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REALITE DU PROCESSUS HISTORIQUE ET DIALECTIQUE DES SYSTEMES JURIDIQUES ET INSTITUTIONNELS DE

SECTION 4 METHODE PLURIDISCIPLINAIRE

L’intérêt de la dimension pluridisciplinaire de la méthode se vérifie au regard du sujet (§1) et de l’analyse historique (§2).

§1| L’intérêt du sujet

73 . L’intérêt du sujet porte sur le fait que la Nouvelle-Calédonie est un territoire colonisé par la France et que le processus de décolonisation de l’accord de Nouméa sur le plan juridique est inédit. En effet, ce dernier accord contredit, la tradition et la pratique française des décolonisations lesquelles se sont toujours contentés de caricaturer la règle du droit international, fondée sur le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes et sur l’article 73 de la Charte des Nations Unies. A partir d’une position intransigeante de l’État français mettant en demeure les peuples colonisés à choisir entre la France et l’indépendance et avec le concours de populations coloniales instrumentalisées, la plupart des indépendances ont été octroyées dans un climat de « rupture71 » et sans véritable préparation.

74 . Dans la présente étude sur la Nouvelle-Calédonie qui porte en dernière partie sur une période de 30 années d’accords politique, l s’agit de saisir les mécanismes par lesquels deux systèmes juridiques et institutionnels – d’un côté le système étatique et de l’autre le système coutumier - ont cohabité et continuent de le faire en permettant à une société ou collectivité composée d’hommes et de femmes de plusieurs origines de vivre ensemble sur un même territoire, durant les différentes étapes de leur histoire commune, en partant de la colonisation jusqu’à la situation contemporaine.

75 . Le fait singulier dans le présent cas, se trouve dans la détermination du mouvement de libération nationaliste – le FLNKS - porteur de la revendication d’un petit peuple, aux prises avec l’une des grandes puissances militaires du monde, dont l’appareil d’État garde une longue expertise des décolonisations. Face aux évènements tragiques de la période 1984-19 , l’État français a été confronté à un phénomène contemporain en

71 Le cas flagrant de l’Algérie et de l’ ndochine mais aussi de bons nombres d’Etats africains francophones dont la Guinée du président Sékou Touré.

l’occurrence, au poids de l’opinion publique nationale et internationale. l lui a fallu trouver une solution originale qui a été rendue possible du fait de la petite taille du pays et de la clairvoyance des deux leaders charismatiques opposés : Jean-Marie TJIBAOU et Jacques LAFLEUR.

76 . C’est ainsi que la question de la Paix a été introduite comme préalable à la mise en place du processus de décolonisation et de l’exercice du droit à l’autodétermination. Les Accords de Matignon-Oudinot, ont été qualifié d’accords de paix et de rééquilibrage sous la responsabilité de l’ État qui pouvait alors faire œuvre de décolonisation. De la confiance acquise après 10 années de collaboration entre l’Etat et le FLNK , viendra le deuxième accord politique ou l’Accord de Nouméa, qualifié d’acte de décolonisation et d’émancipation. Le processus doit aboutir après 20 années en 2018 au moment du référendum.

77 . Dans ce processus de décolonisation, l’intérêt de l’étude portera sur la mise en œuvre du système juridique et institutionnel du pluralisme juridique inhérent à la reconnaissance de l’identité kanak laquelle a été intégrée dans la constitution française.

§2| Portée et intérêt de l’analyse historique comme matrice de la recherche juridique

78 . L’étude a pour objet de saisir les confrontations, les accommodements, l’ignorance et la juxtaposition des éléments constitutifs de deux systèmes juridiques et institutionnels en présence, celui de la coutume kanak d’une part et celui du système républicain d’autre part. Par ailleurs, la notion de système de droit permet d’envisager les acteurs dans une approche plus ouverte ce qui n’empêche pas de clarifier le rôle du droit et de la politique en tant que systèmes complémentaires dans le fonctionnement d’un pays colonisé et dans un processus de décolonisation. On distingue ainsi les deux niveaux coutume/droit (a) et légitimité politique (b).

a) La place de la coutume dans l’analyse juridique

79 . Les peuples colonisés et à fortiori les autochtones perçoivent avec souvent beaucoup de difficultés le rôle et la fonction du droit dans l’organisation de la société. La raison est simple et réside dans le fait que la vision kanak par exemple ne différencie pas

les hommes et la nature ainsi que les hommes et les institutions. Les droits sont vécus, les principes et valeurs de la coutume sont assumés et pratiqués sans qu’ils soient extraits de leur contexte et de leur milieu.

80 . Dans la première partie de la colonisation, la coutume en tant qu’institution est un tout pour le kanak. Elle constitue l’ensemble des us et pratiques modelés depuis des siècles lesquels renvoient à une vision philosophique et spirituelle du monde qui lie l’homme à la nature et à l’esprit des ancêtres. Cette vision évolue et, avec elle, la coutume également. Pour la vision ethnocentriste et évolutionniste72 du colonisateur qui considère le kanak comme un être inférieur, la coutume est une réalité qui ne vaut que parce qu’elle permet aux populations kanak regroupées dans les tribus autour du chef de ne pas perturber la propriété des colons et de répondre aux ordres de l’administration.

81 . Aujourd’hui, la coutume-source du droit kanak est reconnue en tant que telle par l’accord de Nouméa et se trouve donc intégrée dans l’ordre public calédonien.

Elle concerne 40% de la population de l’archipel et plus du tiers de l’espace foncier, avec pour les Îles Loyautés, une population et des terres répondant entièrement au droit coutumier. Il importe de mesurer à cet égard l’importance du travail institutionnel que décida d’entreprendre le énat Coutumier au cours de ses quatre mandatures, 199 à 201 , pour définir les contours et le contenu de la coutume face à la modernisation et aux transformations de la société kanak. En effet le droit kanak ne saurait se confondre avec une simple tradition kanak qui le folkloriserait inéluctablement.

b) La légitimité et le champ du politique

82 . Ce n’est qu’en 1946 avec la suppression du régime de l’indigénat et l’octroi du droit de vote, que va surgir pour le peuple kanak colonisé, le champ du politique qui se distinguera progressivement du champ du coutumier. Dans un premier temps, sous l’impulsion des chefs, des catéchistes et des pasteurs73, ces deux légitimités se retrouvent unies par le biais de la création du parti politique Union Calédonienne et de la désignation électorale des élus des assemblées territoriales et communales. La légitimité politique

72 CLASTRES Pierre, La société contre l’Etat : recherches d’anthropologie politique, Les Éditions de Minuit, coll. Reprise, Paris, 2011, pp.161-162., 186 pages

73 Les catéchistes sont les responsables locaux de l’église catholique, comme le sont, les pasteurs pour l’église protestante.

prendra le dessus en même temps que va progresser la revendication nationaliste kanak qui culminera en 1984-19 au moment de l’insurrection pour l’instauration d’une Indépendance Kanak et socialiste. Si le droit coutumier est alors réintroduit dans le champ de l’ordre public général et du projet de société, cela provient de la volonté des autochtones kanaks et de l’évolution dialectique du système juridique et institutionnel de la Nouvelle-Calédonie. Les différentes périodes et étapes de la colonisation marquent en effet, les sauts qualitatifs engendrés par la confrontation des deux systèmes juridiques et institutionnels et il est important de déterminer les axes de synthèse possibles et réalistes.