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Article pp.73-92 du Vol.4 n°1 (2006)

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multimédias au sein du campus numérique CampusCultura

Une approche ethnographique

Serge Pouts-Lajus — Elisa Leccia

Education & Territoires 47, rue Meslay

F-75003 Paris

spl@education-territoires.com

RÉSUMÉ. Le Cned et ses partenaires (l’université d’Aix-Marseille et la société Cybéosphère) ont conçu et mis en œuvre le campus numérique CampusCultura. Au cours de la diffusion, une étude dite d’évaluation formative a été commandée à la société Education & Territoires.

L’étude comporte deux volets. Un premier volet vise à analyser le processus de production des ressources numériques mises à la disposition des étudiants sur la plate-forme de formation. Tous les acteurs du processus de production ont été interrogés : enseignants, auteurs, concepteurs multimédias et coordinateurs du dispositif. Un deuxième volet s’intéresse à la façon dont les étudiants ont reçu ces ressources mises à leur disposition.

ABSTRACT. Cned and its partners (University of Aix-Marseille, and the company Cybeosphère) have designed and implemented the digital campus “Campus Cultura”. In the course of the campus activity, the company “Education et Territoire”, was commissioned to carry out a

“formative assessment” study. The study is in two parts; the first one aims to analyse the process used for the production of digital resources put at the disposal of the students in a specific digital environment. All the actors involved in the production process have been interviewed : professors, authors, multimedia designers, and coordinators of the whole system. The second part deals with the way the students reacted to the resources offered to them.

MOTS-CLÉS : enseignement supérieur, production de cours multimédias, enseignement à distance.

KEYWORDS: higher education, production of multimedia courses, distance teaching and learning.

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Introduction

La création des « cours multimédias » a été marquée par les contraintes habituelles de la production numérique, notamment celle obligeant chaque auteur, expert du contenu, à collaborer avec un concepteur multimédia, mais également par les contraintes spécifiques de la plate-forme et par les orientations pédagogiques adoptées par l’équipe projet. Le processus de production a également été marqué par les importantes marges de manœuvre laissées aux tandems des créateurs pour s’organiser et partager les responsabilités dans la création des cours. Tous diffusés suivant le même protocole technique et dans le contexte d’une formation qualifiante strictement encadrée, les cours de CampusCultura n’en sont pas moins divers et hétérogènes que le sont les cours traditionnels de l’enseignement présentiel.

Un deuxième volet de l’étude vise à analyser comme les ressources multimédias ont été reçues, appréciées et concrètement « consommées » par les étudiants préparant la licence CMPC (conception et management de projets culturels) auxquels CampusCultura s’adresse. L’enquête s’appuie principalement sur une série d’entretiens avec 20 étudiants qui suivaient les cours de première année de la licence.

CampusCultura est perçu par les étudiants qui en sont les utilisateurs principaux comme un dispositif de formation efficace et pratique. La plate-forme est robuste sur le plan technique. C’est un lieu où les étudiants ont accès à des cours qu’ils jugent globalement bien faits, riches et variés. Les cours sont principalement exploités dans leur forme papier mais de façon non exclusive. Les éléments interactifs (animations et quiz) sont appréciés parce qu’ils offrent des voies d’accès différentes aux savoirs exposés et qu’ils concrétisent les intentions pédagogiques des enseignants. La plate- forme est également un lieu où les étudiants mettent en commun les multiples composantes de leur expérience individuelle d’apprentissage, dans ses aspects didactiques mais aussi dans ses dimensions plus psychologiques et plus personnelles.

L’article est extrait des deux rapports rédigés dans le cadre de cette mission. Il ne traite que de la production et de l’utilisation des ressources multimédias.

La multimédiatisation, un processus de négociation

Formellement, le processus de production des modules de CampusCultura est un processus de transformation. L’objet de départ est un cours. Plus précisément, c’est le cours d’un certain expert-enseignant, l’auteur, portant sur un certain sujet et faisant partie d’un dispositif universitaire particulier, la licence « conception et mise en œuvre de projets culturels ». Ce cours, dans sa forme initiale, est constitué de plusieurs composantes, variables selon les cas :

– un cours écrit, dans des formes éditoriales diverses : simple polycopié, ouvrage édité, lexique, fascicule d’enseignement par correspondance, cours déjà en ligne sur le Campus électronique® ;

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– un cours « parlé » généralement non enregistré mais auquel l’auteur peut se référer ;

– une expertise et une expérience professionnelle extra-universitaire, ainsi que les documents qui l’accompagnent, constituent pour les auteurs une ressource complémentaire dans laquelle ils puisent, en fonction des besoins, pour illustrer et nourrir leur enseignement.

Le processus de production vise à transformer cette matière hybride, partiellement matérialisée, en un nouvel objet : le cours multimédia. Même dans l’hypothèse où l’objet final serait totalement normalisé, ce qui est loin d’être le cas comme nous le verrons plus loin, l’hétérogénéité des objets de départ empêche l’automatisation du processus de transformation. Chaque cas doit être traité en propre, ce qui oblige les acteurs à s’adapter aux particularités de la situation et, par conséquent, à négocier entre eux pour s’accorder sur leurs perceptions respectives de ces particularités et sur la façon d’en tenir compte pour parvenir au résultat attendu.

La multimédiatisation, au sens où nous l’entendons ici, trouve sa place dans une succession d’étapes qui forment le processus global de production et peuvent être définies comme suit :

– phase de rédaction : formaliser le contenu de la formation dans un document rédigé ;

– phase de multimédiatisation : négocier le découpage et les formes à donner au contenu pour aboutir à la scénarisation du module en ligne (texte, animation, modèle de navigation, etc.) ;

– phase de validation : valider le module en ligne (contenu et forme) ;

– phase de production multimédia : produire les différents éléments multimédias du contenu (animations, quiz, roll-over, etc.) ;

– phase d’intégration : intégrer des différents éléments (multimédia et texte) à la plate-forme.

Au départ, les deux partenaires, l’auteur et le concepteur multimédia (concepteur 1 et concepteur 2 dans le lexique CampusCultura), ont un but commun : produire ensemble la version multimédia du cours existant. Les ingrédients de départ sont normalement connus. Lorsqu’ils ne le sont pas suffisamment, un intermédiaire est désigné pour y pourvoir. En revanche, l’objet final est, par nature, inconnu. Les partenaires en ont donc nécessairement des représentations différentes. Les raisons de ces hiatus ne manquent pas.

Les concepteurs multimédias disposent de nombreuses références qui leur permettent de raccrocher leur représentation du cours projeté à des exemples connus sur lesquels ils ont déjà travaillé ; ils maîtrisent les contraintes techniques ; leurs choix sont guidés par leur capacité à anticiper sur les questions de faisabilité et d’ergonomie.

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L’expérience de production de module multimédia est, pour tous les auteurs de CampusCultura, la première du genre ; ils n’ont pas de représentation de l’objet auquel le processus aboutira ou bien ils en ont une représentation erronée ; ils sont soucieux de préserver la validité scientifique et l’intégrité du contenu de leur cours ainsi que sa qualité pédagogique.

Dans la suite, nous décrirons comment la négociation a été vécue par les partenaires impliqués dans la production des 7 modules retenus et nous dégagerons de cette description un ensemble de questions qui nous seront apparues comme des questions sensibles, soit du point de vue de la négociation entre les partenaires co- producteurs, soit du point de vue de la qualité du produit final.

La place de l’auteur

Un cours est une œuvre de l’esprit. Dans la forme traditionnelle du cours oral délivré en présentiel, c’est une évidence. Que devient-elle lorsque le cours se matérialise, d’abord sous forme d’un polycopié, ensuite sous forme d’un module multimédia ? Le passage à l’imprimé, pratiqué depuis longtemps, en particulier dans l’enseignement par correspondance, ne pose pas de grandes difficultés ; le statut de l’auteur et ses droits y sont reconnus et protégés par une tradition et un solide appareillage juridique. Il en va autrement avec le multimédia. Nous laisserons ici de côté les questions juridiques pour nous concentrer sur la question du statut de l’œuvre, en nous plaçant du point de vue de son ou de ses auteurs.

L’organisation de CampusCultura prévoit d’associer l’auteur à un concepteur multimédia. Ces deux personnes ont un statut et des fonctions différentes ; mais rien ne dit qu’elles en aient la même représentation. Pour les conceptrices1 multimédias, l’expert-enseignant est l’un des concepteurs d’une nouvelle œuvre dont elles sont elles-mêmes co-conceptrices. Pour les autres conceptrices multimédias et pour la plupart des auteurs, le travail de conception multimédia est plus classiquement perçu comme un travail d’interprétation, de traduction, d’adaptation d’une œuvre d’un langage dans un autre. Dans ce cadre, les experts-enseignants ont le choix entre plusieurs attitudes possibles :

– ils peuvent considérer que, ne connaissant pas le langage dans lequel sera écrit la nouvelle œuvre, ils doivent faire une confiance aveugle dans la capacité des conceptrices multimédias à interpréter l’œuvre d’origine ;

– l’auteur peut se juger incompétent pour traduire lui-même son œuvre dans un langage qu’il ne maîtrise pas tout en se considérant apte à juger du résultat final ; c’est l’attitude d’une auteure qui s’estime « pas très satisfaite du travail qui a été fait » ;

1. Le féminin s’impose dans le cas présent puisque les quatre personnes chargées de la traduction multimédia des cours sont des femmes.

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– l’auteur peut considérer qu’il lui appartient de prendre lui-même les décisions éditoriales (par exemple concernant les animations, les quiz, le découpage, le type de scénario, etc.), d’orienter et de suivre de près le travail du concepteur.

La satisfaction des acteurs n’est pas une garantie pour la qualité du produit final.

La confiance aveugle de l’auteur à l’égard du concepteur multimédia accroît le risque de voir l’œuvre finale dénaturée. La tension qui existe ici, typique de toute traduction, entre la préservation de l’intégrité de l’œuvre d’origine, et la prise en compte des règles du langage cible, ne peut se résoudre que par une négociation entre l’auteur et son traducteur. En cas de désaccord persistant, la logique de la relation auteur-traducteur exige que le dernier mot revienne à l’auteur.

La granularité des contenus

La question de la granularité des contenus trouve sa source dans la technique mais aussi dans la pédagogie. La structure logique en arborescence, très prisée en informatique, favorise la représentation granulaire et hiérarchisée de l’information.

Les fonctions de plan dans les traitements de texte par exemple permettent de multiplier les niveaux hiérarchiques sans que le rédacteur s’y perde. Au contraire même, ces fonctions sont une aide puissante pour structurer une analyse.

Hiérarchiser conduit à réduire le volume informatif de chaque niveau, c’est-à-dire à granulariser. Mais la granularisation est également inscrite dans la tradition d’une école pédagogique, le behaviorisme dont l’une des idées fondatrices consiste à découper les savoirs à acquérir en éléments simples, logiquement reliés les uns aux autres, et qui seront proposés un à un à l’élève, leur acquisition étant contrôlée à chaque étape.

La granularisation est un vieux problème de la pédagogie. L’informatique l’encourage et les pédagogues qui la contestaient sur la base de considérations psycho-cognitives ont toutes les raisons de continuer à le faire. On trouve la trace de ces controverses chez les auteurs de CampusCultura, ce qui est plutôt bon signe quant à la qualité du travail réalisé.

On ne doit pas s’étonner par ailleurs que le débat sur les options pédagogiques recouvre un débat générationnel. Pour certains jeunes enseignants, la multimédiatisation est aussi l’occasion de remettre en cause les pratiques et les idées des aînés.

« On perd beaucoup de la cohérence du propos en découpant le cours en courtes pages. Il y a des idées qui demandent des développements ; il ne convient pas de les couper. Cela tue l’esprit global du cours. On perd en continuité, en complexité. » Auteur

« Je pense qu’il y a une histoire de génération, je me sens peut être moins remis en question qu’un enseignant expérimenté lorsqu’il m’est demandé de découper mon cours. Chez certains, l’idée de vouloir mieux faire passer le cours a déclenché l’hostilité. Ils l’ont ressenti comme une intrusion pédagogique dans leur propre

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forme pédagogique. Pour ma part je me suis inspiré de la plate-forme de CybEO II pour redéfinir ma pédagogie. Ils ont apporté une méthodologie en terme d’apprentissage. En écrivant, j’avais le découpage en tête. Sinon, on a tendance à écrire pour se faire plaisir. On nous a donné des clés pour mieux appréhender notre propre cours. J’ai effectué la réécriture et la multimédiatisation simultanément. Ce travail m’a apporté dans ma pratique pédagogique et dans mon appropriation du cours vis-à-vis de l’étudiant. Je suis passé d’une écriture technique, du type thèse, à une écriture pédagogique. » Auteur

Le débat sur la granularité qui anime les pédagogues, expérimentés ou non, permet de résister à la pression que la numérisation des données exerce en faveur d’une granularité toujours plus fine. Essentiel, il mérite d’être maintenu ouvert. Les concepteurs multimédias sont d’ailleurs bien placés pour connaître les défauts de la granularisation sur le plan de l’ergonomie cognitive.

Le papier et l’écran

Les ressources multimédias peuvent être diffusées en ligne, via la plate-forme CybEO II, sous deux formes :

– affichage à l’écran de documents numérisés (par exemple sous forme de pages HTML) ;

– mise à disposition de fichiers (au format PDF) téléchargeables et que l’étudiant consulte à sa guise, hors-ligne, soit à l’écran, soit sous forme imprimée.

A partir de ces deux modalités de diffusion, toutes sortes de variation sont possibles :

– les modalités peuvent être panachées : les documents peuvent être systématiquement doublés dans les deux formes ou proposés alternativement dans une forme ou dans l’autre ;

– les affichages à l’écran peuvent être enrichis ou non de séquences d’animation ou de séquences interactives qui sont sans équivalents dans la forme papier ;

– les documents téléchargeables peuvent être livrés de multiples façons (perlés au rythme des apprentissages ou en une seule fois au début du cours).

Sur ces questions, les concepteurs de CampusCultura n’ont rien imposé, ni aux auteurs, ni aux concepteurs multimédias. Sans surprise, les approches et les solutions retenues ont été diverses. Trois grandes options se dégagent.

L’option « tout écran »

Cette option a la faveur des conceptrices multimédias qui voient là l’occasion d’aller au bout de la logique de l’enseignement en ligne. Mais elle attire aussi certains auteurs pour la même raison.

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« [l’auteure avec laquelle j’ai travaillé] faisait partie des rares auteurs qui voulaient que les élèves travaillent entièrement sur écran. D’ailleurs, dans un premier temps, nous n’avons pas explicitement abordé le sujet de la version papier de son cours ; nous l’avons seulement fait au lancement de CampusCultura. Ca m’allait comme ça, je trouvais dommage que les élèves ne profitent pas de toute la multimédiatisation. C’est notamment pour cela que je ne lui ai pas proposé d’intégrer de version téléchargeable de son cours. Idéalement, si une version texte est téléchargeable, il faut qu’elle intègre des renvois explicites aux animations présentes sur la plate-forme. Je partais de l’idée que CampusCultura était un projet pilote pour le CNED et pour nous. Si le CNED se lançait dans ce type de projet, il me semblait dommage de ne pas pousser la logique de l’enseignement en ligne jusqu’au bout, au moins pendant la première année. Il me paraissait dommage de dépenser tous ces sous pour que les étudiants se connectent 5 minutes à la plate-forme. Je suis donc partie du principe que si on ne me demandait pas de papier, je n’en proposais pas. » Conceptrice multimédia

« J’ai conçu mon cours pour qu’il puisse être intégralement étudié en ligne. » Auteur

Cette option se heurte à une difficulté de taille : les étudiants semblent la rejeter ; c’est du moins ce que constatent des enseignants. Beaucoup d’étudiants réclament que la version écran soit doublée par une version papier. Même lorsqu’elle les choque ou qu’ils ne la comprennent pas, les enseignants et les concepteurs acceptent de répondre à cette demande.

« L’intégralité du cours est téléchargeable au format PDF bien que l’étudiant n’en ait normalement pas besoin. » Auteur

« Lors du regroupement de septembre, les élèves m’ont demandé une version imprimée de mon cours. J’étais surprise, je pensais que les choses étaient claires à ce sujet. Pour moi, il ne doit pas y avoir de version papier du cours.» Auteur

« Tous les étudiants nous ont demandé du papier, j’ai donc été dans ce sens tout en regrettant que nous ne trouvions pas une solution plus intelligente, comme celle du cédérom par exemple. » Auteur

Le papier, double de l’écran

L’un des auteurs interrogés a anticipé la demande des étudiants. Il a donc choisi d’intégrer d’emblée l’option de téléchargement du cours. Le module multimédia est conçu à partir d’un cours papier existant dont il est le double sur écran. Le cours dans ces deux formes est proposé simultanément aux étudiants qui sont invités à trouver par eux-mêmes, selon leurs goûts et les circonstances, des modalités d’usages complémentaires.

« La possibilité de télécharger le support papier nous paraissait indispensable. Au début, CybEO II y était totalement opposé, le CNED aussi,

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il a fallu se battre. Nos élèves n’ont que très rarement des machines performantes, la connexion est lente, ils ne peuvent pas toujours rester connectés, ça leur coûterait trop cher. De plus, la lecture à l’écran est fatigante. Et puis, nous savons bien que les processus et les temps d’apprentissage varient d’un élève à l’autre. Certains ont besoin de noter, de lire, de relire, de mettre du marqueur, d’autres apprennent mieux en écoutant, etc. » Auteur

Cette position ne diffère pas radicalement de la précédente au sens où la solution du doublage des modalités de diffusion ‘affichage écran – texte téléchargeable’ reste une solution de pis-aller : si les étudiants avaient la possibilité de rester connectés aussi longtemps qu’ils le souhaitent ou bien s’ils ne se fatiguaient pas tant à lire à l’écran, alors la formule du tout écran exclusif redeviendrait possible et, même peut- être la meilleure.

Papier et écran complémentaires

Deux auteurs ont opté pour une solution de complémentarité des modes de diffusion du cours. Cette solution, fondée sur des considérations pédagogiques, leur a en partie été suggérée par une conceptrice multimédia :

« Au début, ils ne savaient pas comment s’y prendre pour multimédiatiser le cours [de l’auteur]. C’est un cours particulièrement dense et important.

Quand j’ai vu la taille du document papier, je leur ai tout de suite dit qu’il n’était pas envisageable de le mettre en ligne dans son intégralité. De là est née l’idée de proposer une lecture particulière du cours papier. Comme je travaille dans le cédérom, il y a des choses que je sais. » Conceptrice multimédia

L’idée finalement adoptée consiste à faire du module multimédia une interprétation du cours papier qui ne soit pas une traduction ou une transcription mais véritablement une variation, une autre lecture qui ne recouvre ni ne remplace le cours papier. Cette démarche suppose un découpage du cours permettant une sélection de certains éléments, avec une part d’arbitraire assumée ainsi que le risque de provoquer des frustrations chez l’étudiant.

« Nous proposons ainsi une seconde lecture du cours, une lecture active qui vient croiser, compléter le cours papier. Il s’agit de passer d’une lecture passive à l’appropriation du cours. » Auteur

« Il y a 160 pages de cours. Comme [l’auteur] dit souvent, nous en avons fait des confettis. Nous avons charcuté son cours, découpé, redécoupé, coupé encore. Nous effectuons des choix très arbitraires, ce pourquoi nous insistons beaucoup sur l’importance du cours papier. Pour le cours papier, on ne sait pas encore vraiment comment ça va se passer, soit il sera envoyé par la poste dans son intégralité, soit il sera à télécharger, l’élève devra l’imprimer. Dans notre cours, nous mentionnons explicitement : « ce que vous lisez là est un découpage arbitraire, nous abordons des thématiques

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mais il vous faut lire le cours papier pour appréhender la totalité du cours ».

[…] Afin d’inciter les élèves à se référer au cours de [l’auteur], nous évoquons des concepts sans les développer, nous restons volontairement abscons. » Auteur

Les animations et les quiz

La question de la place des animations et des quiz dans les ressources multimédias recoupe les questions de granularité des cours et de complémentarité écran/papier. On peut défendre l’idée selon laquelle les animations et les quiz présentent des avantages pédagogiques propres. Une animation interactive aide à présenter des notions complexes de façon condensée, claire et attractive pour l’étudiant. De même, les quiz permettent à l’étudiant de tester ses connaissances à chaud, d’éprouver lui-même ce qu’il sait ou ce qu’il a retenu d’un cours, hors du contexte éprouvant qui peut être celui du devoir sur table ou de l’examen. Par ailleurs, les animations et les quiz sont des composantes du cours multimédia sans équivalent sur le papier. Leur contribution à la pédagogie représente donc un apport net. Enfin, les concepteurs sont invités à exploiter les possibilités offertes par la plate-forme, faute de quoi, leur dit-on, les investissements auraient été consentis en pure perte.

Toutes ces raisons qui sont exprimées de façon plus ou moins explicite par les auteurs, les concepteurs et les managers du projet ne sont pas de valeur égale. On peut être tenté de penser que l’argument pédagogique est le plus élevé et celui sur la justification des investissements le plus faible. Mais ce n’est pas si simple. Aucun des auteurs et peu de concepteurs ne peuvent se prévaloir de solides références pédagogiques dans le domaine des animations et des quiz. Certains font confiance aux spécialistes qui leur attribuent un potentiel pédagogique important, d’autres sont sceptiques. Dans les deux cas, le jugement repose sur une intuition bien plus que sur une preuve scientifiquement établie.

« Pour moi, les animations mettent l’accent sur un point du cours. Je n’étais pas toujours d’accord avec les concepts que [les conceptrices multimédias] avaient choisi de souligner mais j’avais cette idée que quelqu’un d’extérieur voyait peut être mieux les besoins, ce qui paraît important à retenir. Par conséquent, je n’ai pas eu de problème avec leurs choix. Je les ai laissé faire en me disant que si c’était ça qui leur paraissait important, c’était peut être vrai. Il est vrai que je trouve la fin un peu trop riche en animations par rapport au contenu mais bon… » Auteur

« Les animations ne me paraissent pas essentielles, ça n’a pas beaucoup d’intérêt de jouer le jeu. La juxtaposition des contenus est juste une manière d’animer, ce n’est pas pertinent. […] Les animations perturbent plus qu’elles n’aident. […] Le cours qui nous était donné en exemple était plein de zigouigouis, je ne suis pas du tout en accord avec cette approche. » Auteur

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A propos des quiz, on observe la même fracture entre les enseignants qui pensent qu’il s’agit là d’une forme régressive d’apprentissage (très prisée par l’école behavioriste qui a inspiré les premières générations de logiciels d’auto- apprentissage) et ceux qui leur trouvent des qualités propres.

« Je suis une anti-quiz primaire. Les notions sont toujours plus complexes que ce que les quiz laissent penser. La mémorisation d’un ou trois mots est sans intérêt. Je suis pour la formation de l’esprit. Avec les quiz, l’étudiant peut avoir l’impression de savoir alors qu’à la limite, c’est la formation de l’esprit qui est en jeu. A la rigueur, si je faisais un cours d’histoire de l’art, je pourrais utiliser ce type d’exercice mais là, vraiment, non. » Auteur

« Pour l’instant, il manque des quiz dans mon cours, c’est un vrai problème car ils sont partie intégrante de ma pédagogie. Pour moi, ils remplacent les moments où l’enseignant « remet le couvert » dans le cadre d’un cours magistral. Les quiz synthétisent l’information, ils sont donc plus directs, ils mettent vraiment l’accent sur les fondamentaux. » Auteur

Qu’il s’agisse des animations ou des quiz, la voix de la raison et le refus des réactions primaires, ramènent à un principe de bon sens : ne méritent d’être produites que les animations et les quiz répondant à un impératif pédagogique explicite. Cette position exclut les animations dont le seul but serait de distraire, de « faire joli » de rompre la monotonie du texte, ce que l’une des auteurs appelle les « zigouigouis »…

Mais les choses ne sont pas si simples. Qui oserait prétendre que cette règle de bon sens est toujours appliquée dans le domaine de l’imprimé ? N’est-il pas agréable qu’un texte soit agrémenté d’illustrations, d’images qui en rendent la lecture ou la consultation plus agréable même si leur présence n’est pas absolument nécessaire à la compréhension ? Dans le domaine du multimédia, les possibilités d’illustrations existent, elles sont peu coûteuses et font partie, plus encore que dans le domaine de l’imprimé, des pratiques courantes. S’y conformer n’est pas absurde. Les arguments des responsables du projet disant en substance aux auteurs : « nous nous sommes donnés la peine de produire des outils d’animation et de quiz, alors, servez-vous en… » sont en définitive recevables, même si, d’un certain point de vue, ils choquent le pédagogue soucieux de s’en tenir à ce qui est réellement utile et efficace.

La production des 7 modules a été l’occasion, nous semble-t-il de progrès dans la réflexion et la pratique à propos des animations et des quiz au sein de CampusCultura. A partir de positions de départ parfois simplistes, auteurs et concepteurs ont parfois réussi à évoluer et à acquérir une expérience. Les témoignages suivants en sont une bonne illustration.

« Au début, nous avons trouvé que CybEO II nous tirait vers le bas avec ses animations. Aujourd’hui nous sommes capables d’en voir l’intérêt mais il faut que ce soit adapté à nos contenus, ça les oblige eux aussi à réfléchir […] Les animations ne doivent pas avoir vocation à illustrer. Elles doivent être un moyen plus efficace de faire comprendre certains concepts, elles ne conviennent pas à tout. Elles peuvent avoir une véritable valeur ajoutée en

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terme de compréhension. Par exemple, je dois expliquer le sens de lecture d’un document. Avec une animation, cela devient extrêmement simple à comprendre et à expliquer alors que ça m’aurait demandé d’écrire une page entière. » Auteur

« Au départ, nous n’étions pas très chauds. Nous pensions : ‘c’est un cours costaud, quel intérêt y a-t-il à mettre un bonhomme au milieu ? ’. Il faut que les animations restent sobres, en cela celles de CybEO II nous conviennent. Il ne faut pas que les animations altèrent la complexité du propos. Il y a un risque de simplification qui nous faisait peur mais une animation comme le schéma déroulant permet une adéquation entre le fond et la forme. […] Les animations ont pour principal intérêt de désacraliser la complexité du texte mais il faut être prudent car ça ne marche pas pour tout.

L’écran réactive mais il est indispensable de lire le cours. » Auteur

Pour les étudiants, la technique n’est plus un obstacle

Nous avons interrogé tous les étudiants sur les modalités pratiques de leur accès à la plate-forme. Un premier constat s’impose : la technique n’est mentionnée par aucun d’entre eux comme un obstacle à l’usage. Certes, des difficultés techniques sont signalées, comme par exemple celles rencontrées par les utilisateurs d’ordinateurs Apple, mais elles sont toujours circonstanciées ou ponctuelles. Dans tous les cas, les étudiants les contournent ou s’en accommodent aisément. Lorsqu’un service n’est pas disponible un jour il l’est le lendemain. Les devoirs qui ne peuvent être envoyés sur la plate-forme depuis un Mac peuvent l’être par mail à l’enseignant ou même à partir du PC d’un ami ou sur le lieu de travail. Qu’ils aient accès par RTC ou ADSL, l’usage est vécu, sur le plan technique, comme globalement « sans problème ».

« J’ai un PC personnel, j’étais connectée en haut débit au début de la formation et depuis mon déménagement, je suis en analogique. J’aurais pu installer une connexion haut débit mais je n’en ai pas ressenti le besoin, ça marche vraiment bien. Je n’ai rencontré aucun problème technique, je trouve le graphisme très bien, la navigation est intuitive. » F, 25 ans

La consultation des messages sur les forums montre que ce constat, établi sur la base de 20 entretiens, devrait pouvoir être élargi à l’ensemble des étudiants de licence. Les difficultés techniques signalées par des messages postés sur le forum sont presque toujours résolues en ligne grâce aux conseils apportés par les étudiants, les tuteurs et surtout le responsable des formations du Cned. Le satisfecit sur la technique porte tout autant sur l’accès lui-même que sur l’ergonomie des applications, considérées comme faciles à apprendre et à utiliser (intuitives).

Les TIC, dans le domaine de la formation en ligne, semblent donc enfin tenir leurs promesses. Cette nouveauté qui ne concerne pas seulement CampusCultura et pas seulement la formation en ligne, s’explique par la conjonction d’au moins trois facteurs :

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– l’amélioration générale de la fiabilité des technologies de communication, celle des serveurs en général et celle en particulier des plates-formes de formation à distance ;

– la multiplication des points d’accès à des connexions permanentes à haut débit, dans les entreprises et chez les particuliers ;

– la familiarité plus grande des usagers avec les TIC.

Ce dernier facteur est sans doute le plus important. La densité d’individus compétents, ou du moins expérimentés, en informatique a augmenté dans de telles proportions que l’utilisateur néophyte peut, de plus en plus facilement, trouver dans son environnement proche, par le réseau ou sans lui, une aide efficace pour résoudre les problèmes techniques qu’il rencontre.

La satisfaction générale des usagers n’interdit pas les critiques sur des points particuliers. Celles adressées à la plate-forme portent principalement sur le manque de visibilité de certaines fonctionnalités : soit que leur existence est découverte tardivement ou par hasard, soit que leurs règles de fonctionnement ou les options disponibles ne sont pas suffisamment explicites. Les étudiants regrettent l’absence d’un guide d’utilisation, d’un mode d’emploi complet de la plate-forme.

La première étude avait permis d’analyser de quelle façon les auteurs-experts, les concepteurs multimédias, mais également les concepteurs de la plate-forme et du dispositif d’ensemble en détails anticipaient la pratique des cours par les étudiants.

Dans un premier temps, deux tendances s’étaient manifestées : l’une en faveur d’une consultation principale des cours sur écran, l’autre en faveur d’une combinaison de consultations écran et papier. Les premiers retours d’usages apportaient aux partisans de la seconde solution un argument décisif : les étudiants réclamaient des cours imprimables et semblaient rejeter la consultation exclusive sur écran. Sur ce point, l’enquête auprès des étudiants se devait d’être particulièrement éclairante.

Celle que nous avons réalisée confirme la préférence des étudiants pour la consultation des cours sur papier, mais avec des éclairages, des justifications et des nuances importantes.

Téléchargement et impression des cours

Tous les étudiants déclarent avoir téléchargé et imprimé des cours. La plupart d’entre eux l’ont fait en début de cursus, depuis leur domicile ou, pour ceux qui en avaient la possibilité, depuis leur lieu de travail, compte tenu du volume important de texte à imprimer et du fait que les imprimantes personnelles des étudiants sont plutôt des imprimantes à jet d’encre, lentes et coûteuses à l’usage. La disponibilité des cours en téléchargement est considérée comme normale et souhaitable par tous les étudiants interrogés, à l’exception d’une seule qui se demande, à la réflexion, s’il est normal que l’impression des cours soit à la charge du client.

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« Au début, je me suis dit : c’est cool le Cned, on peut télécharger les cours. Aujourd’hui, je me dis qu’ils auraient du nous les envoyer imprimés. » Etudiante, 32 ans

Dans ce paysage, deux UE se distinguent : l’UE4 (étude des publics) et l’UE5 (techniques d’écriture). L’UE4 fait partie de celles que les auteurs avaient conçues pour être entièrement consultées à l’écran. Chaque page HTML dont était constitué le cours pouvait être indépendamment téléchargée et imprimée mais, contrairement aux autres UE, rien n’était prévu pour le téléchargement de l’ensemble du cours ou des chapitres. La plupart des étudiants interrogés signalent l’UE4 comme un cas particulier d’une UE dont le téléchargement est « difficile » ou « non prévu ». Ils perçoivent cette particularité comme un manque, une lacune qu’ils parviennent à compenser en imprimant chaque page écran ou en faisant des copier/coller des pages écran dans un fichier texte. Ils ne la perçoivent jamais comme une volonté ou une intention pédagogique des auteurs. Certes les étudiants qui se sont donné la peine de composer le cours dans un fichier texte l’ont mis en ligne à la disposition des autres.

« L’UE4, il n’y a pas de cours téléchargeable, il faut copier/coller tout ça. […] J’ai refait la présentation, je me suis fait mon propre doc avec des choses à la main (les contenus des bulles dans les animations).» Etudiante, 26 ans

Certains étudiants ont choisi d’étudier l’UE5 en ligne, sans télécharger ni imprimer le texte. Pour justifier cette exception dans la consultation des cours, ils évoquent le caractère « facile » ou pratique du contenu ainsi que l’interactivité du cours matérialisée par la présence de nombreuses animations.

« De manière générale, j’évite de consulter en ligne mais pour l’UE5, comme il s’agit d’un cours interactif, il aurait été dommage de ne pas le consulter en ligne. C’est la seule UE où le média est vraiment bien utilisé. Je n’ai pas imprimé l’UE5, l’interactivité fonctionnait bien, je ne sais même pas comment est la version papier. » Etudiant, 27 ans

La simplicité et l’interactivité pourraient-elles être des conditions nécessaires et peut-être suffisantes pour que les cours soient consultables exclusivement en ligne ? L’exemple de l’UE5 ne suffit pas à l’affirmer, d’autant que les étudiants cités sont nettement minoritaires. Ils ne sont en réalité qu’un cas particulier d’un comportement général observé chez la majorité des étudiants et qui consiste à rechercher, pour chaque cours, une complémentarité entre le cours dans sa version écran et dans sa version papier, en commençant par une rapide consultation écran suivie, sauf exception pour quelques étudiants avec l’UE5 et l’UE4, du téléchargement et de l’impression du cours.

Le papier, c’est mieux !

Plusieurs étudiants expriment de façon directe leur préférence pour le papier.

Certains la présentent comme un choix personnel. Ils ne suggèrent pas que le texte

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imprimé sur papier serait, en général, plus agréable ou plus pratique que le texte sur écran. Ils pensent au contraire que c’est une affaire de goût. Sauf que, bien entendu, un goût partagé par presque tout le monde n’est pas un goût…

« Moi, j’aime bien avoir un support papier. » Etudiante, 26 ans

« Je ne peux pas apprendre sur l’écran. Quand je lis, j’ai besoin de souligner, de feuilleter. » Etudiante, 31 ans

Un argument intéressant est donné par une étudiante qui, à l’instar de quelques autres, a commencé par la consultation des cours en ligne, jusqu’à en arriver au point où le passage au papier s’est imposé à elle. Elle signale à cette occasion des difficultés de mémorisation, d’orientation, de compréhension qui s’ajoutent aux arguments plus triviaux de praticité (le papier, on peut l’emmener partout avec soi).

« Au début, j’étais assez déstabilisée par la plate-forme, je n’avais jamais passé 5 heures à lire un cours en ligne, j’avais du mal à emmagasiner ce que je lisais. Ce n’est pas comme avec le papier, j’avais l’impression de ne pas retenir en lisant à l’écran. J’ai eu l’impression que c’était le foutoir.

[…] On ne sait pas où on va, c’est déstabilisant. On a une foule d’informations et il est difficile de savoir ce qui est vraiment important en lisant à l’écran. Quand j’ai vu ça, j’ai préféré télécharger tous les cours. » Etudiante, 40 ans

D’autres témoignages attirent notre attention sur ce qui nous semble être en réalité l’essentiel et qui dépasse les considérations d’ergonomie ou de praticité. Le papier est ici indispensable pour des raisons qui ont à voir avec la fonction d’apprentissage et au-delà, avec la psychologie humaine et la relation au savoir.

Nous donnons d’abord une liste de citations d’étudiants dont nous proposerons ensuite une brève interprétation théorique.

« J’ai tout téléchargé, tout bien rangé. » Etudiant, 26 ans « Un jour, j’ai tout imprimé et puis j’ai relié. » Etudiante, 26 ans

« Au début, j’ai tout imprimé, j’étais très motivé. J’ai posé le paquet sur mon bureau. » Etudiant, 22 ans

« J’ai tout imprimé chez mes parents, chez des voisins aussi. J’ai fait ça pour tous les cours. Ca m’a pris beaucoup de temps […] Il fallait du concret pour voir le travail à faire. » Etudiante, 23 ans

« Au début, j’allais tous les jours sur la plate-forme pour tout télécharger. Ca m’a fait une grosse masse de papier et je me suis dit : eh bien, maintenant, il faut que j’avale tout ça… C’est ce que je préfère : avoir la totalité de la matière. C’est un confort. […] On est sûr qu’il y a tout, pas de trou, c’est rassurant. » Etudiante, 23 ans

Toute formation est un parcours dans le temps et dans un espace de connaissances : toute formation commence et finit à des dates qui doivent être spécifiées d’avance, elle suppose un programme, la définition d’un ensemble de savoirs à acquérir. La matérialité du temps est une donnée immédiate. Celle des

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savoirs réclame un support qui, au contraire de celui du temps, n’est pas donné d’avance. Il peut être concentré dans un unique « support de cours » ou éparpillé dans un cours oral, des enregistrements, des références bibliographiques, des discussions, des expériences. Si l’on s’en tient à la situation de CampusCultura et, plus généralement de toute formation en ligne, le cours, comme ensemble de savoirs à acquérir, peut être matérialisé sous deux formes qui se distinguent essentiellement, à notre sens, par le fait que l’une est tangible et accessible directement aux sens et l’autre intangible et inaccessible aux sens sans le truchement d’un artefact technique.

Ce que disent les étudiants cités ci-dessus, c’est que l’avantage principal du papier est son caractère tangible, son épaisseur, sa visibilité, son aptitude a pouvoir être posé sur une table et à rendre ainsi perceptible « la matière » à acquérir. Le mot de matière utilisé par une étudiante nous semble ici très révélateur : les savoirs à acquérir sont des matières dont la « matérialité » ne peut pas être occultée sans que l’étudiant en ressente péniblement l’absence. Mieux encore, plusieurs étudiants insistent sur le fait qu’ils ont apprécié de pouvoir participer eux-mêmes à la matérialisation de ce cours qui leur était livré au départ sous une forme intangible.

Télécharger le fichier sur le disque dur de sa machine, en reconstituer les différents fragments dans une pièce unique, l’imprimer, relier ensemble les multiples feuilles dans un classeur dont on aura peut-être choisi la couleur et la capacité à dessein, surligner, ajouter des notes manuscrites, toutes les étapes de ce processus de matérialisation du cours, longues et parfois qualifiées de « fastidieuses », n’en sont pas moins accomplies avec soin par la plupart des étudiants, généralement en début de formation car c’est à ce stade, avant de concevoir leur programme de travail, qu’ils ont besoin de « voir » la « matière » qu’ils devront « avaler ». Fabriquer soi- même son cours, cela prend du temps, cela coûte même un peu d’argent, mais c’est un investissement pédagogiquement utile : c’est un échauffement, une première saisie par le corps et par l’esprit des savoirs à acquérir. On comprend mieux alors qu’une seule parmi vingt étudiants ait eu l’idée de renvoyer cette charge sur le Cned.

On comprend mieux pourquoi également si peu d’étudiants se soient plaints de la fragmentation de l’UE4. Le travail de recomposition les obligeait à une longue manipulation de la matière, ce qu’ils ressentaient comme une première façon de se l’approprier.

On pourrait rapprocher l’exigence de matérialité perceptible des savoirs, telle qu’elle est exprimée par les étudiants de CampusCultura, de la thèse des partisans de la psychologie historique2 qui défendent, à la suite du philosophe Peirce3, l’idée que l’esprit de l’homme se trouve bien davantage à l’extérieur qu’à l’intérieur du corps et

2. Ignace Meyerson et Françoise Parot en France, Jérôme Bruner aux Etats-Unis.

3. Au biologiste qui lui montre les différentes zones du cerveau où se situent la capacité de lire, d’écrire, et prétend que la localisation de l’esprit dans le cerveau est prouvée par le fait que la suppression de ces zones entraîne la perte de la capacité correspondante, Peirce fait observer que l’on pourrait aussi valablement défendre l’idée que l’esprit se trouve dans l’encrier : sans lui, plus moyen d’écrire et de construire une pensée.

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possède de ce fait une matérialité à laquelle un « apprenant » est naturellement sensible.

Si le papier comme support de cours est indispensable en formation, l’écran n’en est pas moins utile et même essentiel en formation à distance. Là encore, ce sont les étudiants eux-mêmes qui nous fournissent les clés de ce qui doit être compris comme une complémentarité des supports.

Complémentarité écran-papier

Les témoignages qui suivent illustrent des pratiques d’étudiants qui ont trouvé, par eux-mêmes et souvent à l’issue d’une période de tâtonnements, des formes satisfaisantes et variées de complémentarité entre les versions écran et papier des cours. Dans tous les cas, le cours papier est utilisé en lecture principale (« en bloc »), le cours en ligne sur la plate-forme faisant ensuite l’objet de visites occasionnelles.

Les raisons les plus fréquemment citées pour justifier ces allers et retours sont la consultation des quiz et des animations qui ne sont évidemment disponibles que sur la plate-forme, mais aussi d’éventuels compléments de cours qui seraient mis en ligne après-coup ou bien lorsque l’on constate que le cours en ligne n’est pas identique au cours papier. Certains étudiants dessinent à la main les animations d’écran sur leur cours papier.

« […] pour être sûre de n’avoir rien loupé, je consultais les cours sur la plate-forme : il pouvait y avoir des mises à jour, des synthèses. Par exemple, dans l’UE2, ils ont travaillé de manière réactive avec des animations, des compléments. […] Le papier, c’est bien pour lire « en bloc ». La plate-forme, c’est bien pour des choses particulières, pour aller chercher des synthèses, des petites choses. » Etudiante, 26 ans

« Il m’est arrivé de retourner à l’écran, pour les annotations, pour les schémas. Quand il y a eu des changements dans le cours (je crois me rappeler qu’il y en a eu dans l’UE sur les publics). » Etudiant, 38 ans

« J’ai davantage utilisé le papier que la plate-forme. Je me rendais sur la plate-forme pour me situer, consulter la rubrique « l’essentiel » de chaque UE. Je ne me connectais pas pour revoir des cours mais pour consulter ce qu’il y avait autour. » Etudiante, 40 ans

« [Pour l’UE2,] j’ai fait des fiches, des résumés à partir du cours papier.

Je me suis rendue sur la plate-forme pour faire les quiz et participer aux TD sur le forum. J’ai également consulté les animations, je les ai dessinées sur des feuilles que j’ai insérées dans mon cours papier. » Etudiante, 25 ans

« J’ai commencé par étudier les cours sur papier mais, par hasard, je me suis aperçu que le texte téléchargé pouvait être différent du cours en ligne […] Pour certaines UE, le site est la copie conforme du cours papier, c’est par exemple le cas pour l’UE3. Dans l’UE1, la version en ligne propose quelques exemples supplémentaires. » Etudiant, 21 ans

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Un dernier témoignage provenant d’un étudiant mûr, très motivé et très actif sur la plate-forme montre que les stratégies de consultation des cours peuvent devenir très sophistiquées en s’adaptant aux contenus et aux formules retenues pour leur médiatisation.

« Je commençais généralement par parcourir le cours. Au début, j’allais sur la plate-forme mais c’est fatiguant. Disons qu’au bout de 4 ou 5h, on en a marre alors que l’on tient 2 heures de plus en lisant sur du papier. Pour

« public », comme le cours n’était pas téléchargeable, j’ai fait un résumé.

[…] Le cours de « médiation » n’est pas en entier sur la plate-forme. J’ai alterné papier et plate-forme. Disons que j’ai étudié le premier tiers sur la plate-forme, pour le reste, j’ai d’abord fait une étude fouillée sur papier puis je me suis rendu sur la plate-forme pour vérifier, valider mes connaissances.

J’ai fait les quiz. J’ai suivi la même démarche pour « politiques culturelles » après une première lecture rapide sur la plate-forme. Pour

« communication », j’ai consulté 2 fois le cours en ligne en prenant des notes. J’ai tout de même eu un fonctionnement assez différent d’une UE à l’autre. » Etudiant, 46 ans

Animations et quiz

L’intérêt des animations et des quiz a parfois fait l’objet de débats assez vifs entre les auteurs-experts et les concepteurs multimédias, les premiers étant partagés sur leur intérêt pédagogique, les seconds globalement favorables. Ces échanges ont débouché sur une sorte d’accord de base selon lequel, seules les animations utiles sur le plan didactique (au contraire des « zigouigouis » produits de façon systématique et qui n’auraient qu’un intérêt décoratif) mériteraient d’être retenues. Là encore, les pratiques et les opinions des étudiants étaient attendues. Elles sont, sur ce sujet, sans nuance : les animations sont globalement appréciées, zigouigouis compris a-t-on envie d’ajouter.

Comme pour la préférence pour le papier, certains étudiants s’abritent derrière un goût personnel pour l’image, une mémoire visuelle, pour justifier leur opinion positive sur les animations. Poussant même cette logique à son terme, une étudiante estime que toutes les animations sont a priori intéressantes à cause justement du caractère subjectif de leur valeur.

« J’ai une mémoire visuelle, le contenu me paraît plus concret sous forme d’animations. » Etudiant, 21 ans

« J’apprécie les animations car les images me parlent, on s’identifie plus facilement. » Etudiante, 25 ans

« Moi, j’ai une mémoire visuelle alors j’aime bien, ça me marque, c’est bon pour la mémorisation. » Etudiante, 23 ans

« Pour la métaphore agricole de « médiation », j’étais paumée dans le cours papier. Sur le site, en voyant le cercle se mettre en forme, j’ai eu un déclic. Je ne me dis jamais qu’une animation est totalement inutile car même

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si elle ne me sert pas, elle peut être utile à d’autres. Pour moi, l’animation sur la métaphore agricole a été très utile, peut-être a-t-elle semblée superflue à d’autres. » Etudiante, 28 ans

Les étudiants ne sont cependant pas unanimes. Certains se déclarent insensibles à cette mise en forme imagée et animée des contenus. Ils peuvent exprimer des critiques de fond débarrassées de toute subjectivité. Certaines critiques portent sur des animations particulières que l’on a demandé aux étudiants de décrire, lorsqu’ils s’en souvenaient. Ces jugements réservés ou négatifs sont regroupés ci-dessous.

« Les animations ont des contenus forts mais ça ne me parle pas. » Etudiant, 46 ans

« En étude des publics ; le truc se faisait en déroulé. Si j’ai le schéma global, ça me va. Que les éléments apparaissent d’un coup ou en plusieurs fois, ça ne change pas grand-chose. » Etudiant, 38 ans

« [Dans l’UE 4], certains contenus sont uniquement en animations, par exemple les 3 modèles marketing, et cela ne m’a pas toujours satisfaite ; j’aurais préféré qu’on m’énonce le propos de différentes façons, en animations mais aussi en texte. J’apprécie les animations lorsqu’elles viennent illustrer un propos mais pas lorsqu’elles sont un contenu unique en soi. » Etudiante, 32 ans

A propos des quiz, on retrouve les mêmes catégories et la même variété d’opinions ou semblent dominer, comme dans le cas des animations mais peut-être d’une façon moins nette, les opinions positives : des étudiants qui les apprécient ou les rejettent sur la base de goûts personnels, d’autres qui tentent de fonder leur jugement sur des considérations pédagogiques générales.

« Les quiz, j’ai trouvé ça bien. Ca permettait de savoir si on avait compris (par exemple dans l’UE3). C’est sympathique et utile. Ca permet de reformuler, de resynthétiser. J’essayais de les faire chronologiquement. » Etudiante, 26 ans

« J’ai fait deux quiz sur PC pour voir. C’était sur Kant. J’ai trouvé que c’était vraiment très bien. Ca m’a aidée à contrôler ce que j’avais appris.

J’ai regretté de ne pas pouvoir les faire tous [à cause du Mac]. » Etudiante, 32 ans

« Les quiz ? Non, pas du tout. Je crois que j’aurais dû. Mais je n’avais pas envie. Le genre interactif… non, ce n’est pas mon truc. » Etudiante, 23 ans

« Je dois dire que je n’apprécie pas tellement les quiz, je trouve ça déroutant comme exercice, le système « oui/non ». Je ne suis pas habitué à restituer mes savoirs de cette façon. » Etudiant, 46 ans

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Hétérogénéité des cours en ligne

Les étudiants perçoivent bien l’hétérogénéité des cours qui leur sont proposés.

Les façons de traiter le contenu, le style, l’articulation entre le cours papier et le cours en ligne, le nombre et la forme des animations, les quiz et les liens Internet ; les différences d’un cours à l’autre sont nombreuses et les étudiants n’ont d’autre choix que de s’en accommoder comme ils s’accommodaient, dans l’enseignement secondaire, de la diversité de leurs professeurs. Le ton de l’UE2 (médiation culturelle) est qualifié d’« universitaire » par certains étudiants dans un sens qui doit être pris négativement, mais il est apprécié par d’autres pour les mêmes raisons.

Derrière les textes, les étudiants reconnaissent des auteurs, nécessairement différents, dont le « style » survit à l’épreuve de numérisation et de multimédiatisation.

Le témoignage suivant nous semble, sur cette question, donner un éclairage pédagogique important. Les étudiants sont sensibles aux efforts que font leurs enseignants pour leur transmettre la matière. Ils cherchent spontanément à percevoir dans le cours qu’ils lisent une volonté de transmission, une intention pédagogique.

Cette étudiante évoque le cas d’un auteur dont elle imagine qu’il s’est « fait plaisir » à chercher des voies originales, par exemple sous forme d’animations, pour transmettre des notions difficiles. Elle mentionne également le cas d’un cours qu’elle n’apprécie pas mais qui serait en quelque sorte sauvé par un effort particulier de l’auteur pour « diriger » la lecture de l’étudiant.

« Oui, on sent bien les personnalités des profs d’un cours à l’autre. C’est plaisant. C’est la première fois que j’ai senti la volonté d’un prof de faire passer les choses. On sent la volonté pédagogique, le prof qui s’est fait plaisir. L’UE4 (publics), je ne l’aime pas beaucoup techniquement. C’est trop épars, assez scolaire. Les efforts sur la forme, c’est positif parce qu’on ressent l’intention : elle a dirigé notre lecture. » Etudiante, 23 ans

Conclusion

Pour cette étude, l’observation a visé successivement le groupe des auteurs- concepteurs de ressources multimédias puis celui des étudiants, usagers de ces ressources. Dans le processus de production, des divergences sont apparues parmi les auteurs enseignants et les concepteurs multimédias. Nous avons porté notre attention sur deux d’entre elles. L’une concerne la complémentarité entre les composantes « papier » et « écran » des cours, l’autre sur la place des animations et des quiz.

Face à ces controverses, les étudiants se trouvent, d’une certaine façon, en position d’arbitrage. Ils impriment systématiquement les cours, manifestant par là un besoin impératif de toujours disposer d’une version « papier ». Les arguments qui justifient cette exigence ne se fondent pas essentiellement, de notre point de vue, sur des considérations pratiques ou ergonomiques, mais sur des raisons plus subtiles,

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relatives au caractère tangible des savoirs que l’étudiant souhaite pouvoir se représenter comme une « matière » qu’il doit « incorporer ».

S’agissant des composantes interactives des ressources, le débat sur la pertinence et l’efficacité pédagogiques suscite peu d’écho chez les étudiants qui, le plus souvent, apprécient les animations et les quiz. Mais là encore, ils le font à partir de considérations qui ne reposent que partiellement sur l’efficacité ou l’attrait supposés de l’interactivité. L’hétérogénéité des cours multimédias, conséquence des divergences entre les concepteurs, dès lors qu’elle n’affecte pas les règles élémentaires de circulation dans les contenus de la plate-forme, ne semble pas gêner les étudiants. Au contraire, ils apprécient de retrouver dans les cours multimédias, les mêmes différences auxquelles ils sont habitués dans les cours ordinaires en présence. L’hétérogénéité, la présence d’animations dans certains modules et leur absence dans d’autres, les différences de styles, des niveaux de granularité variables dans la présentation des contenus témoignent pour eux de la diversité des

« intentions pédagogiques » des enseignants-auteurs. Les étudiants les reçoivent comme une invitation à y ajuster, de façon créative, leurs propres « intentions d’apprentissage ».

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