• Aucun résultat trouvé

Groupe d'études de psychologie Téléchargé le 05/05/2022 sur (IP: )

N/A
N/A
Protected

Academic year: 2022

Partager "Groupe d'études de psychologie Téléchargé le 05/05/2022 sur (IP: )"

Copied!
14
0
0

Texte intégral

(1)

Marie-Pierre Cazals-Ferré

Groupe d'études de psychologie | « Bulletin de psychologie » 2011/3 Numéro 513 | pages 261 à 273

ISSN 0007-4403

DOI 10.3917/bupsy.513.0261

Article disponible en ligne à l'adresse :

--- https://www.cairn.info/revue-bulletin-de-psychologie-2011-3-page-261.htm ---

Distribution électronique Cairn.info pour Groupe d'études de psychologie.

© Groupe d'études de psychologie. Tous droits réservés pour tous pays.

La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit.

© Groupe d'études de psychologie | Téléchargé le 05/05/2022 sur www.cairn.info (IP: 134.122.89.123)

(2)

Vers une transformation des conflits

organisationnels : analyse des principaux facteurs impliqués et des conséquences sur les pratiques des professionnels de la santé au travail

intervenant dans le domaine C

AZALS

-F

ERRÉ

Marie-Pierre

*

Souffrance, violence morale, violence physique, suicide, syndrome d’épuisement professionnel, quelques vocables évocateurs, qui tracent de plus en plus fréquemment les contours et constituent la teneur du monde du travail contemporain. Les divers acteurs du monde professionnel, ainsi que les chercheurs spécialisés dans la thématique du travail, font état d’une amplification de la dégra- dation des conditions et des relations au travail. Ils signalent, notamment, la présence de phénomènes comme le conflit extrême, le harcèlement moral, le harcèlement sexuel ou la violence au travail (Dejours, 2007 ; Leroy, Faulx, 2006 ; Marsan, 2006 ; Poitou, 2007). Ce délitement touche le bien- être psychologique au travail, altère la santé mentale et physique des travailleurs et détériore la qualité et l’efficacité du travail.

Ce contexte génère des coûts financiers impor- tants et, à ce titre, le Parlement européen a adopté une résolution sur la stratégie communautaire 2007-2012 pour la santé et la sécurité au travail.

Lors du colloque de la Commission européenne sur la prévention des risques psychosociaux au travail (Monks, de Buck, Benassi, Plassman, 2008), le lien entre économie et santé a, d’ailleurs, été clairement posé. En effet, le bien être au travail a été présenté comme un facteur de performance pour l’économie et les entreprises. Autrement dit, la « non-qualité du travail » se traduirait, pour l’économie, par une perte de capacités productives, mais, aussi, en dépenses d’indemnisation et de prestations, dont le financement pèserait, en grande partie, sur les entreprises.

Avant cela, la santé au travail n’était pas à l’ordre des préoccupations majeures de la part des instances politiques, alors que de nombreuses recherches ont été menées en la matière depuis plus d’une vingtaine d’années. Si ces travaux apportent un éclairage sur la compréhension des facteurs psychosociaux impliqués dans la genèse et le main- tien des phénomènes de souffrance au travail, ainsi que sur les conséquences organisationnelles et indi- viduelles qui en découlent, ils constituent,

également, de précieux appuis pour les profession- nels (médecins, psychologues, ergonomes...) confrontés, au premier chef, à ces situations, pour lesquelles on leur demande d’apporter, désormais, des solutions rapides et efficaces.

Il semblerait, en effet, que ces derniers soient submergés par l’ampleur et la complexité des cas qu’ils ont à examiner et traiter. Les acteurs de la santé au travail se trouvent quelque peu désem- parés et dénoncent l’inefficacité des mesures de prévention dictées par les pouvoirs publics (Desriaux, 2008). Selon eux, ces questions de santé au travail sont, avant tout, devenues un enjeu de communication, un effet d’annonce : « à grand renfort de communiqués, de journaux internes traités par des boîtes de “com”, de réunions de managers, on fait la promotion de l’action censée régler ces problèmes de santé... on a soigneusement évité de remettre en cause les vrais facteurs de risque et les choix stratégiques des entreprises » (Desriaux, 2008, p. 5). Cette assertion rejoint le point de vue de Clot (2008a), pour qui les programmes d’action contre les risques psychoso- ciaux relèveraient d’une vision hygiéniste de la bonne pratique, destinée à éradiquer la maladie, sous-tendant l’idée que la politique est devenue un soin normé.

Ces prérogatives, en matière de santé au travail, ont pour conséquence, du côté des entreprises, une focalisation des solutions d’action sur les individus, sans véritable remise en cause de l’organisation de travail, dans laquelle les conflits et souffrances prennent leur origine. Dans une telle perspective, la tâche des acteurs de la santé au travail devient de plus en plus compliquée, surtout dans un contexte où le système de santé, lui aussi, est

* Université de Toulouse-le-Mirail, Laboratoire

« Psychologie du développement et processus de socia- lisation », 5 allés Antonio Machado, 31058 Toulouse cedex 9

<cazals@univ-tlse2.fr>

© Groupe d'études de psychologie | Téléchargé le 05/05/2022 sur www.cairn.info (IP: 134.122.89.123)

(3)

soumis à une logique gestionnaire de rationalisa- tion des soins (Gaulejac, 2005).

Face à l’ampleur des problèmes liés aux muta- tions profondes et accélérées du monde du travail (Saillard, 1999), des situations de conflit organisa- tionnel, extrêmement complexes, se développent et perdurent. Dans un souci d’étayer les recherches actuelles et à venir sur cette thématique, ainsi que de cerner les possibles leviers d’interventions des professionnels de terrain, confrontés à ces transfor- mations, il convient d’analyser les déterminants psychosociaux inhérents à ces changements.

Dans cette perspective, l’objectif de cet article est de poser quelques jalons pouvant, d’ores et déjà, orienter les éventuelles futures études en la matière.

Ainsi, dans un premier temps, un point théorique préalable est effectué autour de cette notion de conflit au travail, telle qu’elle a été abordée, notam- ment en psychologie. Dans un second temps, la problématique du conflit organisationnel est resi- tuée dans une perspective plus large, celle du contexte du travail, tel qu’il se présente aujourd’hui. Enfin, quelques facteurs explicatifs plus spécifiques, relatifs à l’analyse de l’évolution en cours de ces conflits, ainsi que quelques freins et leviers identifiés en matière de pratiques d’inter- vention des professionnels de la santé au travail, seront examinés.

CONFLIT AU TRAVAIL : QUELQUES REPÈRES

Les conflits dans les milieux de travail ont donné lieu à de nombreux écrits et analyses dans le champ des sciences humaines et sociales (Crozier, Fried- berg, 1977 ; Pagès, 1984 ; Borel, 1998 ; De Dreu, Beersma, 2005). Selon Hellriegel et Slocum (2006), les conflits organisationnels sont des situa- tions dans lesquelles sont impliqués des individus, dont les objectifs, les cognitions ou les émotions sont incompatibles et les conduisent à s’opposer.

Dans le champ de la psychologie organisation- nelle, les multiples définitions s’accordent sur le fait que le conflit est un processus qui débute lorsqu’un individu ou un groupe perçoivent des différences et des oppositions entre lui et un autre individu (ou groupe) à propos d’intérêts, croyances ou valeurs auxquels ils accordent de l’importance (De Dreu, Beersma, 2005).

Au cours des vingt dernières années, nombre d’études ont envisagé les possibles conséquences des conflits dans les équipes de travail sur l’effi- cacité et la productivité au travail. Schermerhorn, de Billy, Hunt et Osborn (2010) établissent une distinction entre le conflit constructif et le conflit destructeur. Selon eux, dans certaines circons- tances, le conflit a des retombées positives pour les

individus, les groupes et l’organisation, comme la mise à jour de problèmes qui seraient latents, la stimulation de la créativité ou la reconsidération d’une décision. Le conflit destructeur a des consé- quences négatives, il conduit à la nuisance de la cohésion du groupe, au détournement des énergies et à une diminution de la productivité et de la satis- faction professionnelle. Il affecte donc négative- ment le bien-être physique et psychologique des personnes impliquées.

Il existe une catégorisation des conflits en milieu de travail, qui sous-tend, notamment en psycho- logie sociale, des explications en fonction de processus psychologiques à l’œuvre dans ces situations.

Conflits interpersonnels et intergroupes : quelques processus psychologiques impliqués

De façon générale, les conflits organisationnels sont classiquement différenciés, en psychologie, en trois grandes catégories : les conflits internes au sujet (intra-individuels), les conflits entre les personnes (interindividuels) et les conflits entre les groupes (Guillevic, 1999). C’est à ces deux dernières catégories que se rapporte le thème de cet article.

Les conflits interindividuels sont fréquemment établis à partir de deux indicateurs. Le premier est le statut des personnes dans l’organisation, qui permet de distinguer le conflit avec les pairs, avec les subordonnés et avec les supérieurs hiérarchi- ques. Le second indicateur se réfère au domaine sur lequel porte le conflit, où conflit technique, d’une part, et conflit interpersonnel, d’autre part, sont différenciés. Selon ces deux critères, les analyses, qui sont proposées, s’appuient sur des modèles distincts. Ainsi, les conflits reposant sur le critère du statut s’appuient, le plus souvent, sur les théories duleadership(Fiedler, 1967 ; Forsyth, 1990). Ils peuvent être également explorés par l’intermédiaire de modèles issus de la psychologie clinique et/ou de la psychanalyse, dans une pers- pective socio-affective (Kaës, 1976 ; Pagès, 1984 ; Anzieu, Martin, 1994). Les conflits identifiés par

« domaines », sont examinés, le plus souvent, sous l’angle des théories centrées sur la résolution de problèmes (Fisher, Ury, Patton, 1991 ; Carnevale, Pruitt, 1992).

Pour ce qui concerne les conflits intergroupes dans les organisations de travail, des études montrent que les affrontements entre deux groupes (ou plus) sont corrélés avec la force des relations entre les membres de chacun des groupes (Guil- levic, 1999). Il est établi que, dans les organisations de travail, les conduites se rapprochent de celles qu’on observe dans l’ensemble des communautés humaines. Qu’il s’agisse d’un groupe de travail ou

© Groupe d'études de psychologie | Téléchargé le 05/05/2022 sur www.cairn.info (IP: 134.122.89.123)

(4)

d’autres types de groupes, une des causes du conflit provient du fait que les personnes s’identifient fortement à leur groupe d’appartenance, dont ils valorisent les membres et leurs actions et que, dans un même temps, ils perçoivent les membres d’un (ou plusieurs) autre(s) groupe(s) comme un tout indifférencié, qui a tendance à les dévaloriser. En psychologie sociale, les mécanismes à l’œuvre dans les relations intergroupes ont été amplement étudiés. Il a été montré que, lorsque deux groupes sont en compétition, leurs membres manifestaient des comportements hostiles à l’encontre des membres de l’autre groupe (Lemaine, 1968). Tajfel (1981) a mis en évidence, selon sa théorie de l’iden- tité sociale, que les relations intergroupes sont guidées par le sentiment d’appartenance au groupe.

Il a, ainsi, expliqué que l’identité d’un individu se construit en rapport avec les groupes auxquels il appartient. Dans cette perspective, le travail et les organisations contribuent à cette construction de l’identité sociale, ils en sont un des supports. Le mécanisme psychologique qui oriente le sentiment d’appartenance, est la catégorisation, dont il a montré, à travers les expériences relatées sous le

« paradigme des groupes minimaux », qu’elle peut être un facteur déclencheur de discrimination à l’encontre des groupes de non appartenance. Dans la même lignée, Doise (1976) considère que le processus de différenciation catégorielle conduit les membres d’un même groupe à se percevoir comme étant plus semblables entre eux et comme plus différents, lorsqu’ils se comparent aux membres d’un autre groupe. Ces différenciations, au niveau de la perception d’autrui, sous-tendent, également, des différenciations au niveau des juge- ments intergroupes, qui peuvent, alors, déboucher sur des comportements discriminatoires.

Toujours en psychologie sociale, il a été montré que « n’importe quel groupe humain, même constitué de manière aléatoire, fabrique spontané- ment des normes de comportement, différencie des statuts, et contraint les individus qui l’intègrent à adopter les mêmes normes » (Sarnin, 2007, p. 112).

Les recherches sur les processus d’influence ont mis en lumière la façon dont ceux-ci peuvent soit amener à un évitement du conflit entre les groupes soit, au contraire, être à la source de ce conflit.

Certains travaux ont mis en évidence que la norma- lisation, qui se réfère à la création de normes à partir de l’influence réciproque des individus en interaction (Aebischer, Oberlé, 1990), visait à un évitement du conflit (Moscovici, Ricateau, 1972).

La conformité permettrait de réduire le conflit par le biais d’une négociation tacite des normes de conduites entre les individus qui font autorité et ceux qui s’y trouvent confrontés (Moscovici, Rica- teau, 1972). L’innovation (Moscovici, 1979), impulsée par des minorités actives, impliquerait, au

contraire, la création de conflits, du fait de la remise en question de la norme majoritaire et de la persis- tance du groupe minoritaire à vouloir imposer sa norme.

Enfin, plus récemment, dans une étude, menée auprès de 191 employés dans un établissement pour handicapés, le rôle du sentiment de contrôle, comme médiateur entre conflit et bien-être, a été mis en évidence (De Dreu, Beersma, 2005). Il appa- raît que ce sentiment détermine le choix de réponse des individus face au conflit. Le conflit a un rôle d’autant plus important, en tant que stresseur professionnel, que les personnes adoptent un comportement de fuite, qui est, lui-même, corrélé avec un sentiment d’impuissance acquise.

L’ensemble de ces processus psychosociaux, potentiellement à l’œuvre dans la dynamique des relations conflictuelles, sont à compléter par la typologie des conflits.

Typologies des conflits organisationnels Nous nous centrons sur trois typologies établies, respectivement, par Compère (2002), Schermer- horn et coll. (2010) et Leroy et Faulx (2006).

Compère (2002), dans le champ de la psychologie sociale appliquée à la gestion des ressources humaines, fait état du manque d’harmonisation des typologies du conflit et propose une grille de lecture en la matière, pouvant permettre une analyse synthétique de ces situations. Il établit, ainsi, une typologie des conflits organisationnels, pouvant refléter différentes dimensions de la conflictualité.

La première classe, identifiée par Compère, est

« la typologie par localisation », qui fait référence à la localisation géographique, comme critère d’appartenance à l’entreprise. Un conflit est acté par des individus isolés ou regroupés en factions et dépend de la distance, qui sépare les protagonistes.

Compère introduit la notion de site comme fonde- ment essentiel de la problématique des conflits, qui permet de dégager deux catégories de conflits inhé- rents à la localisation : les conflits intra-organisa- tionnels (intra-sites) et les conflits inter-organisa- tionnels (inter-sites). Les premiers surviennent au sein d’un même site, alors que les seconds se produisent entre deux ou plusieurs organisations distinctes. Pour Compère, l’explication principale de l’origine des conflits, quelle que soit la catégorie par localisation, est à rechercher dans des décalages de statut et de rôles entre le niveau formel, tel que prévu par l’organigramme officiel, et le niveau informel qui renvoie aux conduites réellement mises en œuvre par les salariés. Bien que Compère ne le mentionne pas, ces explications sont large- ment influencées par les travaux d’Elton Mayo (1933, 1945) à l’usine Hawthorne de la Western

© Groupe d'études de psychologie | Téléchargé le 05/05/2022 sur www.cairn.info (IP: 134.122.89.123)

(5)

Electric Company, qui ont profondément marqué les théories du management. La mise en évidence des groupes informels et du rôle du « facteur humain » dans la motivation au travail est, en effet, à la base de nombreux courants, en particulier celui de l’école des relations humaines.

La deuxième classe définie par Compère est la

« typologie par nature », qui se subdivise en trois catégories : les conflits d’objectifs, les conflits cognitifs et les conflits affectifs. Les conflits d’objectifs représentent « une situation dans laquelle les buts ou les issues préférés par les parties semblent être incompatibles » (Compère, 2002, p. 100). Quant aux conflits cognitifs, il s’agit d’une incompatibilité entre les idées et, enfin, dans les conflits affectifs, l’antagonisme porte sur les sentiments ou les émotions respectifs des personnes et/ou des groupes impliqués.

Compère décrit, ensuite, une « typologie par niveau », distinguant cinq niveaux principaux de conflits intra-organisationnels : intra-personnel, inter-personnel, intra-groupe, inter-groupe, indi- vidu-groupe. Il ajoute, à cette catégorisation, un sixième niveau inter-organisationnel. Il suggère de croiser cette typologie avec la précédente (typo- logie par nature) pour effectuer un repérage des conflits.

Schermerhorn et coll. (2010), dans le domaine des ressources humaines, font une différence entre le conflit et le problème. Selon eux, un problème est un phénomène rationnel, parce que mesurable et observable. Il traduit un écart entre une situation existante et une situation souhaitée.

Un conflit, à l’inverse, n’est pas mesurable ni observable, il se déclenche en suite d’une accu- mulation d’insatisfactions, qui résultent d’un ou plusieurs problèmes non résolus. Dans leur analyse, deux types de conflits sont distingués : le conflit de fond et le conflit émotionnel. Le conflit de fond relèverait d’un désaccord fondamental sur les buts et les objectifs à poursuivre ou sur les moyens d’y parvenir, il est donc centré sur la tâche. Le conflit émotionnel se situe du côté de l’affect, puisqu’il serait la résultante de problèmes relationnels entre les membres d’une organisation.

Schermerhorn et coll., décrivent, enfin, six types de conflits organisationnels, qui rejoignent les niveaux établis par Compère (2002) : niveau intra personnel (déchirement intérieur), niveau interper- sonnel (opposition de deux individus ou plus), le niveau intra-groupe (tensions au sein d’une équipe), le niveau inter-groupes (opposition de deux groupes ou davantage), le niveau intra-orga- nisationnel (qui provient des heurts suscités par l’organisation de l’entreprise) et le niveau inter- organisationnel (opposition de deux organisations ou davantage).

Si ces typologies peuvent apporter un éclairage sur la structuration des conflits dans une première analyse, elles nous paraissent, cependant, insuffi- santes, pour rendre compte de l’ensemble des logi- ques qui prévalent à la mise en place des conflits au travail. En restant centré sur une analyse mana- gériale du phénomène, telle que développée dans le champ des ressources humaines, on évacue les véritables raisons qui l’initient. Par exemple, l’analyse en fonction de la structure formelle, par opposition à la structure informelle des groupes de travail, a opéré un glissement vers le « tout facteur humain », mettant, ainsi, bien souvent, en cause les individus et négligeant les phénomènes liés à l’organisation du travail, en particulier les méthodes de management. En outre, bien souvent, les orientations du courant des ressources humaines ne sont pas sans conséquences sur les pratiques proposées pour trouver une issue à la crise. Elles peuvent tendre vers la préconisation de sortes de

« kits », destinés à bricoler des solutions pour répondre aux problèmes relationnels survenant dans les entreprises. Certaines sous-tendent, bien souvent, une conception manichéenne, et parfois subversive, des rapports humains dans l’organisa- tion de travail. Ce peut être un des écueils qu’engendre la « récupération » des apports, issus des travaux menés en psychologie ou en sociologie.

La dérive possible est de traiter le conflit comme peut l’être le stress, pour lequel il a été montré qu’il existe un « bon stress », qui stimule l’activité de l’individu, et un mauvais stress, délétère pour sa santé (Lazarus, Folkman, 1984). Dans les théories et les pratiques managériales, cela a été parfois détourné vers des modèles adaptatifs de l’homme au travail et vers une mise sous tension extrême des individus, afin d’obtenir des résultats optimum, en vue de rester compétitif ; le tout, à terme, au prix de leur bien-être et d’une mise en cause personnelle des individus (s’ils sont stressés c’est qu’ils ne sont pas capables de s’adapter). Dans une logique similaire, toute la part de souffrance, inhé- rente à la violence qui semble, désormais, caracté- riser les conflits au travail de nos jours, tend à être occultée par des modèles traitant du conflit en ressources humaines.

En ce sens, la conception des conflits de Leroy et Faulx (2006), dans le champ de la psychologie organisationnelle, paraît apte à se prémunir contre ces éventuelles dérives. Ils abordent d’emblée la notion de conflit au travail par le biais de la souf- france relationnelle, qu’ils définissent « comme une situation, dans laquelle une personne – ou un groupe – exprime ou ressent un mal-être dû aux relations qu’elle vit sur son lieu de travail ou en lien avec celui-ci » (p. 10). Ils distinguent deux catégories de souffrance relationnelle. La première renvoie à des situations de souffrance relationnelle

© Groupe d'études de psychologie | Téléchargé le 05/05/2022 sur www.cairn.info (IP: 134.122.89.123)

(6)

« complémentaires », qui se caractérisent par une inégalité des forces mobilisées par les protago- nistes. Dans ce cas, un individu (ou un groupe) a des comportements abusifs sur un autre qui les subit, une relation d’emprise s’instaurant. Le harcè- lement moral s’insère dans cette catégorie. La seconde renvoie à des situations de souffrance rela- tionnelle « symétriques », qui se particularisent par une mobilisation de forces et de ressources équi- valentes ou, du moins, équilibrée, de la part des protagonistes. Dans ce cas, les situations prennent la forme de conflits, situés sur un continuum de désaccords, où chaque partie mobilise des forces et des ressources dans la relation antagoniste et qui risque de s’envenimer pour arriver à un « hyper- conflit ». Ainsi, des conflits exacerbés, du point de vue cognitif, affectif et comportemental, peuvent devenir des hyperconflits, caractérisés par des phénomènes comme la scission du milieu de travail en camps opposés et la stigmatisation d’individus (Leroy, Faulx, 2006). Selon les professionnels œuvrant dans le champ de la santé au travail, il semblerait que ce type de conflit tend à s’accroître.

Font-Thinet (2008) fait état de situations interac- tionnelles aggravées dans les organisations dont l’aboutissement paroxystique peut, dans quelques cas, se solder par des suicides ou des homicides sur le lieu de travail.

Leroy et Faulx décrivent un processus évolutif du conflit en quatre phases. Lors de la première phase, ils énoncent des différends interpersonnels, qui sont peu visibles et dont le contenu est claire- ment délimité. Celui-ci se rapporte à des idées sur le travail, à la représentation de l’organisation, à des valeurs. La situation n’est, à ce stade, pas consi- dérée comme une source de souffrance et il existe une forte probabilité de résoudre le conflit. S’il n’est pas résolu, une autre phase débute, dans laquelle les positions commencent à se cristalliser.

Le conflit devient plus visible pour l’entourage et la dimension relationnelle du conflit s’intensifie, requérant plus d’énergie de la part des antagonistes.

Dans la troisième phase, les individus engagés dans le conflit dépensent de plus en plus de temps, d’attention et d’énergie, ce qui a des effets sur la vie professionnelle. À ce titre, l’entourage s’implique de plus en plus dans le conflit et on assiste à un phénomène de polarisation groupale autour des points de vue adverses par un jeu d’alliances. Le versant relationnel devient, alors, central, puisqu’il y a une radicalisation des posi- tions dans chaque groupe, ce qui a pour effet de renforcer l’affrontement entre les groupes. À ce stade, le conflit s’articule autour de personnalités particulières (on se positionne pour ou contre untel), qui sont les représentants ou porte-paroles de tel ou tel groupe. Le sentiment d’appartenance au groupe, que nous avons mentionné

antérieurement, est, alors, pleinement à l’œuvre, chacun des groupes estimant qu’il incarne des valeurs particulières. Dans la phase ultime, celle qualifiée d’hyperconflit, il devient difficile, voire impossible, pour les acteurs, de situer exactement comment a débuté le conflit. Parfois, à ce point là, il ne reste plus, dans l’organisation de travail, de figures neutres. Si aucune issue n’est trouvée, un épuisement apparaît et les individus consacrent l’énergie qu’il leur reste à leur propre « survie ».

Les signes de mal-être sont de plus en plus nombreux et les incidents se multiplient. Tout événement est interprété relativement au conflit.

Leroy et Faulx parlent d’un enkystement du conflit et signalent, qu’à cette phase, il devient très diffi- cile de résoudre le conflit. Selon eux, plusieurs facteurs contextuels sont propices à genèse des hyperconflits et ont une influence sur leur dévelop- pement. Ils citent, sans cependant les détailler, des causes liées aussi bien aux tâches, qu’aux relations et à l’organisation.

C’est pourtant à ces sources du conflit en milieu de travail, qu’il faut, nous semble t-il, porter une attention particulière, si l’on veut comprendre le phénomène. Pour ce faire, il convient de resituer la dynamique des conflits au regard du contexte économique, qui fonde certaines pratiques mana- gériales, imprégnant fortement nos organisations de travail contemporaines.

CONTEXTUALISATION DES CONFLITS DANS LES ORGANISATIONS DE TRAVAIL CONTEMPORAINES

Si l’on veut véritablement comprendre pourquoi certains conflits s’installent durablement dans les milieux professionnels, un détour par l’examen du contexte socio-économique est tout aussi néces- saire qu’une analyse des processus psychologiques qui les animent. En effet, les organisations de travail sont le reflet de cultures, de valeurs, de normes, véhiculées par une société à un moment donné. Comme l’explique Sarnin (2007), le fonc- tionnement d’une organisation est teinté par les cultures nationales – nous pourrions même ajouter internationales – qui l’environnent. Viard (2006), dans son « éloge à la mobilité », montre comment de nouvelles normes et valeurs sont en train de redessiner progressivement nos modèles culturels, dans une redéfinition permanente, impulsant ainsi de nouveaux modèles d’actions et de vie. Il évoque l’émergence d’une culture individuelle et mobile, intégrantzapping, divorce, déménagement, voyage, portable, internet... Dans un même temps, s’opèrent d’importantes mutations du travail (Saillard, 1999), donnant lieu à de nouvelles formes de productivité, ainsi qu’à une mondialisation et une financiarisa- tion des échanges avec, comme toile de fond,

© Groupe d'études de psychologie | Téléchargé le 05/05/2022 sur www.cairn.info (IP: 134.122.89.123)

(7)

l’excès de travail pour certains et l’absence d’emploi pour d’autres.

Gorz, en 1988, établissait, déjà, le constat d’un contexte où le travail rémunéré devient de plus en plus rare, engendrant une sélection « néo-darwi- nienne ». Le phénomène s’est amplifié au cours des deux dernières décennies et, de nos jours, les indi- vidus sont amenés à se concurrencer de plus en plus âprement entre eux pour rester employables.

Au niveau national, l’énoncé du « travailler plus pour gagner plus », dans une conjoncture écono- mique où le Bureau international du travail faisait état de vingt millions de chômeurs de plus dans le monde, en 2009, ne peut qu’encourager cette mise en concurrence effrénée des travailleurs. D’un autre côté, le mouvement de délocalisations massives, auxquelles on assiste, accentue l’amplitude de cette mise en compétition. Selon la formule de Gorz, on attend que « les forts éliminent les faibles » (Gorz, 1988, p. 267). Face à la menace du licenciement, au recul de l’emploi à temps plein, à la rareté des contrats à durée indéterminée, les individus sont incités à devenir des gestionnaires-acteurs de leur carrière et sont, de plus en plus, contraints à répondre à l’individualisation qui s’impose comme une nouvelle norme (Cazals-Ferré, Croity-Belz, 2009).

L’individualisation des carrières et des parcours professionnels semble occasionner une dérive vers l’individualisme, au sens d’Hofstede (1980), où un travailleur agit pour lui et non pour la communauté.

Ce phénomène est accentué par les méthodes de management, qui concourent à isoler les salariés (Desriaux, 2008) via les entretiens individuels d’évaluation et les objectifs individualisés. De plus en plus de travailleurs ressentent un isolement social au sein de l’entreprise et les pratiques de métier sont de moins en moins confrontées à celles des pairs.

Ce délitement du lien social dans les organisa- tions s’accompagne d’un affaiblissement des groupes, où le travail pouvait se discuter et se défendre. À ce propos, Gorz (1988), souligne que l’intérêt commun des salariés est, à l’opposé de ce à quoi nous assistons, c’est-à-dire de ne pas se concurrencer. Il souligne, en outre, que l’idée du

« travailler moins pour gagner tous » a, sans cesse, motivé les luttes des revendications ouvrières à travers le syndicalisme. Or, dans ce domaine égale- ment, des mutations importantes se produisent. Le syndicalisme, souvent décrié pour sa difficulté à accompagner la crise du salariat (Vacquin, 1999), connaît un déclin, au point que la France a un taux de syndicalisation parmi les plus bas d’Europe (de nos jours, moins de 10 % des salariés appartiennent à une organisation syndicale).

Ainsi, on assiste à une « compétition d’individus solitaires » (Faulx, 2009), rendant désuet le thème collectif de la lutte sociale. L’isolement et la dispa- rition d’instances de régulation, comme les syndi- cats, aboutissent à un déséquilibre du dialogue social (Marsan, 2006), rendant toute négociation impossible. Ce contexte offre un terreau fertile au développement de conflits interpersonnels et inter- groupes qui, faute d’être exprimés et réglés, s’enkystent. Le mode de réponse des salariés, pour faire face aux dysfonctionnements rencontrés dans leur travail, peut dériver vers la violence. Cette dernière peut être dirigée vers soi, comme en témoi- gnent le nombre croissant de suicides imputables au travail (le cas du groupe France-Télécom est un exemple des plus explicites en la matière) ou vers autrui, avec le désir d’anéantir l’autre, comme dans le cas du harcèlement moral. Elle peut, également, se manifester sous la forme d’actes collectifs violents, comme la destruction de l’outil de travail ou la prise en otage des cadres dirigeants d’entre- prise (par exemple, en mars 2009, où quatre cadres de Caterpillar France furent retenus par les salariés, le soir, au siège de l’entreprise, pour exiger la rené- gociation du plan de sauvegarde de l’emploi).

Dejours (2007) analyse cette violence comme un symptôme de la destructuration en profondeur du vivre-ensemble, installée en amont. Il semblerait que ce vivre-ensemble n’ait pas sa place dans un monde où priment l’intensification du travail, la compétitivité, la pression au rendement et à l’atteinte des objectifs, ainsi que les incessants changements organisationnels.

Sans en arriver systématiquement à ces situations extrêmes, il y a, semble t-il, une transformation manifeste des contextes organisationnels impulsant une évolution des rapports interpersonnels en milieu de travail. Ainsi, de plus en plus d’organi- sations de travail se trouvent confrontées à des situations de conflits ayant de nouvelles particula- rités, tant du point de vue de leur origine, que du point de vue de leur traitement et de leur issue.

ANALYSE DES TRANSFORMATIONS DES CONFLITS ORGANISATIONNELS

Lorsque le conflit ne peut se régler en interne, certaines entreprises peuvent faire appel, entre autres, à des associations de professionnels spécia- lisées dans la santé au travail pour résoudre le problème. Face à l’amplitude et à la complexité du phénomène, ceux-ci peuvent, parfois, se trouver désorientés dans leurs pratiques professionnelles (Font-Thinet, 2008 ; Desriaux, 2008). Il n’en demeure pas moins que, parce que, précisément, ils sont en première ligne, ce sont eux qui peuvent, pour partie, nous éclairer sur certains facteurs impliqués dans la genèse et le maintien des conflits

© Groupe d'études de psychologie | Téléchargé le 05/05/2022 sur www.cairn.info (IP: 134.122.89.123)

(8)

en milieu de travail, ainsi que sur leurs consé- quences, d’une part, sur les travailleurs et les orga- nisations et, d’autre part, dans leurs pratiques d’intervention.

Aussi, afin d’instruire les transformations en la matière, l’analyse s’appuiera sur les discours de quelques professionnels en santé au travail, qui serviront aux réflexions issues de travaux en sciences humaines et sociales, centrés sur l’examen des évolutions du travail contemporain.

Les discours cités ont été recueillis dans le cadre d’un entretien semi-directif, mené auprès de neuf professionnels d’une association de santé au travail de la région Midi-Pyrénées.

Sujets Statut dans l’association

1 Psychologue clinicien 2 Médecin du travail 3 Médecin du travail 4 Ergonome

5 Psychologue du travail 6 Ingénieur en prévention 7 Médecin du travail 8 Médecin du travail 9 Ergonome

Tableau 1.Statut des participants de l’étude.

Cette association a, pour particularité, d’offrir des compétences en ergonomie, psychologie du travail, médecine du travail, psychologie clinique, prévention et communication. L’activité de ces professionnels peut se situer à deux niveaux d’intervention, soit en consultation individuelle soit par des actions directes dans les organisations de travail (prévention, et/ou résolution de conflits inter-groupes). Dans ce dernier cas, même si tous ne vont pas sur le terrain de l’entreprise, c’est l’équipe pluridisciplinaire qui co-construit, au préa- lable, les étapes de la démarche et qui en évalue, ensuite, les effets. La grille d’entretien utilisée comporte des thèmes relatifs à la situation du parti- cipant (statut, formation antérieure, ancienneté à l’association...), à ses champs d’intervention (fonc- tions, types d’intervention...), à ses représentations des conflits dans les organisations, ainsi qu’à sa façon d’analyser et d’appréhender le phénomène dans sa pratique professionnelle. Ces entretiens ont, ensuite, fait l’objet d’une analyse de contenu thématique. Celle-ci permet de repérer : quelques

facteurs contextuels généraux, énoncés comme étant à l’origine des conflits, des facteurs plus spécifiques pouvant rendre compte de leur recru- descence, ainsi que de leur enlisement et, enfin, quelques implications en matière de pratiques d’intervention dans ce domaine.

En amont des conflits organisationnels : les transformations mondiales du travail

Dans les discours de la plupart des profession- nels interrogés, la mondialisation est un thème fortement mentionné (sujets 1, 3, 4, 5, 7, 8, 9). La mondialisation du travail est un terme récent, qui fait écho à la forte croissance démographique au plan planétaire et à l’émergence économique de pays comme la Chine, l’Inde ou les pays de l’Est de l’Europe. Les conséquences en sont une inter- nationalisation des échanges économiques et finan- ciers, avec une possibilité de choisir, pour les entre- prises, le lieu et la main-d’œuvre qui permettent un rendement optimal (Moreau, Trudeau, 1998). On assiste à des mouvements de délocalisations massifs de la production, avec des fermetures d’entreprises, aussi soudaines qu’inattendues pour nombre de salariés. Ainsi, la mondialisation et la financiarisation des échanges entraînent un recul de l’emploi à temps plein, la rareté des contrats à durée indéterminée, des licenciements massifs (Saillard, 1999). Cette ouverture économique planétaire pourrait donner l’illusion que le monde est clos et partagé par les individus, mais ce que rapportent les professionnels de cette étude, dépeint une tout autre réalité. En effet, les personnes qu’ils reçoi- vent et entendent, dans le cadre de leur travail, font état d’une vive inquiétude face à ce phénomène de mondialisation. Ils décrivent leur impuissance face à cette nouvelle donne économique et sociale : (sujet 1)« les gens que l’on entend se sentent seuls face à l’immensité de la planète »; (sujet 3) « ils ont conscience d’être mis en concurrence déjà dans leur entreprise mais en plus avec les autres personnes sur la planète ».

Ces mutations économiques ont, pour consé- quence, des transformations dans les modes d’orga- nisation du travail. De nouvelles méthodes de gestion sont apparues avec, en toile de fond, des politiques de qualité (Dolan, Gosselin, Carrière, Lamoureux, 2002 ; Gaulejac, 2005 ; Sarnin, 2007), centrées sur la mise en œuvre d’un processus de production lié à un cadre d’objectifs axé sur les clients, le tout dans une perspective de rationalisa- tion des coûts. Dans ce contexte, le travailleur se doit d’être responsable, autonome, efficace, mobile et flexible. Notons que ce type de management n’est plus, uniquement, l’apanage d’organisations de travail commerciales ou industrielles, mais qu’il se diffuse et s’implante dans les sociétés de service à la personne (secteurs hospitalier, éducatif,

© Groupe d'études de psychologie | Téléchargé le 05/05/2022 sur www.cairn.info (IP: 134.122.89.123)

(9)

d’insertion et d’orientation professionnelle...), où il génère une transformation importante des rapports à l’activité de travail, ainsi que des relations à autrui (collègues, hiérarchie, mais, également, bénéfi- ciaires du service). Les professionnels interrogés citent, presque tous, ces méthodes de management par objectifs, avec un regard critique à leur encontre : (sujet 3) « les modes de management favorisent la mise en concurrence des travailleurs avec l’individualisation des objectifs... vous avez quasiment partout des objectifs individuels »; (sujet 9) « le management actuel est avec des objectifs de gestion, de rentabilité qui fait qu’avec certains métiers, par exemple les éducateurs, c’est complètement incohérent pour eux »; (sujet 7)

« avec ces méthodes de gestion on est dans une concurrence impitoyable, chacun veut garder son poste et être meilleur que le voisin ». Les consé- quences qu’ils relèvent sont énoncées en termes de compétition entre les travailleurs, liée à un senti- ment d’insécurité. Leurs observations rejoignent celles de Gaulejac (2005) qui, à rebours des avan- tages prônés dans les ouvrages de management d’un tel système (avancement au mérite, auto- nomie, mobilité, flexibilité, réactivité...), mentionne les revers humains de cette culture de la « haute performance », avec des vocables tels que la démotivation, la dévalorisation, la perte de l’identité professionnelle et de l’estime de soi, le tout se traduisant par de nombreux troubles psychi- ques, physiques et comportementaux. Un des médecins du travail de cette étude (sujet 7), décrit une organisation du travail « aussi impitoyable qu’auXIXesiècle... un monde du travail où il n’y a plus de compromis possible ».

Cette déshumanisation du travail est mise en rapport, par certains sujets (1, 3, 6, 8, 9), avec les nouvelles temporalités, qu’imposent ces nouveaux modes de management des organisations. En effet, en misant sur la rapidité, la réactivité et l’adapta- bilité quasi immédiate aux demandes de la clien- tèle, la gestion du temps de travail a également été modifiée. Lemoine (2003) signale une augmenta- tion des horaires atypiques, décalés ou continus ou, à l’inverse, fragmentés. L’exigence de performance se double donc d’une importante pression tempo- relle, exercée sur les travailleurs, grandement favo- risée par le perfectionnement des nouvelles tech- nologies de l’information et de la communication : (sujet 6)« il faut travailler dans l’urgence, le tout avec de la qualité »; (sujet 1)« la pression écono- mique et les nouvelles technologies de l’informa- tion ont totalement modifié le temps et l’espace...

l’homme aujourd’hui rompt les limites du temps, dans les entreprises des informations sont bombar- dées vingt quatre heures sur vingt quatre, la nuit, le jour, les jours fériés ». L’image guerrière du bombardement, utilisée par cette psychologue,

traduit le ressenti d’une violence exprimée par les salariés qu’elle reçoit, face à l’exigence d’être, en permanence, vigilant et disponible aux informa- tions, qui transitent dans leurs organisations de travail. Aubert et Roux-Dufort (2003), décrivant le culte de l’urgence, ont analysé les conséquences physiques et psychologiques délétères que peut générer ce contexte, exigeant une réaction immé- diate et instantanée des individus. Au nombre de ces conséquences, les professionnels interrogés ici, même s’ils signalent également, dans leurs discours, des troubles psychiques et somatiques, mettent plus substantiellement l’accent sur la dégradation des relations interpersonnelles au sein des entreprises. La mise en concurrence et la pres- sion à la performance des travailleurs ont, pour effet, selon eux, l’installation de l’individualisme, se traduisant par une violence dans les rapports humains : (sujet 3) « ça se traduit par untel est méchant, il m’a battu, enfin, il m’a battu psycho- logiquement »; (sujet 5) « on constate un processus de dégradation du relationnel... on ne laisse plus la place à la relation humaine »; (sujet 7)« les gens se sentent seuls... il y a des gens qui se sont jetés par la fenêtre, se sont trucidés ! » Nombre de publications font écho aux propos de ces acteurs de la santé au travail et dépeignent l’aggravation du climat social dans les entreprises, comme une conséquence directe des nouvelles méthodes de gestion du travail. Elles montrent, notamment, comment, en favorisant le chacun pour soi, la peur, la violence dirigée vers soi et/ou vers autrui se banalisent (Dejours, 1998, 2007, 2009 ; Duriez, 2007 ; Marsan, 2006 ; Pezé, 2008...).

Comme le souligne un des médecins, (sujet 3)

« chacun joue pour soi, l’autre est perçu comme une menace ». On peut, dès lors, comprendre qu’un tel climat de travail débouche sur des incompatibi- lités d’objectifs et d’idées qui, comme nous l’avons signalé en amont (Compère, 2002), sont à l’origine des conflits. Cependant, leur augmentation crois- sante, ainsi que leur profondeur, semblent préoc- cuper les professionnels de la santé au travail et constituent une nouvelle donne.

Constat d’un accroissement et d’un enlise- ment des conflits organisationnels

Le constat d’un accroissement du nombre de conflits au travail est unanimement partagé par les professionnels interrogés : (sujet 7) « les conflits organisationnels, on ne voit que ça ! »; (sujet 9)

« ça tend à augmenter... 80 % des interventions traitent autour du conflit ». Les conflits qu’ils ont à traiter sont, principalement, intra-organisation- nels et se situent aux niveaux interpersonnel, inter- groupes et intra-groupes (Compère, 2002 ; Scher- merhorn et coll., 2010). Ils remarquent une modification quant à l’intensité des conflits qu’ils

© Groupe d'études de psychologie | Téléchargé le 05/05/2022 sur www.cairn.info (IP: 134.122.89.123)

(10)

ont à traiter. En effet, il semblerait que les demandes d’intervention leur soient, désormais, adressées lorsque la situation est tellement problé- matique que soit il n’y a plus de communication possible entre les individus antagonistes soit la communication est devenue délétère (harcèlement, violences verbales, voire physiques). De sorte que les problèmes qu’ils ont à examiner et à résoudre en sont, souvent, à la phase d’enkystement, décrite par Leroy et Faulx (2002), qui caractérise l’hyper- conflit : (sujet 4)« on est de plus en plus sollicités pour des problèmes de conflits profonds qui au départ étaient souvent interindividuels et qui se sont ensuite cristallisés entre des groupes. Mais c’est assez compliqué pour nous... en fait, on fait appel à nous lorsque le conflit est bien enkysté et c’est vraiment très difficile pour nous d’intervenir ».

Les causes de l’accroissement et de l’enlisement des conflits intra-organisationnels, avancées par les professionnels, sont directement imputables à des facteurs inhérents aux modes de gestion des orga- nisations de travail, mentionnées précédemment : individualisation des objectifs, pression temporelle, recherche de rentabilité maximale, mise en concur- rence des individus, entretien volontaire, par les dirigeants, d’un contexte d’incertitude, quant à la pérennité de l’entreprise. En lien avec ces moda- lités managériales, quasiment tous mettent en avant l’absence de lieux de régulation des problèmes dans les entreprises : (sujet 1)« il y a une perte des lieux où on régule »; (sujet 2)« les conflits dégénèrent parce qu’ils ne sont pas réglés par l’entreprise, ça traîne, on laisse la situations se dégrader »; (sujet 7) « ceux qui possèdent les entreprises aujourd’hui ne règlent plus les problèmes, la vie de l’entreprise ne les intéresse pas, quand ça ne va pas ils partent avec les bénéfices ». Le point de vue de ces professionnels rejoint celui de Gaulejac (2005), qui signale la déresponsabilisation et l’aveuglement des entreprises, face aux difficultés rencontrées par les salariés, ce qui a pour effet une aggravation continue de leurs conditions de travail, ainsi que des problèmes relationnels et de santé.

Marsan (2006) établit le même constat et souligne la nécessité de rétablir des instances de régulation dans les organisations de travail, pour éviter d’en arriver à de violentes interactions, susceptibles de toucher tous les personnels de l’entreprise. Il est, selon elle, indispensable d’introduire un tiers, afin de redonner à chacun un sens et une structure au travail. Le tiers essentiel est, semble t-il, à situer du côté de la parole, du côté de lieux où le travail peut réellement se parler. Le discours du sujet 1 est, à ce titre, explicite :« il y a besoin de lieux où on se transmet des trucs, des astuces, des combines pour tenir. La parole n’est plus authentique dans le sens où il est très difficile d’aborder le réel du

travail... on parle juste du travail prescrit qui ne décrit en rien la réalité du travail, on est dans des représentations Power Point de quarante pages toutes en couleurs, on pourrait créer une nouvelle catégorie nosographique qui est le coma Power Point ». En accord avec ces propos, Frommer (2010), décryptant « la pensée Power Point », montre comment l’utilisation de ce logiciel, devenue indispensable dans nombre d’organisa- tions, a participé à y transformer le statut de la parole. En effet, de simple support visuel, destiné à soutenir l’attention des auditeurs, l’usage de cet outil est devenu une fin en soi, une mise en scène esthétique, vidant la parole de son contenu essen- tiel, au point de ne faire ressortir qu’une schéma- tisation superficielle de la pensée. De sorte que, dans la plupart des cas, il n’y a plus véritablement de partage et de co-création des idées en milieu professionnel. En définitive, seule apparaît l’acti- vité réalisée en vidée de toute l’inventivité et de la réflexion qui lui ont permis d’exister. En analyse du travail, Clot (1998, 1999 ; Clot, Faïta, 2000), démontre, pourtant, l’importance qu’il y a à opérer une distinction entre l’activité réalisée et le réel de l’activité, qui rend manifeste l’investissement subjectif, qui imprègne toute forme de travail.

Notamment, avec la méthode du sosie (Clot, 2001), il analyse cette subjectivité et montre qu’entre la tâche prescrite et l’activité réelle, l’individu produit le sens de son action, en même temps qu’il recherche une « efficacité malgré tout ». Avec cette méthode (inspirée par les expériences de Vygotski), il instaure un cadre de controverse sur le métier, permettant de casser la coïncidence entre ce qui existe du travail et celui qui accomplit ce travail.

Ce faisant, les personnes peuvent énoncer la façon dont elles concilient les limites, ce que Vygotski appelle les zones de développement potentiel, c’est-à-dire toutes ces « inventions », qu’elles mettent au point pour contourner la rationalité tech- nique et économique (détournement informel des règles formelles, techniques personnelles...). Clot (1998) préconise un travail de prise de conscience des outils cognitifs mis en œuvre, de manière impli- cite, dans les activités pratiques, lors de la confron- tation à des activités multiples et ambigües, voire inconnues. Ainsi, les nouvelles méthodes managé- riales, en favorisant l’isolement et l’individualisme des travailleurs, en appui sur des outils de commu- nication qui renforcent cette tendance, ne permet- tent plus que s’échangent, à un niveau collectif, ces modalités de régulation individuelles : (sujet 1)

« les gens ne peuvent plus se raconter les trucs que l’on fait par rapport au boulot, se soutenir »; (sujet 6) « les collectifs de travail ont complète- ment sauté, les gens ne prennent pas le temps de s’écouter »; (sujet 9)« il y a de moins en moins de collectif, du coup le collectif il est plus là pour

© Groupe d'études de psychologie | Téléchargé le 05/05/2022 sur www.cairn.info (IP: 134.122.89.123)

(11)

soutenir, entraider et permettre de soulager ». Il y a donc de moins en moins d’espaces, de lieux éponges, où peut être, collectivement, élaboré un langage commun, à propos des règles de métier qui ne sont pas réductibles aux règlements, procédures et normes, institués dans et par les organisations de travail. Cette crise de l’échange des dires se double d’une perte d’emprise du collectif syndical, qui exerçait une fonction de vigilance et d’instauration du dialogue social dans l’organisation de travail : (sujet 1) « il n’y a plus de rapports sociaux de classe... maintenant les liens de subordination sont totalement asymétriques dans le travail ». Comme l’ont mentionné Faulx (2009) et Marsan (2006), le déclin du syndicalisme favorise, également, le développement de conflits interpersonnels et inter- groupes. Dans un tel contexte, décrit négativement par les professionnels de l’étude, on peut s’inter- roger quant aux pratiques d’intervention qu’ils élaborent en matière de conflits au travail.

QUELQUES IMPLICATIONS EN MATIÈRE DE PRATIQUES D’INTERVENTION

Les pratiques d’intervention, inhérentes aux conflits organisationnels, sont mentionnées, par les professionnels interrogés, comme des freins, mais aussi des leviers à explorer. Tous font état de problèmes liés, à l’origine de demandes relatives à l’analyse et à la résolution du conflit dans l’entre- prise. En effet, ils expliquent que les sollicitations qu’ils reçoivent émanent, majoritairement, des employés qui viennent à l’association, dans le cadre de consultations individuelles, auprès des médecins et psychologues et, de plus en plus rarement, de l’employeur : (sujet 3)« en Belgique si un salarié se plaint il y a obligation de faire une expertise, chez nous si le chef d’entreprise ne veut rien faire il ne se passera rien »; (sujet 5)« tout dépend de la volonté du directeur-manager, les dirigeants ne sont pas toujours ouverts aux interventions exté- rieures »; (sujet 7) « pour rentrer à partir d’une alerte, c’est pas évident, il y a une résistance des entreprises à admettre le problème »; (sujet 9)« la direction peut être dans le déni, c’est-à-dire attri- buer aux personnes la responsabilité du conflit ».

Selon eux, ce qui a changé en peu de temps, c’est le fait qu’autrefois le recours aux professionnels de la santé au travail, en particulier aux psychologues et aux ergonomes, survenait lorsqu’un conflit commençait à s’installer dans l’organisation.

Actuellement, ils sont sollicités par quelques entre- prises, lorsque le conflit est tel qu’il entraîne trop de dégradations dans un service (non atteinte des objectifs, retards importants, relations interperson- nelles fortement altérées...). Comme nous l’avons rappelé plus haut, les différends entre les individus ne sont plus verbalisés sur les lieux de travail, ils

sont déniés, la plupart du temps, par les dirigeants.

Or, pour résoudre un conflit, cela peut sembler banal, il faut reconnaître qu’il existe un problème (Schermerhorn et coll., 2010). En refusant de nommer et de reconnaître l’existence d’antago- nismes, plus ou moins mineurs au départ, les instances dirigeantes concourent à la formation de tensions, qui dégénèrent vers des conflits durs portant, à la fois, sur le fond et sur les émotions.

Y compris lorsqu’elles reconnaissent le problème, il n’en reste pas moins difficile, pour les profes- sionnels de la santé au travail, de se faire accepter comme un tiers légitime, pouvant les aider à résoudre le conflit. Pour obtenir cette acceptation, ils se heurtent à un écueil d’ordre éthique, signalé par les médecins et psychologues de l’étude : (sujet 7)« comment donner l’alerte dans une entre- prise sans impliquer un salarié en particulier ? On ne sait pas faire encore »; (sujet 2)« ce qui nous empêche d’intervenir c’est le côté individuel...

notre frein il est là c’est le secret professionnel, le secret médical, on ne veut pas enfoncer la personne ». De ce côté là, il semble qu’il n’y ait pas de solution claire qui se dessine.

En revanche, pour faire émerger la demande du côté des employeurs, certains préconisent de

« travailler » la confiance des chefs d’entreprise, à travers certaines modalités de communication : (sujet 3) « tout est dans l’art de présenter les choses, il faut éviter de culpabiliser les dirigeants, c’est sûr que si au premier contact on leur parle du conflit pour leur dire que c’est leur faute... il faut tenter de les convaincre »; (sujet 4) « le premier contact avec le chef d’entreprise est primordial, il faut gagner sa confiance »; (sujet 5)

« pour obtenir la volonté du directeur il faut faire passer un certain nombre de messages en douceur, de la manière la plus pédagogique possible ».

L’autre solution envisagée (sujets 1, 2, 4, 5, 7, 9), est la promotion d’actions de prévention primaire en matière de conflits organisationnels. En effet, les professionnels soulignent que, dans ce domaine, leurs interventions restent trop canton- nées à de la prévention secondaire, c’est-à-dire, une fois que les problèmes sont installés : (sujet 5)« on devrait pouvoir faire plus de prévention primaire car quand les conflits sont en place c’est plus diffi- cile à réparer ». Dans de tels cas, les praticiens ont, semble t-il, plus le sentiment de limiter les dégâts que d’obtenir une véritable issue au conflit : (sujet 4)« c’est difficile de mener des actions effi- caces s’il n’y a pas eu de prévention avant ». On identifie, chez ces professionnels, une certaine impuissance face à des situations où il aurait fallu agir en amont : (sujet 9)« quand on intervient, les choses se sont trop dégradées ». Ils décrivent leurs difficultés à pénétrer dans les organisations de travail et, de fait, à faire accepter la nécessité

© Groupe d'études de psychologie | Téléchargé le 05/05/2022 sur www.cairn.info (IP: 134.122.89.123)

(12)

d’actions de prévention primaire. Un des moyens imaginé pour ce faire est de profiter de la mise en place du Plan santé travail où, dans le cadre de l’évaluation des risques psychosociaux, ils escomp- tent accéder à plus d’entreprises et se saisir de l’occasion pour « faire prendre conscience aux entreprises que les conflits amènent énormément d’effets négatifs sur les personnes et qu’il est diffi- cile de revenir en arrière une fois qu’ils sont installés... donc les amener à accepter la préven- tion primaire »(sujet 5).

Face à la complexité des conflits qu’ils ont à traiter, une des ressources sur laquelle ils s’appuient est le caractère pluridisciplinaire de leur équipe de travail (sujets 1, 2, 3, 7, 9). Si chacun mentionne les spécificités liées à sa pratique (inter- ventions individuelles opposées à interventions collectives, abord médical ou psychologique), est soulignée l’importance d’une analyse pluridiscipli- naire des conflits, la constitution d’un réseau d’intervention, fondé sur des compétences multi- ples et complémentaires : (sujet 1) « j’interviens plutôt à un niveau individuel mais je fais en sorte que ça s’intègre intelligemment avec des dispositifs plus collectifs »; (sujet 2) « on a des gens qui peuvent nous aider qui sont ergonomes, psycholo- gues, à mettre des stratégies en place »; (sujet 9)

« on essaie d’articuler les interventions indivi- duelles avec les interventions collectives... ça permet d’objectiver les problèmes ». Le travail en équipe pluridisciplinaire constitue un soutien essentiel pour ces professionnels, qui sont, eux aussi, soumis à de fortes injonctions d’efficacité et à une augmentation des sollicitations : (sujet 2)

« nous avons en charge de plus en plus de monde...

on est de plus en plus sollicités pour des problèmes soit de stress, soit de conflits et on manque un peu de recul pour pouvoir analyser tout ça ». Ce mode de fonctionnement leur permet de ne pas sombrer dans les écueils dont ils font état, à propos des orga- nisations de travail (isolement, manque d’échanges sur les pratiques, perte du collectif) et d’alimenter le sens qu’ils donnent à leur travail : (sujet 7)

« c’est tellement complexe que si on ne fait pas corps, le travail qu’on fait peut être vidé de son sens ». En écho à ces propos, on peut évoquer Morin (2003), qui souligne qu’un travail a du sens

lorsqu’il s’accomplit avec les autres, lorsque chacun peut compter sur les autres pour surmonter les obstacles et résoudre les problèmes. Cet appui du groupe professionnel permet, à ces praticiens, de palier tant bien que mal les difficultés à répondre, notamment, aux situations d’hypercon- flits. Néanmoins, les solutions qu’ils élaborent en commun paraissent souffrir d’un manque de réfé- rence méthodologique et théorique : (sujet 7)« on n’est pas suffisamment outillés pour intervenir sur ces conflits, il manque des recherches en la matière »; (sujet 5) « les modèles théoriques du conflit ne cadrent plus avec les nouveaux fonction- nements des entreprises et leur logique d’indivi- dualisation de l’homme au travail ».

Dans cette perspective, on pourrait craindre, à la longue, une usure de ces professionnels qui ont à résoudre des situations délétères, sans être solide- ment « armés » pour faire face aux transformations accélérées des contextes organisationnels. Les chercheurs, notamment en psychologie, qui se consacrent à l’analyse des conséquences des trans- formations dans les organisations de travail ont, ici, une mission cruciale à remplir pour les y aider.

Bien que soumis, eux aussi, désormais, à des critères évaluatifs, fondés sur de fortes attentes de productivité scientifique, ils doivent veiller à enri- chir les connaissances, en fonction des mutations profondes que nous avons décrites tout au long de cet article, tout en évitant de dériver vers une psychologie désincarnée et standardisée.

Certains d’entre eux s’y emploient depuis quel- ques années (Lhuillier, 2006 ; Clot, 2008b ; Clot, Lhuillier, 2010) en développant des modèles et des techniques d’application en milieu de travail, qui considèrent que, d’une part, le sujet « invente », pour faire face aux difficultés qu’il rencontre dans le domaine professionnel et que, d’autre part, ces inventions revêtent d’autant plus de sens qu’elle s’appuient sur le collectif de travail, tout autant qu’elles le nourrissent.

Il importe, donc, de continuer à développer et/ou à promouvoir des conceptions, qui fondent des pratiques de terrain se démarquant d’une idéologie centrée sur la gestion des ressources humaines et qui appellent à plus d’humanité dans la gestion des ressources.

© Groupe d'études de psychologie | Téléchargé le 05/05/2022 sur www.cairn.info (IP: 134.122.89.123)

(13)

RÉFÉRENCES

AEBISCHER (Verena), OBERLÉ (Dominique).– Le groupe en psychologie sociale, Dunod, Paris, 1990.

ANZIEU(Didier), MARTIN(Jean-Yves).–La dynamique des groupes restreints, Paris, Presses universitaires de France, 1994.

AUBERT (Nicole), ROUX-DUFORT (Christophe).– Le culte de l’urgence : la société malade du temps, Paris, Flammarion, 2003.

BOREL (Monique).– Conflits du travail, changement social et politique en France de puis 1950, Paris, L’harmattan, 1998.

CARNEVALE(Peter), PRUITT(Dean).– Negociation and mediation, Annual review of psychology, 43, 1992, p. 531-582.

CAZALS-FERRÉ(Marie-Pierre), CROITY-BELZ(Sandrine).–

Étude exploratoire de l’engagement dans un dispositif de validation des acquis de l’expérience : le rôle des valo- risations et des échanges inhérents aux différents domaines de vie,Pratiques psychologiques, 15, 2, 2009, p. 239-254.

CLOT(Yves).– Le travail sans l’homme ? Pour une psychologie des milieux de travail et de vie, Paris, La découverte, 1998.

CLOT(Yves).–La fonction psychologique du travail, Paris, Presses universitaires de France, 1999.

CLOT(Yves).– Méthodologie en clinique de l’activité : l’expérience du sosie, dans Santiago-Delefosse (M.),Les méthodes qualitatives en psychologie, Paris, Dunod, 2001, p. 125-148.

CLOT (Yves).– Au travail : le sujet en activités.

Communication auxJournées de rencontres autour de l’œuvre de Malrieu, Toulouse, 3-4 octobre 2008a.

CLOT (Yves). – Travail et pouvoir d’agir, Paris, Presses universitaires de France, 2008b.

CLOT (Yves), FAÏTA (Daniel).– Genres et styles en analyse du travail. Concepts et méthodes,Travailler, 4, 2000, p. 7-42.

CLOT (Yves), LHUILIER (Dominique). – Travail et santé. Ouvertures cliniques, Toulouse, Érès, 2010.

COMPÈRE (Bernard).– Régulation des conflits de travail. Cas pratiques pour DRH, Paris, Éditions d’orga- nisation, 2002.

CROZIER(Michel), FRIEDBERG(Erhard).– L’acteur et le système : les contraintes de l’action collective, Paris, Seuil, 1977.

DEDREU(Carsten), BEERSMAC(Bianca).– Conflict in organizations : beyond effectiveness and performance, European journal of work and organizational psycho- logy, 14, 2005, p. 105-117.

DEJOURS (Christophe).– Souffrance en France. La banalisation de l’injustice sociale, Paris, Seuil, 1998.

DEJOURS(Christophe).–Conjurer la violence. Travail, violence et santé, Paris, Payot, 2007.

DEJOURS(Christophe), BÈGUE(Florence).–Suicide et travail : que faire ?, Paris, Presses universitaires de France, 2009.

DESRIAUX (François).– Pièges à « com », Santé et travail, 64, 2008, p. 5.

DOISE (Willem).– L’articulation psychosociologique et les relations entre groupes, Bruxelles, De Boeck, 1976.

DOLAN(Shimon), GOSSELIN(Éric), CARRIÈRE(Jules), LAMOUREUX (Gérald).– Psychologie du travail et comportement organisationnel, Montréal, Gaëtan Morin, 2002.

DURIEZ(Anne).–Alerte à la souffrance. Le mal-être au travail, Paris, Balland, 2007.

FAULX(Daniel).– Les deux faces de la construction sociale du harcèlement moral. Nouveaux regards et nouvelles réalités du monde du travail,Psychologie du travail et des organisations, 15, 1, 2009, p. 5-20.

FIEDLER(Fred Edward).–A theory of leadership effec- tiveness, New York, McGraw Hill, 1967.

FISHER (Roger), URY (William), PATTON (Bruce).–

Getting to yes : negociating agreement without giving in, Boston, Houghton Mifflin, 1991.

FONT-THINET(Elisabeth).– Point de vue des médecins du travail sur les conflits en milieu professionnel, dans Sassolas (M.), Conflits et conflictualité dans le soin clinique, Ramonville Saint-Agne, Érès, 2008, p. 191-197.

FORSYTH (Donelson).– Group dynamics, Pacific Grove, Cal., Brooks/Cole, 1990.

FROMMER(Franck).–La pensée Power Point. Enquête sur ce logiciel qui rend stupide, Paris, La découverte, 2010.

GAULEJAC (Vincent de).– La société malade de la gestion. Idéologie gestionnaire, pouvoir managérial et harcèlement social, Paris, Seuil, 2005.

GORZ(André).–Métamorphoses du travail. Quête de sens. Critique de la raison économique, Paris, Galilée, 1988.

GUILLEVIC(Christian).–Psychologie du travail, Paris, Nathan, 1999.

HELLRIEGEL(Don), SLOCUM(John).–Management des organisations, Bruxelles, De Boeck, 2006.

HOFSTEDE(Geert).–Culture’s consequences : interna- tional differences in work-related values, Newbury Park, CA, Cage, 1980.

KAËS (René).– L’appareil psychique groupal, Paris, Dunod, 1976.

LAZARUS (Richard), FOLKMAN (Suzan).– Stress, appraisal and coping, New York, Springer, 1984.

LEMAINE(Gérard).– Le dépassement des conflits entre groupes, Revue française de sociologie, IX, 1968, p. 89-99.

LEMOINE(Claude).–Psychologie dans le travail et les organisations. Relations humaines en entreprise, Paris, Dunod, 2003.

© Groupe d'études de psychologie | Téléchargé le 05/05/2022 sur www.cairn.info (IP: 134.122.89.123)

Références

Documents relatifs

Pour plus de renseignements vous pouvez consulter le site internet de SWISS TOUR en cliquant sur le lien ci-dessous :. Transferts SWISS TOUR

Salade du chef (fromage type emmental, jambon blanc, salade iceberg,tomate) Macédoine mayonnaise Pastèque en salade Salade de pois chiches. Salade de lentilles aux échalotes Coeurs

Carottes râpées bio Salade verte bio vinaigrette moutarde Thon à la tomate et au basilic. Farfallines et emmental râpé Coupelle de purée

Offres valables sauf erreurs d’impression, jusqu’à épuisement des stocks et des millésimes disponibles.. La plupart des produits sont disponibles dans les supermarchés Delhaize et

54 2021 F 01176 Saisine : le 29/10/2021 (Assignation) Nature : Demande d'admission de créances 1 - SCOP BANQUE POPULAIRE AQUITAINE

Les personnes intéressées ont jusqu'à la date limitede dépôt indiquée dans le tableau ci-dessus pour déposer une demande d'autorisation d'exploiter sur les parcelles

10 13 ALONZO TRAFICANTE SONY MUSIC ENTERTAINMENT.. 11 10 ROSALÍA LA FAMA SONY

Maintien de salaires pour les salariés n'ouvrant pas droit aux prestations de la sécurité sociale (Convention collective nationale des métiers de l'éducation, de la culture, des