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COMITÉ DE DÉONTOLOGIE POLICIÈRE

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Academic year: 2022

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Texte intégral

(1)

QUÉBEC

DOSSIER : C-2019-5178-1 (18-0720-1) LE 22 JUILLET 2021

SOUS LA PRÉSIDENCE DE ISABELLE CÔTÉ, JUGE ADMINISTRATIF

LE COMMISSAIRE À LA DÉONTOLOGIE POLICIÈRE c.

Le sergent FRÉDÉRICK GAUVIN, matricule 10991 Membre de la Sûreté du Québec

DÉCISION

APERÇU

[1] Le 25 juillet 2019, le Commissaire à la déontologie policière (Commissaire) dépose au Comité de déontologie policière (Comité) la citation suivante :

« Le Commissaire à la déontologie policière cite devant le Comité de déontologie policière, le sergent Frédérick Gauvin, matricule 10991, membre de la Sûreté du Québec :

1. Lequel, à Clermont, le ou vers le 29 novembre 2017, alors qu’il était dans l’exercice de ses fonctions, n’a pas utilisé une pièce d’équipement (véhicule de police) avec prudence et discernement, commettant ainsi un acte dérogatoire prévu à l’article 11 du Code de déontologie des policiers du Québec (Chapitre P-13.1, r. 1). »

(2)

[2] L’incident ayant donné lieu au dépôt de cette citation s’est produit sur le boulevard Notre-Dame à Clermont, communément appelée la route 138.

[3] Alors qu’il est sur le point de terminer une intervention dans une résidence de Clermont, le sergent Frédérick Gauvin, membre de la Sûreté du Québec (SQ), reçoit un appel du « Centre de gestion des appels » de la SQ qui l’informe qu’un appel a été reçu au 911 en provenance de l’école primaire de Saint-Siméon. S’agissant d’un appel de priorité 1, il doit immédiatement agir.

[4] Le sergent Gauvin décide alors de se rendre à l’école située à environ 60 kilomètres d’où il se trouve.

[5] Pour ce faire, il emprunte la route 138. Peu de temps après son départ, soit à l’intersection de cette route et de la rue Saint-Philippe, il entre en collision avec la voiture de madame Marie-France Desbiens.

[6] Selon le Commissaire, le sergent Gauvin n’a pas été attentif à son environnement et n’a pas adapté sa conduite lorsqu’il a tenté de franchir l’intersection dont le feu de circulation était au rouge pour lui. Il a donc commis une faute déontologique.

[7] De son côté, la partie policière prétend que, s’il y a une faute, elle n’est pas déontologique dans la mesure où la vitesse n’est pas en cause. De plus, le seul moment d’inattention du sergent Gauvin n’a duré qu’une seconde et résulte du fait que sa ceinture de sécurité a remonté puisqu’elle était mal bouclée.

[8] Le Comité doit donc déterminer si le Commissaire a réussi à remplir son fardeau de preuve en démontrant, selon la prépondérance des probabilités, que le sergent Gauvin a utilisé son véhicule automobile sans prudence ni discernement le 29 novembre 2017.

CONTEXTE

[9] Le 29 novembre 2017, le sergent Gauvin, policier depuis juin 1999, effectue une intervention dans une résidence de Clermont, située dans la MRC de Charlevoix-Est, à la suite d’une tentative de suicide.

[10] Étant sur le point de terminer cette intervention, il reçoit un appel du « Centre de gestion des appels » de la SQ. La répartitrice lui explique qu’un appel en provenance de l’école primaire de Saint-Siméon a été logé au 911. Elle ajoute que personne n’ayant parlé à l’individu qui a téléphoné, elle ne peut fournir de plus amples informations au sergent Gauvin sur l’état de la situation.

(3)

[11] Ce dernier tente alors d’appeler à l’école pour mieux comprendre ce qui se passe, mais il tombe sur la boîte vocale. Étant donné que personne ne répond, il pense qu’un événement grave est peut-être en train de se dérouler. Aussitôt, il interrompt ce qu’il fait et avise son seul collègue qui patrouille avec lui le territoire, cette journée-là, de se déplacer immédiatement à l’école en question. Le sergent Gauvin en fait de même.

[12] Il démarre alors son véhicule de patrouille, soit un Dodge Charger 2014 qui est sur le stationnement de l’édifice où il vient d’intervenir, active ses gyrophares et boucle sa ceinture de sécurité. Il emprunte aussitôt la route 138 en direction de La Malbaie.

[13] Cette route est composée de quatre voies de circulation contiguës, soit deux dans chaque direction. Le sergent Gauvin emprunte la voie de gauche et y reste.

[14] La vitesse autorisée dans cette zone est de 50 km/h. Lors de son témoignage devant le Comité, le sergent Gauvin mentionne qu’il ne se rappelle pas de la vitesse exacte à laquelle il circulait, mais croit qu’elle oscillait entre 50 et 60 km/h.

[15] Il voit devant lui que les feux de circulation aux intersections des rues des Érables et Saint-Philippe sont verts et que des véhicules sont devant lui alors que certains autres sont dans les voies inverses. La circulation est normale. Selon le sergent Gauvin, la chaussée est humide et glissante. La distance séparant les rues des Érables et Saint- Philippe est d’environ 125 mètres.

[16] Le sergent Gauvin franchit sans difficulté la première intersection.

[17] Aussitôt qu’il traverse cette intersection, il sent sa ceinture de sécurité remonter. Il baisse les yeux une seconde et constate qu’elle n’a pas été bien bouclée et qu’elle est prise sous son arme de service. Pour la boucler de nouveau, il doit lever la fesse droite et dégager la ceinture.

[18] Au même moment, son téléphone cellulaire agrippé à sa veste pare-balles sonne, mais il ne répond pas.

[19] Lorsqu’il reprend un contact visuel avec la route, il voit un véhicule de marque Toyota 4Runner arrivant de sa gauche, en train de traverser l’intersection de la rue Saint-Philippe.

(4)

[20] Le véhicule est déjà au centre de l’intersection et sa conductrice, en l’occurrence madame Desbiens, regarde devant elle. Elle se rend au centre d’achat les Galeries 138, situé au bout de la rue Saint-Philippe.

[21] Le sergent Gauvin a le réflexe de freiner et de braquer son volant vers la droite pour essayer d’éviter la collision, mais en vain.

[22] Après avoir été percuté à deux reprises, le véhicule de madame Desbiens se retrouve du côté de la sortie du centre d’achat1.

[23] Quant au véhicule de patrouille, il s’immobilise du côté de l’entrée du centre d’achat comme s’il avait simplement tourné à droite dans celle-ci2.

[24] Lors de la collision, les coussins gonflables du véhicule de patrouille se sont déployés3. De plus, le moteur s’est éteint, obligeant le sergent Gauvin à redémarrer le véhicule afin de le mettre en position « Park ». Lors de son témoignage, il informe le Comité avoir dû également réactiver les gyrophares.

[25] Rapidement, le sergent Gauvin se rend auprès de madame Desbiens afin de s’enquérir de son état de santé. Celle-ci lui dit qu’elle se sent bien et qu’elle n’a aucune blessure. Elle sort seule de son véhicule.

[26] De son côté, puisque le sergent Gauvin s’est cogné la tête sur le cadre de la portière, il consulte à l’hôpital, mais ne requiert pas de traitement particulier. Il dit n’avoir subi qu’une contusion. Il a été mis en arrêt de travail de manière préventive, mais y est retourné le 1er décembre pour notamment rédiger son rapport d’événement.

[27] La journée de la collision, la SQ mandate l’agent Sébastien Fortin, reconstitutionniste en scène de collision de niveau 4, afin qu’il prépare un rapport d’expertise dans le but d’établir les circonstances de celle-ci.

[28] La journée même l’agent Fortin se rend sur le site de la collision et prend des photos de la scène et des véhicules impliqués. Il extrait aussi les données des modules de contrôle des coussins gonflables des deux véhicules impliqués.

1 Pièce C-7 en liasse, photo 8547.

2 Idem, photo 8546.

3 Idem, photo 8569.

(5)

[29] Lors des audiences du Comité, l’agent Fortin a témoigné et a produit son rapport4. Les constats principaux de son rapport, lesquels ont été repris lors de son témoignage, se lisent comme suit :

« […]

 Le véhicule Toyota 4Runner 2010 bourgogne, immatriculé (numéro caviardé) était immobilisé au feu de circulation, sur la rue St-Philippe à Clermont, en direction sud, à la hauteur de l’intersection avec la route 138 (boulevard Notre-Dame).

 Selon les données du module de contrôle des coussins gonflables, environ 4 secondes avant l’impact, le véhicule Toyota était immobilisé et son conducteur n’appuyait ni sur les freins ni sur l’accélérateur. Environ 3 secondes avant l’impact, le conducteur commença à appuyer sur l’accélérateur. Le véhicule se mit en mouvement et accéléra progressivement pour atteindre une vitesse de 26 km/h. Dans la seconde précédant l’impact, le conducteur relâcha l’accélérateur et appuya sur les freins. Le véhicule Toyota circulait à 24 km/h au moment de l’impact.

 Le véhicule de patrouille Dodge Charger 2014, immatriculé FKA7977, circulait quant à lui, sur la route 138, en direction est, à l’approche de l’intersection avec la rue St-Philippe.

 Selon les données du module des coussins gonflables, à la seconde -5, le véhicule Dodge circulait à une vitesse de 65 km/h, alors que le conducteur n’appuyait pas sur l’accélérateur et appuyait sur les freins. À la seconde -4.1, le conducteur relâche les freins. À ce moment, le véhicule Dodge circulait à une vitesse de 62 km/h. Le conducteur commença à appuyer légèrement sur l’accélérateur à la seconde -3.2. Le véhicule conserva une vitesse constante de 61 km/h. À la seconde -1.3, le conducteur relâcha l’accélérateur et appuya sur les freins. L’impact initial eut lieu à la seconde -0.8, alors que le véhicule Dodge circulait à 55 km/h.

 L’impact entre le véhicule Dodge et le véhicule Toyota eut lieu à l’intérieur de l’intersection de la rue St-Philippe et de la route 138, à la hauteur des voies de circulation en direction est de la route 138.

 Après l’impact, le véhicule Toyota s’immobilisa à environ 16 mètres au sud- est de la zone d’impact. Pour ce qui est du véhicule Dodge, il s’immobilisa à environ 6 mètres au sud de l’impact.

4 Pièce C-10.

(6)

 À partir des données extraites dans les modules de contrôle des coussins gonflables des deux véhicules, en se référant au document du ministère des Transports intitulé "Caractéristiques opérationnelles des feux de circulation portant le numéro TF-00-008 et en utilisant comme hypothèse que le conducteur du véhicule Toyota a attendu que le feu de circulation passe au vert avant d’amorcer sa traversée de l’intersection, nous pouvons affirmer que le conducteur du véhicule Dodge était face à un feu rouge, et ce, tout au long des 5 secondes couvertes par l’enregistrement des données du module de contrôle des coussins gonflables de son véhicule.

 Les conditions environnementales n’ont pas contribué à la collision. » (sic)

[30] Le Comité souligne qu’il a eu l’opportunité d’entendre le témoignage de madame Desbiens. Or, l’hypothèse émise par l’agent Fortin dans son rapport, à savoir que le conducteur du véhicule Toyota a attendu que le feu de circulation passe au vert avant d’amorcer sa traversée de l’intersection, est tout à fait compatible avec ce qu’elle a affirmé dans son témoignage ainsi que dans sa déclaration rédigée de manière contemporaine à l’événement. D’ailleurs, le témoignage entier de madame Desbiens n’est pas contredit et rien ne permet au Comité de mettre en doute sa fiabilité et sa crédibilité.

[31] Lors de son témoignage, l’agent Fortin a fait état de données supplémentaires qui ont été extraites des modules de contrôle des coussins gonflables des deux véhicules et qui méritent qu’elles soient mentionnées.

[32] D’abord, on apprend que, lors de la collision, la ceinture de sécurité du sergent Gauvin était bel et bien bouclée5. De plus, après la collision, le sergent Gauvin a en effet dû repartir le moteur, comme il l’a mentionné dans son témoignage. Il a donné un « coup de clé » constituant probablement le 8606e, le 8605e étant celui précédant la collision6 et le 8607e étant celui nécessaire afin de télécharger les données du véhicule.

[33] Par ailleurs, l’agent Fortin a précisé, lors de son témoignage, que, après réflexion, l’impact se serait plutôt produit à la seconde -0,5 seconde, alors que le véhicule de patrouille circulait à 49 km/h. Toutefois, ceci ne change pas les données pré-impact dont il fait état dans son rapport.

5 Pièce C-8, p. 7.

6 Pièce C-8, p. 7.

(7)

LE DROIT

[34] Tel que mentionné précédemment, le Commissaire cite le sergent Gauvin pour ne pas avoir utilisé son véhicule de police avec prudence et discernement, commettant un acte dérogatoire prévu à l’article 11 du Code de déontologie des policiers du Québec7 (Code). Cet article se lit comme suit :

« 11. Le policier doit utiliser une arme ou toute autre pièce d’équipement avec prudence et discernement.

Notamment, le policier ne doit pas :

1o exhiber, manipuler ou pointer une arme sans justification;

2o négliger de prendre les moyens nécessaires pour empêcher l’usage d’une arme de service par une personne autre qu’un policier. »

[35] Conformément à cet article du Code, que ce soit lors de la manipulation d’une arme ou de l’utilisation d’une autre pièce d’équipement, soit notamment un véhicule de patrouille8, un policier doit agir avec prudence et discernement.

[36] Qu’entend-on par prudence et discernement? Le dictionnaire Le Petit Robert9 définit le mot « prudence » comme l’« attitude d’esprit d’une personne qui, réfléchissant à la portée et aux conséquences de ses actes, prend les dispositions pour éviter des erreurs ou des malheurs possibles » et le terme « discernement » comme la « disposition de l’esprit à juger clairement et sainement des choses ».

[37] Dans l’affaire Béliveau10, Me Gilles Mignault faisant un amalgame de ces deux termes, écrivait qu’ils référaient « à une disposition de l’esprit de la personne qui juge clairement une situation et qui, réfléchissant à la portée et aux suites de ses actes, prend les moyens pour éviter des erreurs ou des malheurs possibles ».

7 RLRQ, c. P-13.1, r. 1.

8 Depuis la décision Commissaire à la déontologie policière c. Leclerc, 1992 CanLII 12896 (QCCDP), le Comité a toujours considéré un véhicule de patrouille comme une pièce d’équipement. Les tribunaux supérieurs n’ont jamais remis en doute cette interprétation.

9 Le Petit Rober 1, 1990.

10 Commissaire à la déontologie policière c. Béliveau, 2001 CanLII 27830 (QCCDP), confirmée par la Cour du Québec.

(8)

[38] Avant de conclure à une faute déontologique, le Comité doit non seulement considérer si le sergent Gauvin a agi ou non avec prudence et discernement, mais également se demander si l’acte ou le comportement reproché est suffisamment grave pour entacher sa moralité ou sa probité professionnelle. D’ailleurs, une faute déontologique doit être caractérisée, c’est-à-dire qu’elle doit revêtir une gravité certaine11. [39] Par ailleurs, dans le présent dossier, le sergent Gauvin n’a pas été cité en fonction d’une norme spécifique établie par la loi, mais plutôt sur la base d’un comportement général, soit de ne pas avoir utilisé un véhicule de police avec prudence ou discernement.

[40] Comme le rappelait le Comité dans l’affaire Tondreau12 :

« […] en l’absence d’une norme spécifique, le Comité est d’avis qu’il faut évaluer la conduite de l’agent de la paix par rapport au standard classique du policier prudent et prévoyant placé dans les mêmes circonstances. […] ».

[41] Bien que la norme de comparaison ne doive pas être celle de l’agent capable de tout prévoir13, la faute déontologique exige quand même un écart marqué avec la norme de conduite d’un policier normalement prudent et diligent placé dans les mêmes circonstances.

[42] En l’espèce, ce que le Commissaire reproche particulièrement au sergent Gauvin est d’avoir franchi une intersection alors que le feu de circulation était rouge pour lui et, ainsi, d’être entré en collision avec le véhicule d’une citoyenne.

[43] On le sait, le Code de la sécurité routière14 (CSR), à son article 378, prévoit certaines exceptions à l’application des règles y étant établies pour les véhicules d’urgence. Notamment, il est permis à un tel véhicule de ne pas s’immobiliser face à un feu rouge.

[44] Cependant, lorsque le conducteur d’un véhicule d’urgence enfreint ces dispositions, il doit s’assurer de le faire sans danger15.

[45] Ceci est sans compter que toute vitesse ou toute action susceptible de mettre en péril la vie ou la sécurité des personnes ou la propriété est prohibée16.

11 Cournoyer, Guy, La faute déontologique : sa formulation, ses fondements et sa preuve, Développement récents en déontologie, droit professionnel et disciplinaire (2016), Volume 416, Éditions Yvon Blais; Goulet, Mario, Droit disciplinaire des corporations professionnelles, Édition Yvon Blais, 1993;

Gingras c. Simard, 2013 QCCQ 8862 (CanLII).

12 Commissaire à la déontologie policière c. Tondreau, 1992 CanLII 12902 (QC CDP).

13 Précitée, note 11.

14 RLRQ, c. C-24.2.

15 CSR, art. 378.

16 CSR, art. 327.

(9)

[46] Comme le mentionnait le juge Eric Simard17 :

« [32] […] Toutefois, cette exemption est un couteau à deux tranchants en ce que l’on attend d’eux [agents de la paix] qu’ils méritent ce privilège en appliquant un haut standard de prudence et en ayant toujours à l’esprit la protection du public ».

ANALYSE

[47] Tenant compte de tous ces principes et les appliquant aux faits prouvés en l’espèce, le Comité en vient à la conclusion que le Commissaire s’est déchargé de son fardeau de preuve en démontrant que le sergent Gauvin a dérogé à l’article 11 du Code en conduisant sans prudence ni discernement son véhicule de patrouille.

[48] Pour en arriver à une telle conclusion, le Comité a tenu compte de plusieurs éléments.

[49] D’abord, il n’a pas été contesté que le sergent Gauvin se trouvait à bord d’un véhicule de patrouille, donc d’urgence18, au moment des faits. De surcroît, il répondait à une situation d’urgence, soit à un appel au 911, lequel était considéré de priorité 1. Par conséquent, il n’avait pas l’obligation de s’arrêter face à un feu rouge, mais il se devait quand même de respecter les principes établis aux articles 327 et 378 du CSR cités précédemment.

[50] L’endroit d’où provenait l’appel était situé à 60 kilomètres du lieu de sa dernière intervention, ce qui constituait une bonne distance à parcourir. Le sergent Gauvin était seul en devoir avec l’un de ses collègues pour couvrir la MRC de Charlevoix-Est et tous les deux étaient dans le même secteur. Le sergent Gauvin ne pouvait donc compter sur une intervention plus hâtive de la part de son collègue.

[51] Le Comité ne remet pas en doute que le sergent Gauvin avait le souci de se rendre rapidement à l’école de Saint-Siméon et que son état d’esprit pouvait être préoccupé par le fait qu’il se passait peut-être quelque chose de grave à cet endroit.

[52] Cela dit, un fait demeure, le sergent Gauvin a roulé sur un feu rouge sans se soucier de le faire prudemment et avec discernement, et, ce faisant, a causé une collision.

17 R. c. Ouellet, 2018 QCCQ 5055 (CanLII).

18 CSR, art. 4.

(10)

[53] En effet, lors de son témoignage, le sergent Gauvin a mentionné que, juste avant de franchir la première intersection, soit celle de la rue des Érables, il a constaté que le feu de signalisation de cette intersection était vert pour lui, de même que celui placé à l’intersection de la rue Saint-Philippe.

[54] Par la suite, il a mentionné que, immédiatement après avoir franchi la première intersection, il a senti sa ceinture de sécurité remonter, étant donné qu’elle était mal bouclée. Il a indiqué au Comité, à plus d’une reprise, qu’il a baissé les yeux une seule seconde pour constater cette situation. Il a ajouté qu’une fois les yeux levés il a repris contact avec la route et a vu alors le 4Runner qui traversait l’intersection. Contre-interrogé par la procureure du Commissaire, il a répondu qu’il n’a pas constaté que le feu de signalisation de l’intersection Saint-Philippe était rouge, car il fixait le 4Runner, soit le danger devant lui.

[55] Selon le Comité, la version du sergent Gauvin ne concorde pas avec les éléments objectifs démontrés lors de l’audience. Rappelons d’abord que la distance séparant les deux intersections est d’environ 125 mètres19.

[56] Également, selon la conclusion principale du rapport de l’agent Fortin, reconstitutionniste, laquelle n’a pas été contestée ou niée, au cours minimalement des cinq secondes précédant la collision, le feu de circulation faisant face au sergent Gauvin était rouge.

[57] De plus, les données extraites du module de contrôle des coussins gonflables du véhicule de patrouille démontrent, de façon probante, que la vitesse du véhicule de patrouille cinq secondes avant la collision était de 65 km/h, pour diminuer à 62 km/h 4 secondes avant la collision, se stabiliser à 61 km/h entre 3,6 secondes et 1,7 seconde et augmenter légèrement à 62 km/h entre 1,6 et 1,1 seconde avant la collision.20

[58] Ainsi, si l’on fait une moyenne de la vitesse à laquelle allait le sergent Gauvin 5 secondes avant l’impact, soit environ 62 kilomètres heure, le Comité constate, en appliquant une simple règle de trois, qu’il a dû parcourir 90 mètres durant cette période.

19 Lors de son témoignage, le sergent Gauvin a dit que la distance séparant les deux intersections était entre 150 et 200 mètres. L’agent Pierre Bellemarre a parlé de 114 et 120 mètres. Également, sur les photos prises par l’agent Fortin à 125 mètres de l’intersection de la rue Saint-Philippe, on peut y voir l’intersection de la rue des Érables (pièce C-7 en liasse, photos 8630 à 8632).

20 Pièce C-8, p. 13.

(11)

[59] Maintenant, si l’on soustrait le 90 mètres du 125 mètres qui séparent les deux intersections, on arrive à un résultat de 35 mètres. Ceci correspond probablement à la distance parcourue durant la seconde où le sergent Gauvin a eu les yeux rivés sur sa ceinture, laquelle situation s’est déroulée juste après qu’il ait franchi l’intersection de la rue des Érables.

[60] Selon le Comité, le sergent Gauvin a assurément eu un délai de cinq secondes pour voir le feu rouge, soit un délai suffisamment long pour avoir le temps de réagir.

D’ailleurs, aucune preuve d’une situation ou d’un événement soudain ou inattendu pouvant expliquer son inattention durant ce délai n’a été présentée.

[61] La partie policière a tenté de comprendre les causes de la collision. Pour ce faire, elle a mandaté monsieur Pierre Bellemarre, reconstitutionniste en scène de collision, qui a été reconnu comme expert par le Comité, lors des audiences. Ce dernier a expliqué la collision par le fait que la visibilité du sergent Gauvin « a été gênée par la présence de véhicules circulant à contresens direction Ouest et par le fait que sa ceinture de sécurité ne s’était pas bouclée correctement »21.

[62] Considérant les faits mis en preuve, le Comité ne peut retenir aucune de ces explications.

[63] De fait, si la présence de véhicules dans la voie inverse nuisait à la visibilité du sergent Gauvin et l’empêchait de voir l’automobile de madame Desbiens, il aurait dû ralentir et adapter sa conduite en conséquence. Or, il a même accéléré.

[64] Lui-même, lors de son témoignage, avoue que la configuration de la route 138 entre les deux intersections, soit en forme de courbe, l’empêchait de bien voir les véhicules circulant à cette intersection, tant ceux qui attendaient que ceux qui arrivaient.

Le Comité a été à même de constater cet état de fait en examinant les photos prises par l’agent Fortin22.

[65] Quant à la ceinture de sécurité qui était détachée, ceci ne peut être la seule explication de la durée du manque d’attention du sergent sur la route alors que l’événement n’a duré qu’une seconde et s’est déroulé avant les cinq secondes précédant l’impact.

21 Pièce P-3.

22 Pièce C-7 en liasse, photos 8632 à 8635.

(12)

[66] Le Comité peut concevoir que rouler à une vitesse oscillant entre 61 et 65 km/h dans une zone où la vitesse permise est de 50 km/h en vue de répondre à un appel de priorité 1 n’est pas en soi inconvenant, mais il en est autrement lorsque le policier doit franchir une intersection alors que le feu de circulation auquel il fait face est rouge depuis au moins cinq secondes et que sa visibilité des véhicules qui attendent ou arrivent sur la rue transversale est limitée en raison de la configuration de l’intersection et de la route ou en raison de véhicules circulant en sens inverse.

[67] Ce qui ajoute au comportement hasardeux et même négligent dans les circonstances est le fait que le sergent Gauvin n’a jamais ralenti ou freiné afin de s’assurer qu’il pouvait entreprendre sa manœuvre sans danger pour les automobilistes, comme le prescrit le paragraphe 2 de l’article 378 du CSR.

[68] De plus, il ne fait aucun doute que tout conducteur d’un véhicule d’urgence qui s’apprête à franchir un feu rouge devrait notamment, pour s’assurer qu’il le fait sans danger, activer ses gyrophares et sa sirène afin d’être bien vu et d’aviser les autres conducteurs de porter une attention particulière à leur présence.

[69] Or, à la lumière de la preuve, le Comité est d’avis que le sergent Gauvin n’avait pas activé sa sirène. En effet, il n’en a fait aucunement mention dans son rapport d’événement23 ni même lors de son témoignage devant le Comité.

[70] Quant à madame Catherine Lajoie et monsieur Jean-François Drolet qui ont été témoins de l’accident et qui ont rédigé chacun une déclaration24 à l’enquêteur du Commissaire le 1er décembre 2017, ils ne mentionnent pas avoir entendu la sirène.

[71] De même, dans son témoignage et sa déclaration à l’enquêteur du Commissaire rédigée le 29 novembre 2017, madame Desbiens a affirmé ne pas avoir entendu de sirène juste avant la collision. Elle avoue candidement qu’il se peut que ce soit en raison du fait qu’elle écoutait de la musique. Cela dit, peu importe, la preuve est très claire à ce sujet pour le Comité.

[72] En ce qui concerne les gyrophares, le sergent Gauvin a témoigné qu’il les avait bel et bien activés avant de quitter le lieu où il venait d’intervenir. Son rapport d’événement25 rédigé le 1er décembre 2017 est au même effet.

23 Pièce P-1.

24 Pièces C-1 et C-2.

25 Pièce P-1.

(13)

[73] De plus, il a mentionné au Comité avoir dû allumer de nouveau les gyrophares à la suite de la collision puisque le moteur s’était éteint en raison de l’impact, ce dernier élément étant confirmé par les données extraites des modules de contrôle des coussins gonflables du véhicule de patrouille26.

[74] De leur côté, madame Lajoie et monsieur Drolet ont tous deux indiqué dans leur déclaration que le policier avait activé ses gyrophares après la collision, mais qu’en est- il juste avant? Leur déclaration est silencieuse à cet effet. Le témoignage de madame Desbiens ainsi que sa déclaration n’éclairent pas plus le Comité, alors que cette dernière mentionne ne pas avoir vu le véhicule de police arriver.

[75] N’ayant aucun élément permettant de contredire le témoignage du sergent Gauvin et celui-ci lui apparaissant suffisamment crédible, le Comité croit que le sergent Gauvin avait les gyrophares en fonction au moment de la collision, mais pas sa sirène.

[76] Pour les raisons mentionnées précédemment, le Comité est d’avis que l’ensemble de la preuve démontre que la manœuvre exercée par le sergent Gauvin constituait un écart marqué par rapport au comportement d’un policier normalement prudent et diligent placé dans les mêmes circonstances.

[77] Un policier normalement conscient du danger potentiel qu’il crée en traversant une intersection à un feu rouge et anticipant avec justesse le fait qu’il peut causer une collision n’ayant pas priorité pour s’engager dans l’intersection, aurait pris les précautions nécessaires, soit minimalement de ralentir, sachant qu’il devait redouter l’arrivée de véhicules provenant de la rue transversale alors qu’il ne pouvait pas bien les voir, soit parce que des véhicules venant en sens inverse lui obstruaient la vue ou encore parce que la configuration de la route et de l’intersection ne le permettait pas. En ce sens, le sergent Gauvin n’a pas utilisé son véhicule avec prudence et discernement.

[78] De surcroît, le Comité juge que la manœuvre exercée par le sergent Gauvin constitue une faute déontologique dans la mesure où il ne s’agit pas d’une erreur de jugement ou d’une erreur technique ou même d’un léger manque de prudence. Elle ne découle pas non plus d’une inattention momentanée, mais d’une conduite téméraire, insouciante et même négligente.

[79] En effet, le sergent Gauvin n’a pris aucune mesure pour franchir l’intersection sans danger et sans mettre en péril la vie ou la sécurité des autres automobilistes, sans compter qu’il n’avait pas activé la sirène.

[80] Tout compte fait, les agissements qu’on lui reproche sont suffisamment graves pour entacher sa moralité et sa probité professionnelle.

26 Pièce C-8, p. 7.

(14)

[81] POUR CES MOTIFS, le Comité DÉCIDE :

[82] QUE le sergent FRÉDÉRICK GAUVIN a dérogé à l’article 11 du Code de déontologie des policiers du Québec (utiliser une pièce d’équipement [véhicule de police] sans prudence ni discernement).

Isabelle Côté Me Fannie Roy

Desgroseilliers, Roy, Chevrier Procureure du Commissaire Me André Fiset

Procureur de la partie policière Lieu des audiences : En virtuel

Dates des audiences : 2 et 3 mars 2021

Isabelle Côté

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Références

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