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La danse, un patrimoine culturel immatériel ?

II. 1 Rappel historique : La notion de patrimoine immatériel

Après des années de travail de recherche mené par l’UNESCO, la Convention pour la sauvegarde de patrimoine culturel immatériel est entrée en vigueur le 20 avril 2006.

L’adoption de cette convention apporte une reconnaissance à cette forme de patrimoine particulier, à ses communautés et ses groupes qui les identifient, les mettent en œuvre ou les recréent.

La genèse de ce patrimoine est apparue en 1972, lors de l’adoption de la Convention pour la protection du patrimoine mondial, culturel et naturel. Plusieurs États membres soulignent alors l’importance qu’ils accordent à la sauvegarde de ce qui s’appellera plus tard le patrimoine immatériel.

L’année suivante, la Bolivie propose d’ajouter un Protocole à la Convention universelle sur le droit d’auteur afin de protéger le folklore. Le patrimoine immatériel est donc dans un premier temps associé au folklore.

En 1982, l’UNESCO met en place un Comité d’experts pour la sauvegarde du folklore et crée une section pour le patrimoine dit non-matériel. Cette même année, la Conférence mondiale sur les politiques culturelles (Mondiacult), organisée à Mexico, reconnaît enfin l’importance du « patrimoine culturel immatériel » et inclut ce dernier dans sa nouvelle définition de « culture » et de « patrimoine culturel ».

En 1989, la Recommandation sur la sauvegarde de la culture traditionnelle et populaire est adoptée par l’UNESCO. Ses formes comprennent, entre autres, la langue, la littérature, la musique, la danse, les jeux, la mythologie, les rites, les coutumes, l’artisanat, l’architecture et d’autres arts. Cette Recommandation dédie un chapitre entier, intitulé « Conservation de la culture traditionnelle et populaire », à la mise en œuvre de moyens de conservation sous forme archivistique ou muséale qui dix ans plus tard sera vivement critiqué. Ce chapitre incite à:

(a) mettre en place des services nationaux d’archives où les matériaux de la culture traditionnelle et populaire collectés puissent être stockés dans des conditions appropriées et mis à disposition ;

(b) mettre en place une unité nationale centrale d’archives aux fins, de la prestation de certains services (indexation centrale, diffusion de l’information relative aux

matériaux de la culture traditionnelle et populaire et aux normes applicables aux activités la concernant, y compris l’aspect préservation) ;

(c) créer des musées ou des sections de la culture traditionnelle et populaire dans les musées existants où celle-ci puisse être présentée ;

(d) privilégier les formes de présentation des cultures traditionnelles et populaires qui mettent en valeur les témoignages vivants ou révolus de ces cultures (sites, modes de vie, savoirs matériels ou immatériels) ;

(e) harmoniser les méthodes de collecte et d’archivage ;

(f) former des collecteurs, des archivistes, des documentalistes et autres spécialistes à la conservation de la culture traditionnelle et populaire, de la conservation matérielle au travail d’analyse ;

(g) octroyer des moyens en vue d’établir des copies d’archives et de travail de tous les matériaux de la culture traditionnelle et populaire, ainsi que des copies, destinées aux institutions régionales, assurant de la sorte à la communauté culturelle concernée un accès aux matériaux collectés.

L’UNESCO lance ensuite en 1994 le programme Trésors humains vivants à la suite d’une proposition formulée par la République de Corée. Il s’en suit la création du titre officiel de Maître d’art qui s’inspire directement des Trésors nationaux vivants au Japon. Soixante-trois maîtres d’art sont reconnus actuellement, dont quelques uns dans la rubrique « théâtre, musique, danse ». La danse constitue donc bien un domaine dans lequel se perpétuent des Maîtres d’art.

En 1996, un rapport intitulé « Notre diversité créatrice » souligne que la Convention de 1972 n’est pas appropriée pour la valorisation et la protection de l’artisanat ou des formes

d’expressions telles que la danse ou les traditions orales, et plaide en faveur d’autres formes de reconnaissance adaptées à la diversité et à la richesse de ce patrimoine vivant.

En 1997, l’UNESCO lance alors le programme de Proclamation des chefs-d’œuvre du

patrimoine oral et immatériel de l’humanité, comme initiative à court terme dont le but est de reconnaître les chefs d’œuvre du patrimoine immatériel de l’humanité.

Une Conférence d’évaluation de la Recommandation sur la sauvegarde de la culture

traditionnelle a lieu en 1999 et met en évidence l’échec de cette dernière. La cause en est la suivante: il est relevé que cette Recommandation « est trop intégré(e) aux institutions de

documentation et d’archivage et vise ainsi à protéger les produits plutôt que les producteurs de la culture traditionnelle et du folklore »12. La solution envisagée est d’établir un équilibre entre la nécessité de documenter et celle de protéger les pratiques ou les savoir-faire. Les efforts de protection doivent, de ce fait, se centrer sur les collectivités qui les pratiquent.

Trois Proclamations se succèdent alors. En 2001 lors la première Proclamation, dix-neuf espaces culturels ou formes d’expression culturelle se voient décerner le titre de chefs-d’œuvre du patrimoine oral et immatériel de l’humanité. Les États membres de l’UNESCO adoptent la Déclaration universelle sur la diversité culturelle, ainsi que son plan d’action.

En 2003, la Conférence générale adopte la Convention pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel. Lors de cette deuxième Proclamation, vingt-huit nouveaux espaces culturels ou formes d’expression culturelle enrichissent la liste des chefs-d’œuvre.

Finalement, le 20 avril 2006, la Convention pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel entre en vigueur.

A travers ce survol, on constate que la notion de patrimoine immatériel a été associée au cours du temps au folklore, à la culture traditionnelle et populaire, avant d’acquérir un titre à part entière.

II. 2 La Convention pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel, définition actuelle

L’Article 2. de la Convention définit en tant que « patrimoine culturel immatériel, les pratiques, représentations, expressions, connaissances et savoir-faire – ainsi que les

instruments, objets, artefacts et espaces culturels associés – que les communautés, les groupes et, le cas échéant, les individus reconnaissent comme faisant partie de leur patrimoine

culturel. Ce patrimoine culturel immatériel, transmis de générations en générations, est recréé en permanence par les communautés et groupes en fonction de leur milieu, de leur interaction avec la nature et de leur histoire, et leur procure un sentiment d’identité et de continuité, contribuant ainsi à promouvoir le respect de la diversité culturelle et la créativité »13.

12 Voir point 11 in: http://www.folklife.si.edu/resources/Unesco/finalreport_french.htm

13 http://www.unesco.org/culture/ich/index.php?pg=00006

Il se manifeste notamment dans « les traditions et expressions orales, y compris les langues comme vecteur du patrimoine culturel immatériel ; les arts du spectacle, les pratiques sociales, rituels et événements festifs, les connaissances et pratiques concernant la nature et l’univers ; les savoir-faire liés à l’artisanat traditionnel ».

La danse me semble correspondre dans une certaine mesure à cette définition: elle entre dans la catégorie des arts du spectacle, se transmet par voie orale, d’une génération à une autre et est recréé en permanence par les acteurs du milieu de la danse, à savoir les danseurs et chorégraphes 14.

Cette Convention a comme but la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel ; le respect du patrimoine culturel immatériel des communautés, des groupes et des individus concernés ; la sensibilisation aux niveaux local, national et international à l’importance du patrimoine culturel immatériel et de son appréciation mutuelle ; la coopération et l’assistance internationale.

Dans la pratique, l’application de ces mesures aboutit par exemple à la création par

l’UNESCO d’une « Liste du patrimoine immatériel nécessitant une sauvegarde urgente » et d’une « Liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l’humanité ». Sur les nonante éléments représentatifs inscrits, une dizaine comprend de la danse. Mais il s’agit de danse que l’on peut qualifier de traditionnelle, folklorique, et non pas de danse moderne ou contemporaine15. Ces deux styles de danse ne connaissent pas le même sort. La danse traditionnelle est inscrite sur des listes, sans doute en raison de la raréfaction des pratiquants de danse traditionnelle, alors que la danse moderne ou contemporaine y échappe.

Se pourrait-il qu’un jour la danse contemporaine figure sur ces listes ? Selon les réflexions de Cyrill Renz, président du Conseil International des Organisations de Festivals de Folklore et d’Arts Traditionnels (CIOFF), concernant l’appartenance d’une œuvre de Mozart au sein du patrimoine culturel immatériel, il semblerait que la réponse soit négative16. En effet, une œuvre de Mozart ne répondrait ni aux caractéristiques ni à la spécificité des expressions du patrimoine culturel immatériel. D’après la vision du CIOFF, le patrimoine culturel immatériel serait synonyme d’art traditionnel, folklorique, populaire. Cette distinction servirait sans doute

14 Dossier Patrimoine immatériel, Bulletin 2.2008, p. 28.

15 Au sujet des listes: http://www.unesco.org/culture/ich/index.php?pg=00011

16 http://www.unesco.ch/typo3conf/ext/dam_frontend/pushfile.php?docID=3355

à protéger ces manifestations secondaires, plus fragiles, des chefs-d’œuvre largement reconnus que sont les pièces de Mozart. Il n’en reste pas moins, qu’autant la musique

folklorique que celle de Mozart sont des œuvres à caractère immatériel. Toutefois, les œuvres de Mozart comportent une valeur implicite qui les érige à un statut particulier. Elles sont reconnues comme des œuvres d’importance et s’inscrivent dans les esprits comme faisant partie du répertoire qui se veut être sauvegardé. Cette distinction s’opère aussi dans le

domaine de la danse: une pièce de Maurice Béjart et une danse folklorique suisse ne partagent pas le même statut du point de vue de la Convention. Tandis qu’une pièce de Maurice Béjart aura éventuellement la chance d’être désignée un jour comme faisant partie du répertoire, une danse traditionnelle folklorique se verra, au contraire, inscrite sur les listes de sauvegarde. Le répertoire constituerait-il donc une forme de mise à l’inventaire, une mesure de protection, comme on l’entend dans le patrimoine bâti?

Avant de répondre à la question de savoir comment la danse peut-elle être sauvegardée, il s’agit de se positionner quant à la pertinence de la mise en mémoire de la danse. Pourquoi sauvegarder la danse?