, 21, et 22.

6 Les Traités de Westphalie ont été signé le 24 octobre 164 , et mettent fin à la guerre de rente Ans en rétablissant la paix entre la France, la uède et l empereur Ferdinand . Ces traités annoncent l Europe territoriale moderne. l idée d unité du monde chrétien se substitue celle d'un système d'Etats indépendants.

Cf. akadem.org

7 Charte des Nations Unies, signée à San Francisco le 26 juin 1945, entrée en vigueur le 24 octobre 1945, Chap. XI, « déclaration relative aux territoires non autonomes ».

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des peuples coloniaux à disposer d’eux-mêmes en furent le cadre et le comité de décolonisation, l’acteur institutionnel.

Pour la France, la Conférence de Brazzaville9 et la déclaration du général De Gaulle donne le point de départ d’un mouvement qui concernait la vie de centaines de millions d’indigènes de l’empire français.

La France coloniale couvre alors les 3 océans : l’Océan Atlantique, l’Océan ndien et l’Océan Pacifique. on histoire commence dans le cadre de l’expansion du capitalisme européen occidental naissant à partir de la fin du XVIème siècle. On retrouve dans l’histoire de chaque colonie, la même idéologie et les mêmes instruments de colonisation : une idéologie humaniste, chrétienne et scientifique, des soldats coloniaux et des soldats indigènes, une administration, des colons, souvent des bagnards ou des prisonniers politiques, un code de l’esclavage puis un code de l’indigénat, les mêmes lois et les mêmes pratiques d’appropriation des terres et d’expropriation des peuples autochtones.

L’histoire de la décolonisation des pays administrés par la France présente une dynamique propre et si chaque territoire a ses spécificités, ils fonctionnent tous à l’intérieur d’une politique générale développée par l’État colonial français. Dans le contexte international et national du moment, chaque peuple10 indigène ou autochtone colonisé sur son territoire a déclenché un processus particulier d’émancipation et de libération. uivant la réaction du pays colonisateur et le rapport de force dans la colonie, ledit processus a adopté son orientation propre et l’on doit considérer que le cas de chaque territoire en voie de décolonisation a un caractère singulier.

8 Déclaration sur l’octroi de l’indépendance aux pays et aux peuples colonisés, Résolution 1514 (XV), 947ème séance plénière, 14 décembre 1960.

9 La conférence de Brazzaville a été organisée à Brazzaville, du 30 janvier au 8 février 1944, par le gouvernement provisoire du général De Gaulle pour notamment restaurer l’autorité de la France sur les colonies d’Afrique. Réf Heredote.net

10 La notion de « peuple indigène » est le premier terme utilisé par les colonisateurs après le terme de

« sauvage » ; le terme « autochtone » sera, par la suite, revendiqué et assumé par les indigènes à partir des années 1990 et sera définitivement établi par les travaux de l’instance des peuples autochtones au début des années 2000, avant d’être définitivement adopté dans la Déclaration des Nations Unies sur les Droits des Peuples Autochtones de 2007.

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La Nouvelle-Calédonie et le Pacifique Sud ne voient le drapeau français que tardivement au 19ème siècle. Celui-ci flotte pour la première fois le 24 septembre 185311, à Balade au Nord de la Grande Terre de cet archipel.

Aujourd’hui et après 153 ans de présence française, l’histoire de la Nouvelle-Calédonie balbutie à nouveau entre deux légitimités : d’une part, la légitimité autochtone portée par le peuple mélanésien12 et d’autre part, la légitimité étatique et républicaine avec sa composante calédonienne qui entend que la Nouvelle-Calédonie reste à jamais française.

Durant quatre années, de 1984 à 198813, une guerre civile « ouverte » s’installa sur tout le territoire, provoquée par les nationalistes kanak14réclamant l’indépendance kanak et socialiste de leur pays.

En 19 , suite à l’événement15 sanglant le plus violent de l’Outre-mer français depuis la guerre d’Algérie16, le mouvement nationaliste de libération réussit en renversant le rapport de force sociopolitique et militaire, à négocier avec l’Etat colonial la mise en place d’un processus de décolonisation inédit qui fut inscrit dans deux accords politiques majeurs négociés par les parties au conflit. Ainsi, les Accords de Matignon-Oudinot furent signés en 1988, suivi dix ans plus tard de la signature en 199 de l’Accord de Nouméa. Selon ces

11 La prise de possession a été l’œuvre le 24 septembre 1 53 de l’amiral FEBVR ER-DESPOINTES, après sa découverte par James Cook en 1774

12 Le peuple mélanésien est le peuple indigène ou autochtone de la Nouvelle-Calédonie colonisée par la France à partir de l’acte de prise de possession.

13 L’insurrection organisée par le Front de Libération Nationale Kanak et Socialiste (FLNKS), crée le 24 septembre 1984, a été déclenchée sous la houlette du leader Eloi MACHORO le 18 novembre 1984 et se transformera ensuite en guerre civile tantôt larvée, tantôt ouverte. La prise d’otage des gendarmes français par les nationalistes d’Ouvéa en mars /avril 19 , conclura cette période.

14 Les populations autochtones ont d’abord été dénommées « les indigènes », puis « les mélanésiens » en référence au groupe racial et culturel de référence. Le terme canaque avait au départ, une connotation raciste et dévalorisante ; avec le mouvement nationaliste, le mot canaque s’est transformé en Kanak pour être l’étendard des nationalistes mélanésiens de Nouvelle-Calédonie. L’Accord de Nouméa dans sa partie constitutionnalisé a consacrée le terme en définissant l’identité kanak.

15 La prise des otages gendarmes sur l’ile d’Ouvéa a été perpétrée par le comité FLNK de cette Ile et dura 15 jours au terme desquels l’armée donna l’assaut tuant 19 militants nationalistes. rois gendarmes étaient morts dans la prise d’otages.

16 Après un conflit armé qui aura duré de 1954 à 1962, l’indépendance de l’Algérie fut reconnue le 03 juillet 1962 après les accords d’Evian.

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accords, ce pays de 265 00017 habitants dont 104 000 autochtones kanak devrait se prononcer en 2018 par voie référendaire, sur la question de son indépendance.

Trente années de stabilité politique furent nécessaires pour rétablir la paix et pour mettre en œuvre un certain nombre de mesures. out d’abord, le rééquilibrage ébauché en 1988 dans un contexte de guerre civile, puis la construction ensemble d’un processus de décolonisation de 20 années dont l’enjeu principal est la mise en place du projet de société du « destin commun » qui constitue un immense défi. La présente étude répondra à la question de savoir si ce défi a été relevé.

Cette thèse a pour ambition de contribuer à la description et à la compréhension de ce laborieux processus de décolonisation en conduisant une analyse juridique dialectique sur les évolutions institutionnelles et politiques de cet archipel du Pacifique situé aux antipodes de sa métropole européenne. Elle part du constat que la question autochtone demeure le véritable enjeux de la décolonisation et considère que sa bonne ou mauvaise résolution détermine la viabilité de la société issue de ce processus.

L’approche historique et dialectique des institutions coloniales et postcoloniales permet de déterminer, comment évoluent la contradiction principale et ses deux composantes ou forces motrices que sont le peuple des chefferie-nations mélanésiennes et l’État français en tant qu’entité politique soumis aux différentes phases de l’empire et de la mondialisation.

L’étude tend à démontrer que l’indépendance relève avant tout d’une recette institutionnelle qui mobilise les émotions des hommes et des femmes des deux camps en présence, alors que l’autochtonie en tant que constante historique et sociopolitique de l’archipel pose la question fondamentale du projet d’une société équilibrée respectant l’histoire, la diversité et le pluralisme.

17ISEE NOUVELLE-CALEDONIE, « Population-Recensement », En ligne : http://www.isee.nc/population/recen sement/structure-de-la-population-et-evolutions.

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INTRODUCTION

1 . Le 12 octobre 2015, le président Gilbert TEIN et le porte parole Cyprien KAWA du Sénat Coutumier de Nouvelle-Calédonie18 ont prononcé devant les élus du Congrès de la Nouvelle-Calédonie19 - assemblée législative chargée de voter les lois du pays – le discours suivant :

« Nous sommes venus vous exposer le contenu de trois projets de Lois du Pays sur lesquels nous avons saisi le congrès de la Nouvelle-Calédonie au titre de l’article 145, qui dispose qu’à son initiative ou sur la demande d’un conseil coutumier, le Sénat coutumier peut saisir le gouvernement, le congrès ou une assemblée de province de toute proposition intéressant l’identité Kanak. L’institution saisie d’une proposition intéressant l’identité Kanak informe le président du Sénat coutumier des suites réservées à cette proposition20 ».

2 . Avant de faire cette présentation et compte tenu des difficultés rencontrées par l’institution coutumière, le Président et son porte-parole ont souhaité évoquer l’esprit et

18 Le Sénat coutumier et les 8 conseils coutumiers sont des institutions de la Nouvelle-Calédonie créées par l’Accord de Nouméa signé en 1998. La particularité du énat dans la République française est d’être l’institution de représentation des autorités coutumières kanak dans le système institutionnel calédonien. 16 Sénateurs constituant l’assemblée délibérative sont nommés à raison de 2 Sénateurs par conseil coutumier.

19 Le Congrès créé par l’Accord de Nouméa en 1998 est la plus haute institution de la Nouvelle-Calédonie, ancien territoire d’outre mer devenu « pays », chargé de légiférer sur les textes législatifs et réglementaires relatifs aux compétences générales exceptées les compétences régaliennes toujours détenues par l’Etat français et exceptées celles dévolues aux trois provinces (Sud, Nord et Iles). Le Congrès rassemble dans cette formation, les élus provinciaux élus dans leur circonscription provinciale.

20 Sénat coutumier, « Discours du Sénat coutumier au Congrès de Nouvelle-Calédonie », dans Archive du Sénat coutumier, 12 octobre 2015, Cf. annexe.

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le cadre dans lequel s’inscrit le travail engagé par les autorités et les instituions coutumières.

3 . En premier lieu, ils ont rappelé la genèse de la création en 1988 des institutions coutumières par l’accord de Matignon-Oudinot en indiquant que ce sont les responsables indépendantistes dont Jean-Marie TJIBAOU21, qui ont pris l’engagement de reconnaître les chefferies coutumières. Le législateur français et les partenaires de l’accord de Matignon ont adopté cette démarche pour donner un exécutoire au nationalisme kanak qui s’était exprimé violemment lors de l’insurrection de 19 4-1988.

4 . Puis ils ont précisé que dix années plus tard, « l’accord de Nouméa22 signé en 1998 ne remettra pas en cause ces orientations. Bien au contraire car au travers du Titre 1 des orientations, l’ dentité kanak intègre la constitution au chapitre X ».

5 . Ils se sont également interrogés sur les raisons qui ont motivé le législateur a sanctuarisé les droits autochtones kanak dans la constitution dans un processus de décolonisation conduite par la France, d’autant plus que cette reconnaissance des droits autochtones kanak précédait de neuf (9) années, l’adoption par les Nations Unis dont la France, de la Déclaration de l’ONU portant sur les droits des peuples autochtones23.

6 . Ils ont ensuite relevé que le législateur français en acceptant de modifier la constitution française a crée une exception à son esprit « jacobin- moniste ». Il faut en effet, considérer aujourd’hui que l’accord de Nouméa24 a marqué un changement de

21 Jean-Marie TJIBAOU était un leader indépendantiste, président du FLNKS, de sa création en 1984, à la signature en 19 de l’accord de Matignon puis de l’accord d’Oudinot. l disparut accidentellement en 19 9.

22 L’Accord de Matignon puis de Nouméa ont été signés respectivement en 1988 et 1998, entre trois partenaires historiques, le FLNKS, l’Etat français et le RPCR. Le FLNK dont le président fut Jean-Marie TJIBAOU est le Front de libération kanak et socialiste ; le RPCR est le Rassemblement Pour la Calédonie dans la France et avait à sa tête Jacques LAFLEUR. Cf. ACCORDS DE MATIGNON-OUDINOT signés le 26 juin 1988 ; ACCORD SUR LA NOUVELLE-CALEDONIE SIGNE A NOUMEA LE 5 MAI 1998, J.O.R.F., n° 121, 27 mai 1998, p. 8039.

23 La Déclaration des Nations Unies sur les Droits des Peuples Autochtones (D.D.P.A) a été adoptée le 13 septembre 2007. Cf. Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, Résolution 61/295 adoptée par l’Assemblée générale des Nations Unies, A/RE /61/295, 107ème séance plénière, 13 septembre 2007.

24 Le dialogue incompris : Cf. Délibération n° 09-2016/ C du 16 août 2016 relative à l’ouverture de discussions et de négociations portant sur les propositions des institutions coutumières concernant les politiques publiques de l’identité kanak, J.O.N.C., p.10196.

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paradigme conséquent, sur le plan politique bien sûr, mais surtout sur le plan sociétal avec la prise en compte de la coutume comme source de droit et système d’organisation d’une population autochtone, en l’occurrence ici les kanak.

7 . Ils diront par la suite que ce long rappel a été fait pour préciser que, ce changement de cadre logique n’a malheureusement pas été identifié et rendu effectif comme tel par les institutions calédoniennes ; que si le fait politique en termes de gestions de compétences et de moyens, a été effectivement assumé, en revanche le bilan est loin d’être partagé sur le plan de la construction du projet de société dont les objectifs/ambitions ont été pourtant clairement affichés avec la mise en place d’une citoyenneté dans le cadre du destin commun ; que 15 années n’ont pas encore permis de faire converger vers le projet de société du destin commun.

8 . Après avoir rappelé les nombreuses initiatives25 prises par le Sénat et les conseils coutumiers pour examiner et débattre du pluralisme juridique et de la reconnaissance des droits kanak lesquelles n’ont pas reçu l’accueil attendu de la part des élus et des institutions républicaines, ils ont déploré le fait que le manque de volontarisme politique n’a jamais permis aux programmes proposés de se mettre en place.

9 . Selon les porte-paroles de l’institution coutumière, plusieurs écueils peuvent être mentionnés pour expliquer l’absence de coordination institutionnelle et l’absence de production de textes législatifs.

10 . Le premier est celui du modèle juridique et institutionnel. Comment en effet, passer d’un système juridique et institutionnel basé depuis 165 années, sur le monisme juridique institutionnel jacobin à un système de pluralisme juridique où sont pris en compte et doivent cohabiter sur un même niveau, deux visions de la société et donc deux sources du droit : le droit autochtone kanak et le droit républicain.

11 . Le deuxième écueil est d’ordre juridique. Le Sénat coutumier le soulève dans l’auto saisine publiée au JONC26 portant sur le pluralisme juridique coopératif applicable en Nouvelle-Calédonie. l s’agit des modalités d’écritures de la coutume sans

25 Délibération n° 09-2014/SC du 4 septembre 2014 relative à l’approfondissement du pluralisme juridique coopératif applicable en Nouvelle-Calédonie, J.O.N.C., p.9572.

26 Ibidem, p.9572.

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remettre en cause la prééminence de l’oralité, du contenu du droit coutumier et de la demande faîte aux institutions et à l’université, d’un approfondissement des termes du pluralisme juridique applicable en Nouvelle-Calédonie. Sur ce plan, une source d’inspiration et de réflexion devrait provenir de l’expertise accumulée par les états post coloniaux francophones et anglophones de la région.

12 . Le troisième écueil est d’ordre administratif pour ne pas dire bureaucratique. Là aussi, il y a des logiques, inhérent aux approches et à la longue histoire de l’administration coloniale dont les fonctionnaires sont les dignes héritiers. Car ce n’est pas parce que la décentralisation s’est mise en place que la logique de gestion a forcément évolué et cela quelque soit l’institution et la couleur des fonctionnaires.

13 . Ils ont précisé que le fameux copié/collé dont il est souvent question trouve ses fondements dans cette réalité conceptuelle, car la vision du normal est toujours celle qui vient de l’administration jacobine française. Ainsi, toutes les propositions d’organisation administratives27, telle que la DGRAC, l’observatoire de la coutume ou encore le statut des OPC, répondent toujours à une même logique : celle d’un contrôle absolu par l’administration centrale des politiques publiques menées au nom de la Nouvelle-Calédonie sans exception, y compris dans le champ de la COUTUME.

14 . Les porte-paroles du Sénat ont poursuivi leur analyse en contestant l’argument de la recherche d’efficacité avancé par le Gouvernement de la Nouvelle- Calédonie28 pour ensuite conclure sur le manque de volonté politique des élus du Congrès

27 La Direction Générale de la Réglementation des Affaires Coutumières (DGRAC), sous la direction du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie a été créée en 2012. Elle relève d’une administration centralisée suivant le modèle moniste français. Les officiers de police judiciaire (OPC) ont pour rôle d’établir des actes coutumiers et de remplir les fonctions de notaires dans certaines limites pour ce qui est du statut civil coutumier et des terres coutumières. Cf. Délibération n°339 du 13 décembre 2007 portant statut particulier du corps des Officiers publics coutumiers de la Nouvelle-Calédonie, J.O.N.C., 25 décembre 2007, p.8584.

L’observatoire des affaires de l’ dentité kanak est un projet du gouvernement de Nouvelle-Calédonie dont l’objet était d’être une instance consultative contrôlée par les représentants des institutions calédoniennes et de l’Etat, chargée de suivre les questions touchant à la coutume et d’émettre des avis pour le gouvernement et le Congrès. ur saisine du énat coutumier, l’arrêté n° 2014/GNC du 2 décembre 2014 pris par le gouvernement a été annulé par le tribunal administratif de Nouméa. Cf. TA de Nouméa, n° 1500049, 26 novembre 2015 ; Confirmé par CAA de Paris, 6 juin 2017.

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et du Gouvernement de la Nouvelle-Calédonie pour faire avancer le droit coutumier et le repositionner dans ce pluralisme juridique ouvert par l’accord de Nouméa.

15 . En conclusion de cette déclaration faite dans l’enceinte du Congrès, l’institution coutumière a soulevé les grandes questions qui touchent les rapports entre les représentants institutionnels du peuple autochtone kanak et les élus et institutions républicaines, en d’autres termes entre le droit coutumier kanak et le système juridique et institutionnel en cours d’élaboration dans le processus de décolonisation et d’émancipation défini par l’accord de Nouméa.

16 . Le questionnement introduit par ce discours présenté publiquement le 12 octobre 2015 devant la haute assemblée des élus du pays, pose la question de la transformation du droit et du système juridique et institutionnel élaboré par la France confrontée à l’identité kanak dans un processus de décolonisation, celui de la Nouvelle- Calédonie. Cette confrontation est quotidienne car la population autochtone kanak représente plus de 40 % de la population globale et ses droits coutumiers sont assis sur du foncier coutumier sur l’ensemble de l’archipel. En termes de bilan, il apparaît que l’establishment politique et l’opinion publique n’ont accordé de l’importance qu’à la finalité politique et en l’occurrence à celle du processus d’autodétermination, que doit sanctionner le référendum de 201829. N ‘est pas vraiment pris en compte, l’objet et la finalité sociétale même des accords politiques soit la reconnaissance de la civilisation et de l’identité Kanak dans la construction d’un destin commun30 pourtant inscrit au chapitre XIII de la Constitution française31. C’est autour de ce dialogue occulté des deux systèmes de valeurs et des deux droits que s’organise la recherche de la présente analyse qui se propose d’étudier le contenu dialectique des institutions juridiques et administratives néocalédoniennes. Son objet est de conduire une démarche historique compréhensive, au sens wébérien du terme, sur ces institutions en utilisant les données d’autres sciences

29 ACCORD SUR LA NOUVELLE-CALEDONIE SIGNE A NOUMEA LE 5 MAI 1998,op.cit., Document d’orientation, pt.5, al. 3 : « La consultation portera sur le transfert à la Nouvelle-Calédonie des compétences régaliennes, l'accès à un statut international de pleine responsabilité et l'organisation de la citoyenneté en nationalité ».

30 Ibidem, Document d’orientation, pt. 2, al. 1 : « L'un des principes de l'accord politique est la reconnaissance d'une citoyenneté de la Nouvelle-Calédonie. Celle-ci traduit la communauté de destin choisie et s'organiserait, après la fin de la période d'application de l'accord, en nationalité, s'il en était décidé ainsi ».

31 Ibidem, pt. 1.

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sociales et en bénéficiant d’une immersion sociétale et institutionnelle de plus d’un demi- siècle.

17 . Cinq sections composent cette introduction : en premier, il s’agit en section 1 de l’objet, en section 2 de la question du droit en tant qu’outil de régulation et de transformation de la société coloniale et postcoloniale, en section 3 de la Nouvelle- Calédonie archétype de l’historicité coloniale institutionnelle, en section 4 de la méthode pluridisciplinaire et enfin, en section 5 de la méthode de recherche et enfin en section 6 du plan de l’ouvrage.

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SECTION 1 | OBJET DE L’ETUDE - COMPRENDRE LA

REALITE DU PROCESSUS HISTORIQUE ET DIALECTIQUE DES SYSTEMES JURIDIQUES ET INSTITUTIONNELS DE LA COLONISATION ET DE LA DECOLONISATION

18 . Le processus historique et dialectique inhérent à cette étude s’appréhende de plusieurs manières, lesquelles sont complémentaires. En premier lieu, l’approche historique des civilisations, permet de dresser des parallèles entre les civilisations occidentales et la civilisation austro-mélanésienne. Ensuite, dans l’étude des sociétés contemporaines, il est nécessaire de cerner les fondements idéologiques, culturels, sociologiques et du système d’appropriation et d’échanges propres à chaque société. Il s’agit d’observer sur plusieurs siècles la construction et la consolidation historique de l’État. Ce modèle met évidemment en jeu des contradictions qui évoluent en s’influençant réciproquement en fonction des paramètres locaux, nationaux et internationaux.

Comprendre la réalité d’un tel processus, c’est chercher à dégager le fil conducteur qui permet de cerner la problématique dans sa réalisation.

19 . Dans la construction de l’État, l’expérience impériale de la colonisation européenne tient une place éminente. Les États européens, en tant que modèle d’organisation sociopolitique et économique, ont étendu leur domination sur l’ensemble du globe pendant plus de cinq siècles avec une puissance, une vitesse et un unilatéralisme inédits dans l’histoire des hommes.

20 . Mais la « décolonisation » qui s’est engagée ensuite au XXème siècle apparaît aussi problématique que la propagation du modèle occidental fut dominatrice. Les difficultés des décolonisations et de leurs effets délétères que l’on peut mesurer désormais à moyen terme indiquent que la question coloniale se répercute bien au-delà des indépendances et de « l’étatisation » des anciennes colonies. L’analyse dialectique peut contribuer à éclaircir ce dilemme, appréhendé comme « la décolonisation impossible » où les stigmates de la domination paraissent ineffaçables. La dialectique permet de saisir les termes de la contradiction principale et des contradictions secondaires qui traversent,

(26)

conditionnent et influent l’histoire coloniale de chaque territoire, ses institutions politiques et administratives et même le contenu de son droit privé.

21 . L’objet de la présente étude s’attache à analyser la réalité juridique et institutionnelle de la Nouvelle-Calédonie dans un processus de décolonisation que modélise désormais l’Accord de Nouméa. Dans ses mécanismes, cette histoire coloniale ressemble à celle des anciennes colonies devenues des États décolonisés et souverains sur le plan international. En même temps, cette histoire reste singulière mais d’une singularité qui se réfère au colonialisme français. La véritable nature du système juridique et institutionnel néocalédonien reste mystérieuse : elle a provoqué bien des contorsions auprès de la doctrine positiviste pour en justifier les contenus et les fondements.

22 . Quand on étudie les étapes marquantes de l’histoire des pays coloniaux avec des populations autochtones, s’est toujours posée dans le processus de décolonisation la problématique de la gestion des forces sociales et politiques en présence : la puissance coloniale de tutelle, les populations installées par le colonisateur et le peuple autochtone colonisé. D’une manière générale, la France considérant que cela fait partie de ses droits de conquête et de ses devoirs moraux, prend toujours fait et cause pour défendre l’intérêt des populations qu’elle a installées.

23 . Ainsi pour ce qui est du cas particulier de la Nouvelle- Calédonie et de la Polynésie française, la France n’a pas hésité au nom de ses intérêts stratégiques et d’une interprétation de la démocratie, à revoir la loi cadre de Gaston DEFFERRE mise en place suite à l’adoption de la constitution de 1958 et à enfreindre les nouvelles règles édictées par l’ONU à l’article 73 de la Charte des Nations Unies32. Le chapitre XI de la Charte des Nations Unies33 et les résolutions 1514 et 1541 de l’Assemblée générale des Nations Unies avaient précisément pour mission de définir des principes et un cadre de décolonisation proposés aux puissances de tutelle membres de l’ONU pour enrayer le phénomène connu

32 Charte des Nations Unies, signée à San Francisco le 26 juin 1945, entrée en vigueur le 24 octobre 1945, Chap. XI, art. 73 : « Les Membres des Nations Unies qui ont ou qui assument la responsabilité d'administrer des territoires dont les populations ne s'administrent pas encore complètement elles-mêmes reconnaissent le principe de la primauté des intérêts des habitants de ces territoires. Ils acceptent comme une mission sacrée l'obligation de favoriser dans toute la mesure possible leur prospérité, dans le cadre du système de paix et de sécurité internationales établi par la présente Charte […] »

33 Ibidem

(27)

du colonialisme que le dictionnaire commun défini en termes simples : « le colonialisme est la doctrine légitimant l’occupation, la domination et l’exploitation de territoires par un pays colonisateur […] La colonie est l’établissement fondé dans un pays dominé par une nation dominante34 ».

24 . La colonie pour son établissement et sa pérennité s’appuie donc sur les populations qu’elle a installées et ainsi se crée, de décennies en décennies, et de générations en générations, une communauté de destin composée des populations implantées par la colonisation quelque soit les conditions matérielles de départ réservées à chaque catégorie. C’est particulièrement vrai en Nouvelle-Calédonie où la faiblesse démographique de la population kanak a permis l’émergence politique des autres populations descendantes des travailleurs immigrés aux côtés de la population d’origine métropolitaine.

25 . Plus globalement, il importe de retenir que la colonisation est bâtie sur un choc de civilisation et que le système colonial organise le processus par lequel l’Etat éradique les oppositions, gèrent les hommes, les terres et les richesses produites, jusqu’à l’établissement d’un État de droit totalement dédié à la puissance colonisatrice.

26 . Dans le cadre de cette étude, il faut en premier lieu définir le « système juridique et institutionnel » comme une entité où sont imbriqués système de pensées philosophiques, organisations sociales, autorités de pouvoir et activités de production de richesses, de biens, et de consommation. Au centre du système, il y a l’État et son appareil administratif, politique, judiciaire et militaire. Le postulat ici envisagé est le suivant : en situation coloniale puis en situation postcoloniale, la « contradiction principale » oppose l’État colonisateur au peuple autochtone qui, tant qu’il existe et reste colonisé, impose sa présence tout au long de l’histoire coloniale et post coloniale et en particulier dans la réalisation d’une société civile capable ou non d’influer sur l’évolution de l’État de droit colonial.

27 . Ce postulat ou contradiction principale est le fil conducteur de notre analyse dialectique et historique du processus juridique et institutionnel constituant de la Nouvelle- Calédonie en tant qu’entité socioculturelle et politique.

34 Robert de poche 2012, Paris, 2011, page 134.

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SECTION 2 | LE DROIT OUTIL DE REGULATION ET DE TRANSFORMATION DE LA SOCIETE COLONIALE ET POSTCOLONIALE

28 . Là où vivent des populations organisées en société, il y a du droit et celui-ci s’exprime au travers des coutumes qui rythment et structurent la vie du groupe en fonction des évènements qui surviennent. En Océanie35, le concept de coutume est un concept polysémique qui selon Paul DE DECKKER et Laurence KUNTZ « doit s’entendre au travers de tout ce qui est règles ; habitudes, us, dans les domaines aussi divers que l’esthétique, l’art, la cuisine, les mythes, l’horticulture, tout ce qui est humain en faite36. »

29 . En France, « depuis le moyen âge, la coutume est considérée comme l’une des sources du droit, après la loi et la jurisprudence37 ». Le droit est donc un produit de l’histoire (§1) et sa fonctionnalité se confirme en situation coloniale et post coloniale (§2).

§1| Le droit produit de l’histoire

30 . Les premières lois furent des lois divines avant d’être des lois royales ou pharaoniques. Ainsi, le droit a longtemps été considéré comme émanant de Dieu pour réaliser ses desseins puis mis à la disposition du souverain et enfin du peuple organisé en État-Nation souverain. Au Moyen-âge, les coutumes réglaient la vie des populations au quotidien et sur un plan pyramidal, les lois royales ou impériales apparentées aux lois divines s’imposaient. Pour unifier l’État, NAPOLEON entreprit de faire écrire à partir des coutumes locales, un code civil38 applicable à tous capable de régir les relations entre les hommes dans le cadre de l’État souverain.

35 L’Océanie ou Océanie insulaire représente l’espace du grand Océan Pacifique occupé par les Etats insulaires de la Mélanésie, de la Polynésie et de la Micronésie ;

36 DE DECKKER Paul, KUNTZ Laurence, La bataille de la coutume et ses enjeux dans le Pacifique Sud, l’Harmattan, coll. Mondes Océaniens, Paris, 199 , p.43. 23 p.

37 GARDE François, « Coutume », dans WAMYTAN Léon, LECA Antoine, FABERON Florence (dir.), 101 mots pour comprendre la coutume kanak et ses institutions, Centre de documentation pédagogique de Nouvelle-Calédonie, n° 10, Nouméa, 2016, p.68.

38 Ibidem

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