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Oncologie : Article pp.190-198 du Vol.4 n°3 (2010)

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ARTICLE ORIGINAL /ORIGINAL ARTICLE DOSSIER

Groupes de malades en psycho-oncologie : éléments historiques, cliniques et pratiques

Group of patients in psycho-oncology: historical, clinical and practical aspects

J.-L. Machavoine

Reçu le 23 juin 2010 ; accepté le 15 juillet 2010

© Springer-Verlag France 2010

Résumé Les groupes de malades en psycho-oncologie, initiés par les études randomisées de D. Spiegel et F.I. Fawzy, en Californie, dès les années 1980, se sont déve- loppés plus tardivement, en France. Il y avait là des réticences à regrouper des patients, tant du côté des médecins, qui redoutaient une perte de leur pouvoir, que chez les psycho- oncologues, qui craignaient des effets de contagion et de déstabilisation psychopathologique. Les états généraux des malades, organisés par la Ligue nationale contre le cancer, en 1998, en 2000 et en 2004, constituèrent un signal d’alarme, en termes de déficit de la prise en compte de la parole des malades. On observa ensuite un essor rapide, avec des initiatives plus ou moins bien contrôlées, de prati- ques de groupes dans le champ du cancer, en France.

Mots clésPsycho-oncologie · Groupes de malades · Cadre · Aménagements · Recommandations

AbstractGroup of patients in Psycho-oncology have been developed since about 1980 in California. D. Spiegel and F.I. Fawzy were some forerunners, through famous clinical trials. In France, until the nineties there was some reluctance.

Oncologists were in opposition to regroup patients in fear of medical power loss; psycho-oncologists feared psycho- pathologic destabilization. States General of Cancer patients in 1998, 2000 and 2004 gave warning signals when faced with lack of consideration against the voice of patients.

Then, we assisted to a rapid expansion, with many initiatives for groups, in oncology, in France. There were fast visible difficulties to replicate these principle studies. We had to think about the implementation and the functioning of the

group of patients, for daily practice. After many experiences, in hospital or outside, we were led to rethink about setting and rules. We offered adjustments to suggest some practical recommendations which we propose to debate.

Keywords Psycho-oncology · Patients groups · Setting · Adjustment · Recommendations

« La parole perdue…Cette fin de siècle sera, décidé- ment, le triste témoin d’une psychiatrie de la quantifi- cation. D’échelles de comportements en scores de qualité de vie, d’algorithmes de traitement en système experts de diagnostic, d’informatisation de la nosolo- gie en arbres dichotomiques de décision, que sont les souffrances psychiques devenues ? Les mots véhiculent le sens, le symbole et le mythe qui fondent l’être humain comme être de parole dans le monde du vivant.

(…) C’est de l’échange des subjectivités du soignant et du soigné que peut se constituer l’alchimie de la gué- rison. Les patients ne s’y trompent pas qui réclament maintenant—au-delà des soins techniques—le droit de parler et d’être écoutés comme ce fut récemment le cas lors des états généraux du cancer. »

E. Zarifian (1999) [23]

Notre questionnement et nos propositions de fonctionne- ment pour les groupes de malades en psycho-oncologie résultent de plusieurs expériences menées, depuis plus de 12 ans, au centre François-Baclesse de Caen (14), au centre hospitalier Jacques-Monod de Flers (61) et avec le comité départemental du Calvados de la Ligue contre le cancer.

Le dispositif groupal constituait pour nous, d’abord un outil thérapeutique, permettant à des patient(e)s de se rencontrer, de dire et d’échanger à propos de leur maladie et de ses répercussions psychologiques. Le groupe n’était donc pas un objet d’étude en soi. Portés par les interactions et soumis à des contraintes institutionnelles, nous avons été

J.-L. Machavoine (*)

Centre hospitalier Jacques-Monod, rue Eugène-Garnier, F-61100 Flers, France

e-mail : jl.machavoine@baclesse.fr

CRLCC François-Baclesse, 3, avenue Général-Harris, BP 5026, F-14076 Caen cedex 05, France

DOI 10.1007/s11839-010-0276-4

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obligés de nous adapter, d’inventer et de réajuster le cadre, en nous éloignant d’une certaine orthodoxie. Avant de témoigner et d’analyser notre expérience et d’en tirer des conséquences en termes de recommandations pratiques, il conviendrait sans doute de rappeler le contexte général de départ.

Quelques éléments de notre histoire

Les groupes de parole pour les patients se sont développés en France, à la fin des années 1990. Quelques années aupara- vant, les études randomisées de Spiegel et al. [19], à San Francisco et de Fawzy et al. [7], à Los Angeles, avaient eu un grand retentissement, du fait de résultats qui concluaient à une amélioration significative de la survie chez les partici- pants à des groupes. Des essais de réplication se trouvaient engagés alors dans plusieurs pays (États-Unis, Canada, Australie, Suisse), dès 1996. La plupart ne confirmeront pas cette tendance [9,11,20].

En France, outre le peu de demandes directes de la part des malades, on observait plutôt une crainte de la part des oncologues, toujours, alors, dans une posture quelque peu paternaliste, avec la peur d’être dépossédés et une certaine méfiance par rapport aux regroupements de patients ; un oncologue se laissera même à nous dire : « Mais tu vas nous monter un syndicat de malades ! ».

Les psychiatres et les psychologues des CLCC, regroupés dans une coopération intercentres (CCMI) s’interrogeaient sur une possible déstabilisation des participants, par effet de contagion anxieuse ; certains allaient jusqu’à redouter le risque d’infiltration et de mainmise sectaire, notamment de la part de l’Église de scientologie, qui se montrait active aux frontières de la psycho-oncologie, via des formations à la communication et jusque dans une présence active lors de congrès internationaux. Ce n’est qu’à la toute fin des années 1990, que des psycho-oncologues de l’IGR de Villejuif, de l’institut Curie de Paris et des CRLCC de Lyon et de Toulouse se réuniront, pour répondre à un PHRC et monter un essai multicentrique, visant à étudier la faisabilité et l’efficacité de groupes psycho-éducationnels [4,5]. Les psy- chanalystes exerçant en cancérologie, quant à eux, restaient cantonnés dans une clinique individuelle ; et en dehors, la psychanalyse appliquée aux groupes se déployait surtout dans le champ de la formation.

Les groupes de parole pour les patients atteints de cancer se sont développés en France, à la suite des premiers états généraux des malades, organisés par la Ligue nationale contre le cancer, en 1998. Mise à part une expérience pilote, de 11 semaines, à l’institut Curie, à Paris, avec S. Schwab, C. Blandy et D. Spiegel, en 1995, dans le cadre d’une aide au conseil génétique, A. Bouregba et F. May-Levin furent sans doute parmi les premiers à proposer, dès l’année

suivante, avec la Ligue nationale contre le cancer, un groupe de malades fonctionnant dans la durée.

En février 1997, le SOMPS, congrès de cancérologie, organisé à Paris, proposait un atelier intitulé « Group Psychotherapy for Cancer Patients », avec des interventions de D. Razavi, D. Spiegel, P. Gagnon et P. Saltel, en présence de J. Holland. Ce fut l’une des premières occasions de faire le point sur les différents types de groupes et leurs indica- tions, ainsi que de dresser un état des lieux de la situation en France [12,17].

Dans l’effervescence des seconds états généraux en 2000, la profusion d’initiatives au sein des comités départe- mentaux, dont certains revendiquaient l’abstention des

« psys », incita la Ligue nationale contre le cancer à définir un cahier des charges. L’appellation « groupe de parole » se trouva réservée au dispositif avec un animateur « psy » garantissant le projet psychothérapique ; les groupes d’infor- mation, visant à transmettre des connaissances relatives aux cancers et aux traitements, et les groupes de convivialité, permettant d’abord d’être ensemble et de sortir de l’isole- ment, pouvaient s’affranchir d’un animateur « psy ».

Le 18e Congrès de la Société Française de Psycho- Oncologie, que nous avions organisé en octobre 2001, à Caen, sur le thème « Place des groupes en psycho-oncologie » [8] aura constitué un moment fort. En réunissant les meilleurs spécialistes internationaux et les précurseurs français, pour des communications et des discussions riches, ce colloque international a sans doute contribué, aussi, au développement des pratiques de groupe en France.

Première expérience au centre

François-Baclesse de Caen (1998–2000)

Dans ce contexte somme toute assez favorable, et nous appuyant sur une formation en psychologie sociale avec J. Maisonneuve et J. Dubost, et en psychanalyse appliquée aux groupes, auprès de D. Anzieu à Paris-X, Nanterre, ainsi que sur des expériences personnelles de participation à des dynamiques de groupe ou des groupes diagnostic ou de psychodrame (CEFFRAP, ARIP), nous avions décidé, en 1997, de répondre à un appel à projets de la Fondation de France, en proposant une réplication de l’étude randomisée de Spiegel et al. [19]. Pour éviter quelques biais relatifs à la variabilité des traitements (chimiothérapie et/ou hormonothé- rapie), nous l’avions intitulée :« Étude de l’intérêt de groupes de soutien psychothérapiques dans la vie de patientes atteintes de cancer du sein métastatique, traitées par chimiothérapie ».

L’objectif principal sur la survie, très critiqué par certains de nos collègues et aînés, mais indispensable pour l’obtention d’une subvention, à l’époque, s’accompagnait de visées secondaires, en termes d’évaluation psychopathologique et d’analyse psychodynamique.

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Le projet retenu, un training avec P. Goodwin, respon- sable du programme BEST, réplication multicentrique de l’étude de Spiegel et al. [19], dans tout le Canada anglo- phone, sera organisé, pour les animateurs, psychologues et infirmières, à Caen, à partir de séances filmées à Toronto et du manuel ronéoté de C. Classen et D. Spiegel. Ce glisse- ment vers un cadre et une approche de type existentiel s’expliquera aussi par l’impossibilité de trouver un super- viseur, à la fois spécialiste du travail psychanalytique de groupes, dégagé de la croyance en une psychosomatique du cancer et suffisamment souple, pour tenir compte de la réalité de la maladie cancéreuse et de ses traitements. Seule J. Mac Dougall, par sa disponibilité et sa créativité, pourra finale- ment s’offrir comme garant de l’analyse de certains aspects transférentiels et contre-transférentiels, mais plus dans un registre individuel que véritablement groupal.

Dans un CRLCC, avec une importante activité de pathologie mammaire (plus de 800 patientes par an), nous pensions avoir un potentiel de recrutement suffisant pour mener notre étude. Les oncologues se trouvaient mobilisés comme pour tout autre essai clinique. D’importantes difficultés pour intégrer des malades, du fait d’un manque d’adhésion personnelle, mais aussi de réticences familiales, ainsi que des contraintes liées à l’éloignement géogra- phique et aux traitements médicaux iront jusqu’à menacer l’existence même du groupe. Cela nous imposera de

« casser » la randomisation, pour nous rabattre vers une visée prospective et qualitative. Certains « managers » n’y verront alors que de l’amateurisme ; la plupart des cliniciens, plutôt bienveillants et à l’écoute, relèveront les aspects positifs du cheminement de leurs malades, s’appro- priant en quelque sorte la formule de D. Razavi « Il vaut mieux une bonne clinique qu’une mauvaise recherche ! » (15esJournées SFPO, Sion, mai 1998).

De janvier 1998 à mai 2000, le groupe, ouvert, intégrant de nouvelles participantes au fur et à mesure, se réunira dans le service d’hospitalisation de jour du centre, toutes les semaines, sauf pendant les vacances scolaires ; soit 87 réunions, pendant deux ans et demi, ayant concerné 15 patientes, dont dix, pour une durée supérieure à six mois, et sept, pour une durée comprise entre un an et deux ans et demi : on peut assurément parler là de travail psychothérapique, avec les interrogations, les élucidations et les remaniements psychiques que cela suppose.

Les échanges focalisés sur la maladie et les traitements, en termes de retentissement sur l’image du corps, jusque dans leurs implications existentielles et psychosociales (histoire personnelle et familiale, relation avec le partenaire, liens filiaux et avenir des enfants) se déroulaient librement, sur le mode des associations libres ; si, au final, les thématiques abordées ne différaient sans doute guère des programmes prévus dans les groupes de type psycho-éducationnel, une patiente pourra tout de même dire : « Chez vous, c’est

comme l’auberge espagnole, on y trouve ce que l’on y amène ! », suggérant l’importance de place laissée à la spontanéité, à la surprise et à la singularité.

L’analyse et les interprétations, référées au groupe plutôt qu’à l’individu, constitueront, pour une participante, souhai- tant s’impliquer très intimement et focaliser les échanges sur sa problématique personnelle, une source de frustration, la conduisant à quitter le collectif et à s’orienter vers une psychothérapie individuelle.

Cette expérience sera intense pour les participantes et éprouvante pour les animateurs, du fait du rythme hebdoma- daire des séances, de la gravité de la maladie métastatique et de la complexité des processus groupaux à prendre en compte. Certaines patientes s’aggraveront et décèderont dans le cours du groupe, confrontant celui-ci au deuil, avec les rites qui l’accompagnent. Pour beaucoup, cela permettra une anticipation, pour une meilleure préparation à l’inéluctable :

« Moi, je suis allée lui rendre visite dans sa chambre ; ça été dur, mais je voulais me rendre compte de ce que c’est que de mourir, car c’est peut-être ce qui va nous arriver ! » Cette forme d’entorse à la règle d’abstinence, au nom d’une soli- darité et là d’une « curiosité inquiète », constituait, là, une sorte de transgression d’une règle habituellement formulée.

Mais la restitution, au sein du collectif, permettra la poursuite du processus associatif groupal.

Contrairement à l’inquiétude relative au risque de conta- gion et décompensation psychopathologique mise en avant par certains psycho-oncologues, pour s’opposer à de tels groupes, l’évaluation régulière assurée par une psychologue, avec l’HADS, et par un psychiatre, selon les critères de CIM 10, ne mettra pas en évidence d’aggravation caractérisée de l’anxiété et/ou de la dépression : les mouvements anxiodé- pressifs sévères et multisymptomatiques restaient limités dans le temps, inférieurs à 15 jours, et se trouvaient contenus par le cadre psychothérapique groupal, qui fonctionnait comme enveloppe et étayage [13]. En outre, force sera de constater que les personnes déstabilisées par une première séance trouveront, seules ou avec leur entourage, la res- source de quitter rapidement le groupe, comme les engage- ments éthiques pris devant le CPPRB le leur garantissaient.

Sur le plan dynamique, le groupe permettra la confronta- tion, en miroir, à la gravité de la maladie. Sur un plan conscient, le groupe fonctionnera ainsi comme une réserve de modèles, via l’imitation de certaines attitudes et comportements. Au niveau inconscient, les transferts cen- traux sur les animateurs, mais surtout latéraux, entre partici- pants, se révèleront sources d’identifications, voire de réparation. Les épreuves du groupe, à travers les rechutes et les pertes, faciliteront les remaniements psychologiques et le cheminement personnel nécessaires pour s’adapter à l’évolution de la maladie.

On soulignera que l’infirmière, qui proposait un temps de relaxation en fin de séance, tenait une grande place dans

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l’imaginaire des patientes, notamment chez celles confron- tées à la douleur physique.

Après plus de deux années de fonctionnement, les six participantes encore présentes, après avoir élaboré, sous dif- férents aspects, la question de leur finitude, s’interrogeront sur la meilleure façon de quitter le groupe et de profiter du temps qui reste. La fin du groupe s’envisagera alors ensemble. Cette question du terme d’un groupe nous enjoin- dra, plus tard, confronté, dans d’autres situations, à des départs non élaborés et/ou agis, à envisager un dispositif limité dans le temps, pour éviter les phénomènes d’usure, l’angoisse du vide et les sentiments de culpabilité.

Deuxième expérience au centre hospitalier Jacques-Monod de Flers (2000–2010)

Le centre hospitalier Jacques-Monod de Flers est un hôpital public pivot de secteur sanitaire, au sein duquel nous inter- venons, dans le cadre d’un dispositif de liaison, à partir d’un service de psychiatrie adultes. Nous sommes cinq psychiatres et dix psychologues, dont un demi équivalent temps plein (ETP) pour la psycho-oncologie et un demi ETP pour les soins palliatifs. Il y a une activité de cancéro- logie relativement importante en chirurgie gynécologique, en pneumologie et en gastro-entérologie.

La demande initiale, s’adressant à un chirurgien, émanait de patientes récemment traitées en chimiothérapie dans le service de gynécologie et qui souhaitaient témoigner de leur expérience. Comme souvent, aucun médecin n’étant suffisamment disponible pour s’engager dans ce type d’activité, le comité de l’Orne de la Ligue contre le cancer permettra le détachement d’une infirmière du service, pour assurer la référence au pôle somatique et répondre aux ques- tions générales et pratiques, d’ordre médical ; les interro- gations précises et personnelles étant renvoyées sur le chirurgien ou l’oncologue.

Le groupe, ouvert, s’adressera à des femmes traitées pour un cancer gynécologique ou un cancer du sein et il connaîtra son « apogée » en 2003–2004 [6] avec une participation moyenne, à l’époque, de près de neuf patientes par séance, toutes les trois semaines. Ce rythme moins soutenu limitera l’implication et la portée psychothérapique, les échanges restant focalisés sur la maladie, ses traitements et ses conséquences psychosociales. Certaines patientes viendront simplement chercher des informations et échanger des expé- riences, pour seulement quelques séances, ou pendant les quelques mois de leurs traitements adjuvants ; d’autres, plus altruistes et plus disponibles dans leur organisation pro- fessionnelle, resteront plusieurs années, pour témoigner et continuer à partager. Durant ces dix années, deux femmes émergeront comme leaders naturels du groupe et supports d’identifications, l’une et l’autre ayant subi une chimio-

thérapie et ayant bénéficié d’une reconstruction mammaire ; nous y reviendrons, mais c’est dans ce groupe que nous avons identifié l’oncoplastie comme motivation importante à venir dans ce type de réunion, pour échanger et sans doute aussi pour voir ! Un temps spécifique, uniquement avec l’infirmière, en fin de réunion, s’organisera spontanément, hors le cadre énoncé initialement, pour devenir un élément important du dispositif. Les chirurgiens oncoplasticiens du CRLCC de Caen reconnaîtront les patientes de ce groupe du centre hospitalier de Flers comme particulièrement bien préparées psychologiquement, en termes d’élaboration de la perte de leur sein et dans leur demande de reconstruction mammaire.

Dès la deuxième année, nous serons confrontés à des situations de rechute et d’évolution métastatique viscérale, assez rapides. Ces malades, reprises dans le circuit de soins, avec de nombreuses contraintes, quitteront le groupe, mais elles pourront bénéficier d’un suivi psycho-oncologique individuel ; même s’il n’y avait pas de liens interpersonnels forts à l’extérieur du groupe, leurs nouvelles et leur mémoire seront facilement évoquées en réunion.

Cependant, à une époque, l’accueil de nouvelles patientes dans le groupe se trouvera compliqué par le retour d’une ancienne malade en situation de récidive, avec des métastases osseuses. Si les anciennes participantes, qui la connaissaient et qui avaient établi des liens avec elle, toléraient sa logorrhée anxieuse, les nouvelles patientes ne pouvaient supporter un tel exposé : « C’est trop dur vos réunions ! » ; « La dame qui parlait de sa rechute, ça m’a complètement démolie…mon mari m’a dit de ne pas y retourner ! » On observait là l’expression d’un fantasme de casse, tel que décrit par Anzieu [1] qui montre que les fantasmes de casse condensent les angoisses de castration orale et phallique des membres du groupe. Les angoisses primitives de destruction sont souvent intriquées et trouvent ainsi une fonction unifiante entre les membres. La fonction unificatrice des fantasmes de casse mobilise la force et la permanence des pulsions de mort, agressives et destructrices des leaders autant que du groupe lui-même. La patiente finira par comprendre que sa position singulière ait fait fuir les nouvelles arrivées. Elle quittera le groupe au bout de quelque temps, avec une certaine rancœur, nous accusant de l’avoir « mise à la porte ». Cette situation délicate, où nous avions, d’une certaine manière, privilégié l’existence et la cohésion du groupe, au détriment de la malade en détresse, nous invitera à réfléchir à des dispositifs distincts, pour tenir compte de la demande et des préoccupa- tions des malades, en fonction de la gravité de leur état de santé. Même si nous nous accordons avec A. Bouregba pour considérer que la demande de participation à un groupe procède d’une quête d’altérité, qui suppose de pouvoir envi- sager les différences, nous affirmons que les patient(e)s récemment traité(e)s, qui se trouvent dans un projet de guérison, ne souhaitent pas être confronté(e)s à des malades

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en situation métastatique. Nous ne sommes pas sûrs qu’il nous appartienne, à nous, d’organiser ces rencontres, « pour permettre aux malades d’intégrer cette réalité difficile du risque de rechute », tel que suggéré par Surugue et Lecourt [21]. L’évitement et la relégation, que nous distinguons du déni, sont des mécanismes de défense à respecter. Dans ce registre, nous avons aussi pu observer que des malades en cours de chimiothérapie néoadjuvante, et qui souvent conservent, consciemment ou inconsciemment, un espoir de conserver leur sein supportent très mal la confrontation à des patientes qui évoquent sereinement prothèse ou reconstruction. Il y a sans doute des timings d’intégration à respecter.

Pour revenir sur notre patiente difficile, précisons que nous l’avons rappelée ensuite, pour lui proposer un groupe correspondant à son état, récemment mis en place, au niveau régional : elle nous redira son amertume, mais elle appré- ciera notre démarche, nous remerciant « de ne pas l’avoir oubliée ! »

L’autre difficulté à laquelle nous avons été confrontés au bout de quelques années a été la diminution de nouvelles intégrations dans le groupe, jusqu’à revenir à une participa- tion moyenne de quatre à cinq patientes. Après neuf années de fonctionnement et plus de 130 réunions [14], une moindre attention de la part des médecins pour présenter et soutenir le dispositif sera clairement identifiée. Il faudra suspendre les réunions pendant six mois, pour que ceux-ci prennent cons- cience du manque et insistent pour que le groupe redémarre, ainsi que le réclamaient certaines de leurs malades, ancien- nes et nouvelles. Nous en profiterons pour remanier le cadre, énonçant que ce groupe se trouvait réservé à des patientes en situation adjuvante (ou en rémission) et en proposant des cycles de sept séances, l’un en automne–hiver, l’autre au printemps, avec possibilité de se réengager.

La dernière réflexion, et c’est souvent un élément impor- tant, tant sur le plan fonctionnel que symbolique, concernera le lieu des réunions. Pendant huit années, nous avions pu profiter d’une salle de réunion à l’école d’infirmières, sorte de lieu « transitionnel » entre l’extérieur et l’hôpital, appré- cié de tous. Brutalement, à la rentrée de septembre 2008, faute de place à l’IFSI, nous avons été déplacés dans une salle située au sous-sol de l’hôpital général, avec vue directe sur les allées et venues des fourgons venant chercher des corps au service mortuaire : pas franchement idéal pour un groupe de malades traitées pour un cancer et vivant dans l’angoisse de la récidive ! Cette remarque de bon sens, considérée comme une fantaisie « ne pouvant émaner que d’un psychologue », se trouvait néanmoins validée par une majorité de malades, qui même le rideau tiré, préférait tourner le dos à la fenêtre, pour éviter l’angoisse. La résolu- tion du problème viendra, quelques mois plus tard, avec l’ouverture du nouveau pôle femme–enfant et la mise à notre disposition de la salle de staff médical.

Troisième expérience avec la Ligue contre le cancer

Certains patients exprimant nettement leur gêne d’avoir à revenir au centre pour leurs consultations psycho- oncologiques, nous avons réfléchi à un suivi externalisé. À l’instar de ce que nous avions pu observer aux États-Unis dans l’organisation du soutien psychosocial à l’extérieur des hôpitaux, ou dans des blocs distincts comme à New York, nous avons proposé à la Ligue contre le cancer du Calvados de mettre en place, en ville, des groupes ouverts à tous les malades soignés au CRLCC, au CHU, dans les hôpitaux généraux ou dans les cliniques privées ; deux grou- pes, l’un pour des patients en cours d’un premier traitement (ou en surveillance), l’autre pour des malades en situation de récidive métastatique, animés par un psycho-oncologue et par un bénévole de la Ligue, ce, dans une maison de quartier mise à disposition par la mairie de Caen. Les bénévoles, choisis par nos soins, étaient tous retraités et issus du travail social ou de la psychologie scolaire ; ils s’engageaient à suivre les modules de sensibilisation relationnelle et de per- fectionnement proposés par l’école de formation de la Ligue nationale contre le cancer. Un avis dans la presse régionale et locale, un courrier et des affiches adressés à tous les méde- cins hospitaliers et libéraux devaient permettre d’informer et d’orienter les demandes vers le siège du comité départemen- tal, qui nous les réadressait. En effet, comme pour les autres groupes, il était prévu un entretien préalable avec le psycho- logue, pour repérer les personnalités fragiles, ou patholo- giques, et éventuellement surseoir à leur intégration [3].

Malgré le potentiel de l’agglomération caennaise (plus de 200 000 habitants), nous avons été, là encore, confrontés à des difficultés de recrutement. Certes, il y avait, au départ, la concurrence d’un autre groupe, mais il apparaissait surtout que les médecins et autres intervenants dans le champ cancérologique ne se trouvaient pas suffisamment impliqués.

Les demandes, transitant par la Ligue contre le cancer, n’aboutissaient pas ou ne dépassaient pas le stade de l’entretien préalable, dans une proportion de quatre à un.

Comme nous l’avions observé précédemment, il semble que l’indication et le rôle actif des oncologues pour soutenir leurs malades dans cette démarche sont absolument essentiels. En outre, la présentation des groupes, par les infirmières en consultation paramédicale d’annonce, venait peut-être trop tôt dans le cheminement des nouveaux malades, en termes de partage et d’échanges, puisqu’ils n’avaient pas encore fait l’expérience des traitements.

Le groupe pour les patients en cours de traitement (ou en surveillance) sera difficile à mettre en place. Il démarrera en février 2006, composé majoritairement d’anciennes malades, en difficulté sur le plan psychosocial, vivant seules et/ou au chômage ; le groupe jouant peut-être là un rôle de

« suppléance » pour recomposer des liens, face à la montée

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de l’individualisme et à la disparition de certaines solidarités naturelles, dimensions déjà soulignées par Blondeau [2].

Beaucoup de plaintes concernant les séquelles des traite- ments et aussi des sentiments d’exclusion donnaient à ce groupe une tonalité dépressive, voire sensitive, limitant l’élaboration psychique. Une femme, s’affirmant comme leader, à la fois plus active et plutôt dans la revendication, soulignera les limites du groupe, en termes de possibilités d’infléchissement de la réalité. Elle contribuera à une sorte de sécession vers des rencontres et des activités, hors le cadre du groupe de parole. L’existence même du groupe se trouvera alors menacée, suscitant l’inquiétude de la Ligue contre le cancer. Son président, malgré des statistiques de participation décevantes, et après avoir entendu nos explications, nous assurera de sa confiance, pour pouvoir continuer.

Ayant pu échanger avec d’autres animateurs de groupes de parole et tirer profit de leurs expériences, elles aussi chaotiques, en termes d’assiduité et de pérennité, lors d’un séminaire organisé au siège national de la Ligue contre le cancer, en janvier 2008, autour d’A. Bouregba et F. May-Levin, nous pourrons rebondir, en redéfinissant notre cadre, vers des groupes limités dans le temps ; huit séances sur quatre mois ; deux cycles par an. Ce schéma empruntait peut-être aux thérapies cognitives, mais on pourrait dire aussi qu’il s’agissait d’insuffler du rythme, une certaine tension, à l’instar des psychothérapies brèves ou des cures courtes, pratiquées par certains psychanalystes, notamment en CMP.

À partir d’octobre 2008, et après quelques mois consa- crés à repérer et à inviter, nous-mêmes, des patient(e)s susceptibles d’être intéressés, nous avons pu relancer des réunions. Très rapidement, le groupe se trouvera focalisé sur le cancer du sein, puis sur la mammectomie et la reconstruction, du fait de notre recrutement en consultation au CRLCC de Caen et sans doute influencé par notre expérience au centre hospitalier de Flers.

Un groupe de huit à dix femmes, âgées de 35 à 65 ans, avec quelques remplacements à la fin de chaque cycle de huit séances, fonctionnera assidûment pendant 18 mois, jusqu’en janvier 2010. Les thématiques concerneront la maladie, son diagnostic et ses avatars, les traitements de chimiothérapie, de radiothérapie et d’hormonothérapie, avec leur cortège d’effets secondaires touchant l’image du corps, la période délicate de la fin des traitements, l’angoisse de la récidive, les relations avec le partenaire et les enfants, jeunes ou adultes, et la reprise du travail. Des questions, relatives à la sexualité, ainsi qu’à la dépression et à ses traitements seront, abordées librement, dans une perspective de soutien et de dédramatisation.

Mais ce sont surtout la mammectomie et la reconstruc- tion, qui constitueront « la culture du groupe », au point d’adjoindre une infirmière « spécialisée » en oncoplastie

mammaire, pour que celle-ci puisse rester seule en fin de réunion avec les participantes, les encadrer et leur donner des explications pratiques. On pourrait même considérer que cette possibilité de se retrouver, « pour voir » (pulsion scopique), a constitué, pour certaines femmes, la motivation essentielle à intégrer le groupe. Quant à nous, psychologues, notre position en retrait, dans l’abstention du voir, nous permettra de rester neutre dans les discussions inévitables, autour du choix de l’oncoplasticien, sujet éminemment sensible au niveau institutionnel.

De fait, toutes les patientes trouveront dans le groupe l’énergie pour une chirurgie réparatrice et elles dépasseront leurs appréhensions, notamment par rapport à la douleur.

Ainsi, une patiente de 63 ans, s’appuiera sur le témoignage d’une femme de deux ans son aînée, pour se dire que la chirurgie de reconstruction n’était pas seulement réservée aux plus jeunes. Un document vidéo, disponible sur le site d’information pour patients du centre François-Baclesse, montre bien aussi la part des identifications latérales entre participantes, jusque dans des réactions transférentielles de type mère–fille, qui pourront aussi être parlées dans le groupe.

Ce groupe « formidable », en termes de dynamisme et de solidarité, pourrait néanmoins illustrer, à une période, ce que Anzieu a défini sous le concept d’illusion groupale [1], avec des déclarations de bien-être ensemble, avec de bons anima- teurs, mais aussi des manifestations de toute-puissance et d’attaques du cadre. Assez rapidement, un certain nombre de participantes prirent l’habitude de se voir à l’extérieur, ce contre quoi nous ne nous sentions pas prêts à nous opposer, mais pour lequel nous sollicitions un minimum de restitution. Nous dûmes refuser une invitation à l’une de leurs sorties au restaurant et rattraper « par la manche » l’infir- mière qui, naïvement, avait presque donné son accord.

Comme l’une des participantes, très résiliente, s’était trouvée une activité indépendante de représentante en sous- vêtements féminins adaptés à la mammectomie, nous avons été obligés de batailler, pour empêcher que certains débuts ou fins de groupe prennent une allure de réunion « Tupper- ware ». Mais la plus grande difficulté à laquelle nous serons confrontés sera la rechute ganglionnaire et cutanée de l’une des participantes, de surcroît récusée pour sa reconstruction mammaire. À la rentrée, celle-ci n’admettra pas l’idée, comme cela avait pu se passer bien antérieurement, pour une malade en récidive métastatique de son cancer du poumon, et tel qu’énoncé au départ, d’avoir à changer de groupe. Les liens établis dans le groupe, et à l’extérieur, étaient très forts et comme elle nous le fera remarquer, c’était justement dans ces moments difficiles qu’elle avait le plus besoin des autres. Contrariée, elle activera son réseau groupal et les anciennes feront pression pour la réintégrer, ce, en contradiction avec le cadre préalablement posé et pourtant rappelé ; comme quoi, notre dispositif, avec deux

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groupes distincts, ne réglait pas tous les problèmes ! Mais cette fois, après avoir recueilli l’accord (contraint ?) des nou- velles participantes et après avoir pris des avis auprès de collègues et des cancérologues, nous ferons le choix de la patiente…pour ne pas voir exploser le groupe. Ce dernier cycle, d’octobre 2009 à janvier 2010, permettra certes à deux dernières patientes de réaliser leur reconstruction mammaire et de boucler les choses. Mais cette période centrée sur le soutien de la patiente en rechute, pleine d’angoisse et d’amertume, conduira le groupe, confronté à l’impuissance, à une certaine désillusion. Il était convenu, de longue date, que la majorité arrêterait leur participation après avoir accompagné les dernières reconstructions mammaires. Ce climat anxiogène et les incertitudes sur la composition du groupe futur, nous freineront, nous-mêmes, pour recruter de nouvelles malades. Nous nous trouverons contraints de fermer provisoirement le groupe, ce, au moment même où les chirurgiens oncoplasticiens du CRLCC affirmaient publi- quement, dans une FMC, que les groupes de parole devaient faire partie du parcours des femmes candidates à une chirur- gie réparatrice. Mais comme eux-mêmes n’avaient pas, à l’époque, encore mis leurs actes en adéquation avec leurs discours, la situation resta en suspens… Dans l’immédiat, nous attendons les indications et les adresses, car nous ne souhaitons plus être le seul à repérer les patientes et à susciter la demande.

Signalons que toutes les participantes de ce dernier groupe, à une exception près, soit neuf femmes, continuent à se fréquenter à l’extérieur, pour des sorties ou des activités physiques et sportives, et que cela constitue sans doute un soutien précieux, surtout pour celles dont la santé physique et/ou l’état moral sont précaires. En juin 2010, huit d’entre elles, au milieu de dix mille autres femmes, ont participé à la Rochambelle, course à pied et/ou randonnée pédestre de cinq kilomètres, au choix, inscrite au programme des Foulées de la Liberté, organisées chaque année à Caen ; les bénéfices de cette manifestation populaire étant reversés à des associations engagées dans le soutien aux femmes touchées par un cancer ou bien dans le dépistage du cancer du sein : tout un symbole !

Le groupe de malades les plus graves, avec des métastases de divers cancers primitifs (sein, poumon, pancréas) s’est struc- turé plus rapidement, à partir de février 2006, autour d’un noyau de quatre à cinq personnes, toutes des femmes, très assidues, à une réunion mensuelle ; les deux seuls hommes qui apparaîtront ne reviendront pas après une première séance où ils avaient pourtant pu être écoutés avec attention dans leur détresse. À chaque fois, les aggravations et les décès ont pu être évoqués au sein du groupe. Les participantes n’ont pas été atterrées, chacune pouvant continuer à se dire « que chaque cas est différent et qu’il est possible de mener une vie active et féconde, même

avec un pronostic dit fatal ! » [21] ; observation que nous partageons cette fois avec Surugue et Lecourt, mais seule- ment dans ce contexte particulier de la rechute. Ce groupe existe toujours aujourd’hui, avec cinq patientes régulières, dont deux pourraient être considérées, après quatre ans, comme de « longues survivantes ». Dans ce contexte, les thématiques abordées concernent les examens, les traite- ments, leurs effets secondaires et leurs séquelles, la douleur, les rechutes récurrentes et les angoisses qui les accompa- gnent, ainsi que l’hôpital et la relation médecin–malade.

Les questions existentielles autour de la fin de vie et de la mort peuvent être abordées, avec émotion, mais sans déstabilisation durable, comme l’avaient souligné Spiegel et al. sous le terme de « detoxify dying ! » [18] Une patiente, décédée en août 2009, après trois années de participation au groupe, pourra confier, à l’hôpital, quelques heures avant de mourir « qu’elle était lasse, mais qu’elle était prête, ayant réglé les problèmes de son passé et pu envisager l’avenir de son mari et de ses deux fils ! » Elle avait aussi rédigé une lettre à l’intention du groupe, pour dire « combien les échanges et les liens au sein du groupe lui avaient apporté et l’avaient soutenue ! » La dynamique de groupe, avec des séances pas- sées un rythme bimensuel, à la demande des participantes, depuis septembre 2008, permet en effet de revenir sur des problématiques personnelles, parfois traumatiques, sur des difficultés familiales actuelles ou anciennes, bien au-delà des questions d’ordre médical. C’est souvent là que surgit la question du sens de la maladie, qu’il est fondamental d’entendre, sans pour autant l’accréditer. Les associations libres s’enrichissent des identifications conscientes et inconscientes et chacun s’enrichit de l’expérience de l’autre, pour y puiser des capacités de résistance : « Quelle que soit l’issue, je ne vois plus la vie de la même manière, je me sens plus sereine ! » En dehors même des séances, l’objet groupe semble investi comme un espace privilégié, conservant une place importante dans leur vie fantasmatique. Il s’est établi un appareil psychique groupal, au sens de Kaës [10].

Quelques tentatives pour se retrouver à l’extérieur, entre elles, hors notre présence, notamment pour marcher, et que nous avions interprétées, un temps, comme un désir de pas- ser à autre chose que parler, voire à mettre un terme à leur participation, n’ont, jusqu’alors, pas véritablement abouti.

La Ligue contre le cancer serait disposée à proposer des activités, de type groupe de convivialité, distinctes de nos groupes de parole, mais la difficulté réside souvent dans la densité du planning des malades, très occupés par les exa- mens, les consultations et les traitements. Comme institué dorénavant, à la fin de chaque cycle de huit séances, nous questionnons les participantes sur leurs intentions et nous les prévenons que, de toute manière, la Ligue contre le cancer leur adressera un courrier, pour leur proposer de revenir, et que nous ne pourrons fonctionner qu’avec au moins quatre personnes inscrites.

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Quelques réflexions et quelques

recommandations en guise de conclusion [15]

Les groupes de parole ouverts aux patients atteints de cancers constituent un outil thérapeutique indiqué pour des personnes souhaitant partager des expériences et des émotions liées à leur maladie. Ils s’offriraient ainsi comme espace de « suppléance », dans une période de fragilisation des étayages primaires, conduisant à l’isolement et à la vulnérabilité face aux « accidents de la vie » [2]. Cependant, on ne peut être que frappé par le décalage entre une certaine attente sociale (« On voudrait des groupes de parole ! ») et le peu d’empressement à y venir et à y rester, comme si la crise était inexorable.

Dans le contexte cancérologique, où une majorité de malades remettent leur vie entre les mains de l’oncologue, l’indication et les encouragements de ce dernier, pour les soutenir dans leur démarche psycho-oncologique, restent primordiaux. Des réflexes simples, comme pouvoir repérer les patients à la fois soucieux des autres et doués de certai- nes capacités de verbalisation, pourraient les amener facilement à proposer la participation à un groupe de parole ; le psychologue, se chargeant, lors d’un entretien préliminaire, d’en présenter le fonctionnement, pour finali- ser, ou non, l’intégration, en fonction de la demande et de la personnalité du malade.

Les associations libres ouvrent à une élaboration psy- chique, qui, dans les groupes, se trouve intensifiée par l’effet des interactions entre participants. C’est cette articulation entre l’intersubjectif et l’intrapsychique (identifications, puis individualisation), qui peut faciliter et accélérer l’élaboration de la crise existentielle et des conflits révélés par la maladie grave et ses traitements lourds ; le groupe pou- vant s’offrir comme source d’étayage pour le Moi individuel et même assurer, a contrario des craintes supposées, une fonction de pare-excitation face au réel potentiellement traumatique. Il y a, chez l’animateur, ce souci permanent d’assurer la fluidité des échanges, en garantissant à la fois l’intégrité de chacun (prévenir les effets de masse et de conta- gion anxieuse) et en même temps veiller à la cohésion, voire à la pérennité, du groupe. Cela constitue une tâche prenante, parfois épuisante. Comme le formulait déjà Trenkel [22], à propos de l’anxiété de l’animateur de groupes Balint :

« Chaque séance groupale représente pour lui un mouvement vers l’inconnu et l’incertain ! »

Quand les difficultés sont trop importantes, il faut savoir aménager et parfois même suspendre ou arrêter un groupe ; d’une certaine manière, pouvoir distinguer « demande du psychologue et demandes de psychologue », comme l’avait proposé Pucheu [16]. Mais, il n’est pas toujours facile, surtout pour un jeune psychologue, de pouvoir résister à cer- taines injonctions ou instrumentalisations, surtout quand son

statut est précaire. C’est là que des échanges réguliers avec des collègues expérimentés, ou mieux une supervision, apparaissent utiles voire indispensables.

Nous avons élaboré notre dispositif au fur et à mesure des expériences, par des aménagements successifs du cadre, pour parvenir à un mode de fonctionnement, qui, pour l’instant, nous convient et correspond au contexte dans le lequel nous intervenons :

nous maintenons l’idée de distinguer différents groupes, considérant la gravité de la maladie des patients. Notre césure métastatique/non métastatique, qui repose sur le modèle d’évolution des cancers du sein, n’est sans doute pas parfaite, ni totalement opérationnelle, mais elle nous semble correspondre à une prise en compte de probléma- tiques différentes, en termes de préoccupations existen- tielles, d’attentes dans les échanges et de respect des mécanismes de défense ;

lintégration d’un nouveau participant nous semblerait nous devoir se faire, qu’à partir du moment où il a déjà une expérience, même initiale, du traitement, ce afin de ne pas se trouver envahi et inquiété, à l’avance, par les représentations des autres ;

le cadre de groupe limité dans le temps, avec possibilité de continuer pour un nouveau cycle, permet d’évaluer la demande des patients et de mieux les soutenir dans leur engagement de participation. Des périodes de quatre mois, à un rythme bihebdomadaire, sollicitent un travail soutenu, avec la possibilité pour chacun de quitter, contrat respecté, sans épuisement ou culpabilité ; elles permettent de surcroît d’accueillir de nouveaux participants dans des délais raisonnables ; la fermeture après les deux premières séances, jusqu’au terme du cycle, favorisant la dynamique du groupe ;

une coanimation « psy » - somaticien (médecin ou infir- mière) nous est toujours apparue intéressante, pour pren- dre en compte la réalité de la maladie. À l’extérieur de l’hôpital, et pour mieux le symboliser, nous collaborons avec des bénévoles de la Ligue contre le cancer ; la diffi- culté résiderait plus dans leur statut, qui ne les contraint pas à l’assiduité, que dans leurs qualités humaines et leur positionnement dans les groupes.

En ce qui concerne, la spécificité des groupes s’adressant à des femmes traitées pour un cancer du sein, pour certaines dans une dynamique de reconstruction mammaire, l’apport technique d’un médecin (ou d’une infirmière), spécialisé(e) en chirurgie permet de répondre aux attentes des participan- tes et de dégager le « psy » des contingences de la maladie, dans ses aspects de réalité.

Ces quelques recommandations ne prétendront pas s’ériger comme modèle, mais plutôt comme base de discussion, pour réfléchir, ensemble, à la mise en place et à la poursuite de groupes de patients en cancérologie. Certaines d’entre

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elles ont néanmoins été intégrées dans le référentiel et les recommandations du groupe de travail « Dépression et cancer du sein » de Nice-Saint-Paul-de-Vence, en 2009, au titre d’accord d’experts [3].

Conflit d’intérêt :l’auteur déclare ne pas avoir de conflit d’intérêt.

Références

1. Anzieu D (1975) Le groupe et linconscient. Limaginaire groupal.

Dunod, Paris

2. Blondeau S (2003) Lère des groupes ? Une mise en perspective de l’invention des groupes de suppléance. Rev Fr Psycho-oncol 2(1-2): 3–6, Springer, Paris

3. Dauchy S, Barruel F, Dolbeault S, et al (2009) Dépression et cancer du sein. In : Recommandations pour la pratique clinique : Nice-Saint-Paul-de-Vence 2009, « cancers du sein » et « soins de support » Oncologie Partie II— Soins de support. Oncologie 11(12):74771, Springer, Paris

4. Dolbeault S, Cayrou S, Viala AL (2003) Les groupes psycho- éducationnels : un modèle éducatif pour les patients atteints de cancer. Rev Fr Psycho-oncol 2(4):15560

5. Dolbeault S, Cayrou S, Brédart A, et al (2009) The effectiveness of a psychoeducational group after early breast cancer treatment:

results of a randomized french study. Psychooncology 18(6):64756

6. Dolbeault S, Machavoine JL (2005) Place et intérêt des approches groupales en psycho-oncologie In : Psychothérapies en oncologie.

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7. Fawzy, FI, Fawzy NW, Hyun CS, et al (1993) Malignant mela- noma. Effects of an early structured psychiatric intervention, coping, and affective state on recurrence and Survival 6-year later. Arch Gen Psychiatry 50(9):6819

8. Genot JY, Machavoine JL (2002), Place des groupes en psycho- oncologie. Revue Francophone de Psycho-oncologie 2(34) : 49, Springer, Paris

9. Goodwin PJ, Leszcz M, Ennis M, et al (2001) The effect of group psychosocial support on survival in metastatic breast cancer N Engl J Med 345(24):171926

10. Kaës R (1976) Lappareil psychique groupal. Dunod, Paris 11. Kissane DW, Grabsch B, Clarke DM, et al (2007) Supportive-

expressive group therapy for women with metastatic breast cancer: survival and psychosocial outcome from a randomized controlled trial. Psychooncology 16(4):27786

12. Machavoine JL (1998) SOMPS : groupes psychothérapiques pour patients atteints de maladie cancéreuse. Bull Soc Fr Psycho-oncol 18:6

13. Machavoine JL, Labarre N, Simonet M (2000) Besoins partagés, demandes exprimées : expérience dun groupe de soutien psycho- thérapique dans un centre de lutte contre le cancer. Actes du 16eCongrès de la SPFO, Chapitre 6:3436, éds Dick, Paris 14. Machavoine JL, Prével MC, et al (2006). Support group for

women with breast or gynecologic cancer: psychosocial and psychodynamic analysis. IPOS Venice Italy. Abstract in Psychooncology 15 (S2).

15. Machavoine JL (2009) Patients Groups in Oncology : many experiences for some recommendations. IPOS Vienna. Austria, Abstract Book S 1.6.2

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19. Spiegel D, Bloom JR, Kaemer HC, et al (1989) Effect of psycho- social treatment on survival of patients with metastatic breast cancer. Lancet 2(8668):88891

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22. Trenkel A (1991) Lanxiété dans le vécu de lanimateur. Rev Med Psychosom 26:4356

23. Zarifian E (1999) La parole perdue. Carnet Psy, Cazaubon 42:1

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