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1. Réflexions sur les problématiques de la prévention de la délinquance juvénile

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XIV

VERS DE NOUVEAUX CHEMINS

À partir de l'ensemble de ces expériences, il appartient à chacun, s'il se veut autre chose qu'un simple spectateur, de définir les lignes directrices de sa conduite.

Nous terminerons donc sur quelques textes plus théo- riques, en particulier les <axes de réflexion> d'ENDA, véritable programme pour une nouvelle stratégie d'intégra- tion des jeunes marginaux, dont l'expérience de Cotonou (chap. XIII, 5) est directement inspirée: les aider à s'orga- niser pour créer leurs propres bases productives, leurs propres ressources, afin d'être capables de prendre en main eux-mêmes leur resocialisation.

1. Réflexions sur les problématiques de la prévention

de la délinquance juvénile

Signe que le problème de la marginalité juvénile urbaine, des <enfants de la rue >, est devenu préoccupant en Afrique noire, deux importantes réunions viennent d'avoir lieu sur ce sujet, à moins de deux ans d'inter- valle:

- le forum <Enfants et jeunes de la rue > de Grand-

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l'égide du BICE \ de l'UNICEF (Abidjan) et d'ENDA (Dakar), regroupait pour la première fois des< hommes de terrain >, des scientifiques et des responsables officiels, nationaux et internationaux, venus de quatorze pays afri- cains (francophones) et d'Occident;

- le colloque de Kinshasa <De la campagne à la ville, de l'école à la rue: enfance, éducation et déviance>, en décembre 1986, du BASE2 et du CICC3, réunissait une trentaine d'experts (juristes, criminologues, sociologues, psychologues, et quelques éducateurs) surtout zaïrois et canadiens, mais aussi burundais, congolais, béninois, togo- lais et européensa.

Beaucoup d'interventions furent remarquables, les débats le plus souvent passionnants et passionnés, les contacts noués dans les couloirs solides et féconds.

Pourtant, ces deux réunions ont, sur le moment, laissé aux participants une impression d'inachèvement: elles ont débouché sur des proclamations pleines de bons sentiments et des catalogues de recommandations, certes judicieuses - encore que pas toujours faciles à faire passer dans la réa-

lité 4 - , mais guère articulées sur de véritables politiques

d'action globale.

Bien sûr, les résultats de ces deux réunions ont été très positifs a posteriori dans de nombreux pays: les partici- pants sont revenus chez eux remplis d'idées et d'enthou- siasme, et ils se sont remis à l'ouvrage avec plus d'ardeur.

(On a vu, au fil des documents de ce livre, combien sont le produit direct du forum de Grand-Bassam). C'était à l'échelle de chacun qu'il fallait agir. Beaucoup fut réalisé

1. Bureau international catholique de l'enfance (Genève, Paris, Abidjan), initiateur du <Programme inter-ONG Enfants de la rue x, d'où est issu Childhope,

2. Bureau africain des sciences de l'éducation (Kisangani, Zaïre), agence spé- cialisée de l'Organisation de l'unité africaine.

3. Centre international de criminologie comparée (université de Montréal, Canada).

a. Ce texte était à l'origine d'une réaction <à chaud » après le colloque de Kinshasa.

4. <Que soient aplanies les trop fortes inégalités sociales s, réclame la deuxième des<Recommandations aux États africains ;) de Kinshasa. Chiche ...!

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VERS DE NOUVEAUX CHEMINS

sur le terrain, ce qui était plus important que de croire trou- ver c la o solution globale, par définition illusoire.

Mais il reste que, sur le moment, dans la surchauffe et la fatigue qui terminent toujours ce type de marathon intellec- tuel, les positions en vue d'élaborer une synthèse se cristalli- saient entre deux points de vue extrêmes, qui peuvent se schématiser ainsi :

- <:tout est dans l'écoute personnalisée de l'enfant blessé à I'âme », affirmaient les uns (les hommes de terrain),

- <:rien n'est possible sans une politique globale de satisfaction des besoin prioritaires (eau potable, scolarisa- tion, vaccination ...):>, proclamaient les autres (surtout les représentants des organisations internationales). Je carica- ture, mais à peine ...

Étaient donc exprimées comme des priorités diver- gentes des démarches d'échelles différentes, alors qu'elles sont par nature complémentaires: plus, peut-être, que tout autre phénomène social, la marginalité juvénile est à l'intersection du collectif et de l'individuel, du sociolo- gique et du psychologique. Il n'est ni analyse, ni action qui soit possible si l'on ne maintient fermement cette double détermination, en la situant à chaque fois à son échelle propre.

Je voudrais donc essayer, ici, de remettre simplement un peu de logique dans le foisonnement des idées, en sériant les niveaux de problèmes, qui induisent ces problématiques complémentaires.

La première démarche consiste à partir de l'effort de cla- rification - pour ne pas dire d'assainissement - du vocabu- laire opéré à Grand-Bassam et accepté à Kinshasa. Car c'est là un monde où les mots ne sont pas neutres: le pauvre devenu c économiquement faible s n'en est pas plus riche, ni le <:troisième âge » moins vieux; mais un jeune en diffi- culté qui cesse d'être un <:dêlinquant o ou un <:voyou :>,

c'est un coup d'arrêt à la spirale de fuite/ rejet hors de la société des adultes. D'où la nécessité d'un vocabulaire des- criptif sans connotations moralisantes, sans condamnation a priori. L'expression de c délinquant juvénileo doit être strictement réservée aux mineurs qui ont été convaincus

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d'avoir commis un délit par une instance judiciaire compé- tente. Tout autre usage est abusif et doit être absolument proscrit1. Quels que soient les actes répréhensibles qu'aient pu commettre ces enfants (sans se faire prendre2), ils res- sentent le qualificatif de<délinquant> comme une insulte, une agression (avec raison, le plus souvent), et y réagissent violemment.

<La rue > est une expression neutre, purement topo- graphique, qui part de la constatation d'une présence dans l'espace urbain. Elle permet de fonder une anthropologie descriptive élémentaire, que l'on pourra ensuite nuancer de situation en situation, de ville en ville. En gros, deux caté- gories se sont imposées à tous: les enfants et les jeunes DANS la rue ou DE la rue, dont on n'a plus besoin main- tenant de reprendre les définitions.

La<prévention> consiste donc non seulement à agir au sein de chacune de ces catégories, pour en sortir les enfants (ce qui peut signifier, parfois, qu'il faut d'abord les y stabi- liser), mais surtout à éviter les dérives de l'une à l'autre, de l'enfance ordinaire (la maison, l'école, l'atelier) vers les ten- tations de la rue, de la rue temporaire à la rue permanente, de la marginalité à I'a-socialité... C'est là que s'impose la notion de niveaux d'intervention emboîtés, ce que les cri- minologues qualifient de prévention primaire, secondaire ou tertiaire: agir à la fois à chacun des niveaux et à l'arti- culation entre ces divers niveaux.

I. - PRÉVENIR LE GLISSEMENT VERS LES TEN- TATIONS DE LA RUE

A

l'échelle la plus globale, c'est un truisme de dire qu'un développement général harmonieux résoudrait bien des problèmes: des villes heureuses dans des campagnes pros- pères, une scolarisation adaptée aux aptitudes de chacun et aux nécessités d'un vaste marché de l'emploi... Moins

1. A fortiori l'abominable <prédélinquant>, si souvent présent avant Grand -Bassam.

2. Que l'adulte qui n'a jamais fraudé une douane ou changé de l'argent au marché noir leur jette la première pierre...

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VERS DE NOUVEAUX CHEMINS

d'exode rural vers les lumières de la ville, moins de déra- cinement culturel, moins de frustrations devant des forma- tions inadéquares.; Chacun doit, à son niveau, se battre pour que cela advienne, mais - outre que la richesse ne résout pas tous les problèmes (les pays industrialisés ne sont cerces pas en manque de marginalités juvéniles) - on ne peut trop escompter la réalisation d'un tel programme dans l'avenir immédiat. Jusqu'à preuve du contraire, les poli- tiques de prévention en Afrique devront longtemps encore se penser dans un contexte de pauvreté, de chômage, de malnutrition, de familles incapables de subvenir aux besoins de leurs enfants, de dévalorisation du travail humain, de faiblesse des ressources publiques... Les acteurs de la prévention ne devront qu'être plus acharnés à défendre les enfants à risque contre les dangers de rejet (par l'école) et d'exploitation (dans le monde du travail).

Là où la source essentielle de la fuite des enfants vers la rue se trouve dans la dislocation des familles, il doit être envisageable de mobiliser contre celle-ci les ressources de la société africaine traditionnelle (le poids de la tradition, l'autorité morale des vieux...) ou les structures du pouvoir local moderne (chefs de quartier, cellules politiques...), en sachant bien que la simple contrainte n'obtiendra jamais ce que l'on peut espérer de la pression d'une écoute amicale et des conseils judicieux de quelqu'un en qui l'enfant a placé sa confiance.

II. - PRÉVENIR LE DÉRAPAGE VERS LA RUE

COMME MODE DE VIE PERMANENT

Pour éviter que les enfants qui vivent dans la rue au-delà de ce que la société considère comme normal ne finissent par s'y installer pour de bon, on ne peut que tolérer que ceux que l'on ne peut remettre entièrement à la charge de leur famille y exercent leurs activités (non répréhensibles) sans trop de difficultés. Cela signifie, concrètement, repen- ser la place des <petits métiers> dans la ville, en parti- culier adapter des réglementations qui n'ont pas été conçues pour ces cas-là (patentes, droits de place, prohibitions inap-

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plicables ...), qui ont pour effet de rendre encore plus pré- caire la position de l'enfant, de l'exposer à tous les arbi- traires 1 et donc de l'inciter à se réfugier dans la véritable illégalité. Mais permettre à l'enfant de vivre dans la rue ne doit pas le contraindreà y rester: tout statut doit être conçu comme transitoire, comme une étape vers un retour à ce que chacun considère comme une vie <normale >.

III. - PRÉVENIR LE BASCULEMENT DANS LES

INSTITUTIONS DE CONTRÔLE

Pour éviter la chute dans la délinquance institutionnali- sée, il faut, dans la mesure du possible, sortir de la rue ceux qui y ont vraiment élu domicile 2; ce qui est - expérience faite - en général beaucoup moins difficile qu'on ne le croit3 : la plupart de ces enfants (et même des plus âgés, les 18-20 ans...) aspirent avidement au retour à une vie conforme au modèle qu'ils ont de la société: aller àl'école, apprendre un métier, fonder plus tard une famille et s'occuper de leurs enfants mieux qu'on ne l'a fait pour eux... Rares parmi eux sont les vrais asociaux, même si leurs bonnes intentions sont entravées par des perrurbations psychologiques dont leur vie de la rue est, en général, plus cause que conséquence: l'instabilité, l'agressivité, la vio- lence, un mélange d'irresponsabilité et de cynisme, qui cachent (tantôt bien, tantôt mal) les plus grands besoins de tendresse...

Le retour réussi dans la famille reste souvent bien diffi- cile : avoir choisi à8, 10, 12 ans de fuir dans la rue révèle en général des cassures difficilement réparables. Il faut donc imaginer autre chose: par exemple des structures d'accueil pour les plus jeunes (les plus vulnérables et les plus réadap- tables), des formules très souples pour les plus grands, en

1. En particulier à l'habituel racket policier.

2. Quitte à, dans un premier temps, ne chercher qu'à leury faciliter la vie (fournir un lieu ouvert où s'abriter, se laver, mettre à l'abri les économies), pré- lude nécessaire d'apprivoisement avant la<récupération >, celle-ci devant per- mettre au jeune la plus large autonomie (à nuancer, bien sûr, selon les âges).

3. En général, c'est plutôt du côté des soi-disant<grandes personnes> que viennent les gros problèmes...

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VERS DE NOUVEAUX CHEMINS

sachant que l'abandon de la liberté et des habitudes de la vie de la rue se fait rarement d'un seul coup. Toute une action en <:milieu ouvert » doit être menée, avec du per- sonnel formé, motivé, outillé 1 pour agir dans la rue auprès des jeunes dont on ne voit que trop quel est l'ave- nir prévisible: la vraie délinquance, celle de ces

<:grands » qui les rackettent plus ou moins durement (avec, parfois, des raffinements de sadisme) et qui ne sont que leurs anciens, désormais enfermés dans une margina- lité sans retour.

IV. - PRÉVENIR LE NAUFRAGE DANS LA VRAIE CRIMINALITÉ

Les institutions de contrôle social pour mineurs (police, justice, centres de rééducation ...) doivent tout d'abord exis- ter concrètement. Trop d'exemples montrent la catastrophe que représente l'emprisonnement d'enfants avec les adultes: c'est la meilleure <:école du crime:>.Elles doivent, cela va sans dire, fonctionner de façon satisfaisante, avec les moyens matériels et humains, la continuité et les coordina- tions nécessaires. C'est dire qu'il a encore beaucoup à faire pour rendre tout cela adapté aux besoins et aux réalités des sociétés concernées.

Bien des législations doivent être repensées en faveur des catégories de jeunes les plus menacés et, surtout, être mises effectivement en application, dans leur lettre et plus encore dans leur esprit, qui est que la seule répression (si nécessaire soit-elle) ne saurait suffire.

Les qualités humaines des hommes et des femmes qui s'attellent à la réhabilitation morale des enfants perdus doivent être exceptionnelles. Mais être éducateur est aussi un métier, qui doit être -p_érennisé par des conditions décentes de carrière et de ~tut (matériel et social).

À chacun de ces niveaux se retrouve un problème per- manent: l'atmosphère de mépris, voire d'hostilité, dont

1. Il ne faut, en général, pas grand-chose (surtout des moyens de transport) pour agir dans la rue. C'est en sortir l'enfant (foyer, école, apprentissage) qui coûte cher...

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l'opinion publique entoure ces enfants, perçus comme un danger qui appelle une seule réponse: la répression. Tant qu'il en sera ainsi, ils ne peuvent qu'être toujours plus refoulés au-delà des lisières de la société. Il faut donc impérativement s'efforcer de neutraliser cette force centri- fuge, c'est-à-dire faire comprendre à l'opinion que ces enfants sont des victimes, et non des ennemis. Pour cela doivent être mobilisés tous les moyens d'information dis- ponibles (presse, radio, télévision ...) et surtout les grands canaux qui façonnent l'esprit public (partis politiques, corps enseignant, associations de parents ou de rési- dents ...).

Mais cela veut dire aussi accepter d'être interpellé par ces jeunes, par ce que, plus ou moins maladroitement, ils disent et plus encore par ce qu'ils expriment, par leur créa- tivité, par les valeurs qu'ils portent, même si elles nous dérangent. Parler pour eux, c'est aussi, et d'abord, les écou- ter et les faire écouter.

La première des préventions de la marginalisation juvé- nile est de faire passer auprès de tous et de chacun le mes- sage qu'un minimum de sympathie entre la société et les plus déshérités de ces enfants est indispensable à leur réin- sertion parmi nous.

Yves MARGUERAT, chercheur en sciences sociales, üRSTüM (Lomé).

Revue internationale de criminologie et de police technique (Genève), 1989, n" 2 (p. 208-213).

2. Né de la ville!

Pour une méthodologie de l'

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accompagnement

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De 1983 à 1985, j'ai eu pour mission, au sein d'une équipe, d'adapter aux réalités locales une structure carita-

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MARJUVIA

(Marginalisation des jeunes dans les villes africaines)

, "

A L'ECOUTE

DES ENFANTS DE LA RUE EN AFRIQUE NOIRE

Documents édités par

Yves MARGUERAT et Danièle POITOU

Collection Les Enfants du Fleuve dirigée par Jean-Claude DIDELOT

FAYARD

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