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La sauvegarde du patrimoine immatériel qu'est la danse

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Master

Reference

La sauvegarde du patrimoine immatériel qu'est la danse

CHEVALIER, Deborah

Abstract

La danse fait partie des arts dits immatériels mais elle n'en laisse pas moins des traces matérielles. Ce travail analyse les moyens utilisés pour garder en mémoire la danse, en distinguant ce qui peut être conservés sur des supports matériels (notations, photos, vidéos) et ce qui peut être sauvegardés par transmission directe de maître à élève via le geste et la parole.

CHEVALIER, Deborah. La sauvegarde du patrimoine immatériel qu'est la danse. Master d'études avancées : Univ. Genève, 2009

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:15032

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(2)

UNIVERSITÉ DE GENÈVE FACULTÉ DES LETTRES

La sauvegarde du patrimoine immatériel quʼest la danse

Mémoire de DESS en muséologie – conservation du patrimoine Sous la direction de Leïla El-Wakil

Août 2009

Deborah Chevalier 12, rue de Bandol 1213 Onex 078 679 32 22

chevalier.deborah@gmail.com

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Remerciements

Je tiens à remercier vivement Leïla El-Wakil, directrice de ce travail, Noémi Lapzeson, danseuse et chorégraphe et Marcela San Pedro, danseuse de la Compagnie Vertical Dance, pour les entretiens qu’elles m’ont accordés, l’Association pour la Danse Contemporaine de Genève, le Centre d’archives du Grand-Théâtre de Genève et la Médiathèque Suisse de la Danse à Lausanne pour la recherche de documentation, Madeline Wong, danseuse au Grand- Théâtre de Genève, Rosangela Silvestre, fondatrice de la Technique Silvestre, ainsi que Sarah Burkhalter, Cécile Buclin, Vincent Sastre, Sarah et Marc-Etienne Chevalier.

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Table des matières

Introduction... 4

I. La danse, par définition, éphémère... 6

II. La danse, un patrimoine culturel immatériel ?... 9

II. 1 Rappel historique : La notion de patrimoine immatériel...9

II. 2 La Convention pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel, définition actuelle...11

III. Doit-on garder mémoire de la danse ?...14

III. 1 « La danse de nos enfants est celle de nos parents »...14

III. 2 « Conserver » ou « sauvegarder » la danse?...18

IV. Quels sont les moyens pour conserver la danse ?... 19

IV. 1 Conserver le matériel archivable...19

IV. 1. 1 Les systèmes de notation...20

IV. 1. 1. 1 Raoul Auger Feuillet (1660-1710) ...20

IV. 1. 1. 2 Rudolf Laban (1879-1958)...21

IV. 1. 1. 3 Rudolf Benesh (1916-1975)...22

IV. 1. 1. 4 Avantages et inconvénients des systèmes de notations...22

IV. 1. 2 L’écrit des chorégraphes...25

IV. 1. 3 Les supports visuels inanimés : photographies ou diapositives...27

IV. 1. 4 Les supports visuels animés : films ou vidéos ...27

IV. 1. 4. 1 Avantages et inconvénients...28

IV. 1. 4. 2 Réception de l’utilisation de la vidéo...30

IV. 1. 4. 3 La vidéo, comme base de donnée...32

IV. 1. 5 Internet...33

IV. 1. 6 Un jeu de complémentarité ...34

V. Comment sauvegarder la danse ?... 36

V. 1 Sauvegarder et donc transmettre la danse ...36

V. 1. 1 Le répertoire...36

V. 1. 1. 1 Les reprises : l’exemple des « restorers » ...38

V. 1 .1. 2 Les reprises indulgentes...42

V. 1. 1. 3 Les relectures ...43

V. 1. 2 Le danseur, mémoire vivante...44

V. 1. 3 La passation de la mémoire ...46

V. 1. 3. 1 L’acquisition d’un savoir-faire...47

V. 1. 3. 2 Le rôle des langages...49

V. 1. 3. 2. 1 L’oral: vocabulaire, métaphore et onomatopée…...50

V. 1. 3. 2. 2 Le geste, à imiter et pour modeler…...54

V. 1. 3. 3 La notion de maître ...56

V. 1. 3. 3. 1 Isadora Duncan et ses « Isadorables »...59

V. 1. 3. 3. 2 Un guide vers la propre voie du danseur...61

V. 1. 3. 4 Assurer la relève...63

V. 1. 3. 5 Le « bain » de la compagnie, l’exemple des Carnets Bagouet ...65

V. 1. 3. 5. 1 La transmission d’un état d’esprit...67

V. 1. 3. 6 Accepter l’imperfection, le renouvellement...70

V. 2 Diffuser...72

Conclusion ... 75

Bibliographie... 79

Annexes... 87

Illustrations ...87

Table des illustrations...98

Entretien avec Noémi Lapzeson ...99

(5)

Introduction

L’idée de travailler sur le sujet de la sauvegarde et de la mémoire de la danse m’est venue à la suite du décès de Maurice Béjart en 2007. Qu’allait devenir cette compagnie sans son chef d’orchestre ? Allait-elle se dissoudre ? Et quel serait le destin de toutes ces œuvres

chorégraphiques ? Ce sujet demeure malheureusement d’actualité avec la disparition de chorégraphes de renom, comme Pina Bausch et Merce Cunningham, cette année encore.

Ces questions n’ont cessé de m’interpeller et aboutissent finalement à ce travail qui associe donc deux intérêts personnels, la danse et la problématique de la sauvegarde-conservation- restauration. En effet, la danse m’a toujours côtoyée. Comme de nombreuses petites filles, j’ai débuté par la danse classique, évoluant ensuite vers le contemporain, le moderne, le contact- improvisation, pour enfin me lancer dans l’afro-contemporain brésilien et la Technique Silvestre1. En parallèle à ce loisir, j’ai peu à peu orienté mes études en direction de la problématique de la conservation-restauration en matière de peinture, de peinture murale en particulier, d’architecture, abordant principalement la conservation du patrimoine matériel.

A la différence de tout ce que j’ai étudié auparavant, ce sujet me confronte donc à une nouvelle donne, à savoir la sauvegarde du patrimoine dit immatériel.

Récemment apparue en 2003, la Convention pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel redonne à ce patrimoine une juste valeur, une importance, une légitimité. Le sujet est vaste, il touche tant les arts du spectacle que les langues, les rituels traditionnels ou les savoir-faire liés à l’artisanat. Et de par son caractère immatériel, éphémère, insaisissable, ce patrimoine apparaît fragile et d’autant plus difficile à préserver. Véritable manne de

réflexions, il entraîne la question de la sauvegarde vers de nouvelles considérations, d’autres pistes, à savoir percevoir la sauvegarde sous une forme vivante, comme nous le verrons au cours de ce travail.

La danse est une pratique universelle d’origine ancestrale qui s’est développée avec des styles différents aux quatre coins de la planète. Durant mes recherches sur ce thème, je me suis concentrée sur la sauvegarde de ce qu’en Histoire de la danse, on qualifie de danse moderne

1 La Technique Silvestre a été créée par Rosangela Silvestre, danseuse, chorégraphe et pédagogue brésilienne.

Elle est basée sur l’expression, la gestuelle et la mythologie des « orixas », divinités brésiliennes, et sur les éléments de la nature, tout en alliant diverses techniques de danse contemporaine.

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ou contemporaine, qui couvre la danse développée en Europe et aux États-Unis durant le XXe siècle. Je n’ai pas abordé la danse folklorique, africaine ou la danse de salon. Dans les

ouvrages consacrés au type de danse qui m’intéresse pour ce travail, je me suis retrouvée face à une kyrielle de commentaires de chorégraphes, d’anciens danseurs ou de critiques de la danse, chacun donnant son avis personnel sur le sujet, allant de la volonté de laisser faire l’ordre des choses, en laissant tomber ses œuvres dans l’oubli, au désir de tout mettre en œuvre pour les sauvegarder. Peu d’ouvrages traitent le sujet de manière globale, mais ces questions réapparaissent fréquemment en filigrane dans les nombreuses monographies, biographies, de grands danseurs ou de chorégraphes.

D’autres références, comme la création d’associations dédiées à tel ou tel chorégraphe disparu, l’apparition de centres nationaux pour la danse, pourvus de studios de danse, de médiathèque et d’archives, démontrent que la question de la préservation de la mémoire de la danse est présente dans les esprits. La conservation et la sauvegarde de la danse sont

néanmoins des préoccupations assez récentes, datant d’une vingtaine d’année, apparues suite à la disparition subite de chorégraphes de renom, tels que George Balanchine en 1983 ou Dominique Bagouet en 1992.

En analysant le patrimoine immatériel qu’est la danse, on s’aperçoit toutefois qu’elle laisse des traces matérielles ; affiches, vidéos, notations, photographies, qui s’avèrent être de bons aide-mémoires. Le chapitre IV leur est consacré. Il décortique les moyens matériels pouvant servir à conserver la danse et quelles sont les particularités des différents supports. Bien que fort utiles, ces traces conservées n’en sont pas moins fragmentaires. On découvre alors que d’autres moyens contribuent à la sauvegarde de la danse, notamment la transmission entre un maître et un élève ou entre un chorégraphe et un danseur. Ces différents modes de

transmission, propres au patrimoine immatériel, sont développés dans le chapitre V.

Au final, la danse semblerait avoir développé de multiples subterfuges pour assurer sa survie, de la reprise au sens le plus stricte du terme, au renouvellement créatif le plus libre.

(7)

I. La danse, par définition, éphémère

Avant de plonger dans le vif du sujet, il est d’abord essentiel de le définir. Qu’est-ce que la danse ?

Dans son acception la plus générale, la danse est « l’art de mouvoir le corps humain selon un certain accord entre l’espace et le temps, accord rendu perceptible grâce au rythme et à la composition chorégraphique »2. Plus simplement, selon Jean-Claude Serre, intervenant au colloque, La danse art du XXe siècle ?, organisé par l'Université de Lausanne en 1990, « [l]a danse est l’art du mouvement »3. Bien que modeste, cette définition me semble être une des plus belles et des plus justes pouvant vraisemblablement faire l’unanimité.

A l’inverse de la peinture ou de la sculpture qui émanent de l’artiste à travers un pinceau ou en modelant la matière, ce qui caractérise la danse, c’est premièrement, que le corps, lui- même, devient le support et l’instrument d’expression. Plusieurs témoignages laissés par des danseurs, chorégraphes ou pédagogues de la danse soulignent les aspects particuliers que revêt cet art:

« Les différents arts se caractérisent généralement, en effet, par la matière traitée : ainsi le bois, la pierre, la peinture… constituent le support des divers arts plastiques (sculpture sur bois, sculpture sur pierre, peinture…) ; les sons constituent la matière de la musique […]. Dans le cas de la danse, cela a été abondamment souligné, la matière de l’art c’est le corps du danseur. Lorsque l’artiste a opté pour un art, et donc pour une matière, c’est sur la forme de cette matière qu’il est essentiellement appelé à agir : le musicien utilise toujours les sons et agit sur la forme de ces sons, le danseur utilise toujours son corps et agit sur la forme de son corps »4.

« Le danseur n’a besoin d’aucun instrument, ou plutôt le corps tout entier avec toutes ses facultés est sont instrument, le plus primitif, le plus complexe, le plus fugitif, celui qui, seul, a la possibilité de créer du mouvement, car danser, c’est créer du

mouvement. C’est la façon la plus tangible que la matière a de créer de l’immatériel »5.

2 Marie-Françoise Christout, « Danse », in Encyclopédie Universalis, Paris, Editeur à Paris, 1968, p. 328.

3 La danse art du XXe siècle ?, 1990, p. 46.

4 Dominique Dupuy, « Le royaume dont le prince est un danseur » in Interprètes inventeurs, Paris, ANFIAC, 1992, p. 60. Dominique Dupuy (1930-), danseur, chorégraphe et pédagogue français est un ardent promoteur de la danse contenporaine en France.

5 Georges Pomiès, « Propos sur la danse, 1930 », in L’aventure de la danse moderne en France (1929-1970), Jacqueline Robinson, Chiron, 1990; cité dans Philippe Le Moal, 1998, p. 113. Georges Pomiès (1902-1933) est connu pour avoir été un grand chanteur et danseur de music-hall en France.

(8)

« L’art de la danse a ceci de particulier, de proprement fou, fascinant, qu’il n’existe que totalement mêlé, identifié au corps d’un être humain »6.

« C’est par le corps, instrument du danseur, que le mouvement prend forme »7. Deuxièmement, du fait même que la danse ait pour instrument le corps, elle n’existe à nos yeux que lorsque des danseurs l’investissent. C’est donc un art éphémère, impermanent :

« La danse est un art de représentation. Dans sa réalité théâtrale, la danse dépend de son interprète légitime, le danseur. Et comme le danseur ne peut s’exprimer que pendant les brefs instants de la représentation, la réalisation artistique de la danse est limitée dans le temps et liée à l’instant »8.

Insaisissable, tel de l’eau…

« Il est difficile de parler de la danse, c’est un objet non pas tant léger qu’évanescent.

Je compare les idées sur la danse, et la danse elle-même, à de l’eau. […] Tout le monde sait ce qu’est l’eau et ce qu’est la danse, mais cette fluidité les rend

insaisissables. Je ne parle pas ici de la qualité de la danse mais de sa nature même »9. Et fondamentalement non matériel…

« La danse ne donne rien, ni manuscrits à engranger, ni tableaux à montrer sur les murs ou à suspendre peut-être dans les musées, pas de poèmes à imprimer, à vendre, rien d’autres que cet instant unique, éphémère ou se sentir vivant »10.

Tous ces points confèrent à la danse une part de fragilité. En effet, la danse ne laisse de prime abord donc pas, ou peu, de traces. Elle ne se produit que dans l’instant où un corps s’en empare. De ce fait, on peut la considérer comme immatérielle. Mais le corps n’est-il pas matière ? Une distinction apparaît alors, comme le soulève Philippe Le Moal, inspecteur de la création et des enseignements artistiques au ministère de la Culture, dans son ouvrage La danse à l’épreuve de la mémoire:

« En définitive, la matérialité de la danse, c’est le danseur et le principe fondamental qui régit la danse, est ce qu’on pourrait appeler l’adhérence au vivant.

De ce fait, ce sont les danses (les chorégraphies) qui sont immatérielles et non la danse, qui, elle, a la matérialité insaisissable du vivant, de même que ce sont les danses qui sont éphémères à l’instar de la prestation du danseur qui ne peut s’exprimer que

6 Karine Saporta, « Danse et séduction », in Théatre/Public, « Danse », n° 58-59, juillet 1984; cité dans Philippe Le Moal, 1998, p. 46.

7 Laurence Louppe, 1994, p. 112.

8 Mary Wigman, 1966, p. 109.

9 Merce Cunningham, Le danseur et la danse – Entretiens avec Jacqueline Lesschave, Belfond, 1998; cité dans Philippe Le Moal, 1998, p. 41.

10 Philippe Le Moal, 1998, p. 41.

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pendant les brefs instants de la représentation, la danse étant, elle, tout au plus impermanente, subordonnée au temps de leur vie que les danseurs consacrent.

Tout le discours concernant les traces tourne autour de cette distinction fondamentale qui pourrait se résumer en disant que la danse n’est pas réductible à ses productions que sont les danses, mais que son objet est tout autre : c’est l’individu, l’homme, la vie elle-même, le vivant.

Dès lors, en ne s’intéressant qu’aux danses ou à leurs traces, ce qui revient à confondre la danse et les danses, on passe inévitablement à côté de quelque chose d’autrement important et qui est l’essence même de la danse »11.

Après l’introduction de cette nuance entre le produit chorégraphique constitué par un

enchaînement de pas définis comme immatériel, et le danseur en chair et en os, la question de savoir comment s’opère la conservation ou la sauvegarde de cet art s’annonce complexe vu l’enchevêtrement de l’un dans l’autre. Une chorégraphie n’existe pas sans danseur et un danseur sans danse, n’est qu’un être humain.

11 Philippe Le Moal, 1998 , p. 47.

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II. La danse, un patrimoine culturel immatériel ?

II. 1 Rappel historique : La notion de patrimoine immatériel

Après des années de travail de recherche mené par l’UNESCO, la Convention pour la sauvegarde de patrimoine culturel immatériel est entrée en vigueur le 20 avril 2006.

L’adoption de cette convention apporte une reconnaissance à cette forme de patrimoine particulier, à ses communautés et ses groupes qui les identifient, les mettent en œuvre ou les recréent.

La genèse de ce patrimoine est apparue en 1972, lors de l’adoption de la Convention pour la protection du patrimoine mondial, culturel et naturel. Plusieurs États membres soulignent alors l’importance qu’ils accordent à la sauvegarde de ce qui s’appellera plus tard le patrimoine immatériel.

L’année suivante, la Bolivie propose d’ajouter un Protocole à la Convention universelle sur le droit d’auteur afin de protéger le folklore. Le patrimoine immatériel est donc dans un premier temps associé au folklore.

En 1982, l’UNESCO met en place un Comité d’experts pour la sauvegarde du folklore et crée une section pour le patrimoine dit non-matériel. Cette même année, la Conférence mondiale sur les politiques culturelles (Mondiacult), organisée à Mexico, reconnaît enfin l’importance du « patrimoine culturel immatériel » et inclut ce dernier dans sa nouvelle définition de « culture » et de « patrimoine culturel ».

En 1989, la Recommandation sur la sauvegarde de la culture traditionnelle et populaire est adoptée par l’UNESCO. Ses formes comprennent, entre autres, la langue, la littérature, la musique, la danse, les jeux, la mythologie, les rites, les coutumes, l’artisanat, l’architecture et d’autres arts. Cette Recommandation dédie un chapitre entier, intitulé « Conservation de la culture traditionnelle et populaire », à la mise en œuvre de moyens de conservation sous forme archivistique ou muséale qui dix ans plus tard sera vivement critiqué. Ce chapitre incite à:

(11)

(a) mettre en place des services nationaux d’archives où les matériaux de la culture traditionnelle et populaire collectés puissent être stockés dans des conditions appropriées et mis à disposition ;

(b) mettre en place une unité nationale centrale d’archives aux fins, de la prestation de certains services (indexation centrale, diffusion de l’information relative aux

matériaux de la culture traditionnelle et populaire et aux normes applicables aux activités la concernant, y compris l’aspect préservation) ;

(c) créer des musées ou des sections de la culture traditionnelle et populaire dans les musées existants où celle-ci puisse être présentée ;

(d) privilégier les formes de présentation des cultures traditionnelles et populaires qui mettent en valeur les témoignages vivants ou révolus de ces cultures (sites, modes de vie, savoirs matériels ou immatériels) ;

(e) harmoniser les méthodes de collecte et d’archivage ;

(f) former des collecteurs, des archivistes, des documentalistes et autres spécialistes à la conservation de la culture traditionnelle et populaire, de la conservation matérielle au travail d’analyse ;

(g) octroyer des moyens en vue d’établir des copies d’archives et de travail de tous les matériaux de la culture traditionnelle et populaire, ainsi que des copies, destinées aux institutions régionales, assurant de la sorte à la communauté culturelle concernée un accès aux matériaux collectés.

L’UNESCO lance ensuite en 1994 le programme Trésors humains vivants à la suite d’une proposition formulée par la République de Corée. Il s’en suit la création du titre officiel de Maître d’art qui s’inspire directement des Trésors nationaux vivants au Japon. Soixante-trois maîtres d’art sont reconnus actuellement, dont quelques uns dans la rubrique « théâtre, musique, danse ». La danse constitue donc bien un domaine dans lequel se perpétuent des Maîtres d’art.

En 1996, un rapport intitulé « Notre diversité créatrice » souligne que la Convention de 1972 n’est pas appropriée pour la valorisation et la protection de l’artisanat ou des formes

d’expressions telles que la danse ou les traditions orales, et plaide en faveur d’autres formes de reconnaissance adaptées à la diversité et à la richesse de ce patrimoine vivant.

En 1997, l’UNESCO lance alors le programme de Proclamation des chefs-d’œuvre du

patrimoine oral et immatériel de l’humanité, comme initiative à court terme dont le but est de reconnaître les chefs d’œuvre du patrimoine immatériel de l’humanité.

Une Conférence d’évaluation de la Recommandation sur la sauvegarde de la culture

traditionnelle a lieu en 1999 et met en évidence l’échec de cette dernière. La cause en est la suivante: il est relevé que cette Recommandation « est trop intégré(e) aux institutions de

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documentation et d’archivage et vise ainsi à protéger les produits plutôt que les producteurs de la culture traditionnelle et du folklore »12. La solution envisagée est d’établir un équilibre entre la nécessité de documenter et celle de protéger les pratiques ou les savoir-faire. Les efforts de protection doivent, de ce fait, se centrer sur les collectivités qui les pratiquent.

Trois Proclamations se succèdent alors. En 2001 lors la première Proclamation, dix-neuf espaces culturels ou formes d’expression culturelle se voient décerner le titre de chefs- d’œuvre du patrimoine oral et immatériel de l’humanité. Les États membres de l’UNESCO adoptent la Déclaration universelle sur la diversité culturelle, ainsi que son plan d’action.

En 2003, la Conférence générale adopte la Convention pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel. Lors de cette deuxième Proclamation, vingt-huit nouveaux espaces culturels ou formes d’expression culturelle enrichissent la liste des chefs-d’œuvre.

Finalement, le 20 avril 2006, la Convention pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel entre en vigueur.

A travers ce survol, on constate que la notion de patrimoine immatériel a été associée au cours du temps au folklore, à la culture traditionnelle et populaire, avant d’acquérir un titre à part entière.

II. 2 La Convention pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel, définition actuelle

L’Article 2. de la Convention définit en tant que « patrimoine culturel immatériel, les pratiques, représentations, expressions, connaissances et savoir-faire – ainsi que les

instruments, objets, artefacts et espaces culturels associés – que les communautés, les groupes et, le cas échéant, les individus reconnaissent comme faisant partie de leur patrimoine

culturel. Ce patrimoine culturel immatériel, transmis de générations en générations, est recréé en permanence par les communautés et groupes en fonction de leur milieu, de leur interaction avec la nature et de leur histoire, et leur procure un sentiment d’identité et de continuité, contribuant ainsi à promouvoir le respect de la diversité culturelle et la créativité »13.

12 Voir point 11 in: http://www.folklife.si.edu/resources/Unesco/finalreport_french.htm

13 http://www.unesco.org/culture/ich/index.php?pg=00006

(13)

Il se manifeste notamment dans « les traditions et expressions orales, y compris les langues comme vecteur du patrimoine culturel immatériel ; les arts du spectacle, les pratiques sociales, rituels et événements festifs, les connaissances et pratiques concernant la nature et l’univers ; les savoir-faire liés à l’artisanat traditionnel ».

La danse me semble correspondre dans une certaine mesure à cette définition: elle entre dans la catégorie des arts du spectacle, se transmet par voie orale, d’une génération à une autre et est recréé en permanence par les acteurs du milieu de la danse, à savoir les danseurs et chorégraphes 14.

Cette Convention a comme but la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel ; le respect du patrimoine culturel immatériel des communautés, des groupes et des individus concernés ; la sensibilisation aux niveaux local, national et international à l’importance du patrimoine culturel immatériel et de son appréciation mutuelle ; la coopération et l’assistance internationale.

Dans la pratique, l’application de ces mesures aboutit par exemple à la création par

l’UNESCO d’une « Liste du patrimoine immatériel nécessitant une sauvegarde urgente » et d’une « Liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l’humanité ». Sur les nonante éléments représentatifs inscrits, une dizaine comprend de la danse. Mais il s’agit de danse que l’on peut qualifier de traditionnelle, folklorique, et non pas de danse moderne ou contemporaine15. Ces deux styles de danse ne connaissent pas le même sort. La danse traditionnelle est inscrite sur des listes, sans doute en raison de la raréfaction des pratiquants de danse traditionnelle, alors que la danse moderne ou contemporaine y échappe.

Se pourrait-il qu’un jour la danse contemporaine figure sur ces listes ? Selon les réflexions de Cyrill Renz, président du Conseil International des Organisations de Festivals de Folklore et d’Arts Traditionnels (CIOFF), concernant l’appartenance d’une œuvre de Mozart au sein du patrimoine culturel immatériel, il semblerait que la réponse soit négative16. En effet, une œuvre de Mozart ne répondrait ni aux caractéristiques ni à la spécificité des expressions du patrimoine culturel immatériel. D’après la vision du CIOFF, le patrimoine culturel immatériel serait synonyme d’art traditionnel, folklorique, populaire. Cette distinction servirait sans doute

14 Dossier Patrimoine immatériel, Bulletin 2.2008, p. 28.

15 Au sujet des listes: http://www.unesco.org/culture/ich/index.php?pg=00011

16 http://www.unesco.ch/typo3conf/ext/dam_frontend/pushfile.php?docID=3355

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à protéger ces manifestations secondaires, plus fragiles, des chefs-d’œuvre largement reconnus que sont les pièces de Mozart. Il n’en reste pas moins, qu’autant la musique

folklorique que celle de Mozart sont des œuvres à caractère immatériel. Toutefois, les œuvres de Mozart comportent une valeur implicite qui les érige à un statut particulier. Elles sont reconnues comme des œuvres d’importance et s’inscrivent dans les esprits comme faisant partie du répertoire qui se veut être sauvegardé. Cette distinction s’opère aussi dans le

domaine de la danse: une pièce de Maurice Béjart et une danse folklorique suisse ne partagent pas le même statut du point de vue de la Convention. Tandis qu’une pièce de Maurice Béjart aura éventuellement la chance d’être désignée un jour comme faisant partie du répertoire, une danse traditionnelle folklorique se verra, au contraire, inscrite sur les listes de sauvegarde. Le répertoire constituerait-il donc une forme de mise à l’inventaire, une mesure de protection, comme on l’entend dans le patrimoine bâti?

Avant de répondre à la question de savoir comment la danse peut-elle être sauvegardée, il s’agit de se positionner quant à la pertinence de la mise en mémoire de la danse. Pourquoi sauvegarder la danse?

(15)

III. Doit-on garder mémoire de la danse ?

Dans le milieu de la danse, les avis divergent quant à savoir si la danse doit être conservée.

N’est-ce pas contre-nature de vouloir sauvegarder un art dont le fondement même est de n’exister qu’à l’instant de la représentation et puis de tomber dans l’oubli?

« Il n’y a qu’une représentation authentique, c’est la première. […] Dès la seconde, les altérations commencent »17.

« Je ne garde ni ne regarde mes chorégraphies. Je fais un spectacle et c’est terminé. Il vit pour les gens qui l’ont fait et le dansent. Quelle tristesse d’offrir à quelqu’un ce qu’on a créé pour un autre ! »18.

« Les pièces de Graham que j’ai vues lors de leur création, quand je les vois aujourd’hui remontées dansées par d’autres corps, je trouve que c’est une abomination »19.

Puisque l’authenticité d’une œuvre se fanerait à la moindre reprise et puisqu’un rôle dans une chorégraphie ne supporterait pas d’être repris par un autre danseur, faudrait-il alors faire table rase du passé, comme le suggèrent ces citations ?

III. 1 « La danse de nos enfants est celle de nos parents »20

Le passé est au contraire un héritage précieux, sur lequel viennent s’appuyer les créations du présent.

17 Sylvie de Nussac, « L’art du ballet selon Bournonville », in Le Monde, 12 avril 1992; cité dans Philippe Le Moal, 1998, p. 59. Sylvie de Nussac est journaliste et a publié une série de monographie sur diverses personnalités du domaine de la danse.

18 Caroline Carlson, Propos recueillis par Bernard Mérigaud, in Télérama, 28 août 1985; cité dans Philippe Le Moal, 1998, p. 60. Caroline Carlson (1943-) est une danseuse et chorégraphe américaine. Elle s’occupe du Groupe de Recherches Théâtrales de l’Opéra de Paris fondé pour elle en 1975 et se fait remarquer par la création de pièces en rupture avec la tradition de la maison, devient directrice du secteur danse de la Biennale de Venise entre 1999 et 2002, puis directrice en 2004 du Centre Chorégraphique de Roubaix dans le nord de la France.

19 Susan Buirge, Propos recueillis pas Philippe Le Moal, juin 1990, non publié; cité dans Philippe Le Moal, 1998, p. 60. Susan Buirge (1940-) danseuse, chorégraphe et pédagogue américaine, introduit activement en France les innovations de la danse américaine: performances dans des lieux insolites, remise en question du rôle de chorégraphe et de la relation au public, ou utilisation de la vidéo.

20 Dominique Dupuy, « L’indélébile éphémère », Préface à L’aventure de la danse moderne en France (1920- 1970), Jacqueline Robinson, Editions Chiron, 1990; cité dans Philippe Le Moal, 1998, p. 246.

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« Tuer la mémoire, c’est tuer l’homme. (En hébreu, le masculin et se souvenir ont la même racine.) Lorsque nous confondons le passé avec ses désastres et ses faillites, sa poussière et ses ruines, nous perdons accès à ce qui se dissimule derrière – à l’abri des regards : le trésor inépuisable, le patrimoine fertile. Car bon gré mal gré nous vivons sur l’acquis multimillénaire de ceux qui nous ont précédés. Nous foulons la terre des morts, habitons leurs maisons, bien souvent ensemençons leurs terres, cueillons les fruits des arbres qu’ils ont plantés, terminons les phrases qu’ils ont commencées. Pas un coin de rue, pas une route, pas un pont, pas un tunnel, pas un paysage où n’ait œuvré une foule invisible. Cette conscience de l’intangible, loin de peser ou d’alourdir, ouvre le cœur et l’intelligence. Il y a là un héritage considérable dont nous sommes tous les légataires universels et que, trop occupés des courants d’air, des modes et des nouvelles du jour, nous oublions d’honorer »21.

Le passé constitue les racines de tout ce qui se fait dans le présent. Même la « nouvelle danse », tendances chorégraphiques apparues dans les années 80 suite à l’impact de Pina Bausch, qui se veut en rupture avec la danse postmoderne des années 60, ne fait pas table rase des apports postmodernes. Elle les détourne, les retisse, pour explorer les limites de la danse.

« Il est nécessaire de répéter cette vérité plus actuelle que jamais, si souvent dite et redite, dans toutes les langues, sur tous les tons, en tous lieux et en tous temps, mais dans l’indifférence générale, que celui qui ignore son passé, ne peut comprendre son présent, ni bâtir son avenir22.

Certains chorégraphes sont conscients de la valeur de cet héritage du passé qui contribue à l’évolution de la danse, comme en témoignent ces propos:

« Il y a dans la danse une continuité ; on a besoin de ce qui a existé avant ; on ne peut avancer qu’en partant de là »23.

« Chaque génération fait avancer organiquement ce qu’elle a reçu de la précédente.

[…] Les théories, il faut les assimiler puis les oublier »24.

« On doit connaître les pas de ses ancêtres. On doit les écouter et être fier d’eux.

Autrement vous ne savez pas d’où vous venez, où vous allez »25.

21 Christiane Singer, 2005, pp. 10-11.

22 Bruno Delmas, 2006, p. 8.

23 François Verret, Propos recueillis par Marcelle Michel, in Le Monde, Supplément spécial pour la 1ère Biennale de Lyon, 31 mai 1984; cité dans Philippe Le Moal, 1998, p. 152. François Verret (1955-) est un danseur et chorégraphe français, formé auprès de Susan Buirge, qui développe dans ses pièces des collaborations remarquables avec des comédiens, musiciens, plasticiens, circassiens ou encore des éclairagistes.

24 Jean Cebron, Entretien avec Patricia Kuypers, in Pour la Danse, n°125, mai 1986; cité dans Philippe Le Moal, 1998, p. 56. Jean Cebron (1927-) grand pédagogue français, mais aussi danseur et fameux interprète, par exemple, de la Mort dans la Table verte de Kurt Jooss dansé par le Ballet National Chileno en 1948.

25 Martha Graham, Propos cités pas Marcelle Michel, Fous de danse, Autrement, n°51, juin 1983; cité dans Philippe Le Moal, 1998, p. 57. Martha Graham (1894-1991), célèbre danseuse, chorégraphe et pédagogue, est connue pour avoir marqué le paysage de la danse moderne américaine.

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« Il faut étudier la tradition, l’assimiler jusqu’à devenir soi-même en quelque sorte une réincarnation de toutes les époques artistiques qui nous ont précédées »26.

« [...] la mémoire sert alors parce qu’on ne peut pas faire table rase du passé, on n’existe que par rapport à nos ancêtres ; tout ce que le passé nous lègue, on doit à la fois l’aimer, le digérer et le nier »27.

Certains témoignages semblent unanimes, le passé est un tremplin sur lequel il est possible de prendre appui pour ensuite mieux rebondir, voire s’en écarter. Quant à savoir si les créations chorégraphiques doivent être conservées, là les avis divergent :

« Dans mon testament, j’ai demandé que toutes les traces de mon travail qui sont en ma possession soient détruites »28.

« J’ai toujours eu le souci de garder mes ballets. Tout, depuis le début de la carrière, a été conservé. Au début, j’esquissais de petits dessins dans des cahiers. Puis par hasard, j’ai rencontré une notatrice, Noémie Perlov, qui m’a indiqué ce moyen et a noté mes œuvres. Depuis deux ans, je travaille avec Dany Lévêque, choréologue Benesh.

Aujourd’hui, je ne pourrais pas envisager de créer un ballet sans notateur. Cela fait partie de mes exigences lorsque je signe un contrat.

Je conserve tout, même les pièces ratées, parce que dans chaque œuvre peut naître le germe d’une création future.

A votre avis, un chorégraphe a-t-il le droit de refuser que son œuvre soit conservée ? Son œuvre appartient au patrimoine culturel. S’il disparaît, il doit nous la donner. Et il nous faut garder la trace de chacun. Dans les autres arts, on ne se pose même pas la question.

Pour ma part, j’ai fait un choix : pour engager une notatrice à temps plein, je renonce à des costumes ou des décors trop onéreux. La priorité doit être accordée à la

conservation du répertoire »29.

« Tant d’œuvres magnifiques sont perdues ! On ne connaissait pas l’écriture Laban.

Les films étaient trop chers, donc on ne faisait rien ! De tous les arts, il reste des traces. En revanche, tout ce que j’ai fait, c’est du vent – c’est effrayant ! Un artiste a envie de laisser quelque chose au monde »30.

26 George Balanchine, Propos cités par Marcelle Michel, « Post Modern Dance », in Avant-scène Ballet Danse, n°2, avril 1980; cité dans Philippe Le Moal, 1998, p. 57. George Balanchine (1904-1983) est un célèbre danseur et chorégraphe américain d’origine russe.

27 Propos de Maurice Béjart, La danse art du XXe siècle ?, 1990 p. 80. Maurice Berger, dit Béjart (1927-2007), célèbre danseur et chorégraphe français naturalisé suisse.

28 Susan Buirge, Propos recueillis par Philippe Le Moal, juin 1990, non publié; cité dans Philippe Le Moal, 1998, p. 58.

29 Angelin Preljokaj, Propos recueillis par Aude Richard, in Le journal de Genève, 31 juillet 1993; cité dans Philippe Le Moal, 1998, pp. 177-178. Angelin Preljocaj (1957-) est un danseur et chorégraphe français réputé pour son souci de la mémoire de ses chorégraphies.

30 Janine Charrat, Propos recueillis par Olga Grimm-Weissert, in Adage, n°6, 2e trim. 1986; cité dans Philippe Le Moal, 1998, p. 234. Janine Charrat (1924-) danseuse et chorégraphe française, est directrice du Ballet du Grand- Théâtre de Genève de 1962 à 1964, puis conseillère au Centre national d’art et de culture Georges-Pompidou.

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D’autres points de vue affirment au contraire que garder une mémoire de la danse devrait être une obligation et aller de soi :

« La fixation matérielle d’un ballet est indispensable pour des raisons tant juridiques que pratiques. Pourquoi la fixation obligatoire ? D’abord parce que la loi l’impose.

Elle précise : […] sont considérées comme œuvres de l’esprit les œuvres

chorégraphiques […] dont la mise en œuvre est fixée par écrit ou autrement. Le choix n’existe pas, la fixation est impérative. L’existence de droit pour les chorégraphes est difficile à établir sans la présence de documents concrets.

Mais les raisons ne sont pas que d’ordre juridique. La danse n’a pratiquement pas de mémoire contrairement à l’architecture, la peinture ou la sculpture. Les archives conservent essentiellement les décors et les costumes, du moins jusqu’à l’apparition de la première notation structurée.

Depuis le début du XXe siècle, la multiplicité des styles a fait éclater la notion uniforme d’écriture chorégraphique. Il est pourtant indispensable que nous

conservions la mémoire de toutes ces créations. L’archivage systématique ne doit pas aboutir à de nouveaux cimetières de la pensée. Les documents conservés quelle que soit la forme, doivent être d’une qualité suffisante pour permettre leur utilisation ultérieure. Les mémoires individuelles ne suffisent pas pour remonter une œuvre chorégraphique.

Comment fixer les œuvres chorégraphiques ? Le texte de loi n’impose pas le mode de fixation, laissant toute liberté au chorégraphe »31.

Garder mémoire des chorégraphies passées permet de constituer et de connaître l’Histoire de la danse, de pouvoir suivre l’évolution des mouvements, leur filiation, raisons pour lesquelles il est nécessaire de mettre en œuvre des dispositifs de mémorisation.

Bien sûr tout n’est pas digne d’être conservé. Un déhanchement produit spontanément sur un air léger dans nos cuisines n’a pas le même poids qu’une chorégraphie montée après des heures de travail et de répétition. Mais les chorégraphes devraient prendre conscience de l’importance de conserver ou sauvegarder leurs pièces. La distinction de ces deux verbes est importante, comme le démontre le chapitre suivant.

31 Olivier Le Cove, « La fixation matérielle des œuvres chorégraphiques », in Lettre de la danse, n°2, décembre 1985; cité dans Philippe Le Moal, 1998, pp. 205-206.

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III. 2 « Conserver » ou « sauvegarder » la danse?

Une des raisons du malaise quant à savoir s’il est concevable de conserver la danse

proviendrait d’un problème de terminologie. Conserver implique de maintenir en l’état. Or, garder en l’état un art éphémère ou fixer une suite d’instants en perpétuel mouvement n’est-il pas une gageure ? A force de fixer, ne finirait-t-on pas par figer, avec l’idée de mettre en conserve ? Comme le relève Mariannick Jadé, « [l]a conservation traite de ce qui a été et qui n’est plu, elle prend en charge la mémoire captée sur supports. Cette dernière, fixée, datée et irréversible apporte une connaissance mnémonique du passé »32.

Le terme « conserver » s’applique donc comme nous allons le voir, aux traces matérielles laissées par la danse. Le chapitre IV sera consacré à l’analyse de ces empreintes matérielles.

En revanche, sauvegarder introduit une nuance. En effet, ce terme réunit sauver qui veut dire maintenir sauf (de sain et sauf), maintenir en vie quelque chose qui risque de mourir, et garder qui ne veut pas seulement dire conserver, prendre soin, mais aussi garantir, se porter garant, selon Mariannick Jadé33. Cette notion de vivant correspond bien au phénomène de la danse, en tant qu’art éphémère, d’un soir ou plus, transmis oralement, de maître à élève, de génération en génération. Sauvegarder la danse signifie donc préserver une vitalité, voire un renouvellement, un processus. C’est ce qui sera développé dans le chapitre V.

32 Mariannick Jadé, 2006, p. 122.

33 Ibid., p. 109.

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IV. Quels sont les moyens pour conserver la danse ?

Selon l’UNESCO, un premier champ d’action est celui de la réalisation d’inventaire, de la recherche, de la documentation et des programmes d’archivage. Une seconde mesure de sauvegarde doit promouvoir la transmission directe et la mise en place de structures durables favorisant les relations maître-disciple, c’est-à-dire un échange par voie orale34.

Il est donc possible d’agir tant au niveau des traces matérielles laissées par la danse, qu’au niveau de l’immatériel, de la transmission du vivant selon le terme de Philippe Le Moal. Là encore, s’opère une distinction entre conserver et sauvegarder. On conserve la matière alors qu’on sauvegarde le processus de transmission, la relation de maître à élève.

IV. 1 Conserver le matériel archivable

La danse laisse de multiples traces de son passage, comme le relève Aubierge Desalme dans son mémoire de diplôme de conservateur de bibliothèque : il existe les supports papiers, qui vont des notations chorégraphiques, aux programmes, en passant par les coupures de presses ou les affiches, les supports magnétiques, comme la vidéo ou les films, la photographie ou diapositive, et enfin plus récemment les pages web de compagnies ou de diverses associations de danse35.

Ces divers documents apparemment disparates ont comme point commun et comme avantage d’être des supports matériels pouvant être collectés et conservés dans des institutions

spécialisées dans l’archivage ou chez des amateurs privés. Ainsi, ils se révèlent être d’excellents aide-mémoires, tant du point de vue d’une chorégraphie que de son contexte historique. La matérialité de ces médiums a évolué selon les avancées technologiques de chaque époque mais répond à un besoin unanime de garder des traces des mouvements de danse. Les chapitre suivants proposent un survol de ces supports ayant servi à conserver des traces de danse. Ils sont classés dans l’ordre de leur apparition dans l’histoire et regroupés par

34 http://www.unesco.org/culture/ich/index.php?pg=5

35 Aubierge. Desalme, 2006, pp. 18-21.

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matière. Chaque support ayant des particularités propres, j’en ai donc profité pour mettre en évidence leurs avantages et inconvénients en matière de conservation de la danse.

IV. 1. 1 Les systèmes de notation

Divers systèmes des notations apparaissent au XVe siècle déjà, avec l’éclosion de la danse dans les cours européennes. Praticiens et théoriciens cherchent alors un moyen de transcrire le mouvement, afin de diffuser un répertoire gestuel particulier.

Parmi les tentatives développées, trois écritures ont été marquantes pour l’histoire de la danse:

la notation Feuillet, la notation Laban et la notation Benesh.

IV. 1. 1. 1 Raoul Auger Feuillet (1660-1710)

Ce maître à danser français est connu pour être l’inventeur du terme « chorégraphier » qui signifie à l’origine tracer ou noter la danse, du grec « chorê », danse et « graphie », écrire.

Depuis, la définition du terme a évolué et « chorégraphie » renvoie de nos jours non pas à l’activité de notation, mais à celle de création en danse ou de « composition »36.

Raoul Auger Feuillet est l’auteur de Chorégraphie, ou l’art de d’écrire (sic) la danse par caractères, figures et signes démonstratifs, publié en 1700. Cette œuvre développe un système de notation du mouvement qui conçoit la danse comme un système de signe. Combinant schémas figuratifs et signes abstraits, Raoul Auger Feuillet se base sur l’analyse du pas pour tracer les déplacements et l’orientation du danseur. La feuille représente donc le plan de la scène sur laquelle est reconstitué le parcours et les pas du danseur37.

La trace, chez Raoul Auger Feuillet, recoupe deux ordres de représentation superposés: tout d’abord, le tracé au sol d’un parcours qui représente une ligne de trajet ondulant, puis, l’axe vertical du corps que représente la même ligne, comme si la colonne vertébrale humaine se projetait sur l’axe du déplacement humain. La lancée du pas, de part et d’autre de cet axe indique le mouvement de la jambe libre. Son écriture indique un autre point important : le

36 Laurence Louppe, 1994, p. 19.

37 Voir annexe, illustration 1.

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transfert de poids latéral et sagittal (en avancée) qui permet le déplacement du corps par l’alternance des appuis 38.

Le succès qu’aura cet ouvrage à l’échelle européenne et ses nombreuses traductions favoriseront la diffusion du répertoire de la danse française de l’époque.

IV. 1. 1. 2 Rudolf Laban (1879-1958)

Célèbre maître de ballet et théoricien d’origine austro-hongroise, Rudolf Laban conçoit dès les années 20 un système de notation du mouvement humain, également connu sous le nom de

« Cinétographie » ou « Labanotation ». Pour élaborer sa notation, Rudolf Laban se fonde sur l’analyse de l’espace, du temps, du poids et de la force pour chaque mouvement39. Une portée verticale de trois lignes lue de bas en haut indique la succession des actions dans le temps, tandis qu’une lecture horizontale en livre les simultanéités. La partie gauche de la portée concerne la partie gauche du corps et de même pour la partie droite. Les lignes figurant à l’extérieur de la portée représente les mouvements des membres supérieurs et celles à l’intérieur les mouvements des membres inférieurs. Les directions sont indiquées par des signes, dont la coloration correspond au changement de niveau (haut, moyen, bas)40. Ce système s’intéresse plus à la dynamique du mouvement, au transfert du poids, qu’à la position. Pour prendre note, il faut se placer derrière, en fond de scène, afin d’avoir un rapport immédiat avec le mouvement. Durant ce travail, le notateur doit être « très fin, très vivant », selon Jacqueline Challet-Haas, membre-expert du Conseil international de cinétographie Laban et directrice de la classe d’analyse et d’écriture du mouvement au Conservatoire National d’enseignement de musique et de danse de Paris41.

La Labanotation est par ailleurs toujours d’actualité, elle est largement appliquée pour la retranscription de pièces de danse contemporaine. Le Dance Notation Bureau de New York offre des formations en Labanotation et archive encore depuis des décennies des partitions chorégraphiques dans cette notation.

38 Eugénia Roucher, « R. A. Feuillet », in Dictionnaire de la danse, Larousse, 2008, p. 770.

39 http://notation.free.fr/laban/index.html

40 Voir annexe, illustration 2.

41 Dominique Brun, « La danse du papier », in Interprètes inventeurs, Paris, ANFIAC, 1992, p. 133.

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IV. 1. 1. 3 Rudolf Benesh (1916-1975)

Notateur anglais, Rudolf Benesh crée en 1955 la Benesh Notation qui fonctionne comme une sorte de dessin animé, où une suite de pictogramme donne la succession du mouvement en suivant le cadre d’une partition musicale42. La portée horizontale de cinq lignes échelonne les parties du corps des pieds à la tête. Les mouvements se lisent donc de gauche à droite en suivant les indications des temps situés au-dessus de la portée et les indications d’espace en- dessous de celle-ci.

En 1962 est fondé le Benesh Institute of Choreology, où se perpétuent l’enseignement et le développement du système. Il semblerait que la notation Benesh soit actuellement plus

largement utilisée pour la danse néo-classique et classique que pour la danse contemporaine43.

IV. 1. 1. 4 Avantages et inconvénients des systèmes de notations

L’aube du XXe siècle voit la naissance des grands systèmes de notation qui vont permettre au mouvement d’intégrer un champ de signification autonome, indépendant du langage verbal.

Ces notations ont donc le mérite de se vouloir universelles, de décrypter tout mouvement humain, en dehors de tout code gestuel reconnaissable. Le premier avantage de ces notations est qu’elles offrent un système abstrait qui retrace avec fidélité les mouvements des danseurs.

Les notations permettent d’enregistrer le mouvement mais aussi les instructions données par le chorégraphe en répétition, les variations possibles dans la chorégraphie, etc. Une fois retranscrite, l’œuvre est donc consignée et peut être conservée. Deuxième avantage: « mieux conservée, l’œuvre sera mieux protégée »44. En effet, la consignation sous forme écrite constitue une mesure de sécurité supplémentaire à la mise en mémoire d’une pièce.

Troisième avantage, en tant que système de mémorisation, l’écriture permet la circulation des danses dans l’espace et le temps. Une fois écrite, l’œuvre peut alors se transmettre. Et enfin, une pièce écrite a de grande chance de s’inscrire dans le répertoire, contribuant ainsi à la

42 Voir annexe, illustration 3.

43 Jacqueline Challet-Haas, Kinem 1, Mémoire et notation, http://www.cnd.fr/saison/kinem/kinem1?

kid=memoire_notation

44 Jacques Garnier, Rapport au Centre Français du Théâtre après le 1er Congrès international de la notation du mouvement, août 1984; cité dans Philippe Le Moal, 1998, p. 234.

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constitution de la mémoire de l’Histoire de la danse. En somme, transcrire une pièce, c’est essayer de garantir qu’« elle vivra mieux »45.

Paradoxalement, en conservant une chorégraphie par des moyens matériels, cela permet de la garder en mémoire et accroît les chances de la retrouver un jour à nouveau produite sur un plateau de scène sous forme vivante.

« Le fait d’écrire le mouvement procure à la danse un nouveau statut : il lui donne la mémoire qu’elle n’a jamais eue, une mémoire écrite et non une mémoire orale fragile, soumise aux oublis voire aux pertes de mémoire certaine. A l’aide de ce substrat matériel que représente l’écriture, le danseur crée ainsi un décalage avec le présent. Le temps du danseur n’est plus condamné à l’ici et maintenant. Il se projette vers le passé et le futur. L’écriture lui donne la possibilité d’un retour en arrière, la possibilité d’une relecture détaillée de sa construction. Elle seule peut lui permettre d’entreprendre une telle approche »46.

Cependant, quelques inconvénients ternissent la réputation de la notation.

Premièrement, en raison du caractère abstrait de ces notations, seuls des connaisseurs sachant décrypter ce langage sont à même de le retranscrire visuellement en une chorégraphie.

Deuxièmement, chaque danseur nécessitant d’être noté, le temps de travail peut être très long selon le nombre de danseurs. Pour réaliser une partition dans des conditions idéales, le notateur doit pouvoir assister à toutes les répétitions et disposer de temps de réflexion entre les répétitions indispensable à la mise au point de la partition. A défaut de temps, le notateur peut recourir à la capture des mouvement par la vidéo et les transcrire depuis ce support.

Mais évidemment un détail important peut être masqué, et dans un porté, une position des mains est parfois un facteur de réussite ou d’échec du pas. La partition obtenue à l’aide de la vidéo est donc moins riche ou moins fiable qu’une partition réalisée pendant les répétitions47.

45 Jacques Garnier, Rapport au Centre Français du Théâtre après le 1er Congrès international de la notation du mouvement, août 1984; cité dans Philippe Le Moal, 1998, p. 234.

46 Martine Mouton, « Signe corporel, signe écrit », in Marsyas, n°6, juin 1988; cité dans Philippe Le Moal, 1998, pp. 235-236. Martine Mouton est chargée de mission musique et danse à la direction de la culture et du

patrimoine, région Provence-Alpes-Côte d’Azur.

47 Dany Lévêque, « Notation vidéo et mouvement », in Marsyas, n°20, décembre 1991; cité dans Philippe Le Moal, pp. 229-230.

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Troisièmement, en raison du temps nécessaire à la notation, les coûts d’une transcription écrite sont généralement assez élevés. Et la majorité des compagnies ayant des budgets serrés, la notation n’est de loin pas une priorité.

Quatrièmement, malgré les possibilités immenses de la notation et malgré la fidélité et l’attention des notateurs, certains témoignent des difficultés et peut-être des limites de l’exercice. Des réserves sont émises quant à la faisabilité de la retranscription

d’enchaînements particulièrement complexes, comme le souligne Noémie Perlov, notatrice Benesh:

« Il y avait un abîme entre le travail de Chopinot (danseuse et chorégraphe

anticonformiste de nationalité française née en 1951) et les partitions conventionnelles que j’avais étudiées à l’Institut Benesh : comment noter quelques-uns de ses

mouvements novateurs ? Comment dans Rossignol résoudre, au plan de la

transcription, le problème de la hauteur à laquelle s’élevaient les danseurs d’une aile de scène à l’autre ? […]

J’ai essayé d’être aussi fidèle que possible, dans ma transcription, à ses chorégraphies.

Et pourtant le doute subsiste : est-ce que j’ai su être vraiment exacte ? Est-ce que l’esprit, l’énergie et la qualité unique de son travail sont vraiment traduits par la partition ? Est-ce que j’ai vraiment et complètement saisi cette vie de la danse ? »48. Il existe toujours une marge d’interprétation: d’une part au niveau du notateur face au danseur, ce qui laisse supposer que le notateur porte une responsabilité quant à la fidélité et à la qualité de la prise de note – de la précision de la transcription dépend la fidélité des hypothétiques reprises de l’œuvre d’origine; et d’autre part au niveau du lecteur de la notation dans l’optique d’une reprise. En résumé, « [l]e mouvement noté, qui dépend en amont du regard et de la corporéité du notateur, est susceptible de plusieurs lectures »49.

Cinquièmement, la notation étant une retranscription du mouvement du danseur, elle ne renseigne peu ou pas systématiquement sur la manière d’interpréter le mouvement. Là, réside une marge de manœuvre qui peut aboutir à des variations par rapport à l’œuvre d’origine.

« La notation ne nous livre qu’une trame et il nous revient de l’interpréter et d’en compenser les lacunes. Sans doute cette démarche n’est possible que si nous sommes familiers de ce qui est sous-entendu ; c’est entre autres cette familiarité que les

48 Noémie Perlov, « La chorégraphie un procédé actif », in Marsyas, n°6, juin 1988; cité dans Philippe Le Moal, 1998, p. 236.

49 Isabelle Launay, « Le don des morts, tradition et transmission chez Laban et Wigman », in Marsyas, Revue de pédagogie musicale et chorégraphique, Paris, La Vilette Cité de la musique, septembre 1994, n° 31, p. 60.

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musiciens appelaient le «bon goût », notion si peu informative pour nous qui cherchons à renouer avec des pratiques dont la tradition s’est largement perdue »50. Enfin, les notations manqueraient de reconnaissance, malgré la création au XXe siècle de centres formation et d’archivage relatifs à la danse : selon Laurence Louppe, elles ne bénéficieraient d’aucun statut culturel précis. Le notateur en danse serait un scribe bien modeste, provisoire, sans postérité qui « griffonne ses hiéroglyphes, pour parler comme Feuillet, dans l’ombre des écritures »51.

Une prise de conscience de l’importance et l’intérêt des notations doit avoir lieu au sein du milieu de la danse même, pour que les chorégraphes intègrent et défendent cette pratique. De cette façon, les commanditaires intégreraient les frais de notation à leur budget, ce qui permettrait à la notation de devenir une règle.

Parallèlement à ces systèmes d’écritures, se développent des écrits intimes, des pratiques picturales personnelles, propres à chaque danseur ou chorégraphe.

IV. 1. 2 L’écrit des chorégraphes

Nombreux sont les chorégraphes danseurs qui ont laissé derrière eux des écrits, sous forme de biographie, de notes, d’articles ou de carnets. Je pense notamment à Isadora Duncan, Martha Graham, Maurice Béjart, Trisha Brown, et bien d’autres. Une question se pose face à cette production secrète:

« Pourquoi tous ces dessins, traces, plans, grilles, trajectoires lances sur le papier d’une main porteuse de son propre mouvement, comme si le mouvement de la main avait lu le mouvement du corps, et en projetait le flux ? Pourquoi tous ces papiers froissés, jaunis, oubliés, trouvés chez les chorégraphes, ou dans différents lieux, épars et inaccessibles, des archives de la danse ? Papiers souvent pauvres, telles ces bribes de papier d’emballage ou de calque utilisées par Mary Wigman pour ses paysages déracinés, sans échelle, sans ancrage. Ces vieux programmes au verso desquels Merce Cunningham griffonne ses grilles ou ses têtes d’animaux. Ces papiers d’écoliers lignés ou à carreaux qui servent à Doris Humphrey, Yvonne Rainer ou Dominique Bagouet.

50 Laurence Louppe, 1994, p. 129.

51 Ibid., p. 19.

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Notes de travail griffonnées ? Oui sans doute, mais porteuses de quoi ? D’un projet, d’une mémorisation, d’une écriture flottante qui n’a pas encore inventé sa surface52. Une part de la réponse est livrée par Trisha Brown (1936-), danseuse et chorégraphe

américaine, connue pour ses dispositifs qui mettent en évidence les éléments fondamentaux du mouvement, à savoir le poids, la verticalité et la vitesse. L’exemple éloquent est sans doute la pièce Planes réalisée en 1968, dans laquelle les danseurs évoluent sur un mur rempli de trous qui servent d’accroches aux pieds et aux mains donnant une impression d’apesanteur.

Elle livre quelques explications sur ces notes personnelles:

« Avant l’avènement de la télévision, j’éprouvais le besoin de noter ce que je faisais en danse. Étant donné que mon langage cinétique personnel était multidirectionnel, ce n’était pas facile ; pour y parvenir, j’étais obligée d’utiliser tout ce qui me venait à l’esprit. J’aimais exécuter une phrase, puis m’asseoir sur le sol et tenter de transcrire cela sur mon carnet de croquis. Je n’utilisais des mots que lorsqu’ils me permettaient de représenter plus rapidement le mouvement. C’était le seul moyen que j’avais de garder trace d’une chorégraphie. Je suppose que j’ai alors commencé à percevoir sur le papier des choses qui m’ont intriguées. Mes carnets de croquis me tenaient lieu, en quelque sorte, de journal intime. Certaines de mes réflexions étaient plus visuelles, reflétant une prise de conscience des arts plastiques en général. Marcher le long de la façade d’un building (Man Walking down the Side of the Building, 1970) est, je pense, un concept qui relève du monde des arts plastiques. L’idée était, je pense, de retourner du lieu de la performance vers la feuille, d’une certaine manière »53.

Ces traces écrites ou graphiques s’apparentent souvent davantage à une forme de brouillon en regard aux systèmes de notation officiels. Cela soulève la question de savoir si elles méritent d’être conservées. Or, leur intérêt et leur potentiel documentaire sont immenses, comme l’a révélé l’exposition Trisha Brown, Danse, précis de liberté à Marseille en 1998 élaborées grâce aux croquis réalisés par Trisha Brown54.

Les écrits des danseurs nous livrent des témoignages qui complètent la connaissance des œuvres en révélant par exemple le processus de création en amont, les thèmes de recherche ou l’inspiration. Ces notes, brouillons, croquis de mouvement sont donc des traces à conserver55. D’ailleurs, ces écrits font l’objet d’un intérêt certain, au regard de la quantité d’ouvrages autobiographiques ou de monographies dédiés aux danseurs-chorégraphes devenus célèbres.

52 Laurence Louppe, 1994, p. 22.

53 Trisha Brown, Danse, précis de liberté, 1998, p. 13.

54 Voir annexe, illustrations 4 et 5.

55 Voir annexe, illustration 6.

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IV. 1. 3 Les supports visuels inanimés : photographies ou diapositives

Les diapositives et surtout les photographies de danse sont très répandues. En effet, elles constituent un arrêt sur image sur le climax d’un mouvement, c’est-à-dire en général au moment le plus spectaculaire. Cela a comme conséquence de reléguer au rang de ratées, toutes les photographies saisissant des instants de préparations, soit juste avant ou juste après le point culminant d’une séquence.

Une pause ne révèle pas un grand intérêt du point de vue du mouvement, vu qu’elle en omet le déroulement. Néanmoins, la photographie constitue une documentation de valeur du point de vue des costumes56, des décors, du maquillage, de la coiffure, ou des détails sur les

positions, les lignes, les placements des danseurs, etc.

Évidemment, pour qu’un cliché puisse faire montre de toute son utilité, il doit y figurer une légende, faute de quoi, il faudra s’atteler à des recherches souvent longues pour l’identifier.

Les photographies constituent également la source principale d’illustrations des ouvrages traitant de la danse. Elles contribuent à la mise en valeur, à l’attraction de ces publications pour le lecteur57.

IV. 1. 4 Les supports visuels animés : films ou vidéos

J’associe dans cette catégorie les vidéos et les films bien que ces supports soient différents et que leur durée de conservation diverge. Elle regroupe l’ensemble des techniques permettant l’enregistrement ainsi que la restitution d’images animées, accompagnées ou non de son, sur un support adapté à l’électronique, pour la vidéo et de type photochimique pour le film58. Dès la naissance du film vers 1890, des mouvements de danse, comme ceux soulignés par les fameux jeux de drapés de Loïe Füller (1862-1928), comédienne, danseuse et chorégraphe américaine, sont saisis sur la pellicule. Quant à la vidéo analogique, elle fait son apparition au milieu des années 50 mais conquiert le milieu de la danse à partir des années 70 aux Etats-

56 Voir annexe, illustrations 7 et 8.

57 Voir annexe, illustration 9.

58 Définition sur: http://www.techno-science.net/?onglet=glossaire&definition=7376

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Unis. Elle se répand d’ailleurs très largement puisqu’elle représente « le premier moyen relativement accessible capable de capter le mouvement des corps, d’enregistrer les spectacles, de garder des traces de leçons, de répétitions, d’émissions de télévisions ou d’interviews »59.

L’apparition de la vidéo a certainement constitué un événement marquant et un tournant dans la conception de la conservation de la danse. La seule inconnue à l’heure actuelle est la durée de conservation de ces bandes à long terme.

IV. 1. 4. 1 Avantages et inconvénients

Le mot vidéo vient du latin video qui signifie « je vois ». Une des qualités de l’image animée est qu’elle offre une indication spatio-temporelle des mouvements et des danseurs. Elle saisit la synchronisation des mouvements, la dynamique de ceux-ci, ainsi que les interactions entre danseurs. Elle permet de repérer la relation entre mouvement et musique. D’autre part, la vidéo témoigne des costumes, des décors et de l’éclairage. En somme, elle semble offrir tous les avantages de la vision naturelle du public face à la scène.

Encore faut-il que la chorégraphie soit bien filmée, bien cadrée. Ainsi, il est tout à fait courant de voir un cadrage rapproché sur un danseur pendant que le reste des danseurs continuent de faire leur enchaînement. Et voilà que surgit le problème. En admettant que la vidéo serve de support au remontage d’une pièce, il arrivera fréquemment qu’une partie de la chorégraphie disparaisse dans l’ombre d’un malheureux cadrage serré. Difficile alors de la restituer dans son entier.

Il apparaît donc une distinction entre une approche documentaire d’une chorégraphie et un film de danse s’inscrivant dans la tradition cinématographique. La vidéo danse utilise généralement des larges plans, afin de restituer l’image d’une expression, la conception picturale d’une pièce ou son atmosphère60, tandis que les films de danse sont constitués de prise de vue plus serrées, comme le visage par exemple.

59 Aubierge Desalme, 2006, p. 19.

60 Dany Lévêque, « Notation vidéo et mouvement », in Marsyas, n°20, décembre 1991; cité dans Philippe Le Moal, 1998, p. 229.

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