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Un système d’information foncière pour gérer le risque
d’inondation : expérimentation à Praia ( cap vert)
Romualdo de Barros Correia
To cite this version:
Romualdo de Barros Correia. Un système d’information foncière pour gérer le risque d’inondation : expérimentation à Praia ( cap vert). Etudes de l’environnement. Université d’Avignon, 2019. Français. �NNT : 2019AVIG1198�. �tel-02886527�
THÈSE
DE DOCTORAT D’AVIGNON UNIVERSITÉ
École Doctorale N° 537 Culture et patrimoine
Spécialité : Géographie économique, physique, humaine et régionale Laboratoire : UMR ESPACE 7300 CNRS
Présentée par
Romualdo de Barros CORREIA
UN SYSTEME D’INFORMATION FONCIERE
POUR GERER LE RISQUE D’INONDATION
Expérimentations à Praia (Cap-Vert)
Soutenue publiquement le 18/12/2019, devant le jury composé de :
M. CUNHA Lúcio Professeur, Université de Coimbra (Portugal) Rapporteur Mme DAVOINE Paule-Annick Professeure, Université Grenoble Alpes, UMR PACTE Rapporteure
M. DOUVINET Johnny MCF-HDR, Avignon Université, UMR ESPACE Co-directeur de thèse M. GRASLAND Loïc Professeur, Avignon Université, UMR ESPACE Directeur de thèse M. LEONE Frédéric Professeur, Univ. Paul Valéry-Montpellier 3, UMR GRED Examinateur Mme PROVITOLO Damienne Chargée de recherche CNRS, UMR Géoazur Examinatrice
Sommaire
SOMMAIRE ... 3 RESUME ... 4 ABSTRACT ... 5 REMERCIEMENTS ... 7 SIGLE ET ABREVIATIONS ... 8
INTRODUCTION
GENERALE ... 9
PARTIE
I ‐ LE RISQUE INONDATION AU CAP‐VERT ET EN PARTICULIER A
PRAIA
: UNE PREOCCUPATION SOCIETALE TRES TARDIVE ... 19
INTRODUCTION DE LA PARTIE I ... 20 CHAPITRE 1 – ÉVALUER LE RISQUE : CADRAGE THEORIQUE ET TERMINOLOGIQUE ... 21 CHAPITRE 2 – L’ENDOMMAGEMENT : UN INDICATEUR A EVALUER A TRAVERS LES ECHELLES ... 52 CHAPITRE 3 – PRAIA : UN TERRITOIRE CUMULANT DES VULNERABILITES MULTIFORMES ... 74 CONCLUSIONS INTERMEDIAIRES ... 105
PARTIE
II ‐ CONTRIBUTION A LA CONNAISSANCE DES VULNERABILITES A
L’AIDE
D’UN SYSTEME D’INFORMATION FONCIERE (SIF) ... 107
INTRODUCTION DE LA PARTIE II ... 108 CHAPITRE 4 – POURQUOI PROPOSER UN SYSTEME D’INFORMATION FONCIERE (SIF) A REFERENCE SPATIALE ? ... 109 CHAPITRE 5 ‐ CONCEPTION DU SYSTEME ET PREMIER RESULTATS OBTENUS ... 141
CONCLUSION
GENERALE ET RECOMMANDATIONS ... 185
REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES ... 189 TABLE DES MATIERES ... 195 TABLE DES ILLUSTRATIONS ... 198 TABLE DES TABLEAUX ... 200 ANNEXES ... 201Résumé
Les phénomènes extrêmes associés au changement climatique sont devenus un sujet de recherche majeur, à cause notamment du coût des dégâts (économiques, humains, sociaux et environnementaux), qui ont un impact négatif sur les PIB et dont les pays les plus pauvres ont le plus à souffrir. De manière plus localisée, la ville de Praia, capitale du Cap‐Vert, est confrontée à différentes catastrophes et en particulier aux crues rapides, des aléas qui se manifestent entre juillet et août, suite à des pluies intenses, et qui ont tendance à s’intensifier. Ces inondations, aggravées par la conquête d’espaces urbanisés dans des zones à risque, notamment les fonds de vallées et des secteurs à forte pente, augmentent le niveau d’exposition des riverains. Ces derniers sont aussi vulnérables car certains habitent dans des habitats précaires clandestins. Face à un tel constat, cette recherche propose de créer et de déployer un prototype de Système d’Information Foncière cadastrale, à référence spatiale, pour proposer des indices de risque du bâti face aux crues rapides et pour accroître les connaissances de l’administration foncière. Le système se structure autour de deux aspects: une composante « gisweb mobile », qui permet la collecte électronique de données depuis le terrain, favorisant ainsi la participation des ménages dans le processus d’évaluation de leur risque et leur propre vulnérabilité, tout en permettant la collecte in situ ; une composante « station de travail » (workstation), permettant le traitement et la diffusion d’informations sur les risques tout en envisageant la gestion du risque à l’échelle de la ville. Pour ce faire, les langages html, JavaScript et CSS et les technologies open source (Google API, PostgreSQL/PostGIS, le langage PHP, OpenLayers 3, logiciel QGIS, Geoserver) ont été utilisées, pour rendre l’outil à la fois transposable et opérationnel. On a pu constater d’après l’échantillon enquêté que le niveau de risque des logements face aux crues rapides est important (33%), et il s’explique essentiellement par la vulnérabilité géographique et environnementale des constructions associée à la précarité socioéconomique des foyers.
Abstract
Cadastral Information System for flood risk management. Experiments in Praia, Cape Verde Extreme disasters related to climate change have become an increasing research topic, particularly due to the cost of damage (economic, human, social and environmental), which has a negative impact on GDP and from which the poorest countries suffer most. More locally, the city of Praia, the capital of Cape Verde, has to face to various disasters, especially flash floods. These hazards occur between July and August, following heavy rains, and tend to intensify. These floods, aggravated by the conquest of urbanized areas in high‐risk areas, in valley bottoms and steeply sloping areas, increase the level of exposure of residents. The latter are also vulnerable because someone’s live in precarious illegal habitats. In response to this situation, this research proposes to create, test and deploy a prototype cadastral Land Information System, with spatial reference, to propose indicators of the risk of buildings in the face of rapid flooding and to increase the knowledge of land administration. The system is structured around two aspects: a "mobile gisweb" component, which allows electronic data collection from the field, thus promoting the participation of households in the process of assessing their own risk and vulnerability, while allowing in situ collection; and a "workstation" component, allowing the processing and dissemination of risk information while considering risk management at the city level. To do this, html, JavaScript and CSS languages and open source technologies (Google API, PostgreSQL/PostGIS, PHP, OpenLayers 3, QGIS software, Geoserver) were used to make the tool both transposable and operational. According to the sample surveyed, the level of risk of housing in the face of rapid flooding is high (33%), and it is explained by geographical and environmental vulnerabilities of buildings, associated with the socio‐economic insecurity of households. Keywords: Vulnerability, risks, cadastral information system. Evaluation
Remerciements
Après huit longues années entre le Cap‐Vert et Avignon, j’ai compris que la thèse était loin d’être un travail solitaire. Dans cette aventure, j’ai croisé de nombreuses personnes dont la générosité et le soutien ont été décisifs dans ma démarche. Tout d’abord, j’exprime ma gratitude au Professeur Loïc Grasland qui m’a fait confiance et accepté dans le laboratoire UMR ESPACE. M. Loïc Grasland m’a soutenu pendant toutes ces années, soit au niveau psychologique, soit au niveau linguistique et m’appris à traverser le désert. Je lui serai éternellement reconnaissant de tous ses enseignements, ses conseils et son soutien et surtout de sa patience. Sans son soutien inconditionnel, cette thèse n’aurait pu aboutir. Merci au Professeur Johnny Douvinet pour avoir accepté la codirection de la thèse, et pour ses conseils et ses critiques qui m’ont énormément servi. Je tiens à le remercier sincèrement pour tous les enseignements qu’il m’a transmis. Mes remerciements vont également aux professeurs et chercheurs géographes qui ont accepté de participer à mon jury. Merci en particulier à mes pré‐rapporteurs M. Lucio Cunha de l’Université de Coimbra et Mme Paule‐Annick Davoine de Grenoble qui ont pris la responsabilité de faire des rapports pour autoriser la soutenance, et à M. Frédéric Leone et Mme Damienne Provitolo pour la lecture attentive, peut‐être un peu ardue, et l’examen critique du manuscrit.
Je remercie le gouvernement français qui a financé en partie la thèse, et dont le soutien a été déterminant. Merci aux responsables du Service Culturel et d’Action Culturelle, en particulier à M. Mathiew Gardon Mollard, Mme Graziella Neves‐Forte Canihac et Mme Marie‐ Thérèse Tavares, d’avoir cru et soutenu financièrement cette thèse, sans oublier bien sûr l’excellent support de Campus France. Je tiens à remercier mes collègues du laboratoire UMR Espace 7300 CNRS pour les moments et soirées partagés. Merci à toutes les personnes de l’École Doctorale ED 537 et tous les services administratifs pour leur accueil sympathique et leur soutien à ce projet de thèse. Mes remerciements vont aussi au Professeur Lucio Cunha de l’Université de Coimbra pour les conseils et critiques très utiles à la rédaction de la thèse. Merci à mon collègue le Professeur Domingos à l’Uni CV qui m’a remplacé à plusieurs reprises pour que je puisse me rendre en France pour des séjours de courte durée. Je remercie les étudiants de géographie et aménagement du territoire qui ont fait des collectes de données terrain et particulièrement les étudiants du cours d’informatique de l’Uni CV, Gerson et Ricardino, pour leur soutien dans le codage du système, pour leurs échanges et les nombreuses heures de discussions.
Et pour terminer, ma reconnaissance va à ma famille en France et au Cap‐Vert pour leur soutien affectif et matériel dans ce travail doctoral. Merci à mon épouse et à mon petit fils, Francisco, né au début de cette thèse, qui ont supporté mes absences toutes ces années. Enfin, merci très sincèrement à ceux et à celles que je n’ai pas cités, car beaucoup de personnes m’ont apporté leur soutien dans le cadre de ce modeste travail.
Sigle
et abréviations
AUGI : Aires Urbaines de Genèse Illégale
B.O. : Bulletin Officiel
CRED : Centre de recherches sur l’Épidémiologie des Catastrophes NOSI : Centre Opérationnel du Système d’Information de l’État
EM-DAT Emergency Events Database / Base de données des événements d'urgence FAO : Fonds des Nations-Unies pour l’Agriculture
LMITS : Gestion d’Information et de Système de Transaction des Terres INGT : Institut National de Gestion du Territoire du Cap-Vert
INMG : Institut National de Météorologie et Géophysique (du Cap-Vert) INIDA : Institut National de Recherche Agricole du Cap-Vert
LADM : Land Administration Domaine Model
PD : Plan d’urbanisme détaillé
PEM : Plan d’Urgence Municipal
PDM : Plan Directeur Municipal
RGPH : Recensement Général de la Population et de l’Habitat RRD : Réduction des Risques Naturels et des Catastrophes EROT : Schéma Régional d’Aménagement du Territoire SMPC : Service Municipal de la Protection Civile
SNPC : Service National de la Protection Civile SNPC : Service National de Protection Civile
SIF : Système d’information foncière
SIM : Système d’Information Municipal
SIT : Système d’Information Territorial
SIERA : Système d’Inventaire et d’Évaluation du Risque
UNISDR : United Nations Office for Disaster Risk Reduction /
Bureau des Nations-Unies pour la Réduction des Risques de Catastrophes
Introduction
générale
Contexte
de recherche
La manifestation des catastrophes naturelles est liée au changement climatique, mais elle résulte aussi des politiques publiques, des décisions individuelles (mal adaptées aux contextes territoriaux) ou des stratégies collectives, ce qui entraîne dans tous les cas des pertes humaines et économiques qui pèsent significativement dans le budget des États. Ces pertes sont lourdes dans les Pays en Voie de Développement et dans les petits pays insulaires, et la vulnérabilité s’y accroît à cause d’un étalement urbain qui est mal maîtrisé par les pouvoirs publics. La croissance exponentielle de la population urbaine dans les PVD à partir de la deuxième moitié du XXe siècle a provoqué une demande brutale de logements urbains, que les pouvoirs publics ont eu du mal à satisfaire. Cet étalement urbain s’est traduit, comme dans les pays développés d’ailleurs, par une consommation dans des espaces à risque. La gestion des risques naturels requiert alors une connaissance fine des territoires, dans toutes leurs dimensions, et il faut aussi bien appréhender la question des aléas et des expositions, que des vulnérabilités et des résiliences intrinsèques.De façon spécifique, plusieurs chercheurs ont déjà démontré l’intérêt d’une intégration d’un volet risques naturels dans un SIF, Système d’Information Foncière (Dale & McLaughlin, 2003 ; Roy & Viau, 2011 ; Enemark, 2009 ; Williamson, Ian, Enemark, Wallace & Rajabifard, 2009). Les informations géospatialisées, les bases de données spatiales, les outils libres Open source et les dispositifs mobiles ou les technologies du web permettent aujourd’hui la création de ces SIF, qui sont capables d’assurer une tâche centrale de production de données et de connaissance pour la prévention, l’atténuation et/ou la gestion des risques. L’intégration des technologies web peut par ailleurs compenser le manque de séries historiques ou l’absence de données quantitatives, d’autant plus dans les Pays en Voie de Développement. De manière plus précise, cette recherche porte sur l’évaluation des vulnérabilités face aux crues rapides, dans un contexte où les données, peu nombreuses, sont difficiles à capitaliser. Si les outils hydrologiques de modélisation (pour estimer la hauteur ou la cinématique des crues) peuvent être utilisés, pour délimiter les emprises spatiales des surfaces inondables dans des
contextes géomorphologiques type « flood‐plain » par exemple, il n’en est pas de même sur les petits affluents et les torrents de montagne. Pourtant, c’est bien dans ces secteurs, à réponse très courte, que les inondations peuvent se produire de manière soudaine et violente (Borga et al., 2008). Les impacts y sont d’ailleurs plus virulents que dans les plus grands bassins versants (< 20km2). Les interactions, perpétuelles et continues entre les processus propres à l’aléa (i.e. ruissellement, débordement, charriage de fond, sapement latéral de berges, apport en Matières en Suspension) rendent pourtant ces phénomènes « complexes », à évaluer, à mesurer, mais aussi à anticiper et à prévoir (Ruin et al., 2007 ; Braud et al., 2014).
Présentation
et justification du site d’étude
État insulaire archipélagique d’une superficie de 4 033km2, avec un Produit Intérieur Brut par habitant (PIB per capita) d’environ 3 000 dollars, le Cap‐Vert est très vulnérable d’un point de vue environnemental, social et économique. Ces vulnérabilités deviennent exacerbées face à certains aléas, comme les crues rapides ou les sécheresses, dont les manifestations sont de plus en plus fréquentes. La population est de 491 683 habitants (d’après le Recensement Général de la Population et de l’Habitat, 2010), pour une densité démographique d’environ 122 hab./km2.
L’archipel du Cap‐Vert se localise entre les 15e et 17e parallèles nord, à 400 km de la côte ouest du continent africain, en plein océan Atlantique (Figure 0.1). A ce titre, le pays se situe au sein de la bande zonale de la région sahélienne, et les précipitations moyennes annuelles sont faibles et irrégulières (Amaral, 1964). Ce contexte constitue une menace croissante pour le milieu physique, qui se dégrade à cause d’une érosion des sols accrue. Mais les catastrophes ne font que révéler d’autres vulnérabilités sous‐jacentes, comme la pauvreté d’un certain nombre de riverains, ou des conditions de précarité qu’il est nécessaire de comprendre avant de tenter de les diminuer. Après l’Indépendance (signée en 1975), le premier gouvernement, qui a eu la responsabilité de conduire le destin du pays jusqu’en 1990, a mis en œuvre un régime de gestion centralisée tout en privilégiant un modèle du développement économique tripolaire. Trois pôles (Praia, São Vicente et Sal) ont été privilégiés pour les investissements publics. Les conséquences de cette décision politique ont été de deux ordres : 1) une accélération de la croissance urbaine, associée à l’insuffisance d’outils de planification de l’occupation du sol ; 2) un accroissement des espaces urbains dans les zones inondables, tendance qui se poursuit encore aujourd’hui. Du point de vue de contingent populationnel, le pays se trouve dans le groupe des 10 pays les moins peuplés du continent africain. Les chiffres sont très loin de la médiane, que se situe aux alentours de 6 867 092 habitants dans l’ensemble des 54 pays considérés. Le pays présente un revenu per capita en 2014 de 3593$ américains (d’après les Comptes Nationaux, 2014), et ce revenu est donc 4 fois inférieur à la moyenne des pays de l’OCDE (2016).
La localisation géographique (en plein océan Atlantique) du Cap‐Vert est stratégique dans les réseaux d’échange entre les continents. A ce titre, le pays a su profiter de sa localisation pour s’imposer dans le contexte de dialogues inter‐états. Néanmoins, cette localisation avantageuse expose aussi le pays à deux menaces naturelles majeures, la sécheresse et les pluies torrentielles. Le pays est en effet très affecté par les conditions climatiques des déserts du Sahara, parfois par des cyclones. En qui concerne les cyclones, la probabilité qu’il y en ait est faible, mais le pays est relativement vulnérable vu qu’il est très proche d’une zone active de cyclogenèse qui migre vers les Caraïbes et l’Amérique du Nord. Au fil des discussions, un zoom plus spécifique sera mené à l’échelle de la ville de Praia, la capitale du pays. Cette ville se localise dans le sud de l’île de Santiago, au sud de l’archipel du Cap‐Vert qui comprend 10 îles, dont 9 sont peuplées. L’île de Santiago regroupe plus de la moitié (57,7%) de la population de l’archipel (RGPH, 2010) et la ville de Praia, plus du quart (26%), du fait de son statut de centre administratif, économique et politique du pays. Il y a ainsi un effet de taille, qui attire la population rurale mais également les habitants des autres îles du pays, tout comme une population venant des pays de la côte ouest africaine. Figure 0.1 : Localisation de l’archipel du Cap‐Vert et de la ville de Praia sur l’île de Santiago
Éléments
de problématique
La ville de Praia a connu une dynamique forte de transformation spatiale au cours des 25 dernières années, ce qui s’est traduit par une demande élevée de terrains à bâtir. On assiste ainsi à une forte consommation des espaces à risques. Pour encourager la construction demaisons en dehors de ces espaces, il est important de mettre à disposition de la population des informations à ce sujet. L’information sur les risques auxquels les citoyens peuvent prétendre constitue déjà un droit inscrit dans les lois de la République, notamment dans la Constitution de la République1, dans les Lois de Base de la Protection Civile2 et dans les plans d’urbanisme. Outre ce droit, il y a une demande croissante de connaissance des risques naturels, compte tenu de l’évolution sociale, économique et culturelle de la société cap‐verdienne.
Les études et les recherches portant sur les risques d’inondation au Cap‐Vert, et à Praia en particulier, sont toutefois rares. L’approche aléa‐centrée a souvent été privilégiée par rapport à celle par la vulnérabilité. A titre d’exemple, les études publiques, notamment quelques travaux académiques et le Plan Directeur Municipal (Figure 0.2), s’occupent plutôt de la susceptibilité et de la prédisposition à l’aléa, que du risque à proprement parler, tel qu’il est défini dans la littérature scientifique. Dans le cadre de ces études, on désigne les « zones à risque » comme « les portions d’espace où les conditions physiques sont contraignantes, comme la présence de fortes pentes, des fragilités géologiques ou la présence de rivières ». Dans le PDM de la ville de Praia, les zones classées comme à risques d’inondation (en rose sur la carte) sont confinées aux fonds de vallons, les risques de glissement de terrain (en vert) sont en rapport avec les zones à forte déclivité et la pollution (en bleu pâle) est associée à la proximité du port de la ville de Praia. Pour autant, les études portant sur les zones à risques se focalisent essentiellement sur les paramètres physiques des territoires en laissant au second plan les composantes humaines. La manière dont la classification des zones à risques est présentée dans ces études, et les rapports des services associés, comportent deux problèmes majeurs d’ordre conceptuel : 1) on ne prend pas en compte la résilience, c’est‐à‐dire l’ensemble des mesures adoptées par tout un chacun pour diminuer l’impact des aléas ; 2) les vulnérabilités ne sont jamais abordées parce qu’il n’existe aucune étude sur le sujet basée sur une méthode harmonisée. En raison du manque des données statistiques sur les occurrences des aléas et des dommages, il est par ailleurs difficile de connaître l’exposition réelle de la population. Du fait du contexte archipélagique du Cap‐Vert, une réflexion sur le risque est donc plus que nécessaire, d’autant que la prévention et l’anticipation de l’occupation des zones à risques doivent être mieux définies.
Dans le contexte du changement climatique, les évènements catastrophiques associés à la forte anthropisation de l’espace urbain dont l’usage des sols n’est pas réglementé, constituent par ailleurs des facteurs d’amplification de la vulnérabilité, et par conséquent des risques, pour les espaces insulaires. Une connaissance approfondie des menaces pesant sur ces espaces et une évaluation des niveaux de vulnérabilité s’imposent donc en complément, pour pouvoir informer la population des dangers auxquels elle est exposée.
1 Voir Article 72 Droits de l’habitat (in Constitution de la République du Cap‐Vert, 2010, p. 60).
2 D’après l’Article 8, les citoyens ont le droit d’être informés des risques auxquels sont soumis (voir la Loi n°12/VIII/2012, p.2, publiée dans le B.O n°16, I série du 7 mars).
Source : Câmara Municipal da Praia, 2014 Figure 0.2 : Carte des risques de la ville de Praia, d’après le Plan Directeur Municipal (PDM) Dans le prolongement de ce travail de production de connaissance, il y a les perspectives d’atténuation et de prévention des risques, en cherchant notamment à augmenter la résilience des personnes vivant dans les zones de forte exposition aux risques. C’est aujourd’hui un objectif qui semble aller de soi pour réduire l’impact des dommages subis lors de désastres (et comme le préconisent les Démarches de Réduction des Risques, DRR). L’objectif majeur de la résilience est plus précisément de réduire la vulnérabilité des populations, en renforçant leur capacité à anticiper les catastrophes, à s’y adapter et à y résister. Deux conditions sont essentielles pour y parvenir : la prise de conscience et la mise en place de mesures visant à réduire la vulnérabilité.
Si l’urgence climatique fait progresser de façon générale la prise de conscience des risques, c’est surtout dans les zones menacées à court et moyen terme que s’accroît cette prise de conscience. Encore faut‐il pouvoir aussi entrevoir des perspectives de solution pour échapper aux désastres, car d’une part les discours catastrophistes sur les changements en cours et leurs conséquences sans issue restent largement répandus et d’autre part, lorsqu’elles peuvent être entrevues, la plupart des actions semblent aussi hors de portée de réalisation pour être efficaces, sauf celle de déplacer les populations. Tel semble le cas des constructions, de fait illégales, dans des zones à risques, voire à haut risques, dans les lits majeurs de cours
d’eau ou sur les bassins versants ou cônes de déjection de rivières torrentielles de régions à fort relief. Lorsqu’elles sont conjuguées à des événements climatiques exceptionnels, on ne voit pas bien quelles mesures pourraient favoriser la résilience comme lors de tragédies comme par exemple celle de Vargas au Venezuela en décembre 1999. En zone montagneuse, des dispositifs de correction torrentielle (Piton et al., 2019) peuvent être envisagés, mais ces mesures structurelles excluent toujours les localisations de population dans les zones à risques.
Dans le cas du Cap‐Vert, et de Praia en particulier, la prise de conscience est réelle, mais sans doute la vision des risques est‐elle défaitiste, car les actions visant à réduire le risque dans une optique résiliente sont ponctuelles, réduites et le plus souvent prises à titre individuel lorsque les conditions socio‐économiques des familles le permettent. On peut les circonscrire aux élévations de seuils de porte et au détournement des eaux de ruissellement lorsqu’il y a des crues. On en tiendra compte dans les mesures de vulnérabilité, mais elles semblent dérisoires face à des aléas de grande ampleur.
L’objectif essentiel de ce travail est la connaissance du niveau d’exposition aux risques et de la vulnérabilité des populations. A travers un système d’information aussi informatif et ouvert que possible, il devrait aider aussi bien les autorités que les personnes résidentes à prendre davantage conscience de l’exposition aux aléas et de tous les types de vulnérabilité qui touchent les foyers, à anticiper les crises et limiter les dommages, mais aussi à envisager des solutions résilientes, si elles existent, à défaut de mesures à court terme qui seraient en réalité assez dérisoires dans une majorité de situations. La difficulté à envisager sérieusement des mesures résilientes est liée au fait majeur que la vulnérabilité des populations est liée à la localisation de constructions illégales parce que dans des zones à risque.
Hypothèses
de recherche formulées
Le degré de vulnérabilité découle des conditions socio‐économiques qui caractérisent les familles (Cutter, 2003). Ainsi, pour une population donnée et pour un même niveau d’intensité d’aléa, les dommages auront tendance à croître dans les populations les plus défavorisées. La littérature sur le risque naturel est convaincante à cet égard. On peut aussi admettre que les plus démunis ont moins de ressources pour mettre en place les mesures d’atténuation pour faire face à l’inondation. Cependant, dans un contexte de pauvreté comme celui du Cap‐Vert, il apparaît que le niveau de pertes matérielles, à moins qu’il soit relativisé, ne peut être retenu comme un indicateur de vulnérabilité exclusif, parce que les personnes pauvres sont dépourvues des biens essentiels et n’ont donc pas beaucoup de choses à perdre du point de vue de la valeur marchande des biens. Ainsi, les conditions économiques des familles sont bien plus à l’origine de l’occupation des lieux à risque, où le prix des parcelles à construire est plus bas, voire gratuit, et les coûts de construction sont également moins élevés, à cause de la qualité inférieure des matériaux utilisés. La vulnérabilité sociale détermine donc avant tout lavulnérabilité physique. Nous admettons par ailleurs que la population a une connaissance acceptable du risque encouru. A cause du manque de moyens, elle ne se prédispose pas à vivre un certain degré d’exposition. Néanmoins, le niveau élevé d’exposition de la population aux inondations est en partie atténué par les mesures individuelles. Les niveaux de vulnérabilité sont donc liés à cette précarité.
De façon complémentaire, les facteurs qui déterminent le degré de vulnérabilité face à l’inondation sont associés d’une part aux caractéristiques intrinsèques des enjeux et d’autre part aux paramètres qui définissent les aléas et aux comportements et mesures de résilience adoptés par les familles et les pouvoirs en place. Kelman (2003) et le CEPRI (2014) précisent que l’ampleur des dommages est globalement liée à la montée des eaux et à la durée de submersion. Dans le contexte du Cap‐Vert, l’absence de stations hydrométéorologiques ne permet pas de disposer de données correspondant à ces paramètres et empêche de tester cette hypothèse. On dispose néanmoins de variables comme la proximité au lit des rivières, le contexte géomorphologique, les informations sur la montée des eaux recueillies dans les foyers pour saisir l’impact de l’aléa.
Il faut donc déduire les dégâts potentiels à partir des caractéristiques des habitations et de quelques paramètres hypothétiques d’aléas. Il semble que la vélocité des eaux pluviales sur les sols ayant une forte déclivité joue un rôle significatif dans les dommages à fort impact. En effet, en transportant des charges solides, les crues causent des dommages à la structure physique des bâtiments et aux biens mobiliers. Au‐delà des facteurs associés à l’aléa, Vinet (2007) précise aussi que des facteurs liés à la structure des bâtiments, les matériaux de construction, l’emplacement géographique et le contexte territorial, les caractéristiques sociodémographiques des habitants, peuvent jouer un rôle important, autant d’aggravation que d’atténuation des dommages. Dans l’hypothèse où des bâtiments sont localisés dans des endroits ayant les mêmes caractéristiques physiques, les conditions sociales des familles interviennent et ont le poids le plus important dans la vulnérabilité des habitations, même si ces conditions peuvent changer. Rappelons, ici que l’adoption de mesures d’adaptation (cooping capacity) dépend des ressources financières dont les familles disposent. Ensuite la question de la possession d’un titre de propriété définit l’appartenance à une zone informelle ou formelle et cela a évidemment, avec d’autres facteurs, des influences sur la vulnérabilité. Nous nous centrerons, ici, sur deux facteurs physiques : la distance par rapport à la source d’eau et la déclivité. D’une façon générale, la vulnérabilité des constructions tend à croître en fonction de la proximité aux cours d’eau et dans les zones basses.
Méthode
et objectifs visés
D’un côté, on constate qu’il y a un déficit considérable de connaissance de la vulnérabilité des constructions face à l’inondation urbaine. L’étude la plus approfondie à
propos des risques au Cap‐Vert intitulée Comprehensive Hazard Assessment and Mapping in Cape Verde3
, menée en 2014 par un consortium international sous la direction de l’entreprise Municipia, se limite à la cartographie des aléas. Ses résultats à l’égard de l’aléa inondation sont contestables parce que la méthodologie utilisée ne tient pas en compte des perturbations engendrés par les écoulements d’eau. En effet, le modèle de simulation hydrologique qui utilise le « régime sous‐critique » pour l’écoulement ne s’applique pas lorsque les crues sont torrentielles. Cette étude apporte néanmoins quelques contributions intéressantes qui peuvent être utiles dans la gestion des risques. Devant une telle nécessité, on ne peut qu’être en accord avec les auteurs qui avancent que les études sur la vulnérabilité doivent être privilégiées par rapport à l’aléa. Sous cet angle, la question qui s’impose est la suivante : quel est le degré de risque pour les logements face à l’aléa inondation ? A partir de cette question générale, quatre autres questions émergent :
‐ Quel sont les facteurs déterminants de la vulnérabilité globale des constructions face à l’aléa inondation dans la ville de Praia ? Le terme de vulnérabilité globale est utilisé ici pour essayer d’appréhender la vulnérabilité physique des bâtiments et des biens mobiliers ainsi que les contextes géographiques et institutionnels.
‐ Comment les habitants envisagent‐ils le risque d’inondation ?
‐ Dans quelle mesure les cadres institutionnels et législatifs existants peuvent‐ils contribuer à la diminution des risques d’inondation ?
‐ Comment appréhender et gérer les risques des constructions face à l’inondation à travers un Système d’Information Foncière à Référence Spatiale (SIR) dans un contexte où les données hydrologiques et l’enregistrement des dommages sont limités ? D’un autre côté, les points de vue des chefs de familles seront aussi pris en compte dans l’évaluation des vulnérabilités, à travers les réponses à un questionnaire avec une pondération des facteurs basée sur les opinions d’ingénieurs et techniciens travaillant dans le domaine de la protection civile. Parce qu’il intègre déjà les unités d’habitation en tant qu’éléments de base, le système d’information foncière cadastrale est mobilisé pour exploiter certaines variables cadastrales dans le calcul de la vulnérabilité. A condition que le système le prenne en compte, la participation des citoyens peut améliorer la connaissance des niveaux des risques et de la vulnérabilité. Leur avis est important soit pour les chefs de ménages, soit pour les autorités qui prennent des décisions pour accroître la résilience face à l’inondation.
Pour finir, ce travail vise à concevoir un outil web qui permet, d’un côté, aux services publics d’évaluer le degré des risques des logements face aux crues rapides, à partir de données d’enquêtes recueillies en ligne et stockées dans un système d’information foncière
3 Le titre original est : « Relatório Preliminar: Perfil de Perigosidade de Cabo Verde ». Preliminary Report: Comprehensive National Hazard Profile of Cape Verde. Versão: 1.0, 2014. Le rapport porte sur la cartographie de 8 aléas à l’échelle du pays : crues/inondations, sècheresse, volcanisme, incendie de forêt, séisme, glissement de terrain, épidémie et érosion côtière.
cadastrale à référence spatiale et, d’un autre côté, de mettre à la disposition des citoyens, un service web où ils peuvent se renseigner sur leur niveau de vulnérabilité et de risque encouru. La combinaison d’informations quantitatives issues de modélisations et de données qualitatives collectées par l’intermédiaire du web doit pouvoir contribuer à améliorer la connaissance des risques et par conséquent leur gestion. On s’interroge ainsi sur le rôle qui doit être accordé au Système d’Information Foncière (SIF) dans une démarche de prévention du risque naturel.
Structuration
de la thèse
La thèse est structurée en 2 parties, qui se composent de 5 chapitres. La première partie expose la problématique du risque inondation au Cap‐Vert et à Praia. Le premier chapitre présente les cadres théoriques et terminologiques des risques naturels, et les problèmes que posent leur évaluation au Cap‐Vert et à Praia. Il expose la notion de risque avant d’aborder celle plus précisément de risque d’inondation. Le deuxième chapitre est consacré à l’analyse de l’endommagement à travers différentes échelles et via plusieurs bases de données. Les données issues de consultation auprès de différentes institutions complètent notre analyse. Le troisième chapitre aborde de façon plus ciblée les inondations à Praia et les contextes qui en prédéterminent l’occurrence d’un point de vue physique. De nouvelles données et de nouveaux indicateurs statistiques sont produits. Les profils des dommages aux bâtiments face au risque de crues dans la ville de Praia sont par ailleurs mis en avant, en préambule de la partie II.La deuxième partie montre que les SIF peuvent être des outils contribuant à la connaissance des vulnérabilités environnementales, socio‐économiques et humaines à l’échelle de la ville de Praia. Le quatrième chapitre présente le concept de SIF, ses principes et ses fonctionnalités, et aborde la façon dont l’administration foncière doit évoluer pour en mesurer tout le potentiel. Le cinquième chapitre présente la conception et la modélisation du SIF que nous avons développé, et discute des bénéfices à attendre des résultats obtenus. Notre SIF repose sur deux modules : une composante web mobile, qui met à disposition le questionnaire en ligne, et une autre composante sur station de travail (prototype SIFgRin) pour avoir à disposition les fonctionnalités de visualisation, de croisement d’information et d’analyse spatiale.
La conclusion de la thèse amène plus largement à discuter des ferments indispensables pour l’opérationnalisation de ce Système d’Information Foncière, et propose des pistes pour qu’un tel outil puisse accompagner les stratégies d’aménagement futures au Cap‐Vert.
Partie
I ‐
Le
risque inondation au Cap‐Vert
et
en particulier à Praia : une préoccupation
sociétale
très tardive
Introduction
de la partie I
Conscient des enjeux économiques et sociaux que représentent les risques naturels, le gouvernement du Cap‐Vert a entrepris, depuis le début des années 1990, un certain nombre de réformes législatives dans le domaine environnemental et dans le cadre de l’aménagement du territoire. Des programmes spécifiques4 visent aussi l’atténuation des conséquences des risques naturels. En 1993, des textes de lois relatifs à la politique environnementale prenant en compte la question des risques naturels ont été adoptés. Cette problématique a aussi été officiellement inscrite dans le Décret‐Loi no43/2010. Mais cette prise de conscience semble tardive puisque l’étalement urbain n’a cessé de croître depuis le début des années 1980… L’objectif de cette première partie est de faire un état des lieux des concepts associés à la géographie des risques naturels dans la littérature scientifique, et un état des connaissances sur l’île du Cap‐Vert. Il s’agit ensuite de mettre en avant l’ampleur des différents aléas et leurs impacts économiques, sociaux et environnementaux, qui affectent l’île et en particulier la ville de Praia. Le risque devient réalité quand les conséquences d’un aléa sont difficiles à gérer. Dès qu’un aléa se produit, sa répétition peut aussi être considérée comme « probable » pour des scénarios identiques, d’où la nécessité de mieux cerner cette récurrence et ces probabilités.
Dans cette partie I, après avoir rappelé les principaux concepts sur lesquels ce travail prend attache, nous présentons et discutons des données issues de différentes bases de données et sources détenues par les institutions, à l’échelle du Cap‐Vert puis à l’échelle de la ville de Praia en particulier. Nous avons pris en compte les sources écrites, comme les comptages effectués à partir des journaux, des rapports produits par les services de pompiers qui travaillent sur le terrain, ainsi que des travaux académiques, thèses et livres portant sur les risques naturels à Praia et consultés dans les organismes élaborant les plans d’aménagement. Nous avons réalisé une analyse critique de ces sources, en évaluant la qualité et la fiabilité des informations. A partir de ces éléments, nous avons affiné notre questionnement de recherche, en visant la réduction des risques naturels de manière générale, mais en travaillant ensuite sur le risque inondation, dans un milieu insulaire tropical aride.
4 Le programme Réduction des Risques Naturels et des Désastres (RRD) parrainé par le PNUD figure parmi les outils mis en place pour élaborer des études et fournir les données et indicateurs qui serviront de bases à la formulation de politiques publiques visant l’atténuation de la vulnérabilité des populations face aux risques et changements climatiques dans l’archipel.
Chapitre
1 – Évaluer le risque : cadrage
théorique
et terminologique
Introduction
du chapitre 1
Les terminologies employées et les repères théoriques concernant les risques naturels ont fait l’objet de discussions et de réflexions scientifiques dans divers domaines de connaissance, en ingénierie, en économie, en sociologie, en géographie ou ailleurs. La géographie en tant que champ scientifique à l’interface entre les sciences « dures » et les sciences « souples » a eu un rôle important dans la formulation du corpus théorique de la science du risque5, et elle a ainsi contribué au déploiement des outils de spatialisation des risques, notamment dans le domaine de la simulation. La participation de la géographie, dans un premier temps, repose surtout sur des spécialistes de géographie physique, particulièrement des géomorphologues.
Dans la contribution des géographes, on remarque quelques travaux pionniers. La thèse de doctorat de G.F. White en 1942 intitulée « Human Adjustement to floods : A Geographical
Approach to the Flood Problem in the United States »6 constitue une des références
majeures qui a inspiré et déclenché des recherches chez plusieurs géographes. White (1942) s’insurge contre la perspective structuraliste des ingénieurs qui pensaient que les dégâts provoqués par les inondations pouvaient être contrôlés par la construction d’infrastructures de confinement de l’inondation. Cette prétention de l’homme moderne à maîtriser la nature apparaît de plus en plus défaillante lorsque l’on considère l’accroissement des pertes occasionnées par les manifestations d’événements dommageables. Le géographe G.F. White a ainsi introduit une nouvelle perspective d’analyse, tout en prenant en considération le rôle 5 A notre avis, la dénomination « science du risque » se justifie davantage par le recours à des concepts et à une terminologie possédant une sémantique spécifique que par des méthodes propres et qui ont été empruntées à plusieurs domaines scientifiques, notamment à l’hydrologie, l’ingénierie civile, la psychologie… 6 « L’ajustement humain aux inondations : une approche géographique du problème des inondations aux Etats‐ Unis ». Traduction libre.
de l’homme lorsqu’il affirme que « floods are acta of gods, but flood losses are largely acta
of man » (p. 7). Les dommages sont associés aux comportements humains sur plusieurs
plans, celui de la prise de décision à titre individuel, et celui de la prise de décision au niveau politique, donc à titre collectif. La thèse soutenue par White a contribué à la structuration et à la définition d’un corpus terminologique et théorique de la science du risque en introduisant la notion de vulnérabilité humaine, comme facteur d’aggravation des dommages lors d’une inondation. Autrement dit, on ne peut pas considérer la manifestation d’un phénomène naturel comme seule source de dangers et de dommages. Dans la géographie française, l’appropriation du concept de risque en tant qu’objet de recherche scientifique est récente. En effet, on peut considérer la décennie 90 comme référence. A ce point de vue, le géographe Lucien Faugères7 a été pionnier par ses travaux et en tant qu’un
des animateurs de la conférence sur les risques naturels de l’Unesco à Paris. Il a proposé une réflexion autour de la trilogie « Risque – Danger – Catastrophes » qui, pour certains géographes, constitue les fondements de la science du risque (Rebelo, 2001, p. 215). Les travaux développés par Faugères et ses collaborateurs ont largement contribué à la clarification terminologique et théorique, et aussi à l’appropriation du risque comme objet scientifique par la géographie.
Dans ce contexte, nous ne voulons pas faire une épistémologie de la science du risque, mais souhaitons exposer les concepts relatifs à l’étude des risques naturels, qui serviront de bases dans notre démarche. Aussi, nous discutons le concept de risque naturel tel qu’il est conçu actuellement et nous ferons dans la partie II un état de l’art sur les potentialités d’un Système d’Information Foncière (SIF) à gérer les risques, celui lié aux inondations en particulier.
1.1. Le
risque : un concept polysémique largement débattu
Les risques naturels constituent un enjeu pour les sociétés modernes et pour les petits pays insulaires en particulier. La manifestation d’événements extrêmes de plus en plus fréquents et par conséquent de pertes humaines et matérielles interpelle, soit le gouvernement, soit la communauté scientifique pour apporter une réponse adéquate, qui passe par la connaissance des risques. Dans cette première section, nous allons considérer deux composantes majeures : l’aléa et la vulnérabilité.1.1.1. Le
risque présuppose un aléa, des enjeux, des vulnérabilités…
Le terme « risque » vient du latin classique re+secare qui signifie littéralement « couper » (Dubois, Mitterand, Dauzat & Larousse, 2016, p. 671). Dans son contexte initial, il est associé à 7 La publication de Lucien Faugères en 1990 intitulée « La dimension des faits et la théorie des risques » a été une contribution remarquable aux discussions terminologiques.l’activité commerciale des navires et consiste littéralement en une rupture dans l’acheminement des marchandises qu’ils transportent. Le terme est aussi associé à la nécessité de couvrir les pertes liées aux naufrages de navires. Plus précisément, la naissance de l’activité d’assurances apparaît avec le besoin de compenser les pertes qui résultent des naufrages dans le transport des marchandises. Les notions de dommage potentiel ou réel sont à la base du développement du secteur des assurances qui, sur un plan technique, représentent par ailleurs une précieuse contribution à l’émergence de la science du risque. Comme le souligne Antoine (2012, p. 66), cette expression a été utilisée après la Renaissance pour exprimer le « danger de perte de marchandises consécutives au naufrage des navires ».
D’un point de vue sémantique, le terme a subi une évolution conduisant à intégrer la notion de probabilité. Ainsi, d’après le dictionnaire Larousse en ligne, risque signifie « possibilité, probabilité d'un fait, d'un évènement considéré comme un mal ou un dommage ». En tant que probabilité, la notion fait appel à deux éléments, d’une part l’existence d’une série temporelle, et d’autre part l’incertitude qui est associée à cette série temporelle. En analysant la définition du risque, on est obligé de distinguer ce qui est potentiel, difficile à prévoir et à mesurer, du dommage proprement dit qui traduit une manifestation réelle, c’est‐à‐dire quelque chose de plus tangible et mesurable. Selon Cunha (2013), lorsque nous sommes dans une situation de constat des dommages, autrement dit de quantification des pertes, on n’est plus dans le domaine du risque, mais dans celui de la catastrophe. On retrouve également cette conception chez Dauphiné (2004, 16) lorsque qu’il affirme : « un risque ne peut se matérialiser en catastrophe. Le risque possède une dimension probabiliste qu’une catastrophe n’a malheureusement plus, elle est devenue une certitude ».
Le concept de risque se prête à une polysémie conceptuelle car il constitue un sujet de réflexion pour des chercheurs issus de champs scientifiques assez différents. Ainsi on comprend la difficulté d’avoir une définition qui soit consensuelle parmi les scientifiques, donc la difficulté d’opérationnaliser le concept. Parmi les définitions du risque, nous avons retenu celles qui traduisent les préoccupations des géographes, des ingénieurs et des chercheurs des sciences sociales (Tableau 1.1). L’un des éléments communs et sous‐jacents à toutes ces définitions est l’idée de « pertes potentielles ». Ces pertes peuvent être traduites en tant qu’espérance mathématique, et elles sont donc quantifiables en termes moyens, en tenant compte des paramètres de vulnérabilités intrinsèques et extrinsèques aux enjeux et des paramètres de l’aléa. Un autre élément clé est l’occurrence d’un évènement « dangereux », c’est‐à‐dire l’aléa à caractère naturel ou humain. L’adjectif dangereux présuppose l’existence d’enjeux humains, économiques, fonctionnels et de dimensions symboliques puisqu’autrement l’évènement ne constitue pas une menace.
Le risque suppose donc la manifestation d’une certaine quantité d’énergie susceptible de provoquer des effets non souhaitables d’un point de vue sociétal. La notion de « dommages » est difficile à cerner du point de vue culturel. Comme l’affirme Bailly (dir.) et al. (1996, p. 90), « L’appréhension du risque dépend ainsi de la manière dont la société évalue la menace et son
incertitude ». En effet, le dommage est en fonction du contexte socioculturel et économique, ce qui, dans certains contextes, peut être considéré comme inacceptable à cause de la pénurie extrême de biens. Dans d’autres contextes socioculturels, ce même bien peut avoir moins de valeur et sa perte peut donc être tolérable pour la société. En tant qu’un indicateur de mesure des risques, le dommage réel ou potentiel comporte plusieurs dimensions, et certaines sont intangibles. Tels sont les cas des dimensions fonctionnelles et symboliques. C’est pourquoi la quantification du dommage peut être rendue difficile et par conséquent l’évaluation du risque le devient également. D’un point de vue strictement physique, « le dommage » est associé à la rupture d’un système en équilibre occasionnée par une manifestation d’énergie dont l’intensité dépasse la capacité du système à l’absorber. Vu sous cet angle, le fonctionnement ou dysfonctionnement du système peut être retenu comme un indicateur pour évaluer les dommages, et par conséquent la vulnérabilité.
Auteurs Définition Commentaire Domaine
Dauphiné, 2004, p. 24 « Le risque, produit d’un aléa complexe par une vulnérabilité analytique ou synthétique (…) »
Suppose l’interaction entre l’aléa et la vulnérabilité ; adopte une démarche quantitative ; aborde la vulnérabilité.
Géographie
Leone, 2008, p. 103 « Risque encouru est préférable au terme de risque tout seul ou de risque naturel, car il traduit mieux l'aspect virtuel des pertes attendues par une communauté ou une société donnée exposée à un phénomène potentiellement dommageable »
Se focalise sur le caractère virtuel du risque. La notion de probabilité est évidente.
Géographie
Schwab, Gori, Jeer, Geological Survey (U.S.), & American Planning Association, 2005, p. 26
« Risk the potential losses associated with a hazard, defined in terms of expected probability and frequency, exposure and consequences ».
La dimension économique dans une perspective coût/ bénéfice met en exergue les pertes potentielles et s’inscrit dans la définition précédente.
Ingénierie
Kelman, 2002, p. « risk = ΣAll residences All values of the hazard parameter
[ (hazard parameter value exceedance probability) (vulnerability to that hazard parameter value) ] integrated with respect to the hazard parameter.
Le risque est défini comme une fonction des dommages.
Le risque est vu comme une
espérance mathématique. Ingénierie civile
Aven Terje, 2011, p.1 In short, we write Risk = (A, C, P), where A: what can go wrong (the initiating events) C: the consequences of these events if they should occur
P: the probabilities of A and C
Se focalise sur les interactions avec l’événement, sur ses conséquences et sa fréquence. Économie / assurance Whyte & Burton, 1980, cité par Slaymaker, 1996 Risque « résultat d’une probabilité d’occurrence du “hasard” et ses conséquences sociétales ».
Cette définition met l’accent sur les pertes provoquées par un évènement. Sciences environne‐ mentales Tableau 1.1 : Définition du risque selon différents auteurs et domaines scientifiques
En analysant le concept de risque présenté par Slaymaker (1996, p. 2), deux remarques peuvent dès à présent être formulées. D’abord le terme hasard8 renvoie à un processus dont la manifestation ne provoque pas forcément d’effets dommageables. Dans une telle situation, où le déclenchement du processus d’endommagement s’ajuste au cadre biophysique, la notion de risque est discutable. Pour illustrer ce propos, dans une île inhabitée comme celle de Santa Luzia (île inhabitée), située au nord‐ouest de l’archipel, le ruissellement superficiel des eaux pluviales représente l’aléa. Néanmoins, on ne peut pas parler des risques au sens des sciences du risque telle qu’elles sont envisagées de nos jours, car il n’existe pas d’enjeux humains. En effet si, dans une série temporelle assez longue, il n’y a pas d’enregistrement d’évènements dommageables, dans le sens probabiliste du terme, à notre avis, on ne peut pas parler de risque, au moins d’un point de vue statistique. Ainsi, dans une telle situation, on peut admettre un risque zéro, ce qui est contraire à la thèse soutenue par certains, qui affirment que le risque zéro n’existe pas (Rebelo, 2001). Ensuite, on est aussi obligé d’admettre que l’occurrence des aléas peut souvent entraîner des conséquences sociétales négatives traduites en termes de pertes humaines et de biens. Ce constat fait appel à la notion de vulnérabilité. Celle‐ci est un concept associé au niveau de dommages qu’un système peut enregistrer.
Jusqu'ici, nous avons présenté les conceptions du risque selon différents auteurs. Il nous reste maintenant à présenter notre formulation du risque. Dès qu’on prévoit une conséquence virtuelle négative ou que l’on fait un constat indésirable au sein d’une population donnée, à cause de l’interaction entre un événement dommageable et des enjeux humains, on peut parler de risque. En effet, le risque naturel peut se définir à partir du niveau de pertes potentielles ou attendues en cas de manifestation de certains paramètres d’un aléa d’une intensité donnée. Dans ce sens, on peut aller jusqu’à dire que le risque n’a aucune conséquence pour les sociétés puisqu’il correspond à une perte virtuelle, donc pas connue, mais prévisible avec un certain degré d’incertitude. Ainsi, on peut partager le même avis que Leone (1996) lorsqu’il affirme que « La notion d’espérance mathématique fait donc sens ». Ainsi, dans cette perspective théorique, le risque est fonction des pertes attendues.
En ce qui concerne spécifiquement le risque d’inondation, on le définit comme les pertes virtuelles qu’on peut estimer en considérant un aléa d’inondation d’une intensité donnée et la période de retour considérée. Les paramètres tels que la hauteur d’eau et la durée de la submersion déterminent le niveau de pertes « encouru »9 , pour reprendre un terme de Leone (2001). Au cours de notre démarche, seront présentées des cartes d’aléa et de vulnérabilité. Pour cette raison, il semble pertinent d’éclairer les concepts d’aléa et de vulnérabilité qui entrent dans la formulation de l’équation du risque.
8 Le terme hasard est pris dans le même sens que l’aléa. 9 Leone, 1996, p.13