CAS CLINIQUE /CASE REPORT
Hémopéricarde compliquant une ponction sternale
Hemopericardium complicating a sternal punction
H. Boukhari
Reçu le 25 mars 2011 ; accepté le 22 février 2012
© SFMU et Springer-Verlag France 2012
Introduction
La ponction sternale est un examen clé dans le diagnostic des affections hématologiques bénignes ou malignes mais également des atteintes médullaires bactériennes, virales, parasitaires ou toxiques. Ses complications peuvent être regroupées en deux catégories : les effets secondaires et indésirables du geste lui-même (saignements, douleurs au point de ponction, infection), et les accidents de ponction pour lesquels soit une erreur technique soit une particularité liée directement au patient ou à sa maladie peuvent être incri- minées (disjonction manubriocorporéale, pneumopéricarde, pneumothorax, rupture du trocart, tamponnade) [1-5]. Nous rapportons le cas clinique d’une des complications excep- tionnelles de la ponction sternale responsable d’un état de choc cardiogénique secondaire à un hémopéricarde
Observation
Un homme âgé de 83 ans était admis en service de médecine pour bilan d’asthénie, l’anamnèse retrouvait la notion de pyrosis et une alternance diarrhées et constipations. Il avait comme antécédents médicaux une hypertension artérielle bien contrôlée sous bithérapie par furosémide 20 mg et até- nolol 100 mg associée à une maladie arthrosique traitée lors d’accès algique par kétoproféne 100 mg l p et association paracétamol 325 mg-tramadol 37,5 mg, ainsi qu’un taba- gisme actif évalué à 20 paquets/année et unœnolisme chro- nique estimé à 15 g d’alcool pur/j et une obésité modérée de type abdominale avec un index de masse corporelle à 34.
L’examen clinique initial retrouvait un patient normotendu, eupneique au repos avec une pâleur cutanéomuqueuse, une glossite et un souffle systolique fonctionnel sans signes
d’insuffisance cardiaque. Le bilan biologique d’admission retrouvait une anémie profonde à 8g/dl, normochrome, macrocytaire et arégénative, avec une leucopénie et une thrombopénie modérée sans dyscrasie, le frottis sanguin retrouvait des granulocytes neutrophiles hyper segmentées avec présence de schizocytes. Les bilans ionique, inflamma- toire, hépatique, thyroïdien et d’hémolyse étaient normaux, le dosage de la vitamine B12 et des folates étaient inférieurs à la normale. La fibroscopie digestive totale retrouvait une gastrite atrophique avec des hémorroïdes externes et une diverticulose colique.
Le praticien responsable du patient décida de réaliser un myélogramme par ponction sternale afin d’éliminer une probable origine néoplasique de l’anémie. Après avoir pro- cédé à une anxiolyse et une anesthésie locale, l’opérateur a procédé à la ponction sternale en regard du deuxième espace intercostal par le biais d’un trocart de type Jamshidi à garde réglable amovible avec obtention d’un aspirât de 3 ml. Le myélogramme retrouvait une mœlle riche avec mégaloblas- tose sur les trois lignées.
Un quart d’heure après la ponction, le patient présentait une sensation de malaise accompagnée d’une douleur tho- racique précordiale sourde et persistante avec irradiation épigastrique associée à des sueurs et vertiges positionnels motivant son admission en salle d’accueil des urgences vitales.
L’examen clinique retrouvait un patient conscient avec un score de Glasgow à 15, polypneique à 28 cycles/min de fréquence respiratoire et une oxymétrie pulsée à 93 % sous 12 litres d’oxygène, apyrétique à 37,6 °C, hypotendu à 75 mmHg de systolique et 44 mmHg de diastolique, une frequence cardiaque à 85 bpm avec marbrures des membres inférieurs. L’auscultation retrouvait un assourdissement des bruits du cœur avec turgescence des jugulaires et des sous crépitant des deux bases pulmonaires. L’électrocardio- gramme présentait un rythme régulier et sinusal avec micro- voltage diffus et des signes d’alternance électrique, sans troubles de repolarisation.
Sur le plan biologique, la gazométrie montrait une acidose respiratoire compensée ainsi qu’une lactatémie élevée, une
H. Boukhari (*)
Service des urgences médicochirurgicales, Centre hospitalier intercommunal Eure/Seine,
rue Léon Schwartzenberg, F-27015 Evreux cedex, France e-mail : hicham.boukhari@chi-eureseine.fr
Ann. Fr. Med. Urgence (2012) 2:193-195 DOI 10.1007/s13341-012-0190-4
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thrombopénie avec une crase sanguine et troponine T norma- les. L’ionogramme sanguin ne retrouvait pas d’anomalies.
La radiographie thoracique retrouvait une silhouette cardiaque normale sans anomalie parenchymateuse. L’écho- graphie selon le protocole du Programme rapide d’échogra- phie thoraco-abdominale en urgence du polytraumatisé retrouvait un épanchement péricardique de moyenne abon- dance (Fig. 1) gênant l’expansion du ventricule droit associé à une invariabilité du diamètre de la veine cave inférieure à l’inspiration sans éléments en faveur d’un épanchement de la loge splénique, du Morrison ou du Douglas.
Le diagnostic de tamponnade avec état de choc cardio- génique a été évoqué et la mise en condition du patient consistait en une optimisation de l’expansion volémique par hydroxyethylamidon et cristalloïdes et l’introduction de la norépinephrine par pallier progressif avec un objectif de pression artérielle moyenne supérieure à 65 mmHg.
La transfusion de deux culots globulaires hétérologues iso groupe iso rhésus a été décidée pour amener le taux d’hémo- globine aux alentours de 10 g/dl afin d’éviter la majoration de la souffrance cardiaque anoxique.
Avant le transfert du patient vers un centre de chirurgie cardiothoracique, un bilan lésionnel complet par tomodensi- tométrie thoracique a été réalisé confirmant l’épanchement péricardique avec extravasation du produit de contraste et aspect de fracture du manubrium sternal sans pneumomé- diastin (Fig. 2).
La prise en charge chirurgicale après thoracotomie consis- tait dans le drainage d’un épanchement péricardique san- glant de 300 ml avec suture par deux points d’une plaie de l’infundibulum pulmonaire et l’ablation d’un important thrombus comprimant les cavités droites ; macroscopique- ment, le sternum était friable et ostéoporotique avec la
présence d’un trait de fracture au niveau du manubrium. Les suites réanimatoires et cardiologiques étaient simples et le patient a pu regagner son domicile à l’issue d’un séjour en rééducation et réadaptation cardiologique avec un contrôle ambulatoire régulier.
Discussion
La ponction sternale est une technique indiquée dans le diagnostic et le suivi en pathologie hématologique. Les complications de la ponction sternale représentent un faible pourcentage de l’ensemble des procédures réalisées. En effet la revue de littérature les estime à environ 0,08 % de toutes les ponctions [6-8].
Il existe peu de contre-indications absolues à cette méthode, on retiendra l’hémophilie et les troubles graves de la coagu- lation. Les contre-indications relatives sont la thrombocyto- pénie, l’infection de la peau au point de ponction, un anté- cédent de radiothérapie localisée sur le sternum et enfin toute Fig. 1 Échocardiographie en coupe quatre cavités montrant
un épanchement péricardique (flèches)
Fig. 2 A : Tomodensitométrie thoracique avec injection de contraste en coupe transversale passant par T4 montrant un trait de fracture sternale (flèche). B : Tomodensitométrie thoracique avec injection de contraste en coupe transversale passant par T5 montrant l’extravasation du produit de contraste dans le péricarde (flèches)
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pathologie entraînant une modification des rapports anato- miques normaux [1,2,5-7,9].
Elle est réalisée généralement par des praticiens expéri- mentés capables d’évaluer le rapport bénéfice-risque de cette procédure invasive[1-4,9], sans pour autant interdire sa réalisation par des internes ou étudiants en médecine sous la supervision d’un médecin sénior [1], une durée d’exercice minimum d’un an a été retenue sur différentes séries [6,7,10,11]. Cependant, Lawson et al. [12] et Bain [11] auto- risent sa réalisation par des infirmières spécialisées et suffi- samment entraînées sans augmentation, selon eux, de l’inci- dence des complications.
Le site de ponction se situe à 1-2 mm latéralement à la ligne médiane reliant la fourchette sternale et l’angle de Louis, et en regard du premier espace intercostal [1]. Généralement, il est admis dans la littérature qu’aucune ponction n’est permise en dessous du deuxième espace intercostal à cause de la proximité cardiaque avec la table interne du sternum [1,9,11,13]. Les trocarts courts à usage unique et à garde réglable semblent réduire les risques de lésions cardiaques graves [1,9-11,14]. La plaie cardiaque est un incident excep- tionnel et une urgence vitale extrême avec issue fatale dans la plupart des cas [6,9,10,13,15,16]. La perforation de la paroi antérieure du ventricule droit est la lésion anatomopatho- logique dominante dans la littérature [9,17].
Conclusion
L’hémopéricarde par plaie cardiaque reste une complication exceptionnelle et souvent fatale de la ponction sternale. La survie du patient, comme dans notre cas et dans la littérature [13,17], est tributaire de la réalisation d’une thoracotomie en urgence avec drainage péricardique et suture chirurgicale de la paroi cardiaque.
Conflit d’intérêt : les auteurs ne déclarent aucun conflit d’intérêt.
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