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« Quelque part encore il y a des peuples et des troupeaux, mais pas chez nous mes frères : chez nous il y a des Etats.

Etat ? Qu’est-ce que cela ? Allons ! Ouvrez les oreilles, car maintenant je vais vous parler de la mort des peuples.

Etat est le nom le plus froid de tous les monstres glacés. Il ment d’ailleurs froidement, et ce mensonge sort de sa bouche : « Moi, l’Etat, je suis le peuple. »

Mensonge ! Ils étaient créateurs ceux qui créèrent les peuples et suspendirent au-dessus d’eux une foi et un amour : ainsi ils servaient la vie.

Ce sont des destructeurs, ceux qui posent des pièges au grand nombre et les nomment Etats : ils suspendent au-dessus d’eux un glaive et cent convoitises.

Là où il y a encore un peuple, il ne comprend pas l’Etat et le hait comme le mauvais œil, comme un péché contre les coutumes et le droit. »

Ainsi parlait Zarathoustra94

94 NIETZSCHE Friedrich « Ainsi parlait Zarathoustra », Paris, Editions 1018, 1958, p.46

Introduction

126 . L’homme préhistorique, qualifié de primitif, n’en est pas moins intelligent95 et ses facultés humaines intrinsèques le poussent au peuplement de la terre, en privilégiant l’instinct de survie, l’instant de découverte et la recherche permanente d’équilibre entre l’esprit, l’homme et la nature. La parole, au même titre que l’écriture pour l’homme occidental, est au cœur du développement des sociétés dites primitives. La parole et l’esprit vont ensemble pour créer et perpétuer le système des relations naturelles et humaines qui sont à la base de la société primitive. Dans l’organisation sociale des peuples premiers, ce qui est fondamental est la recherche permanente d’équilibre entre le monde des esprits, l’homme et son environnement naturel. L’organisation sociale ne développera en général, sa superstructure politique que dans les limites imposées par le maintien de l’équilibre établi. La capacité de résilience des peuples autochtones dans le monde repose sur ces éléments avec au cœur de la société, la parole et le système des relations.

127 . En étudiant simultanément la civilisation occidentale et la civilisation mélanésienne96 à leur origine, les termes de leur humanité et de leur différenciation se font

95 BARREAU Jean-Claude, BIGOT Guillaume, Toute l’histoire du monde, Ed. Arthème Fayard, Paris, 2005, p.24, 412 pages : « L’homme préhistorique est très proche de nous. Il a des lois, un honneur, et une religion très développée : l’animisme, l’adoration des forces de la nature ».

96 La civilisation mélanésienne est issue d’une part des papous qui peuplèrent la Papouasie-Nouvelle-Guinée à partir d’une population originelle installée depuis 30 à 50 000 ans et d’autre part, d’une migration partie de

jour. Apparaît alors le rôle capital de l’écriture dans l’affirmation notamment de l’homme occidental qui devient au terme du processus historique, l’élément hégémonique du couple homme/nature. L’homme grâce à l’écriture, maîtrise son histoire et transmet ses connaissances générations après générations, civilisations après civilisations en les développant. Sa quête permanente pour connaître et dominer ce qui l’entoure, se transforme in fine en une connaissance des différents continents et océans. Dans le dit processus historique, les phases d’évolution de la société se mettent en place en distinguant l’entité sociale de base sur son territoire propre, ensuite le pays culturel et politique, puis la nation sous ses différentes formes : empire théocratique, religieux et monarchique, puis État théocratique, monarchique et républicain. L’esprit de découverte se manifeste désormais dans les temps modernes par une concurrence farouche des États dans le cadre des État-nations.

128 . Dans la représentation dominante, l’histoire du monde, incluant chaque continent, a longtemps été interprétée sous le prisme de la vision occidentale. Ainsi, l’histoire des peuples sans écriture de la « protohistoire » a été reléguée au second rang, ce qui a permis à l’Occident d’imposer sa vision hégémonique aux moyens de ses conquêtes.

tel point, que les grandes civilisations d’Orient, d’Extrême-Orient et d’Amérique sont passées à la « trappe » de l’histoire du monde occidental. Pourtant, elles avaient aussi découvert la métallurgie et l’écriture après avoir franchi l’étape du néolithique. Ces civilisations comme celles des Chinois, des Hindous et des Incas avaient développé leur organisation sociale et politique comme le firent les Mésopotamiens, les Egyptiens et les Grecs.

129 . La puissance de l’Occident a reposé sur son organisation politique étatique apparue dès l’Egypte préhistorique97. Pour l’épanouissement des savoirs et des idées, l’écriture a été déterminante afin de transmettre siècle après siècle, un patrimoine matériel et immatériel cumulé toujours plus conséquent. Cependant, par ce processus de conquête coloniale, l’Occident a détruit et anéanti des civilisations entières.

Taïwan 2500 à 2000 ans avant Jésus Christ. Il faut préciser que près de 7000 ans avant Jésus Christ, les papous exploitaient un site agricole en Nouvelle Guinée. Les austronésiens représentent 20 % de la population de la Papouasie-Nouvelle-Guinée.

97 BARREAU Jean-Claude, BIGOT Guillaume op. cité p.28 : « une tribu préhistorique, ce sont deux cents personnes-chasseurs, femmes, enfants, chamans, anciens- en perpétuel déplacement ».

130 . Ainsi, les instincts naturels de l’homme préhistorique l’ont prédisposé à la conquête de la planète et de la nature. Le nouvel homo-sapiens 98 est apparu aux alentours de 200 000 à 150 000 ans avant J.-C. l émigra d’Afrique à la conquête de l’Europe et de l’Asie, il y a environ 100 000 ans. Le peuplement de l’Australie par les aborigènes se fit il y a 60 à 50 000 ans et les ancêtres des Papous, s’installèrent en Papouasie-Nouvelle-Guinée, il y a environ 40 000 ans. Ils colonisèrent progressivement la grande Île puis s’installèrent à l’Est vers 33 000 avant J.-C. sur l’archipel appelé aujourd’hui les Îles Bismarck qui verront débarquer vers 2 500 ans avant J.-C. les austronésiens en provenance de Taîwan.

131 . ’agissant des modalités d’installation, Jean-Claude BARREAU et Guillaume BIGOT précisent :« Il faut beaucoup de terrains pour une tribu de chasseurs.

Quand il y a trop de jeunes guerriers, un groupe se détache de la tribu mère et se déplace de quelques dizaines de kilomètres pour trouver un espace de chasse vierge et ainsi de suite. Ces voyages se faisaient à un rythme si lent qu’arrivés à un bout de la terre, les descendants des migrants avaient oublié l’endroit dont les ancêtres étaient partis quelques millénaires auparavant ; d’autant qu’ils ne maîtrisaient pas l’écriture, et nous savons que la tradition orale ne remonte pas au delà de quatre générations dans le passé99». Ils poursuivent que l’archéologie et les sciences démontrent que « la conquête de la planète par les hommes préhistoriques fut une conquête inconsciente, dont nous pouvons aujourd’hui situer les grandes étapes100 ».

132 . Les fouilles archéologiques récentes ont permis de mettre à jour un site néolithique daté de 7000 ans avant J.C. environ, situé à l’ouest de la Papouasie-Nouvelle-Guinée, dans la région de Kuk101, présentant les traces des premières tarodières ayant fonctionné durant plusieurs millénaires. Cela confirme que le néolithique n’est pas seulement apparu au Moyen-Orient, mais aussi en Asie orientale et en Amérique latine ou

98 FERDAIN Jean-Marc, Nos ancêtres, les Kanadoniens, éd. Sudocean, Nouméa, 2012, p.20, 252 pages

99 BARREAU Jean-Claude, BIGOT Guillaume, Toute l’histoire du monde, op.cit., p.22.

100 Ibidem

101 L’ancien site agricole de Kuk, en Papouasie-Nouvelle-Guinée, comprend 116 ha de marécages dans l’ouest de l’île de la Nouvelle-Guinée à 1500 m d’altitude. Des fouilles archéologiques ont révélé que ces marais ont été cultivés presque continuellement depuis 7000, voire 10 000 ans. Cf. UNESCO, Liste des sites du patrimoine mondial, URL : whc.unesco.org

en Papouasie-Nouvelle-Guinée et cela pratiquement au même moment qu’en Egypte102. Au néolithique, avec le développement de l’agriculture, s’ouvre un nouveau mode de développement et apparaît la sédentarisation des populations.

133 . ’agissant du peuplement de l’Asie du Sud-est et du Pacifique Sud, plusieurs routes se croisent avec pour points de passage, le sud de la Chine, Taïwan et les Philippines. En 70 000 ans, l’homo-sapiens s’est divisé en deux grandes catégories : le type

« mongoloïde » à peau claire ou Austronésiens et le type « mélanésien » à peau noire. Ce sont autant d’éléments qui viennent différencier les récits et introduire des hypothèses de peuplement103 qui peuvent parfois opposer les spécialistes de cette longue période préhistorique. Au regard du traceur linguistique, les austronésiens ont migré de Chine méridionale pour Taïwan. Jean-Marc Ferdain indique qu’ « actuellement avec quelques dizaines de milliers d’individus environ, ceux-ci ne constituent, avec d’autres habitants autochtones, que 2% de la population actuelle de l’Île, les 98% étant des Chinois. Il existe également dans le sud de la Chine des Austronésiens qui ne sont autres que les très lointains ancêtres de ceux qui se séparèrent d’eux vers 4000 ans av. J.- C 104».

134 . La grande migration105 austronésienne se déroule entre 2500 et 2000 avant J.-C. de Taïwan vers les Philippines puis des Philippines vers les Îles Indonésiennes, les Îles Bismarck puis vers les Îles Océaniennes (mélanésiennes et polynésiennes). Aux Îles Bismarck, entre 2000 et 1500 avant J.C, cohabitent deux ethnies principales : les Austronésiens et les Néo-Guinéens. Les Austronésiens découvrent de nouvelles plantes nourricières106 et communiquent la coutume du kava. Les Néo-Guinéens découvrent l’arbre à pain et les Austronésiens leur enseignent les techniques agricoles, la pêche et la navigation. Ils découvrent aussi trois nouveaux animaux alimentaires : le chien, le cochon et le poulet. Les Austronésiens107 apportaient également avec eux, des nouveaux outils en

102 Le néolithique Egyptien date de 8000 à 10 000 ans avant J.-C. Cf. BARREAU Jean-Claude, BIGOT Guillaume, Toute l’histoire du monde, op.cit., p.28.

103 Ibidem, p.41

104 Ibidem, p.42.

105 Ibidem, p.47.

106 Ces plantes nourricières sont le cocotier, le bananier et la canne à sucre.

107 Ibidem, p.57.

pierre polie, dont l’herminette pour travailler le bois, l’art de la céramique, l’utilisation du jade dans les échanges, les parures en coquillages et le tatouage. Des outils presque similaires étaient aussi utilisés par les Néo-Guinéens. La cohabitation fut d’abord difficile puis les échanges et les relations s’améliorèrent.

135 . Les Austronésiens étaient surtout des gens tournés vers la mer, alors que les Néo-Guinéens étaient davantage des gens de la terre habitués à pratiquer la chasse et la cueillette. Dès lors un héritage commun est partagé, celui de la langue, qui sera à l’origine de la création de l’ethnie mélanésienne. La population Papoue, exceptés quelques peuples qui pratiquaient l’horticulture et l’élevage du cochon, était dans sa grande majorité composée de cueilleurs-chasseurs. Au contact des Austronésiens, essentiellement sur les côtes nord de la Papouasie, ils pratiquèrent la sédentarisation au moyen de l’agriculture, de l’élevage et de la pêche. L’expérience acquise sur la navigation maritime au travers des grandes migrations leur est également transmise.

136 . Dans sa longue pérégrination depuis la Chine du Sud, la langue austronésienne a conquis les peuples rencontrés et servi d’outil de communication, d’échanges et de civilisation. Elle sera finalement adoptée par les mélanésiens en Papouasie-Nouvelle-Guinée. Près de 500 langues mélanésiennes sont aujourd’hui reconnues comme des langues d’origine austronésiennes108.

137 . Les deux peuples mélanésien et polynésien qui composent la migration austronésienne109, au moment de quitter successivement les Îles Bismarck aux environs de 1200 ans avant J.-C., avaient conservé leurs caractéristiques propres. Une des raisons évoquée par les spécialistes est que les arrivants austronésiens pratiquaient l’endogamie.

Comme la langue austronésienne, la poterie Lapita est un graveur historique inestimable de l’histoire des austronésiens et c’est ce que l’on découvrira avec les résultats des centaines

108 FERDAIN Jean-Marc, Nos ancêtres les Kanadoniens. Histoire des civilisations et de tous les Calédoniens, éd. Sudocéan, Nouméa, 2012, p.59. 200 langues sont dénombrées en Papouasie-Nouvelle-Guinée, 100 pour les Salomon, 150 pour le Vanuatu, 28 pour la Nouvelle-Papouasie-Nouvelle-Guinée, 3 pour Fidji et 28 pour la Nouvelle-Calédonie.

109 La migration austronésienne est composée de deux entités : la mélanésienne et la polynésienne. Sera utilisé dans un premier temps le terme de peuple originel mélanésien ou première civilisation coutumière mélanésienne. Ce terme sera ensuite parfois remplacé par le terme « kanak » en sachant que ce nouveau terme a été adopté pour caractériser la souveraineté politique kanak.

de fouilles développées, notamment par le département archéologique de Nouvelle-Calédonie dans les premiers développements qui suivent.

138 . L’installation des austro-mélanésiens vers 1100 avant J.-C. au Sud-ouest de ce chapelet d’îles de la Mélanésie s’inscrit dans une voie sans issue puisque l’Australie et la Nouvelle-Zélande sont à plus de 2000 kms. Arrivés au Vanuatu, l’alignement de la trajectoire s’est fait en prenant en compte l’alignement du soleil levant Est-ouest. Ils y ont forgé depuis, une civilisation mélanésienne propre en l’enracinant sur les terres d’Opao110 qui seront ensuite baptisées par James Cook, Nouvelle-Calédonie.

139 . Cette introduction historique peut paraître singulière dans un travail juridique qui s’interroge sur les institutions. Cependant, cette recherche a été importante pour cerner l’âme de l’homme préhistorique qui a pris possession de la planète terre, son humanité. Cette approche non enseignée dans les écoles de la Nouvelle-Calédonie est une approche pluraliste, présente dans l’ensemble de cette thèse. En effet, deux visions du monde cohabitent dans les sociétés colonisées par l’Occident où n’a souvent droit de cité et d’enseignement que l’histoire de la civilisation occidentale.

140 . La société coloniale calédonienne du XIXème siècle n’est qu’un des produits récent de ce premier processus historique vieux d’environ 3000 ans. l conviendra de cerner les fondements historiques des deux composantes sociales de l’archipel que sont la société mélanésienne et la société française ( itre ) avant d’étudier leur confrontation à partir du XVIIIème siècle (Titre II).

110 OPAO est le nom d’origine de certaines chefferies de Nouvelle-Calédonie.

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