CHAPITRE 5 ‐ CONCEPTION DU SYSTEME ET PREMIER RESULTATS OBTENUS
4.2. U NE OPPORTUNITÉ CONTEXTUELLE POUR LE C AP ‐V ERT
4.2.1. Un cadastre marqué par l’héritage colonialiste
4.2. Une opportunité contextuelle pour le Cap‐Vert
4.2.1. Un cadastre marqué par l’héritage colonialiste
Lorsqu’on fait une analyse du cadastre foncier48 cap‐verdien par rapport aux modèles déjà étudiés, on constate que le cadastre est marqué par la culture et la législation portugaise en tant que puissance colonisatrice. Le modèle portugais qui s’est inspiré de la tradition française d’enregistrement, « Deeds », s’est imposé jusqu’à présent. Désormais, le système est en train de se moderniser, avec la réalisation d’une expérience pilote sur l’île de Sal dans le cadre du projet Millennium Challenge Account (MCA). Lors de l’arrivée des portugais, on a assisté à la mise en place des services de « Fazenda49 » dont la finalité était la collecte de tribut sur le foncier. On retrouve là la mission initiale du cadastre : la taxation. Jusqu'à présent, au Cap‐Vert, l’information foncière à caractère cadastral
48 Le mot cadastre est pris dans le sens originel du terme, c’est‐à‐dire enregistrement méthodique des propriétés. Dans ce sens, toute l’action publique qui vise à cataloguer les biens immobiliers dans un document dûment ordonné est entendue comme cadastre. Ainsi l’histoire du cadastre au Cap‐Vert est un héritage de l’époque coloniale. Il s’agit d’un cadastre descriptif sans composante cartographique.
49 Fazenda : ancienne institution installée pour la récolte des tributs de la terre. Elle correspond à une étape embryonnaire de ce qu’aujourd’hui, on appelle les finances (Santos, Torrão, Soares, Instituto de investigação científica tropical, & Instituto da investigação e do património culturais, 2007, p. 54‐55).
était limitée à la valeur des immeubles bâtis ou non bâtis, qui sont normalement enregistrés dans un document appelé matrice foncière50 des biens immobiliers qui ne contient pas les titres des propriétés. C’est un élément identique au cadastre français. En se basant sur des notions révolutionnaires telles que l’égalité, la fraternité et la liberté, la France de Napoléon a ordonné un prélèvement sur tous les biens immobiliers afin que la valeur de taxation soit juste. Toutefois, la représentation géométrique de propriétés immobilières, que la France a quasiment résolue lors de l’élaboration du cadastre napoléonien, c’est‐à‐dire il y a un peu plus d’un siècle, reste encore défaillante au Cap‐Vert. En effet, la description textuelle des localisations est la formule trouvée pour faire le référencement des parcelles. Cela dit, même si du point de vue du modèle de référence, le Cap‐Vert s’est inspiré du modèle du cadastre français, les résultats restent partiels. Ils sont dus soit à l’inaction de l’administration, soit à un défaut de moyens et à un manque de compréhension de l’utilité stratégique du cadastre.
C’est seulement avec l’apparition des premières lois sur le développement urbain à partir de l’Indépendance que le pays a commencé à élaborer des plans de parcelles basés sur des levés topographiques. Ces plans sont à l’origine des plans parcellaires et ils constituent les fondements du cadastre moderne. Retenons que le référencement des parcelles, qui est très important lorsqu’on bâtit un système foncier pour gérer les risques naturels, est obligatoire, soit dans le modèle germanique, soit dans le modèle de Torrens. Ce n’est pas le cas du système français.
De nos jours, on peut systématiser la gestion foncière au Cap‐Vert en considérant les entités et leurs attributions. Le Décret‐Loi nº 29/2009 propose une réorientation du modèle de cadastre au Cap‐Vert sur le modèle multifonctionnel, en envisageant l’aménagement du territoire et par conséquent la question des risques naturels. A ce jour, les informations cadastrales peuvent être traitées par diverses institutions entre lesquelles les liens ne sont pas évidents, ce qui rend les démarches difficiles lorsqu’on souhaite s’occuper d’un dossier foncier. Le schéma suivant (Figure 4.1) montre le flux de l’information cadastrale. Il met en évidence le rôle joué par certaines institutions, comme le Service Topographie des mairies et le Service du Conservatoire National et de l’Enregistrement des Biens immobiliers du Ministère de Justice. Jusqu’à aujourd’hui, la mairie joue aussi un rôle fondamental quand il s’agit d’espace urbanisé, puisqu’elle prend en charge l’émission des permis de construire. Pour cela, deux pièces sont obligatoires : le registre cadastral, autrement dit les coordonnées géographiques qui définissent les limites des parcelles, ainsi que le registre matriciel.
L’inscription au cadastre selon le Service de Topographie de la Mairie de Praia51 sert à avoir la référence cadastrale, le nom du propriétaire, l’évaluation etc. D’après ce Service, le
50 Nous préférons utiliser l’expression matrice foncière au lieu de matrice cadastrale parce qu’il n’existe pas de plan cadastral au sens de cadastre napoléonien. Dans la législation en vigueur, on utilise les mots « Matriz Predial » qui correspond à « matrice foncière » dans la loi française.
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cadastre sert à l’aménagement urbain. Ce volet, emprunté au cadastre allemand (l’expérience a débuté à la Mairie de Praia avec l’appui d’experts allemands), ne semble pas ignorer les risques naturels, particulièrement le risque d’inondation dans les zones incluses dans le plan d’urbanisme. Lors de l’implantation des lots pour construire les édifices, le plan d’urbanisme impose d’indiquer les cotes de référence comme mesure préventive contre les inondations. Le Service de Topographie de la Mairie dispose d’une base numérique (Figure 4.2) qui intègre les coordonnées des parcelles enregistrées au format AutoCAD (DWG et DXF) et les données descriptives en feuilles Excel. Figure 4.1 : Flux de base de l’information cadastrale. Entités et attributions Source : Service de Topographie de la Mairie de la ville de Praia Figure 4.2 : Extrait de feuille cadastrale ‐ Varzea, en format DWG
L’enregistrement foncier répond aussi au besoin du Service du Conservatoire National et de l’Enregistrement des Biens immobiliers, qui est sous la responsabilité du Ministère de la Justice, tout en assurant la sécurisation des droits fondamentaux pour les transactions foncières ainsi que pour l’obtention de crédits auprès des institutions financières. En effet, la loi n’impose pas l’enregistrement des parcelles, mais en cas de besoin de transaction juridique ou pour faire une hypothèque, il est indispensable de disposer d’un enregistrement au Conservatoire National.
A priori, ce service est sous‐doté par rapport à la qualité de services qu’il peut offrir parce qu’il ne dispose pas de base cartographique. Il ne semble pas exiger au moins une liste des coordonnées topographiques des bornes de polygones. Il y a encore beaucoup de parcelles enregistrées dont la localisation est impossible et, pire encore, il existe des enregistrements sans correspondance réelle avec des parcelles (Responsable du Service du cadastre et topographie de la Mairie, 2015). Il existe donc beaucoup de doubles immatriculations qui ont de lourdes conséquences, soit pour les citoyens, soit pour les entités publiques. Ce constat est confirmé par des auteurs comme Almeida (2002, p. 20) qui affirme : « aujourd’hui on peut dire que le chaos a été installé et, en ce moment même, on ne sait pas très bien à qui appartiennent finalement les terres au Cap‐Vert ».
Dans certains pays comme l’Australie, l’Allemagne, Suède, l’immatriculation ne se limite pas à indiquer le nom des propriétaires. Elle inclut aussi les contraintes de parcelles, c’est‐à‐ dire l’enregistrement des responsabilités et des droits obligatoires. Dans ce cadre, on admet que le cadastre foncier peut constituer un outil intéressant à mobiliser dans la gestion des risques naturels. Puisque dans le cas du Cap‐Vert, les procédures mentionnées ne sont pas conditionnées par le plan parcellaire, l’enregistrement foncier n’est pas utile comme outil d’aménagement du territoire et de gestion du risque dans ses diverses dimensions.
Compte tenu de ces considérations, on peut dresser les conclusions suivantes :
1‐ Il est plus raisonnable de parler de Registre Foncier, bien que défaillant, que de système cadastral au Cap‐Vert. L’inexistence de plan cadastral dans la majorité des mairies du pays rend difficile l’utilisation du mot cadastre au sens moderne du terme. Par ailleurs, les différents services qui ont des attributions dans le domaine du foncier assument leur rôle dans ce domaine de manière assez indépendante. Autrement dit, il existe un Service d’enregistrement foncier sous la responsabilité du Ministère de la Justice et un Service dit Cadastral qui, en réalité, s’occupe plutôt des plans topographiques qui normalement traduisent la parcellisation du territoire en lots et sont dressés par le Bureau Technique sous la responsabilité des Mairies.
2‐ Le modèle du cadastre au Cap‐Vert est composé d’éléments s’inspirant du modèle français/latin, visant donc la taxation. Cependant, l’insuffisance des ressources humaines, institutionnelles, financières, biens comme l’héritage des institutions
portugaises, ont empêché l’exécution du Plan Parcellaire étendu à toute la zone géographique des municipalités. Néanmoins, si l’on observe sa finalité, la tendance se rapproche du modèle germanique au sens ce modèle a des préoccupations qui ne sont pas strictement fiscales. 3‐ La sécurisation des droits des propriétés au Cap‐Vert constitue un pilier important de la gestion foncière, bien qu’elle s’appuie sur un texte descriptif, ce qui rend difficile la mesure et même la localisation des parcelles. 4‐ Les risques naturels se présentent pour l’instant comme un sujet difficile à traiter au niveau à l’échelle cadastrale. Leur intégration requiert un plan pour l’ensemble de la ville, laquelle a connu une croissance importante à cause des constructions illégales. Comment envisager alors les risques naturels par le biais du système foncier ? Certains théoriciens comme Enemark (2009) soutiennent que les risques naturels doivent être traités avec des outils de gestion foncière. Cet auteur propose même d’attribuer tout un ensemble de tâches au système d’information foncière pour gérer les risques naturels dans une perspective de développement durable. Cette thèse est partagée par des auteurs comme Roy & Viau (2011, p. 4) qui affirment que le cadastre moderne est un instrument essentiel de prévention des catastrophes naturelles, au‐delà de leurs fonctions traditionnelles. Ainsi, la modernisation du système d’information foncière, y compris le cadastre, peut constituer au Cap‐Vert une opportunité pour l’insertion du volet gestion des risques.