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Entreprendre et innover dans l'industrie à Tunis. Ancrage territorial et inscription dans les réseaux internationaux des entrepreneurs privés industriels de la région de Tunis.

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Academic year: 2021

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Entreprendre et innover dans l’industrie à Tunis.

Ancrage territorial et inscription dans les réseaux

internationaux des entrepreneurs privés industriels de la

région de Tunis.

André Métral

To cite this version:

André Métral. Entreprendre et innover dans l’industrie à Tunis. Ancrage territorial et inscription dans les réseaux internationaux des entrepreneurs privés industriels de la région de Tunis.. Sciences de l’Homme et Société. Université François Rabelais - Tours, 2000. Français. �tel-00497370�

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UNIVERSITE FRANCOIS -RABELAIS

TOURS

Ecole Doctorale : HOMMES ET TERRITOIRES

Année universitaire : 2000-2001

THESE POUR OBTENIR LE GRADE DE DOCTEUR DE L’UNIVERSITE

DE TOURS

Discipline : Géographie présentée et soutenue publiquement

par André METRAL Le 11 décembre 2000

ENTREPRENDRE ET INNOVER DANS L’INDUSTRIE A

TUNIS.

Ancrage territorial et inscription dans les réseaux internationaux des

entrepreneurs privés industriels de la région de Tunis.

Directeur de thèse : Pierre SIGNOLES

JURY :

Georges BENKO, Maître de Conférences de Géographie, Université Paris I Mahmoud BEN ROMDHANE, Professeur d’Economie, Université de Tunis Nicolas BREJON DE LAVERGNEE, Professeur d’Economie, Université de Tours Jean-Marie MIOSSEC, Professeur de Géographie, Université de Montpellier III Pierre SIGNOLES, Professeur de Géographie, Université de Tours

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RESUME

Le processus de territorialisation industrielle, si l’on entend par là l’appropriation de leur espace par des acteurs industriels locaux agissant en interaction réciproque, peine à se réaliser dans la région de Tunis. L’innovation dans les PMI en souffre et demeure incrémentale. Les acteurs impliqués dans l’aventure industrielle - entrepreneurs ou futurs entrepreneurs, cadres, inventeurs - privilégient la relation réticulaire au détriment de la relation territoriale de proximité typique, par exemple, des districts industriels, mais aussi des systèmes productifs localisés ou des milieux innovateurs. Il conviendrait pourtant de considérer la relation territoriale de proximité comme un complément indispensable à l’inscription des acteurs dans des réseaux nationaux ou internationaux, faute de quoi les grandes unités, nationales ou étrangères, ne sauraient d’elles-mêmes exercer leurs effets de polarisation dans un sens favorable au développement local des petites et moyennes entreprises industrielles.

Une clef de compréhension de l’ensemble de ces phénomènes consiste à scruter la manière dont les acteurs locaux se représentent leur situation présente qui se trouve pour partie héritée du passé, et comment ils agissent en conséquence.

DISCIPLINE

Géographie

MOTS-CLES

Territoire, industrie, district industriel, réseau, entreprise, entrepreneur, innovation, acteur, représentation, polarisation, PME.

The process of industrial territorialisation, if we mean so the appropriation of their space by local industrial actors there acting in mutual interaction, has difficulty in coming true in the region of Tunis. The innovation in SMI (SMALL AND MEDIUM-SIZED INDUSTRY) suffers from it and remains incrémentale. The actors involved in the industrial adventure - entrepreneurs or future entrepreneurs, executives, inventors - privilege the reticular relation to the detriment of the territorial relation of typical nearness, for example clusters, but also localized productive systems or innovative circles. It would be advisable nevertheless to consider the territorial relation of nearness as a complement indispensable to the inscription of the actors in national or international networks, otherwise the bulks, national or foreign, would not know about themselves to exercise their effects of polarization in a direction favorable to the local development of small and medium-sized enterprises.

A key of understanding of all these phenomena consists in scrutinizing the way the local actors represent themselves their present situation which is partly inherited from past, and how they act consequently.

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Sommaire

Pages

Introduction générale………... 9

Première Partie : La région de Tunis, un introuvable territoire

industriel……….………. 26

Chapitre I : Tunis : un espace hétérogène de PME dispersées et peu intégrées…. 34

Chapitre II : Un espace marqué par la rétention des informations………. 103

Chapitre III : Réalité et limites de l’essaimage des entreprises industrielles dans

la région de Tunis……….. 139

Chapitre IV :Timidité et diversité des innovations, fragilité de la dynamique

entrepreneuriale……….. 157

Deuxième Partie : Des conditions globalement peu favorables à un processus de

territorialisation industrielle à Tunis……… 194

Chapitre I : Les contraintes vécues par les industriels tunisiens……… 196 Chapitre II : Quelques précédents historiques de « territorialisation

industrielle »………... 265

Chapitre III : Les acteurs de l’industrie tunisoise : choix personnels et relations

réciproques………. 308

Troisième Partie : Les effets de polarisation dans la région de Tunis………. 385

Chapitre I : L’inscription de la région de Tunis dans des réseaux nationaux……. 389

Chapitre II : L’inscription de la région de Tunis dans des réseaux internationaux 447

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Remerciements.

Ce n’est pas dans l’unique but de sacrifier à la tradition que j’adresserai ici, en premier lieu, mes remerciements à Pierre SIGNOLES, qui a dirigé cette thèse. Je voudrais souligner que j’ai particulièrement apprécié le style de son travail de direction, fait d’un précieux alliage entre une rigueur des plus exigeantes, une patience et un dévouement constant et, enfin, une confiance qui seule m’a permis de surmonter les inévitables phases, sinon de découragement, du moins de doute, que comporte un tel travail de recherche.

L’Institut de Recherche sur le Maghreb Contemporain de Tunis m’a accueilli et aidé financièrement, matériellement et moralement, facilitant mes démarches administratives en Tunisie et la prise de contact avec les acteurs tunisiens, mettant ses locaux et ses ressources à ma disposition. Je voudrais donc remercier MM. Michel CAMAU et Jean-Philippe BRAS qui ont dirigé successivement cet institut durant la période de mes enquêtes et, au-delà, l’ensemble de son personnel, pour son dévouement et sa gentillesse.

J’ai bénéficié de l’accueil et des conseils avisés de nombreux Universitaires tunisiens et, tout particulièrement, de MM. Azzam MAHJOUB, Mahmoud BEN ROMDHANE, Saïd BEN SEDRINE, et Ridha GOUÏA, économistes à l’Université de Tunis, ainsi que de M. ZAMITI, sociologue au CERES (Centre d’Etudes et de Recherches Economiques et Sociales) à Tunis. Qu’ils soient tous chaleureusement remerciés, ainsi que, en France, M. Pierre JUDET, Professeur à l’Université de Grenoble, qui a bien voulu éclairer mon travail de ses remarques et critiques constructives.

Je pense surtout aux 48 entrepreneurs de la région de Tunis qui ont bien voulu se prêter à mes enquêtes, prenant pour certains, de longues heures sur leur temps de travail - et chacun sait à quel point ce temps leur est compté ! Quelques-uns l’ont même fait à plusieurs reprises, tous se sont prêtés au jeu avec la plus grande courtoisie et un sens de l’hospitalité qui n’a décidément rien d’une légende. Ma gratitude leur est acquise ; elle s’adresse également, et pour les mêmes raisons, aux quelque onze inventeurs ainsi qu’à un certain nombre de cadres salariés des entreprises qui m’ont également reçu de la même manière.

Je dois également exprimer ma dette envers nombre de fonctionnaires de divers ministères et de responsables au sein de diverses institutions - Centres Techniques, écoles, antennes régionales de l’API (Agence de Promotion de l’Industrie), etc. - qui ont également bien voulu m’ouvrir leurs portes.

Parmi toutes ces personnes, je pense tout particulièrement à Neila HAMMAMI, à M. FERTANI, à Rachid CHIFRAOUI, à Taleb ABID, auxquelles j’exprime mon amitié, outre ma gratitude pour leur aide précieuse.

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Ce n’est pas pour elle-même que nous avons choisi de nous intéresser à la ville de Tunis (et à la région qui l’entoure). La question du développement qui est au départ de notre recherche ne se limite pas pour nous à celle du développement local. En clair, ce travail, nous ne l’aurions pas entrepris à propos de la région de Lyon, de Londres ou de Munich. Si Tunis nous intéresse, c’est avant tout en tant que capitale d’un Etat du Tiers-Monde.

Près d’un demi-siècle après l’émergence de ce concept, nous croyons encore en effet qu’il recouvre une signification et que si le développement concerne toute portion de territoire, sa question ne se pose pas de la même manière au Sud qu’au Nord, à Tunis qu’à Limoges ou qu’à Milan.

Mais nous pensons aussi qu’il peut être extrêmement fructueux de projeter sur une échelle locale la question du développement mondial. Face aux limites que rencontrent les théories économiques du développement, qui sont par nature globalisantes, nous faisons le pari qu’un renversement d’échelle peut s’avérer pertinent.

Qu’entendons-nous par développement ? Où les approches économiques du développement mondial trouvent-elles leurs limites et en quoi l’approche locale du développement mondial est-elle susceptible de reculer ces limites ? Une classification des théories du développement en trois grands types nous paraît commode pour tenter de répondre à ces questions.

Les années 1950 et 1960 ont été marquées dans ce domaine par un premier courant qui rassemble des auteurs aussi divers que R PREBISCH, C. FURTADO, F. PERROUX, A. HIRSCHMAN, etc. Trois propositions mettent ces auteurs d’accord par-delà leur diversité et justifient l’appellation de « structuraliste » qui a été donnée à ce courant1

.

Les pays du Tiers-Monde ont des caractéristiques structurelles particulières qui définissent le sous-développement : telle est la première de ces trois propositions. Certains auteurs, comme C. FURTADO, insistent ainsi sur le caractère dual de l’économie sous-développée, écartelée entre un secteur moderne et un secteur archaïque, qu’une différence fondamentale de productivité du travail distingue. Pour F. PERROUX, domination, désarticulation et non-couverture des coûts de l’homme sont les caractéristiques essentielles du sous-développement, la dernière constituant la manière dont se manifestent concrètement les deux premières2. Le sous-développement est un produit historique de la domination : en ne se contentant pas d’exporter vers leur « périphérie » des marchandises, mais en y ajoutant, à l’époque de l’ « impérialisme », l’exportation de capital, d’abord sous forme d’investissements de portefeuille, puis et surtout sous forme d’investissements directs, les pays déjà industrialisés ont dépossédé ceux de la périphérie de leurs centres de décisions économiques (la colonisation ayant le plus souvent fait de même des centres de décisions politiques). La désarticulation en est une conséquence et présente une double face : désintégration interne et intégration à l’économie mondiale. Dans ces conditions, les « coûts de l’homme » ne peuvent pas être couverts : le recours à la théorie classique de la répartition fait dépendre le salaire – y compris dans le secteur moderne à forte productivité du travail et compte tenu d’un fort taux de chômage – du niveau de revenu que l’on peut espérer dans le secteur traditionnel, ce à quoi il faut ajouter que l’ extraversion – autre caractéristique structurelle du sous-développement qui exprime le fait que le secteur moderne produit

1 BRASSEUL Jacques : Les nouveaux pays industriels, Paris : Armand Colin, 1993 (p. 67, « Les théories

structuralistes de l’industrialisation »).

2

BYE Maurice, DESTANNE de BERNIS Gérard : Relations économiques internationales, Paris : Dalloz, 1977, pp.419 à 451.

(10)

essentiellement pour l’exportation - dispense les capitalistes de ce secteur moderne de se soucier du niveau de salaire en tant que garant de leurs débouchés (de BERNIS G., 1977, p.444).

Deuxième proposition structuraliste : le développement est un processus de transformation des structures, parmi lesquelles l’industrialisation tient une place de tout premier choix. « Les auteurs structuralistes », écrit J. BRASSEUL, « accordent, bien plus que les néo-classiques, un rôle déterminant à l’industrie dans le développement économique. Celui-ci est un processus de transformation structurelle où l’industrialisation est l’élément moteur » (BRASSEUL J., 1993, p. 67). L’industrie manufacturière a des caractères spécifiques qui en font en effet, selon les structuralistes, le moteur de la croissance : la diversité des branches industrielles permet des spécialisations, l’industrie produit les biens de production pour toutes les branches ; enfin, elle se trouve à l’origine des changements technologiques (BRASSEUL J., 1993). C’est la raison pour laquelle nous avons d’ailleurs choisi de nous intéresser aux entrepreneurs industriels de la région de Tunis, même si la division de l’appareil de production et de la population en trois secteurs de Colin CLARK prête de plus en plus à contestation. Les frontières entre ces trois secteurs tendent en effet à s’estomper. Par exemple, l’agriculture « s’industrialise », non seulement dans le sens où elle utilise des intrants d’origine industrielle, mais aussi et surtout dans le sens où elle emprunte au secteur « secondaire » des méthodes de production qui définissent l’industrie : maîtrise des processus de production et emploi des disciplines scientifiques, division technique du travail, emploi intensif du machinisme, recours au calcul économique et, enfin, production de masse (régulière, homogène, de bonne qualité courante et à bas prix)3. On pourrait en dire autant des « services ». Il faut donc à notre sens de moins en moins considérer l’industrie comme un

secteur d’activités à part entière, mais de plus en plus comme une méthode de production

spécifique, économiquement plus productive que la méthode artisanale à laquelle elle s’oppose et qui ne connaît pas de frontières sectorielles. Dans ces conditions-là, l’industrialisation demeure un signe majeur de développement économique. Tandis que, dans les pays développés, cette industrialisation touche désormais le secteur tertiaire, il reste pertinent, dans un pays du Tiers-Monde, d’isoler les activités manufacturières pour s’intéresser au phénomène du progrès dans la productivité du travail.

Si le développement se définit par un changement de structures, nous sommes en droit de nous demander comment les structuralistes envisagent ces changements. La définition que propose F. PERROUX du développement comme la « combinaison des changements mentaux et sociaux d’une population qui la rendent apte à faire croître cumulativement et durablement son produit réel global »4 suggère que ces changements structurels ne vont pas sans changements des mentalités. Si cette définition s’inspire de l’histoire du développement des pays du Centre, elle ne nous est d’aucune utilité pour comprendre les conditions du développement de la périphérie puisque, précisément, le mécanisme de la domination est censé empêcher toute évolution de ces pays qui soit parallèle à l’histoire qu’ont connue les pays développés. Si cette définition vaut également pour la périphérie, elle ouvre des perspectives qui restent à préciser, car elle peut être interprétée de manières très différentes voire antagonistes. En particulier, elle peut susciter une vision idéaliste du développement, par laquelle il suffirait que les hommes changent de mentalité pour que, miraculeusement et sans qu’on sache l’origine de ce changement, les structures de domination tout à coup s’effacent ou se transforment en leur contraire. Dans une telle interprétation de la définition de PERROUX, la mentalité deviendrait le point de départ de tout processus de développement, alors même

3

VIAU P. : L’essentiel sur l’agriculture française, Paris : Les éditions ouvrières, 1978.

(11)

que le courant qu’il représente s’est ingénié à nier que la mentalité ait pu être le point de départ du processus du sous-développement, mettant au contraire en exergue le caractère historique de ce phénomène. Contradiction difficilement envisageable de la part de cet auteur.

On peut à l’inverse interpréter cette définition en tant que les changements de mentalités accompagnent les changements de structure : non pas au point de départ, mais au centre du processus du développement. Il reste alors à montrer comment s’articulent concrètement les interventions respectives de ces deux instances, ce qui reste, nous semble-t-il, largement sous silence dans l’ensemble des conceptions structuralistes. F. PERROUX insiste sur le rôle crucial des institutions et, en particulier, de la politique d’éducation capable d’insuffler l’esprit d’entreprise et d’innovation. En fait, c’est l’initiative publique qui détient les clefs du développement dans la conception structuraliste, ce qui est confirmé par la troisième des propositions dont nous faisions état : la politique économique doit promouvoir les changements structurels.

L’Etat doit en quelque sorte remplacer l’entrepreneur que l’histoire n’a pas permis de faire émerger dans ces pays à l’égal de ce qu’il en fut dans les pays développés. Les préconisations politiques qui résultent de cette pensée comportent des variantes, qui vont de stratégie d’industrialisation par substitution aux importations (PREBISCH5

) à des orientations encore plus volontaristes par lesquelles les investissements publics doivent s’ingénier à créer une base industrielle elle-même « industrialisante » (de BERNIS6), le fondement d’un tel pouvoir industrialisant découlant de la définition par A. HIRSCHMAN des « effets de liaison » et par F. PERROUX des « effets d’entraînement »7. Mais il nous semble que la tentation structuraliste porte ses tenants à insister sur le démontage de ces effets plus que sur leur origine. Une chose est de constater que la croissance ne se produit pas partout et que, dans les lieux qu’elle a « choisie », les effets d’entraînement la rendent cumulative ; autre chose est d’expliquer pourquoi elle a choisi ces points du territoire et pas d’autres.

En outre, nous reprendrons volontiers à notre compte les critiques qui reprochent aux structuralistes leur économisme : faute de s’être interrogés sur la nature de l’Etat et, plus généralement, sur le fonctionnement concret des organisations – ce qui vaut non seulement pour les institutions politiques, mais aussi, par exemple, pour les entreprises – en tant qu’elles sont avant tout habitées par des hommes, ils ont cru pouvoir projeter dans le Tiers-Monde le concept d’Etat en vigueur dans les pays développés. L’économisme débouchait donc sur l’ethnocentrisme. « En posant en ces termes le débat sur l’Etat dans les pays en

développement, les économistes commirent alors un formidable acte d’ethnocentrisme consistant à projeter des catégories d’analyse économique propres aux Etats occidentaux contemporains sur des entités politiques qui, pour beaucoup, n’avaient en commun avec ceux-ci que la dénomination formelle d’Etat et la représentation nouvelle aux Nations Unies »8

.

Ces approches instrumentalisaient les institutions en général, l’Etat en particulier, en pariant allègrement sur leur transparence au sens de la parfaite concordance entre leurs fonctions formelles et leur fonctionnement réel, ainsi que sur la parfaite intériorisation par les membres de ces institutions de ces buts officiels. En bref, elles faisaient totalement abstraction de ce que, à l’intérieur des organisations, comme l’ont mis en évidence les sociologues qui

5 PREBISCH Raul : Hacia Una Dinamica del Desarrollo Latinoamericano, Supplemento de Comercio Exterior,

S.A., Mexique : Banco Nacional de Comercio Exterior, 1963.

6 DESTANNE de BERNIS Gérard : « Industries industrialisantes et contenu d’une politique d’intégration

régionale », Economie Appliquée, ISEA, 3-4, 1966.

7 Cf., infra, Troisième Partie, I-introduction.

8 PETITEVILLE Franck : « Trois figures mythiques de l’Etat dans la théorie du développement », mars 1998,

Revue internationale des sciences sociales (article partiellement reproduit par Problèmes économiques, 1998,

(12)

travaillent en ce sens dans le sillage de Michel CROZIER9, les individus sont des acteurs qui ont leurs stratégies propres. C’est pourquoi une approche pluridisciplinaire qui intègre en particulier la sociologie - et plus précisément dans sa tradition weberienne de l’action sociale - nous paraît indispensable pour aborder la question du développement.

Quoi qu’il en soit, l’application des théories structuralistes des années 1950 et 1960 par les Etats dans le cadre de leurs politiques de développement a conduit à un certain nombre de déceptions qui peuvent s’expliquer en grande partie par cette instrumentalisation des institutions. Par exemple, cette critique est exprimée à propos de l’Algérie par Medhar SLIMANE sous la forme d’une opposition entre tradition et développement. Pour cet auteur, la mise en œuvre du modèle étatique et bureaucratique d’industrialisation promu dans ce pays durant la décennie 1970 s’est heurtée au poids de la société traditionnelle algérienne : les signaux que l’Etat, à travers les mesures qu’il prenait dans le cadre de sa politique de développement, envoyait à cette société étaient en quelque sorte réinterprétés par elle pour être mis au service d’une stratégie familiale privée, en tout cas sans rapport avec le développement tel qu’il était conçu par l’Etat10

.

Face à ces déceptions et aux échecs, certains larvés et d’autres retentissants, des politiques volontaristes du développement, un nouveau courant, celui dit de la « domination », s’abandonna durant les années 1970 à un certain fatalisme : non seulement le rapport des forces économiques au niveau mondial avait conduit à une division internationale du travail au bénéfice du « Centre » et au détriment de la « Périphérie » qui aboutissait à un « échange inégal » (A. EMMANUEL11) et à un « développement du sous-développement » (A. G. FRANK12) ; mais, de plus, l’instance du politique ne permettait absolument pas de contrarier cette fatalité, puisque – dans les versions les plus radicales d’André Gunder FRANCK ou de Samir AMIN13 -, les Etats du Tiers-Monde n’étaient que des structures fantoches, « occupées par une bourgeoisie qui avait partie liée avec les intérêts

capitalistiques des classes dominantes du centre, ces dernières abandonnant à la petite bourgeoisie de la périphérie une fraction des bénéfices de leur domination économique, en échange du rôle local joué par celle-ci dans la préservation du système, notamment par des politiques sociales répressives » (PETITEVILLE F., 1998).

Le renversement qui fait ainsi passer les économistes du développement de l’optimisme au fatalisme ne doit pas occulter la continuité intellectuelle fondamentale qui relie les théories de la domination à celles du volontarisme structuraliste évoquée précédemment : l’Etat se trouve plus que jamais chosifié et instrumentalisé, même si l’instrument qu’il représente a tout simplement changé de mains. Son statut a même considérablement régressé. En effet, alors que, pour les optimistes structuralistes, l’Etat pouvait être utilisé par les sociétés du Tiers-Monde et être mis au service d’un intérêt général prenant la forme précise du développement, les tenants de la domination ne font que constater une subordination des Etats sous-développés à des intérêts privés locaux, voire et surtout étrangers – ce qui est le comble pour un esprit occidental animé par la conception de l’Etat-Nation qui, comme le vocable le suggère, met l’Etat au service de la l’Etat-Nation.

9 CROZIER Michel, FRIEDBERG Erhard : L’Acteur et le Système, Paris : Le Seuil (Points), 1977. 10

SLIMANE Medhar : Tradition contre développement, 1992, EMAP.

11 EMMANUEL Argiri : L’échange inégal, Paris : Maspéro, 1969.

12 FRANK André Gunder : Le développement du sous-développement : Amérique latine, Paris : Maspero, 1970. 13

AMIN Samir : Le développement inégal. Essai sur les formations sociales du capitalisme périphérique, Paris : Minuit, 1973.

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Quelle que soit sa force de séduction, il faut bien reconnaître que la théorie de la domination a été elle aussi prise en défaut par les faits, puisque le phénomène de l’émergence de nouveaux pays industriels est venue démentir au moins partiellement le fatalisme qui concluait - en l’absence de rupture politique radicale prenant la forme d’une révolution socialiste ou à tout le moins nationaliste - à l’impossibilité du développement14. Et s’il en a été ainsi, c’est que peut-être, selon nous, à force de s’attacher à l’observation et à l’analyse des

structures qui caractérisent le sous-développement, on n’a prêté que trop peu d’attention au

fait que ces structures pouvaient peu à peu se modifier - y compris de l’intérieur - pour donner naissance à d’autres. Il en résulte que si les structuralistes nous ont appris à très bien démonter les mécanismes qui maintiennent les situations de sous-développement sans négliger l’histoire qui en fut à l’origine, nous demeurons beaucoup plus démunis quant à la compréhension des facteurs qui font évoluer ces mécanismes dans la période contemporaine.

Certes, il faudrait se garder de mythifier le phénomène de l’émergence des nouveaux pays industriels. Méfions-nous de tout « dragonisme »15 et souvenons-nous que le dragon est avant tout un animal mythique. Des considérations diverses, d’inégale importance, sont de nature à venir tempérer toute tentation d’idolâtrie vis-à-vis des « nouveaux pays industriels ». Une considération conjoncturelle d’abord : les crises financières de 1997 et 1998 ont révélé des fragilités structurelles dont souffraient les pays émergents. Plus profondément, si le développement ne se réduit pas à l’industrialisation mais si sa définition intègre en tant que finalité la «couverture des coûts de l’homme » (F. PERROUX) ou la « satisfaction des besoins essentiels » (OIT), alors aucun pays ne peut être idéalisé.

Il reste que, considéré sous le seul angle de l’industrialisation, le chemin parcouru par les « nouveaux pays industriels » d’Asie du Sud-Est ne peut pas être réduit à une simple péripétie ni à la vaine gesticulation d’un prisonnier de l’ordre économique mondial. En effet, en parvenant à passer de la production de biens de consommation à la production de composants et de machines, en remontant les filières industrielles, certains d’entre eux sont bel et bien parvenus à changer les règles du jeu de cet ordre économique mondial. Il faut toutefois nuancer ce propos en soulignant qu’à cet égard les NPI ne forment pas un bloc homogène : si l’approfondissement industriel dans le sens d’une « remontée des filières industrielles » a pu être poussé fort loin en Corée du Sud, il n’en est pas de même de pays asiatiques « de la seconde génération » (Malaisie, Indonésie, Thaïlande)16. Mais, quelles que soient les limites du phénomène, une brèche a été ouverte dans la forteresse qui maintenait le Tiers-Monde dans le sous-développement. Le mouvement a été prouvé par la marche. Rien ne pourra plus être comme avant.

Le courant de la domination n’est d’ailleurs pas le seul que l’évolution des nouveaux pays industriels remette en cause. Le phénomène interpelle également selon nous les structuralistes. En effet, nous pouvons considérer que l’inexistence, dans les pays de la périphérie, d’un ensemble suffisant d’industries produisant des biens d’équipement constitue un aspect particulier de la désarticulation chère à F. PERROUX. Or, des économistes de la régulation ont tenté d’appliquer aux pays du Tiers-Monde le raisonnement économique qui s’attache aux rapports entre les sections productives, s’inspirant en cela de la construction par Karl MARX des schémas de la reproduction du capital qui distinguent une section des

14 COURLET Claude, JUDET Pierre : « Industrialisation et développement : la crise des paradigmes »,

Tiers-Monde, 1986, n°107.

15 Nouvelle école de pensée que nous nous garderons bien de fonder, mais qui pourrait se définir comme la

dévotion aux quatre « dragons » d’Asie du Sud-Est (Corée du Sud, Taïwan, Singapour et Hong-Kong).

16

THI Anh-Dao Tran : « Libéralisation commerciale et industrialisation en Asie du Sud-Est : implications pour le Viet-Nam », Tiers-Monde, 1999, n° 158.

(14)

moyens de production et une section des moyens de consommation. Le « régime d’accumulation » est un concept central de cette école régulationniste. R. BOYER le définit comme un « ensemble de régularités assurant une progression générale et relativement cohérente de l’accumulation de capital, c’est-à-dire permettant de résorber ou d’étaler dans le temps les distorsions et déséquilibres qui naissent en permanence du processus lui-même »17. Pour A. LIPIETZ, il s’agit du « mode de réallocation systématique du surplus garantissant sur une période prolongée une certaine adéquation entre les transformations des conditions de la production et les transformations des conditions de la consommation »18. La transposition du concept de régime d’accumulation aux pays sous-développés aboutit au constat que, dans ces pays, c’est généralement l’importation qui joue le rôle de « pseudo-section 1 », ce qui constitue une forme de régulation - mais pas un facteur de développement -, comme l’explique M. LANZAROTTI : « Tant que l’importation jouera le rôle de pseudo-section 1, le système productif sera privé de l’élan technologique et des pulsions transformatrices qui résultent de la maîtrise de la conception et la fabrication des biens d’équipement »19. Tel est l’enjeu de la présence ou de l’absence de l’industrie des biens d’équipement dans une nation donnée ; cet enjeu est cependant exprimé de manière qui reste très abstraite, sans doute parce qu’une analyse purement économique ne peut guère aller plus loin : comment l’ « élan technologique » est-il donné aux entreprises qui achètent des biens de production ? En quoi cet élan dépend-il de la nationalité des fournisseurs ou de la distance qui les sépare de leurs clients ? A l’évidence, l’économiste doit, pour répondre à ces questions, passer le flambeau au sociologue, au politologue ou au géographe. Les économistes de la régulation sont d’ailleurs parfaitement conscients des limites de l’économisme en la matière. Ainsi, écrit A. LIPIETZ, « un régime d’accumulation ne plane pas, désincarné, dans le monde éthéré des schémas de reproduction. Pour que tel ou tel schéma se réalise et se reproduise durablement, il faut que des formes institutionnelles, des procédures, des habitudes, agissant comme forces coercitives ou incitatrices, conduisent les agents privés à se conformer à de tels schémas. Cet ensemble de forme est appelé mode de régulation » (LIPIETZ A, 1982). Cette remarque conduit M. LANZAROTTI à mettre en avant le rôle fondamental de la culture en tant que « mode opératoire des formes institutionnelles ».

Toutefois, l’explication par cet auteur du monopole quasi général des pays développés dans la maîtrise de la section 1 nous laisse quelque peu sur notre faim : « Le niveau de connaissances scientifiques et techniques prévalant dans les PSD [pays sous-développés] du XXème siècle les contraint à importer les biens d’équipement. En même temps, l’absence de fabrication locale limite les besoins en formation technique et scientifique et, par conséquent, la possibilité de les fabriquer ultérieurement… ». L’insuffisance du niveau de formation scientifique et technique est sans doute un aspect déterminant du problème ici posé. Mais ce facteur est désigné d’une manière si générale qu’elle ne permet pas d’en saisir toutes les implications. Nous verrons que, au-delà du niveau scientifique et technique que possèdent les acteurs, il est crucial de considérer la manière dont ces acteurs vivent le niveau de connaissances de leur pays, selon qu’ils se battent ou non pour l’améliorer, selon qu’ils acceptent ou refusent de le diffuser, etc. Mais, surtout, s’il est en effet extrêmement pertinent d’évoquer la fonction en retour de la fabrication locale de biens d’équipement en tant qu’incitation à la formation technologique, ce type de raisonnement circulaire enferme les PSD dans une situation dont on ne voit guère comment ils peuvent sortir. Par conséquent, il

17

BOYER Robert : « Les approches en terme de régulation. Présentation et problèmes de méthode »,

CEPREMAP, 1985, n°8 523.

18 LIPIETZ Alain : « De la nouvelle division internationale du travail à la crise du fordisme périphérique »,

CEPREMAP, 1982, n° 8 225.

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est inapte à rendre compte des progrès réels des nouveaux pays industriels en matière de « remontée de filière ».

En fait, nous considérons que derrière les sections productives se cachent des acteurs et que l’observation plus fine de leurs comportements peut être de nature à nous en apprendre davantage sur l’évolution des rapports entre ces sections.

Sur un plan théorique, un troisième courant de pensée s’est d’ailleurs engouffré dans cette brèche : les libéraux néo-classiques ont tenté de s’attribuer les dividendes des succès des NPI en y voyant la réussite du modèle libéral et extraverti d’industrialisation. « En se

spécialisant conformément à leurs avantages comparatifs, eux-mêmes définis par leurs dotations en ressources naturelles et en facteurs de production (capital, travail), en respectant le principe de vérité des prix et en laissant s’épanouir l’initiative privée dans un contexte de libre et saine concurrence, les pays en développement sont désormais appelés à profiter pleinement de l’échange international et à jeter les bases d’un développement équilibré. Le simple jeu des forces du marché, dans un contexte de libre insertion de l’économie nationale dans l’économie mondiale, est ainsi censé garantir aux pays en développement la croissance de la production, l’allocation optimale des facteurs de production et l’équité dans la rémunération de ces facteurs » (PETITEVILLE F., 1998).

Mais la confiance dont témoignent les tenants de ce courant dans la vertu régulatrice du marché est une confiance aveugle. Les opérateurs sur ces marchés étant considérés comme des forces abstraites réagissant aux sollicitations de leur environnement de manière anonyme selon une rationalité supposée universelle, point n’est besoin de s’intéresser à eux en tant qu’acteurs. La liberté qui leur est reconnue ne dépasse guère, dans le fond, celle que possède le mercure de se dilater sous l’effet de la chaleur. Le comportement des acteurs peut dès lors être mis en équation à la faveur d’une frénésie modélisante, mais la part mystérieuse de ce comportement – mystérieuse parce que tout effort de compréhension en est déclaré d’emblée hors-sujet par les auteurs de ces modèles – est reléguée dans un ensemble de paramètres exogènes. En un mot – magique -, elle est déclarée « donnée ». Il en est ainsi, parmi de nombreux exemple, de l’élasticité de l’offre (par rapport aux prix) dans des modèles établis pour mesurer l’impact du libre-échange sur des économies en développement. Or, comme le fait justement remarquer Henri REGNAULT à propos du processus qui tend au libre-échange entre les deux rives de la Méditerranée, « … le principal enseignement de ces modèles

(modèles calculables d’équilibre général20

) est que les impacts macro-économiques sont les meilleurs quand l’élasticité de l’offre est élevée ou que les investissements étrangers affluent ; mais ils ne nous disent pas en quoi le libre-échange influe sur l’élasticité de l’offre ou sur les investissements étrangers »21. Que la construction de modèles économétriques puisse avoir

son utilité pour inspirer les décideurs publics, il n’est pas dans notre intention de le nier. Mais l’efficacité de ces modèles dépend surtout du choix des paramètres qu’ils utilisent et qui ne peut être éclairé que par un travail complémentaire qui s’attacherait à comprendre le comportement des acteurs. L’élasticité de l’offre n’est qu’une manière de chiffrer une somme de comportements d’acteurs et l’on pourrait en dire autant de la plupart des données de départ qui font l’objet d’hypothèses dans ces modèles. Cette critique ne vaut d’ailleurs pas que pour les néo-classiques : un courant néo-structuraliste s’adonne lui aussi à la construction de

20 COGNEAU D., TAPINOS G. : « Libre-échange, répartition du revenu et migrations au Maroc », Revue

d’économie du développement, 1995, n°1.

KEBABDJIAN G : « Le libre-échange euro-maghrébin : une évaluation macro-économique », Tiers-Monde, 1995, n°144.

RUTHERFORD T. F., RUSTRÖM E.E., TARR D. : « L’accord de libre-échange entre le Maroc et la CEE : une évaluation quantitative », Revue d’économie du développement, 1994, n°2.

21

REGNAULT Henri : « Les blocages au développement du Sud de la Méditerranée sont-ils purement économiques ? », Mondes en développement, 1999, tome 27, n°105.

(16)

modèles qui s’attachent à montrer les limites des politiques de stabilisation libérale dans le Tiers-Monde.22

Il faut cependant reconnaître que le courant libéral a su évoluer en utilisant les acquis de la pensée « institutionnaliste » (qui emprunte à diverses disciplines, dont la sociologie). Il a trouvé son porte-parole sans doute le plus en vue en la personne de Joseph STIGLITZ et l’a fait sous la pression de trois séries d’événements marquants de la dernière décennie du XXème siècle : « l’écroulement des économies socialistes/communistes » ; « le miracle asiatique » ; enfin « la crise asiatique » (ensemble des crises financières de 1997 et 1998)23. Ces trois ensembles de faits n’ont pas peu contribué à remettre en cause l’orthodoxie de la confiance aveugle aux marchés sur laquelle étaient bâties jusqu’alors les interventions de la Banque mondiale et du Fonds Monétaire International. En effet, contre toute attente, l’écroulement des économies qui donnaient la priorité à la planification sur le marché n’a pas suffi à assurer le triomphe et, surtout, le succès de ce dernier en tant que régulateur de l’économie. Il a surtout mis en évidence, parfois sous la lumière blafarde de la déliquescence mafieuse, le fait que le marché ne saurait fonctionner en l’absence d’institutions solides. L’expérience asiatique des NPI a , quant à elle, révélé que le « miracle » devait autant aux interventions gouvernementales judicieuses – en tout cas jugées telles dans la mesure où elles ont réussi - qu’à la spontanéité du marché. Enfin, les crises financières qui ont frappé divers pays asiatiques à partir de l’été 1997 ont révélé les fragilités d’un mode de croissance basé sur l’opacité des modalités d’allocation des ressources financières.

Ce constat conduit donc J. STIGLITZ à proposer le concept de « stratégie de développement ». L’auteur se défend certes de préconiser par là le retour de toute planification du développement, orientation que le libéral en lui rejette définitivement. Mais il met en avant un certain nombre de principes, véritable code de bonne conduite à l’usage des gouvernements dans leur action, action dont il reconnaît désormais la nécessité tout en attendant son efficacité beaucoup plus de sa discrétion, d’une sorte de tact, bref, d’un certain style que de son ampleur ou de son caractère spectaculaire. Parmi ces principes qui fondent la bonne gouvernance pour le développement, figurent un certain nombre de propositions particulièrement dignes d’intérêt en ce qu’elles révèlent une reconnaissance de la nécessaire prise en compte du comportement des acteurs. Nous retiendrons pour notre part deux maîtres-mots : le consensus et la coordination. Le consensus d’une société autour d’un projet de développement est considéré comme une condition de son succès. Il en est de même de la coordination, « non seulement des divers organismes officiels, à l’intérieur de chaque service et entre les différents niveaux du gouvernement, mais aussi entre les secteurs privé et public et entre plusieurs acteurs du secteur privé24 » (STIGLITZ J., 2000). Cette dernière précision pose la question qui peut être déterminante de la coopération entre les entreprises privées, que cette coopération prenne une forme territoriale, c’est-à-dire joue la carte de la proximité, ou qu’elle table de préférence sur la construction de réseaux a-spatiaux.

Nous prenons acte de la renonciation à la planification du développement qui constitue une orientation quasi générale de la fin du XXème siècle. Dans ces conditions, ce sont les

entrepreneurs qui détiennent la première clef du développement. La déréglementation et

l’ouverture à la concurrence internationale qui accompagnent cette renonciation les obligent parallèlement à la compétitivité. Or, pour que la croissance des entreprises privées soit synonyme de développement, la compétitivité de ces entreprises doit être compatible avec l’augmentation du niveau des salaires, faute de quoi la « couverture des coûts de l’homme »

22 BEN HAMMOUDA Hakim : « Quoi de neuf chez les structuralistes ? », L’économie politique, 2000, n°5. 23

STIGLITZ Joseph : « Vers un nouveau paradigme pour le développement », L’économie politique, 2000, n°5.

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ne pourrait être améliorée. Seule l’innovation est à même de concilier les exigences de la compétitivité et celles de l’amélioration du bien-être. C’est pourquoi nous placerons au centre de notre recherche la capacité des acteurs et, plus particulièrement – mais pas uniquement – des entrepreneurs à innover… et à coopérer. Innover en coopérant – car la coopération va rarement de soi -, mais aussi coopérer pour innover - car l’innovation a un coût que la coopération permet de partager.

Or, si les concepts d’action sociale et d’acteur retiennent depuis fort longtemps l’attention des sociologues dans les pays développés, ils semblent bien avoir été boudés par les chercheurs qui s’intéressent au problème du sous-développement. Sans doute l’action humaine a-t-elle été cachée pendant trop longtemps dans les sociétés de la périphérie par le poids écrasant des structures, coloniales tout d’abord, néo-coloniales ou étatiques ensuite. Entre les masses tellement opprimées qu’elles en paraissaient inaptes à prendre toute initiative et la force de domination froide et anonyme que représente le Capital transnational, seuls les Etats pouvaient être identifiés comme des acteurs à part entière. Comme l’écrivent C. COURLET et P. JUDET (1986), la « Périphérie » était considérée « comme un ensemble mou et indifférencié » ; les sociétés du Tiers-Monde ne faisaient pas l’objet d’une analyse qui les considère indépendamment de leur intégration à l’économie mondiale.

Certes, la montée en puissance de l’idéologie libérale dans la décennie 1980 et l’adoption, sous l’égide des organismes financiers internationaux, de programmes de privatisation et de déréglementation des économies du Tiers-Monde ont-elles ouvert un champ de recherche autour de l’entrepreneur. De nombreux ouvrages ont été écrits prenant pour objet l’entrepreneuriat dans tel ou tel pays en voie de développement. Des chercheurs du monde arabe – pour se limiter à cette aire culturelle - se sont ainsi intéressés aux entrepreneurs algériens, marocains, syriens, tunisiens, etc. Mais ces travaux, souvent fort passionnants, sont rarement conduits dans l’optique qui nous intéresse, à savoir celle du développement. C’est ainsi que S. TANGEAOUI s’est penché sur les rôles social et politique des entrepreneurs marocains dans le processus de constitution éventuelle d’une société civile25. J. PENEFF a décrit les industriels algériens en les classant selon leurs trajectoires sociales et leur comportement de managers, mais sans voir essentiellement en eux des acteurs du développement de leur pays26. En Tunisie même, P.N. DENIEUIL a observé les entrepreneurs de Sfax et du Sahel27 avec le souci de montrer l’existence d’un phénomène d’ « ethno-industrialisation »28, c’est-à-dire en replaçant la dynamique entrepreneuriale dans le contexte culturel où elle s’exerce. Les travaux de ce dernier auteur furent une source d’inspiration majeure pour nous en ce qu’ils replacent les entrepreneurs dans le contexte d’une région vécue et posent la question des relations entre le sentiment d’appartenance à une communauté locale et l’efficacité économique. C’est bien en quelque sorte cette question-là que nous poserons à propos de la région de Tunis, mais nous pensons que le contexte local de l’action entrepreneuriale ne se résume pas à une « culture », du moins dans le sens d’une tradition culturelle figée. La culture résulte de l’action humaine autant qu’elle la détermine ; elle se construit au présent, dans un contexte aux multiples facettes, parmi lesquelles la dimension politique n’est pas à négliger.

25 TANGEAOUI Saïd : Les entrepreneurs marocains, Paris : Karthala, 1993. 26

PENEFF Jean : Industriels algériens, Paris : Editions du CNRS, 1981.

27 DENIEUIL Pierre-Noël : La PME tunisienne. Emergence et pérennité . Le Sahel et Sfax, Travaux

sociologiques du LSCI, n°39, Paris,1994, CNRS.

28

DENIEUIL Pierre-Noël : Les entrepreneurs du développement. L’ethno-industrialisation en Tunisie : la

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Notre hypothèse centrale est que les acteurs donnent un sens aux contraintes qu’ils subissent. Ils peuvent ignorer ces contraintes, les contourner, les dépasser ou se laisser dépasser par elles. Nous nous situons par là dans la tradition philosophique existentialiste29 dont nous pensons qu’elle a également inspiré toutes les démarches sociologiques qui mettent l’acteur au devant de la scène (CROZIER M., 1977), ainsi que la mouvance constructiviste dont les tenants voient dans les réalités sociales « des constructions historiques et quotidiennes des acteurs individuels et collectifs »30. Nous ajouterons volontiers, pour notre part, que, sous certaines conditions, les contraintes peuvent même s’avérer stimulantes à l’égard de la capacité des acteurs à innover. En tout cas, si la présence d’obstacles à l’action humaine ne suffit pas à donner en soi la solution de leur contournement ou de leur dépassement, aucune innovation, à l’inverse, n’est à espérer en l’absence de problèmes à résoudre. On le voit, cette hypothèse est une manière de rompre avec le fatalisme des théories de la domination. Elle ne conduit pas pour autant à adopter l’optimisme béat des libéraux impénitents qui voient dans le développement le parcours sans encombres des cinq étapes de W. ROSTOW31 par un train omnibus de voyageurs endormis dans la confiance aux marchés. En effet, prêter attention à la manière dont les acteurs se définissent par rapport aux contraintes qu’ils subissent n’oblige pas à conclure a priori à leur capacité ou à leur volonté de les surmonter. Même si l’Homme ne se pose que des problèmes qu’il sait résoudre, leur issue dépend finalement de la manière dont les acteurs perçoivent ces problèmes ; ils peuvent considérer certains d’entre eux comme impossibles à résoudre, ce qui signifie dans ce cas qu’ils jugent trop élevé le prix qu’ils auraient à payer pour y parvenir, compte tenu des valeurs respectives qu’ils attachent à leur résolution et aux sacrifices qu’elle suppose.

Il nous paraît finalement indispensable de remplir trois conditions pour comprendre le phénomène du développement en observant les acteurs de ce développement : adopter une démarche pluridisciplinaire qui mette l’acteur – dans ses différentes dimensions – au centre de la problématique, observer ces acteurs à l’échelle locale, seul niveau qui permette une observation suffisamment fine de leur comportement et, enfin, s’attacher aux interactions entre ces acteurs dans la mesure où, comme nous l’avons souligné plus haut, la coordination voire la coopération entre ces acteurs constitue une forme d’innovation qui peut s’avérer déterminante pour surmonter certains obstacles économiques.

Ces trois conditions justifient une démarche géographique. En effet, si l’espace est au fondement de la géographie, l’espace en soi n’existe pas. Le géographe le construit en fonction des problèmes qu’il veut aborder ; il peut « remplir » cet espace différemment selon qu’il s’intéresse à ses aspects physiques, aux hommes, aux activités, etc. Il serait sans doute abusif de conclure que la géographie n’est qu’un cadre d’accueil des autres sciences humaines en quête de spatialisation. Du moins nous paraît-elle constituer la discipline la plus à même de remplir ce rôle-là dans le cadre d’un espace donné et de satisfaire ainsi la condition de la pluridisciplinarité de notre recherche.

La seconde condition – adopter une échelle locale – implique de choisir une région et de mettre l’accent sur la spécificité de cette région, ce qui n’est pas le principal souci de l’économiste, lequel s’attache beaucoup plus à mettre en évidence des mécanismes généraux, dont la prétention à l’universalité n’est que grossièrement limitée dans le temps et dans

29 « Je veux arriver au plus vite, sur ma bicyclette, à la ville voisine (…) », écrit Jean-Paul SARTRE dans L’Etre

et le Néant. « Mais un pneu crève, le soleil est trop ardent, le vent souffle de front, etc., tous phénomènes que je

n’avais pas prévus : ce sont les entours. Certes, ils se manifestent dans et par mon projet principal ; c’est par lui que le vent peut apparaître comme vent debout ou comme “bon” vent, par lui que le soleil se révèle comme chaleur propice ou incommode ».

30 CORCUFF Philippe : Les nouvelles sociologies. Constructions de la réalité sociale, Paris : Nathan Université,

1995.

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l’espace. Pour notre part, nous avons choisi la région de Tunis dont nous verrons qu’elle concentre une part considérable de l’activité industrielle de la Tunisie. Son statut de capitale et, au moins dans ses ambitions, de métropole internationale est a priori susceptible de lui assurer des conditions favorables au développement industriel. Mais c’est ici qu’intervient la troisième des conditions que nous avons listées plus haut pour la compréhension du phénomène du développement : s’attacher aux interactions entre les acteurs. En effet, si nous ne confondons pas développement et croissance, si nous ne mesurons pas la réalité d’un processus de développement – même qualifié d’industriel – à la seule multiplication des unités de production industrielles, mais si nous attachons au contraire la plus grande importance à l’innovation et à la diffusion de l’innovation, nous pressentons que, paradoxalement, ce statut de capitale est moins favorable que l’on pourrait s’y attendre, surtout par comparaison avec d’autres régions du pays. Nous consacrerons la Première Partie de notre travail à vérifier cette impression en analysant l’organisation spatiale des entreprises privées industrielles de la région de la capitale, les relations qu’elles nouent – ou non – entre elles, la réalité et le degré de l’innovation qu’elles réussissent à mener à bien. Nous consacrerons la Deuxième Partie à la mise au jour des conditions qui permettent de comprendre cet état de fait en mettant tour à tour l’accent sur le cadre contraignant qui limite les acteurs et sur la responsabilité des acteurs eux-mêmes. A cet égard, nous prendrons comme hypothèse que la position de capitale comporte paradoxalement des freins qu’une seule analyse économique serait incapable de mettre au jour, mais que seule la prise en compte des dimensions sociologique et politique du développement peut permettre d’éclairer. Il est également probable que les acteurs choisissent, compte tenu précisément d’une position géographique qui les ouvre sur l’extérieur, de privilégier un mode de coordination et de coopération qui se fonde sur des réseaux lointains et des relations a-symétriques plutôt que sur la relation territoriale de proximité. Nous essaierons cependant de montrer, dans une Troisième Partie consacrée aux effets de polarisation nationale et internationale, que l’efficacité de telles relations extrlocales qui, en l’occurrence, sont pour l’essentiel a-symétriques (entre les PME de Tunis et le secteur public tunisien ou entre ces mêmes PME et le capital étranger), dépend étroitement de la manière dont les acteurs locaux les perçoivent et qu’elles ne sont pas alternatives mais complémentaires des relations territoriales de proximité.

Nous nous appuierons principalement, pour réaliser ce travail, sur un échantillon de 48 entrepreneurs privés tunisiens opérant dans la région de Tunis telle qu’elle sera plus précisément délimitée au début de la Première Partie. Mais notre attachement à la question de l’innovation nous a incité, en complément, à enquêter auprès de 11 détenteurs d’un titre de propriété industrielle (brevets ou modèles) dont le témoignage, malgré leur nombre réduit, s’est révélé très éclairant à bien des égards. Les entrepreneurs ont été choisis pour appartenir au champ sectoriel de l’industrie manufacturière, à laquelle s’ajoute celui des services aux entreprises. Ont donc été exclues les activités agricoles, extractives, commerciales ainsi que le BTP et l’ensemble des services aux particuliers. C’est la méthode de l’entretien semi-directif approfondi qui a été choisie comme la plus à même de nous permettre de saisir les représentations des acteurs et d’en induire, ces représentations une fois replacées dans leur contexte, des enseignements qui, proposés avec la prudence qui s’impose, peuvent avoir une portée qui dépasse le seul cas de chaque personne interviewée.

Les cartes qui suivent permettent de mieux situer notre échantillon d’entrepreneurs dans l’espace tunisois.

(20)
(21)
(22)

Répartition des établissements de l’échantillon par

délégations

Légende :  moins de 2% de l’échantillon

 2 à moins de 4% de l’échantillon

4 à moins de 6% de l’échantillon

6 à moins de 8% de l’échantillon

8 à moins de 10% de l’échantillon

10% de l’échantillon et plus

(23)

Répartition des établissements de l’échantillon par

délégations et par branches

Légende : Industries agro-alimentaires Industries des métaux, constructions mécaniques et électriques Industries de la chimie, (dont plasturgie et pharmacie) Industries textiles, de l’habillement et du cuir (dont chaussure)

Industries diverses (dont emballages et services aux entreprises) 1 établissement 2 établissements

3 établissements

4 établissements

Répartition sectorielle de l’ensemble de l’échantillon (en nombre

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Répartition des établissements de l’échantillon par

délégations et selon leur taille

Légende :

Proportion des établissements de moins de 10 salariés dans une délégation

Proportion des établissements de plus de 100 salariés dans une délégation

moins de 25%  

25 à moins de 50%

50 à moins de 75%

plus de 75%

(25)
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Résumé

Les théories économiques du développement ont été prises en défaut par l’évolution historique du Tiers-Monde au cours des trois dernières décennies du XXème siècle. Les stratégies d’industrialisation volontariste et étatique, inspirées par le courant structuraliste, sont loin d’avoir porté les fruits que leurs défenseurs en attendaient, tandis que, à l’inverse, le fatalisme véhiculé par les théories de la domination s’est trouvé en grande partie démenti par l’émergence inattendue des « nouveaux pays industriels ». Les libéraux ont voulu voir dans cette dernière évolution une justification à leurs approches, mais le fondement théorique de leurs travaux, malgré les efforts d’adaptation qu’ils fournissent, reste marqué par une vision abstraite réduisant la société à l’économie et l’économie au marché et négligeant par conséquent le rôle de l’action et des interactions sociales dans les évolutions économiques.

Or, précisément, nous postulons que, pour asseoir plus solidement la pensée du développement et mieux l’ancrer dans le réel, il conviendrait de la sauver de l’économisme en remplissant trois conditions : mettre l’acteur au centre de la réflexion, observer les acteurs à l’échelle locale et, enfin, s’attacher aux interactions entre ces acteurs. Ces trois conditions justifient une démarche géographique, comprise comme une démarche qui choisit une portion de l’espace et qui construit cet espace en fonction des problèmes que le géographe se pose - ici, celui du développement - en « accueillant » d’autres approches disciplinaires (celles de la sociologie, de l’économie, etc.). En résumé et en quelque sorte, projeter sur une échelle locale la question du développement mondial : telle est ici notre ambition.

Nous avons pour ce faire choisi la région de Tunis, capitale ouverte sur le monde, aire de concentration des hommes et des activités industrielles et de services de la Tunisie. Malgré ce potentiel, le paradoxe est que la région de Tunis n’est pas réputée pour son dynamisme industriel, du moins ne souffre-t-elle pas la comparaison avec d’autres régions de Tunisie telles que, en tout premier lieu, celle de Sfax ou encore celle du Sahel de Sousse. L’hypothèse centrale que nous adoptons, susceptible selon nous d’éclairer ce paradoxe, est que le dynamisme en question dépend de la capacité des acteurs à innover, ce qui doit être compris comme leur capacité à dépasser les contraintes qu’ils subissent. Or, fidèle à une tradition existentialiste dont nous pensons qu’elle a inspiré les sociologues constructivistes et tous ceux qui, plus généralement, mettent l’acteur sur le devant de la scène, nous proposons que les acteurs donnent un sens aux contraintes qu’ils subissent. Ils peuvent ignorer ces contraintes, les contourner, les dépasser ou se laisser dépasser par elles. Si la présence d’obstacles à l’action humaine ne suffit pas à donner en soi la solution de leur contournement ou de leur dépassement, aucune innovation, à l’inverse, n’est à espérer en l’absence de problèmes à résoudre. L’adoption de cette hypothèse permet de mieux accepter le paradoxe qui veut qu’une région qui semble a priori favorisée réussisse moins que d’autres que l’on dirait a

priori défavorisées.

La capacité des acteurs à innover, que nous considérons comme une condition du développement à partir du moment où nous prenons acte des évolutions libérales des politiques de développement - qui parient désormais sur l’entrepreneur comme agent privilégié de ce développement -, ne reflète donc pas mécaniquement les conditions qui préexisteraient à leur action dans l’espace où ils évoluent ; elle n’est pas non plus déconnectée de cet espace, pur produit de leurs capacités individuelles ; elle résulte d’une interaction complexe entre leur action et la perception qu’ils ont de la situation où ils se trouvent, dont ils peuvent considérer certains éléments comme des opportunités, d’autres comme des contraintes. Ils estimeront certains de ces obstacles surmontables et d’autres non, compte tenu du prix qu’ils sont prêts à payer dans un tel but.

(27)

Avec les concepts de district industriel, de système productif localisé, de milieu

innovateur, de technopôle, etc., les économistes régionaux ont mis le doigt sur une illustration

de toute première importance de la capacité des acteurs-entrepreneurs à dépasser les contraintes qu’ils subissent : en coopérant, ils peuvent faire fi de nombreux handicaps tels que la faible taille de leurs unités de production, les difficultés qu’ils peuvent éprouver dans l’apprentissage de la technologie, etc. Lorsqu’une telle coopération est fondée sur des relations de proximité, nous considérons que ses auteurs s’approprient leur espace et en font de ce fait un territoire industriel.

Or, l’observation par nous de l’espace industriel tunisois, tant à l’aide des études documentaires qui ont été réalisées sur la question par le passé que des témoignages de 48 entrepreneurs résidents tunisiens relevant de l’industrie manufacturière de la région de la capitale, nous a autorisé, en reprenant point par point les caractéristiques qui ont servi à Alfred MARSHALL (1906) pour définir le district industriel, à émettre les conclusions suivantes : en premier lieu, l’espace tunisois est un espace hétérogène de petites et moyennes entreprises dispersées et peu intégrées. En effet, contrairement à ce qu’il est possible d’ observer dans les districts industriels ainsi que dans les autres formes de territoires industriels, les zones industrielles de la région de Tunis (aménagées ou spontanées) ne groupent que très exceptionnellement les unités de production sur la base d’une communauté de métier, tandis que beaucoup d’entreprises demeurent géographiquement dispersées, pour ne pas dire isolées. Enfin, l’espace souffre d’un double défaut d’intégration : tandis que certaines entreprises s’efforcent d’internaliser des activités qu’elles pourraient confier à des collègues tunisois ou tunisiens, l’ensemble des entreprises reste largement tributaire de l’étranger pour l’approvisionnement en matières premières et produits semi-finis, et totalement en ce qui concerne leur approvisionnement en machines.

En second lieu, l’espace tunisois apparaît marqué par la rétention des informations, tant de la part des employeurs que de leurs salariés, qui sont quelquefois et paradoxalement détenteurs d’un savoir-faire qu’ils disputent à leur patron. Dans la hiérarchie des valeurs exprimées par les acteurs, la circulation des informations, tant entre catégories différentes de salariés qu’entre salariés et employeurs ou qu’entre les entrepreneurs et leurs partenaires financiers ou autres, cède nettement la place à la protection des secrets. La rétention d’informations s’explique largement par une crainte de l’imitation que des circonstances propres exacerbent dans la région de Tunis, sans toutefois que cette région possède le monopole de telles circonstances. La rétention d’informations n’est pas sans conséquences sur la capacité du milieu tunisois à sécréter et à diffuser l’innovation.

En troisième lieu, si l’aspiration des salariés à s’établir à leur compte est forte, elle n’aboutit que difficilement à renforcer le territoire industriel de la région de la capitale, soit parce qu’elle peine à se concrétiser, soit parce que d’autres secteurs qu’industriels ou d’autres régions que celle de Tunis recueillent les réalisations de ces projets entrepreneuriaux, soit, enfin, parce qu’une rupture quasi totale entre le futur entrepreneur et son ex-employeur amenuise considérablement l’effet synergique qu’on peut observer par ailleurs dans certains territoires industriels, théâtres d’un véritable essaimage.

En dernier lieu, l’innovation technologique, dont il n’est pas exagéré de dire qu’elle donne sa couleur au territoire industriel, parce que sa forme et son degré conditionnent la qualité des relations territoriales de proximité en même temps qu’elles en résultent, demeure essentiellement incrémentale à Tunis. Plus précisément, elle consiste le plus souvent en l’introduction sur le marché tunisien de produits mis au point à l’étranger, ainsi qu’en leur amélioration et/ou leur adaptation à ce marché. Il est également à noter que la production personnalisée progresse de manière significative, tandis que, pour ce qui est de l’innovation

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