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Les origines et le fondement du contrôle de la constitutionnalité des lois en Suisse et en Grèce

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Les origines et le fondement du contrôle de la constitutionnalité des lois en Suisse et en Grèce

KASTANAS, Elias

KASTANAS, Elias. Les origines et le fondement du contrôle de la constitutionnalité des lois en Suisse et en Grèce . Bâle : Helbing & Lichtenhahn, 1993, 127 p.

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:138293

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LES ORIGINES ET LE FONDEMENT DU

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CONTROLE DE LA

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CONSTITUTIONNALITE DES LOIS EN SUISSE ET

EN GRECE '

Helbing & Lichtenhahn

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COLLECTION GENEVOISE

LES ORIGINES ET LE FONDEMENT DU CONTRÔLE DE LA CONSTITUTIONNALITÉ

DES LOIS EN SUISSE ET EN GRÈCE

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COLLECTION GENEVOISE

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COLLECTION GENEVOISE

Elias Kastanas

LES ORIGINES ET LE FONDEMENT

DU CONTRÔLE DE LA CONSTITUTIONNALITÉ DES LOIS EN SUISSE ET EN GRÈCE

Helbing & Lichtenhahn Bâle et Francfort-sur-le-Main 1993

Faculté de Droit de Genève

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Catalogage en publication de la Deutsche Bibliothek

Kastanas, Elias:

Les origines et le fondement du contrôle de la constitutionnalité des lois en Suisse et en Grèce/ Elias Kastanas. Faculté de Droit de Genève. - Bâle ; Francfort-sur-ie- Main : Helbing und Lichtenhahn, 1993

(Collection genevoise) ISBN 3-7190-1294-8

L'œuvre, ses textes, les illustrations et la forme qu'elle contient sont protégés par la loi.

Toute utilisation en dehors des strictes limites de la loi sur les droits d'auteur sans l'accord de l'éditeur est illicite et répréhensible. Ceci est valable en particulier pour les reproductions, traductions, microfilms et pour la mise en mémoire et le traitement sur

des programmes et des systèmes électroniques.

ISBN 3-7190-1294-8 Numéro de commande 210 1294

© 1993 by Helbing & Lichtenhahn, Bâle Conception graphique: Vischer & Vettiger, Bâle

(7)

TABLE DES MATIÈRES

pages

INTRODUCTION 1

PREMIERE PARTIE : LE FONDEMENT, LA LEGITIMITE ET LE CARACTERE CONCRET ET DIFFUS DU CONTROLE DE

LA CONSTITUTIONNALITÉ DES LOIS 3

1. APERÇU HISTORIQUE

A. La négation du contrôle judiciaire

5 5

a. L'hostilité du constituant et du législateur suisses 6 b. L'hostilité de la jurisprudence grecque 7 B. La reconnaissance du contrôle judiciaire 9

a. Les révisions constitutionnelles et législatives

et le rôle de la jurisprudence en Suisse 9 b. Le changement de la jurisprudence en Grèce et

la concrétisation du principe dans la Constitution 13

II. LES BASES CONSTITUTIONNELLES ET LA NECESSITE DU CONTROLE DE LA

CONSTITUTIONNALITE DES LOIS 16

A. La recherche d'un fondement du contrôle de la constitutionnalité des lois

a. Le contrôle judiciaire des lois en tant que conséquence de la rigidité de la Constitution :

17

le cas de la Grèce 17

(8)

b. Le contrôle judiciaire en tant que conséquence de la suprématie du droit fédéral : le cas de la

Pages

Suisse 21

i. La suprématie de la Constitution formelle et

le contrôle de la constitutionnalité des lois 22 ii. La force dérogatoire du droit fédéral et le

contrôle de la constitutionnalité des lois 25

B. La recherche d'un gardien de la Constitution 30 a. Les autorités politiques et la garantie de

respect de la Constitution

i. Le législateur comme instance d'auto-contrôle et interprète de la Constitution

- Le contrôle parlementaire préventif de la constitutionnalité

- La prépondérance du législateur en Suisse

- La prépondérance du législateur en Grèce

ii. Les contre-poids non judiciaires au pouvoir législatif

31

31 31 33 36 38 b. La nécessité de la garantie judiciaire 42

i. L'adaptation des normes à l'évolution de

l'ordre juridique 42

ii. La nécessité de l'introduction d'un élément

antimajoritaire 46

III. LE CARACTERE CONCRET ET DIFFUS DU

CONTROLE DE LA CONSTITUTIONNALITE 52 A. L'originalité du contrôle concret et diffus 52

(9)

a. L'équilibre entre le pouvoir législatif et les tribunaux

b. Le caractère individualiste du contrôle concret et diffus

B.

Le contrôle par des organes administratifs a. Une structure difficilement adaptée au

contrôle préjudiciel

b. Un contrôle nécessaire mais limité

DEUXIÈME PARTIE: LES LIMITES DU CONTROLE CONCRET ET DIFFUS

1. CONSTITUTIONS CANTONALES ET VICES DE FORME : DES ACTES ET DES GRIEFS

53

57 63

63 65

71

IMMUNISES PAR LA JURISPRUDENCE 73

A. Le souci de ne pas s'opposer au contrôle

exercé par le Parlement : le cas de la Suisse 74 B. Le souci de ne pas s'ingérer dans la "vie

intérieure" du Parlement : le cas de la Grèce 79 a. Une jurisprudence restrictive et constante 80 b. Vers un contrôle nécessaire et possible 83

II. UNE TENDANCE VERS LA CENTRALISATION

DU CONTRÔLE PRÉJUDICIEL 88

A. L'institution d'une "Cour constitutionnelle"

dans un système de contrôle

concret et diffus 88

(10)

a. La Cour Spéciale Suprême et l'atténuation du caractère concret et diffus de la juridiction

constitutionnelle en Grèce 89

b. Un bouleversement qui n'a pas eu lieu 93 i. La portée limitée du contrôle abstrait en

~ce ~

ii. La complémentarité du contrôle abstrait

et du contrôle concret en Suisse 98

B. La prépondérance du Conseil d'Etat et du Tribunal Fédéral en tant que facteur de

centralisation 100

a. La garantie constitutionnelle des compétences

du Conseil d'Etat et du Tribunal Fédéral 101 b. La marginalisation de la juridiction

constitutionnelle cantonale suisse 107

CONCLUSION BIBLIOGRAPHIE

113 119

(11)

INTRODUCTION

On parle parfois de "trois vagues" d'expansion du contrôle de la constitutionnalité des lois dans les systèmes juridiques européens : l'expérience kelsénienne, pendant l'entre-deux-guerres, la création des Cours constitutionnelles aux compétences élargies après la Seconde guerre mondiale et, finalement, la consolidation de la reconnaissance générale de cette nouvelle forme de juridiction après 19701. Ces étapes successives ont eu pour résultat l'établissement d'un système européen de justice constitutionnelle dont les grands traits caractéristiques sont les suivants : création d'une Cour constitutionnelle qui se situe au-delà des juridictions ordinaires ; séparation du contentieux constitutionnel par rapport aux autres contentieux ; saisine non seulement par les particuliers, mais aussi par les tribunaux et les autorités politiques ; contrôle souvent abstrait, voire préventif; effet erga omnes de la décision2. Or, ce système, bien que dominant en Europe, n'est pas le seul existant : la Suisse et la Grèce ont suivi, avec des limitations importantes (notamment l'immunité des lois fédérales en Suisse), un autre modèle, celui du contrôle préjudiciel et diffus des lois, exercé par tous les tribunaux, et même par des autorités administratives, dans le cadre d'un litige concret et aux effets inter partes.

Les prémisses théoriques, le fondement de ce type de contrôle ont été différents dans les deux pays : mais, dans la doctrine et la jurisprudence, on voit se refléter les mêmes questions fondamentales, les mêmes grands principes, les mêmes contradictions. Il s'agit d'une expérience plus que centenaire ; il n'est pas possible d'étudier les libertés fondamentales et l'organisation des pouvoirs publics dans les deux pays, sans prendre en compte la jurisprudence constitutionnelle, notamment des Cours suprêmes. Il est donc intéressant d'analyser ces deux systèmes et d'en tracer l'évolution, dans les lignes générales.

L'objet de ce travail se limite au contrôle préjudiciel des lois formelles, en excluant celui des ordonnances. Non pas que le contrôle des lois matérielles soit moins important dans un Etat de droit, mais nous avons voulu traiter le "problème majeur" de la juridiction constitutionnelle, c'est-à-dire les pouvoirs du juge vis-à-vis d'une norme édictée par le législateur, représentant direct du peuple. Nous excluons aussi le contrôle

1 2

Cf. FAVOREU, p. 286.

Cf. FAVOREU (1988), p. 57-61.

(12)

des lois par rapport aux normes internationales, et notamment l'examen de la "conventionnalité" d'une loi. En effet, les données sont assez différentes, dans la mesure où la Grèce est membre des Communautés européennes, ce qui lui pose des contraintes différentes par rapport au contrôle de la conformité des lois avec la CEDH.

Ce mémoire est divisé en deux parties : dans la première, nous allons examiner les origines et le fondement du contrôle préjudiciel et diffus en droit suisse et en droit grec ; après avoir énoncé le principe, nous examinerons dans la deuxième partie les "correctifs" : les actes cantonaux immunisés non par la Constitution fédérale suisse mais par la jurisprudence et la retenue des tribunaux, les vices formels des lois en Grèce, graves et fréquents, mais non sanctionnés par le juge et, surtout, la nette tendance à la centralisation du contrôle, effet des deux voies de recours privilégiées, le recours de droit public en Suisse et le recours pour excès de pouvoir en Grèce, et de l'introduction par la Constitution grecque de 1975 d'une Cour Spéciale suprême, comme tentative d'unifier la jurisprudence constitutionnelle.

(13)

PREMIERE PARTIE

LE FONDEMENT, LA LEGITIMITE ET LE CARACTERE CONCRET ET DIFFUS DU CONTROLE DE LA CONSTITUTIONNALITE

DES LOIS

(14)
(15)

La particularité du contrôle préjudiciel et diffus de la constitutionnalité des lois consiste dans le fait qu'il peut échapper à une réglementation expresse par le constituant ou le législateur, contrairement au contrôle abstrait et concentré3. Mais ce n'est pas pour autant un principe inhérent à tout ordre juridique : des pays comme la France ou la Belgique, des "Etats de droit"

incontestablement, ont refusé, pendant longtemps, tout contrôle judiciaire des lois, en confiant la protection des droits individuels à la juridiction administrative, contre le pouvoir exécutif. D'autre part, le juge n'est pas libre de se reconnaître un tel droit ; il ne peut pas usurper une compétence, mais, au contraire, il doit interpréter un silence éventuel de la Constitution.

Loin d'être évident, le contrôle préjudiciel des lois suppose l'existence d'une constitution rigide, conçue comme loi suprême et fondamentale, conjuguée à l'incapacité fonctionnelle du processus politique ou du législateur d'assurer l'observation de la loi fondamentale et à la reconnaissance au juge de la tâche d'actualiser et de concrétiser le droit constitutionnel et d'en sanctionner les violations. Une telle synthèse s'est- elle produite en droit suisse et en droit grec ? Quelles en sont les modalités ? Ce sera l'objet de la première partie de ce travail, après un bref aperçu historique.

1. APERÇU HISTORIQUE

A. La négation du contrôle judiciaire

C'est au cours du 19e siècle que les grandes lignes de la juridiction constitutionnelle ont été tracées en Suisse et en Grèce. Du point de vue du droit comparé, le contexte n'était pas favorable. Certes, le célèbre arrêt Marbury v. Madison de la Cour suprême américaine datait de 1803, mais il n'a pas pu être exporté en Europe. Même aux Etats-Unis, il n'y a pas eu, jusqu'à la fin du l 9e siècle, beaucoup de cas de non-application des lois, à cause de leur inconstitutionnalité. En Europe, la création d'une juridiction constitutionnelle n'était pas une préoccupation immédiate4.

4 Cf. ZIMMERMANN, p. 22.

Cf. ZIMMERMANN, p. 45.

(16)

Mais la création des Etats fédéraux commençait à en démontrer la nécessité ou l'opportunité. On pourrait évoquer l'exemple de la Paulskirchen- verfassung de Francfort de 1848, un projet non appliqué, qui prévoyait la possibilité pour un Etat fédéré d'attaquer une loi de l'Empire pour violation de la Constitution de l'Empire et pour les particuliers d'attaquer une loi d'un Etat fédéré pour violation d'un droit fondamentalS,

a. l'hostilité du constituant et du législateur suisses

En Suisse, le contrôle des lois a été expressément réglé par la Constitution fédérale de 1848. Avec cette Constitution, la Suisse cessait d'être une Confédération d'Etats souverains et devenait un Etat fédéral6, Il était donc nécessaire de substituer aux Cours d'arbitrage un véritable Tribunal fédéral.

Des projets élaborés par une Commission de la Diète en 1832 et 1833 prévoyaient la création d'un Tribunal fédéral, qui serait compétent pour trancher les litiges entre les cantons, entre le Conseil fédéral et les cantons, de même que les litiges relatifs à la violation des droits individuels fédéraux par le gouvernement d'un autre canton'. La Constitution fédérale de 1848 institua un Tribunal fédéral, distinct du législatif et de l'exécutif, mais jouant un rôle marginal. Le contrôle des normes était confié aux autorités politiques : au Conseil fédéral d'abord, qui, selon l'art. 90 al. 2,

"veille à l'observation de la Constitution, des lois ... de la Confédération ; il prend de son chef ou sur plainte, les mesures nécessaires pour les faire observer". En deuxième instance, les particuliers et les cantons pouvaient recourir à l'Assemblée fédérale "contre les décisions ou mesures prises par le Conseil fédéral", selon l'art. 74 ch. 15 de la Cst. féd. L'Assemblée fédérale pouvait, en vertu de l'art. 205, renvoyer les plaintes devant le Tribunal fédéral, possibilité utilisée une seule fois par le corps législatif8.

Comme l'a observé DUBS, la question de savoir si, dans un cas concret, le recours devrait être transféré au Tribunal fédéral provoquait une discussion approfondie sur le fond ; ainsi, l'Assemblée préférait au bout du compte trancher elle-même le litige9.

5 6 7 8 9

Cf. WENDENBURG, p. 17 et s.

Cf. AUBERT (1967/1982), t. I, p. 34.

Cf. OETER, p. 549.

Cf. ZIMMERMANN, p. 60.

Cf. DUBS, p. 606.

(17)

Un Tribunal fédéral faible, siégeant occasionnellement, élu parmi les membres de l'Assemblée fédérale, ressemblant à une commission parlementaire plutôt qu'à un tribunal, une jurisprudence constitutionnelle confiée presque exclusivement aux autorités politiques, telle fut la première expérience helvétique. Mais en Grèce, aussi, l'introduction du contrôle de la constitutionnalité des lois a connu, au début, des obstacles.

b. L'hostilité de la jurisprudence grecque

A la différence de la première constitution fédérale suisse, les premières constitutions grecques ne réglementaient pas explicitement le contrôle de la constitutionnalité des lois. Les constitutions issues de la Guerre d'Indépendance (1821-1832) avaient un caractère démocratique, en reconnaissant la "nation" (notion en principe identique à celle de "peuple") comme source de tous les pouvoirs, et libéral, en consacrant presque toutes les libertés individuelles énoncées dans les Déclarations des Droits de l'homme française et américaine. L'indépendance du pouvoir judiciaire, ainsi que la suprématie de la constitution par rapport à la loi ordinaire ont été explicitement affirmées. Ces principes ont été repris dans la Constitution monarchique de 1843. C'est sous le régime de cette constitution que la question du contrôle préjudiciel des lois fut posée pour la première fois. Le juge grec fut contraint d'interpréter le silence du texte constitutionnel. A l'occasion d'un procès qui opposait l'Etat à un particulier faisant valoir des droits de propriété sur un village, la Cour de Cassation, nommée Aréopage, jugea que "s'il est bien vrai que les tribunaux sont compétents pour examiner si les textes qui leur sont déférés comme étant des actes législatifs revêtent effectivement ce caractère, c'est-à-dire s'ils possèdent les formes requises par la Constitution pour constituer des décisions législatives .. ., les Cours ne sont pas compétentes pour contrôler les actes législatifs quant à leur contenu, car il n'est point concevable que l'autorité représentant le pouvoir souverain de la Nation puisse agir illégalement ; le juge doit appliquer la loi ; il ne peut ni la critiquer ni l'écarter, sous prétexte que le pouvoir souverain de la Nation n'avait pas le pouvoir de prendre une décision pareille. La conception contraire aurait pour effet la subordination de la loi au pouvoir judiciaire, alors que ce dernier est tenu de lui obéir et de l'appliquer sans pouvoir de censurelO" Il

10 Arrêt n° 198 de 1847; cf. SASSALOS, p. 34; VEGLERIS (1967), p. 449.

(18)

faut signaler que, dans ce cas concret, c'était l'Etat qui soulevait le grief d'inconstitutionnalité d'une loi, sur laquelle son adversaire fondait son prétendu droitll. Le juge défendait donc une prérogative du pouvoir législatif que l'Etat, lui, niait, pour mieux défendre ses intérêts contre un justiciable. Dans un autre arrêt de 1848, la Cour d'appel d'Athènes a confirmé cette jurisprudence de !'Aréopage, en affirmant que "la volonté du pouvoir législatif, telle que dégagée par ses actes, doit être le guide des sentences des tribunaux". La jurisprudence de la Cour de cassation grecque semble constante pendant cette période, malgré une décision de 1854, dans laquelle !'Aréopage a examiné la constitutionnalité "matérielle" d'une loi pour l'admettre12 (une démarche suivie dans quelques arrêts même par des tribunaux judiciaires français pendant le l 9e siècle, sans que cela se traduise par une position plus favorable au contrôle de la constitutionnalité). Dans une autre décision de 1870, !'Aréopage a refusé d'examiner la constitutionnalité d'une loi, en invoquant cette fois le principe de la séparation des pouvoirs : selon ce principe, "les tribunaux ne sont pas compétents pour juger une loi quant au fond ; même si cette dernière porte atteinte à des droits acquis, ils sont obligés de l'appliquer telle qu'elle est".

Il s'ensuit que, dans une première période, le juge grec a considéré le silence sur ce sujet des constitutions issues de la Guerre d'Indépendance et de celles de 1843 et de 1864 comme un silence qualifié lui interdisant d'examiner la constitutionnalité des lois. De plus, aucun recours devant les autorités politiques n'était prévu pour le particulier. Dans cette première période, les deux ordres juridiques que nous examinons ici étaient hostiles à la ''judicial review". Mais un changement n'allait pas tarder: en Suisse, suite à une révision constitutionnelle, en Grèce, grâce à un revirement définitif de la jurisprudence.

11 12

Cf. VEGLERIS (1967), p. 448.

Cf. SASSALOS, p. 35.

(19)

B. La reconnaissance du contrôle judiciaire

a. Les révisions constitutionnelles et législatives et le rôle de la jurisprudence en Suisse

La concentration de toute la jurisprudence constitutionnelle suisse dans les mains des autorités politiques paraissait insatisfaisante, même pour le corps législatif : le Conseil National et le Conseil des Etats ont proposé, en 1857, respectivement en 1863, au Conseil fédéral d'étudier la possibilité d'élargir les compétences du Tribunal fédéral13. Comme une telle modification nécessitait la révision de la Constitution, on a dû attendre la révision totale de 1872-187 4. En effet, l'art. 113 al. 1 ch. 3 de la nouvelle constitution inversait la "présomption de compétence par rapport à celle du régime précédent : la compétence du Tribunal fédéral devint la règle, celle des autorités politiques l'exception 14, Cette exception, prévue dans l'art. 113 al.

2 Cst. féd., concernait les "contestations administratives" qui demeuraient placées sous la compétence du Conseil fédéral et, en dernière instance, de l'Assemblée fédérale. Notion indéterminée, elle devait être concrétisée par la loi sur l'organisation judiciaire. La compétence du Tribunal fédéral continuait donc à dépendre de la bonne volonté du législateur, la Constitution fédérale ne précisant pas ce qu'il fallait entendre par

"contestations administratives". Le critère semblait être une distinction entre "questions juridiques", c'est-à-dire civiles et pénales, et questions relevant de !'Administration, c'est-à-dire les litiges relevant du droit publicts. Cette délimitation n'offrait pas un critère aisément applicable et elle n'allait pas dans le sens de la nouvelle disposition constitutionnelle qui avait pour but d'élargir les compétences du Tribunal fédéral, au détriment des autorités politiques. De 1874 jusqu'à 1893, certaines libertés publiques classiques, comme la liberté d'établissement, la liberté de culte, de conscience et de croyance, ainsi que la liberté du commerce et de l'industrie étaient considérées comme des matières administrativest6, Mais, à partir de 1893, l'élargissement des compétences du Tribunal fédéral devenait une réalité grâce au transfert en sa faveur des litiges concernant la liberté religieuse et, finalement, en 1911, des litiges relatifs à la liberté du

13 14 15 16

Cf. ZIMMERMANN, p. 61.

Cf. AUER (1983), p. 62.

Cf. ZIMMERMANN, p. 62.

Cf. DE JONCHEERE, p. 61.

(20)

commerce et de l'industrie et aux élections et votations cantonales. La compétence des autorités politiques a été confinée au terme de cette période, d'une part aux matières hautement politiques qui concernaient les relations de l'Etat avec l'Eglise catholique17 (maintien de la paix religieuse, interdiction des Jésuites, des ordres et des couvents, suppression des juridictions ecclésiastiques, instruction publique cantonale, droit à une sépulture décente), d'autre part, au "petit droit social" de la gratuité du matériel personnel des militaires.

La Constitution de 1874 a renforcé l'autorité du Tribunal fédéral à double titre : celui-ci devenait un organe permanent et plus indépendant, puisque le mandat de juge était désormais incompatible avec celui de députélS ; d'autre part, il s'est vu attribuer les compétences d'un juge constitutionnel par excellence, protecteur non seulement des droits individuels des citoyens, mais aussi des compétences des autorités cantonales (art. 113 al.

1 Cst. féd.). Il n'empêche que l'alinéa 3 de ce même article obligeait le Tribunal fédéral à appliquer "les lois votées par l'Assemblée fédérale et les arrêtés de ç;ette Assemblée qui ont une portée générale". C'est évidemment la restriction la plus grave portée au contrôle préjudiciel des lois.

L'élargissement des compétences du Tribunal fédéral ne fut pas doublé de celui de l'objet du recours19. Les tentatives de révision de l'art. 113 al. 3 Cst. féd. n'ont pas manqué. On proposa le contrôle préjudiciel des lois fédérales d'après le système américain (motion Rabours en 1923) ; le contrôle abstrait des arrêtés urgents (motion Scherer en 1924) ; le contrôle abstrait ou préjudiciel des lois fédérales, si elles n'avaient pas été confirmées par un vote populaire (initiative populaire de 1936). Toutes ces propositions ont été combattues par le Conseil fédéral et l'Assemblée fédérale et l'initiative fut rejetée sans appel par le peuple et les cantons20, Aujourd'hui, le fameux alinéa 3 de l'art. 113 semble menacé, voire dépassé.

D'une part, comme on aura l'occasion de le constater par la suite, l'ordre juridique suisse s'éloigne de plus en plus du "légicentrisme" absolu. Il est significatif que le plus récent projet de Constitution, publié en 1985, prévoie un contrôle préjudiciel des lois fédérales sans aucune exception.

D'autre part, les lois fédérales ne sont immunisées qu'en Suisse ; en effet, elles sont pleinement contrôlées par la Commission et la Cour européennes

17 18 19 20

Cf. DE JONCHEERE, p. 263.

Cf. AUBERT (1967/1982), t. I, p. 51.

Cf. AUER (1983), p. 62.

Cf. AUBERT (1967/1982), t. 1, p. 173-174; AUER (1983), p. 64-65.

(21)

des droits de l'homme. Un large courant de la doctrine soutient que l'art.

113 al. 3 est contraire à l'art. 26 CEDH (épuisement préalable des voies de recours) ou bien que, si le juge n'a pas le pouvoir de contrôler la constitutionnalité des lois fédérales, il doit en contrôler la conventionnalité21, Si l'on se rappelle que la CEDH reprend et explicite les garanties que de nombreuses constitutions modernes accordent dans le cadre des libertés individuelles ou qui sont reconnues comme des libertés non écrites, selon la formule du Tribunal fédéral, on voit bien la relation étroite entre constitutionnalité et conventionnalité.

De toute façon, la réglementation expresse de l'art. 113 n'a pas résolu tous les problèmes. S'il est évident que la restriction de l'alinéa 3 concerne non seulement le recours de droit public devant le Tribunal fédéral, mais aussi toutes les voies de recours devant toutes les autorités fédérales et cantonales, deux questions importantes restent ouvertes : les tribunaux cantonaux ont-ils le pouvoir d'examiner la constitutionnalité des lois cantonales par rapport à la Constitution fédérale et aux constitutions cantonales ?

Conformément à la doctrine, le TF a interprété l'art. 2 des Dispositions transitoires de la Cst. féd. de 1874, selon lequel "les dispositions des lois fédérales, des concordats et des constitutions ou des lois cantonales contraires à la présente constitution cessent d'être en vigueur par le fait de l'adoption de celle-ci ... ", comme une limite absolue à l'autonomie cantonale dans cette matière. Une jurisprudence ancienne, qui remonte à 1886, et constante22, oblige les autorités cantonales à examiner la constitutionnalité fédérale des lois cantonales. C'est un devoir qui, selon l'opinion dominante, découle de la nature même de l'Etat fédéral23 : l'art. 2 DT impose au moins à tous les tribunaux cantonaux l'obligation d'effectuer ce contrôle et cela indépendamment d'une interdiction expresse par le droit positif cantonal. A travers cette jurisprudence, le TF a instauré le contrôle diffus au niveau cantonal. Les juges cantonaux sont des juges constitutionnels au même titre que les juges fédéraux. Le Tribunal fédéral n'est pas la seule, mais la dernière instance qui contrôle la constitutionnalité d'une loi cantonale. Il faut signaler que les juges cantonaux ont été au début assez réticents à assumer l'examen préjudiciel

21 22 23

Cf. MALINVERN!, p. 177-180.

Cf. ZIMMERMANN, p. 84.

Cf. AUER (1983), p. 269.

(22)

de la constitutionnalité des lois cantonales. Dans le canton de Zurich, par exemple, le Tribunal supérieur a nié sa compétence, en jugeant que, si une loi est adoptée selon les formes requises, elle échappe à tout contrôle24, en vertu d'un principe général du droit public. Autre exemple : le Tribunal cantonal vaudois affirma dans un arrêt de 1938 que "l'art. 113 ch. 3 de la Cst. féd. constitue une exception au principe général et le droit de contrôle qu'il institue exceptionnellement est limité non seulement quant à son objet, mais aussi quant à l'autorité compétente pour exercer ce contrôlezs ...

Mais, dès 1890, la Cour de justice civile genevoise a cassé une décision du Tribunal civil qui avait refusé d'examiner la conformité à la Constitution fédérale d'une loi cantonale, en s'inspirant des motifs susmentionnés26. Il semble donc que le contrôle diffus ait été institué sous l'impulsion du Tribunal fédéral et non à la suite d'une interprétation créatrice des juges cantonaux : à l'exception, ancienne et située dans un contexte défavorable, du juge genevois, ils n'ont pas voulu s'appuyer sur le principe "droit fédéral brise droit cantonal" pour élargir leurs compétences. Il a fallu attendre que le Tribunal fédéral précise les règles qui s'imposent aux cantons27. Une hostilité semblable a été affichée par les tribunaux cantonaux en ce qui concerne la question du contrôle préjudiciel des lois cantonales par rapport à la constitution cantonale. Mais cette fois-ci, il manquait l'effet incitatif de la jurisprudence du TF. Dans une décision ancienne, datant de 1876, le Tribunal fédéral a jugé que l'art. 113 al. 3 Cst. féd. concrétisait un principe plus général, celui de la suprématie du législateur sur le juge, qui était valable aussi bien pour les rapports cantonaux que pour les rapports fédéraux2s. Cette argumentation a été reprise, dans une première période, par les juges cantonaux, à l'exception du juge genevois qui, dans la décision que nous avons déjà mentionnée, n'a pas fait la distinction entre le contrôle préjudiciel des lois cantonales par rapport à la constitution cantonale et celui effectué par rapport au droit fédéral. Dans quelques cantons c'est la constitution cantonale, ou une loi formelle, qui interdit ou qui permet explicitement le contrôle préjudiciel intracantonal ; dans d'autres cantons, les textes sont muets sur ce point. On voit bien que les solutions cantonales sont loin d'être uniformes. On passe d'un type minimal et obligatoire de par le droit fédéral (conformité fédérale des lois

24 25 26 27 28

Cf. ZIMMERMANN, p. 197.

Cf. ZIMMERMANN, p. 211.

Cf. ZIMMERMANN, p. 216.

Cf. ZIMMERMANN, p. 269.

ATF 2, 09, HIRSBRUNNER; cf. ZIMMERMANN, p. 136.

(23)

cantonales) au modèle d'un contrôle préjudiciel complet de conformité avec la constitution cantonale, avec ou sans la possibilité d'un contrôle abstrait concentré29, On remarquera une tendance vers la reconnaissance par le constituant, ou par le juge cantonal30, d'un pouvoir que le constituant ou le législateur fédéral n'a voulu ni imposer ni exclure expressément.

b. Le changement de la jurisprudence en Grèce et la concrétisation du principe dans la Constitution

Si, en Suisse, la révision de 1874 a transféré l'essentiel des compétences en matière juridictionnelle au Tribunal fédéral qui, par son interprétation du principe de la force dérogatoire du droit fédéral, a imposé le contrôle préjudiciel des lois cantonales à toutes les autorités cantonales, en Grèce, un revirement de jurisprudence fut nécessaire pour permettre la naissance de la juridiction constitutionnelle. Même dans la période où !'Aréopage niait sa compétence, des signes précurseurs d'un changement ont pu être relevés. En 1859 déjà, un arrêt de la Cour d'appel d'Athènes a été favorable à ce contrôle, en affirmant que " ... en refusant d'appliquer une loi qu'ils estiment inconstitutionnelle, les tribunaux n'excèdent nullement leur compétence, ni n'exercent un contrôle sur le pouvoir législatif31". Dans un arrêt de 1871, !'Aréopage a jugé que "le pouvoir judiciaire ne peut considérer qu'une loi n'est pas valable, quand elle revêt les formes requises par la Constitution, sauf si ladite loi est en évidente contradiction avec une disposition constitutionnelle de valeur supérieure32". Le Tribunal de première instance d'Athènes a suivi cette nouvelle jurisprudence de l'Aréopage, en affirmant, dans un arrêt de 1892 que "la Constitution est l'oeuvre du pouvoir constituant ; elle règle la compétence et les limites de chacun des pouvoirs publics, y compris celles du pouvoir législatif. Ses dispositions ne peuvent donc être modifiées que par la procédure de révision qu'elle-même établit. Le juge doit préférer la constitution à la loi, lorsqu'il se trouve devant une contradiction évidente, puisqu'une constitution rigide ne peut pas être abolie par une loi. En outre, l'interprétation authentique de la constitution n'appartient pas au législateur, mais au pouvoir constituant. Le juge ne se borne pas seulement

29 30 31 32

Cf. KÂLIN, p. 236-239.

Cf. ZIMMERMANN, p. 239 et s.; AUER (1983), p. 278 et s.

Cf. SASSALOS, p. 38; VEGLERIS (1967), p. 452.

Cf. SPILIOTOPOULOS (1983), p. 472.

(24)

à sanctionner un dépassement des compétences du pouvoir législatif ; il sanctionne aussi la contrariété, soit quant à la lettre, soit quant au sens évident d'une disposition constitutionnelle"33, On pourrait expliquer cette profession de foi du tribunal d'Athènes par le fait que la loi incriminée concernait l'inamovibilité des magistrats. Le contrôle préjudiciel avait dans le cas d'espèce un caractère défensif contre les empiétements du législateur sur l'indépendance des juges. Il n'empêche que la Cour d'appel d'Athènes renversa cet arrêt, en affirmant que "les juges sont tenus, du fait de leurs devoirs concernant l'exercice de leur fonction, d'appliquer les lois, en se soumettant à elles34".

Les flottements de la jurisprudence ne s'arrêtent pas là. La même Cour d'appel changea sa jurisprudence l'année suivante, dans un arrêt de 1893, selon lequel, "le juge doit faire prévaloir la Constitution sur la loi, puisque, dans l'exercice de sa fonction législative, l'autorité souveraine de la nation n'est pas absolument libre. En optant pour le texte supérieur en force, le juge ne refuse pas de se soumettre à la loi : il affirme que la constitution n'a pas été abrogée par la loi"35, Trois ans plus tard, la même Cour a de nouveau changé de jurisprudence,en affirmant que le juge "statue selon les lois et non point sur les lois"36.

Finalement, en 1897, !'Aréopage mit fin à toutes ces décisions contradictoires. Par un arrêt de principe (n° 23 de 1897) il revint, cette fois définitivement, sur sa jurisprudence antérieure .... " lorsqu'une disposition législative est contraire à la Constitution, parce qu'elle modifie par voie de loi ordinaire une disposition constitutionnelle fondamentale, le tribunal a le droit de ne pas l'appliquer au cas concret". Tous les tribunaux ont désormais suivi sans réserve la nouvelle jurisprudence. Le Conseil d'Etat, juridiction administrative suprême, a affirmé son pouvoir d'examiner la constitutionnalité matérielle des lois dans sa toute première décision 37, Lors de la première révision constitutionnelle qui a suivi la reconnaissance définitive par !'Aréopage du pouvoir de tous les tribunaux de contrôler préjudiciellement les lois, le constituant de 1911 n'a pas réglementé expressément ce pouvoir, considéré comme "évident". Le constituant de

33 34 35 36 37

Arrêt n° 6604 de 1892.

Arrêt n° 924 de 1892; cf. SASSALOS, p. 39.

Arrêt n° 1847 de 1893; cf. VEGLERIS (1967), p. 452.

Arrêt n° 1590 de 1896.

Arrêt n° 1de1929; cf. VEGLERIS (1967), p. 458.

(25)

1927 a ajouté à l'art. 5 Cst. ("le pouvoir judiciaire s'exerce par des tribunaux indépendants, soumis seulement aux lois") une déclaration interprétative, selon laquelle "le sens exact de cette disposition est que les tribunaux sont tenus de ne pas appliquer une loi dont le contenu est contraire à la Constitution". Une disposition qui disparaît de la Constitution de 1952, pour la même raison qu'en 1911 : ce pouvoir des juges étant évident, il n'est pas nécessaire de l'inscrire dans la Constitution.

Finalement la Constitution de 1975, actuellement en vigueur, reprend, dans l'art. 93 § 4 la formule de la Constitution de 1927 : "les tribunaux sont tenus de ne pas appliquer une loi dont le contenu est contraire à la Constitution". De plus, l'art. 87 § 2 de la nouvelle Constitution stipule que

"dans l'exercice de leurs fonctions, les juges sont seulement soumis à la Constitution et aux lois; en aucun cas ils ne sont tenus de se conformer à des dispositions posées après abolition de la Constitution". Mais l'article 100 apporte un certain contre-poids au contrôle diffus de la constitutionnalité, en instituant une Cour Spéciale Suprême, à laquelle est soumis, entre autres, "le jugement des contestations portant sur l'inconstitutionnalité de fond ou sur le sens des dispositions d'une loi formelle, dans le cas où, sur ces dispositions, le Conseil d'Etat, la Cour de Cassation ou la Cour des Comptes ont émis des décisions contradictoires".

On verra dans la seconde partie de ce mémoire que, malgré les apparences, la création de cette Cour ne transforme pas, mais au contraire semble confirmer, le caractère diffus du contrôle préjudiciel.

Ce bref aperçu historique nous permet d'arriver à une première conclusion : les deux ordres juridiques, suisse et grec, tout en suivant des chemins différents, ont abouti à un résultat analogue qui les distingue du modèle dominant en Europe. Des différences existent : le contrôle de la constitutionnalité des lois est plus complet en Grèce qu'en Suisse, puisqu'on n'y trouve pas une interdiction constitutionnelle expresse du contrôle de certains actes législatifs. D'autre part, en Grèce, la judicial review a pendant longtemps découlé d'une jurisprudence créatrice et constante, après une première période d'incertitude et de contradictions; la concrétisation expresse dans les Constitutions de 1927 et de 1975 avait le caractère "déclaratoire38" d'une compétence des tribunaux grecs qui n'était pas remise en question, malgré de longues périodes d'instabilité, de régimes exceptionnels, voire de dictatures militaires. En Suisse, les

38 Cf. SPILIOTOPOULOS (1983), p. 475-486.

(26)

fondements de la juridiction constitutionnelle ont été mis en place par le constituant et le législateur. Les dispositions y relatives étaient assez claires pour empêcher les tribunaux d'élargir leurs compétences. Mais des lacunes subsistaient, ce qui a permis aux autorités cantonales de se pencher sur la question du pouvoir de contrôle des actes non immunisés et de donner des réponses divergentes. D'autre part, l'interprétation du principe de la force dérogatoire du droit fédéral a décentralisé la juridiction constitutionnelle. Dans les chapitres suivants, nous allons examiner de plus près les conceptions théoriques qui conditionnent l'existence et l'étendue du contrôle préjudiciel et diffus, pour les comparer et les évaluer.

II. LES BASES CONSTITUTIONNELLES ET LA NECESSITE DU CONTROLE DE LA CONSTITUTIONNALITE

DES LOIS

Hiérarchie des règles, souveraineté populaire, séparation des pouvoirs : autant de principes invoqués en même temps pour ou contre le contrôle de la constitutionnalité des lois. Ceci n'est pas étonnant : rarement des notions générales et abstraites peuvent apporter une réponse convaincante à une question juridique. Bien que consacrées par toutes les constitutions de type occidental, ces notions ne sont pas immuables : leur contenu varie en fonction de l'évolution des ordres juridiques et du rôle qu'elles doivent y assumer. Les exemples grec et suisse montrent que ces principes peuvent se combiner de plusieurs façons et que les divergences conduisent parfois à des rapprochements intéressants.

Dans ce chapitre, nous allons montrer l'importance capitale de l'existence d'une constitution rigide pour le fondement du contrôle de la constitutionnalité des lois par les tribunaux (A). Encore faut-il que le pouvoir judiciaire se voie attribuer la tâche de veiller à ce que les pouvoirs constitués respectent la loi fondamentale. Cette compétence des juges est- elle évidente en droit suisse et en droit grec? Ce sera l'objet de nos développements (B).

(27)

A. La recherche d'un fondement du contrôle de la constitutionnalité des lois

La rigidité de la constitution est une condition nécessaire (mais pas suffisante) pour que la question même du contrôle de la constitutionnalité des lois puisse se poser. En effet, si une constitution est souple, rien n'empêche le législateur de la modifier à tout moment : les conflits entre celle-ci et les lois ordinaires se résolvent alors selon les maximes de la "Lex posterior" ou de la "Lex specialis".

La Suisse et la Grèce ont toujours été dotées de constitutions rigides, ne pouvant être révisées que selon des procédures plus lourdes que la procédure législative. La Constitution fédérale de 1848 ne connaissait ni l'initiative ni le référendum en matière législative, mais pour la révision constitutionnelle elle prévoyait l'initiative populaire et le vote obligatoire du peuple et des cantons39. La Constitution fédérale de 1874 prévoit le vote populaire obligatoire et exige une double majorité (peuple et cantons), tandis que pour les lois fédérales, l'initiative populaire n'est pas prévue, le référendum est facultatif et la majorité du peuple suffit. Les constitutions grecques ont toujours posé, elles aussi, des conditions spéciales pour leur révision : limites matérielles et temporelles, dissolution du Parlement, pour que le peuple élise l'Assemblée qui décidera définitivement du sort de la révision proposée, etc. Si la doctrine et la jurisprudence grecques ont tiré toutes les conséquences de ce principe (a), en Suisse il a fallu que la rigidité de la constitution soit complétée par le principe de la primauté du droit fédéral sur le droit cantonal (b ).

a. Le contrôle judiciaire des lois en tant que conséquence de la rigidité de la constitution : le cas de la Grèce

Supérieure aux lois grâce à une procédure spéciale de rev1s10n, la constitution l'est aussi à cause de son rôle dans l'ordre juridique. Hans KELSEN et son disciple Charles EISENMANN40 ont montré, pour affirmer la nécessité et la légitimité d'une juridiction constitutionnelle, que la constitution forme le degré suprême, le principe de l'ordre étatique tout entier. Elle assure l'exercice régulier des fonctions étatiques, en

39

40 Cf. AUBERT (1967/1982), p. 38.

Cf. KELSEN (1928); EISENMANN (1928).

(28)

réglementant la création des normes juridiques essentielles de l'Etat, en déterminant les organes et la procédure de la législation et, dans un sens plus large, en imposant des règles sur le contenu même des lois. Le droit, sur la voie qu'il parcourt depuis la règle suprême, la constitution, jusqu'à l'exécution matérielle, ne cesse de se concrétiser.

Il est vrai que plus un acte est proche du degré supérieur, plus la liberté de son auteur est grande; mais chaque degré constitue une production de droit pour le degré inférieur et une reproduction par rapport au degré supérieur.

Tout acte est à la fois création et application du droit. Dans la mesure où un acte applique et concrétise le droit supérieur, il doit lui être conforme.

La loi n'échappe pas à cette obligation. Un acte juridique n'est une loi que s'il répond sur tous les points aux exigences posées par la loi fondamentale : pour qu'une loi existe, il faut qu'elle soit valide; et pour être valide, il faut qu'elle soit parfaitement conforme à la constitution.

C'est par un raisonnement analogue que la doctrine grecque a toujours fondé le contrôle de la constitutionnalité des lois, et ceci dès la deuxième moitié du dix-neuvième siècle, même au moment où la Cour de Cassation était assez réticente à reconnaître l'existence d'une telle compétence. Le premier commentateur de la Constitution grecque de 1844 affirmait que "la constitution est l'expression de la volonté du peuple grec et seule cette volonté peut la modifier ... Il s'ensuit que toute loi incompatible avec le texte de la constitution est inconstitutionnelle ... si les juges viennent à se trouver dans la nécessité d'opter entre le texte de la loi et celui de la constitution, c'est bien ce dernier qu'ils doivent prendre comme base de leur décision"41. Ce point de vue a d'ailleurs été partagé par les civilistes42 et suivi par la jurisprudence, comme on a pu le constater dans l'aperçu historique. L'unanimité de la doctrine sur ce point a été décisive pour qu'une fin soit mise aux flottements de la jurisprudence : le Tribunal de première instance d'Athènes l'a reconnu expressément dans une décision de 1913, selon laquelle, "d'après l'opinion qui domine parmi les interprètes du droit constitutionnel et du droit romain, que ce tribunal, lui aussi, accepte, les tribunaux ont non seulement le pouvoir, mais aussi le devoir d'examiner la constitutionnalité matérielle des lois et d'en refuser (le cas échéant) l'application ... "43.

41

42 43

Cité in : VEGLERIS (1967), p. 450.

Cf. VEGLERIS (1967), p. 451.

Arrêt 785 de 1913; cf. SARIPOLOS (1918), p. 213.

(29)

C'est l'un des plus grands constitutionnalistes grecs, N. N. SARIPOLOS, qui a tiré toutes les conséquences de la rigidité de la constitution dans son

"Traité de droit constitutionnel''. D'une part, pour que l'expression de la volonté d'un organe étatique soit un acte étatique obligatoire pour les citoyens et les tribunaux, il faut qu'elle soit légale, au sens le plus large du terme (c'est-à-dire conforme à la constitution, à la loi, à un acte réglementaire, etc.). L'organe de l'Etat doit dans tous les cas agir dans les limites imposées et observer les formes prescrites par un acte de force juridique supérieure. Si tel n'est pas le cas, la sanction est la nullité absolue de l'acte étatique entaché d'une "illégalité" quelconque. Personne ne doit obéir à un tel acte, puisque un acte illégal ne peut en aucun cas "être obligatoire". La structure hiérarchique étant immanente à l'ordre juridique, à tous ses échelons, le pouvoir législatif n'est pas privilégié. Il est lui aussi un pouvoir constitué, limité par la loi fondamentale, notamment par les dispositions qui consacrent les libertés publiques. La constitution est la limite pour le législateur, tout comme la loi ordinaire l'est pour le pouvoir exécutif. Les juges examinent si un acte administratif, individuel ou réglementaire viole la loi ; de la même façon, ils doivent contrôler si un acte législatif viole la constitution44.

D'après ce schéma, une constitution rigide institue la séparation des pouvoirs constituant et constitué. Cette distinction soustrait à la souveraineté populaire, telle qu'exprimée dans la loi, son absolutisme. On est loin de la doctrine de J. J. ROUSSEAU, selon laquelle la volonté générale se manifeste aussi bien par le pouvoir constituant que par les pouvoirs constitués. Il n'est pas absurde de préférer un acte du souverain - la constitution - à un autre - la loi -, puisque la volonté exprimée dans la première est supérieure à celle exprimée dans la deuxième. Par l'adoption d'une constitution, la souveraineté populaire s'autolimite : elle ne cesse pas de constituer le fondement du régime politique, tous les pouvoirs émanent d'elle, mais ils sont exercés de la manière qu'elle prescrit45. Les tribunaux, en refusant d'appliquer une loi qui déroge à la constitution, s'érigent en représentants du pouvoir constituant. La constitution rigide trouve ainsi sa sanction, la hiérarchie des règles est achevée. On voit donc assez clairement que le principe de la hiérarchie des normes a toujours servi de pierre angulaire pour la déduction du contrôle de la constitutionnalité des

44

45 Cf. SARIPOLOS (1918), p. 199.

Cf. art. 1 al. 2, 3 Cst. grecque de 1975/1986.

(30)

lois46. Doctrine et jurisprudence l'ont considéré comme un principe assez sûr et incontestable pour ne pas donner lieu à des interprétations divergentes et contradictoires, comme pourraient le faire les principes de la séparation des pouvoirs, de la souveraineté populaire, etc.47. La conception d'une séparation tranchée du pouvoir constituant et du pouvoir législatif a pu s'imposer grâce à l'absence d'un "culte" de la loi, expression d'une volonté générale actuelle et toujours renouvelée48. Ce furent les constitutions successives et non les lois qui symbolisèrent l'indépendance nationale et la liberté politique et individuelle49. Pendant des périodes assez longues, la loi était dépourvue de toute assise populaireso ; il était donc naturel de se référer à la Constitution, pour chercher une protection contre l'arbitraire, ou parfois la brutalité, du législateur ou des gouvernements dictatoriaux "provisoires", etc. Plus la constitution était menacée ou mise entre parenthèses, plus on cherchait les moyens pour en imposer le respect aux autorités politiques. Contrairement à l'expérience américaine, le contrôle de la constitutionnalité des lois ne s'est pas développé par méfiance à l'égard des excès de la démocratie et des majorités qui pouvaient mettre en cause les intérêts permanents de la société, mais pour assurer ou atteindre la démocratie.

D'un autre point de vue, il est significatif que le contrôle de la constitutionnalité des lois ait été abordé en Grèce en dehors de toute référence aux théories jusnaturalistes. On sait que, pour l'esprit anglo- saxon, surtout américain, la Constitution incorpore et garantit des principes de la common law, comme la Raison et !'Equité, considérés comme supérieurs à la loi. D'après ce raisonnement, leur inscription dans le texte constitutionnel est purement déclaratoire : le constituant, le législateur et, surtout, le juge découvrent simplement ces principes préexistants ; ils ne les créent pas. Or, la théorie de la suprématie constitutionnelle montre clairement qu'il n'existe pas une norme pour l'Etat seulement là où est reconnue l'existence des valeurs à côté et au-delà de l'Etatst. Le jusnaturalisme n'est pas nécessaire au fondement du contrôle de la constitutionnalité.

46 47 48 49 50 51

Cf. MANITAKIS (1988), p. 44.

Cf. SVOLOS (1932), p. 217.

Cf. VEGLERIS (1961 ), p. 650.

Cf. MANITAKIS (1988), p. 43.

Cf. VEGLERIS (1961), p. 653.

Cf. GROSSMANN, p. 117.

(31)

La reconnaissance du pouvoir des tribunaux d'examiner la constitutionnalité des lois souffrirait d'un certain formalisme, s'il se fondait seulement sur la rigidité de la constitution. Il est plus ou moins facile de constater qu'une loi porte atteinte à une disposition constitutionnelle qui prescrit, par exemple, les délais maximum pour la comparution devant le juge d'une personne arrêtée. Mais une loi qui accorde des prestations à une catégorie d'individus et pas à une autre révise-t-elle la règle constitutionnelle qui consacre le principe d'égalité ? Est-il possible de confondre les notions de légalité et de constitutionnalité ? Cette problématique n'a échappé ni aux auteurs grecs du 19e siècle, dont on a évoqué l'influence sur la jurisprudence, ni aux tribunaux. Il y a eu un certain malaise à reconnaître aux tribunaux un pouvoir de censure des lois presque absolu. C'est pourquoi les mêmes auteurs qui invitaient les tribunaux à effectuer le contrôle des lois cherchaient en même temps à le circonscrire : la contrariété de la disposition législative avec la constitution doit être manifeste, ne pas exiger des raisonnements subtils et périlleux et doit toucher à une disposition expresse de la loi fondamentale52. On sait que KELSEN souhaitait que la constitution s'abstienne d'utiliser des formules vagues et indéterminées et que, si le constituant voulait poser des principes relatifs au contenu des lois, il devait les consacrer d'une manière aussi précise que possible53, La constatation de l'inconstitutionnalité d'une loi n'étant pas dans la plupart des cas une déduction automatique, il faudrait examiner l'éventualité de la confier à un organe ou à une instance autre que le juge. Nous reviendrons plus loin sur ce sujet. Il suffit pour le moment de signaler qu'il n'est pas évident de confier au juge la tâche de sanctionner l'inconstitutionnalité d'un acte législatif.

b. Le contrôle judiciaire en tant que conséquence de la suprématie du droit fédéral : le cas de la Suisse

En Suisse, la séparation du pouvoir constituant et des pouvoirs constitués a été beaucoup moins évidente qu'en Grèce : elle s'est heurtée à des obstacles relatifs d'une part à la démocratie directe et d'autre part au rôle que devait assumer la Constitution fédérale.

52 53

Cf. VEGLERIS (1967), p. 451.

Cf. KELSEN (1928), p. 241.

(32)

i. La suprématie de la Constitution formelle et le contrôle de la constitutionnalité des lois

La distinction entre les pouvoirs constituant et constitué n'est pas nette au niveau cantonal. De nombreuses constitutions cantonales prévoient le référendum obligatoire aussi bien pour la révision de la constitution cantonale que pour l'adoption de la loi ordinaire. Le même organe, à savoir le corps législatif et le corps électoral, est compétent pour le vote de la loi et pour la révision de la constitution cantonale, selon une procédure analogue. Il semble donc que ces cantons n'aient pas une constitution rigide et que la question de la conformité d'une loi avec la constitution ne puisse pas se poser. Dans quelques cantons, les juges ont refusé de contrôler la constitutionnalité d'une loi cantonale par rapport à la constitution cantonale, en invoquant précisément l'identité de la procédure de révision constitutionnelle et de l'adoption de la loi54. Cet obstacle ne semble pas insurmontable : dans d'autres cantons, qui connaissent le référendum législatif obligatoire, les juges ont tranché la question du contrôle préjudiciel sans se référer à l'acceptation obligatoire des lois par le peuple. C'est le cas notamment du canton de Zurich, où le Tribunal administratif a jugé que le principe de la hiérarchie des règles valait en droit cantonal comme en droit fédéral et que le juge n'était pas lié par une loi contraire à la constitutionss. NEF a par ailleurs montré que, même dans les cantons où le référendum obligatoire pour les lois était institué, il y avait une distinction nette entre la révision totale et la révision partielle de la constitution, la première étant beaucoup plus difficile que la deuxième.

Les différences qui subsistent entre la révision totale et l'adoption d'une loi sont assez importantes pour ne pas rendre le contrôle préjudiciel des lois superflu. Même pour la révision partielle, la procédure est plus lourde que la procédure législative ordinaire56, La confusion entre les niveaux des normes n'est donc pas possible. Le juge cantonal doit sanctionner une violation de la hiérarchie des règles, sans se demander, dans un cas concret, s'il y a une différence substantielle ou secondaire entre la procédure d'adoption de la règle prétendument inconstitutionnelle et celle de la règle servant de norme de référence. C'est d'ailleurs ce que fait le Tribunal fédéral : il sanctionne une loi contraire à la constitution cantonale,

54 55 56

Cf. ZIMMERMANN, p. 241.

Cf. ZIMMERMANN, p. 239 Cf. NEF (1968), p. 304.

(33)

indépendamment de l'évidence de la distinction entre les différents échelons de la structure hiérarchique des normess7.

Au niveau fédéral, trois objections pourraient être soulevées contre la qualité de loi fondamentale de la constitution.

Premièrement, la révision du texte constitutionnel est relativement facile par rapport à d'autres constitutions rigides. Elle peut être entreprise à tout moment par l'initiative du Parlement ou du peuple; elle peut être totale, dans le cas où une nouvelle constitution vient remplacer l'ancienne ou modifier profondément les institutions fondamentales de l'Etat. De plus, la Constitution fédérale suisse ne prescrit pas, du moins expressément, des limites matérielles à sa révision. Elle prévoit pourtant de nombreux contre- poids qui limitent les pouvoirs des Conseils et du peuple et empêchent un usage abusif de la procédure de révision : consultation préalable du corps électoral dans le cas de l'initiative populaire pour une révision totale et de l'initiative parlementaire, s'il y a désaccord entre les deux corps législatifs ; dissolution de l'Assemblée fédérale, si le peuple approuve lors de cette consultation préalable l'initiative parlementaire de révision totale, malgré le désaccord des Chambres, ou quand le peuple approuve en principe une initiative populaire de révision totale ; contrôle de l'unité de la matière, rapport du Conseil fédéral et soumission au corps électoral d'un contre- projet dans le cas de l'initiative populaire de révision partielle et tout cela dans des délais assez longs (de 3 à 5 ans). On constate que la procédure est plus complexe que l'on ne le croyait, mais, en même temps, très démocratique. Cela met en évidence le fait que la constitution est un acte issu, en fin de compte, du peuple même. Protéger la constitution, c'est protéger la volonté populaire et les valeurs les plus fondamentales dans un ordre juridiquess. La constitution a une plus grande probabilité de corre&pondre à la volonté de la majorité qu'une loi spéciale ou d'habilitation. Il ne faut pas oublier qu'une loi peut être approuvée tacitement par le peuple, tandis que pour la constitution, l'approbation du peuple et des cantons doit toujours être expresse59,

D'un autre point de vue, la facilité relative de la révision constitutionnelle en droit suisse donne une réponse efficace à l'argument avancé par les

57 58 59

Cf. NEF (1968), p. 306.

Cf. NEF (1950), p. 230a.

Cf. SCHINDLER, p. 306.

(34)

adversaires du contrôle de la constitutionnalité des lois, selon lequel il ne faudrait pas que le juge dise le "dernier mot". KELSEN a montré qu'une loi dont le contenu est en contradiction avec les prescriptions de la constitution cesse d'être inconstitutionnelle, si elle est votée comme loi constitutionnelle (procédure spéciale, majorité modifiée, etc.)60, Le peuple pourrait donc faire échec à une jurisprudence constitutionnelle qu'il estimerait inacceptable, en élevant une loi, non appliquée par les juges parce qu'inconstitutionnelle, au degré hiérarchique supérieur ou en modifiant les normes de référence. C'est une solution qui ménage aussi bien le principe démocratique que la rigidité de la constitution.

Deuxièmement, la Constitution fédérale suisse contient des dispositions d'une importance fort inégale. A côté des règles constitutives d'un ordre juridique, on trouve des règles qui pourraient figurer dans une ordonnance.

C'est le résultat de l'absence de l'initiative populaire législative au niveau fédéral : des règles relativement secondaires voulues par le peuple doivent revêtir la forme d'une disposition constitutionnelle. Une loi ordinaire peut donc être beaucoup plus importante pour l'organisation de l'Etat qu'une règle figurant dans le texte constitutionnel. Cet argument n'est aucunement suffisant pour soustraire les lois au contrôle de la constitutionnalité. La constitution peut, certes, contenir des règles d'une importance marginale;

mais elle contient toujours les règles essentielles qui régissent l'ordre juridique : elle délimite les sphères de compétence, institue les autorités de l'Etat et en répartit les compétences, fixe les voies pour la création des règles et les conditions de la conformité de celles-ci avec la constitution61.

On ne peut pas nier la nécessité d'examiner si une loi viole ces dispositions fondamentales, sous prétexte qu'il y en a d'autres, moins importantes. Si le juge avait le pouvoir de faire le tri entre règles primordiales et règles secondaires, il disposerait d'un véritable pouvoir constituant.

Troisièmement, la distinction entre pouvoir constituant et pouvoir constitué, bien qu'elle soit plus nette au niveau fédéral qu'au niveau cantonal, ne serait pas décisive pour la reconnaissance du contrôle de la constitutionnalité des lois, puisque le peuple s'exprime directement par référendum, tant pour l'adoption de la constitution - et ceci dans tous les cas -, que pour celle d'une loi - si un certain nombre d'électeurs le demandent. Que la constitution - expression de la volonté du peuple -

60 61

Cf. KELSEN (1928), p. 206.

Cf. PANCHAUD, p. 23.

(35)

doive être préférée à la loi - oeuvre des représentants du peuple -, voici un argument pour la "judicial review", avancé déjà dans les F ederalist Papers62. Il est vrai qu'en Suisse la loi est directement ou indirectement l'expression de la volonté du peuple lui-même et non seulement de ses représentants. Nous avons pourtant déjà signalé que le peuple, en adoptant une constitution rigide, perd une partie de sa souveraineté; il devient un organe constitué; sa volonté, pour qu'elle soit valable, doit être conforme aux règles que lui-même avait posées. La souveraineté n'appartient pas à un organe étatique particulier, mais à l'ordre étatique tout entier63. Il s'ensuit que les arguments tirés du principe de la démocratie directe ne sont pas suffisants pour écarter le contrôle de la constitutionnalité des lois en tant que conséquence du caractère rigide de la constitution. L'obstacle le plus important en Suisse fut le rôle que durent assumer les constitutions fédérales.

ii. La force dérogatoire du droit fédéral et le contrôle de la constitutionnalité des lois

La création d'un Etat fédéral suppose que les Etats fédérés perdent une partie de leur souveraineté antérieure, en s'incorporant dans un Etat supérieur, qui peut leur poser des engagements obligatoires. Cela ne signifie pas que les cantons se réduisent à de simples collectivités territoriales : ils conservent une partie de leurs compétences et participent aux décisions les plus importantes prises par les autorités centrales (référendum constituant, deuxième Chambre législative composée de représentants des cantons, etc.)64. Répartir les compétences entre l'ordre juridique fédéral et les ordres juridiques cantonaux qui lui sont soumis, trouver un équilibre entre les droits et les devoirs respectifs, telle est la tâche d'une constitution fédérale.

En Suisse, la nécessité d'assurer l'unité de la Confédération a été considérée au début comme une tâche plus importante que la création d'un Etat de droit65. Si, d'après AUBERT, les "pères fondateurs" des Constitutions de 1848 et de 1874 étaient démocrates avant d'être 62

63 64 65

Cf. SCHINDLER, p. 73.

Cf. KELSEN (1928), p. 223.

Cf. AUBERT (1967/1982), p. 34.

Cf. KÂGI (1952), p. 182.

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