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Article pp.73-92 du Vol.3 n°1 (2011)

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doi:10.3166/r2ie.3.73-92 © 2011 Lavoisier SAS. Tous droits réservés

À quoi servent

les brevets dans les partenariats ? Cas de l’industrie des supraconducteurs

Par Christine Leboulanger

a

et Françoise Perdrieu-Maudière

b

a Maître de Conférences en Sciences de Gestion, Université de Caen, IUT – Information – Communication –

Quartier du Hoguet rue Anton Tchekhov, 14123 IFS, France christine.leboulanger@unicaen.fr

b Maître de Conférences en Sciences de Gestion, Université de Caen, IUT – Techniques de Commercialisation

2 bd Maréchal Juin, 14000 CAEN, France francoise.maudiere@unicaen.fr

Résumé

Dans un contexte de crise énergétique, la société civile réclame des solutions. La supra- conductivité en constitue une et focalise l’intérêt des États et des entreprises. Ses carac- téristiques propres ne permettent à aucune organisation d’avoir la maîtrise totale de ce domaine de recherche. Un engagement collectif s’impose afin de trouver ou de maintenir une compétitivité internationale. Les acteurs en présence déposent un grand nombre de brevets et nouent en même temps des partenariats. Cette technologie requiert un espace mondial de valorisation. Ainsi s’expliquent le choix des zones de dépôts des brevets, les décisions de partage de technologie et la nécessité de disposer de critères d’évaluation de ces brevets. Dans le cadre des partenariats, le brevet est une mesure de la compé- tence des acteurs et un instrument d’arbitrage et de médiation ; il permet également de les structurer et constitue un révélateur des stratégies engagées via l’indépendance ou la copropriété des brevets. Cette étude met en lumière l’exception japonaise en matière de co-dépôts de brevets. Celle-ci s’explique par la politique volontariste des autorités japonaises qui ont érigé ce secteur en priorité nationale et apporté un appui institution- nel au développement technologique, mais aussi par le rôle de la culture impulsant des relations stables, durables, basées sur la confiance. Le rôle clé du brevet dans la stratégie partenariale des entreprises est manifeste. © 2011 Lavoisier SAS. All rights reserved

Mots clés : brevets, droits de propriété industrielle, partenariats, supraconducteurs, stratégie

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Abstract

What is the role of patents in partnerships ? The case of the superconductor industry.

Faced with the energy crisis, civil society demands that solutions be found. Superconduc- tivity is one such solution and is attracting the attention of States and companies alike.

Given its specific characteristics, this particular field of research cannot be controlled by a sole organisation. À commitment needs to be made collectively in order to find or to main- tain international competitiveness. The involved firms deposit a great number of patents and form alliances at the same time. This article clarifies the role of property rights in par- tnerships and is based on a case study in the superconductor industry. This technology requires recognition on a world wide scale. This explains the choice of patent filing areas, the decisions pertaining to the sharing of technology and the necessity of establishing criteria for evaluation. In a partnership framework, the patent is a way of measuring the competence of those involved and it is also a mediation instrument. In addition it enables them to be structured and gives an indication of the strategies in place through the inde- pendence or co-ownership of patents. This study shows the Japanese exception concerning joint patents which may be explained not only by the voluntarist policies of the Japanese authorities who have set up this sector as a national priority and have provided the institu- tional backing necessary to the technological development, but also by the role of culture involving stable, lasting relationships based on trust. The key role of patent strategies in firm partnership strategies is obvious but goes beyond the traditional uses within a climate which is favourable to innovation. © 2011 Lavoisier SAS. All rights reserved

Keywords: patents, industrial property rights, partnerships, superconductors, strategy

Introduction

L’industrie des supraconducteurs connaît ces dernières années une très forte évolution. Après un long cheminement, des avancées scientifiques et technologiques majeures sont indéniables.

La supraconductivité est un état de la matière caractérisé par une résistance électrique nulle et une imperméabilité au champ magnétique qui ne se manifeste qu’à de très basses températures.

Si les recherches sur les matériaux sont relativement aisées et peu onéreuses, à l’inverse, les investigations pour les applications industrielles nécessitent de lourds investissements car la maî- trise de technologies d’interface ou de transfert s’avère indispensable (cryogénie, par exemple).

Dans les années 90, l’industrie des supraconducteurs apparaît comme un véritable défi technologique et suscite de réelles luttes économiques et politiques entre les états les plus industrialisés, en l’occurrence, le Japon, les USA et l’Europe. Seuls quelques grands labo- ratoires publics ou industriels des états les plus avancés scientifiquement et techniquement s’engagent réellement dans ce domaine. Comme la supraconductivité, par ses caractéristiques propres, ne permet à aucune entreprise d’avoir la maîtrise totale de ce domaine de recherche, un engagement collectif s’avère inévitable pour les leaders afin de trouver ou de maintenir leur compétitivité internationale ; les USA tentent d’éviter que le Japon ne s’accapare cette industrie aussi prometteuse (11 000 brevets nippons sur 13 000 titres déposés) (Leboulanger et al., 1997). L’Europe, bénéficiant de connaissances théoriques plus anciennes susceptibles

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de se substituer aux modèles prédictifs absents, parvient à ne pas se laisser distancer par les autres compétiteurs. Les entreprises en présence déposent alors un grand nombre de brevets et nouent en même temps de multiples alliances.

Au cours des années 2000, la supraconductivité est mise à l’honneur avec, en 2003, deux prix Nobel, l’un en physique sur les aspects théoriques de la supraconductivité, l’autre en médecine pour des applications des supraconducteurs en IRM. Le 30 mai 2007, des physiciens québécois (Doiron-Leyraud et al., 2007) font une découverte leur permettant de comprendre les propriétés de certains matériaux (oxydes de cuivre). Un nouvel élan est insufflé, les chercheurs envisagent la maîtrise de cette propriété de la matière à température ambiante. Le degré élevé de multidisciplinarité exigé se traduit alors par une dimension coopérative et compétitive forte qui s’exprime en partie au travers des brevets. L’objectif de ce travail est de rendre compte du lien entre brevet et partenariat.

Une première partie situe le contexte de notre terrain d’investigation : l’industrie des supraconducteurs. Une deuxième partie s’appuie sur une étude technométrique reposant sur l’examen des brevets déposés auprès de l’Office Européen des Brevets de 2000 à 2008 et une netnographie pour repérer la configuration des partenariats engagés. Elles permettent de rendre compte dans la dernière partie de la dimension stratégique des brevets dans ces partenariats et de discuter de l’exception japonaise en la matière.

1. Le contexte

1.1. Présentation générale

Découverte en 1911 par Kammerlingh Onnes1, la supraconductivité est la propriété que possèdent certains matériaux de conduire le courant électrique sans dissipation (RDT Info, 2003). La résistance électrique mesurée est donc strictement nulle. Mais, cette propriété ne se manifeste qu’en dessous d’une certaine température critique2. En 1957, le phénomène semble bien compris grâce à la théorie développée par les Américains John Bardeen, Leon Neil Cooper et John Robert Schrieffer pour qui le franchissement des 35 K3 est théoriquement impossible. Les températures critiques ont longtemps été très basses, proches du zéro absolu. La plus élevée est obtenue en 1973 avec un alliage niobium germanium (23 K). Les applications se trouvent alors limitées par la nécessité de refroidir les matériaux à la température de l’hélium liquide (4,2 K), technologie sophistiquée et coûteuse.

En 1986, le suisse K. Alexander Müller et l’américain J. Georg Bednorz, des laboratoires IBM de Zurich, découvrent un composé à base d’oxyde de cuivre, de lanthane et de baryum, supraconducteur au-dessus de 35 K (Etourneau, 1986 ; Tixador, 2003). Cette découverte ouvre la voie à une nouvelle génération de matériaux supraconducteurs dits à « haute tem-

1 Kamerlingh Onnes, chercheur hollandais (1853-1926), est à l’origine de la découverte de la liquéfaction de l’hélium et de celle de la supraconductivité, découvertes pour lesquelles il reçoit le prix Nobel de physique en 1913. C’est en hommage à la découverte fondamentale de ce chercheur que l’année 2011 a été déclarée année de la supraconductivité.

2 Elle vaut 4,15 K pour le mercure sur lequel Onnes a fait sa découverte.

3 Le Kelvin ou K est l’unité du Système International de température thermodynamique, avec 0 K égal à -273,15 °C ce qui correspond au zéro absolu.

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pérature critique ». Début 1987, Ching Wu Chu, en substituant au lanthane l’yttrium, génère l’apparition d’un nouveau composé supraconducteur à 90 K. Ce résultat connaît un énorme retentissement dans le monde scientifique et industriel car la barrière de l’azote liquide (77 K) vient d’être franchie. De nouvelles applications apparaissent désormais envisageables. Alors que la température critique n’a connu qu’une progression lente de 0,25 K par an jusqu’en 1987, elle augmente de 40 K en moins d’un an. L’objectif principal des recherches devient alors de découvrir de nouveaux matériaux à température critique toujours plus élevée. Le record de température critique est de 164 K, atteint en 1995, avec des composés au mercure.

Deux périodes se distinguent dans l’histoire de la supraconductivité, la première de 1911 à 1986 avec la supraconductivité à basse température critique ou « supraconductivité classique » et la deuxième à partir de 1986 avec la supraconductivité à haute température critique ou « nouveaux supraconducteurs ».

Aujourd’hui, la compréhension des mécanismes à l’origine de cette propriété de la matière est loin d’être établie. Si, en 2007, la découverte des physiciens québécois a pu relancer les recherches, celle, un an plus tard, de nouveaux matériaux (les pnictures, composés à base de fer) vient à nouveau brouiller les pistes. Néanmoins, de récents résultats obtenus par l’équipe québécoise de Louis Taillefer (Daou et al., 2010) améliorent la compréhension du comportement des électrons au sein des matériaux supraconducteurs et éliminent par là même un obstacle majeur pour leur développement.

1.2. Domaines d’application

La crise énergétique des années 2000 incite la société civile à réclamer avec insistance des solutions. Ainsi, pour devenir durable, le système énergétique actuel demande à être repensé. La mise à disposition de technologies nouvelles améliorant le rendement éner- gétique, rationalisant l’utilisation et le stockage de l’énergie tout en assurant la sécurité d’approvisionnement s’avère indispensable ; elle impose alors de réaliser une percée en ce qui concerne les nouveaux matériaux et plus particulièrement les dispositifs fondés sur les supraconducteurs. L’intérêt technologique des supraconducteurs est donc indéniable.

Longtemps confinés dans les laboratoires, leurs applications industrielles se multiplient (Leridon, 1999 ; Tixador, 2007) dans les domaines aussi diversifiés que sont :

- L’énergie : fabrication d’électricité à l’aide d’alternateurs supraconducteurs à meilleur rendement, stockage d’énergie dans des bobines sans résistance, transport de l’énergie électrique via des lignes supraconductrices (transmission de la puissance sans perte, à des tensions plus faibles et à un poids inférieur).

- Le transport : trains à lévitation magnétique et propulsion magnétohydrodynamique pour les navires sans hélices.

- Les applications médicales : magnéto encéphalographie et imagerie par résonance magnétique (IRM).

- Les applications scientifiques : développement des récents accélérateurs de particules (ex. CERN).

Étant donné la nature mondiale des défis à relever, une collaboration internationale s’impose et explique les nombreux partenariats en cours. Cependant, cet impératif ne doit pas masquer la concurrence qui est menée à l’échelle mondiale entre les pays et les entre- prises pour conserver ou renforcer leur compétitivité.

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Ceci nous amène à nous pencher sur deux phénomènes constatés dans l’industrie des supraconducteurs, le recours à la propriété industrielle et les partenariats engagés.

2. Étude empirique

2.1. Une activité brevets

Si dès les années soixante, les travaux fondateurs de Schmookler (1966) ont permis d’aborder le lien entre brevet et innovation, aujourd’hui, en raison de la mondialisation, les recherches des économistes portent plus particulièrement sur le rôle de la protection dans un contexte de compétition et de recherche de croissance (Richard, 1998 ; Le Bas, 2002 ; Brousseau et al., 2005). La dimension stratégique du brevet n’a cependant pas échappé aux gestionnaires (Marquer, 1985 ; Porter, 1986) qui se sont penchés sur le rôle de la protection de l’innovation dans le cadre de la politique générale des entreprises. De notre côté, nous nous intéressons à la place du brevet dans un domaine de haute technologie qui requiert un espace de valorisation mondial de par ses spécificités et ses enjeux ; la supraconductivité préfigure en effet la mise en place d’un nouveau paradigme technique. Ceci explique la compétition que les découvertes ont engendrée, via les brevets déposés, mais également la naissance des nombreux partenariats noués entre les protagonistes depuis vingt ans. L’apport de cette recherche est de comprendre le lien stratégique entre les brevets et les partenariats.

Le développement de bases de données exhaustives et sûres4 répertoriant de façon homogène les brevets publiés dans le monde permet la recherche d’informations et son intégration dans le développement d’outils d’évaluation de l’efficacité d’une politique de recherche. Le document brevet est un outil qui se prête ainsi au traitement bibliométrique5 par sa présentation formalisée et son classement utilisé internationalement. En France, des expérimentations ont été réalisées en ce sens, dont les résultats ont fait l’objet de publications.

Ainsi, un premier courant s’est attaché à l’analyse sociologique de l’innovation (Callon et al., 1986). Dans le prolongement de ces travaux, la mobilisation des méthodes bibliométriques à des fins de veille technologique a été explorée (Courtial, 1990). Enfin, les possibilités du recours au brevet comme source d’information technologique pertinente se sont imposées (Jakobiak, 1994). Plus récemment, d’autres travaux ont été menés afin d’appréhender les réseaux de recherche (Corbel, 2003). Dans notre étude, nous combinons les apports d’une démarche de type bibliométrique à une étude des partenariats engagés dans un domaine de haute technologie sous un angle stratégique. Pour cela, nous nous appuyons notamment sur l’indicateur d’activité défini par Stacey (Ashton et al., 1995) pour la société américaine Battelle6. Ce travail s’appuie sur les 300 brevets déposés de 2000 à 2008 à l’Office Européen des Brevets obtenus par consultation de la base de données gratuite en ligne « esp@cenet ».

Cette base de données ne comporte pas de mots clé mais des champs documentaires. Les mots du titre et du résumé ont donc été interrogés à l’aide des termes supraconductivité et superconductivity. Ces brevets, réunis dans une base de données locale, ont fait l’objet

4 Bases de données produites par les organismes officiels de dépôts de brevets.

5 La bibliométrie est un terme générique qui rassemble une série de techniques statistiques visant à aider à la comparaison et à la compréhension d’un ensemble d’éléments bibliographiques (Rostaing, 1996). Ces techniques appliquées aux brevets relèvent de la technométrie.

6 Cabinet américain de consultants en stratégie pour la gestion de la technique.

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d’une analyse et d’un traitement statistique. Les données ont été mises en forme sous Ms Excel pour une visualisation graphique des résultats statistiques. Des données secondaires ont été mobilisées afin d’affiner les résultats obtenus par l’étude statistique des brevets. Elles sont de deux ordres : des documents externes (rapports d’activité, contrats de partenariats notamment) et internes (notes fournies par les services communication et/ou de propriété industrielle de plusieurs entreprises concernées).

Mesure de l’activité brevets dans l’industrie des supraconducteurs

Dénombrer les brevets déposés en supraconductivité par année donne une indication sur l’évolution dans le temps de l’activité brevet. Interroger l’état de priorité, pays dans lequel a priori la technologie est développée, permet d’identifier les pays qui engagent un effort de recherche et développement dans le domaine considéré ; un tri croisé par année de priorité permet d’affiner encore l’analyse. Repérer les principaux déposants des pays retenus pour l’étude identifie le type d’acteurs qui innovent dans cette industrie. En recoupant ces informations avec les codépôts (brevets déposés en commun par plusieurs structures) une approche de la coopération technique est opérée.

L’analyse de la répartition de ces brevets entre les états s’accompagne d’une réflexion sur les pratiques usuelles en matière de propriété industrielle des pays concernés. En effet, les dis- parités dans les législations et les pratiques en matière de brevets au niveau mondial limitent la comparabilité entre pays des statistiques de brevets. Il est donc préférable d’utiliser des données homogènes sur les brevets, c’est-à-dire provenant d’un même bureau des brevets (OCDE, 2009).

La figure 1 permet de mettre en évidence que la répartition des dépôts de brevets par année accuse une baisse notable au milieu des années 90. Après la période des découvertes et des publications faciles de la fin des années 80 et du début des années 90, les dépôts de brevets se font plus rares, pour amorcer une reprise au début des années 2000. Même si les taxes de l’Office Européen des Brevets sur les demandes de brevets ont baissé depuis 1997, la reprise observée s’explique avant tout par un plus grand nombre d’inventions.

0 5 10 15 20 25 30 35 40

86 87 88 89 90 91 92 93 94 95 96 97 98 99 0 1 2 3 4 5 6 7 Années

Brevets OEB

Japon USA Allemagne France Total

Figure 1 : Évolution du nombre de brevets OEB

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Nous pouvons constater que le nombre de pays engagés dans ce nouveau paradigme est restreint. Les dépôts de brevets sont l’œuvre essentiellement de la Triade composée du Japon, des États-Unis et de l’Europe. Un état domine : le Japon. Aux États-Unis, peu d’acteurs ont recours aux dépôts de brevets. Quant à l’Europe, sa participation est indéniable.

Deux pays se distinguent : la France et l’Allemagne. La suprématie japonaise est évidente au regard du nombre d’acteurs nippons présents parmi les principaux déposants (figure 2).

De plus, un phénomène de concentration en matière de dépôt de titres apparaît (figure 2).

Trois déposants concentrent en effet un grand nombre de brevets. Pour le Japon, il s’agit du groupe Sumitomo et de l’ISTEC. Pour la France, le groupe Nexans domine, et en Allemagne, un leader se détache Siemens. D’une manière générale, il existe un petit nombre de spécialistes publiant beaucoup et un grand nombre de publications occasion- nelles. De même, si nombreuses sont les structures pouvant déposer un brevet, moins nombreuses sont celles qui peuvent déposer plusieurs fois et encore moins nombreuses celles qui déposent régulièrement.

Figure 2 : Principaux déposants (> 2 brevets)

Déposants Pays Brevets Type de structure

Sumitomo Japon 20 Grande entreprise

Nexans France 20 Grande entreprise

ISTEC Japon 16 Structure académique

Siemens Allemagne 7 Grande entreprise

RTRI Japon 7 Grande entreprise

Hitachi Japon 6 Grande entreprise

IBJ Japon 5 Grande entreprise

NIMS Japon 4 Structure académique

Du Pont USA 4 Grande entreprise

AMSC USA 4 PME

Trithor GMBH Allemagne 3 PME

Tokyo Shibaura Elect Co Japon 3 Grande entreprise

TEPCO Japon 3 Grande entreprise

Superpower Inc USA 3 PME

Mitsui Japon 3 Grande entreprise

Leibniz Inst Allemagne 3 Structure académique

JST Japon 3 Structure académique

General Electric USA 3 Grande entreprise

Chubu Electric Power Japon 3 Grande entreprise

Autre constat, les principaux déposants japonais sont des grandes entreprises et des structures académiques. Pour les États-Unis, nous observons une représentation égale des PME et des grandes entreprises. En France, une grande entreprise se démarque nettement.

En Allemagne, les trois grands types de structures possibles sont représentés : grande entreprise, PME et structure académique.

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Par ailleurs, la figure 3 montre que le Japon se distingue par le rapport existant entre le nombre de brevets déposés en pleine propriété et le nombre de brevets déposés en commun.

Par contre, aux États-Unis et en Europe, aucun acteur n’a recours aux dépôts de brevets conjoints. Ce constat est à prendre en considération pour analyser les modalités de partenariats.

Ces données révèlent qu’une pluralité de démarches de dépôt de brevets coexiste dans ce domaine de haute technologie.

0 10 20 30 40 50 60 70 80 90 100

Japon USA Allemagne France Total

Pays déposants

Brevets déposés

propriété unique co-propriété

2.2. Des partenariats

La supraconductivité est un domaine de haute technologie au sein duquel aucune structure ne peut envisager d’être totalement autonome ; l’étendue, la complexité, la mul- tidisciplinarité des savoirs nécessaires imposent à tous des interdépendances ce qui induit des phénomènes de collaboration.

Il existe de nombreuses publications7 relayant les partenariats engagés dans l’industrie des supraconducteurs. Au sein de l’Europe, sous l’égide des Programmes Cadres de Recherche et Développement (PCRD), de nombreux programmes de coopération désignent la supracon- ductivité. Les PCRD constituent un moyen d’orienter la recherche vers des domaines précis qui présentent une importance stratégique pour l’Europe. Ainsi, le recensement8 de projets de recherche à partir du mot clé « supraconductivité » permet de mettre en évidence plus de vingt projets spécifiques destinés à développer les performances des supraconducteurs.

Plus de 80 laboratoires publics et privés différents participent à des activités qui couvrent tous les horizons temporels et toute la chaîne allant de la recherche fondamentale et appli-

7 La presse tant généraliste (Le Figaro, Libération…) que spécialisée (L’usine Nouvelle, La Recherche…) se fait régulièrement l’écho des communiqués de presse relayant les accords de partenariats, tout comme des organes plus spécifiques comme l’IEEE superconductivity news forum, par exemple.

8 Consultation de la base de données des projets européens de recherche sur le serveur Cordis (service communautaire d’information sur la recherche et le développement).

Figure 3 : Indépendance des brevets

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quée au développement technologique jusqu’à la démonstration de technologies à grande échelle. L’un des axes de ces programmes porte sur l’énergie et plus particulièrement sur les réseaux énergétiques intelligents destinés à faciliter la mise en œuvre d’un système énergétique durable et fiable, assurant la sécurité des approvisionnements énergétiques et la prise en compte des changements climatiques. Pour ce faire, il convient d’améliorer le rendement énergétique en rationalisant l’utilisation et le stockage de l’énergie. Les dispositifs fondés sur les supraconducteurs en constituent une des technologies de base essentielles.

La figure 4 présente les principaux programmes de recherche en matière de transport d’électricité menés (achevés ou en cours d’exécution) dans le monde, s’appuyant sur la supraconductivité. À partir de celle-ci, une netnographie nous permet d’identifier les par- tenaires et de mettre en évidence le type de structure concernée (grande entreprise, PME, structure académique), sa nationalité et le nombre de partenariats engagés. La nature des partenariats (privé ou mixte) a ainsi pu être déduite ainsi que l’aire géographique concernée.

Ces données sont retranscrites dans la figure 5.

Figure 4 : Consortiums en matière de transport d’électricité

Consortium Pays / année Localisation

TEPCO / SEI Japon / 1997 CRIEPI

Southwire / IGC USA / 2000 Carrolton, Géorgie

NKT Cables / NST Danemark / 2001 Copenhague

Pirelli / Detroit Edison / AMSC USA / 2002 Détroit, Illinois

TEPCO / SEI Japon / 2002 CRIEPI

SuperAce / Furukawa / CRIEPI Japon / 2004 CRIEPI

KERI / SEI Corée / 2004 LG Cable

Innopower / Yunnan EP Chine / 2004 Puji

KEPRI / SEI Corée / 2005 KEPRI, Gochang

Tratos Cavi / AMSC Italie / 2005 Pieve Santo Stefano

CAS / AMSC Chine / 2005 Chang Tong Cable

FGS – UES / VNIIKP Russie / 2006 Lab Test Ultera / AEP / OakRidge USA / 2006 Columbus , Ohio

Superpower / SEI USA / 2006 Albany, New York

LS Cable Corée / 2007 KEPRI, Gochang

ConduMex / AMSC / CFE Mexique / 2007 Queretaro

LIPA / AMSC / Nexans USA / 2007 Long Island, New York

Superpower / SEI USA / 2007 Albany, New York

Nexans / AMSC Allemagne / 2007 Hanovre : Lab test Nexans / EHTS Allemagne / 2008 Hanovre : Lab test Stadtwerke Augsburg Allemagne / 2009 Augsburg ConEd / Southwire / AMSC USA / 2010 New York

LIPA / AMSC / Nexans USA / 2010 Long Island, New York Southwire / Ultera / Entergy USA / 2011 Nouvelle Orléans

TEPCO / SEI Japon / 2011 Tokyo

LS Cable Corée / 2011 KEPRI, Gochang

NKT Cable / NUON Pays-Bas / 2012 Amsterdam

Source : à partir de IEEE/CSC&ESAS EUROPEAN SUPERCONDUCTIVITY NEWS FORUM, n° 4, April 2008

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Figure 5 : Configuration des partenariats engagés

Entreprise Nationalité Partenariats Nationaux

AMSC USA 8 1

SEI Japon 7 3

Nexans France 4

TEPCO Japon 3 3

Southwire Co USA 3 3

NKT Cables Allemagne 2

LS Cable Corée 2 2

LIPA USA 2

Superpower USA 2

Ultera USA 2 2

Chinese Academy of Science (CAS)

Chine 1

Innopower Chine 1 1

Yunnan EP Chine 1 1

EHTS Allemagne 1

Stadtwerke Augsburg Allemagne 1

NST Danemark 1

Pirelli Energy Cables and System

Italie 1

Tratos Cavi Italie 1

CRIEPI Japon 1 1

Furukawa Japon 1 1

Super-Ace Japon 1 1

KEPRI Corée 1

KERI Corée 1

CFE Mexique 1 1

Condumex Mexique 1 1

NUON Pays-Bas 1

FGS-UES Russie 1 1

VNIIKP Russie 1 1

AEP USA 1 1

ConEd USA 1 1

Detroit Edison USA 1

Entergy USA 1 1

IGC USA 1 1

Oak Ridge Nat Lab USA 1 1

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En matière de transport d’électricité, nous pouvons donc observer que 11 pays sont engagés dans ces partenariats. Ce tableau nous fournit d’autres types d’informations retranscrites ci-après.

Européens Mondiaux Structure Partenariat privé Partenariat mixte

7 PME 6 2

4 Grande entreprise 5 2

1 3 Grande entreprise 4

Grande entreprise 3 Grande entreprise 3

2 Grande entreprise 2

Grande entreprise 2

2 Grande entreprise 2

2 PME 2

PME 1 1

1 Structure académique 1

PME 1

Grande entreprise 1

1 PME 1

1 Grande entreprise 1

1 PME 1

1 Grande entreprise 1

1 PME 1

Structure académique 1

Grande entreprise 1

Structure académique 1

1 Structure académique 1

1 Structure académique 1

Structure académique 1

Grande entreprise 1

1 Grande entreprise 1

Grande entreprise 1

Structure académique 1

Grande entreprise 1

Grande entreprise 1

1 Grande entreprise 1

Grande entreprise 1 Grande entreprise 1

Structure académique 1

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Les entreprises américaines y sont les plus présentes, suivies des entreprises japonaises puis allemandes et chinoises, ainsi que le représente la figure 6. À l’inverse de ce qui a été constaté au niveau des dépôts de brevets, la Triade n’est plus prédominante. Sont désormais présents la Russie, le Mexique, la Corée et la Chine.

Les grandes entreprises dominent en nombre de partenariats (figure 7). Néanmoins, les PME sont bien représentées comme l’atteste la place de la PME AMSC (figure 5). Les structures académiques s’imposent également dans ces collaborations.

De plus, nous constatons (figure 5) que le nombre de partenariats internationaux est élevé. Ceci corrobore une observation de l’OCDE (2002) selon laquelle de tels partenariats constituent une tendance lourde d’évolution dans les secteurs de haute technologie.

De même, les entreprises qui ont noué le plus grand nombre de partenariats ont également une propension plus élevée à s’engager dans des collaborations mondiales. Elles font aussi le plus appel aux structures de recherche académiques. Enfin, les partenariats en binôme

Etats-Unis Japon Allemagne Chine Russie Mexique Italie Pays-Bas Corée France Danemark

GE P ME

S truc ture ac adémiques

Figure 6 : Entreprises partenaires par nationalité

Figure 7 : Typologie des partenaires

Source : d’après la figure 5.

Source : d’après la figure 5.

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l’emportent sur les partenariats impliquant au moins trois acteurs. Néanmoins, AMSC se démarque, à nouveau, avec 5 projets sur 8 en multipartenariats (figure 4).

La deuxième partie de ce travail a permis de mettre en évidence une activité brevet importante dans l’industrie des supraconducteurs et l’existence de nombreux partenariats.

À partir de ces données, deux axes d’analyse sont privilégiés : le lien entre partenariats et dépôts de brevet et la spécificité de la stratégie des entreprises japonaises.

3. La dimension stratégique des brevets

Nous avons constaté que le processus d’innovation au sein de l’industrie des supracon- ducteurs repose sur des échanges mondiaux mettant en relation des réseaux d’acteurs issus des secteurs privés et publics. Ce processus globalisé est plus ouvert au partenariat. La circu- lation des connaissances observée s’effectue sur les marchés de la technologie (acquisitions, concessions de licences…). Les mécanismes de marché qui apparaissent en conséquence incitent les entreprises à recourir au brevet. En effet, à l’instar de ce qui a été mis en évidence dans d’autres industries, comme l’industrie chimique par exemple (Arora et Fosfuri, 2000), ce dernier joue un rôle central dans les transactions d’ordre technologique. Les brevets sont à la fois des réalités juridiques, technique et économique, au libellé objectif, répondant à des normes précises. Cependant, le contexte dans lequel est placé le brevet associe d’une manière complexe des paramètres économiques, politiques, sociologiques, culturels, psychologiques et technologiques, que sa nature « officielle » ne traduit que partiellement. Aussi, les entreprises constituent-elles des portefeuilles de brevets qu’elles utilisent à des fins stratégiques. L’analyse des données technométriques obtenues dans la deuxième partie de cette recherche permet de repérer les stratégies des différents acteurs via l’indépendance des brevets ou la co-propriété de ceux-ci. Ces résultats confrontés au discours officiel des responsables de propriété indus- trielle relayés par les sites d’entreprises ou interview de presse nous permettent de proposer une lecture du rôle des brevets dans les partenariats engagés.

3.1. Fonctions des brevets dans les partenariats

Le brevet permet la délimitation des espaces concurrentiels. Ainsi, les dépôts de brevets des grandes entreprises japonaises traduisent les choix de politique générale effectués par ces groupes. Leurs responsables stratégiques déclarent ouvertement mener une stratégie de développement basée sur la politique de propriété industrielle (ex. communiqués de presse de Sumitomo). Une stratégie offensive de propriété industrielle est ainsi déployée pour une diffusion internationale de la technologie des entreprises mais aussi défensive pour pouvoir se défendre contre les entreprises qui les accuseraient de violer des droits de propriété indus- trielle. Il s’agit de véritables stratégies de signalement visant à faire connaître et prendre en compte leurs inventions dans les analyses d’antériorité des inventions auxquelles procèdent certains offices de brevets. Ceci est corroboré par l’augmentation conséquente des exten- sions géographiques de brevets japonais, tous secteurs confondus, observée aux États-Unis notamment (OCDE, 2009). Le recours à la procédure européenne est aussi reconnu comme

« un examen de passage obligé » pour que les recherches des entreprises japonaises soient appréciées à leur juste valeur par la communauté scientifique internationale.

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Le brevet permet d’identifier les acteurs clés à approcher à des fins partenariales. Il contribue à l’image de marque des entreprises et met en avant leur caractère innovant. En cela, il consti- tue une mesure de la compétence des acteurs. Le brevet est non seulement perçu comme un indicateur du niveau d’investissement en recherche et développement mais aussi de la qualité du management de la recherche, ce qui rejoint les dernières observations de l’OCDE (2010).

Plus le portefeuille de brevets est solide et plus l’entreprise a de poids dans les négociations de partenariats, surtout lorsqu’existe un déséquilibre de taille entre partenaires. Ainsi, pour les PME dont le brevet est souvent le seul actif, la protection par brevets constitue une nécessité pour attirer le capital-risque. La possibilité d’accorder des licences d’exploitation leur permet de participer plus facilement aux réseaux d’innovation d’autres entreprises. Plusieurs PME de l’étude sont dans cette situation (AMSC, Superpower ou encore HTS-110 Ltd). Le brevet est bien un instrument d’arbitrage et de médiation entre les acteurs.

La propriété industrielle tient une place importante dans la mise en place et le bon déroulement des accords technologiques associant plusieurs entreprises, ou des entreprises et des centres de recherche ; elle fournit la base juridique indispensable tant à la protection du savoir-faire et des connaissances acquises qu’à l’appropriation des connaissances nouvelles.

Tout participant à une action concertée de recherche et développement tient à être assuré que son engagement n’est pas porteur de risques de diffusion ou d’exploitation incontrô- lées de ses connaissances propres et des résultats acquis. Le brevet permet de formaliser ces partenariats et notamment de traiter les questions de droits antérieurs, de propriété des résultats, de modalités de cession ou d’exploitation de la propriété industrielle ainsi que les règles de partenariat, de confidentialité et de sécurisation des échanges.

Les entreprises de cette industrie orientent une grande part de leur recherche et développe- ment vers des activités liées à leurs compétences particulières et acquièrent des technologies complémentaires auprès d’autres entreprises, de laboratoires de recherche publics et privés.

Les partenariats noués prévoient que les connaissances propres à chaque partie lui restent acquises. Les connaissances nouvelles, elles, sont la propriété de la partie qui les a générées.

En cas de connaissances conjointes, se pose alors la question de la copropriété des brevets.

Le régime de copropriété est adapté au type de partenariat conclu, d’où toute l’importance de la phase de formalisation de l’accord. En théorie, les résultats de la recherche issus du projet commun peuvent être attribués à une entreprise moyennant une licence d’exploitation accordée au tiers ou attribués conjointement. Chaque partie est alors libre d’utiliser les résultats dans le cadre de ses propres recherches (Cabinet Regimbeau, conseil en propriété industrielle). Cependant, le régime de copropriété des brevets présente un certain nombre de difficultés d’ordre pratique.

Le brevet conjoint, c’est accepter que le partenaire ait des droits d’usage et de transfert sur certains actifs intellectuels, ce qui peut se révéler être une contrainte. Le recours à la copropriété des brevets peut paraître simple, mais sa gestion s’avère complexe. La prise de tels brevets présente plus d’inconvénients que d’avantages (Koutsogiannis9, 2000). Ainsi, il est tout à fait possible par exemple qu’un copropriétaire décide de bloquer l’octroi de licence à un tiers (Joly et al. 1999). Par ailleurs, la capacité des partenaires publics à tenir leurs engagements de non-diffusion de l’innovation est mise en doute. Aussi, une clause de retard dans la diffusion d’informations stratégiques est-elle insérée dans nombre de

9 Avocate du cabinet d’avocats LEGER ROBIC RICHARD et du cabinet d’agents de brevets et de marques de commerce ROBIC, Montréal, Canada.

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contrats (ex. contrats de bourse CIFRE de l’entreprise Nexans) ; la confiance est loin d’être le socle de tels accords. Ce doute quant au respect de la confidentialité dans le cadre des collaborations avec l’université peut constituer un obstacle à la signature de futurs accords de licence avec d’autres entreprises privées.

Ne pas recourir au brevet conjoint écarte bien des difficultés. D’une part, le brevet étant déposé par un seul des partenaires, la concession de licences payantes à des tiers intéressés est facilitée car l’accord des autres partenaires n’est pas requis. D’autre part, les redevances ainsi obtenues peuvent permettre l’autofinancement de la propriété industrielle voire le versement de royalties au prorata de l’investissement dans le projet mesuré, par exemple, via les cahiers de recherche. De leur côté, les milieux académiques, en renonçant aux droits de propriété industrielle, obtiennent en contrepartie le placement de leurs doctorants dans les entreprises partenaires (ex. université de Sherbrooke). À l’inverse, si un laboratoire universitaire réclame un pourcentage voire même une exclusivité, les industriels renoncent de plus en plus à s’engager dans le cadre de telles collaborations (ANRT, 2006).

Ainsi, s’explique la stratégie de dépôt de brevets des entreprises américaines et euro- péennes. Elles déposent seules leurs demandes de brevets, par le biais de leur maison mère pour les grandes entreprises.

Les contrats de partenariat étudiés10 sont, en effet, la plupart du temps des contrats de consortium avec participation d’une structure de recherche académique et sont organisés de la manière suivante. D’emblée, peu voire pas de copropriété n’est envisagée. Si l’invention est d’ordre fondamental, il est prévu que la structure de recherche académique puisse procéder au dépôt de brevet. Si, à l’inverse, l’invention laisse entrevoir des débouchés commerciaux, le dépôt sera effectué par l’entreprise privée. Un régime de licences obligatoires gratuites peut être instauré.

4. L’exception japonaise

Une dichotomie importante apparaît entre le Japon et le reste du monde. Non seule- ment, le Japon concentre le plus grand nombre de dépôts de brevets mais, également, a le plus recours au dépôt en copropriété. La part des demandes d’origine japonaise ainsi que l’importance des dépôts conjoints reflètent la politique générale internationale en matière de brevet suivie par le Japon.

Une matrice à double entrée a été construite à partir de la base de données locale. Sur la diagonale, nous pouvons lire le nombre de brevets conjoints de chaque entreprise. Chaque ligne fait apparaître les partenaires de chacune d’elles et le nombre de brevets concernés.

Les codépôts à trois ou plus expliquent que leur cumul soit parfois supérieur au montant de la diagonale car se sont noués des partenariats multiples.

10 Exploitation des modèles de grilles d’analyse de contrats proposés dans le cadre du module documentaire du Guide PI (www.industrie.gouv.fr).

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Figure 8 : Matrice des dépôts de brevets conjoints japonais11

1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15

1.SEI 6 3 4 1 1

2. ISTEC 3 11 1 2 5 1 1 1

3. TEPCO 3 3

4. Mitsui (Fujikura) 1 2 1 3 2 1 1 1

5. RTRI 1 7 1 2 7 1 1 1

6. Tokyo Shibaura (Toshiba)

1 1

7. Mitsubishi 1 1

8. SRL 1 1

9. Fuji 1 1 1

10. Univ of Kyushu 1 1 1

11. Kyushu Electric Po 1 1 1

12. NIMS 1 1

13. Tokai 1 1

14. Hitachi 1 1 2

15. IBJ (Dowa Mining) 5

16. Chubu Elect Po 3

17. CRIEPI 2

18. Showa Elect (Toshiba) 2 1

19. JST 20. NIAIS

21. NGK Spark Plug 1 1

22. Asahi Denka 1

11 Afin que ces chiffres ne surestiment pas l’importance réelle des partenariats, il a été tenu compte des demandes conjointes de brevets réalisées par les sociétés mères et leurs filiales ou encore entre entreprises appartenant à un même groupe.

Dès la découverte des nouveaux supraconducteurs en 1986, le gouvernement japonais a érigé ce domaine en priorité nationale et mis en place les structures lui permettant d’agir en coordinateur. Dans ce pays, caractérisé par un secteur privé puissant et un secteur public peu important, l’intervention des pouvoirs publics est influencée par le METI (Ministry of Economy, Trade and Industry) mais aussi par le CSTP (Council for Science and Technology Policy). Ce dernier organise la politique japonaise en matière de science et technologie.

Cependant, l’intervention publique se limite à l’instauration d’un climat propice à l’innovation et à la création d’une infrastructure scientifique. Il s’agit d’une coordination publique de la coopération technologique privée. Des réseaux d’entreprises et de laboratoires sont mobilisés en vue de réaliser des objectifs précis et arrêtés d’un commun accord. La recherche est réa- lisée soit dans les laboratoires des entreprises soit dans de nouvelles installations créées par

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16 17 18 19 20 21 22 Brevets totaux 20

2 1 1 16

3

1 3

7

1 3

2 2 1 1 1 1 1 6

3 2 5

3 3

2 2

2 2

1 1 3

1 1 1

1 1

1 1

un consortium de recherche. L’ISTEC (International Superconductivity Center), organisme associatif non commercial créé sous l’égide du METI en 1988 à la suite de la découverte des nouveaux supraconducteurs, illustre bien ce phénomène. De tels organismes sont créés au Japon au démarrage d’un projet. Leur mission est de faire le lien entre les entreprises privées et d’assurer la fonction de lieu principal de recherche pour les chercheurs issus des milieux industriel et universitaire. L’ISTEC regroupe pour des recherches communes en supraconductivité plus d’une centaine d’entreprises12. Son objectif principal est de contri- buer au développement d’applications à base de supraconducteurs et à l’intégration de cette technologie dans l’industrie. Au troisième rang dans le classement des déposants (figure 2), l’ISTEC a déposé conjointement 11 des 16 brevets à son actif (figure 8). La quasi-totalité des co-déposants sont de grandes entreprises nippones développant des technologies essen- tiellement complémentaires. Les droits des brevets déposés à la suite des recherches menées

12 www.istec.org.jp

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dans le centre sont en principe partagés pour moitié entre le centre et le chercheur respon- sable ; en pratique, il s’avère que le titulaire désigné est toujours une entreprise. La place de l’ISTEC ainsi que la part des dépôts de brevets conjoints montrent que les dispositifs mis en place par le Japon ont insufflé une dynamique de collaboration entre les entreprises et/

ou les institutions scientifiques. Cette tendance a encore été renforcée par la mise en place par l’Etat japonais des TLO (Technology Licensing Organizations). Les TLO centralisent la gestion des droits de propriété industrielle des structures académiques et servent d’uniques intermédiaires entre les entreprises et les centres de recherche académiques. L’essor des dépôts conjoints entre entreprises et structures académiques tout comme l’augmentation de la qualité des travaux communs s’explique de la sorte (Nohara, 2006).

Le brevet conjoint est aussi vu, par ce pays, comme le moyen de maintenir une relation à long terme (Rocha, 2001). Ainsi, avons-nous remarqué que les entreprises japonaises de notre étude mènent des recherches en supraconductivité avec les mêmes partenaires depuis deux décennies (Leboulanger et al. 1997). Elles déclarent « mener une politique de conso- lidation avec des partenaires industriels privilégiés », « développer des relations bilatérales avec les plus grandes sociétés » et « maintenir ce type de relations avec des sociétés de premier ordre ». Ces entreprises privilégient, donc, la coopération durable. Nos observations valident une fois de plus l’effet positif des antériorités d’alliance observé par ailleurs par Kim et Song (2007). Cette particularité prend sa source dans la culture japonaise dont le rôle diffus dans l’économie ne doit pas être sous-estimé. En effet, un certain nombre d’obser- vations empiriques anciennes (Dore, 1987 ; Bernier, 1990) ou plus récentes (Fayard, 2006) montrent que, historiquement, les entreprises japonaises nouent des relations contractuelles, ou implicites, stables fondées sur la confiance mutuelle. En d’autres termes, il existe une culture de la collaboration. L’étude des codépôts des entreprises japonaises met ainsi en évidence une dominance domestique (figure 8). Ce phénomène est une résurgence de la capacité culturelle des Japonais à parvenir à un consensus (Halloran, 1970). La recherche systématique du consensus fait que le management japonais repose sur des phases déci- sionnelles lentes, là où le management occidental, fondé sur le leadership, se caractérise par des prises de décisions rapides. Ce facteur culturel, même s’il est en partie remis en cause actuellement par l’accélération de la prise de décision provoquée par le développement des technologies de l’information et de la communication, explique le recours au brevet conjoint et la préférence nationale des entreprises japonaises en la matière. S’ajoute à cela le fait que la société japonaise est teintée d’un certain conservatisme qui pousse les entreprises nationales à former des alliances avec leurs homologues autochtones.

Conclusion

L’objectif de ce travail est d’éclairer le lien existant entre brevet et partenariat, dans un secteur industriel à forte densité technologique. Il ne vise pas à l’exhaustivité mais cherche plutôt à comprendre les pratiques de certaines entreprises en la matière. Cette étude a été menée à partir des brevets européens déposés de 2000 à 2008 en supraconductivité et d’un recensement de partenariats engagés entre les acteurs de ce secteur au cours de la même période.

Plusieurs points apparaissent.

S’il n’existe pas de corrélation directe entre le nombre de brevets déposés et le nombre de partenariats engagés, les entreprises leaders dans le secteur des supraconducteurs sont

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néanmoins à la fois celles qui détiennent le plus de titres et celles qui sont les plus engagées dans une démarche collaborative.

La technologie des supraconducteurs, sophistiquée et coûteuse, requiert un espace mondial de valorisation. Ainsi expliquons-nous le choix des zones de dépôts des brevets, les décisions de partage de technologie et la nécessité de disposer de critères d’évaluation de ces brevets.

Dans le cadre des partenariats, le brevet est une mesure de la compétence des acteurs et un instrument d’arbitrage et de médiation ; il permet également de les structurer et constitue un révélateur des stratégies engagées via l’indépendance ou la copropriété des brevets.

Cette étude révèle l’exception japonaise en matière de codépôts de brevets. Celle-ci s’explique par la politique volontariste des autorités japonaises qui ont érigé ce secteur en priorité nationale et apporté un appui institutionnel au développement technologique, mais aussi par le rôle de la culture impulsant des relations stables, durables, basées sur la confiance.

Le rôle clé de la stratégie de brevet dans la stratégie partenariale des entreprises est manifeste. À côté de la fonction initiale du brevet qui est d’assurer la protection de l’inven- tion et sa diffusion, d’autres fonctions viennent appuyer et renforcer des rôles trop souvent négligés par les entrepreneurs : celui de mesure de l’activité inventive, celui d’appoint aux stratégies commerciales, celui de veille technologique et celui d’indicateur du développe- ment et de la croissance économique.

À côté des facteurs intrinsèques descriptifs de l’importance des brevets (nature de l’invention, ampleur du domaine technique concerné…) existent des facteurs extrinsèques qui décrivent eux l’incidence du brevet sur le développement économique et traduisent la densité des relations qui vont se tisser entre l’invention et l’environnement. Force est de constater que les brevets sont tout à la fois un des instruments de la compétitivité d’une industrie sur une longue période et l’un des indicateurs de cette compétitivité.

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