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La Gazette - 17 janvier 2022
DOSSIER
RÉALISÉ PAR CHRISTINE BERKOVICIUS, LÉNA JABRE ET GABRIEL ZIGNANI RÉALISÉ PAR CHRISTINE BERKOVICIUS, LÉNA JABRE ET GABRIEL ZIGNANI
Réelle évaluation
Les solutions sont connues.
En tout cas, de nombreuses propositions ressortent d’écrits universitaires, du Conseil d’Etat ou du CNEN. Certaines semblent évidentes, à l’instar de la mise en place d’une réelle évaluation des normes.
Simplification
Les normes, caillou dans
la chaussure des collectivités
«M
ais arrêtez donc d’em-merder les Français ! Il y a trop de lois, trop de textes, trop de règle- ments dans ce pays. On en crève ! » Ces mots sont prêtés à Georges Pompidou.
Déjà. Depuis, la situation ne s’est pas améliorée. Les chiffres sont éloquents (lire ci-contre). Pourtant, durant chaque campagne électorale, à chaque début de quinquennat, la simplification des normes et l’amé- lioration du droit sont érigées en priorité. Et, imman- quablement, cela se concrétise par quelques mesu- rettes qui ne changent pas grand-chose.
PROLIFÉRATION DES TEXTES
Dans les collectivités, élus et agents se plaignent des normes. Un constat de terrain corroboré par les ins- tances. Le Conseil d’Etat, lui-même, dans ses études annuelles de 1991 et de 2016, a averti les pouvoirs publics de la situation. Charles Touboul, rappor- teur général adjoint, expliquait, dans les colonnes de
« La Gazette » en 2016, que « le Conseil d’Etat ne veut pas se résigner. Même si nombre de choses ont déjà été tentées, et que peu ont fonctionné, il ne faut pas baisser les bras ». Pierre de Montalivet, professeur à l’université Paris - est Créteil, fait le même constat :
« Les maux sont connus depuis des années, l’inflation normative, l’instabilité législative et la dégradation
de la qualité du droit. Ils sont encore tous d’actua lité.
Entre 1996 et 2005, sur les quelque 4 500 articles que contient le code général des collectivités territoriales, 3 000 ont été modifiés. »
Alain Lambert, président du Conseil national d’éva- luation des normes (CNEN), illustre cette comple xité avec la prolifération des textes visant à traduire la volonté du législateur : « Les lois font l’objet de décrets d’application, qui eux-mêmes renvoient à des arrê- tés, dans lesquels il y a des annexes qui sont ensuite expliquées dans des circulaires. » Il y a aussi le cas des normes mal adaptées. Par exemple, dans leur rapport sur l’inflation normative de 2014, Alain Lambert et Jean-Claude Boulard évoquaient le cas des normes sismiques : le décret du 22 octobre 2010 mettait en place une réglementation antisismique qui s’appli- quait aux nouvelles constructions dans des zones qui n’ont jamais connu de secousses sismiques…
Tout cela n’est pas sans conséquences. La première, c’est le défaut d’accessibilité, d’intelligibilité et de pré- visibilité du droit tant pour le citoyen que pour les organisations. Difficile de comprendre une norme tellement détaillée et changeante. Mais le trop-plein de normes a aussi des impacts financiers. Le CNEN estime que, ne serait-ce qu’entre septembre 2020 et septembre 2021, les normes qui ont été adoptées représentent un coût d’au moins 367 millions d’euros pour les collectivités territoriales. l G. Z.
Sonnette d’alarme
Le constat d’un droit trop dense fait consensus. Les élus et les agents des collectivités y sont confrontés au quotidien. Le Conseil d’Etat tire régulièrement la sonnette d’alarme depuis 1991. Mais rien n’y fait, les gouvernements successifs s’y sont cassé les dents.
Technicité et instabilité
Les critiques fusent. Les élus locaux et les agents territoriaux pointent la technicité et l’instabilité du droit, avec parfois des textes qui se contredisent sur un même sujet.
Ils aimeraient être davantage consultés pour les textes qui les concernent.
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89 185 art. L.
242 663 art. R.
149 mots
en moyenne par article
SOURCES : CNEN, 2018 ET 2021 ; SGG, 2021 ; CONSEIL D’ÉTAT, 2016.
INFOGRAPHIE : P. DISTEL.
du nombre de normes. Les indicateurs de suivi de l’activité normative du secrétariat général du gouvernement, comme les chiffres relevés par le Conseil national d’évaluation des normes et le Conseil d’Etat, le confirment tous les ans.
La production continue et massive de normes rend le droit instable, génère des coûts pour les collectivités, freine les projets des élus et agents, et perd le citoyen.
EN 2020
Des répercussions financières, mais pas seulement
Les 346 projets de textes applicables aux collectivités examinés par le CNEN entre septembre 2020 et septembre 2021 représentent, selon ses calculs, un coût d’au moins 1,3 Md€ pour les collectivités et un gain de 950 M€.
L’impact net s’élève donc à 367 M€.
Entre 2008 et 2019, les coûts générés par les textes soumis au CNEN repré- sentent un total de plus de 14,5 Md€
pour les collectivités.
n Les citoyens, les agents et les élus ne peuvent pas toujours comprendre et assimiler une norme aussi imprévisible et instable.
n La complexité freine les projets et fatigue les professionnels. Ils doi vent se tourner vers l’Etat pour obtenir des réponses, que celui-ci n’est pas toujours en mesure de leur fournir.
n Il existe aussi des répercussions économiques, en nuisant notamment à l’attractivité du territoire.
L’EXPLOSION DU NOMBRE D’ARTICLES LÉGISLATIFS ET RÉGLEMENTAIRES
En moins de vingt ans, le nombre d’articles a augmenté de presque 55 %.
Dans le même temps, chaque article est devenu plus bavard !
DES CODES DE PLUS EN PLUS GROS
Le nombre d’articles des codes ne cesse de croître, ce qui en complexifie la lecture.
A l’image des codes de l’environnement, de la construction et de l’habitation, et de l’urbanisme.
Soit
5,85 millions de mots
pour les articles législatifs en 2002
EN 2002
53 207art. L.
161 995 art. R.
110 mots
en moyenne par article
ÉQUIPEMENTS SPORTIFS 400 000 normes, réglementations et prescriptions sont applicables aux équipements
sportifs, dont 33 000 normes Afnor. Le coût induit par ces normes entre 2008 et 2014
s’est élevé à 6 Md€ pour les collectivités.
Soit
13,29 millions de mots
pour les articles législatifs en 2020
DES TEXTES GONFLÉS À COUPS D’AMENDEMENTS PARLEMENTAIRES
Projets et propositions de loi
Nombre d’articles au dépôt Nombre d’articles à la promulgation
2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 2010 2011 2012 2013 2014 2015 2016 2017 2 000
1 500 2 500
1 311738
1 010 2 392
1 196467 1 006 art.
en 2002
1 459 art.
en 2002
2 336 art.
en 2002
CONSTRUCTION ET HABITATION
3 777 art.
en 2021 URBANISME
2 295 art.
en 2021 ENVIRONNEMENT
6 559 art.
en 2021
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DOSSIER
LES NORMES,
CAILLOU DANS LA CHAUSSURE DES COLLECTIVITÉS
Le constat est partagé, le droit
bloque agents et élus au quotidien
« La Gazette » est allée au plus proche des élus et des agents pour savoir ce qu’ils pensaient de l’état de notre droit et des conséquences sur leurs pratiques.
T
rop complexe, troptechnique… tels sont les reproches des élus et des agents interro- gés par « La Gazette » sur l’état du droit. Mais ce n’est pas tout ! Ils mentionnent la difficulté, lorsqu’ils sont bloqués, de trou- ver des réponses auprès de l’Etat.
D’autres critiques portent sur les décisions prises par ce dernier, que ce soit par le biais de textes de loi ou réglementaires, sans avoir consulté les collectivités.
Il en résulte des contradictions dans les cir culaires de différents ministères sur un même sujet. Ce qui ne simplifie pas les choses !
STABILITÉ JURIDIQUE ATTENDUE
Ce qu’ils veulent : de la stabilité juridique. Marre des « normes qui se surajoutent aux normes », ce qui a pour résultat que « l’on n’est plus aux normes ». Le gouvernement en a d’ailleurs conscience, puisque c’est la rai- son qu’il invoque pour ne pas avoir déposé au Parlement un grand texte de décentralisation, malgré les promesses de cam- pagne d’Emmanuel Macron.
La crise sanitaire dans laquelle nous sommes embourbés a encore montré que le droit peut devenir un boulet lorsqu’il est trop précis, trop présent, trop pressé. La surproduction norma- tive aura juste ralenti la réactivité des acteurs publics, notamment locaux. l C. B.
« Est-il normal que la ministre décide pour nous ? »
ANTOINE HOMÉ, maire (PS) de Wittenheim (14 500 hab., Haut-Rhin)
« Le gouvernement a négo- cié la revalorisation des grilles des fonctionnaires d’Etat de la catégorie C, puis a étendu la mesure à la territoriale. Or l’Etat emploie une majorité de catégorie A, tandis que la fonction publique territoriale compte 80 % de catégorie C.
Cela va coûter 400 millions, et les décideurs ne sont pas les payeurs ! Je suis évidemment d’accord pour que l’on fasse mieux pour nos agents d’exé- cution. Mais est-il normal que la ministre décide pour nous, alors que la structure des catégories statutaires n’est pas la même du tout ? Et bien sûr sans compensation ! »
« On sature »
KARINE FOLLIN, secrétaire de mairie à Tourneville (311 hab.) et Daubeuf-la-Campagne (234 hab., Eure), présidente de l’Association des secrétaires des mairies rurales
« Je me retrouve submergée, et mes collègues sont dans le même cas que moi. On sature ! Si on a besoin de s’informer, et il le faut, c’est le système D. En ce moment, j’essaye de décla- rer les ruches d’une des deux communes où je travaille.
Mais la plateforme internet n’est accessible qu’aux par- ticuliers et aux profession- nels, pas aux collectivités.
J’ai appelé la chambre d’agri- culture, qui ne sait pas. Même chose pour celles des départe- ments voisins. J’ai aussi télé- phoné aux instances natio- nales ainsi qu’à trois services différents à la préfecture. Et à chaque fois, la réponse, c’est débrouillez-vous ! »
« Ceux qui élaborent les normes ne tiennent pas suffisamment compte de leur coût et de leur impact en termes d’organisation pour les collectivités. Et ceux qui les appliquent ne sont pas assez associés en amont ni accompagnés. »
Emmanuelle Lointier, ex-présidente de l’Association des ingénieurs et ingénieurs en chef territoriaux de France
iso Marre des « normes qui se surajoutent iso iso aux normes », ce qui fait
que « l’on n’est plus aux normes ! »
P. MARAIS / LA GAZETTE
ADOBESTOCK
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petite loi. A chaque fois, on en remet une couche »
FRANÇOIS DEYSSON, maire (SE) de Villecerf (719 hab.), président des maires ruraux de Seine-et-Marne
« Les normes se surajoutent aux normes, chacun fait sa petite loi et, à chaque fois, on en remet une couche. Prenez l’exemple des contrôles élec- triques. On applique les règles, on fait des travaux. Puis les dispositions sont modifiées.
Résultat, on n’est plus aux normes, il faut tout recom- mencer. Moi ce que je voudrais surtout, c’est que l’on puisse avoir une certaine stabilité.
Cela nous permettrait de pou- voir travailler sur des projets pluriannuels. »
de spécialiste en interne »
ROMAIN COLAS, maire (PS) de Boussy-Saint-Antoine (7 800 hab., Essonne)
« L’un des gros problèmes, c’est que cette inflation nor- mative exige souvent des spécialistes que je n’ai pas en interne. Pour suivre l’évolution d’un certain nombre de textes, nous devons donc faire appel à des cabinets extérieurs.
J’ai, par exemple, dû refaire le règlement local de la publi- cité extérieure qu’une loi avait rendu caduc et je me suis tour- né vers un prestataire pour nous aider à le rédiger. Même chose sur la qualité de l’air de l’ensemble des bâtiments publics qu’il nous a fallu faire auditer. La difficulté, c’est que cela entraîne des dépenses de fonctionnement et des coûts induits, et qu’elles sont proportionnellement bien supérieures pour nous, comparé à de plus grosses collectivités. »
ou quatre ans de travail pour avoir un dossier abouti »
FRÉDÉRIQUE CHARPENEL, maire (PS) de Soustons (8 100 hab., Landes)
« Je travaille sur l’aménage- ment durable de notre sta- tion balnéaire, un dossier à deux ou trois millions d’eu- ros. Nous nous retrouvons avec une dizaine d’interlo- cuteurs autour de la table, sans compter les financeurs.
C’est évidemment trop ! Dans ces conditions, impossible de monter un projet en six ou douze mois. Certes, nous parviendrons à un dossier très abouti et bien financé, mais il va nous falloir trois ou quatre ans de travail pour y arriver. Et j’ai de la chance, j’ai des services qui me suivent et l’Etat est aussi très présent ! »
« Lors de la rénovation de la piscine d’été, on m’a demandé de casser le pédiluve pour l’adapter aux fauteuils roulants, alors qu’ils roulent sur l’herbe quelques mètres plus loin. Quel est l’intérêt ? Je comprends qu’il y ait des normes sur le handicap, mais il faut aussi savoir faire preuve de bon sens et écouter ceux qui sont sur le terrain ! »
Pauline Martin, maire (LR) de Meung- sur-Loire (6 500 hab., Loiret)
« Un vrai casse-tête »
PHILIPPE JACQUEMOIRE, directeur général des services de Saint-Paul- lès-Dax (13 400 hab., Landes)
« La rédaction des textes demeure un vrai casse-tête, même si l’on assiste à des efforts de simplification.
Les services de l’Etat, eux- mêmes, ne sont pas toujours d’accord entre eux, car les circulaires peuvent indiquer l’inverse de ce que dit la loi. Et le Covid est encore venu com- pliquer les choses en impac- tant des domaines qui étaient jusqu’alors peu habitués à ces changements de réglementa- tion, comme le périscolaire. »
iso iso
ADOBE STOCKR. SOULAS F. CALCAVECHIA / LA GAZETTE
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DOSSIER
LES NORMES,
CAILLOU DANS LA CHAUSSURE DES COLLECTIVITÉS
QUESTIONS À…
Selon vous, que faudrait-il changer pour faciliter l’appropriation des normes par les élus locaux ? Les maires ne sont pas suffisamment formés pour comprendre la norme telle qu’elle est écrite aujourd’hui. A mon avis, il faut davantage les former, en particulier ceux issus des élections de 2020. Il y a là un véritable enjeu de responsabilité. Par exemple, ils peuvent être mis en cause pour favo- ritisme sur des marchés publics mais, d’après mon expérience, c’est surtout par méconnaissance des textes.
Pensez-vous que le problème pourrait aussi venir de la façon dont la norme est rédigée ?
Il faut effectivement simplifier les normes : on voudrait de la stabilité, avec des textes plus génériques. Ils
JEAN-LUC ARNAUD, vice-président
national de l’Association des techniciens territoriaux
de France
L
e souci est largement iden- tifié par la sphère locale, mais aussi bien connu de la doctrine : face à une abon- dance problématique de normes, le chantier de transformation doit être engagé. Mais s’il est souhai- table de calmer cette inflation, le Conseil d’Etat, dans son étude de 2016, intitulée à juste titre « Sim- plification et qualité du droit », relève qu’il existe « une part de cette complexité [qui est] irréduc- tible », et qui tient à la technicité de certaines matières.Quoi qu’il en soit, l’amélioration de la norme se joue au Parlement.
Dans son étude, le Conseil d’Etat plaide pour une plus grande homo- généité des lois et le contrôle de leur volume au cours des discus- sions parlementaires. « Un pla- fond raisonnable à ne pas dépasser
Réformer la culture juridique, une nécessité
Rédaction des textes, expérimentation, travail parlementaire… Pour améliorer la qualité de la norme, les idées ne manquent pas et témoignent toutes d’un besoin identique : adapter les normes au contexte territorial.
cette association : « Si, au lieu de nous saisir en urgence, on nous donnait un programme législatif sur six mois, on aurait le temps de faire remonter les remarques des collectivités sur l’installation de tel ou tel dispositif. »
Une autre façon d’associer les collectivités : l’expérimenta- tion, qui a fait l’objet d’une loi du 19 avril 2021. Cette démarche, qui permet d’adapter une norme à un contexte territorial, a tout inté- rêt à se multiplier. Toujours selon Alain Lambert, « on parle, là, d’un sujet d’une simplicité biblique, la théorie est une science qui permet de penser un problème et de pro- poser des solutions. Mais ce que la pratique nous enseigne, c’est com- ment l’environnement dans lequel cette transformation est proposée va l’accueillir ».
FORMATION À LA LÉGISTIQUE
Enfin, écrire la norme, cela s’ap- prend. Que ce soit le Conseil d’Etat ou le CNEN, tous s’accordent sur la nécessité de généraliser la forma- tion à la légistique, la science de la rédaction des textes normatifs.
Pour Pierre de Montalivet, profes- seur à l’université Paris - est Créteil,
« il faudrait étendre ces formations à tous les agents publics concernés, ainsi qu’aux élus ». Et pourquoi ne pas modifier la ligne éditoriale du droit en introduisant des encadrés, en renvoyant à une annexe, à des schémas, des notices ?
En tout cas, Alain Lambert le prédit : « Les derniers mois de la campagne présidentielle, c’est la simplification qui sera au cœur du débat, et les candidats doivent s’y préparer. » Ce ne serait pas la pre- mière fois, croisons les doigts pour que l’élection de 2022 soit enfin la bonne. lL. J.
Diviser par cent le nombre de lois
Certains proposent de s’emparer du sujet à bras-le-corps. Gaspard Koenig, philosophe libéral, a lancé, en mai, son mouvement politique
« Simple ». Son objectif :
« diviser par cent le nombre de normes législatives et réglementaires ».
pourrait ainsi être fixé en nombre de signes. » Mais la recherche d’autres pistes est possible : à l’issue d’un colloque organisé le 26 novembre 2020, notamment par le Conseil national d’évaluation des normes (CNEN), 46 propositions ont été recensées. Celles faisant la part belle aux collectivités ne manquent pas.
ASSOCIATION IDÉALE
La norme vise un destinataire défini. Il s’agit donc, pour en améliorer la qualité, d’y associer les collectivités. Alain Lambert, président du CNEN, l’explique ainsi : « Sur les détails de mise en œuvre, ce sont ceux qui instaurent la norme qui vont être les mieux placés pour aider à la rédiger de la manière la plus efficace. » Le CNEN se présente comme le lieu idéal de
sont rédigés par des technocrates, des parlementaires qui ne sont pas des élus de terrain. Il faudrait qu’ils soient écrits de façon plus accessible. Et que l’on arrête de créer une loi dès que l’on a un problème ponctuel.
Quelles sont les autres pistes d’amélioration de l’écriture des normes, selon vous ?
Il faudrait agir sur la publication même de la norme, car il arrive que des textes paraissent à peine deux mois avant leur entrée en vigueur. Il faut une meilleure concordance entre le temps court de la norme et le temps long de la collectivité. Cela entraîne des difficultés ne serait-ce que pour les budgets des collectivités qui doivent s’adapter dans l’urgence, ou même qui ne le peuvent pas à temps.
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Pour aller plus loin
Qualité des normes : le CNEN veut s’inspirer de l’Allemagne www.lagazette.fr/771586 Gaspard Koenig : « Nous voulons diviser par 100 le nombre de lois » www.lagazette.fr/769353
la Gazette.fr
Une simplification, en vain Selon Emeric Nicolas, la logique de flux normatifs est alimentée par des ressorts multiples et systémiques rendant vaines la simplification du droit. Il nous invite à changer de paradigme normatif.
« Penser les flux normatifs. Essai sur le droit fluide », Emeric Nicolas, Editions Mare et Martin, coll. « Libre droit », 2018.
SUR LE WEB Un droit bavard
Le Conseil d’Etat montre, dans une étude, que les mesures prises depuis vingt-cinq ans n’ont pas permis d’enrayer la dégradation de la qualité du droit, rendant urgent un changement de culture normative.
« Etude annuelle 2016 - Simplification et qualité du droit », Conseil d’Etat.
A lire sur : bitly.ws/kwJD
Choc réglementaire
Dans un rapport, commandé par le Premier ministre Edouard Philippe, Alain Lambert et Jean-Claude Boulard font différentes propositions pour
« provoquer un choc réglementaire de simplification ».
« Mission pour la simplification des normes applicables aux collectivités territoriales », Alain Lambert et Jean-Claude Boulard, 2018. A lire sur : bitly.ws/kwJF
Au service de la transformation Le CNEN présente 19 propositions, relatives aux normes qui peuvent servir de guides à la réflexion des acteurs qui participent à la détermination et à la conduite des politiques publiques.
« Rapport relatif à l’intelligibilité et à la simpli- fication des normes applicables aux collecti- vités territoriales au service de la transfor ma- tion de l’action publique », Alain Lambert, 2021. A lire sur : bitly.ws/kwJT
« A un monde hypercomplexe correspond un droit hypercomplexe »
Maître de conférences à l’université de Picardie Jules-Verne, Emeric Nicolas estime qu’il est structurellement très peu probable qu’un gouvernement réussisse un jour à réduire les flux normatifs.
Est-il possible que la création de normes diminue ?
Je ne le crois pas. Ce sera même vraisemblablement tout l’inverse.
C’est structurel. Du fait des grands défis sociétaux et environnemen- taux du XXIe siècle, il est probable que l’on va voir déferler de puis- sants flux normatifs attentatoires aux libertés individuelles. Com- ment simplifier quand vous êtes sommé de réagir à chaud pour satisfaire le moindre petit pro- blème relayé par les médias ? Le droit est-il alors nécessairement trop complexe ?
En tout cas, les citoyens et cer- taines institutions publiques s’en plaignent. Mais il n’est pas sérieu- sement pensable qu’à un monde hypercomplexe corresponde un droit simple assimilable à hauteur de vie humaine ! La vraie question est de savoir ce que l’on fait de la fic- tion « Nul n’est censé ignoré la loi ».
Quelles sont les conséquences pour les citoyens ou les collectivités ? S’agissant des institutions publiques, tout dépend de leur taille et de leur visibilité. Les plus importantes vivent très bien de la logique de flux normatif, sans laquelle leur existence serait mena- cée. D’ailleurs, elles alimentent cette logique : chacune des insti- tutions contribue à sa manière à interpréter, à proposer, à produire des avis sur les thématiques qui relèvent de leur champ de com- pétence. Parce qu’elles se sentent sommées de réagir ou de se posi- tionner, chacune ou presque y va de son petit gazouillis normatif.
Les citoyens, l’individu lambda, sont évidemment ceux pour qui la complexification du droit est la plus délétère. Ils n’y comprennent plus rien, ils sont embarqués, noyés par les flux normatifs qui sifflent sur leur tête. Ces derniers sont sans doute l’une des causes insuffisamment interrogées de burn-out dans les organisations et de perte de sens social parmi la population ! Mais il faut savoir que les citoyens eux-mêmes, à tra- vers leurs revendica tions et leur positionnement, nourrissent la création continue de normes. La
norme n’est pas seulement quelque chose qui vient d’en haut. Il y a une demande de norma tivité qui vient d’en bas, que l’on parle des collec- tivités ou des citoyens.
Peut-on le rendre plus assimilable ? En France, le droit est très acces- sible. Il existe d’excellents sites officiels qui vous permettent de connaître vos droits. Ce n’est pas un problème d’accessibilité mais un problème d’assimilation. Sans doute pourrait-on faire davan- tage en termes d’éducation juri- dique populaire ou améliorer les outils numériques tel le très bon
« service-public.fr ».
« La norme ne vient pas seulement d’en haut.
Il y a une demande de normativité qui vient d’en bas. »
E. N.
Propos recueillis par G. Z.