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Procès, bilan et épilogue Chapitre VIII

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Academic year: 2021

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Procès, bilan et épilogue

Pendant la poursuite du procès les marins demeurent incarcérés à la prison de Valpa- raiso et dans les camps de concentration de la région.

Comme leurs avocats de 1973 sont désormais, eux aussi, poursuivis, leur défense est assurée, dans la majorité des cas, par des avocats du Service d’assistance judiciaire.

Ces derniers s’engagent dans un système de défense formelle, en plaidant devant les cours martiales de la dictature la réduction des peines demandées par le ministère public de la Marine. Avec toutefois une exception notable: l’avocate Lidia Hogtert ose poser la question de fond en 1975. Les « aveux » n’ont aucune valeur –dit-elle–

puisqu’ils ont été arrachés sous la torture et ces marins n’ont fait qu’accomplir leur devoir, car « le devoir de tout militaire est de défendre le gouvernement légitime ».

Autrement dit, l’avocate revendique la suprématie de la Loi sur les ordres des supé- rieurs.

Tous les marins condamnés à trois ans accompliront intégralement leur peine, avec deux semaines supplémentaires. Les condamnés à dix et quinze ans seront libérés par la loi d’amnistie en 1978. Presque tous devront partir en exil.

En 1986, alors que la dictature se décompose, le procès 3926 est réactivé: Oscar

Garretón, rentré d’exil, se présente devant la justice navale. Celle-ci engage tous ses

moyens dans ce procès emblématique contre le dirigeant du

MAPU

, tant diabolisé en

d’autres temps. Après six mois de prison et cinq ans de procès, Garretón obtient une

victoire judiciaire totale. Il est acquitté par la Cour suprême, à l’unanimité.

(2)

8.1- L

E PROFIL DES MARINS ORGANISES

8.1.1- Combien étaient-ils?

Selon des données objectives, 88 marins furent condamnés ou expulsés de la Ma- rine, au cours de 10 procès. La plupart participaient dans les groupes anti- putschistes.

Les marins organisés étaient bien en- tendu nettement plus nombreux. Entre 200 et 300 marins furent arrêtés, affirme Roldán

2

, mais plus de la moitié d’entre eux ont été mis en liberté faute de preu- ves. Et beaucoup de membres d’organi- sations ne furent pas arrêtés.

Les marins du croiseur Latorre confir- ment l’influence de l’organisation:

« nous avions des gens dans tous les départements », déclare Pedro Blaset;

80 sous-officiers « au moins » étaient

opposés au coup d’État, et nous avions l’espoir que la majorité se rallie, puisque le mouvement représentait la légalité

3

. Sur le pont, il y avait 60 personnes confirmées, assure Ayala

4

. Et Ibarra se souvient que « 40% du personnel avait manifesté sa dis- position à participer à une action contre le coup d’Etat

5

».

Sur le croiseur Prat il y eut 11 arrestations. De nombreux marins organisés échappèrent aux arrestations, assure Carlos Garcìa:

« Quant à dire combien nous étions de marins disposés à nous opposer au coup d’État, ça c’est autre chose; il est difficile de le savoir parce qu’il y avait un groupe de marins qui n’a jamais été arrêté; il s’agissait de marins anti-putschistes; une partie de l’équipage était assez influencée par nous qui étions contre le coup d’Etat6 ».

Au sein de l’unité d’électronique de Víctor López, sur 12 marins, 8 défendent catégo- riquement le gouvernement, deux ne s’y intéressent pas et deux se montrent plutôt prêts à suivre les officiers. López estime que dans les autres unités, au moins 40%

est partisan du gouvernement, ce qui entraîna parfois un enthousiasme exagéré:

« nous faisions des comptes joyeux selon lesquels 70% de la Marine nous était favo- rable

7

».

A bord du destroyer Blanco, entre 50 et 80 marins assistèrent à des réunions, se rap- pelle Pedro Lagos. En outre, d’autres préféraient ne pas y assister, bien qu’ils fussent d’accord avec le mouvement. Autrement dit, la moitié des 200 membres de l’équi- page « était au courant ». Lagos estime que, dans toute la Marine, environ 2.000

1COPEA, 2001

2 [I] Roldán, 2003.

3 [I] Blaset, 2003.

4 [I] Ayala, 2000.

5 [I] Ibarra, 2003.

6 [I] García, 2002.

7 [I] López, 2003.

Tableau 1. Marins condamnés ou expulsés Affaire

3926-73 (Flotte) 55

3941-73 (Écoles) 10

A74-73 (Bravo/ Ojeda/ Tobar) 3

C-3879-73 Belloto (Gajardo) 1

A-626-73 (Aguirre/ Moraga) 2

C1034-73 (Barriohlet/ Rodríguez) 2

3941-73 (Maldonado/ Díaz) 2

Jiménez/ Jorquera/ Ortiz 3

González/ Riffo/ Cartagena/ Ma- rambio/ Schele/ Ríos

6 Jaime Espinoza/ José Triviños/

Pedro Sovier/ Luis Urzua

4

Total 881

(+ 6 civils)

(3)

2.000 marins se reconnurent dans le mouvement

8

. Sergio Fuentes, qui assiste à une seule réunion avant de rencontrer Altamirano, relativise ce nombre et pense que

« nous n’en avions pas plus de 20

9

». Pour José Velásquez, le destroyer fut le bâti- ment où il y eut le plus de gens engagés; plus ou moins 40% de l’équipage, c’est-à- dire une centaine d’hommes. Beaucoup de marins cités à comparaître et laissés li- bres par la suite faisaient en réalité partie du mouvement

10

.

Oscar Carvajal se souvient que de son groupe composé de dix matelots, quatre ou cinq ne furent pas arrêtés et il connaît, par ailleurs, huit à dix marins qui participè- rent activement au mouvement et qui à leur tour ne furent pas arrêtés.

En résumé, uniquement dans la flotte –pense Juan Cárdenas– le mouvement « le plus concret » était composé de 120 à 140 marins qui assistaient aux réunions. De plus, il estime que plus de 300 s’étaient engagés à participer à la prise de la flotte.

Dans son groupe, et se basant sur la grande rivalité qui existe entre les officiers et l’équipage

11

, on estimait que cette action pourrait compter sur la participation im- médiate de la moitié des matelots.

Dans les unités terrestres, les organisations atteignirent également des proportions considérables. Ricardo Tobar, de l’École d’opérations, estime à 300 ou un petit peu moins les marins organisés

12

. Dans la base aéronavale d’El Belloto il y eut jusqu’à 50 marins organisés, auxquels il faut ajouter une « périphérie » d’une centaine d’hommes, sur un personnel de 300 personnes

13

.

A l’École de télécommunications, entre 15 et 20 sous-officiers et sergents étaient opposés au coup d’État, dont le sous-officier Triviño

14

. A l’École du génie, selon Mariano Ramírez, sur un total de 900 élèves, environ 400 étaient organisés. Beau- coup d’entre eux poursuivirent leur carrière à la Marine jusqu’à leur retraite en tant que sous-officiers. Des décennies plus tard, quand Ramírez rentre d’exil, il en ren- contre certains qui « ... me racontèrent et m’expliquèrent que jamais ils n’allaient oublier tout ce que nous avons fait à l’École

15

».

8.1.2- Quitter la Marine: une forme d’opposition

Au-delà des groupes de marins organisés, selon certains indices, un nombre significatif de marins quitte la Marine après le coup d’État. Trois décennies plus tard, en 2002, Ju- lio Gajardo parvient à rétablir le contact avec quelques membres de l’organisation de la base d’El Belloto qui ne furent jamais arrêtés. Grâce à eux il apprend que la majeure partie des membres du groupe a quitté la Marine en 1973:

« ils n’étaient pas d’accord, ils ne voulaient pas y participer, ils ne voulaient pas être là, alors ils abandonnèrent. On leur donna la possibilité de se retirer, et pratiquement tous ceux qui s’étaient le plus engagés [dans le mouvement] se retirèrent; quelques-uns sont restés, jusqu’au jour d’aujourd’hui je les rencontre parfois, ils sont restés et ont eu leur re-

8 [I] Lagos, 2001.

9 [I] Fuentes, 2003.

10 [I] Velásquez, 2003.

11 [I] Cárdenas, 2002.

12 [I] Tobar, 2001.

13 [I] Gajardo, 2003.

14 [I] González, 2003.

15 [I] Ramírez, 2001.

(4)

traite de vieillesse de la Marine16 ».

Une constatation similaire est faite par Julio González, qui rentre d’Angleterre en août 1974, à bord du destroyer Riveros, et demeure en fonction jusqu’à ce qu’on l’arrête pour avoir exprimé son désaccord. Durant cette période, J. González sera un témoin privilégié de l’atmosphère régnant à la Marine après le coup d’État. Beaucoup de ma- rins « s’auto-répriment » –se souvient-il– et évitent de manifester le moindre désac- cord: ils sont au courant des tortures auxquelles furent soumis les anti-putschistes de 1973, et qui se généralisent en 1974, et ils savent que, en cette période de crise écono- mique aiguë, tout mécontentement est puni d’emprisonnement, de tortures et de licen- ciement. Mais même ainsi, beaucoup

« s’en allèrent d’une manière qui ne nuise pas à leur situation personnelle. Soit en s’absentant, soit en essayant de tomber dans la liste 4 pour être exclus, car ce sont des gens qui, en conscience, ne pouvaient rester au sein de l’institution [...] Et c’est là la sur- prise, nous n’étions pas 90, nous étions 800!17 ».

Comme nous l’avons vu dans l’Introduction, 6.070 militaires (7,52% du total), dont 2.471 marins, vont introduire une demande de reconnaissance de leur exclusion pour cause d’opposition au coup d’État ou de refus de participer aux exactions. Leur

« démission » prenait souvent la forme de fautes disciplinaires entraînant leur exclu- sion, afin d’éviter le sort réservé aux opposants explicites.

8.1.3- L’évaluation, assez bonne, des marins

L’existence, au sein de la Marine, d’un net courant d’opposants au coup d’État indi- que que celui-ci était loin d’être une action unanime et que les membres des équipa- ges ne sont pas toujours des suiveurs irréfléchis de leurs chefs. Cette constatation met mal à l’aise les amiraux putschistes, qui tentent alors de disqualifier les marins loyalistes. L’amiral Huidobro, par exemple, les décrit comme des gens « sans an- crage », quasiment étrangers à la Marine:

« Il s’agissait pour la plupart de jeunes marins, de moins de 25 ans, sans racines dans l’Institution navale et par conséquent, des proies faciles de l’endoctrinement marxiste; le plus haut gradé était un Sergent 2 Juan Cárdenas Villablanca, âgé de 37 ans, qui apparais- sait comme le meneur de l’infiltration et qui était marié avec une fonctionnaire du minis- tère de l’Intérieur, issue d’une famille communiste18 ».

De tels propos ne résistent pas à une analyse même sommaire. Les marins sont classés annuel- lement dans quatre listes, qui reflètent en général les notes obtenues. Cependant, la correspondance entre les notes et la liste n’est pas automatique: le

conseil d’évaluation peut faire descendre de liste un marin qui a commis une faute d’une certaine gravité mais il a aussi le pouvoir de le faire monter de liste.

Nous allons nous permettre une petite indiscrétion basée sur les feuilles de carrière de 44 marins incorporées au procès. Celles-ci comprennent les notes, quelques commentaires et la « liste », c’est-à-dire l’évaluation de ces marins faite par leurs officiers.

16 [I] Gajardo, 2003.

17 [I] González, 2001.

18 Huidobro, 1989, 176.

Liste 1, très bien de 6,1 à 7 Liste 2, méritant de 4 à 6 Liste 3, conditionnel de 2,8 à 3,9 Liste 4, insuffisant de 1 à 2,7

(5)

Les marins condamnés avaient, de manière générale, obtenu des notes d’évaluation excellentes, voir exceptionnelles, même si l’on sait que dans certains cas, comme celui du sergent Cárdenas ou celui de Luis Ayala, les marins ont été descendus de

« liste » après leur arrestation.

Commentaires sur les feuilles de carrière19 Moyenne Liste

Aurelio Aravena 5,9 2

Juan Arestey « a présenté l’examen d’accès à l’université » 5,8 2

Luis Ayala 5,7 3

Jaime Balladares 6,1 2

Alejandro Benavente 6,0 2

Pedro Blaset « très bonnes dispositions personnelles, très actif et fort intéressé par les choses de son poste »

5,9 2

Juan Cárdenas « grand esprit de travail », « haute capacité technique » et « connaissances professionnelles, intelligence et bon sens de l’initiative » Mais, « fait preuve de peu de loyau- té » pour avoir fait des demandes auprès du ministre de la Défense (chap. 4).

5,4 2

Carvajal Bernardo 5,3 2

Guillermo Castillo 5,1 2

Teodosio Cifuentes « entreprenant et prend des initiatives » 6,0 1 Rodolfo Claros « de bonnes qualités » mais « ne salue pas un officier »

et « manque de principes militaires (10 jours d’arrêts) »

4,7 3

Mario Cordero « diligent et très studieux » 6,1 2

Maximiliano Domín- guez

6,2 2

Juan Dotte 5,5 2

Claudio Espinoza 5,8 3

Oscar Estay 4,9 2

Bernardo Flores 6,1 2

Roberto Fuentes 5,4 2

Sergio Fuentes « travaille avec beaucoup d’enthousiasme et intérêt [...]

niveau technique passablement élevé »

6,7 1

Carlos García A reçu 6 jours d’arrêts 5,4 3

Carlos González 5,7 2

Ramón González « bon rendement », 6,2 1

Sebastián Ibarra « travaille avec efficacité » 5,8 2

José Lagos A « s’est très bien acquitté de ses missions » 6,0 2 Pedro Lagos « excellent accomplissement à l’occasion du décret d’une

zone d’urgence. Homme de grande confiance. [...] excel- lent travail de manutention des antennes »

6,2 1

Silverio Lagos A eu sept jours d’arrêts 4,9 2

Víctor López « Possède les qualités pour se distinguer » 5,8 2 José Maldonado « a manifesté le souhait de se retirer » 4,5 3

19 Procès 3926, folios 402 a 496.

(6)

Mario Mendoza 5,8 2

Juan Montecinos 5,7 2

Carlos Ortega 5,2 2

Víctor Reiman 5,4 2

Luis Rojo 5,9 2

Alejandro Rojas « S’est présenté en civil » et « conteste de manière peu déférente »

5,9 3

René Rojas T. 6,2 1

Juan Roldán « continue à travailler après l’heure de départ » 5,7 2 Antonio Ruiz « suit actuellement les cours de 4ème secondaire, excellent

travail d’identification des câbles endommagés », mais

« ne pas aller à la gymnastique (24h d’arrêts) »

5,9 2

Alberto Salazar « bon exercice professionnel » 6,0 1

Jaime Salazar « s’est appliqué à acquérir de solides connaissances du matériel de 40 mm [mais] rate une liste pour s’être pré- senté à 18h30 (7 jours d’arrêts) »

5,6 2

Juan Segovia 5,8 2

David Valderrama « satisfaisant » 5,5 2

José Velásquez « bonnes conditions générales » 6,0 1

Sergio Villar 6,0 1

Ernesto Zúñiga « excellents esprit et discipline militaires [...] bonne con- duite personnelle, sérieux et respectueux »

6,0 2

La moyenne des notes des 44 marins est de 5,72 sur 7. Plutôt bonne. Il est intéres- sant de constater que 8 se trouvent en liste 1; 30 en liste 2 et 6 en liste 3. Les com- mentaires à propos de leurs compétences et des efforts fournis sont en général assez élogieux.

Les évaluations des dernières 5 années des neufs marins jugés à l’École du génie, donnent : deux de liste 1, quatre de liste 1 ou 2, et trois de liste 2

20

.

Certains marins avaient reçu des notes d’excellence. A titre d’exemple, Julio Gajar- do avait achevé l’École des équipages parmi les 5 premiers et Víctor López 19ème sur 600; Barroilhet se souvient qu’il a été plusieurs fois au tableau d’honneur, avec notes de mérite

21

, et plusieurs furent sélectionnés pour participer aux voyages du ba- teau-école

*

, ce qui constitue une évidente marque de distinction. Les efforts d’autres d’entre eux avaient été récompensés par des cours réservés à des élèves remarqua- bles : Blaset est envoyé en 1970 à une formation pour gérer une nouvelle centrale électrique

22

; Cifuentes est sélectionné, en 1973, pour aller chercher à l’île de Guam le bateau Capitán Araya; Julio González avait fait partie du groupe des 20 sélection- nés, parmi plusieurs centaines, pour suivre des cours accélérés en 1962; Ricardo To- bar obtient la première place au cours de spécialisation en radar, à l’École d’électro- nique et son nom figure au « Tableau d’honneur » de l’école

Le cas de Henry Gómez est impressionnant. Ayant terminé très jeune l’École des

20 Procès 3941, folios 57 a 137.

21 Barroilhet, 2004, 337.

* Carlos García (1970), Sebastián Ibarra (1967), Víctor López (1970), José Velásquez (1970), Julio Gajardo (1965)...

22 [I] Blaset, 2003.

(7)

artisans navals, il est envoyé, au bout d’un an de travail, à l’École du génie où il ne tarde pas à figurer au tableau d’honneur. En étudiant le soir, il parvient à achever ses études secondaires en 1973 et réussi très bien l’épreuve d’entrée à l’université, obte- nant les points nécessaires pour s’inscrire en médecine. Pour disposer de temps en journée et financer ses études, Henry intègre l’équipe de pompiers d’

ASMAR

et as- sure les gardes nocturnes, ce qui lui permet de mener une vie d’étudiant à l’Univer- sité de Concepción. Après trois années de prison, il achève ses études d’ingénieur en Suède et travaille quelques années. Cependant, à 36 ans, il se réinscrit à la Faculté de médecine et, au prix d’un énorme effort, il obtient le titre de docteur en médecine en 1991. En 2003 il exerce en tant que médecin dans un hôpital de Stockholm et suit une spécialisation en gériatrie

23

.

Ces informations permettent d’établir que, loin d’être du personnel « sans ancrage » dans la Marine, les marins poursuivis faisaient partie de ses meilleurs éléments.

8.1.4- Les marins dans les prisons et les camps de concentration

En septembre et octobre 1973

*

, les marins arrêtés sont exclus de la Marine. De la prison navale Silva Palma ils sont transférés à la prison de Valparaiso où ils sont séparés des autres détenus. Le 22 octobre 1973, alors que le dernier groupe

**

part vers la prison, une anecdote exemplaire se produit. La caserne est sous les ordres du

« vieux » Osorio, un « officier de mer » d’Infanterie de marine en fin de carrière, qui ne peut dissimuler son angoisse face à l’état dans lequel sont arrivés « ses » prison- niers

24

. Lorsqu’il apprend que les marins ont organisé une collecte d’aliments et au- tres denrées pour aider les familles en difficulté, il les envoie à la réserve avec pour instruction de leur donner tout ce qui est possible. Il les charge ainsi de pâtes, sucre, riz et appelle par téléphone le centre de ravitaillement pour qu’on leur apporte des matelas et des couvertures. Le rude chef d’une prison « avait les larmes aux yeux quand nous partîmes. Je crois qu’il était tout simplement ému –raconte Ibarra–, il avait appris à nous connaître. Il s’était rendu compte que nous n’étions pas les pré- tendus terroristes et assassins de Valparaiso qu’on avait dépeint

25

».

Les marins détenus à Concepción sont également transférés à la prison de Valparai- so, à l’exception de Víctor López, qui, souffrant de la tuberculose, est emmené au sanatorium de Peña Blanca grâce à une intervention de la Croix rouge. En novembre décembre de la même année, ils sont transférés au camp de prisonniers Melinka (ap- pelé également Operativo

X

ou Isla Riesco

***

), dans la localité de Colligüay, où ils

23 [I] Gómez, 2003.

* La première semaine après le coup d’État, les marins voient arriver, prisonnier, un matelot du nom de Pardo, accusé d’avoir volé une paire de walkie talkies pendant la perquisition à l’Institut de développement agricole (INDAP). Ce- pendant, Pardo ne demeure prisonnier que deux jours avant de réintégrer son unité. Avant de partir, il explique à ses compagnons de prison que pendant l’interrogatoire il avait annoncé qu’il allait dénoncer tous les vols perpétrés par des officiers qui avaient fait charger dans des camionnettes de grandes quantités de pièces de rechange automobiles et autres objets [I] Jara, 2002.

**Ayala, Blaset, Cárdenas, Claros, Fuentes, Ibarra, P. Lagos, Ortega, Roldán, A. Salazar, J. Salazar, Valderrama, Zúñiga [Procès 3926, folio 386].

24 [I] Aguirre, 2000.

25 [I] Ibarra, 2003.

***« Riesco », est le nom d’une petite île du Sud. Le camp de prisonniers est appelé ainsi probablement pour déso- rienter quant à sa réelle localisation.

(8)

resteront jusqu’en avril 1974. Un groupe est envoyé pour élever les grillages du nou- veau camp de concentration de Puchuncaví. Ils y passent quelques semaines et retournent ensuite à la prison de Valparaiso. En chacun de ces lieux, les marins font l’objet d’une vigilance et d’un enfermement spéciaux car, en tant qu’ex-militaires, ils sont considérés comme très dangereux.

Les marins sont les premiers occupants du camp de Colli- güay, où la vie est particuliè- rement dure; l’eau n’y arrive que par camions et les détenus sont installés dans des bara- ques de fortune

26

. Les rela- tions entre les prisonniers et leurs gardiens sont générale- ment tendues. Les premiers cherchent à alléger leur déten- tion en nouant des relations humaines, et même des activi- tés de divertissement, tandis que les seconds ont interdic- tion de fraterniser. Le régime

concentrationnaire comporte des châtiments physiques humiliants et une forte pres- sion psychologique: pendant la nuit on entend des cris, des rafales d’armes automa- tiques sur les baraques et des menaces d’exécution. Les prisonniers avaient adopté un petit chien, qu’ils baptisèrent « el riesco », –raconte l’ancien prisonnier Max Adelsdorfer– lequel devint très rapidement leur mascotte, pour peu de temps … Les gardiens le tuèrent à coups de feu sous prétexte qu’il pouvait être une source de contagion de maladies.

Un des détenus, Sadi Joui, professeur de castillan au lycée de Villa Alemana, auteur d’un témoignage sur son itinéraire par les prisons et camps

*

, décrit son séjour avec les marins à Colligüay. En avril 1974 il converse avec Alberto Salazar (le

« coyote »), qui lui parle de son enfance dans la province de Bio-Bio; Miguel Gon- zález le décrit comme « un jeune homme très tranquille » et fait l’éloge de « Pillín » Castillo, qui arrive à remonter le moral avec sa guitare et sa voix.

Sadi Joui relate un incident entre le quartier-maître Jara et le fantassin de marine Pardo, dont l’humeur envers les prisonniers est imprévisible, passant d’une relation en apparence amicale aux mauvais traitements les plus durs, sans doute pour se faire remarquer de ses supérieurs. Un jour, alors qu’il se trouve dans une phase sympathi- que, il entre dans une cabane occupée par quatre marins, se joint à une partie de do- minos et laisse sa mitraillette appuyée sur la table. Le quartier-maître José Jara s’en saisit et dit en le visant:

– « ‘Qu’est-ce que tu en dis maintenant, misérable! Que dirais-tu si je te tuais sur le champ! Tu sais bien que je sais manier cette arme mieux que toi. Alors, arrête de nous emmerder, arrête’. Tandis que les autres marins observent, muets, la scène; le caporal Pardo, pâle et les yeux exorbités, titube:

26 [I] Jara, 2002.

* Sadi Joui fut détenu à la base de El Belloto, dans les navires-prisons Maipo et Lebu, dans les camps de prisonniers de Chacabuco, Colligüay et Puchuncaví, dans la caserne Silva Palma et dans la prison de Valparaiso.

Illustration 1. Les marins détenus à la prison de Valparaíso.

La Tercera 25-1-75. gentillesse de Max Adelsdorfer

(9)

– ‘Jarita, arrête tes conneries. Ne me tue pas. Je t’en supplie Jarita. Rends-moi mon arme. Tu sais que si l’on arrive à savoir que tu as eu en main mon arme, je vais être ex- pulsé de l’Infanterie de marine. S’il te plaît, Jara, Jarita’.

– ‘Tiens, connard’, lui crie Jara, en lui jetant la mitraillette à la poitrine. ‘Je ne veux pas me salir avec ton sang, misérable’ ».

Pardo reprit son arme et sortit en courant. Il semble qu’il n’ait plus jamais maltraité de prisonniers

27

.

L’emprisonnement est parti- culièrement pénible pour ceux qui sont pères de famille car ils souffrent de ne pouvoir of- frir le nécessaire à leurs en- fants. Dans les camps de concentration et en prison, les prisonniers sont représentés devant les autorités du lieu par le Conseil des anciens, qui organise la fabrication de jouets en bois pour leurs en- fants et soutient moralement ceux qui passent par des pé- riodes dépressives

28

. Les ma- rins tentent de se distraire en pratiquant beaucoup de sport

29

. En prison, ils organi-

sent un service social; Pedro Lagos s’informe sur la situation de chaque famille; le

MIR

et d’autres organisations font parvenir de l’argent à la prison, argent distribué en fonction des nécessités

30

.

Pendant leur détention de nombreux marins vont militer dans les partis politiques, organisés clandestinement. Adhèrent ainsi au

MIR

Carvajal, Fuentes, A. Salazar, J.

Salazar, Ramírez, Velásquez, Zúñiga; au

MAPU

: Cifuentes, Ibarra, Ortega, Retama- les, Valderrama. Au

PC

: López, J. González; au

PS

: Lagos et Matus. Parmi d’autres.

Au début de sa détention, le groupe se maintient « quasiment compact » –se sou- vient Cárdenas– mais bientôt les partis politiques qui fonctionnent au sein de la pri- son se disputent l’adhésion des marins et provoquent des querelles absurdes

31

. Le sergent a une opinion passablement négative sur le rôle joué par les partis à l’intérieur de la prison:

« Les partis politiques manipulèrent la majorité d’entre nous à l’intérieur des prisons pour de mesquins intérêts. Et à mon avis pour des intérêts stupides. Parce que fortifier un groupe, un parti dans la prison ne remplit aucun objectif. [Les partis ont suscité] des dis- putes imbéciles. Cela n’a vraiment aucun sens d’en discuter. C’était des stupidités. Un simple exemple: chercher des candidatures dans les différents groupes, qui avaient diffé- rents partis, à la présidence des marins. Une chose totalement absurde!32 ».

27 Joui, 2003, 157-158

28 [I] González, 2003.

29 [I] Fuentes, 2003.

30 [I] Lagos, 2001.

31 [I] Cárdenas, 2002.

32 [I] Cárdenas, 2002.

Illustration 2. Une fiche d’information de la Croix rouge, qui permet aux proches des prisonniers de leur écrire.

Photo : Roberto Cifuentes.

(10)

8.1.5- Les comités de parents

En 1973, la plupart des parents de marins apprennent les arrestations par la presse et sont les premiers à s’approcher de la Marine pour avoir des informations sur leurs fils ou maris. Malgré leur mobilisation, durant les premiers jours, ils ne reçoivent aucune information

33

.

Préfigurant le rôle qu’assumeront les associations de victimes, le Comité des parents des marins, composé quasi-exclusivement de femmes, frappe aux portes des autori- tés et institutions qui pourraient influer d’une manière ou l’autre, avec une inaltéra- ble persévérance. Sebastián Ibarra se souvient que, « elles étaient toutes nos mamans et nous étions tous les fils de toutes les mamans. Il y avait là quelque chose de très beau, de très fort

34

».

Après le coup d’État, alors que les organisations de gauche ne peuvent pas faire grand chose, le soutien des mères et épouses permet aux marins de garder l’espoir de retrouver un jour liberté et dignité.

Les parents des marins, en plus d’assurer la survie de la famille, vont développer une activité constante pour réduire les peines, améliorer les conditions de détention et obtenir les visas, supportant les humiliantes fouilles corporelles à chaque visite à la prison

35

. Ce sont eux qui maintiennent les contacts avec les avocats, bien que, après le coup d’État, ce que peut faire un

avocat se résume à peu de chose. Ils entament également des démarches auprès des tribunaux militaires, des juges de la Marine ou auprès d’institu- tions comme le

CIME

, et cherchent de l’aide auprès d’organismes de solidari- té, comme le

FASIC

et le Vicariat de la solidarité

36

. Le fait d’éviter que les pri- sonniers ne soient dispersés dans diffé- rentes prisons de provinces constituera une grande réussite.

La solidarité entre familles permettra que les fils de familles demeurées pra- tiquement sans ressources puissent continuer une vie relativement nor- male. Par exemple, lorsque s’épuisent les réserves d’Ibis Caballero, l’épouse du quartier-maître Pedro Lagos, cette dernière doit aller vivre chez ses beaux-parents. Elle sera bientôt, elle aussi, arrêtée, sans doute en représail- les au rôle de premier plan qu’elle as- sumait dans le Comité.

33 [I] Roldán, 2003.

34 [I] Ibarra, 2003.

35 [I] Roldán, 2003.

36 [I] Fuentes, 2003.

Tableau 2. Quelques-unes des parentes des marins arrêtés en 1973

Anabela, mère de Hugo et José Maldonado Ibis Caballero, épouse de Pedro Lagos Isabel, épouse de Guillermo Vergara en 1973 Juana, épouse de Miguel González

María, épouse de Ramón González

Marta Cerda, belle-soeur de Miguel González Mirtha Compagnet, épouse de Carlos Diaz Rosalía Delgado, épouse de Teodosio Cifuentes Rebeca Herrera, mère de Luis Ayala, présidente

du Comité de défense des marins condamnés Regina Muñoz, épouse de Juan Cárdenas Petronila Molinet, mère de Tomás Alonso Eliana Torres, mère de Claudio Espinosa A Talcahuano,

María Cristina Mujica, Irma Sierralta, les avocats Virginia Rodríguez et Nelly Ajras,

Et d’autres qu’il n’a pas été possible de citer.

(11)

8.2- L

A CONTINUATION DES PROCES

,

DESORMAIS SOUS DICTATURE

Les deux grands procès entamés avant le coup d’État conservent leur statut –précise le procureur Villegas– les sentences seront dictées par une cour martiale en temps de paix

*

, ce qui permet d’éviter un conseil de guerre

37

.

Les avocats qui avaient assuré la défense des marins avant le coup d’Etat sont dé- sormais incarcérés ou en exil; « nous étions conscients qu’avec un coup d’État nous ne pouvions avoir aucun espoir de justice réelle », explique Sebastián Ibarra. Fina- lement, grâce à la persévérance des familles, le Service d’assistance judiciaire du collège des avocats (défense pro-deo) de Valparaíso, accepte de désigner des défen- seurs, ce que Ibarra considère comme « un avocat pour la forme

38

».

En effet, il n’est pas facile de défendre les accusés d’un cas érigé en fondement du coup d’État. Presque tous les nouveaux défenseurs étaient des opposants au gouver- nement d’Allende et beaucoup d’entre eux avaient justifié son renversement. Et les avocats sont eux aussi sous l’emprise de la peur, comme une bonne partie de la so- ciété. En 1975, des nouvelles parviennent sur l’attentat commis à Rome contre l’ancien ministre de l’Intérieur démocrate-chrétien Bernardo Leighton, que la dicta- ture avait exilé, et sur l’extermination massive d’opposants, qui sera connue plus tard sous le nom de « opération colombo ».

A partir du 10 octobre 1973, la majeure partie des marins poursuivis à Valparaiso révoque toute défense antérieure et désigne comme avocat Raúl Barraza Campino, premier avocat du cabinet juridique.

Raúl Barraza, connu comme démocrate-chrétien, n’aura quasiment aucun contact avec ses « clients », sauf avec René Rojas. Ce dernier se souvient que, peu avant l’énoncé de la sentence, l’avocat, « dit que malheureusement on ne pouvait plus rien faire, ni prouver mon innocence, ni rien d’autre

39

».

Par ailleurs, des nombreux marins prisonniers se méfient de ces nouveaux avocats.

Ils les soupçonnent –erronément– d’être des agents des services secrets et pensent – avec raison– que l’avocat de la défense n’est qu’une formalité devant une justice partiale. Luna et Pacheco ne se souviennent même pas des noms de leurs avocats. La défense fut « une formalité, une bêtise

40

», affirme Pacheco.

Les défenseurs des marins inculpés, qu’ils ne connaissent qu’au travers du dossier et estiment probablement qu’ils sont coupables, se limitent à chercher des circonstan- ces atténuantes. Aller au fond de la question signifierait que l’on défend la légitimité du gouvernement d’Allende, ce qui impliquerait tacitement que ceux qui gouvernent ont usurpé le pouvoir...

La défense sera très limitée, avec cependant une surprenante exception.

* L’« Etat de guerre » fut déclaré le jour du coup d’État.

37 [I] Villegas, 2000.

38 [I] Ibarra, 2003.

39 [I] Rojas, 2001.

40 [I] Pacheco, 2003.

(12)

8.2.1- La justice de la dictature demande l’extradition de Garretón à la Co- lombie

Le 14 septembre 1973, le procureur Villegas constate qu’Altamirano et Garretón n’ont pas de juridiction protectrice « vu que l’honorable Congrès a été fermé » et le 20 il ordonne leur arrestation

41

. En octobre, il insiste: « ordre de détention est donné contre Altamirano, Garretón et Enríquez

42

».

Le document est surréaliste. Peu après le coup d’Etat, la Junte fait publier dans pratiquement tous les périodiques autorisés l’affiche

« Rechercher et arrêter » où appa- raissent les photos de 13 dirigeants des partis de gauche. Les trois diri- geants qui se réunirent avec les marins sont en tête de liste et ont droit à une photographie plus grande. Durant les semaines et les mois qui suivent le coup d’État, Altamirano, Enríquez et Garretón, sont sans doute les hommes les plus recherchés du pays et le prin- cipal objectif de la dictature qui met même leurs têtes à prix. Pour les retrouver, des milliers de domi- ciles sont violemment perquisi- tionnés.

Cependant, au Ministère public naval le procureur Villegas, imper- turbable, continue à remplir des papiers qui conservent une appa- rence de légalité. Le 12 novembre il émet un ordre par lequel « je mets en demeure les prévenus Car- los Altamirano, Oscar Garretón et Miguel Enríquez, de se présenter devant le Ministère public naval dans un délai de cinq jours, pre- nant cours aujourd’hui » et cons- tate cinq jours plus tard que « les prévenus ne se sont pas présen- tés

43

». Le procureur poursuit ce

petit jeu jusqu’au moment où il recevra les attestations selon lesquelles Altamirano et Garretón se sont exilés et le 27 octobre il ajoute au dossier la copie du certificat de décès de Miguel Enríquez

44

.

41 Procès 3926, folio 274 et suivantes.

42 Procès 3926, folio 331.

43 Procès 3926, folio 560.

44 Procès 3926, folio 989.

Illustration 3. Affiche diffusée dans la presse autorisée après le coup d’État demandant de « Rechercher et arrêter » 13 dirigeants de gauche. Les trois chefs de parti qui se réunirent avec les ma- rins sont en tête, avec une photographie plus grande.

Las Últimas Noticias 26-9-73.

Illustration 4. La tête des dirigeants recherchés est mise à prix : 500.000 escudos sont proposés pour Carlos Altamirano.

La Tercera 28-9-73.

(13)

Oscar Garretón, éminemment recherché, décide de chercher asile à l’ambassade de Colombie, pays à forte tradition d’asile

*

. Ce fut sans aucun doute une sage décision.

En effet, l’asile du leader du

MAPU

à peine connu, la chancellerie chilienne, aux mains de la Marine, se montre particulièrement irritée, refuse le sauf-conduit sollici- té par l’ambassade colombienne et s’obstine à empêcher sa sortie. A l’intérieur de l’ambassade, les réfugiés s’organisent en prévision d’un long séjour: ils cuisinent en matinée et organisent ensuite des conférences sur divers sujets. Garretón se voit at- tribuer les sujets économiques. Pendant le reste du temps, ils lisent beaucoup et font de l’exercice physique. « J’étais dans une forme physique que je n’avais jamais connue », se rappelle Garretón.

Lectures, conférences et sport leur permettent de gérer la tension et d’affronter les pressions subies pour les forcer à se rendre, la plus importante étant le chantage exercé sur la fille de Garretón, âgée de deux ans, qui devra être exilée de toute ur- gence.

Comme le cas est emblématique, la dictature entame une procédure exceptionnelle:

en 1974 la justice chilienne demande formellement à Bogotá, l’extradition de Garre- tón. Les militaires chiliens tenteront très rarement d’appréhender des réfugiés par la voie judiciaire, mais ils pensent que, cette fois, ils disposent d’éléments juridiques de poids:

« Qu’il soit permis, vus les antécédents et les démarches procédurales pratiquées, de don- ner pour établi [...] que fut planifiée une insubordination ouverte, dans les rangs de la Ma- rine nationale, tendant à prendre le contrôle des navires de la flotte, bombarder des unités navales à terre, emprisonner et assassiner les officiers et le personnel qui se serait opposés à leurs desseins45 ».

Cependant, la demande d’extradition n’interrompt pas la démarche de demande d’asile. Le gouvernement colombien ne cède pas aux pressions; au contraire, il pro- teste et rappelle son ambassadeur au Chili. Le Président colombien, Misael Pastrana Borrero (conservateur) envoie à Santiago comme son représentant personnel un gé- néral, chargé d’obtenir le sauf-conduit pour les 60 réfugiés à l’ambassade. Le choix de ce représentant n’est pas un hasard: il avait effectué une partie de ses études à l’École militaire chilienne où il avait fréquenté les généraux chiliens désormais au pouvoir.

Au bout de neuf mois de pressions diplomatiques, la dictature octroie finalement le sauf-conduit à Garretón. Le trajet entre l’ambassade et l’aéroport –se souvient-il– fut très tendu, car des rumeurs circulaient selon lesquelles les militaires chiliens organi- seraient un attentat. La caravane est précédée et suivie par plusieurs camions militai- res remplis de soldats en armes. Le général colombien s’assoit à côté de lui et ouvre son veston pour avoir son arme à portée de main. Il avait, lui aussi, prévu cette éven- tualité, lui explique-t-il

46

.

Le 27 juin 1974, alors que le dirigeant du

MAPU

s’est installé à Bogotá, le président

* Après le coup d’État du général Odría au Pérou, en 1948, l’ambassade de Colombie à Lima donna l’asile au chef du parti APRA Víctor Raúl Haya de la Torre, qui avait été menacé de mort par le général. La représentation diplomatique fut isolée et entourée de barrières; mais l’ambassade résista aux fortes pressions exercées pour qu’elle livre Haya de la Torre, et celui-ci y vécut de 1949 à 1954. Devant la ténacité du gouvernement colombien (alors que le pays se trouvait en pleine guerre civile), le Pérou autorisa finalement la sortie du réfugié.

45 Procès 3926, folios 896-903.

46 [I] Garretón, 2004.

(14)

de la Cour suprême chilienne, Enrique Urrutia Manzano

*

, envoie la demande d’extradition.

Pour la première fois la procédure, ou du moins une partie importante de celle-ci, est soumise à des juristes indépendants; pour la première fois aussi, un des accusés a accès à une partie du dossier. Ces documents, présentés comme des preuves du délit, contiennent –selon Garretón– une version « assez textuelle de la réalité de la ré- union »: ils affirment qu’un groupe de marins s’était réuni avec un député pour l’informer de ce qu’un coup d’État se préparait, lui demandant que cela soit communi- qué au Président, et lorsqu’ils envisagent la capture préventive des navires, Garretón répond que... c’est une folie.

« Et c’est avec ces éléments qu’ils demandent l’extradition! » s’exclame le Chancelier colombien Alfredo Vásquez Carrizosa, ministre du gouvernement de Misael Pastrana,

« totalement surpris ». En effet, aucun des antécédents figurant au dossier n’apporte le moindre élément de preuve de sédition et le Chancelier conclut que la demande

« n’a aucun sens ». Plus encore, au départ de cette expérience, Alfredo Vásquez fera des droits de l’Homme un thème prioritaire et deviendra un grand défenseur de la cause démocratique au Chili.

La justice colombienne refuse finalement la demande d’extradition. Garretón enseigne l’économie dans une université, mais lorsque la dictature chilienne commence ses at- tentats à l’étranger, il se met à craindre pour sa vie. « J’étais sur la liste des gens les plus recherchés » explique-t-il, et en Colombie il se révèle « très bon marché de louer les services de quelqu’un pour assassiner quiconque ». Il décide alors de partir « le plus loin possible de la main de Pinochet » et il s’installe à La Havane

47

.

Au Chili, sa situation judiciaire demeurera en suspens jusqu’en 1987.

8.2.2- Arrestations et convocations de dizaines de marins

Après le coup d’État, les convocations à témoigner continuent. Entre le 31 octobre 1973 et le 5 de novembre 1974, le procès enregistre 30 déclarations de matelots et quartiers-maîtres du destroyer Blanco, interrogés parce que leurs noms figurent au branle-bas de combat.

On trouve trois types de réponses. La plupart disent ignorer pourquoi ils figurent dans le branle-bas, ou bien affirment que personne ne leur a parlé de ça. Certains admettent avoir été contactés et formulent une réponse « correcte » et sans doute salvatrice: « il fallait suivre les chefs »; un autre raconte qu’il avait entendu dire que le personnel s’organisait pour exiger des changements dans les règlements. L’un d’eux admet avoir donné son accord pour une action destinée à empêcher le coup d’État

48

. Nous ne savons pas exactement ce qu’il leur est arrivé. Ils ne font pas partie des condamnés, mais il est pratiquement certain que la plupart furent exclus de la Marine.

En fonction des déclarations reçues, le procureur continue à ordonner des arresta- tions: Carlos Vazquez du Blanco, sera jugé pour sédition et mutinerie

49

, comme son

* Personnage extrêmement conservateur. Ce fut lui qui ceignit l’écharpe présidentielle à Augusto Pinochet, cherchant ainsi à légaliser le coup d’État.

47 [I] Garretón, 2004.

48 Procès 3926, folios 500-523.

49 Procès 3926, folio 554; 571.

(15)

collègue Samuel Mora

50

. Certains des marins interrogés sont libérés « par manque actuel d’éléments ». Tel est le cas de Jaime Escobar, conducteur de l’une des auto- mobiles qui amenèrent les marins à la réunion avec Garretón

51

. Très souvent on leur demande « Où sont les armes? » et si quelqu’un répond « dans l’armurerie », il re- çoit une volée de coups

52

.

Le 9 novembre, le procureur Villegas demande à l’École de Cavalerie de Quillota de prendre une déclaration de l’infirmier Juan Fuentes; l’École lui envoie un télé- gramme l’informant qu’il est en fuite

*53

.

Sont également appelés à déposer les lieutenants qui ont appelé au coup d’État, se- lon les dires des marins. Carlos Ruiz, chef de division d’Ernesto Zúñiga sur le Blan- co, reconnaît avoir dit que la situation du pays était mauvaise, mais non que « le gouvernement tomberait à court terme »; Carlos Varas dit qu’il est faux qu’au cours d’un cocktail il ait trinqué pour le coup d’État, mais qu’il est vrai qu’il a parlé politi- que avec le capitaine Tepper et le lieutenant García. Ce dernier reconnaît d’avoir dit que la situation politique du pays était mauvaise, sans pour autant parler de coup d’État. Un lieutenant du nom de Mateluna prétend que sur le Blanco et le Papudo on a parlé de rémunérations, mais pas de coup d’État

54

. En fin de compte, ils ont au moins dit du mal du Gouvernement.

Les interrogateurs s’entêtent à poser des questions sur des civils qu’ils soupçonnent de faire partie d’un grand complot. Le 10 décembre, Silverio Lagos ne reconnaît personne sur les cinq photographies qu’on lui présente

55

.

On interroge le député socialiste Armando Barrientos, qui se rappelle d’une réunion au siège du

PC

, entre Carlos Lazo, Andrés Sepúlveda, Gaspar Díaz et d’autres, au cours de laquelle Lazo exprima son inquiétude au sujet des réunions tenues entre Altamirano et les marins

56

. On interroge ensuite Carlos Lazo

*

, qui affirme que les réunions entre marins et dirigeants politiques avaient dérangé Allende qui avait alors demandé de s’abstenir de tout contact avec des membres des forces armées

57

.

8.2.2.1- Les démarches des nouveaux avocats de la défense

Dans le dossier du procès figurent les noms de 11 nouveaux avocats. A côté du nom de certains d’entre eux quelqu’un a noté «

PS

» ou «

DC

», identifiant ainsi leur opi- nion politique.

Tableau 3. Les avocats des marins après le coup d’État

Avocats Marins défendus

Raúl Barraza Le 10-10-74: O. Carvajal, Cifuentes, Dotte, C. Espinoza, J. Espino-

50 Procès 3926, folio 615.

51 Procès 3926, folio 556.

52 [I] Matus, 2003.

* Comme nous l’avons vu, il avait déserté après le coup d’Etat; arrêté pour une histoire de chèques à Santiago, une équipe de l’École le fera sortir de prison. Depuis lors il est porté disparu.

53 Procès 3926, folio 550; 578; 580.

54 Procès 3926, folios 524-538.

55 Procès 3926, folio 704.

56 Procès 3926, folios 379; 388.

* Carlos Lazo, Vice-président de la Banque de l’Etat, torturé et condamné à mort (peine non exécutée) pour s’être réuni avec des militaires loyalistes de la Force aérienne.

57 Procès 3926, folio 386.

58 Procès 3926, folios 368-371; 389; 395; 566; 616.

(16)

za, Flores, Fuentes, Lagos A., Rojo, Velásquez (10 marins).

Le 23-10-74: Castillo, Estay, Rojas T., Ruiz.

Le 25-10-74, 17 Ayala, Benavente, Blaset, Cárdenas, Claros, S.

Fuentes, Gomez, Ibarra, P. Lagos, Ortega, Roldán, A. Salazar, J.

Salazar, Segovia, Valderrama, Vergara, Zúñiga (17 marins).

Le14-11-74, B. Carvajal et Maldonado.

Le 6-12-74: Luna58. Raúl Guarda Barroilhet59

Juan Matus (on lit à côté de son nom: « PS »).

Mario Mendoza José Mackluf y Gerard

Joffre (on lit à côté de leurs noms: « DC »)60

Gastón Gómez et Alejandro Benavente.

Hernán Jiménez Aravena, Arestey, Balladares, Matus, et Reiman61. Elena Calderón Miguel Estay et René Rojas62.

Luciano Salgado Domínguez, García, C. González, R. González, H. Lagos et Monte- cinos, Rubén Sanhueza63 ; Lagos G64.

Rolando Contreras Elio Sanfeliú

Hugo Maldonado et Hernán Pacheco65. (En mai 1974, Hernán Pa- checo désigne Elio Sanfeliú66).

Isidoro López Víctor López.

Eugenio Neira En novembre 1974: Ayala, Benavente, Blaset, B. Carvajal, Castillo, Claros, Dotte, Espinoza, Flores, R. Fuentes, S. Fuentes, Gómez, Ibarra, S. Rojas, Rojo, Roldán, A. Salazar, J. Salazar, Valderrama, Velásquez, G. Vergara67.

La principale action de ces avocats consiste à demander, de manière réitérée, l’accès au dossier et la liberté conditionnelle pour les détenus. La réponse sera invariable- ment « Non».

Malgré tout, Barraza obtient de petites améliorations, puisqu’il sollicite et obtient le transfert de Castillo et Ruiz, enfermés à Concepción, à la prison de Valparaiso

68

. Isi- doro López obtient la même chose pour son client Víctor López

69

. Bernardo Carva- jal et José Maldonado demandent et obtiennent le transfert

70

.

Les marins originaires de Concepción prennent un avocat qui parvient à empêcher leur transfert à Valparaiso.

En octobre 1974, Barraza obtient la liberté de René Rojas Trincado sous caution de 5.000 escudos et avec l’obligation d’aller signer régulièrement un registre. En réali-

59 [I] Barroilhet, 2002.

60 Procès 3926, folio 625.

61 Procès 3926, folio 675.

62 Procès 3926, folio 582.

63 Procès 3926, folios 679-680; 687-689.

64 Procès 3926, folio 701-702.

65 Procès 3926, folios 375-376.

66 Procès 3926, folios 918-919.

67 Procès 3926, folio 1003.

68 Procès 3926, folio 588; 691.

69 Procès 3926, folio 618.

70 Procès 3926, folios 670-671.

(17)

té, ce marin ne faisait partie d’aucun groupe et n’avait jamais assisté à aucune ré- union, mais sous la

torture, il avait

« avoué » avoir été à l’une d’elles. Alors qu’il avait déjà subi 13 mois de détention, le procureur demande pour lui une peine de 2 ans. Il s’agit du premier détenu à bé- néficier d’une liberté conditionnelle, mais ne bénéficiera d’un sursis qu’en juillet 1980, sous la loi d’amnistie

71

. L’année suivante, vers octobre 1975 on accorde la liberté conditionnelle à Mario Mendoza

72

. 8.2.2.3- Témoignages d’honorabilité et invi- tations à l’étranger Le troisième tome de la procédure contient des témoignages d’ho- norabilité. En complé- ment au certificat de bonne vie et moeurs,

qui résume l’histoire pénale de l’accusé, la défense a l’habitude de présenter des té- moins donnant foi de leurs bonnes moeurs. Cette démarche s’effectue généralement avant de demander la liberté conditionnelle. En novembre et décembre 1973, accou- rent alors au Ministère public naval plusieurs dizaines de personnes venues témoi- gner de ce que ces marins sont honorables, tranquilles, travailleurs et de bonnes moeurs, et se déclarent en faveur de leur libération sous caution

73

. Cela se répète à Talcahuano, où entre le 10 et le 20 décembre 22 personnes viennent témoigner en faveur des détenus

74

. Lorsque Guillermo Livingston témoigne en faveur de Luna, une main annote sur son nom: «

MAPU

-

IC75

».

Peu avant le prononcé de la sentence, les marins introduisent des éléments en faveur de leur insertion dans la vie sociale. Tomas Matus fait savoir qu’il est membre de l’Association des arbitres de football amateur et donne une liste de 23 matchs arbi-

71 Procès 3926, folios 965; 1001; 1687.

72 Procès 3926, folio 1065.

73 Procès 3926, folios 537-609.

74 Procès 3926, folios 706-720.

75 Procès 3926, folio 621.

Tableau 4. Demande d’accès au dossier d’instruction

Le 30 octobre 1973, Raúl Barraza signale que les détenus le sont depuis près de 85 jours, dépassant les 40 jours déterminés par l’art.

30 du Code de Justice militaire. Il demande l’accès au dossier. « Il n’y a pas lieu de », répond le secrétaire Benavides.

le 6 décembre1973, Raúl Barraza sollicite à nouveau l’autorisation de prendre connaissance du dossier d’instruction; « mes clients sont détenus depuis plus de 4 mois et l’instruction dépasse le délai de 40 jours ». « Il n’y a pas lieu de » La veille, Villegas avait demandé au Juge naval une prorogation de 30 jours.

Le 2 janvier 1974, Gerard Joffre, avocat de Gastón Gómez, de- mande de prendre connaissance du dossier. « Il n’y pas lieu de ».

Le 12 mars 1974, Raúl Barraza demande la clôture de l’instruction, sa consultation et la liberté conditionnelle. « Non ».

Le 18 avril Raúl Barraza demande accès au dossier.

Le 16 juillet 1974 il demande la même chose et l’élargissement, mais Villegas sollicite une nouvelle prorogation de 80 jours.

Tableau 5. Demandes de liberté conditionnelle

La première demande de liberté conditionnelle émane de Henry Gómez, le 19 septembre 1973, suivies de celles de Matus et Men- doza le 10 octobre.

Le 15 novembre nouvelle demande par Patricio Cordero. « Il n’y pas lieu pour le moment ».

Le 17 décembre Rolando Contreras sollicite la liberté condition- nelle de Hugo Maldonado. « Il n’y pas lieu de », mais on lui con- cède la possibilité d’appeler « adressez-vous à la illustrissime Cour martiale pour la marine de guerre ».

Le 26 février 1974, Eugenio Neira demande la liberté de Carlos Vázquez et Hermán Jiménez, ainsi que celle de Arestey, Balladares, Matus, Reiman et Rojas. « Il n’y pas lieu de ».

(18)

trés; Henry Gómez apporte les certificats qui attestent de ses premiers prix et dis- tinctions

76

.

Leopoldo Luna reçoit une invitation, en allemand, pour aller étudier à la Technische Universität Berlin, et une autre, en bon espagnol pour étudier à la N.Y. AT Bingham- ton University, signée par James Petras; il reçoit en outre une troisième invitation de l’University of Wisconsin, et une lettre de Pax Christi - Francfort

77

. Humberto Lagos reçoit une offre de travail en Allemagne

78

.

8.2.2.4- L’ambassadeur de Norvège s’intéresse aux marins Le gouvernement norvégien désigne Fröde Nielsen comme ambassadeur à Santiago, en novembre 1973, avec pour mission explicite d’aider les personnes pour- suivies. Résistant durant l’occupation nazie de son pays, Nielsen décide de concentrer son travail sur les cas les plus difficiles. Au ministère norvégien, on lui avait parlé d’un séjour de 3 mois, mais en réalité ses deux missions au Chili vont totaliser 11 années. En peu de temps, il parvient à se mettre en contact avec le Car- dinal et les évêques; avec le Vicariat et le

FASIC

, et même avec les partis interdits. L’ambassadeur étudie très attentivement le cas des marins, cas par cas, et dé- cide de travailler pour « leur libération ». C’est ainsi qu’il prend contact avec des amiraux, surtout avec Do- noso, et avec la ministre de la Justice Mónica Madaria- ga, auxquels il présente un mémorandum demandant des sauf-conduits. Les amiraux, corrects mais étonnés, lui parlent de plans de mutinerie et lui demandent « M.

l’Ambassadeur, pourquoi vous préoccupez-vous de ces cas? » Nielsen répond qu’en Norvège il existe la tradi- tion d’aider les réfugiés.

A partir de 1975, accompagné par un professeur de l’Université d’Oslo, il visite régulièrement les marins à la prison de Valparaiso, leur offrant des médicaments et autres. L’ambassadeur coordonne son action avec les ambassades de Suède et de Belgique, qui octroient des visas aux marins

79

.

Par ailleurs, dès que Félix Vidal arrive en Norvège en janvier 1974, il active l’organisation de campagnes de

solidarité avec les marins détenus. En mai 1974 atterri à Oslo celui qui fut son lien téléphonique avec les marins ; il avait côtoyé les marins en prison et informe qu’ils gardent le moral. Peu après Vidal et son contact obtiennent les premiers huit visas pour les marins. Lorsqu’ils apprennent l’arrestation de Carlos Díaz, ils organisent également une campagne pour sa libération. En mai 1976 arrivent à Oslo les pre-

76 Procès 3926, folio 1083; 1100

77 Procès 3926, folios 1125-1130.

78 Procès 3926, folio 1153.

79 [I] Nielsen, 2002.

Illustration 5. Deux affiches diffusées en France

a) archive de l’auteur, b) archive de Julio González.

(19)

miers marins (José Jara, Mariano Ramírez, Luis Fernandez) qui s’incorporent aux activités pour libérer leurs camarades

80

.

8.2.2.5- La maison de Puente Alto

Peu après le coup d’État, le Ministère public naval cher- che à localiser la maison où eut lieu la réunion avec Al- tamirano et Enríquez, dans l’espoir d’y trouver une piste qui le mène à ce dernier. Cárdenas, Zúñiga et Roldán sont amenés à Santiago pour la reconnaître. Les résultats sont nuls, « parce qu’ils ne connaissaient pas la région ou ne le voulaient pas; parce que nous ne voulions pas donner cette information », raconte Salazar. L’intérêt di- minue bien vite et ils n’y amènent pas les autres marins pour essayer de la reconnaître. En réalité, les services se- crets de la Force aérienne, rivaux de ceux de la Marine, avaient localisé la maison. Mais la Marine évite de colla- borer avec eux

81

. Dans le dossier du procès figure un croquis du secteur, dessiné par l’un des marins

82

.

8.2.3- L’accusation, les débats judiciaires et les condamnations

Le 31 juillet 1974 le procureur Villegas clôture l’instruction, confirme les dépositions des inculpés et accuse:

« Est établie l’existence d’une organisation clandestine de caractère cellulaire formée de membres des forces armées [...] dont l’objectif était de s’emparer par surprise des na- vires de la Marine (Blanco - Latorre - Papudo) [...] aux alentours du 7 août 1973.

Ils auraient effectué une tournée pour procéder au bombardement de Las Salinas, le quar- tier naval du fort de Vergara et l’École navale. [...] ils proclameraient une nouvelle légali- té ».

Il s’agit donc d’une tentative ratée de délit de sédition, selon les articles 272 et 274 du Code de Justice militaire. Et il requiert:

− Vingt ans de prison militaire majeure en son degré ultime, pour Cárdenas;

− Quinze ans pour les marins qui se sont réunis avec Altamirano, Enríquez et, sans ex- plication, pour Pedro Blaset et Oscar Carvajal. (Ce dernier reconnut seulement avoir été invité à une réunion à laquelle il n’assista pas et avoir dit à Zúñiga qu’il n’était pas en faveur du coup d’État) ;

− Quinze ans pour les civils Luna, Pacheco, et Maldonado. (Ce dernier n’assista à au- cune réunion avec des marins).

− Dix ans pour certains marins.

− Cinq ans pour d’autres.

− Deux ans pour Rojas Trincado, qui en réalité n’assista jamais à aucune réunion mais

80 Anexo. Informe 7- Actividades de Enrique que tienen relación con la tarea de F hechas en el exilio.

81 [I] Salazar, 2003.

82 Procès 3926, folio 924.

Illustration 6. Deux brochures diffu- sées en Belgique et en France.

Archive de l’auteur.

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on lui en fit « avouer » une83.

Le 23 janvier 1975, l’avocat Raúl Barraza évite (peut-être n’ose-t-il pas) de contre- dire les fondements de l’accusation, se limitant à organiser une faible défense hon- teuse, qui reconnaît le délit et cherche seulement à réduire les peines. Il ne men- tionne pas les tortures et tente une défense scabreuse, en affirmant que ces militaires se sont trompés. Il commence par une discutable analyse politique. Au moment des faits –dit-il– le Chili était divisé en deux camps:

« le gouvernement d’inspiration marxiste de S. Allende et les partis qui l’appuyaient tan- dis que le deuxième était composé des partis politiques de l’opposition et d’une grande partie de la population du pays [...] qui rejetait les actions et les théories du gouvernement.

[...] Aujourd’hui encore les esprits ne se sont toujours pas calmés »

Mais l’organisation clandestine des marins n’était pas hiérarchisée. Il s’agissait d’informations à caractère politique qui circulaient de marin à marin et

« de quelques réunions auxquelles assistèrent l’un ou l’autre des prévenus avec des par- lementaires ou des personnages politiques du régime de l’Unité Populaire en place [...] Il n’y avait pas de répartition des tâches ni de direction, même si le sergent Juan Cárdenas apparaît comme meneur ou celui qui dirigeait les débats lors des conversations et réunions mentionnées [...] la prise des navires ne dépassait pas le stade d’une simple conjecture [...]

mes clients [...] auraient éventuellement été séduits ou auraient été de simples exécutants [...] le délit de sédition ou mutinerie ne dépassa pas le stade de tentative ».

Et, sans doute avec de bonnes intentions, il se lance dans une aberration juridique:

« Mes clients, par scrupules ou par erreur, crurent qu’en tant que membres des forces ar- mées ils devaient se tenir du côté du gouvernement constitué »

Et il conclut que considérant ces circonstances atténuantes:

« Qu’on les acquitte de l’accusation. Que, à défaut de ce qui précède, on les condamne en tant que simples exécutants du délit de sédition au degré de tentative ou conspiration, à une peine de 541 jours84 ».

Autrement dit, il demande qu’on les condamne, plus ou moins, à la durée de la dé- tention déjà encourue.

Dans le même registre, les autres avocats se limitent à chercher des circonstances atténuantes: Carlos Soya affirme que Arestey, Matus et Reiman « reçurent seule- ment des invitations, y allèrent et écoutèrent »; Oliver Cadenas dit que R. González et C. González « ne participèrent qu’à des conversations » et avance qu’on ne peut reprocher à S. Lagos et García « au plus, l’assistance à quelque réunion

85

». Pour Elena Calderón, Gómez ne fit qu’« assister à des réunions à caractère prosélyte, mais il ne mesurait pas la dimension des projets qui se préparaient

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». Sur le même ton, Oliver Cadenas défend Sergio Villar et Elena Calderón, Erasmo Aravena et Mi- guel Estay.

Prenant la défense de H. Maldonado, Raúl Barraza affirme que « l’action serait se- condaire » vu que « il se serait limité à coopérer à rendre un contact possible » et,

83 Procès 3926, folio 943; Procès 3926 [R], 118-119.

84 Cause 2936, folios 1038-1049.

85 Procès 3926, folio 1162.

86 Procès 3926, folio 1062; 1073; 1075; 1089; 1096

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