Éditorial
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11 mai 2016
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Multimorbidité : une opportunité pour
changer de regard
Pr THOMAS BISCHOFF, Dr LILLI HERZIG, Pr JOHANNA SOMMER et Dr DAGMAR M. HALLER Le thème de la multimorbidité rencontre un
intérêt croissant, dans la communauté scien
tifique, en santé publique et dans notre con
sultation. Il met en relief la force de notre spécialité de médecine de famille en confir
mant que l’approche classique par maladies isolées, avec des arbres décisionnels sim
plifiés, n’est fréquemment pas adaptée à la prise en charge de nos patients.
Le développement du concept de la multimorbidité est donc une opportunité pour la science mé
dicale. Elle nous rappelle l’impor
tance de considérer une personne malade dans son ensemble, en dehors des silos des monopa
thologies ! Mais à l’heure actuelle, les outils scientifiques manquent
pour une telle approche. Pour les développer, il nous faut renforcer la recherche impliquant des patients multimorbides non sélectionnés, tels que nous les rencontrons dans nos cabi
nets. Les résultats de ces études nous guide
ront vraisemblablement vers des pistes de prise en charge plus complexes. Déjà aujourd’hui, nous assistons à un certain assouplissement de la normativité des guidelines, s’adaptant à l’âge, aux comorbidités et à l’état général de la personne malade. Donc, grâce à la prise de conscience de la multimorbidité, la science médicale évolue.
L’évolution du concept de la multimorbidité est aussi une opportunité pour le médecin de famille ! Nous avons l’habitude de soigner des personnes qui souffrent de plusieurs condi
tions (chroniques ou non) en parallèle. Cette prise en charge mêle souvent science et bon sens pour une application raisonnable et rai
sonnée des recommandations existantes, tout en gardant le souci de considérer le patient dans son ensemble, en tenant compte de ses priorités et de ses valeurs. Barbara Starfield a confirmé depuis longtemps la pertinence de cette démarche, soulignant le rôle central du médecin de famille dans la prise en charge du patient multimorbide,1 autant pour l’importance de la prise en charge globale (avec un meilleur résultat final), la coordination des soins, l’équité dans l’accès aux soins et la prévention de la sur
médicalisation. En tant que méde
cins de famille, nous restons donc incontournables !
L’avancée des réflexions sur la multimorbidité sera aussi une op
portunité pour les patients ! Ce constat paraît au prime abord absurde, mais il prend son sens quand nous savons que ce n’est pas le nombre de maladies qui déter
mine la qualité de vie d’un patient. Si nous arrivons à rester à disposition pour offrir les réponses nécessaires, en tenant compte des priorités du patient, de ses valeurs et de ses représentations, de ses ressources et de son environnement, son état de santé et son bien
être ne se définiront certainement pas par l’addition de ses pathologies isolées.
Le constat que la multimorbidité est plutôt la norme que l’exception devrait aider à rendre la médecine plus humaine. Cela devrait nous aider à prendre en charge nos patients avec tout notre savoir scientifique, tout en le rela
tivisant dans la complexité, avec un regard critique, une acceptation de l’incertitude et une certaine humilité. Et la médecine (re)de
vient ainsi un vrai art.
LE CONSTAT quE LA MuLTI- MORBIDITé EST
PLuTôT LA NORME quE L’ExCEPTION DEvRAIT AIDER
à RENDRE LA MéDECINE PLuS
HuMAINE
Bibliographie 1
Starfield B. The hidden inequity in health care.
Int J Equity Health 2011;10:15.
Articles publiés sous la direction de
THOMAS BISCHOFF Directeur
Faculté de biologie et de médecine PMU, Lausanne
LILLI HERZIG Responsable recherche Institut universitaire de médecine générale Faculté de biologie et de médecine PMU, Lausanne
JOHANNA SOMMER Responsable de l’unité
DAGMAR M. HALLER Responsable recherche Unité de recherche et d’enseignement de médecine de premier recours
Faculté de médecine de Genève CMU, Genève
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