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Le Cardinal Schiner

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Bibl. cant. US Kantonsbibl.

1010021047

TA 157

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P A U L D E C H A S T O N A Y

Le Cardinal

S C H I N E R

Adaptation française d'André Favre

Librairie de l'Université F. ROUGE & C

ie

S.A.

LAUSANNE

LIBRAIRIE-PAPETERIE

A M A C K E R 5 I E R R E

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LE CARDINAL SCHINER

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Traduction autorisée de l'ouvrage :

P. de Chastonay : Kardinal Schiner.

(Räber & C'e, Lucerne.) Tous droits réservés pour tous pays.

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«•

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Mathieu Schiner.

(Collection Paul Giovios du «Museum Giovianum».)

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P A U L D E C H A S T O N A Y

Le Cardinal

SCHINER

Adaptation française

ô " A N D R É F A V R E

Librairie de l'Université F. ROUGE & C

ie

S. A.

LAUSANNE

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, 0

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TABLE DES ILLUSTRATIONS

Pages

1. Mathieu Schiner, tiré du „Museum Jo- vianum", collection de portraits contem- porains de Paul Giovio . . . Frontispice

2. Le hameau de Mühlebach 17 3. Mathieu Schiner devient évêque de Sion,

d'après la chronique lucernoise illustrée

de Diebold Schilling 33 4. La famille de Georges Supersaxo. Exté-

rieur du rétable de l'Autel Sainte-Anne

à Glis 49 5. La bataille de Marignan 65

6. Sion à l'époque de Schiner (d'après

Merian) 81

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introduction.

E n t r a d u i s a n t la b r o c h u r e allemande du professeur P a u l de Chastonay, nous nous sommes p r o p o s é de combler une lacune assez difficile à expliquer. P o u r commémo- r e r le q u a t r i è m e centenaire de Schiner, les deux Sociétés d'Histoire du Valais publiè- r e n t en 1923 une p l a q u e t t e de documents relatifs à la biographie du cardinal, avec u n e i n t r o d u c t i o n de Gonzague de Reynold qui disait e n t r e autres :

« Le cardinal Mathieu Schiner fut u n des hommes les plus complets auxquels la Suisse ait d o n n é naissance. Non pas seulement u n h o m m e de guerre, mais d'abord u n grand diplomate. Non pas seulement u n g r a n d di- plomate, mais u n grand h o m m e d ' E t a t :..

c'est-à-dire ce qu'il y a de plus r a r e , plus r a r e encore en vérité, q u ' u n savant ou u n poète, ou u n artiste de génie. »

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Et c e p e n d a n t il n'existe encore, à n o t r e connaissance, aucune étude française qui m e t t e en lumière les vraies dimensions de cette a v e n t u r e prodigieuse. Nous croyons donc faire œuvre utile, en t r ad uis a nt, fort librement d'ailleurs, la biographie du p r o - fesseur de Chastonay. En plein accord avec l'auteur, nous insistons davantage, dans no- t r e transposition, sur quelques faits assez connus sans doute du lecteur allemand, mais t r o p concis ou résumés p o u r u n public fran- çais. Nous avons en outre essayé de r e t r a c e r , d'une m a n i è r e moins rapide, l'unité de la vie et du caractère de Schiner « humaniste, diplomate et chef de bataille, h o m m e d'une idée politique », résolu à « d o n n e r aux Suisses la conscience qu'ils étaient une gran- de puissance en devenir. S'il a échoué, ce n'est point de sa faute, car il possédait assez de génie, d'énergie, de volonté p o u r réus- sir ».

E n évoquant, avec toute la sympathie qu'il fallait, cette idée-force du grand cardi- nal, nous voudrions éviter tout m a l e n t e n d u et p r é v e n i r la t e n d a n c e , qu'on p o u r r a i t nous attribuer, de projeter sur le passé nos sen- timents actuels. Les intérêts et les circons- tances peuvent faire osciller, d'une généra-

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11 tion à l'autre, le jeu des sympathies interna- tionales, i n d é p e n d a m m e n t des affinités cul- turelles, linguistiques ou raciales. Ainsi, au temps de Schiner, les dizains inférieurs du Valais, quoique plus proches de la F r a n c e , sympathisaient avec le cardinal dans sa lutte contre la s u p r é m a t i e française, tandis que les dizains supérieurs, e n t i è r e m e n t germa- niques, a p p u y a i e n t Supersaxo, ami de la F r a n c e et adversaire de l'Empire. Nous nous sommes de m ê m e appliqué à c o m p r e n d r e l'opposition de Schiner à la F r a n c e et de ju- ger l'inspiration et l'œuvre de sa vie, sans tenir compte de préoccupations actuelles, qui (est-il besoin de le dire ?) doivent se situer à des niveaux bien différents. Igno- r a n t d'ailleurs, faute de recul historique, quelle est exactement l'orientation de la m e n t a l i t é suisse actuelle, nous serions bien mal placé p o u r juger Schiner en fonction d'un idéal politique c o n t e m p o r a i n quelcon- que.

La g r a n d e e n t r e p r i s e à laquelle le cardi- nal valaisan consacra sa vie au début du XVIm c siècle est assez loin de nous p o u r ne plus t r o u b l e r n o t r e sérénité. Rien ne serait moins historique que de p e r m e t t r e à nos préférences subjectives de nous fausser le

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r e g a r d sur des événements et des h o m m e s qui ne p e u v e n t se m e s u r e r qu'à eux-mêmes.

L'histoire, quoi q u ' o n en dise, ne recom- mence jamais. Il est bon de le r a p p e l e r p o u r ne pas m é c o n n a î t r e la personnalité excep- tionnelle de Schiner. « La m a r q u e de Schi- ner, p a r m i tous les héros de la Suisse an- cienne et nouvelle, c'est d'avoir été le seul à concevoir, et à réaliser partiellement, u n e g r a n d e politique, u n e politique européen-

ne ». (Ibid.) J

Anniviers, le 8 novembre 1942.

A n d r é F A V R E .

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Le berger de Conches.

Le R h ô n e s'éveille dans u n berceau t r a n - quille et spacieux. A v a n t de faire sa joyeuse e n t r é e dans u n pays de vergers et de vignes, il se prélasse en une conque fraîche, dans la v e r d u r e apaisante des sapins et des alpa- ges.

C'est la vallée de Conches qui p a r le Grim- sel et la F u r k a lorgne vers les pays alémani- ques : le t r a i t d'union qui relie le Valais soli- t a i r e au carrefour e u r o p é e n du G o t h a r d . Le G o t h a r d a été solennellemeut défini comme le gardien des frontières et des passages, comme la h a u t e coupole d'un observatoire qui enregistre les courants du m o n d e latin et du m o n d e germanique, qui contrôle les échanges e n t r e le N o r d et le Sud.

Aux points c a r d i n a u x de ce massif éton- n a m m e n t fécond jaillissent des fleuves qui s'en vont à l ' a v e n t u r e , p a r les chemins de

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leur choix, vers des mers opposées : la m e r du Nord, l'Adriatique, la Méditerranée.

Le R h ô n e adolescent se distingue p a r u n e n t ê t e m e n t et u n esprit personnel plus mar- qué. Il va droit devant lui, avec l'indépen- dance et la franchise qui caractérisent l'en- fant de Conches. Il y a plus d'un siècle, u n voyageur allemand reconnaissait aux Con- chards des qualités, qui aujourd'hui cadre- r a i e n t mal avec u n o r d r e nouveau : « Dans cette contrée du Valais habite u n petit peu- ple i n d é p e n d a n t , resté p u r , i n d o m p t a b l e , dont le caractère a quelque chose de fier et d'inflexible. »

Cet esprit combatif des gens de Conches, le duc B e r t h o l d V de Zähringen p u t déjà l ' e x p é r i m e n t e r à ses dépens. Dans la cam- pagne qu'il e n t r e p r i t en 1211 contre le Valais, il subit à Ulrichen une sanglante défaite. Deux siècles plus t a r d , en 1419, les Bernois subirent encore, au m ê m e endroit, le m ê m e sort, p o u r avoir voulu se mêler aux guerres de Rarogne. Les Conchards se sont toujours lancés joyeusement dans des aven- tures guerrières.

C'est u n petit peuple h a r d i .

Il y a longtemps qu'ils se sont risqués sur

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15 les hauts passages des montagnes, avec fem- mes et enfants, p o u r aller s'installer dans des pays étrangers, jusque dans les vallées du Sud, autour de Bosco-Gurin, P o m a t t , d'où ils ont essaimé dans toutes les direc- tions.

A quoi faut-il a t t r i b u e r ce t r a i t h é r o ï q u e de leur caractère ? — Ils ont « cela » dans le sang. Le sang des Conchards p r é s e n t e u n mélange aussi riche que varié. Il évoque les Ubériens, p e u p l a d e lépontique, premiers habitants connus dans cette vallée. Il r a p - pelle les Romains, les F r a n c s , les Burgon- des qui p é n é t r è r e n t au cours des siècles dans la région, jusqu'au jour où les Alémanes, venus sans doute p a r le Grimsel, s'établi- r e n t définitivement aux IXm e et Xme siècles et c o m p l é t è r e n t l'alliage... P r e u v e mani- feste que l'unité de race n'est pas indispen- sable à la valeur d'un peuple.

Il y a cinq cents ans, E r n e n était le chef- lieu de la vallée de Conches. Le pittoresque de cette minuscule capitale impressionnait déjà le c h r o n i q u e u r suisse Strumpf. On y admire encore aujourd'hui u n e vieille mai- son décorée d'antiques fresques, où l'on

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r e c o n n a î t avec quelque peine la p o m m e , le chapeau du bailli sur u n e p e r c h e et la secon- de flèche qui inquiétait le cœur de l'Autri- chien ; la vénérable maison communale, où jadis le sort du pays se décidait avec force discours et verres de muscat.

On y m o n t r e aussi les piliers à moitié dé- molis de la potence, à laquelle plus d ' u n m a l a n d r i n et plus d ' u n malchanceux atta- cha le fil de son existence. La pendaison d'ailleurs n ' é t a i t pas u n h o n n e u r accessible à t o u t le m o n d e . Les voisins jaloux racon- t e n t qu'au m o m e n t de l'exécution d'un ou- vrier d'outre-Rhin les habitants d ' E r n e n s'empressèrent de p r o t e s t e r : « La potence est p o u r nous et p o u r nos descendants, et n o n p o u r ces vauriens d'étrangers. »

Dans le voisinage immédiat d ' E r n e n , on t r o u v e le petit h a m e a u de Miihlebach. C'est là qu'est né le g r a n d prince d'Eglise et hom- me d ' E t a t européen, le cardinal Mathieu Schiner.

Mais p a r b o n h e u r , il n'est pas venu au m o n d e avec u n chapeau rouge sur la tête.

11 fut d'abord u n enfant de la m o n t a g n e , u n petit berger.

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Le hameau de Mühlebach. (Photo K. Giger, Adelboden.)

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17 Mathieu Schiner fut u n gamin valaisan comme beaucoup d'autres. A le voir, nul n'aurait pu croire qu'on se souviendrait encore de lui après plus de q u a t r e cents ans.

Il vit p o u r la p r e m i è r e fois la lumière de ce m o n d e t r o u b l é , mais p o u r t a n t si beau,|

vers l'an 1465, dans u n e maison où la soli-j dite l'emportait sur l'élégance. Le p è r e , me- nuisier très estimé, avait la main robuste et ferme. La m è r e était u n e pieuse monta- gnarde qui sur le berceau de son p o u p o n rêvait comme r ê v e n t toutes les mères.

Le gamin grandit vite. Il n ' a t t e n d i t sans doute pas longtemps p o u r manifester, dans sa nombreuse famille et au milieu de ses camarades, la fougue de son t e m p é r a m e n t , le besoin de c o m m a n d e r et d'imposer la force de ses muscles et de sa voix. Les témoi-- gnages, toujours suspects, des ennemis per- sonnels de Schiner ne m a n q u e n t c e p e n d a n t pas de vraisemblance, q u a n d ils nous évo- quent son adolescence p a r t i c u l i è r e m e n t agi- tée et t u r b u l e n t e . E n t r e ses escapades, et sans doute aussi quelques fredaines, le ber- ger vigoureux et r e m u a n t se d e m a n d a i t parfois ce que les gens pouvaient bien faire de l'autre côté des montagnes, et si le reste

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du inonde était aussi intéressant que le beau pays de Conches.

La P r o v i d e n c e avait été pleine de préve- nances à l'égard de ce jeune luron. Elle lui avait d o n n é u n oncle. E t cet oncle était curé, d'abord auxiliaire, puis curé en t i t r e d'Er- nen. C'est le désir légitime de tous les oncles- curés de faire étudier leurs neveux. Ainsi l ' e n t r e p r e n a n t neveu de n o t r e curé se m i t à l'étude. Il étudiait, tandis que ses vaches grasses et mouchetées b r o u t a i e n t l'herbe de la p e n t e , s ' i n t e r r o m p a n t sans doute parfois p o u r harceler de ses taquineries sa compagne pastourelle, Greti, qui en garde u n souvenir

!

plein de fiel. Il étudiait au bord du R h ô n e pressé de p a r t i r plus loin, bien loin, à la conquête du pays où l'on parle français.

Son esprit éveillé et r a p i d e suivait tout le p a r c o u r s du fleuve qu'il voyait g r a n d i r sous ses yeux. Son horizon s'élargissait et inconsciemment ses pensées et ses désirs immenses s'envolaient vers les lointains.

Quanfl l'oncle fut au bout de son latin, il envoya son neveu, intelligent et plein de promesses, à l'école de Sion. L'école capitu- laire, dont les traces r e m o n t e n t jusqu'au IXm e siècle, était originairement destinée à

-.:•

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19 l'éducation du futur clergé. Plus t a r d , on y reçut aussi d'autres jeunes gens désireux de s'instruire. L'école avait passé peu à peu aux mains des laïques, mais l'évêque et les cha- noines y exerçaient encore u n e influence p r é p o n d é r a n t e . Le c h a p i t r e comptait, à côté des membres originaires du pays, des étran- gers cultivés, clercs humanistes, h o n o r é s parfois de grades universitaires. Les hôtes de m a r q u e , distingués p a r l'élévation de leur esprit, ont toujours été les bienvenus en Valais.

A la capitale, le jeune Conchard se tr o uva vite à l'aise. La bienveillance des chanoines du Haut-Valais lui était t o u t acquise. Il dut lever des yeux critiques sur les orgueilleux châteaux de Valère et de Tourbillon, et s'irriter de la magnificence peu démocrati- que du puissant prince-évêque qui, dans les

cérémonies officielles, se faisait p r é c é d e r de la croix et du glaive, symbole de sa di- gnité comtale et de son pouvoir suprême.

Nous ne savons pas t o u t ce que l'étudiant Mathieu Schiner a bien p u faire. Nous ne pouvons pas suivre Pécolier-chanteur de la légende p a r t o u t où ses études e r r a n t e s l'ont

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mené. Nous savons si peu de choses sur ce qui s'est passé il y a q u a t r e cents ans. U n e chose est sûre : il a étudié dans le n o r d de l'Italie, à Côme, sur les rives du lac chanté p a r Manzoni. Il y a p p r e n d cette éloquence souple et puissante tout a la fois, qui l u i . r e n d r a plus t a r d des services exceptionnels.

Il s'habitue à la musique de l'italien qui lui viendra bien à point à R o m e dans la suite.

Mais, par-dessus tout, il se perfectionne dans la connaissance de la théologie et du droit canon. Celui-ci, comme la piété, est utile à tout. Et puis, il voulait savoir quel était son bon droit. Le jeune Valaisan avait énormé- m e n t de talent, du jugement et u n e applica- tion inlassable. Il voulait arriver : cela est permis m ê m e à u n fils de la m o n t a g n e .

, Les circonstances n ' é t a i e n t guère propices à l'étude. Schiner était né en temps de guerre. Le b r u i t des batailles de Bourgogne e n t o u r e son enfance et sa jeunesse. Après les victoires de Grandson et de Morat en 1476, la

Confédération fut secouée p a r cette crise aiguë dont Nicolas de F l u e a r r ê t a les sui- tes les plus funestes. Le pe u ple avait été démoralisé p a r la longue durée de la guerre.

Les puissances étrangères, l ' E m p e r e u r , le

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Pape, le roi de France, les ducs de Lorraine et de Milan s'efforçaient de recruter des contingents de troupes suisses, qui avaient fait leurs preuves. L'argent étranger entrait à flot. Faute d'une direction supérieure et centrale, la conduite des affaires de la Con- fédération manquait de but et d'unité.

Il faut se rappeler qu'à cette époque les empereurs et les rois de France luttaient pour l'hégémonie en Europe. Tirés des deux côtés, les Confédérés se détachent de plus en plus de l'Empire. Mais on les voit encore combattre sur les champs de bataille de Lombardie, où les Habsbourg et les Valois s'affrontent.

L'Italie, qui dominait alors sur le plan culturel, était en proie aux divisions politi- ques. Les petits Etats se cherchaient que- relle et demandaient l'appui, tantôt de l'Empereur, tantôt du roi de France. Ceux-ci avaient ainsi de belles occasions de s'ingérer dans les affaires du pays. En réalité, c'était des puissances étrangères qui se combat- taient sur le sol italien. Et les papes, qui étaient encore des souverains politiques, se voyaient entraînés dans ces conflits mili- taires.

Les Confédérés ne connaissaient encore

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aucune n e u t r a l i t é , ni totale, ni différenciée.

Leurs t r o u p e s de mercenaires étaient enga- gées p a r les belligérants. Ils éprouvaient, en outre, la nécessité d'une expansion t e r r i t o - riale. P o u r p r o t é g e r les passages des Alpes, ces grandes et i m p o r t a n t e s artères de com- munication, ils t e n a i e n t les yeux fixés sur Bellinzone, Locarno et Lugano. Aussi, tandis que Mathieu Schiner s'adonnait à ses paisi- bles études, les Uranais guerroyaient contre le duc de Milan, e n v e l o p p a n t les autres Con- fédérés dans le conflit. Les t r o u p e s confé- dérées c o n t o u r n a i e n t la région de Côme.

L ' a n n é e 1478 vit la victoire des Suisses à Giornico. E n 1479, la paix fut conclue. E n 1481 Nicolas de F l u e renouvelait ses appels à la concorde et à la m o d é r a t i o n .

ù

• E n 1489 Schiner fut o r d o n n é p r ê t r e à R o m e . Ce n'est pas p a r h a s a r d que le neveu du curé d ' E r n e n recevait le sacerdoce à Rome. La sage prévoyance de l'oncle p r é p a - rait l'avenir. Les grandes relations n'avaient pas moins d ' i m p o r t a n c e autrefois que de nos jours.

A son arrivée sur les rives du Tibre, le jeune clerc ambitieux p u t contempler u n étrange spectacle. Le G r a n d - T u r c , prince

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Tschan, fils du conquérant de la Rome byzantine, faisait justement une entrée grandiose dans la Ville éternelle et était reçu par Innocent VIII dans les appartements pontificaux. Le jeune montagnard de Con- ches n'avait jamais vu un tel déploiement de faste et de splendeur. Ce premier séjour romain devait laisser sur lui une empreinte ineffaçable.

Et maintenant il est temps de retourner

dans sa petite patrie.

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Le patriote.

Le jeune p r ê t r e n'avait q u ' u n désir : se consacrer à l'apostolat. Il s'agit désormais de mettre en œ u v r e toutes les connaissances et le savoir-faire qu'il a acquis p e n d a n t ces lon- gues années d'études. Il s'agit aussi de trou- ver u n poste qui lui p e r m e t t e de vivre con- venablement et de p a y e r les dettes de ses études. La vallée de Conches ne lui offrait guère de situation.

Toutes les places de curés étaient occu- pées. Et ces Messieurs avaient la vie d u r e . On ne m a n q u a i t pas de vicaires n o n plus ; en sorte que Schiner dut se contenter du modeste emploi de desservant d'un autel à Ernen. Le n o t a r i a t lui-même, q u ' o n lui con- fia, ne r a p p o r t a i t pas grand'chose. E n ce temps-là, Schiner t i r a i t le diable p a r la queue et, comme beaucoup de Valaisans de toutes les époques, avait plus de soucis d'ar-

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gent qu'il n'en aurait voulu. Hélas ! le souci des âmes va souvent de pair avec le souci d'argent !

Un secours inattendu vint le tirer de ces difficultés. Un compatriote d'Ernen, très haut placé, lui offrit un poste de secrétaire.

Jörg auf der Flüe, Georges Supersaxo, était un homme puissant, châtelain de Morel, de Brigue, d'Anniviers, grand banneret du dizain de Sion, greffier du tribunal, intel- ligent, cultivé, habile et entreprenant, mais avide d'honneur et d'argent. Fréquemment chargé de missions à l'étranger, il favorisa d'abord le parti de l'Empereur, du pape et de Milan, dont il recevait de magnifiques pensions, et distribuait l'argent à pleines mains dans son pauvre Valais.

Schiner entre comme secrétaire au service

de Georges Supersaxo, au moment où celui-

ci engageait la lutte contre le prince-évêque

Jost de Silenen. Cet homme d'Eglise appar-

tenait à une ancienne famille uranaise, qui

possédait des biens très étendus. Ancien

chanoine de Lucerne, prévôt de Beromüns-

ter, évêque de Grenoble, avec l'aide du roi

de France, auquel il était entièrement dé-

voué, et sur la recommandation de Berne,

il était devenu évêque de Sion. Il aimait la

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27 guerre et cherchait à a u g m e n t e r sa puis- sance p a r des conquêtes dans le Val d'Ossola.

La défaite de Crevola, en 1487, souleva u n e grande indignation dans le pe u pl e déjà indisposé contre son suzerain. Les intrigues habilement menées p a r Supersaxo exploitè- rent ce m é c o n t e n t e m e n t . Jost de Silenen jouissait de l'amitié et de la p r o t e c t i o n de la France, tandis que Supersaxo et Schiner soutenaient les Milanais et l ' E m p e r e u r dési- reux d'enrayer la s u p r é m a t i e française. Les deux p a r t i s soutiraient des belligérants Jie.rW riches subventions. La plaie des subventions ne date pas de n o t r e époque. E n ce temps- là, elles p r o v o q u a i e n t déjà des rancunes im- placables.

i Ces intrigues valaisannes ont dans la vie de Schiner u n e signification plus h a u t e . Il fait son apprentissage de la politique future. Il s'initie aux combinaisons, aux manœuvres, aux coups d'audace. Les études de la théologie et du droit, le séjour en Italie, ont développé sa subtilité et sa finesse de diplomate. L'agitation et la vie mouvemen- tée de son pays stimulent son instinct de lutteur et son imagination créatrice. La grande idée de t o u t e sa vie, l'opposition à

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la F r a n c e , p r e n d corps à cette époque. J i o n coup d'œil s'arrête définitivement sur cette nécessité vitale p o u r son pays de m a i n t e n i r le contrôle sur les passages des Alpes et, dans ce but aussi, d'assurer l'indépendance du Milanais.

A la Diète, les dizains du H a u t se décla- r è r e n t en faveur de Supersaxo, et se révol- t è r e n t o u v e r t e m e n t contre le souverain francophile. Au p r i n t e m p s de 1496, u n sou- lèvement p o p u l a i r e se déchaîna à E r n e n et descendit comme une avalanche de la vallée de Conches. Les rebelles se rassemblent au- t o u r de la mazze ; Supersaxo et Schiner les conduisent à Sion, où l'on e m p o r t e l'hésita- tion des autres dizains ; les châteaux de l'évêque sont pris d'assaut et le souverain obligé de démissionner, malgré la médiation des délégués des q u a t r e pays confédérés, témoins de ces h a u t s faits.

Dès le lendemain, le 2 avril 1496, l'oncle- curé, Nicolas Schiner, était acclamé évêque de Sion. Au dire du c h r o n i q u e u r Diebold Schilling, « il ne connaissait ni les lettres, ni le m o n d e , mais était p a r ailleurs assez pieux ».

Le t e m p é r a m e n t passionné des Valaisans

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29 s'est arrogé de tous t e m p s des privilè- ges. Mais il est des concessions que Sa Majesté la loi s'est toujours refusée à admet- tre. La déposition de Silenen et l'élection arbitraire de son successeur étaient des actes parfaitement illégaux, qui r e p r é s e n t a i e n t une grave a t t e i n t e aux droits de l'Eglise.

Même à cette époque le fait accompli était incapable de créer u n droit. L'évêque nou- vellement élu et Supersaxo lui-même le savaient bien. Aussi Mathieu Schiner, qui venait d ' ê t r e n o m m é curé d ' E r n e n , et dont la présence fut bientôt jugée utile au cha- pitre de Valère, se vit-il confier p a r son oncle et ses compatriotes la délicate mission de convaincre le Saint-Siège. Il avait u n don remarquable p o u r t r a i t e r les questions ecclé- siastiques et politiques. Sa finesse était bien à la h a u t e u r de la diplomatie romaine. Il ne réussit évidemment pas à p r é c i p i t e r les déci- sions de la Curie, à la proverbiale lenteur.

Mais il m e n a habilement les p o u r p a r l e r s à une conclusion favorable. Le 30 août 1498, Silenen est définitivement déposé et la no- mination de son successeur comme évêque de Sion est solennellement confirmée.

Mais cet acte définitif ne devait pas d u r e r plus d'un an. L ' a n n é e suivante déjà, l'oncle

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episcopal renonçait à sa dignité, et — cela va de soi — en faveur de son neveu.

Le tenait-il p o u r le plus capable des can- didats ? Ou bien obéissait-il au démon du népotisme? Qui le dira jamais ? De toute façon Supersaxo soutint la c a n d i d a t u r e de son ancien secrétaire, dont l'élection fut appuyée p a r la puissance de B e r n e , de Mi- lan et de l ' E m p e r e u r . La F r a n c e seule com- b a t t a i t la n o m i n a t i o n de son adversaire.

Nouveau procès à Rome. Nouveau voyage de Mathieu qui devait cette fois-ci plaider pro domo sua devant la Curie. C'étaient des démarches très coûteuses. Le p a u v r e Valai- san était toujours à court d'argent. Il con- t r a c t a de grosses dettes auprès de créanciers juifs spécialement tenaces. Son ami p a t e r n e l et p r o t e c t e u r , Supersaxo, paya des milliers de ducats p o u r l ' a r r a c h e r aux griffes de ces vampires.

F i n a l e m e n t , après bien des soucis et des déboires, Mathieu Schiner fut r e c o n n u évê- que de Sion, le 20 septembre 1499. Au mois d'octobre, il reçut la consécration épiscopale à R o m e , et en janvier 1500, il fit, à cheval, son e n t r é e dans sa capitale. On était au tour- n a n t du siècle ; mais dans sa vie aussi c'était le t o u r n a n t décisif.

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L'évêque.

La charge épiscopale n ' é t a i t pas, en ce temps-là, u n e sinécure. Sur le p l a n ecclé- siastique la situation n'avait rien de relui- sant. On se t r o u v a i t à la veille du g r a n d bouleversement de la Réforme, qui fut p r o - voquée, en p a r t i e , p a r l'anarchie spirituelle de cette époque.

Le jeune évêque était à la h a u t e u r de sa tâche. Ses amis de B e r n e disaient que «c'était juste l'homme qu'il fallait p o u r m a t e r les têtes carrées des Haut-Valaisans et p o u r ra- mener ces gens à la raison». Ses compatriotes étaient des fanatiques de la liberté. P o u r gagner leur consentement à son élévation à l'épiscopat, il lui fallut passer p a r u n e petite capitulation : il leur accorda que la validité de l'élection d é p e n d r a i t de son acceptation par les dizains. Mais il n'alla pas plus loin.

Au lendemain de son élection, il écrivait à Supersaxo qu'il ne voulait se lier p a r aucun

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engagement à diminuer les libertés de l'Egli- se en faveur du peuple.

Il s'était m u n i à R o m e de deux brefs p r o - tecteurs des droits de l'Eglise. Le p r e m i e r m e t t a i t u n frein aux convoitises de ses com- patriotes, qui au cours du XVm e siècle avaient accaparé plusieurs domaines épis- copaux. Le second devait s u p p r i m e r les menées révolutionnaires et les désordres auxquels le jugement p o p u l a i r e de la mazze avait t r o p souvent recours. La mazze était devenue depuis les guerres de R a r o g n e le f~ symbole du soulèvement populaire. A l'ori-

gine, c'était u n e b a n n i è r e r e p r é s e n t a n t u n e , chienne avec ses petits. Plus t a r d , on en fit u n e masse d'armes t e r m i n é e p a r u n e tête grossièrement taillée, chevelue et b a r b u e à souhait. Schiner avait lui-même couru à la , suite de la mazze contre Jost de Silenen, et il connaissait bien le pouvoir magique de ce signal révolutionnaire. Il devait bientôt e x p é r i m e n t e r à ses dépens combien ces usa- ges populaires sont difficiles à extirper.

L'évêque Mathieu p r i t résolument la hou- lette en main. Il était énergique et savait ce qu'il voulait. Nul ne contestait ses capacités, la solidité de sa doctrine, son habileté dans

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Mathieu Schiner devient évoque de Sion.

(Bibliothèque communale. Lucerne.)

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r-

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33 les affaires et la force de son éloquence. Son P attitude religieuse personnelle reste h o r s de soupçon. Il était fidèle à la foi h é r é d i t a i r e et il s'appliqua sérieusement à c o m b a t t r e l'ignorance dans le peuple et le clergé, et à stimuler la p r a t i q u e religieuse. Il ne fut sans doute pas à l'abri de t o u t r e p r o c h e avant son élévation à l'épiscopat. Le jeune secré- taire de Supersaxo, le clerc brillant qui s'était assimilé les idées faciles de la Renais- sance, en p r i t d'abord à son aise avec la dis- .1! ' cipline ecclésiastique."De cette époque agi-f tée, nous connaissons trois enfants de Schi- ner : deux filles bien «casées» plus t a r d et un fils qui servira l ' E m p e r e u r p e n d a n t vingt ans. Les c o n t e m p o r a i n s , sans doute plus habitués que nous à cette licence, ne sem- blent pas lui avoir t e n u grief de ces aven- tures. U n jour, ses ennemis, p e u délicats dans le choix des moyens, i n v e n t e r o n t de toutes pièces, p o u r le diffamer, des ignomi- nies impossibles, mais jugeront inutile de revenir sur ces écarts de jeunesse.

Devenu évêque, sa conduite m o r a l e fut à la h a u t e u r de sa tâche. P a r sa p a r o l e et ses lettres, il insistait sur les bonnes m œ u r s , la tempérance, l'obéissance, la sanctification du dimanche, l'accomplissement du devoir

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[p. auai/ I' 0- 'p~'^ •' Q. \6-'

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_pascal et la dignité dans la célébration des offices divins. Il confia à de jeunes forces des emplois et des dignités i m p o r t a n t e s , il se mit à visiter les paroisses les plus éloignées de son diocèse et à fonder de nouveaux cen- tres de vie paroissiale. Sous son pontificat, des églises s'érigèrent à Münster, E r n e n , N a t e r s , Glis, Saas, Grächen, Rarogne, Nie- dergesteln, Bagnes et Vouvry. C'est à lui que le pays doit le chœur et une p a r t i e de l'église de Saint-Théodule, ainsi que l'achè- vement de la cathédrale de Sion.

Les efforts de Schiner en faveur de l'édu- cation populaire sont dignes d'une mention spéciale. Suivant la t r a d i t i o n de ses prédé- cesseurs, il accordait de préférence les béné- fices du canonicat à des clercs pourvus de grades académiques. N o m b r e u x sont les Va- laisans qu'il envoya étudier dans les Hautes Ecoles de F r i b o u r g en Brisgau, d'Heidel- berg et de Cologne, de Bâle et de B e r n e . Il voua tous ses soins aux écoles indigènes, soutint généreusement la fondation de la p r e m i è r e école allemande à Sion et s'ingé- nia à y a t t i r e r le meilleur corps professoral.

Cet évêque, jeune et e n t r e p r e n a n t , attira bientôt sur lui les regards des Confédérés.

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35 A une Diète fédérale de l'année 1 5 0 1 , à Zu- rich, il défendit vivement le projet visant à supprimer les pensions étrangères et inter- disant tout engagement de mercenaires qui ne serait pas ratifié p a r les autorités. Sa proposition tendait à empêcher, disait-il, que « l'argent n'oblige les gens à se parju- rer, les enfants à être vendus dès le sein de leur m è r e , le sang chrétien à couler à flots, et le pays à être privé de ses habitants »* On dirait que le sage prélat, qui venait de visi- ter la tombe de Nicolas de F l u e , mesurait d'un p r e m i e r regard tous les abus que le système des armées de mercenaires entraî- nait. Mais son initiative n'aboutit pas. L'ar- gent a souvent plus de poids que la cons- cience. Et Schiner lui-même en viendra~un jour à oublier ses p r o p r e s principes.

Le procès de Jetzer à B e r n e (1508-1509) devait donner à son n o m la pleine notoriété.

On connaît l'histoire de ce dominicain, qui p r é t e n d a i t avoir vu des apparitions de la Sainte Vierge en son couvent de B e r n e , et s'était mis à menacer l'inconduite des Ber- nois des châtiments du ciel. T o u t le m o n d e se mêla de cette affaire : le clergé, les fran-

ciscains, les patriciens, le G r a n d Conseil,

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l'évêque de Lausanne de qui relevait ce t e r r i t o i r e ecclésiastique et enfin le P a p e lui- même. Le Saint-Siège confia le jugement de cette cause délicate à u n tri bu na l dont Schiner faisait p a r t i e . Celui-ci se signala p a r son sens juridique rigoureux et p a r son esprit de modération.; Le discours qu'il adressa à l'accusé fit sensation. Il donna la mesure de l'éloquence de Schiner. L'aven- t u r e finit p a r la condamnation du "vision- n a i r e , ainsi que de quelques-uns de ses confrères t r o p crédules. Aujourd'hui, les historiens se disputent encore p o u r savoir si oui, ou non, il s'agit d'une e r r e u r judi- ciaire. Nous serions h e u r e u x de pouvoir l'ad- m e t t r e .

Dans l'ensemble, il est permis d'affirmer que Schiner, spécialement p e n d a n t les pre- mières années de son pontificat, a conscien- cieusement dirigé le t r o u p e a u dont il avait la garde. Mais il faut bien avouer que, plus t a r d , le souci d'autres charges et d'autres tâches, ainsi que les malheurs du temps, l'empêchèrent de se consacrer suffisamment à son diocèse. T a n t il est vrai que nul ne p e u t servir deux maîtres.

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Le seigneur.

A cette époque, l'évêque du Valais était aussi seigneur t e m p o r e l . C'est toujours déli- cat de r é u n i r en u n e seule m a i n l'autorité religieuse et civile. Au début du moyen âge, c'était peut-être u n e nécessité. Parfois ce fut u n e bénédiction. Mais plus les peuples se divisent en nations, plus leur indépen- dance s'affirme et plus la situation des prin- ces-évêques devient intenable. Les chefs spirituels se t r o u v e n t inévitablement enga- gés dans la politique et le courant des intrigues les e m p o r t e . Il faut se gagner des amis, et p a r cela m ê m e s'attirer des inimi- tiés. Le t e m p o r e l menace sans cesse d'étouf- fer le spirituel. Il est difficile à l'esprit de subsister au milieu du m o n d e .

Le nouveau prince-évêque en fit bien vite l'expérience. L ' E u r o p e , à cette époque, était divisée en deux groupes de puissances con- : ^ Ç , c ^

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duites d'une p a r t p a r le roi de F r a n c e , de l'autre p a r l ' E m p e r e u r . La p o m m e de dis- corde était le Milanais. E n Suisse, les Confé- dérés, cela va sans dire, n'étaient pas tous du m ê m e avis. E n Valais même, nous retrou- vons les deux p a r t i s , qui, fidèles à la t r a d i - tion, se livraient des luttes sanglantes.

L ' a t t i t u d e de Schiner est n e t t e et elle ne variera jamais. Il se place du côté de l'Em- p e r e u r , non seulement dans u n sentiment de fidélité à l'égard de son suzerain, mais avec la conviction de défendre les intérêts du pays menacé d'encerclement p a r la F r a n - ce.

Mais comme toujours, q u a n d il s'agit de politique, les opinions étaient très partagées.

Nous sommes en Valais. Certains regar- daient avec admiration la F r a n c e s'essayer à la suprématie e u r o p é e n n e et attendaient du roi protection et avantages personnels.

A cela s'ajoute le fait que la situation juri- dique du prince-évêque du Valais était com- pliquée à souhait.

%

E n 999, Rodolphe I I I , dernier roi de Hau- te-Bourgogne, resté sans enfant, fit cadeau

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39 du comté du Valais, et de tous les droits et revenus en découlant, au savant évêque Hugues et à tous ses successeurs futurs sur le siège episcopal de Sion. Ce prélat était u n personnage très cultivé qui e n t r e t e n a i t une correspondance érudite avec le célè- bre moine de Saint-Gall, N o t k e r ; il lui e m p r u n t a i t des livres et le chargeait de faire exécuter p o u r son compte des copies des œuvres de valeur. P a r l'annexion du royau- me de Haute-Bourgogne au Saint E m p i r e r o m a i n de nation germanique, l'évêque de Sion devint prince d'empire, r e p r é s e n t a n t de l'autorité impériale p o u r le pays s'éten- d a n t de la F u r k a au T r i e n t , en aval de Martigny. Cet état de choses se m a i n t i n t p e n d a n t quelques siècles, mais non sans de fréquentes disputes avec les ducs de Savoie et de Zähringen, dont l'appétit fut toujours vigoureux.

Mais les pires difficultés provenaient de la noblesse indigène qui, en devenant puis-

sante, voulait m o n t r e r ce dont elle était capable, et se faisait menaçante. A p a r t i r des XIHr a e et XIVm e siècles, les commu- nes et les dizains p r e n n e n t u n e p a r t tou- jours plus active dans les destinées du pays, et, conséquence inévitable, les conflits de-

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viennent de plus en plus fréquents avec l'autorité du suzerain.

Les dizains doivent p r o b a b l e m e n t leur origine à la distribution t o p o g r a p h i q u e du pays et aux divisions administratives du diocèse. Les sujets du souverain episcopal possédaient, à côté des biens relevant du fief, des p r o p r i é t é s communales qui consis- taient en alpages, pâturages et forêts à l'usa- ge commun. Chaque année, des réunions avaient lieu sous la présidence du vidame episcopal p o u r discuter des intérêts com- muns. Ces communautés se distinguent dès l'origine p a r leur amour de l'indépendance.

Ne parviennent-elles pas à obtenir de bon gré les libertés qu'elles désirent, elles les a r r a c h e n t p a r la force. P o u r chaque engage- m e n t militaire que les communes doivent à leur prince-évêque, elles réclament de nou- velles lettres de franchise. Or, Dieu sait si le seigneur avait de fréquentes occasions de d e m a n d e r le service militaire. P o u r les com- munes, c'était chaque fois u n pas en avant vers la complète liberté. E n 1335, les dizains concluent e n t r e eux u n t r a i t é d'alliance offensive et défensive. Ils avaient bien p r o - mis de sauvegarder les droits de l'Eglise, mais on en vint assez vite à la lutte ouverte,

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4 1 d'abord avec les employés épiscopaux t r o p fidèles à m e t t r e en œuvre le pressoir des impôts, puis avec l'évêque en personne.

Ce serait c e p e n d a n t u n e e r r e u r de croire qu'en ce temps-là il n ' y avait en Valais que guerres et disputes. On signait aussi des traités de paix, des alliances solennelles, des ententes, des accords. E n 1473, l'évêque et les dizains s'engagent avec L u c e r n e , U r i et Unterwald p a r u n pacte de combourgeoisie ; .en 1475, on voit a p p a r a î t r e m ê m e u n t r a i t é d'alliance défensive perpétuelle avec B e r n e . Il s'agissait de g a r a n t i r cette frontière p o u r pouvoir mieux se livrer à des guerres exté- rieures ou m ê m e intestines.

Au t o u r n a n t du XVm e siècle, le mouve- m e n t démocratique avait fini p a r avoir gain de cause. Les dizains valaisans étaient deve- nus puissants. Ils e n t r e p r i r e n t des campa- gnes sur le t e r r i t o i r e de la Savoie, sur les rives orientales et méridionales du Léman, ils p é n é t r è r e n t jusqu'à Evian et dans le Val d'Abondance, y ramassèrent u n i m p o r t a n t b u t i n et p r o v o q u è r e n t de grands ravages.

Lorsque les Bernois, en 1476, se précipité-

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r e n t au pillage des domaines savoyards du cher pays de Vaud, les Valaisans leur p r ê t è - r e n t u n concours précieux. Ils incendièrent avec u n e n t r a i n tout fraternel la ville de Vevey. La m ê m e année, 8000 Valaisans pri- r e n t p a r t à la bataille de Morat. E n 1477, à Noël, l'assemblée générale des dizains déci- da, de sa p r o p r e autorité, d'incorporer au domaine du prince-évêque tout le Bas- Valais jusqu'à Saint-Maurice. Et dans la suite, en compensation du secours de leurs armes, les mêmes dizains a r r a c h è r e n t à l'évêque Jost de Silenen l'administration des régions conquises. Ils installèrent à Saint- Maurice et plus t a r d à Monthey des baillis, qui ne sont pas tous m o r t s en odeur de sain- teté.

Telle était la t e m p é r a t u r e du pays dont Sçhiner devenait le souverain. Dès les pre- mières années il se vit engagé dans d'impor- tantes questions politiques.

En 1499, le roi de F r a n c e Louis X I I avait p é n é t r é dans le n o r d de l'Italie et avait con- quis la ville de Milan. Les Confédérés s'em- pressèrent au secours du duc Ludovic le Mo- r e , mais furent contraints de r e n t r e r bre- douille. C'était u n r u d e coup p o u r Schiner qui redoutait le voisinage de la F r a n c e . Mais

mj

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43 la Savoie n'était pas moins inquiétante. Inca- pable de se résigner à la p e r t e du Bas-Valais, elle intriguait t a n t qu'elle pouvait p o u r iso- ler complètement le Valais. Le jeune prince- évêque p r é v i n t ces m a n œ u v r e s de l'adver- saire en renouvelant l'alliance avec B e r n e et les trois cantons du centre.

A u x réunions de la Diète fédérale, Schi- ner p r e n a i t u n e p a r t très active et donnait souvent des avis décisifs. Son éloquence sé- duisait et enlevait les résistances; elle réussit bien des fois à r e t o u r n e r d'un coup le vote de l'assemblée, où les obstinés ne man- quaient pas. La causticité du spirituel évê- que de Sion le faisait craindre. Mais ne son- geons pas seulement aux surprises qu'il p r é p a r a i t à ses chers compatriotes et aux tours qu'il leur jouait. Il leur rendit des services signalés. Qu'il suffise de r a p p e l e r la paix d'Arona en 1503, dans laquelle il convainquit le roi de F r a n c e de céder p o u r toujours Bellinzone et Blenio aux cantons de la Suisse centrale.

Comme prince d ' E m p i r e , il assista sou- vent aux Diètes (Reichstage), dans lesquel- les on le recevait avec des égards particu- liers. Il fut présent à la Diète de Constance,

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qui dura du 2 mai au 25 juillet 1507. L'em- p e r e u r Maximilien lui accorda des atten- tions peu ordinaires, lui fit cadeau de vases précieux, l'entretint à ses frais et ne le laissa r e n t r e r chez lui qu'après l'avoir g r a n d e m e n t honoré.

/ Dans le gouvernement de son pays, Schi- n e r se m o n t r a u n souverain aux vues larges, aux idées magnanimes, t r o p magnanimes, peut-être, p o u r la petitesse des siens. Car, même en Valais, il est dangereux de voir grand. Schiner voyait grand, t r o p grand et t r o p loin p o u r ses contemporains. Il son- geait, p a r exemple, à affranchir les baillages du Bas-Valais, de la Morge à Saint-Mau- rice. Il voulait en faire des dizains indépen- dants, avec les mêmes droits que ceux du Haut-Valais. Ce plan p r o p h é t i q u e aurait é p a r g n é à son pays de longues difficultés et assuré la paix. U n exemple de la politique à tenir avec les minorités linguistiques. De plus, les traités d'amitié qui le liaient aux Confédérés ne lui suffisaient pas : il aurait voulu que le Valais fît partie de l'Alliance aux mêmes titres que les autres E t a t s confé- dérés. Ce n'est pas de sa faute si ces beaux projets ne p u r e n t se réaliser.

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45 La sagesse de son gouvernement est attes- tée p a r ce qu'il a réalisé au point de vue législatif. R e n t r a n t au pays après la paix de Dijon, dans la période pacifique de l'hiver 1513-1514, il créa u n nouveau d r o i F v a l a i - san. Son intention était, nous dit-il, de cor- riger, de parfaire, d'harmoniser et de rédi- ger dans u n e forme limpide et concordante

— in luculentam et débitant consonantiam — les antiques lois du pays. Car, avec le temps les dispositions légales étaient devenues très incertaines. U n e p a r t i e de ces lois était tom- bée dans l'oubli, d'autres recevaient des i n t e r p r é t a t i o n s divergentes ou étaient com- p l è t e m e n t ignorées. Il convoqua donc les hommes les plus sages de chaque dizain, et les gens qui jusqu'au bout des ongles — ad unguem usque — avaient la p r a t i q u e des m œ u r s , des usages et des privilèges du pays.

Il e n t r e p r i t « p a r faveur divine cet ouvrage immense et laborieux et l'a mené à bien, ce pourquoi d'innombrables actions de grâces et de louanges doivent être adressées à N.S.J.Ch. ».

Les cent dix-sept articles des Statuts de Schiner, nous dit J e a n Graven ', concrétisè-

1 Jean Graven : Essai sur l'évolution du droit pénal valaisan.

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r e n t le droit valaisan en pleine phase d'évo- lution. Ce nouveau code est œuvre de m a î t r e et donne la mesure du génie de son auteur.

« Admirable document de sa vigueur créa- trice et de sa sollicitude à l'égard des siens. »

On ne p e u t en douter, Schiner se m o n t r a grand et bon prince p o u r son pays. Sous son gouvernement, le Valais p r i t une impor- tance i n a t t e n d u e .

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? Â

Diplomate et chef d'armée.

/

' Les grandes idées que Schiner voulait réa- liser dans son pays (et au dehors )exigeaient la mise en b r a n l e de tous les moyens poli- tiques et militaires.* Le sort des armes était alors comme aujourd'hui d'une i m p o r t a n c e capitale. Mais les opérations militaires sont o r d i n a i r e m e n t précédées de mouvements diplomatiques. Schiner sera t o u t ensemble diplomate et chef d'armée.

Nous le r e n c o n t r e r o n s désormais sur tous les champs de bataille des Confédérés dans le n o r d de l'Italie. Et dans toutes ces cam- pagnes d ' i m p o r t a n c e historique, il va bientôt jouer u n rôle décisif.

Ce n'est pas la p r e m i è r e fois q u ' u n Valai- san regarde du côté de l'Italie. Les H a u t - Valaisans, p a r exemple, avaient déjà t e n t é maintes fois de contrôler le Val d'Ossola

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afin d'assurer le libre passage du Simplon.

Ils s'y étaient déjà battus avec les Milanais sous l'épiscopat de Jost de Silenen. Ils y avaient récolté maintes plaies et bosses. Mais voici que les Français s'en mêlaient et me- naçaient de conquérir le n o r d de l'Italie. Il fallut s'unir aux anciens adversaires et au P a p e , qui regardait la p é n é t r a t i o n de la F r a n c e comme u n danger p o u r les E t a t s pontificaux et u n e mise sous tutelle de l'Eglise. '

Le Siège de P i e r r e était alors occupé p a r u n p a p e qui n'aimait pas à séparer le domaine ecclésiastique du domaine mili- taire. Il croyait de son devoir de protéger les biens spirituels avec des armes tempo- relles. La personnalité de Jules I I était avant tout dominée p a r des préoccupations poli- tiques. Ce vieillard conquérant était u n chef militaire et u n souverain dont les capacités dépassaient de très loin la moyenne. Un ti- t a n qui se distinguait p a r une immense éner- gie, u n vouloir inflexible, une activité insa- tiable. Le surnom de « Il Terribile » qu'on lui donna caractérise bien ce qu'il y avait en lui de démesuré et la force prodigieuse qui l'animait. Il se trace comme p r o g r a m m e

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iSSsSilinPiSliisw ^ > ^ \ J > ^ ¥ ^ 9 - ^ sSPS^is^E

La famille de Georges Supersaxo.

(Photo Boissonnas, Geneve.)

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de rétablir, de fortifier et d'élargir la puis- sance de l'Etat pontifical.

Mais pour écarter la mainmise de la Fran- ce, Jules II dut faire appel à l'appui des Confédérés, encore avides d'aventures, et qui représentaient peut-être alors la pre- mière puissance militaire de l'Europe. Sui- vant qu'ils penchaient pour la France, pour le Pape ou l'Empereur, ils décidaient de l'équilibre européen. Les Suisses étaient déjà sous le charme de l'argent français. Il ne fallait rien moins qu'un magicien de la poli- tique pour retourner les sympathies des Confédérés du côté du Pape. C'est Schiner qui opère ce changement de tableau.

Jules II ne pouvait désirer un collabora- teur plus conforme à ses vues, un caractère plus proche du sien. Schiner partage son aversion passionnée pour la politique fran- çaise. Il est déjà convaincu de ce qu'il écrira un jour au roi d'Angleterre : « Il faut inter- venir au plus vite, sinon l'orgueil incroya- ble, l'ambition illimitée du roi de France ne connaîtra plus de bornes. »

•\. -, L'un et l'autre sont emportés, fiers et ra- pides, pleins d'audace, intuitifs, tendus tout entiers vers le même but : la grandeur de la papauté et l'unité chrétienne. Ils prêchent

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violemment contre les Français comme s'il s'agissait d'une croisade contre les Musul- m a n s et les Turcs. L ' u n et l'autre ne voient dans les difficultés q u ' u n e occasion de se dépasser.

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Mais r e p r e n o n s la suite des événements.

E n 1506, Schiner avait proposé au P a p e u n e alliance avec les Confédérés. Sans résul- tat. L'influence de la F r a n c e était encore t r o p forte en Suisse. E n 1509, Schiner est appelé à Rome et r e n t r e dans son pays avec le t i t r e de légat du p a p e . A ce titre, il sou- met aux X I I Cantons et à son E t a t du Valais u n projet d'union avec le Saint-Siège. A la Diète de Lucerne, le 27 février 1510, il p r o - nonce u n discours saisissant qui e m p o r t e du coup les résistances des Confédérés. Il faut avouer qu'en Valais les choses ne marchè- r e n t pas si vite. Nul n'est p r o p h è t e dans son pays, comme il devra le r é p é t e r t a n t de fois.

Georges Supersaxo, son ancien chef dans la lutte contre les Français, avait changé de camp et avait réussi à convaincre ses com- patriotes d'accepter l'alliance avec la F r a n - ce. U n e lutte à la vie et à la m o r t s'engage

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entre les deux anciens amis et frères d'ar- mes. La mazze redescend du Haut-Valais soulevant les dizains supérieurs contre le comte-évêque. Après des peines infinies et grâce à l'entremise des Confédérés, les Haut-Valaisans finirent p a r sortir de leur entêtement. Ils y r e t o m b e r o n t bientôt.

P o u r p a r e r aux__plans de Louis X I I , qui ne visait à rien moins qu'à u n schisme et à à la domination de l'Italie, Jules I I conçoit le plan d'une campagne concentrique con- t r e la F r a n c e . Avec l'aide des Confédérés, les Français devaient être attaqués à la fois p a r le P a p e , p a r le roi d'Aragon et p a r la république de Venise.

E n 1510, u n e armée suisse franchit les Alpes en direction de Chiasso. Cette campa- gne de Chiasso finit bien mal. La campagne d'hiver qui suivit s'acheva encore plus misé- rablement. On voulait donner u n e p r e u v e de résolution et de fidélité à l'alliance, mais l'expédition mal conduite fondit dans le désordre.

Schiner paya de son prestige ce m a l h e u r , auquel il ne pouvait mais. On lui r e p r o - cha tout p a r t i c u l i è r e m e n t les soldes non payées. Dans son p r o p r e pays, Supersaxo

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et^ses partisans le c o n t r a r i a i e n t de toutes leurslxtrces. Schiner, déguisé en m e n d i a n t , s e n f u i t p a r les montagnes des Grisons et du Tyrol à travers des pays ennemis, jusqu'à Venise, où il arrive après des aventures pal- pitantes. De Venise, Schiner s'en fut à fl^

Rome. Le P a p e aurait p u laisser tomber son chargé d'affaires malchanceux, comme le fera plus d'une fois Léon X. Mais Jules I I est d'une a u t r e t r e m p e .

Schiner, fugitif et vaincu, trouve le g r a n d vieillard malade, accablé de soucis. Mais Jules I I se redresse : « Contre le mal fran- çais, les meilleurs docteurs sont encore les Suisses. » Le Terribile s'engage à fond à la suite de Schiner. Il lui donne l'évêché de Novare et le chapeau de cardinal comme gage de fidélité présente et future. Bien plus, p o u r lui p e r m e t t r e de r e p a r a î t r e en bonne posture devant les Confédérés, il le leur renvoie avec le titre de légat pontifical, plein d'espoir que le personnage ainsi re- nouvelé sera capable de r e m o n t e r le moral u n peu versatile des Suisses.

Venu en m e n d i a n t , Schiner s'en r e t o u r n e auréolé d'honneurs, chargé de pouvoirs spirituels et diplomatiques, a b o n d a m m e n t

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53 pourvu d'argent... Venise lui fait u n accueil magnifique. Son éloquence irrésistible réus- sit à soulever l'enthousiasme des froids di- plomates vénitiens. Il s'excusait habilement p r é t e n d a n t que « ce n ' é t a i t pas bien l'affai- re des Suisses de p r o n o n c e r des discours politiques, mais plutôt d'exécuter des faits d'armes. II ne se considérait que comme u n b a r b a r e , mais était justifié p a r son intention de chasser d'autres barbares de l'Italie. Il comptait sur le secours financier de Venise, p a r c e que, disait-il, le mal bien connu des Suisses ne pouvait être guéri que p a r de l'argent. » J ' Il r e n c o n t r a i t en m ê m e t e m p s à Venise les envoyés des Cantons qui, eux aussi, fu- r e n t incapables de résister à l'éclat t o u t nouveau et à l'éloquence toujours nouvelle du personnage. Ils e n t r e p r i r e n t donc sous sa conduite la campagne de Pavie. Ce fut une r a p i d e m a r c h e t r i o m p h a l e , qui conquit les villes lombardes et surtout Milan, le 24 juillet 1512. Le duc Maximilien Sforza re- p r e n a i t le Milanais. Q u a n t aux Confédérés, l'expédition se chiffrait p o u r eux p a r u n bel actif : ils e n t r a i e n t en possession de Mendri- sio, de Lugano, de Locarno avec les deux vallées de la Maggia et d'Ossola.

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Nous arrivons à u n sommet de la vie de Schiner. Le petit berger de Miihlebach créé p a r l ' e m p e r e u r comte de Vigevano, reçu p a r t o u t avec des h o n n e u r s princiers, de- venait u n chef de la politique e u r o p é e n n e , u n des p r e m i e r s personnages de la chré- tienté.

Le cas que les souverains font de Schiner désormais le m a r q u e comme u n e sorte d'ar- bitre international. P o u r le roi de F r a n c e , il

compte plus q u ' u n e armée. Il consentirait n ' i m p o r t e quel p r i x p o u r l'attirer dans son camp. E t l'ambassadeur anglais P a c e dira de m ê m e u n jour à son m a î t r e : « Soutenez Schiner, ou je ne r é p o n d s plus de rien ».

Le jeune cardinal entrevoit l'unique chance que la Suisse eut jamais de m o n t e r au rang de g r a n d e puissance. Il s'empresse de l'exploiter. Son activité politique s'étend désormais aux affaires de toute l'Europe. Il envisage aussitôt u n e p r e m i è r e alliance avec l'Angleterre. Mais l'inertie et le désaccord des Suisses t i e n n e n t en échec ses vastes p r o - jets.

Le p a p e Jules I I m o u r u t t r o p tôt. Schiner se dépensa p o u r lui donner u n successeur aussi n e t t e m e n t opposé à la F r a n c e . Léon X semblait d'abord être l'homme qu'il fallait

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55 p o u r continuer la politique de Jules I I . Schi- ner avait eu une p a r t influente sur son élection. Dans les premiers t e m p s , il jouis- sait auprès du nouveau P a p e d'un crédit encore plus grand que sous Jules I I . Léon X voulait le tenir près de lui, le logeant dans les « stanzes les plus gaies .du palais aposto- lique », p o u r l'avoir toujours sous la main, et le cardinal de Sion veillait, p o u r lui, con- t r e u n r e t o u r offensif de la F r a n c e . Car, e n t r e le nouveau P a p e et le nouveau roi de F r a n c e , le jeune et r e m u a n t François Ie r, la guerre ne pouvait m a n q u e r d'éclater.

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Schiller et François I

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Schiner et François Ier. D e u x génies sub- tils et obstinés, deux adversaires dignes l'un de l'autre. L ' u n est le roi gentilhomme, tout élégance, courtoisie et distinction joyeuse.

Il éblouit le s o m p t e u x Titien p a r son écla- t a n t e facilité. L ' a u t r e , le «barbaro accorto», le séduisant b a r b a r e , c h a r m e les Vénitiens et les m e m b r e s du Conclave p a r la vivacité de son esprit et sa g r a n d e allure. Le F r a n - çais, brillant et sûr de lui, résoud les diffi- cultés en se jouant, en plaisantant, p a r sa gentilezza, en accumulant les cadeaux. T o u t en lui est ouvert, léger, souple et astucieux, dans sa physionomie, comme dans son gou- v e r n e m e n t et sa politique. Le m o n t a g n a r d plus concentré et plus dur, au regard inflexi- ble, aux lèvres passionnément volontaires, toujours en éveil, toujours p r ê t à p r o n o n c e r des mots décisifs, des promesses ou des me-

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naces magiques. T ê t e vigilante et bec me- n a ç a n t de l'aigle qui défend son espace vital, au-dessus des royaumes de la t e r r e .

Le jeune roi, « brillant enfant gâté », a reçu de la fortune des chances peu commu- nes. Un royaume assez homogène et u n e mo- n a r c h i e dont l'unité est en avance sur toutes les autres. Il défend sa maison, l'hégémonie de son royaume en voie de devenir absolu.

Le cardinal n'est q u ' u n «self m a d e m a n » , u n travailleur infatigable, qui ne doit rien qu'à son effort, qui doit payer de sa per- sonne tout ce qu'il réussit et compenser p a r sa p r u d e n c e , sa ténacité, son organisation et le jeu serré de sa diplomatie, les avantages dont son adversaire est a b o n d a m m e n t pour- vu.

Le cardinal de Sion ne défend pas u n pays, u n e dynastie, mais une cause trans- cendante, t r o p h a u t e p o u r se confondre avec de simples réalités nationales, économiques ou politiques, u n e cause qu'il ne p e u t iden- tifier avec ses p r o p r e s intérêts, la grande idée médiévale de l'unité chrétienne, p o u r laquelle les siècles de Grégoire V I I , d'Inno- cent I I I ont lu tté et dont il est sans doute avec Jules I I le dernier grand r e p r é s e n t a n t .

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59 P o u r c o m p r e n d r e son rôle, qu'on se re- présente ce qui serait advenu si François Ier

n'avait pas r e n c o n t r é Schiner sur son che- min. La F r a n c e aurait alors fondé en E u r o - pe une suprématie plus incontestée que celle de Richelieu et de Louis XIV. A u c u n obsta- cle n ' a r r ê t a i t le jeune roi ambitieux. La résistance passive de l ' E m p e r e u r , de Léon X et m ê m e du roi d'Angleterre ne comptait pas. P e r s o n n e n ' a u r a i t réussi à r a n i m e r et à synchroniser ces velléités de réaction.

Si François Ier n'avait pas r e n c o n t r é Schi- n e r sur sa r o u t e , il gagnait du p r e m i e r coup la collaboration des Suisses. E t que n ' a u r a i t - il_pas réalisé avec ce soutien dans l'Europe désorganisée de ce début du XVIm e siècle !

Mais le berger de Miihlebach s'est mis en travers de son chemin. La s u p r é m a t i e fran- çaise ne lui p r o m e t t a i t rien de bon, ni p o u r son pays, ni p o u r l'Eglise, ni p o u r la fédéra- tion des peuples européens. E t ce monta- gnard, p a r t i de rien, t i n t en échec, p a r la seule force de son esprit et de sa parole, le roi le plus p e r s é v é r a n t et le m i e u x placé p o u r rêver de domination universelle.

Schiner se dresse contre François Ier com- me l'âme d'une coalition a p p a r e m m e n t for- midable, mais en réalité presque inconsis-

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t a n t e . Schiner est appuyé, soi-disant, p a r le Saint-Siège, p a r l'Autriche, l'Espagne, le duc de Milan. Mais il n'a ni autorité, ni com- m a n d e m e n t effectif, en face d'une mo- narchie nationaliste, disposant de la supé- riorité que d o n n e n t l'unité de vue, la concentration des p o u v o i r s / l e libre emploi des forces disponibles.

Avec sa seule diplomatie, le cardinal doit coordonner deux groupes de forces dispara- tes, les forces militaires des divers pays suisses et les forces financières et politiques des grandes puissances alliées. A peine a-t-il fait l'accord d'un côté, que tout est remis en cause de l'autre. Au sein des armées suis- ses, il faut sans cesse aplanir les différends qui séparent les troupes de la Suisse occi- dentale de celles de la Suisse primitive et de Zurich, les rivalités e n t r e chefs, les que- relles d'argent. L ' a u t o r i t é de Schiner sur t o u t ce m o n d e est d ' a u t a n t plus é t o n n a n t e qu'il ne p e u t s'en r e m e t t r e qu'à lui-même.

La p l u p a r t de ses compatriotes valaisans, loin de le seconder, sabotent son œuvre.

Mais si la cohésion des Confédérés est déjà u n problème fort délicat, combien plus difficile encore la tâche de concilier les ges- tes contradictoires de Léon X, avec les ca-

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prices de Milan et l'incapacité hésitante de l'Empereur.

Le filet de la coalition avec laquelle Schi- ner essayait d'emprisonner l'impérialisme français n'avançait d'un côté que p o u r se défaire de l'autre. Comme u n ambassadeur anglais le dira u n jour à Schiner : « Le P a p e se tait, l ' E m p e r e u r parle t r o p , l'Angleterre se refuse à payer, le roi catholique fait la moue et cache son jeu, p e n d a n t que le roi de F r a n c e rassasie d'argent les affamés. »

E n t r e t e m p s , nous dit u n h u m a n i s t e con- t e m p o r a i n , P i e r r e M a r t y r , « le cardinal de Sion peine, sue et se t o u r m e n t e p o u r r é u n i r les Suisses. Il court à cheval d'un côté et de l'autre. Il galope à la r e n c o n t r e du vice-roi ( F e r d i n a n d d'Aragon) p o u r le presser de faire sa jonction avec les Confédérés, en lui p r o m e t t a n t qu'à son arrivée ils cesseront leurs disputes. Nouveau Mercure, il vole et ne se repose pas u n m o m e n t ».

Et quelle est sa chance, son unique atout ? Il ne p e u t recourir à aucun moyen vio- lent p o u r obtenir l'adhésion. Il n'a jamais pu jouer avec cette a r m e si facile et si effi- cace p o u r u n chef militaire : l'emploi de la force. On ne lui a pas obéi p a r c e qu'on tremblait d ' é p o u v a n t e devant lui. Il ne p e u t

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pas convaincre les récalcitrants p a r la ter- reur, m é t h o d e simpliste de t a n t d'aventu- riers. Il lui faut user d'influences et de mé- thodes strictement démocratiques. Il en est réduit à prier, à expliquer, à persuader, à capter les bienveillances et les convoitises.

Il accueille des contingents de troupes avec u n bon repas, il est acclamé. La solde se fait- elle a t t e n d r e , il est conspué. Il doit baisser pavillon, d i s p a r a î t r e , p o u r revenir le lende- main devant les troupes, ou le conseil d'ar- mée, avec u n e nouvelle idée, u n nouvel espoir, de nouvelles promesses. Tout dépend de son prestige personnel. Il s'agit de se faire agréer, accepter, a p p r o u v e r .

Vrai ministre de la p r o p a g a n d e , il est chargé de m o n t r e r le beau côté des événe- ments, les perspectives encourageantes. E t il s'entend à découvrir des avantages m ê m e dans les situations les plus critiques. Une brouille des Confédérés avant Marignan p r o - voque de nombreuses défections. Il s'en con- sole et rassure les troupes fidèles : « Il v a u t mieux se b a t t r e avec des troupes sûres ; nous ne devons plus craindre d'être trahis. » Contre toute p r u d e n c e stratégique, on le force à reculer vers Pavie : « T a n t mieux, les t r o u p e s y t r o u v e r o n t un bon ravitaille- m e n t . »

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63 ' Les plans de campagne qu'il élabore n ' o n t jamais q u ' u n e valeur de conseil, de p r o p o - sition, de suggestion. Les capitaines suisses et alliés en p r e n n e n t souvent à leur guise.

C'est ainsi que la bataille de Marignan fut p e r d u e d'avance, p a r c e q u ' a u c u n e des p r é - cautions conseillées p a r le cardinal n'avait été prise.»Son coup d'œil prévoyait le déve- loppement de la campagne : il insiste p o u r q u ' a u x premières nouvelles de la défection de Gênes on occupe cette tête de p o n t essen- tielle. Gênes servit bientôt de base de d é p a r t très favorable p o u r les opérations de F r a n - çois Ier. Cet avant-poste p e r d u , il restait la possibilité de se r e t r a n c h e r sur u n e position centrale, qui p e r m e t t a i t de sauve- garder les communications des Suisses avec la péninsule et d'empêcher la jonction des Français avec Venise. Schiner ne fut pas écouté. Et c'est ainsi que, p a r l'aveuglement et les maladresses des alliés, il se vit forcé de se replier sur Marignan.

Tout n'était pas p e r d u . Il y avait encore moyen de vaincre l'armée française. Les Confédérés, enflammés p a r u n p a t h é t i q u e discours de Schiner, le p r o u v è r e n t pen-

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d a n t la p r e m i è r e p a r t i e de la bataille.

L'avantage p e n c h a i t si bien de son côté, au soir du 13 septembre 1515, que le cardinal avait déjà lancé u n bulletin de victoire à Rome. Mais, dit Gilg Tschudi, l'indiscipline des Confédérés p e n d a n t la nuit de la bataille et leur dispersion au m a t i n leur coûta la victoire.

Q u a n t à Schiner il attribue cet échec n o n à la supériorité de l'ennemi, mais à la mé- sentente des Confédérés eux-mêmes. Plus t a r d , quand on essaiera de lui faire endosser la responsabilité de ce malheur, il se lèvera fièrement, en pleine Diète, et m e n a c e r a de révéler publiquement les noms des res- ponsables. On n'osa pas l'y forcer. E n t r e eux, les Confédérés se c o n t e n t e r o n t d'incri- m i n e r les atermoiements du P a p e et du vice- roi. Ce qui servira de p r é t e x t e à u n e volte- face peu honorable, dont la F r a n c e profi- tera.

« Il nous faut combattre, écrira Schiner à P a c e , contre l'or français, contre les écus de F r a n c e , dont les Suisses sont extrême- m e n t avides. » « Ils sont comme T h om as , dira-t-il à u n e a u t r e occasion ; ils ne croient qu'à ce qu'ils p e u v e n t toucher. » E t Trüb- m a n n r e g r e t t e que « tout le m o n d e ne cesse

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