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Des « communautés de relations au paysage » dans la campagne chilienne et leur contribution au développement territorial local : le cas de la commune de teno

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Des « communautés de relations au paysage » dans la campagne chilienne et leur contribution au développement territorial local : le cas

de la commune de teno

SUAREZ VALENZUELA, Sebastian

Abstract

L'étude s'intéresse aux représentations et aux valorisations que les habitants locaux ont du paysage rural dans la commune de Teno, dans le centre-sud du Chili, et aux pratiques qu'ils ont dans et avec le paysage. Il est proposé de construire une compréhension de la ruralité qui intègre trois domaines : les aspects matériels du monde rural, ses représentations et ses imaginaires, et l'expérience locale quotidienne. Cette perspective accorde une valeur centrale aux discours et aux aspirations des habitants concernant le développement local, proposant un renversement de la hiérarchie purement technique et académique dans la production de connaissances et dans la détermination du développement. La méthodologie d'étude est basée sur les " Communautés de relations au paysage " (Ruiz et Domon, 2013) comme outil d'étude des populations rurales, qui détermine des catégories de relations entre les habitants et le paysage. Cet outil se concentre sur l'analyse de l'espace social et paysager rural, sur la base de l'expérience spatiale et sociale que chaque individu a avec le territoire. Cette étude identifie [...]

SUAREZ VALENZUELA, Sebastian. Des « communautés de relations au paysage » dans la campagne chilienne et leur contribution au développement territorial local : le cas de la commune de teno . Master : Univ. Genève, 2021

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:155439

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(2)

Directrice : Prof. Irène Hirt Expert/e : Prof. Armelle Choplin

Des «Communautés de relations au paysage» dans la campagne chilienne

Août 2021

Mention Développement territorial des Suds

Sebastián Suárez Valenzuela

Mémoire no : 124

Suárez, 2021

Et leur contribution au développement territorial local:

le cas de la commune de Teno

Faculté des sciences de la société

Maîtrise universitaire en développement territorial

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Directrice : Prof. Irène Hirt Expert/e : Prof. Armelle Choplin

Des «Communautés de relations au paysage» dans la campagne chilienne

Août 2021

Mention Développement territorial des Suds

Sebastián Suárez Valenzuela

Et leur contribution au développement territorial local:

le cas de la commune de Teno

Faculté des sciences de la société

Maîtrise universitaire en développement territorial

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De par l’éloignement de ma maison et des personnes dont je me sens le plus proche, ces derniers mois ont secoué mon sens d’engagement social. Plusieurs jours j’ai voulu être là-bas. Parfois il a été difficile d’essayer de travailler sur ce mémoire et de me concentrer sur quelque chose qui peut sembler si étranger aux besoins et aux injustices les plus pressantes vécues au quotidien dans la région chilienne.

Je veux dédier ce travail aux habitant.e.s de Teno, en particulier à ceux et celles qui m’ont ouvert leurs portes. À ma famille, ma maman, mon papá, ma sœur et mes frères, et surtout à Camila, qui m’a toujours accompagné.

Je tiens tout particulièrement à remercier ma professeure et guide qui, avec clarté et patience, m’a poussé à terminer ce beau parcours d’études à Genève (et ailleurs).

(7)

Yo pregunto a los presentes si no se han puesto a pensar que esta tierra es de nosotros y no del que tenga más.

Yo pregunto si en la tierra nunca habrá pensado usted que si las manos son nuestras es nuestro lo que nos den.

A desalambrar, a desalambrar que la tierra es nuestra es tuya y de aquel

de Pedro y María, de Juan y José.

Daniel Viglietti, 1968

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Table des matières

Table des abréviations 8

Table des figures 9

Résumé / Summary 10

1. Introduction 12

1.1 Contexte et sujet d’étude 13

1.1.1 Question de recherche 16

1.1.2 Hypothèses 16

1.1.3 Objectifs 17

2. Cadre d’études de la ruralité et du développement rural 18

2.1 Existe-t-il une définition du rural ? 20

2.1.1. L’urbain et le capitalisme comme lecture de la vie sociale 22 2.1.2. Trois approches de la ruralité, de l’espace et du paysage rural 23 2.1.3. Les paysages du quotidien

et les « Communautés de relations au paysage » 34 2.1.4. La spécificité paysagère historique du monde rural 37 2.2 Des processus de transformation dans les territoires ruraux

au Chili et en Amérique latine 40

2.2.1. Les réformes agraires des années 1960-1970 40 2.2.2. La « nouvelle » ruralité en Amérique latine 42 2.2.3. Des transformations dans l’espace et le paysage rural. 45

2.3 Repenser le développement du monde rural 49

3. Méthodologie 56

3.1. Approche de la recherche et conception méthodologique 57

3.2. Définition du terrain 59

3.4 Grille et techniques de récolte d’information 60

3.5 Analyse 63

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4. Terrain d’étude 64

4.1 La région du Maule 66

4.2 Le territoire d’étude dans la commune de Teno. 69

5. Le paysage rural dans la commune de Teno 70

5.1 La ruralité matérielle-fonctionnelle 71

5.1.1 Éléments naturels abiotique et biologique 71

5.1.2 Société 75

5.1.3 Infrastructure 82

5.2 Des regards textuels : représentation et interprétations 93 5.2.1. Définitions de la ruralité au Chili et dans la région du Maule 93

5.2.2 Culture et identité rurale 97

5.2.3 Interprétations du paysage textuel 99

5.3 Des pratiques quotidiennes 110

6. Des communautés de relations au paysage

dans la commune de Teno 116

6.1 Identification des typologies de relations 118

6.2 Groupement des communautés de relations au paysage 122 6.3 Description des communautés

et de leurs paysages désirés et aspirations pour l’avenir 123 6.4 D’autres Communautés de relations au paysage

dans la commune de Teno 125

7. Réflexions pour un projet de territoire 126

7.1 Vers les « théories mineures» d’interprétation du paysage 127 7.2 Un projet de territoire issu de la localité 132

8. Conclusion 140

Bibliographie 146

Annexes 150

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Table des abréviations

ANT: Actor-network theory

APR: Association Rurales d’Eau Potable ARF: Association des Ruralistes Français

CLOC: Coordination Latino-américaine des Organisations Paysannes CONAF-UACH: Corporation Nationale Forestière

CORA: Corporation de la Réforme Agricole CRP: Communautés de Relations au Paysage DGA: Direction Générale d’Eaux

GORE: Gouvernement Régional

IICA: Institut Ibéro-américain de Coopération pour l’Agriculture INE: Institut National des Statistiques

IPT: Instruments de Planification Territoriale

LGUC: Loi Générale d’Urbanisme et de Construction

MIDEPLAN: Ministère de Développement Social et de la Famille MINAGRI: Ministère de l’Agriculture

MININTERIOR: Ministerio del interior y de la seguridad pública MINVU: Ministère du Logement et de l’Urbanisme

OCDE: Organisation de Coopération et de Développement Économiques OEA: Organisation des États Américains

ONU: Organisation des Nations Unis PRC: Plan Régulateur Communal

PRODESAL: Programme de Développement Local PROT: Plan Régional d’Aménagement du Territoire

RIMISP: Centre Latino-américain de Développement Rural SECPLAC: Département de planification communale TVB: Trame Verte et Bleue

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Table des figures

Toutes les photographies, dessins et cartes ont été faites par mes soins, sauf indi- cation contraire.

Image 1 : «El huaso y la lavandera» 31 Image 2 : Un cadre conceptuel pour le paysage 33 Image 3 : Région du Maule et aires geomorphologiques 67 Image 4 : Usages de sol dans la Région du Maule 68

Image 5 : Le terrain d’étude 69

Image 6 : Réseau hydrographique dans la commune de Teno 72 Image 7 : Couverture végétale des sols dans la commune de Teno 73 Image 8 : Transformation de la végétation 75 Image 9 : Comparaison de la perméabilité 74 Image 10 : Comparaison de la perméabilité 75

Image 11 : Densité de population 76

Image 12 : Example des parcelles des trois types d’agriculture 81

Image 13 : Réseau routier 83

Image 14 : Trois types de voies de circulation caractéristiques 83 Image 15 : Lotissement de parcelles d’un demi-hectare 85 Image 16 : Lotissement de l’asentamiento CORA 85 Image 17 : Zones de concentration du bâti et de subdivision foncière 86 Image 18 : Aldea San José et población Santa Rebeca 87 Image 19 : Parcelles héritées dapuis la Réforme Agricole 87 Image 20 : Grandes maisons dans des grandes parcelles 88 Image 21 : Vue aérienne du lotissement dans El Rincón 89 Image 22 : Vue lotissement dans El Rincón depuis l’autoroute 89 Image 23 : Évolution du bâti au secteur San José entre 2005 et 2021 91 Image 24 : Équipements collectifs dans le terrain d’étude 92 Image 25 : Aires urbaines et non urbaines dans la commune de Teno 95 Image 26 : Façade de l’église catholique de Santa Adela 98 Image 27 : Le «paysage typique de l’agriculture locale traditionnelle 101 Image 28 : Projet de forêt comestible 101 Image 29 : Maison d’un établissement de la CORA 103

Image 30 : Maison aux quatre 4x4 103

Image 31 : Des portails dans le secteur de Santa Laura 105 Image 32 : Aldea San José et población Santa Rebeca 105 Image 33 : Maisons sur une parcelle subdivisée 107 Image 34 : Un travailleur qui entretient un quincho 107 Image 35 : Texte exposée sur une peinture murale 109 Image 36 : La transformation de la colline Loma Pelá 109 Image 37 : Les pratiques du travail façonnant le paysage 113 Image 38 : Les réseaux d’électricité façonnant le paysage 113 Image 39 : Un poste de vente de légumes à côté de la route 115 Image 40 : Aménagement d’un point de vue sur les falaises 115 Image 41 : Illustration d’une incohérence 131

Image 42 : Démarche du projet 135

Image 43 : Image cible du projet 137

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Résumé / Summary

L’étude s’intéresse aux représentations et aux valorisations que les ha- bitants locaux ont du paysage rural dans la commune de Teno, dans le centre- sud du Chili, et aux pratiques qu’ils ont dans et avec le paysage. Il est proposé de construire une compréhension de la ruralité qui intègre trois domaines : les aspects matériels du monde rural, ses représentations, ses imaginaires, et l’expé- rience locale quotidienne. Cette perspective accorde une valeur centrale aux récits et aux aspirations des habitants concernant le développement local, et manifeste un renversement de la hiérarchie purement technique et académique dans la pro- duction des connaissances et la détermination du développement.

La méthodologie d’étude est basée sur les « Communautés de relations au paysage » (Ruiz et Domon, 2013) comme outil d’étude des populations rurales, qui détermine des catégories de relations entre les habitants et le paysage en concentrant l’analyse de l’espace social et paysager rural, sur la base de l’expé- rience que chaque individu a avec le territoire. Cette étude identifie trois Commu- nautés dont les aspirations de développement sont divergentes et portent des projets de territoire spécifiques à leurs intérêts ; projets qui, partant du local, pré- sentent une influence qui peut s’étendre à l’ensemble de la société.

(13)

11 This study focuses on representations and valuations that local inhabi-

tants have of the rural landscape in the municipality of Teno, in south-central Chile, as well as the practices they have in and with the landscape. It aims to construct an understanding of rurality that integrates three domains: the material aspects of the rural world, its representations and imaginaries, and the local daily experience.

This perspective places a central value on the discourses and aspirations of local people regarding local development, proposing a reversal of the purely technical and academic hierarchy in the production of knowledge and in the determination of development.

The study’s methodology is based on «Communities of relations to the landscape» (Ruiz and Domon, 2013) as a tool for studying rural populations, which determines categories of relations between inhabitants and the landscape by focu- sing the analysis of the rural social and landscape space, based on the experience that each individual has with the territory. This study identifies three communities with diverse development aspirations and territorial projects specific to their in- terests; projects which, starting from the local level, have an influence that can extend to the whole of society

(14)

1. Introduction

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1.1 Contexte et sujet d’étude

Les territoires ruraux du monde entier traversent aujourd’hui d’impor- tantes transformations dans tous les domaines : productifs, économiques, démo- graphiques, sociaux, paysagers, environnementaux. Ces changements résultent notamment de l’application des technologies et connaissances post-fordistes aux systèmes de production primaire et de leur intégration aux réseaux économiques globaux. Cela pousse les territoires ruraux des différentes régions du monde à faire face à des défis de plus en plus similaires, devant lesquels les spécificités lo- cales s’articulent en adoptant ces technologies et connaissances, en s’adaptant à elles, ou au contraire subissant leur action.

La production primaire, spécialement l’agriculture, constituait il y a quelques décennies encore le principal critère de définition de la ruralité du point de vue social, académique et politique. Mais, à partir des années 1970 et 1980, la mutation du système productif, accompagnée par le déploiement des activités secondaires et/ou tertiaires dans les territoires ruraux — tout ce que l’on peut nommer « multifonctionnalité » (Kay, 2009). Ce phénomène, additionné au regard postmoderne qui a produit un tournant culturel au sein des sciences sociales, a donné lieu à un nouveau débat sur l’interprétation du rural. Ce débat présente des lectures contraires prônant soit la fin des régimes agraires voire la fin du monde rural, soit le besoin de trouver ses nouvelles spécificités.

Ces transformations constituent aujourd’hui des enjeux majeurs pour le développement territorial. Parmi eux on peut parler par exemple de la conser- vation de la biodiversité, de la propriété et de l’utilisation de l’eau et des sols, de souveraineté alimentaire, d’aménagement des nouvelles zones résidentielles, de mobilité, de migrations, de reconfiguration des groupes et des rapports sociopoli- tiques à la campagne, de participation, autant d’éléments constituant les défis de la

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durabilité. Mais au Chili, ces enjeux ne sont pas pris en compte par des politiques publiques cohérentes avec l’importance qu’ils représentent pour les peuples et les écosystèmes. Les perspectives de développement propre au monde rural, qui prennent en considération les spécificités de chaque localité, et qui intègrent les diverses dynamiques ou forces motrices présentes dans les territoires sont lar- gement négligées. Ignorées ou méconnues par les acteurs politiques, les visions locales des problèmes et du développement ne peuvent se réaliser laissant place à l’implantation de modèles ou pratiques exogènes — relatifs à une notion de dé- veloppement dirigée depuis le « monde développé », qui définit des problèmes à

« réparer » dans le « tiers » monde (Umans et Arce, 2014). Les acteurs locaux et leur potentielle contribution à la détermination des modèles de développement des territoires ruraux demeuraient jusqu’à il y a 30 ou 40 ans en dehors des discours académiques ou politiques.

La confrontation entre ces dynamiques globales et celles qui se dé- ploient à petite échelle — des articulations et réarticulations de mobilité, de travail, d’occupation, d’établissement résidentiel, et même du regard sur le rural —, voire entre forces exogènes et locales, amène des changements dans la structure so- ciale et spatiale du paysage rural, et donne lieu à des volontés et aspirations chez les acteurs locaux pour le futur de leur territoire, à partir de leurs attachements ou intérêts individuels ou collectifs.

Dans la commune de Teno, au centre du Chili, la transformation du territoire que cette confrontation globale-locale se présente à un rythme rapide toujours mené par des initiatives privées et sans planification ni régulation. Le potentiel de productivité agricole de la terre et les ressources naturelles et hu- maines ont amené depuis quarante ans à la concentration de la propriété foncière agricole par de grandes entreprises, dont les régimes de travail industrialisés ont pour conséquence : la diminution du travail agricole traditionnel de subsistance

; la hausse de l’émigration de ces populations ; l’émergence de nouvelles niches d’emploi ; et l’attraction de main-d’oeuvre agricole saisonnière précarisée. D’un autre côté, les « aménités » des paysages ruraux attirent les populations citadines qui immigrent vers la campagne en cherchant un meilleur cadre de vie ou sim- plement un lieu pour la villégiature ; un mouvement qui est aussi facilité par la proximité des centres urbains et la connectivité routière. Ce sont des processus qui changent fortement la structure spatiale et foncière de la campagne et que l’on peut décrire comme la « rurbanisation » (Bauer et Roux, 1976) ; une notion qui exprime la confluence dans le territoire des expressions sociales et spatiales qui ont traditionnellement été considérées urbaines ou rurales, mais toujours comme deux pôles opposés.

Ce Mémoire plaide pour la construction et le positionnement d’une com- préhension des territoires à travers les acteurs locaux, ce qui pourrait signifier dans le contexte d’étude un renversement de l’approche de développement terri- torial, depuis la rationalité techno-scientifique et les priorités économico-politiques qui guident le développement territorial, vers le bien-être et la priorisation des va- lorisations que les communautés locales font de leur propre territoire. En s’inscri- vant dans ce cadre, ce travail met en avant la représentation et la valorisation que les habitants ont eux-mêmes du paysage comme moyen d’entrée pour l’étude du territoire, tout en profilant une approche locale pour le développement territorial, issue des problématiques et aspirations que ces habitants mettent en avant.

(17)

15 Dans ce contexte, j’adopte une approche à partir de trois volets que l’on

trouve abondamment dans la littérature de la ruralité, et qui ont guidé autant la méthode générale, l’approche théorique, le travail sur le terrain et l’analyse des données : la forme et l’expression matérielle de l’espace, y compris les dynamiques de sa production ; le domaine de la construction sociale et des représentations so- ciales de la ruralité (qui, comme nous le verrons, font partie intégrante de l’espace rural lui-même) ; et les pratiques et les valorisations qui s’entremêlent entre les ha- bitants et l’espace. Cependant, à chaque reprise ces volets se retrouvent chez les différents théoriciens d’une façon isolée ou bien avec un poids prépondérant pour l’une ou l’autre (Cloke, 2006, Halfacree, 2006). Ainsi, mon approche cherche à creu- ser les relations et les interdépendances entre le matériel, le représentationnel et les pratiques, dans la commune de Teno. Je considère cette mise en valeur de l’ex- périence sociale locale comme des indices, des approches et même des points de départ pour entreprendre des projets et des actions de développement territorial.

Pour m’en approcher, je prends appui spécialement sur les notions de

« Communautés de relations au paysage » (développée par Julie Ruiz et Gerald Domon depuis 2012) et des « paysages du quotidien » (tels qu’abordés par Eva Bigando, 2006, 2013), en tant que cadre pour l’analyse des relations sociospatiales propres aux territoires ruraux. Dans ce premier regard sur l’ensemble des phéno- mènes sociaux qui se manifestent dans l’espace rural, la production du paysage, en tant qu’entité produite par et productrice des rapports sensibles dans l’espace entre humains et non-humains, devient clé.

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16

1.1.1 Question de recherche

La question qui oriente cette recherche est la suivante :

Dans quelle mesure et autour de quelles pratiques et valeurs relatives au paysage local peut-on identifier et distinguer des « Communautés de relations au paysage » dans la commune de Teno ? Et quelles contributions apporte l’iden- tification de celles-ci pour envisager de nouvelles actions d’aménagement ou de développement territorial dans la commune ?

1.1.2 Hypothèses

Les pratiques que les habitants locaux entretiennent dans et avec le pay- sage dépendent de différents intérêts individuels. Ceux-ci sont basés sur plusieurs représentations et valorisations du paysage rural et de ses attributs. Ce trinôme pratiques-valorisations-intérêts permettrai de distinguer et différencier plusieurs

« Communautés de relations au paysage ».

Considérant que la catégorisation des Communautés de relations au paysage puisse être réalisée dans le cas d’étude, ce travail envisage deux hypo- thèses : premièrement, que les pratiques caractéristiques de certains habitants ou groupes d’habitants de Teno sont contraires aux valorisations et/ou aspirations d’autres habitants ou groupes d’habitants. Et même ces pratiques peuvent ne pas être compatibles avec la préservation des attributs du paysage qui sont juste à l’origine ou qui conditionnent leurs propres valorisations paysagères. En d’autres termes, il y aurait une incohérence entre les aspirations pour le paysage local que certains habitants expriment, et les pratiques qu’ils exercent au quotidien.

Et deuxièmement, différentes approches de projets pour le territoire peuvent être liées aux aspirations de chaque groupe d’habitants. D’une telle façon, si on regroupe les aspirations ou envies de vie pour l’avenir des différentes com- munautés de la commune de Teno, on pourrait donc construire une approche plus large et intégratrice pour le développement territorial local.

(19)

17

1.1.3 Objectifs

OBJECTIF GÉNÉRAL

Identifier les « Communautés de relations au paysage » (Ruiz et Domon, 2013) existantes dans la commune de Teno, en mettant en relation les pratiques et les valeurs qu’elles mobilisent avec les dynamiques de transformation de leur territoire, afin d’explorer leur potentialité d’application à un projet de territoire.

OBJECTIFS SPÉCIFIQUES

O1) Relever dans la commune de Teno les trois approches d’étude de la ruralité identifiées : celle de la réalité matérielle et des dynamiques de sa produc- tion ; celle de la construction sociale de cette même réalité et de l’interprétation textuelle du paysage chez habitants locaux ; et celle de l’expérience et de la perfor- mance dans l’espace.

O2) Identifier des « Communautés de relations au paysage » dans la com- mune de Teno en identifiant les attributs du territoire valorisés, les motifs de ces valorisations, les pratiques liées à ces valorisations, et les aspirations pour l’avenir du territoire chez les habitants locaux.

O3) Proposer une réflexion sur l’application des « Communautés de rela- tions au paysage » dans un projet de développement territorial rural. 

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2. Cadre d’études de la ruralité et du

développement rural

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19

« Peut-être devons-nous reconnaître que nous vivons dans un paysage théo- rique palimpseste, dans lequel les couches les plus récentes d’idées s’érodent pour révéler leurs relations topographiques intégrales avec les idées précé- dentes. Il se peut même que nous devions nous engager dans une réminis- cence palingénésique des ressources théoriques précédentes afin de révéler leur relation avec les “nouveaux” concepts ».

(Cloke, 2006, p.26, ma traduction).

Je vais d’abord présenter les approches conceptuelles au sujet de la ru- ralité que j’ai trouvé être les plus pertinentes pour traiter de mon sujet. Dans un premier temps je vais discuter l’intégration rural-urbaine, les définitions de la ru- ralité et le paysage rural, puis les « Communautés de relations au paysage (Ruiz et Domon, 2013, ci-après CRP) comme outil d’étude des populations rurales (§ 2.1).

Ensuite, je vais présenter les transformations et compositions actuelles de la rurali- té en Amérique latine, comme contexte qui permet d’identifier les expressions éco- nomiques, sociales et territoriales plus spécifiques ou propres au terrain d’étude (§ 2,2). Finalement, je vais dédier quelques lignes à l’approche du développement qui guide ce travail de Mémoire : des argumentations pour une notion du dévelop- pement centrée sur les acteurs locaux, qui prônent la croissance de l’autonomie des communautés en reconnaissant l’hétérogénéité, la complexité et la fluidité des contextes en transformation (§ 2,3).

(22)

20

2.1 Existe-t-il une définition du rural ?

La première difficulté théorique consiste à définir ce que « rural » veut dire. Quand on essaie de définir le domaine du rural à partir d’une méthodologie d’analyse « verticale » -qui réalise un parcours linéaire de son histoire pour aboutir à la compréhension du monde rural contemporain-, on note promptement qu’entre les différentes théories ou pensées du territoire des siècles passés, la notion de ruralité a germé, et s’appuie encore couramment, sur la différentiation entre ville et campagne comme deux entités territoriales opposées.

Cependant, de nos jours, accepter sans problématiser cette différentia- tion tranchée sur la base de critères prédéfinis, présente chaque fois moins d’uti- lité conceptuelle ou empirique au moment d’étudier les dynamiques de ces terri- toires. Cela est d’autant plus vrai quand on observe des situations qui contemplent une forte interaction entre le rural et l’urbain, voir leur coexistence. Comme on le verra plus loin, la difficile définition de la ruralité, entre « objectivité » et « subjectivi- té », a conduit les théoriciens à proclamer soit la supposée disparition du rural au détriment de l’urbain, soit un appel à redéfinir et requalifier le rural dans le monde contemporain.

Cette notion dualiste a créé l’image traditionnelle du monde rural, qui le représente comme l’espace social et géographique qui n’est pas entré dans la modernité et qui reste archaïque et sous-développé, tant en termes de développe- ment matériel qu’humain. En effet, même si le monde rural a toujours été associé aux mœurs de rusticité1, selon Robert Nisbet (cité par Gomez, 2001), la sociologie, au moment de se constituer comme discipline entre 1830 et 1900, s’est construite à partir de l’opposition d’une série d’« idées essentielles » : d’un côté, celles de

« conservatisme », « communauté », « autorité », « statut », « sacré » et « aliénation » ; et de l’autre celles de « rationalisme », « société », « pouvoir », « classe », « profane » et « progrès ». Ces idées essentielles ont vite été associées au rural pour les pre- mières, et à l’urbain pour les deuxièmes. Dans ce corpus théorique, Ferdinand Toënnies a ajouté à la fin du XIXe siècle que les « Communautés » et les « Socié- tés » seraient les seuls deux types de relations sociales humaines possibles. Les premières seraient fondées sur des volontés « primitives » et « naturelles », cor- respondant à « la volonté de vie des paysans et des artisans » ; pendant que les deuxièmes, propres aux « hommes d’affaires », seraient fondées sur des volontés qui peuvent être divergentes, mais coordonnés à travers de pactes ou contrats

1 Par exemple, le mot latin rūs ou rūris qui désignait directement la « campagne, propriété rurale » — d’où viennent les mots en français rural et ruralité —, était aussi jadis la racine de rusticus, qui en même temps désigne ce qui est relatif à la campagne, signifiait déjà aussi ce qui rappelle la campagne comme « Rustique, simple, naïf », mais aussi « grossier, balourd, gauche, prude, sauvage » (Gaffiot, 1934). Aussi le mot païen vient du latin pāgānus et désigne un paysan ou un villageois, mais aussi comme adjectif signifie « gentil ». En ajoutant un sens religieux, le mot en latin dénotait les po- pulations des campagnes dans la Rome du temps de l’adoption du christianisme, qui ont été les der- nières à abandonner ces croyances gréco-latines pour la nouvelle religion (Gougenheim, 2008).

(23)

21 (Gomez, 2001).

Faisant partie d’une approche dichotomique, ces oppositions étaient supposées se résoudre par la transformation de l’archaïque vers le moderne. Et du rural vers l’urbain. La notion moderniste de progrès offrait ainsi un destin pour les zones rurales : les théoriciens classiques des sciences sociales (Marx, Weber, Durkheim et d’autres) prévoyaient la « disparition graduelle de l’espace rural vers l’urbanisation ; la transformation de l’agriculture devenant une branche de l’indus- trie ; et de la conversion des établissements agricoles et d’élevage vers des « fa- briques vertes » (Ratier, 2002, p.11).

Cependant, le développement industriel dans les grandes villes a entraî- né un autre type de transformations sociospatiales des villes et des campagnes : de grandes masses de population ont migré vers les grandes villes en formant une classe prolétaire fortement précarisée qui s’est établie dans des habitats margi- naux tout en approfondissant les problèmes historiques de pauvreté et ségréga- tion dans les villes. Ce processus a aussi été l’expression — moins problématisée par les analyses de l’histoire et les théories de l’urbanisme — de la crise de pauvre- té qui subissait le monde rural.

Tout ce qui précède exprime la description traditionnelle du rural men- tionnée plus haut : des espaces ouverts où se trouvent les activités productives agricoles, qui ont comme seules caractéristiques propres le sous-développement autant productif que social, la pauvreté et la marginalité (Lefebvre, 1970).

Toujours par rapport à la ville, on peut ainsi affirmer que les espaces ruraux sont souvent considérés abstraitement comme l’espace « résiduel » de la croissance urbaine ; celui qui n’est pas encore devenu urbain (Gómez, 2001, p.11). La centralité de l’urbain dans les dynamiques et fonctions des territoires, en concentrant la productivité, les flux de population, la culture moderne, etc., a nourri les approches analytiques et discours descriptifs que l’on pourrait nommer

« urbain-centristes ». La théorie marxiste du déploiement de la plus-value dans le mode de production capitaliste a participé à l’élaboration de cette approche. En effet, à travers le déploiement de ses trois principales phases — à savoir, la for- mation, la réalisation ou consommation et la répartition de la plus-value —, l’ur- bain joue la fonction principale de centralité en retenant la plus grande partie de celle-là.

Tandis que l’esprit moderne proclamait la subjugation du rural par la primauté de l’industrie, la transformation des territoires ruraux serait venue plus précisément avec la primauté de l’urbain. Un monde urbain qu’il va falloir mettre en perspective avec les dynamiques territorialisantes du capitalisme.

(24)

22

2.1.1. L’urbain et le capitalisme comme lecture de la vie so- ciale

Pour Henri Lefebvre (1970), le phénomène urbain serait devenu la réalité de la planète. Celui-là serait constitué dès la moitié du XXe siècle et aurait marqué la fin de la primauté du régime social de l’industrialisation ; cette dernière a elle- même marqué la fin des régimes ruraux propres aux sociétés médiévales. Toute- fois, cette fin ou cet achèvement ne veut pas dire que les rapports sociaux issus du monde industriel ou du monde rural aient disparu.

L’urbain ne serait pas simplement « la ville » en soi, sinon les rapports sociaux nés dans les villes, au sein d’une société qui surmonte les conflits propres aux sociétés industrielles et qui profile de nouveaux terrains des significations de l’habiter. Ces rapports engendrent de nouveaux antagonismes, qui se répandent dans le territoire entier. L’urbain manifeste le contenu social et relationnel dans le territoire, en créant « des situations ou des actes autant ou plus que des objets » (Lefebvre, 1970) ; situations qui engloberaient le monde rural.

Spatialement, l’urbain ne serait par conséquent pas réductible à un système pouvant être défini à travers l’intelligibilité donnée par une certaine fer- meture, par une clôture. Refusant de parler de système, de structure ou d’autres qualificatifs qui renvoient à une vision étanche de l’urbain comme un « objet » de connaissance des sciences traditionnelles — « parcellaires » —, Lefebvre décrit les villes comme un rassemblement des différents ordres proches ou isotopies, qui gardent un ordre lointain entre eux ou hétérotopie, autour d’une centralité. Cette hétérotopie de la réalité urbaine, peut intégrer le rural et l’industriel :

« (…) simple analogie, l’exploitation agricole (la “ferme”) et l’entreprise (consti- tuée dès le temps de la manufacture) subissent l’épreuve, se transforment, s’insèrent en des formes nouvelles dans le tissu urbain. Ce qui définit une création (poièsis) au second degré, la production agricole et industrielle se situant au premier degré » (Lefebvre, 1970, p.184. Parenthèses dans l’original)

Pour Lefebvre, l’urbain est différent de l’urbanisme, ce dernier se réfé- rant à la pratique ou la discipline qui construit la ville. L’urbanisme s’exerce sans une épistémologie urbaine proprement dite, sans une scientificité spécifique d’ha- biter. Ce que l’urbanisme fait c’est construire dans l’espace et préserver les intérêts de classe (soit par le biais politique public, soit privé).

Dans la même ligne, Stathopoulos (2019) décrit l’urbanisation comme la

« spatialisation du modèle dominant, issu de la modernité, de son développement économique et de l’organisation productiviste du territoire », ajoutant que « les dy- namiques de l’urbain totalisant sont notamment stimulées par la composition de l’establishment, ce qui en est à l’origine » (Stathopoulos, 2019, pp. 13 et 14). Ce serait un « modèle totalisant » parce que celle-ci est en même temps le phénotype spatial et le substrat idéologique qui le produit. Stathopoulos commente que le déploiement de cette spatialisation ressemble à un liquide qui remplit tous les interstices, au « sens propre » (c’est-à-dire l’expansion physique) comme au « sens figuré » (l’imaginaire de l’urbanisation et l’idéologie de la croissance). Dans ce sens aussi Halfacree (2006) met en évidence la tendance de la spatialité du capitalisme pour défaire, démonter ou supprimer les démarcations géographiques dans le but

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23 de maximiser le développement du cycle de la plus-value (p.46).

Pour la suite de ce travail de mémoire, il est intéressant de retenir des paragraphes précédents l’existence de deux « réalités » : l’une capitaliste2 et l’une autre urbaine. La première construit l’habitat humain à travers un urbanisme qui densifie et étale les structures physiques de l’habitat, en exploitant les revenus immobiliers des sols et en excluant et ségréguant la population. La deuxième se manifeste dans l’espace physique comme la confrontation des logiques sociales locales avant la production capitaliste du territoire. En plus du rapport de confron- tation local-global, elle s’intéresse sur l’existence de situations, d’actes et de formes de vivre dans les territoires, alternatifs, voire contraires, à la logique de l’urbanisa- tion capitaliste.

Dans la potentielle logique d’une confrontation entre un local rural et un global urbain, les interrelations territoriales sont de nature à s’influencer mutuelle- ment et ne se limitent pas simplement à un flux d’influences depuis la ville comme rayon de modernité.

2.1.2. Trois approches de la ruralité, de l’espace et du paysage rural

Selon Cloke (2006), il y a principalement trois cadres conceptuels qui ont guidé la recherche du rural, et qui sont toujours en rapport avec les courants ou mouvements théoriques centraux notamment de la géographie, de la sociologie et de l’anthropologie du dernier siècle. On peut retrouver ces trois cadres dans la recherche relative à d’autres domaines, tels que l’espace rural (Halfacree, 2006, qui à partir de la production sociale de l’espace d’Henry Lefebvre, 1974, propose une

« Triple architecture de l’espace rural ») et le paysage (pas forcément centré sur le rural, comme le montrent Horton et Kraftl, 2014 et Debarbieux, 2001). Les trois cadres ont nourri la recherche de ce travail et ont fait partie de l’analyse du terrain d’étude dans la commune de Teno. Je vais maintenant les exposer en portant da- vantage l’attention sur les cadres conceptuelles — les approches en soi —, que sur les spécificités qui se développent dans chaque domaine — la ruralité elle-même, l’espace rural, et le paysage —.

Bien que la composante matérielle du territoire soit toujours présente comme socle d’analyse des trois approches, les lectures de la ruralité, de l’espace et du paysage se distinguent en ce qui concerne le poids assigné tantôt à la « ré- alité matérielle » elle-même  ; tantôt au contenu immatériel ; tantôt aux pratiques, aux expériences et aux sentiments que l’on peut avoir dans et avec le territoire.

Cette catégorisation est une lecture contemporaine ultérieure aux ana-

2 Mark Fisher (2009) se réfère à la notion de « Réalisme capitaliste » comme la réussite du capitalisme à constituer le seul ordre social possible d’imaginer dans notre société contemporaine.

Cela entraînant plusieurs mécanismes, les plus importantes sont une construction idéologique qui se présente à la fois comme fait empirique et nécessité (biologique, économique, etc.) ; et la « précor- poration » ou création et incorporation préventives des récits critiques au capitalisme ou alternatifs ; récits qui ouvrent nouveaux espaces de consommation. Même si la notion que je mentionne de réalité capitaliste ne se base pas sur la proposition de Fisher, mais sur celle de réalité urbaine chez Lefebvre, il est utile de garder la notion de « précorporation » de ces altérités — rurales — dans le domaine urbain, comme on verra après.

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24

lyses que plusieurs auteurs ont faites précédemment et qu’elle décrit. Parfois les auteurs des analyses se positionnent et s’identifient a priori avec un courant de pensée spécifique, mais ce n’est pas toujours le cas : comme le mentionne Debar- bieux (2001) par rapport au paysage, les différents courants de pensée peuvent faire partie de ces trois différentes approches, comme pour autant, ne faire partie d’aucune des trois.

DES REGARDS SUR LA RÉALITÉ MATÉRIELLE

La première approche des études rurales fait référence aux aspects ma- tériels (physiques) et « fonctionnels » (Cloke, 2006) du territoire. Jusqu’aux décen- nies 1960-1970, elle s’intéressait aux objets matériels de et les aspects physiques de l’espace de l’existence quotidienne, et considérait qu’à travers l’analyse détaillée de ceux-ci, on pourrait arriver à une compréhension globale de la ruralité. La pre- mière caractéristique des territoires ruraux sous cette approche était l’utilisation extensive des sols par les activités productives primaires (notamment l’agriculture).

Une autre caractéristique était les environnements peu denses, éléments que la plupart de ses habitants interpréteraient comme un aspect propre au rural. Der- nièrement, on peut compter « un mode de vie qui se caractérise par une identité cohésive fondée sur le respect des qualités environnementales et comportemen- tales de vivre en tant que partie intégrante d’un vaste paysage » (Cloke, p.20, ma traduction). Comme on peut le voir, depuis une description initialement matérielle et fonctionnelle, on arrivait à des conclusions dans les domaines de la représen- tation sociale et de modes de vie (qui sont justement les sujets d’intérêt des deux autres approches qu’on verra par la suite).

Cette position interprétative est commune aux écoles de la géographie culturelle dite Traditionnelle3 (l’école de Berkeley, née aux États-Unis après le pre- mier quart du XXe siècle), ou à la géographie culturelle Régionale (né en France au début du XXe siècle). Horton et Kraftl (2014) critiquent que ces deux écoles ont construit un regard de « romantisation quelque peu problématique ». La pre- mière utilisait en effet la notion de « cultures primitives », tandis que la seconde utilisait les notions de « paysans, de la culture folk, et des villages » comme « ex- pressions “authentiques” de l’identité régionale » (2014, pp. 9, 11). De plus, la pre- mière a considéré la notion de « cultural hearts », comme des lieux où les idées, technologies, normes et artefacts naîtraient, en irradiant et en influençant d’autres lieux, tout en constituant des aires ou des régions culturelles — conformément au modèle du continuum urbain-rural4.

3 Dans la période d’entre-deux guerres, l’école de Berkeley a construit une lecture du paysage qui le considérait comme un ensemble de traces ou d’effets que les cultures imprimaient sur leur environnement. Le paysage était pour ces théoriciens un artefact nettement matériel, et son analyse était donc morphologique. Cette conception reposait sur le binôme nature/culture, considérant cette dernière comme un « attribut collectif qui dispose d’une efficacité propre indépendante de la volonté des individus et des processus sociaux » (Debarbieux, 2001).

4 La notion de Continuum urbain-rural a été élaborée en 1929 par Pitrim Sorokin et Carle Zimmerman et a eu une grande répercussion. Elle propose une conception spatiale structurée par une centralité urbaine, autour de laquelle les éléments et infrastructures urbaines s’étalent dans un territoire. Ceux-ci perdent prépondérance dans l’espace ou disparaissent au fur et à mesure qu’on

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25 Ces critères ont promu la dichotomie entre le rural et l’urbain, et se ba-

saient sur des recherches empiriques dans des endroits délimités, tout en utilisant des indicateurs arbitraires pour déterminer le degré de ruralité (par exemple, une limite d’habitants par mètre carré, ou seuil d’habitants travaillant dans des activités productives primaires ou la distance aux grandes villes, etc.). Des indicateurs qui servent à contribuer à l’élaboration des politiques publiques. L’utilisation de cri- tères tant démographiques que matériels amène à un réductionnisme de la réalité territoriale, et à « une compréhension limitée » à l’échelle individuelle (Horton et Kraftl, 2014) même si les variables se complexifient.

Ces approches postulant l’homogénéité des populations rurales et la dé- termination des traits de personnalité des individus vivant à la campagne par le simple fait d’y vivre ont suscité des critiques. Dewey (1961, cité par Oliva, 1995), souligne l’impossibilité de déduire des traits de personnalité individuels à partir d’indicateurs simplement démographiques, ou de prendre ceux-ci comme base pour définir une organisation sociale. Les contributions de Lewis sont dans ce sens plus précises. Contre l’idée de l’homogénéité sociale interprétée en raison de l’isolement des populations ou de la présence d’un travail commun ou d’une façon commune d’habiter dans les communautés paysannes, Lewis (1966, et aussi cité par Oliva, 1995) a montré l’existence des différents groupes à l’intérieur des communautés rurales, définis par leurs intérêts de propriété et productivité de terre et de contrôle politique à niveau municipal, et qui entraînaient des rapports conflictuels, voire violents entre eux. Et contre l’idée de la disparition ou « déconfi- guration » des caractéristiques sociales propres des populations rurales produites par l’urbanisation, il a aussi montré la capacité des populations d’origine rurale de

« reconfigurer » des traits ou des rapports d’habiter propres à un contexte paysan, à travers la rencontre et la création des liens en espaces intimes ou publics, soit au sein des territoires ruraux en transition vers l’urbain, soit dans périphéries des grandes villes5.

Cloke (2006) identifie dans les études rurales une deuxième approche, qu’il nomme l’approche « systémique ». Cependant, afin de maintenir la cohérence narrative, je vais maintenant la présenter dans cette première catégorie de la ré- alité matérielle. En effet, les études sur l’espace rural et le paysage l’intègrent à l’approche matérialiste. Cette approche trait aux processus et dynamiques dans lesquels les éléments matériels sont produits, et elle envisage de comprendre la position du rural dans la « production sociale de l’existence » à travers des perspec- tives politico-économiques. Mais selon la perspective d’étude que chaque auteur prend et selon le contexte, on arrive à des interprétations très variées, même opposées.

s’éloigne du centre, en conformant des espaces à chaque fois moins urbains et plus ruraux, en arrivant à des extrêmes isolés nettement ruraux. On la représente couramment comme une série d’anneaux concentriques.

5 Les deux idées contraires à celles de Lewis appartiennent à Redfield (1941, cité par Oliva, 1995). Redfield a été formé au début à l’École de Chicago, qui se servait bien des communautés à Canada ou au Mexique, « pour y étudier in vivo ces fameuses folk societies, soit des sociétés rurales traditionnelles encore bien vivantes, ce qui n’était plus guère possible dans la société américaine qui avait achevé son destin historique de société urbaine, industrielle et moderne, aboutissement nécessaire de toute évolution sociale » (Jean, 1989). Ainsi, Redfield proposa son Continuum folk-urban à Tepoztlán en dessinant une homogène et harmonieuse vie campagnarde (Oliva, 1995), en écart aux villes développées. Et ç’a été à Tepoztlán aussi où Lewis étudia la construction des rapports sociaux actifs, conflictuels, hérités de la Révolution Mexicaine (Oliva, op.cit.).

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26

Une perspective est celle de la Théorie de l’Acteur-réseau (en anglais : Actor-Network Theory, ANT). Celle-ci offre également un regard matériel sur la ru- ralité, cependant moins déterministe que la susmentionnée. Elle prend aussi en compte les objets non-humains comme des acteurs jouant un rôle ensemble dans un grand système. Ces objets non-humains sont des éléments physiques, mais aussi des discours. Ils jouent un rôle important dans la création des lieux, et parmi eux, on peut compter des animaux, des végétaux, des objets technologiques ou des bâtiments. « La façon de penser le monde que ANT propose exige de se fo- caliser sur la relation entre les différents agents, en se concentrant plus sur les connexions que sur les choses elles-mêmes » (Horton et Kraftl, 2014).

Les constructions ou réalisations sociales et techniques y seraient des meilleures portes d’entrée, du fait que ceux-ci impliqueraient le déploiement des plusieurs pratiques technologiques, techniques, matérielles et de travail de divers acteurs (humains et non-humains). L’énorme tranche d’acteurs qui pourraient donc potentiellement figurer dans la production de l’espace, et la nature instable de certains d’entre eux, constituent nécessairement une nature changeante à ces espaces. Ainsi, la démarche et la pensée promue par la ANT considèrent le chan- gement, la fluidité et la mobilité des contextes ou réseaux en étude. Jones (2006) considère que la ANT offre une grande utilité pour les études rurales, parce que les acteurs topographiques et organiques sont importants dans la construction maté- rielle et sociale, et difficiles à ignorer dans le domaine du rural (comme on disait, la composante matérielle est toujours présente dans les différentes lectures).

Cependant, d’autres perspectives d’étude se sont centrées sur les dyna- miques économiques et politiques nationales et/ou internationales qui intègrent les territoires ruraux et qui opèrent sans bases spatiales (parce que globales).

Dans cette perspective, la ruralité en tant que catégorie analytique a été méprisée dans bon nombre de ces discussions. Les chercheurs ruraux ont été même invités à « se débarrasser du rural » (Hoggart, 1990) en tant que contenant intellectuel, et à rechercher des recherches sectorielles qui s’étendent au-delà des distinctions rurales-urbaines antérieures » (Cloke, p.20).

Cela, parce que prédéfinir une entité territoriale comme rurale avant de l’étudier, conduirait à une tergiversation des structures économiques présentes aux localités. Certains auteurs ont relativisé, voir nié la pertinence du terme « rura- lité » en tant que cadre descriptif d’une quelconque entité territoriale, dû à la diffi- culté de le définir, et au risque de manque de scientificité (où et comment placer la limite de densité, de la proportion de travailleurs agricoles, de distance aux centres urbains pour définir une localité comme rurale ?), ou même en raison de l’inutilité de le faire. Ainsi, la supposée impossibilité de définir la ruralité serait signe aussi de la fin du rural lui-même.

Influencés par la pensée de l’École de Chicago dès la moitié du siècle dernier, différents auteurs d’Amérique du Nord et d’Europe — notamment des sociologues — (Miner, 1952, Fortin, 1971, Association des Ruralistes Français, ARF, 1988, Mills, 2000, entre d’autres) ont interprété l’arrivée des populations d’origine urbaine à la campagne et la massification des services et « valeurs de vie urbaine » comme un signe de la fin des régimes ruraux. Même plus ; en 1972, devant un congrès de la Société de sociologie rurale aux États-Unis, James Coop a affirmé qu’« il n’y a pas de ruralité et il n’y a pas d’économie rurale. Il s’agit simplement de notre distinction analytique, de notre dispositif rhétorique. Nous avons tendance

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27 à ignorer l’importance de ce qui se passe dans l’ensemble de l’économie et de la

société et qui affecte le secteur rural. Nous avons tendance à considérer le secteur rural comme une entité distincte » (Coop, 1972, cité par Halfacree, 2006).

Cependant, une perspective plus politique d’idéologie marxiste, s’intéres- sant aux dynamiques de production de l’espace, attribue un intérêt spécial aux en- droits où se développent les pratiques quotidiennes de ces dynamiques globales.

C’est une perspective des « localités » (Halfacree. 2006) qui émerge contre l’idée de l’effacement des frontières et spécificités locales de la mainmise du capitalisme global. Les localités seraient à la fois « inscrites et utilisées par les processus so- ciaux ; produit et moyens de production ».

Ce qui les distinguerait sont les pratiques propres aux lieux, qui peuvent refléter les contradictions de forces et d’aspirations dans la production sociale de l’existence. De même, elles supportent des représentations quotidiennes de l’es- pace chez les habitants et la société en générale, tracées par des règles institution- nelles et/ou normes culturelles.

LA CONSTRUCTION SOCIALE ET LES SIGNIFICATIONS DE LA RURALITÉ

Le deuxième groupe rassemble des approches qui s’intéressent à la construction sociale et à l’interprétation intersubjective de la ruralité, de l’espace rural et du paysage rural. Pour Cloke (2006), cette approche reste en relation avec le tournant culturel des sciences sociales, qui s’intéresse aux des aspects de signi- fication, d’identité, de représentation, de différence, etc., au-delà de la matérialité et de la structure sociale qui les produisent.

Quelques auteurs s’intéressent aux « cohérences structurées » articu- lées par les relations sociales et institutionnelles, ce que Harvey (1985) appelle

« constructions sociales ». Celles-ci sont des conceptions spécifiques de chaque société par rapport aux concepts structurantes de leur identité, leurs dynamiques relationnelles, façons de comprendre le monde, etc6. Dans ces constructions so- ciales, les traits ou caractéristiques particuliers des concepts sont pris comme la façon de comprendre la chose (le concept) en soi. Dans le processus de leur consti- tution, le facteur culturel jouerait un rôle de stabilisation dans le local de ces carac- téristiques générales de la société : il les ancre à l’espace social local.

À mon avis, cette notion de constructions sociales peut expliquer la ten- dance discutée plus en haut de considérer la ruralité comme un concept obsolète et d’affirmer la fin du rural. Harvey montre que les conceptions des choses (la rura- lité dans ce cas) dépendent des structures de pouvoir et des relations sociales qui les façonnent. Et les transformations dans ces relations font changer les concep- tions des choses : les constructions sociales changent. C’est ce qui se passait à l’époque où Coop déclamait la fin du rural : dans les années 1970, d’importantes transformations dans la production capitaliste ont eu lieu. Avant cette décennie la production agricole était menée par un modèle fordiste, propre du cadre d’ac- tivation économique de la post-guerre. Cependant, depuis ces années-là, l’esprit productiviste agricole a laissé place à d’autres activités économiques différentes de l’agriculture dans les campagnes. Dans ce contexte, c’est compréhensible que

6 Par exemple, Harvey montre la Construction sociale de l’espace et du temps.

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28

la conception — traditionnelle — de la ruralité ne puisse plus décrire ce que subis- saient les campagnes. Toutefois, c’est la conception traditionnelle qui devrait avoir disparu, et non l’idée de la ruralité elle-même.

Dans le domaine de l’espace rural, Halfacree (2006) définit des « Repré- sentations formelles de l’espace rural », toujours depuis l’ouvrage de Lefebvre.

Celles-ci sont liées aux conceptions formelles de l’espace rural construites par les intérêts capitalistes des privés ou des politiciens. Ces conceptions légitiment les significations et les actions politiques qui visent à la marchandisation de l’espace rural7. Elles sont « traversées par un mélange de compréhension et d’idéologie » (Halfacree, 2006, p.51., sur Lefebvre, 1974).

Murdoch et Marsden (1994, cités par Ratier, 2002, p.13), en examinant les processus de migration des populations de classe moyenne depuis les villes vers les campagnes en Angleterre, considèrent que la ruralité est une représenta- tion — une image mentale, disons — forgée par les nouveaux arrivants venant des villes. Elle serait artificiellement construite par le rassemblement des envies des nouveaux habitants de vivre dans un environnement naturel8. Cette image serait utilisée par les citadins pour préserver les attributs paysagers des espaces campa- gnards, en réaction à leur possible disparition due à l’urbanisation. Ainsi, « si, à une certaine époque, une forme “réelle” de ruralité était à l’origine des représentations culturelles de la ruralité, il se peut aujourd’hui que les représentations culturelles précèdent et orientent la reconnaissance de l’espace rural, en nous présentant une sorte de ruralité virtuelle » (Cloke, 2006, p.22, italique dans le texte original).

De même, Mills (2000) ajoute que ce sont seulement des critères esthé- tiques et des définitions prescrites qui cataloguent certaines aires comme « ru- rales ». Pour lui, le rural est devenu comme l’urbain, mais « déconcentré » : avec une densité bâtie plus faible. Il considère même que « la campagne est dans de nombreux cas une ville avec beaucoup d’herbe » (Mills, 2006, p.6). Il parle d’idées pré-écrites parce qu’il est de plus en plus difficile de faire une distinction, même esthétique, du monde rural par rapport à la ville.

Quant au paysage, Horton et Kraftl (2014) parlent des approches qui prennent « le paysage en tant que texte ». Celles-ci explorent le sens et les signi- fications tant matérielles que représentationnelles. Ces conceptions considèrent le paysage moins comme une forme que comme « un système de signes et de symboles ; son approche relève donc (…) de l’étude des systèmes de signifiants et d’interprétations en insistant sur les relations établies entre les diverses modalités de la représentation » (Debarbieux, p.206).

Horton et Kraftl (2014) exposent l’approche développée par J.B. Jackson comme l’un des premiers à s’intéresser aux significations des paysages quotidiens et ordinaires — everyday landscapes —. Il s’intéresse à la culture comme mode de vie, et ses composantes matérielles : des maisons, des voitures, des magasins ou

7 La marchandisation c’est l’action de transformer quelque chose en un article qui peut être vendu ou achété. Dans des termes de la philosophie de Jean Baudrillard, la représentation et les significations menés par l’image de marque (branding) aujourd’hui déterminent fortement la valeur des marchandises, même plus que les facteurs matériels et du travail investis dans la production de celle-ci. Une valeur symbolique qui s’ajoute à la valeur matérielle.

8 D’autres processus de construction d’un imaginaire ou de représentations par un acteur ex- térieur, souvent issu d’une élite urbaine, ou culturelle, peuvent être mentionnés, tels que la construc- tion des représentations de la montagne montré Bernard Debarbieux (2001).

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29 des lieux de travail. Et il a aussi exploré le symbolisme dans le paysage, qui serait

une source de mythe, d’imagination et de valeurs symboliques pour les gens qui y habitent. Ainsi, d’autres chercheurs après lui ont interprété le paysage comme dé- tenteur de significations profondément ancrées pour les individus et les groupes dans leur quotidien.

Le paysage comme texte peut être analysé de deux manières différentes.

D’un côté, il peut être représenté à travers des textes9 (peinture, photographie, poésie ou autres textes avec un contenu communicatif), par les acteurs qui ont le pouvoir de le faire, pour élaborer un discours sur le monde construit par eux- mêmes ou pour leur profit. Cela, dans l’intention d’invisibiliser des identités — une

« prescription paysagère » —, ou de naturaliser des rôles des acteurs dominés en leur assignant une identité — une « assignation paysagère ».

Prenons par exemple l’image 1, tableau de Mauricio Rugendas. Selon la description du Musée National des Beaux-arts du Chili, l’oeuvre du peintre est caractéristique « dans la représentation et l’identification des identités latino-amé- ricaines émergentes ». On pourrait « lire » certains éléments dans le sens de l’assi- gnation paysagère précédemment mentionnée, et trouver quelques significations au-delà d’une rencontre « romantique ». On y voit documentés par le peintre dif- férents individus dans une scène du paysage rural chilien. Au premier plan, une femme lave dans un cours d’eau, pendant qu’un contremaître profitant de son temps libre s’approche d’elle pour lui parler, sans descendre du cheval. En ar- rière-plan on trouve d’autres personnages : à gauche un homme qui dort — proba- blement même ivre ? —, et à droite deux autres hommes élégamment habillés en train de regarder le paysage arboré naturel au fond pendant qu’un péon marche à côté d’eux. Les deux personnages qui travaillent dans la scène sont la femme et, peut-être, le péon. Dans un tel paysage naturel, cette organisation et ces rôles deviennent naturels grâce à la peinture, qui contribue à donner forme et valeurs à la construction sociale paysagère.

De l’autre côté, le paysage peut être lu comme un texte à partir de ses composants matériels. Cela considérant, par exemple, que certains espaces ou bâ- timents d’une valeur remarquable peuvent être construits ou aménagés avec une intentionnalité de représentation du pouvoir et des symboles idéologiques. Mais pas seulement dans des contextes remarquables : même le paysage quotidien, les pratiques journalières de production de l’espace peuvent produire des éléments matériels qui pourraient contenir des signes ou de symboles de valeur qui véhi- culent des valeurs ou l’intention des gens ou des organisations qui les construisent.

Dans les domaines de la ruralité et de l’espace rural on constate que la construction sociale de la ruralité se fait par des regards extérieurs : sont les ins- titutions, le marché, ou le monde académique qui délimitent la représentation du rural. Mais l’approche de l’étude du paysage qu’ici je propose cherche à surélève des regards internes aux localités, en accord avec l’identité des habitants, en se centrant sur leur propre regard.

9 Duncan et Duncan (1988) considèrent comme textes non seulement les textes écrits, mais toute production qui utilise des signes, des objets ou même des actions qui contiennent du sens. Et ce sens n’est ni invariable ni stable selon la volonté du créateur, mais dépend de l’interprétation et des significations qui lui sont attribuées par les individus et leur héritage culturel.

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Cependant, en termes sémiotiques, Cloke (2006, en citant Halfacree, 1993) souligne que chaque nouvelle signification de la ruralité qui émerge (ce que chaque acteur institutionnel, privé, local, etc., attribue à la ruralité selon ses inté- rêts et son expérience) contribue à détacher le signe (ou l’éventuel sens « propre » de la ruralité au regard fonctionnel), de son référent (l’espace géographique auquel ledit sens de la ruralité fonctionnelle est ou était attaché) (Cloke, 2006, p.22). Pour Duncan et Duncan (1988), on peut comprendre le sens du paysage comme l’inter- section entre sa forme matérielle, l’« artefact » produit socialement, et ses significa- tions (qui sont liées à la manière sensible d’appréhender le milieu physique et son contenu textuel produit à différentes échelles spatiales et sociales). Dans l’optique de la théorie littéraire poststructuraliste, ce sens serait très varié, dépendant des significations et de l’interprétation. Il pourrait donc « varier à l’infini ». Et cette varia- bilité des représentations et des articulations des discours de la ruralité a amené Pratt (1996, citée par Halfacree, 2006) à postuler qu’il n’existe pas une seule rurali- té ; sinon plusieurs, baptisant ces études comme « post-rurales ».

Toutefois, Duncan et Duncan (1988) considèrent que la polysémie n’est pas limitée. Elle serait attachée à l’expérience du monde de chaque personne, et les interprétations sont aussi dues en partie à un contexte culturel, et issues des communautés d’interprètes, pouvant être aussi le reflet des systèmes de valeur.

L’EXPÉRIENCE QUOTIDIENNE

La troisième approche est celle de la vie quotidienne et des pratiques.

Cloke (2006) appelle les études rurales à rapprocher les conceptions matérielles et imaginatives de l’espace rural à travers leurs intersections dans des pratiques par- ticulières. À prendre en charge la tâche d’identifier les pratiques clés permettant d’exprimer les connexions internes et externes entre les domaines matériaux et l’imaginaire du rural. Cela, parce que l’espace rural de la production sociale maté- rielle existe que à travers des « pratiques des processus structuraux », et l’espace idéationnel des représentations sociales existe que à travers des « pratiques d’in- teraction discursives » (Halfacree, 2006, p.48).

Cloke (2006) réfléchit sur le fait que quelques idées importantes du tour- nant culturel ont conduit à sous-estimer certains problèmes fondamentaux et propres à des territoires ruraux : tel est le cas, par exemple pour les politiques qui ont laissé de côté les critères matériels et productifs de la pauvreté rurale, en se concentrant davantage sur des critères d’exclusion sociale.

« Lorsque le tournant culturel est déployé sans analyse critique des relations de pouvoir, il passe à côté des impacts potentiels des pratiques sociales et des politiques émancipatrices. Cependant, lorsque la fécondité conceptuelle du tournant culturel est poursuivie en conjonction avec une analyse plus critique des relations de pouvoir, il est possible de contribuer de manière significative à la compréhension plus large et à l’importance critique des agendas de la politique rurale » (Cloke, 2006, p.26).

Dans le domaine de l’espace rural, Halfacree (2006) parle de la « vie quo- tidienne du rural » en prenant la notion de Lefebvre sur les « espaces de repré- sentation », qui « font référence à l’espace vernaculaire approprié symboliquement par ses utilisateurs » (Halfacree, 2006, p.51). Devant les espaces de représentation formelle du rural (manipulés par le pouvoir du capital privé et public), la vie quoti-

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Image 1 : « El huaso y la lavandera » (Le « paysan à cheval » et la lavandière), peinture de l’allemand Mauricio Rugendas faite dans la campagne chilienne vers 1835, lors d’une expédition scientifique.

Source : Site internet du Musée national des beaux-arts, www.mnba.cl

Références

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