Enonc´e noG135 (Diophante)
Peut-on se fier `a son intuition premi`ere ?
Dans chacun des trois exemples ci-dessous, mon intuition premi`ere est-elle bonne ?
Solution de Jean Moreau de Saint-Martin Premier exemple
Je m’adonne `a une patience bien connue qui a ´et´e livr´ee sur mon ordinateur personnel. Je gagne la premi`ere partie, je perds la deuxi`eme, et `a partir de la troisi`eme, ma probabilit´e de gain de lak-i`eme partie est logiquement
´
egale au taux de succ`es des k−1 premi`eres. Comme j’ai beaucoup de patience, mon intention est de r´ealiser cette patience 2009 fois de suite.
Avant de me lancer dans ce marathon, je cherche `a calculer p1 et p2 qui sont respectivement les probabilit´es de r´eussir exactement 1004 fois et 2008 fois la patience. Mon intuition premi`ere me fait dire quep1> p2.
Contrairement `a l’intuition, tous les r´esultats (de 1 `a 2008 parties gagn´ees) sont ´equiprobables.
Soit Pr(k, g) la probabilit´e de g parties gagn´ees sur les k premi`eres. La d´ependance de la probabilit´e de gain de la partie suivante par rapport au r´esultat acquis donne
Pr(k+ 1, g) = Pr(k, g)(1−g/k) + Pr(k, g−1)(g−1)/k.
Les conditions initiales ´etant
Pr(2,0) = Pr(2,2) = 0, Pr(2,1) = 1, on voit que la r´ecurrence est satisfaite par
Pr(k, g) = 1/(k−1) pour 0< g < k, Pr(k,0) = Pr(k, k) = 0.
Ainsi p1 =p2 = 1/2008.
Deuxi`eme exemple
Je dispose d’une urne qui contient 2009 boules bleues et rouges mais j’en ignore la composition. Toutes les configurations de x boules bleues et 2009 − x boules rouges avec 0 ≤ x ≤ 2009 sont donc pour moi
´equiprobables, ce qui revient `a ´ecrire :
Pr{x boules bleues et 2009−x boules rouges dans l’urne}= 1/2010 pour 0≤x≤2009.
Je tire 2009 fois de suite une boule dont je note la couleur et que je remets dans l’urne apr`es chaque tirage (tirage dit non exhaustif). Chacun des 2009 tirages donne une boule bleue.
Sur la base de cette observation, je cherche `a calculer la probabilit´ep que l’urne ne contienne que des boules bleues. Mon intuition premi`ere me fait dire quep est tr`es proche de 1.
SoitP(x, y) la probabilit´e qu’il y aitxboules bleues sur 2009 dans l’urne et que 2009 tirages fassent apparaˆıtreyboules bleues. Axdonn´e,yest une variable suivant la loi binˆomiale B(2009, x/2009). La probabilit´e a priori dex est 1/2010, d’o`u
P(x, y) = 1
2010C2009y x
2009
y2009−x 2009
2009−y
En particulier
P(x,2009) = 1 2010
x 2009
2009
Le r´esultat R des tirages est y = 2009, ´ev´enement de probabilit´e P
kP(k,2009). La probabilit´e d’une valeurx en fonction de cette observa- tion est la probabilit´e conditionnelle
Pr(x|R) =P(x,2009)/Pr(R) =P(x,2009)/PkP(k,2009).
Ici on cherche Pr(2009|R). Il faut ´evaluer Pk2010P(k,2009), qui en est l’inverse, carP(2009,2009) = 1/2010.
1
X
k
2010P(k,2009) = P2009
0 k2009 (2009)2009 Consid´erons la fonctionf(t) =tm avec m >1. On a
km < Rk−1/2k+1/2f(t)dt en raison de la position de la courbe au-dessus de sa tangente en t=k,
et ((k−1)m+km)/2 >Rk−1k f(t)dt en raison de la position de la courbe au-dessous de sa corde joignant f(k−1) etf(k).
On peut donc encadrer le num´erateur par P2009
0 k2009 <R1/22009,5t2009dt et
2R02009t2009dt <P20091 k2009+P20080 k2009 soit
20092010
2010 +20092009 2 <
2009
X
0
k2009 < 2009,52010
2010 −0,52010 2010 Il en r´esulte
2009/2010 + 1/2<Pk2010P(k,2009)<2009,520102009−2009/2010 soit 1507/1005<1/p <√
e= 1,649 environ.
La probabilit´e p < 1005/1507, soit 66,7%, contrairement `a l’intuition premi`ere.
Remarque. L’´evaluation de la somme par les polynˆomes de Bernoulli per- met de majorer 1/p par 2121/1340<1,583, d’o`up >63%.
Troisi`eme exemple
Je m’apprˆete `a lancer 2009 fois une pi`ece de monnaie suppos´ee parfaite et mon voisin de son cˆot´e s’apprˆete `a lancer 2008 fois une autre pi`ece de monnaie suppos´ee elle aussi parfaite. Je cherche `a calculer la probabilit´e p que j’obtienne plus de “pile” que mon voisin. Mon intuition premi`ere me fait dire quep est plus grand que 1/2.
J’attends, pour lancer ma pi`ece pour la 2009e fois, que mon voisin ait termin´e sa s´erie de 2008 lancers.
A ce moment, il y a une probabilit´e q qu’il ait moins de “pile” que moi, qui ai lanc´e autant de fois que lui. Naturellement, il y a la mˆeme proba- bilit´e q qu’il ait plus de “pile” que moi, nos situations ´etant exactement sym´etriques. Et il reste la probabilit´e 1−2q que nous soyons exactement
`
a ´egalit´e.
S’il y a ´egalit´e, j’ai une chance sur 2 que mon dernier lancer me permette de prendre l’avantage. Si j’ai d´ej`a l’avantage, je le garde quoi que donne mon dernier lancer. Mais si mon voisin a l’avantage, mon dernier lancer me donnera au mieux l’´egalit´e, et `a condition que son avantage soit de 1 seulement.
Ma probabilit´e d’obtenir strictement plus de “pile” que mon voisin est donc, par le th´eor`eme des probabilit´es totales
q+ (1−2q)/2 = 1/2 exactement.
L’intuition premi`ere est donc trompeuse ici encore.
Remarque. La probabilit´e 1−2q est ais´ee `a calculer exactement ; la pro- babilit´e que mon voisin et moi soyons `a ´egalit´e avec m “pile” sur 2008 lancers est
(2−2008C2008m )2,
et la probabilit´e totale d’´egalit´e est
1−2q=Pm(2−2008C2008m )2 = 2−4016C40162008, qui vaut environ 1/√
2008π = 1/79,4. . ..
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