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Echos d'enfance : les territoires de l'enfance dans l'oeuvre de Sylvie Germain

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Academic year: 2021

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Submitted on 8 Oct 2013

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l’oeuvre de Sylvie Germain

Hélène Chareyron

To cite this version:

Hélène Chareyron. Echos d’enfance : les territoires de l’enfance dans l’oeuvre de Sylvie Germain.

Littératures. Université de Bourgogne, 2013. Français. �NNT : 2013DIJOL003�. �tel-00871058�

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UNIVERSITƒ DE BOURGOGNE UFR Lettres et Philosophie

THéSE

Pour obtenir le grade de

Docteur de lÕUniversitŽ de Bourgogne Discipline : LittŽrature franaise

Par HŽlne CHAREYRON Soutenue le 5 fŽvrier 2013

ƒCHOS DÕENFANCE

Les territoires de lÕenfance dans lÕÏuvre de Sylvie Germain

Directeur de thse Monsieur le Professeur Jacques POIRIER

Jury

Madame BOBLET Marie-HŽlne, Professeur, UniversitŽ de Caen Basse-Normandie Monsieur GOULET Alain, Professeur ƒmŽrite de LÕUniversitŽ de Caen Basse- Normandie, Expert

Monsieur Jo‘l LOEHR, Ma”tre de ConfŽrences, H.D.R., UniversitŽ de Bourgogne Monsieur MORZEWSKI Christian, Professeur, UniversitŽ dÕArtois

Monsieur POIRIER Jacques, Professeur, UniversitŽ de Bourgogne

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Ë mon pre, disparu avant dÕavoir pu voir lÕaboutissement de ce travail. Le timbre de sa voix, la bontŽ de son regard se glissent souvent en filigrane dans les interlignes de ce texte.

Ë ma mre, ˆ lÕamour si fort et fŽcondant, qui dŽcida de rester parmi nous. Son insatiable curiositŽ portŽe ˆ la diversitŽ des spectacles du monde se faufile dans ces marges.

Ë mes frres qui ont acceptŽ mes Žclipses Ë mes amis qui tolrent les ellipses Ë Anne, infiniment

Ë Jules, indŽfectiblement

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REMERCIEMENTS

Je souhaite exprimer ma trs profonde gratitude ˆ Monsieur le Professeur Jacques Poirier qui nÕa eu de cesse de me tŽmoigner sa confiance malgrŽ mes conditions de travail des plus alŽatoires. Les pages qui suivent puisent ˆ son indulgente et patiente comprŽhension.

Je suis particulirement reconnaissante ˆ madame et messieurs les membres du jury qui ont acceptŽ de lire ce travail pour me faire bŽnŽficier de leurs remarques et remises en question afin de mÕaider ˆ progresser dans lÕexploration de ce nouveau paysage qui se prŽsente ˆ moi.

Je remercie Malou, Marc et Catherine qui ont eu la bontŽ dÕamŽnager leur rare et prŽcieux temps pour une relecture attentive.

Ce travail doit, plus que je ne puis lՎcrire, au soutien dÕAnne avec qui jÕai pu partager mes rŽflexions et mes lubies. Nonobstant mes doutes rŽcurrents, elle mÕa toujours encouragŽe et fait part de ses commentaires qui mÕont ŽvitŽ bien des bŽvues.

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TABLE DES ABRƒVIATIONS

Les rŽfŽrences aux Ïuvres de Sylvie Germain sont indiquŽes soit sous leur seul titre dans le fil du texte et des notes, soit par un des sigles suivants aprs une citation, suivi de la pagination :

AL : Ateliers de lumire : Piero della Francesca, Johannes Vermeer, Georges de La Tour, Paris, DesclŽe de Brouwer, 2004.

AV : LÕAveu, La Bartavelle, n¡3, octobre 1995.

Notons que nous nous sommes rŽfŽrŽ ˆ la consultation de la nouvelle sur les sites internet http://pppculture.free.fr/germain1.html. Aussi, la pagination correspond- elle ˆ la correspondance des pages photocopiŽes en format A4.

BR : Bohuslav Reynek ˆ Petrkov : un nomade en sa demeure, Saint Cyr-sur- Loire, Christian Pirot, coll. Maison dՎcrivain, 1998.

C : CŽphalophores, Paris, Gallimard, coll. LÕun et lÕautre, 1997.

Ch : Le Chineur de merveilles, Nouvelle, Paris, Gallimard Jeunesse, 1996

CI : Couleurs de lÕInvisible, Neuilly-sur-Seine, Al Manar, coll. MŽditerranŽes, 2002.

CM : Chanson des mal-aimants, Paris, Gallimard, 2002, (coll. Folio n¡4004, 2004).

CP : CŽlŽbration de la paternitŽ. Regards sur saint Joseph, en collaboration avec

ƒliane Gondinet-Wallstein, Paris, Albin Michel, coll. CŽlŽbrations, 2001.

CV : Cracovie ˆ vol dÕoiseaux, Monaco, ƒditions du rocher, coll. La fantaisie du voyageur, 2000.

EH : Etty Hillesum, Paris, Pygmalion, coll. Chemin dՎternitŽ, 1999.

EM : LÕEnfant MŽduse, Paris, Gallimard, 1991, (coll. Folio n¡2510, 1993).

EP : LÕEncre du poulpe, Paris, Gallimard, coll. Page blanche, 1998.

Ec : Les ƒchos du silence, Paris, DesclŽe de Brouwer, coll. LittŽrature ouverte, 1996.

ES : ƒclats de sel, Paris, Gallimard, 1996, (coll. Folio n¡3016, 1997).

GT : Grande Nuit de Toussaint, Cognac, Le Temps quÕil Fait, 2000.

HC : Hors champ, Paris, Albin Michel, 2009.

Htr : LÕH™tel des Trois Roses, nouvelle, Paris, Autrement, coll. Mutations, 1994.

Im : ImmensitŽs, Paris, Gallimard, 1993, (coll. Folio n¡2766, 1995).

In : LÕInaperu, Paris, Albin Michel, 2008.

JC : Jours de colre, Paris, Gallimard, 1989, (coll. Folio n¡2316, 1991).

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Ka : Ç KalŽidoscope ou notules en marge du pre È, Voies de pres, voix de filles, Adine Sagalyn (Žd.), Paris, Maren Sell & Cie, 1988.

LN : Le Livre des Nuits, Paris, Gallimard, 1985, (coll. Folio n¡1806, 1987).

M : Magnus, Paris, Albin Michel, 2005.

MV : Le monde sans vous, Paris, Albin Michel, 2011.

MP : Mourir un peu, Paris, DesclŽe de Brouwer, coll. LittŽrature ouverte, 2000.

NA : Nuit-dÕAmbre, Paris, Gallimard, 1987, (coll. Folio n¡2073, 1989).

OM : OpŽra muet, Paris, Maren Sell, 1989, (Gallimard, coll. Folio n¡2248, 1991).

P : Les Personnages, Paris, Gallimard, coll. LÕun et lÕautre, 2004.

PP : La Pleurante des rues de Prague, Paris, Gallimard, coll. LÕun et lÕautre, 1992, (coll. Folio n¡2590, 1994).

PV : Perspectives sur le visage. Trans-gression, dŽ-crŽation, trans-figuration, thse dactylographiŽe, 1981.

PS : Patience et songe de lumire, Charenton, Flohic, coll. MusŽes secrets, 1993.

QA : Quatre actes de prŽsence, Paris, DesclŽe de Brouwer, 2011.

RV : Rendez-vous nomades, Paris, Albin Michel, 2012.

ST : Songes du temps Paris, DesclŽe de Brouwer, coll. LittŽrature ouverte, 2003.

TM : Tobie des marais, Paris, Gallimard, 1998, (coll. Folio n¡3336, 2000).

VC : Le Vent ne peut tre mis en cage, Bruxelles, Alice ƒditions, 2002.

Les reproductions sont extraites des Ïuvres suivantes :

Couverture : Le Sacrifice dÕAbraham, dŽtail, huile sur toile par Andrea del Sarto, (1030x1383), 1527-1528.

Michel-Ange, La CrŽation dÕAdam, dŽtail, fresque, Michel-Ange, (280cm x 570 cm), 1508-1512.

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SOMMAIRE

Lˆ o tout commence

7

La rencontre dÕune Ïuvre et ses effets 8

I Ce qui se dit dÕune vie et dÕune Ïuvre 11

II ProblŽmatique 20

III MŽthodologie 26

Les berges maternelles 38

I LÕarcha•que maternel 41

II Les affres de la maternitŽ 76

III Les vestiges dÕun territoire disparu 131

Les terres paternelles

I De bruits et de fureurs 192

II Les pres en leur Žclipse 233

III La parole des pres, du fracas au fin silence 285 Des frres et des sÏurs

I Avoir un frre, avoir une sÏur 333

II Le double et lÕautre en ce miroir 383

III Les devenirs de la relation fraternelle 423

Chemins de mŽmoires

I Surimpressions 467

II Les accidents de la mŽmoire 521

III Le lieu privilŽgiŽ de la fiction 564

Conclusion

Ë LÕhorizon, La Rencontre 612

ƒpilogue

Un voyage qui se termine 632

Table 634

Bibliographie

Venir ˆ la suite 643

Index 744

(8)

Introduction

LË Oô TOUT COMMENCE

Les limbes sont notre orient. Ce lieu de silence, dÕabsence et dÕoubli dont nous venons est notre champ magnŽtique.

J.-B. Pontalis, LÕEnfant des limbes, 1998

(9)

La rencontre dÕune Ïuvre et ses effets

RŽdiger lÕintroduction de cette Žtude revient ˆ amŽnager et civiliser dans lÕaprs-coup, ce qui fut la dŽcouverte surprenante dÕhistoires pleines de silences et de fureurs, dÕombres et de lumires ; ˆ reprendre les balises dÕun cheminement quÕil fallut bien dŽgager pour se lancer ˆ la dŽcouverte dÕun paysage qui sÕouvrait sur un monde qui Ç est fable autant quÕHistoire, pome autant que cris, merveille autant que dŽsastre È1. Car, nous devons lÕavouer, cÕest par les chemins de traverse que sÕest opŽrŽe notre rencontre avec lÕÏuvre de Sylvie Germain, une approche peu orthodoxe pour une lecture qui ne laissait pas souponner ce vers quoi nous nous engagions alors. Ç Les Ïuvres dÕart sont dÕune infinie solitude ; rien nÕest pire que la critique pour les aborder. Seul lÕamour peut les saisir È, cette affirmation de Rilke, dans une de ses Lettres ˆ un jeune pote, est citŽe en exergue de lÕarticle que Sylvie Germain consacre ˆ la rŽtrospective Georges de La Tour au Grand Palais de Paris. Elle y engage le visiteur ˆ Ç porter un regard contemplatif soumis ˆ la lenteur du songe en clair- obscur qui sÕy trame en silence È2. CÕest dans cet amour insolite que notre recherche prit racine. Un amour parfois vagabond, quelquefois volage, mais toujours fidle ˆ cette Žtincelle de la premire rencontre. Un amour qui, se creusant, sÕapprofondissant, ne se satisfait plus des mmes plaisirs, mais sait en reconna”tre la saveur. Certes, le travail universitaire ne peut se suffire de lÕamour, ni de lÕattente avec Ç humilitŽ et patience lÕheure de la naissance dÕune nouvelle clartŽ È3. Ainsi, la lecture buissonnire a peu ˆ peu rŽglŽ son pas sur le rythme et les exigences des grandes randonnŽes pour mener ˆ bien une

1 Sylvie GERMAIN, entretien avec Denise Le Dantec, Ç Entretien avec Sylvie Germain È, LՃcole des Lettres II, LXXXVI, 1, 15 septembre 1994, p.60.

2 Sylvie GERMAIN, Ç Solitudes de Madeleine È, LÕÎil, n¡489, 1997, p.80-91.

3 Ibid.

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recherche dont nous savions que nous ne ressortirions pas indemne.

AssurŽment, la frŽquentation attentive dÕune Ïuvre et lՎcoute dÕune voix

Žtrangre mettent Ç lՉme humaine en vibration È1. Le risque de la lecture est ˆ rapprocher du rapport de lÕaltŽritŽ qui nous met en prŽsence de la promesse dÕune parole ˆ inventer, nous rendant ˆ lՎtrangetŽ de nous-mmes. Lire Sylvie Germain, cÕest souvent faire une Žtrange expŽrience, Žprouver le sentiment, alors quÕon la dŽcouvre, de relire quelque chose de dŽjˆ connu, comme si ses phrases Žtaient nimbŽes de rŽminiscences. Il est possible que ce phŽnomne soit les consŽquences dÕune fivre contractŽe lors de la frŽquentation assidue des personnages qui sont Ç des virus, des virus ˆ haute teneur en folie et en sagacitŽ que lÕon chope selon la sensibilitŽ que lÕon a. È (HC, 188).

Alors que pour lÕauteur, le lecteur est contraint de se saisir du Ç Qui va lˆ ? È [É]

question initiale qui abruptement se pose, - sÕimpose, ˆ tout lecteur ouvrant un livre et sÕapprtant ˆ sÕaventurer dans les mŽandres dÕun texte È (C, 13), nous pouvons imaginer que le texte lui-mme serait en capacitŽ de lancer cette mme question ˆ qui sÕavance jusquՈ lui. La lectrice que nous sommes, Ç complice ambigu[‘] de lՎcrivain, capable dÕentrer autant en rŽsonance et connivence avec lÕimaginaire dÕun auteur quÕen discordance et allergie [É] È (P, 29), qui se prŽpare ˆ entrer dans une relation attentive ˆ lÕÏuvre, se sent obligŽe de rŽpondre ˆ cette injonction rhŽtorique. Lorsque Sylvie Germain Žvoque les raisons qui lÕon amenŽe ˆ Žcrire un essai sur Bohuslav Reynek, elle prŽcise : Ç Si notre choix sÕest portŽ sur cet auteur [É] cÕest parce que la force, la gr‰ce, qui

Žmanent tant de son Ïuvre que de sa personne invitent ˆ sÕarrter sur son seuil. Il y a des dons quÕil serait dŽsolant de nŽgliger, des halos de lumire quÕil serait une carence de ne pas regarder, lorsquÕils se prŽsentent, fžt-ce de loin, sur notre chemin. È (BR, 16). Nous concernant, lՎlection de lÕÏuvre germanienne comme objet dՎtude tient sans doute au fait que nous avons trouvŽ, dans la crŽation dÕune pensŽe qui sÕexprime au travers des formes diverses, de quoi creuser lÕapproche comprŽhensive dÕune humanitŽ par la formulation de multiples interrogations que nous avions parfois bien du mal ˆ dŽfinir. Car, au fil de ses ouvrages, Sylvie Germain procde ˆ des reprises, comme si le questionnement et les Žlucidations de sens, jamais dŽfinitivement abouties, demandaient sans cesse de nouvelles perspectives dÕapproches pour se rŽvŽler plus intensŽment quՈ la premire lecture.

1 Vassily KANDINSKY, Du spirituel dans lÕart, Paris, Gallimard, Folio essai, 1993, p.112.

(11)

Par ailleurs, nous pouvons ajouter quÕune Ïuvre aussi originale que celle de Sylvie Germain, dans ce quÕelle recle Ç dÕinexpliquŽ, de mystŽrieux, de fantastique et de merveilleux, tout en parlant bien de notre monde et de notre

Žpoque È1, nous a confortŽe dans notre pratique professionnelle. En effet, amenŽe ˆ rencontrer des personnes rŽduites au silence par un traumatisme bloquŽ au fond de la gorge, ou par une violence qui ne permettait pas ˆ la pensŽe de prendre le temps de se formuler autrement que par le geste2, nous avons frŽquemment eu recours ˆ la fiction pour avancer ˆ leur c™tŽ. Bien souvent, cÕest par le dŽtour de lՎcriture ou de lÕhistoire contŽe quÕil fut possible de trouver, ou retrouver, une voix dans le langage dÕun autre, un Žcho de ses propres pensŽes dans les mots dÕun autre. AujourdÕhui encore, cÕest par le dŽtour de la fiction que des professionnels3 qui prennent soin des enfants, ont pu dŽceler, dans des situations parfois complexes et dramatiques, ce quÕils ne pouvaient plus entendre ni voir, pour se hisser jusquՈ eux. Ainsi est-il plus facile de sÕapprocher de ce quÕils ont ˆ donner, ˆ ressentir et ˆ Žprouver, avant dÕavoir ˆ comprendre et ˆ raconter ˆ leur tour. Notre travail au quotidien dans le champ de la petite enfance nous questionne sur ce quÕil en est de cet accueil de celui qui ne parle pas, mais qui fait dire et rver tant de choses aux adultes qui lÕaccompagnent. Aussi, peut-tre fut-il question, en choisissant notre sujet, de donner la parole ˆ l'infans, ou de se souvenir de cet enfant que nous avons ŽtŽ.

Poser lÕenfance comme interrogation ne fut pas simplement une dŽmarche nostalgique qui consisterait ˆ courir aprs celle qui ne cesse de sՎloigner, au fil des ans, dans sa panoplie lŽgendaire. En rŽflŽchissant aux problmes thŽoriques soulevŽs par notre expŽrience clinique, et en constatant que nos questionnements trouvaient illustrations ou rŽsonances dans lÕÏuvre de Sylvie Germain, nous avons pensŽ quÕil serait bon de poursuivre au cÏur de ses mondes sensibles et irrationnels car :

toute Žcriture est rŽponse inachevŽe ˆ des questions posŽes par dÕautres, de mme que toute lecture est seconde Žcriture poursuivie blanc sur blanc dans la marge des livres. Comme le jour, la nuit, qui sÕenroulent lÕun ˆ lÕautre, se dŽroulent et sÕenfantent sans fin. (C, 27)

Loin des images bordŽes des sucreries dÕun temps dÕune hypothŽtique innocence, LÕunivers de Sylvie Germain4 sÕoffre aux variations et aux tonalitŽs

1 Alain GOULET, Ç PrŽsentation du colloque LÕInexpliquŽ dans lÕÏuvre de Sylvie Germain : mystre, fantastique, merveilleux È, organisŽ par lÕIMEC en partenariat avec lÕUniversitŽ de Caen Basse- Normandie, Abbaye dÕArdenne, 18 et 19 octobre 2012.

2 Suivi individuel de personnes en situation de grande prŽcaritŽ, animation dÕateliers dՎcriture thŽrapeutique auprs de dŽtenus ˆ la Maison dÕArrt de LyonÉ

3 Aide Sociale ˆ lÕEnfance, Foyer de lÕEnfance, pouponnires É

4 En rŽfŽrence au colloque de Cerisy qui fut consacrŽ ˆ lÕauteur en 2007.

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qui, affirmait Zola au sujet des chefs-dÕÏuvre, Ç en disent beaucoup plus long sur lÕhomme et sur la nature, que de graves ouvrages de philosophie, dÕhistoire et de critique. È1 NÕomettons pas cependant que la relation dÕun lecteur avec une Ïuvre, ˆ lÕinstar de celle quÕun auteur peut avoir avec son personnage, fonctionne comme processus alchimique ˆ la condition de Ç SÕoublier au cÏur mme de la vigilante attention portŽe au texte que lÕon est en train dՎcrire. Se perdre de vue pour se voir autrement, pour se dŽcouvrir autre. È (P, 80). Le plaisir renouvelŽ de la lecture puise ˆ cette rverie et ˆ ces libres associations.

I - Ce qui se dit dÕune vie et dÕune Ïuvre

I-1 Des lieux pour na”tre, grandir, vivre et penser

De la vie de Sylvie Germain nous parvient un aspect fragmentaire glanŽ au grŽ des entretiens, des Žmissions radiophoniques au cours desquelles elle livre quelques donnŽes autobiographiques et une poignŽe de dates. Sans refuser dՎvoquer des ŽlŽments de sa vie, lÕauteur a ŽvoquŽ la mŽmoire de son pre dans Ç KalŽidoscope ou notules en marge du pre È ainsi que son agonie dans la septime apparition de La Pleurante des rues de Prague, elle a cependant attendu son ouvrage Le monde sans vous pour utiliser le je2. Aussi, plus quÕun exposŽ dÕune vie qui ne peut se saisir, nous posons quelques repres chronologiques, comme autant de vignettes disposŽes en marelle. Au grŽ de sauts ˆ cloche pieds, nous pointerons des Žclats biographiques minimalistes, mais suffisants pour qui souhaite pŽnŽtrer une Ïuvre et non une vie. Ainsi, Sylvie Germain voit le jour le 8 janvier 1954 ˆ Ch‰teauroux dans lÕIndre et devient alors la cadette dÕune sororie de trois sÏurs. Son enfance nÕest pas celle de lÕenracinement, mais de lÕitinŽrance. En effet, les dŽplacements familiaux suivent les mutations du pre, dont la profession de sous-prŽfet lÕamne ˆ exercer dans plusieurs dŽpartements franais. Aprs Ch‰teauroux, cÕest la ville de Mende en Lozre, avant celle de Neufch‰teau dans les Vosges, qui accueille le couple de Romain et Henriette Germain et leurs enfants. Les paysages, ressentis ou parcourus, laisseront leurs empreintes dans les romans ˆ venir et se dessineront comme des Ç imageries dÕenfance È qui sollicitent forts du Morvan

1 ƒmile ZOLA, Ç Le naturalisme au thŽ‰tre È, Le Roman expŽrimental (1880), Îuvres compltes, tome X, Paris, Cercle du livre prŽcieux, 1968, p.1240.

2 Sylvie Germain Žvoque cet aspect de son Žcriture dans lՎmission radiophonique Le Rendez-vous de Laurent GOUMARRE, Radio France, France Culture, le 29 avril 2011. InvitŽe pour son livre Le monde sans vous, Sylvie GERMAIN rappelle quÕelle introduit rarement des ŽlŽments personnels dans ses

Žcrits. En revanche, le recours au Ç je È, dit-elle, sÕest imposŽ pas seulement comme une Žvidence, mais comme une urgence alors que le deuil lÕhabitait en continu.

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et marais du Berry pour chatouiller ou hanter lÕimagination. Les dŽmŽnagements, prŽcoces et frŽquents, qui peuvent suggŽrer que lÕon Ç nÕest en vŽritŽ dÕaucun lieu È1, laissent quelques souvenirs vivaces dans la mŽmoire de lÕauteure qui Žvoque2 lÕimpressionnante sculpture du loup du GŽvaudan avec la mme Žmotion qui marqua lÕenfant dÕun an et demi. Adulte, les lieux de vie suivent les pŽrŽgrinations dÕune autre transhumance, celle qui sÕadapte aux diffŽrents emplois, aux amours, aux nŽcessitŽs ou au hasard. Aprs avoir travaillŽ ˆ la direction de lÕAudiovisuel au Ministre de la Culture3 ˆ Paris, un nouveau pays, ou plus exactement une ville, Prague la bien-aimŽe, lÕaccueille pendant sept annŽes4 pour enseigner la philosophie et le franais ˆ lՃcole Franaise. LorsquÕelle arpente ses rues, les pavŽs rŽsonnent encore des drames de lÕHistoire auxquels sÕagrgeront les dŽsarrois personnels que la Pleurante prendra en charge dans les replis de sa mŽmoire. Le retour ˆ Paris impose de se Ç rŽhabituer ˆ cette ville aprs tant dÕannŽes È, alors que lÕon sait que lՎvolution des paysages urbains et la dŽmolition des traces du passŽ, dont OpŽra muet a dŽjˆ pris acte, peut placer un tre au bord du gouffre. LÕattrait de la Capitale nÕest cependant pas suffisant pour retenir celle qui nÕest pas Ç assignŽ[e] ˆ rŽsidence perpŽtuelle È5 et qui ne fige pas les lieux en sanctuaire. Aussi, en dehors du tumulte des villes qui se targuent dՐtre grandes, La Rochelle, Pau, et aujourdÕhui Angoulme, sont autant de territoires propices au souffle crŽateur.

Du parcours de formation de Sylvie Germain, il est connu quÕelle hŽsite ˆ entrer aux Beaux-Arts mais que la philosophie sÕimpose ˆ elle par la force et la surprise dÕun Ç coup de foudre È qui se manifeste, non dans lÕenseignement, mais dans lՎnoncŽ dÕun sujet de dissertation qui ouvre lÕespace de lՎtonnement et du questionnement dans sa vertigineuse immensitŽ6. La question : Ç Si Dieu nÕexiste pas, tout est-il permis ? È7, se rŽvle par son Ç ampleur È qui met la

1 Sylvie GERMAIN, Ç Le vrai lieu est ailleurs È, PoŽsie & Art, Groupe de Recherche en PoŽtique et PoŽsie Contemporaine, Ha•fa, n¡ 8, 2006 ; et Sylvie Germain et son Ïuvre, Actes du colloque de lÕuniversitŽ de Ha•fa, 20-21 mars 2006, Jacqueline Michel et Isabelle Dotan (Žd.), Bucarest, EST Samuel Tastet ƒditeur, 2006, p.149.

2 ƒmission Hors-Champs par Laure Adler, InvitŽe Sylvie Germain, Radio France, France Culture, 27 mai 2010.

3 De 1981 ˆ 1986.

4 De 1986 ˆ 1993.

5 Sylvie GERMAIN, Ç Le vrai lieu est ailleurs È, op. cit., p.150.

6 ƒmission Ë voix nue : Sylvie GERMAIN. Ç FŽconditŽs. Le corps dans tous ses Žtats. Le sentiment de la nature. Le silence du sacrŽ. Vertiges de lՎcriture È, sŽrie dÕentretiens proposŽs par Anice ClŽment, Radio France, France Culture, 27,28, 29, 30 et 31 janvier 2003.

7 Si Sylvie Germain prte cette formulation ˆ Dosto•evski dans Les Frres Karamazov, Alain Goulet rappelle que la formulation Ç vient en rŽalitŽ de Camus qui, dans Le Mythe de Sisyphe, rŽsume ainsi la position dÕIvan Karamazov. È, Sylvie Germain : Îuvre romanesque. Un monde de cryptes et de fant™mes, Paris, LÕHarmattan, coll. Critiques LittŽraires, 2006, note de bas de page, p.13.

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lycŽenne Ç en arrt È1 et tourmente existentiellement la femme qui dŽclare : Ç trente ans plus tard, je tourne toujours autour dÕune mme question ! È2. Dans cette logique, les travaux de recherche universitaire de lՎtudiante contiennent dŽjˆ en germe les prŽoccupations de la romancire ˆ venir et jettent Ç les fondements dÕun univers trs personnel È3. Ë vingt-deux ans, rappelle Milne Stefkovic, elle Žtudie Ç les textes de Plotin, la poŽsie de Jean de la Croix et celle de ThŽrse dÕAvila È4 et consacre son mŽmoire de ma”trise de philosophie ˆ Ç lÕascse dans la mystique chrŽtienne È5. Puis, le jeu du visible et de lÕinvisible chez Vermeer et Watteau6 sÕinvite en clair obscur dans sa recherche de DEA en esthŽtique. La Sorbonne donna lieu ˆ des rencontres, certaines dŽsespŽrantes, avec des Žtudiants qui ont mal Ç digŽrŽ leur nietzschŽisme et avaient un attrait purement intellectuel du mal È7, dÕautres Žclairantes, comme celle qui permit la dŽcouverte dÕEmmanuel Levinas dont elle suit les cours. LÕinfluence marquante et dŽterminante du philosophe inspire le choix de son sujet de thse de doctorat de 3e cycle intitulŽe Perspectives sur le visage : Trans-gression, dŽ-crŽation, trans-figuration8, et ne cesse, depuis, dՎclairer son Ïuvre. La thse de Sylvie Germain affirme et Žtablit les fondations dÕune Ïuvre en sommeil, tant par lÕutilisation des images que par la prŽgnance des thŽmatiques qui dessinent les personnages ˆ venir, que par les titres de chapitres qui seront repris, ou prolongŽs, dans Le Livre des Nuits. Elle constitue, pour Toby Garfitt, le Ç point de dŽpart incontournable È et reprŽsente Ç un vŽritable travail de crŽation (et de dŽcrŽation) [É] en indiquant des repres et des points de dŽpart È9. Alors que sÕachve lՎcriture universitaire, dŽbute la crŽation romanesque. En effet, lÕentrŽe en Žcriture sÕimpose comme une impŽrieuse nŽcessitŽ alors que se dŽploie le vide ou le manque :

Le soir mme de ma soutenance de thse, dŽsemparŽe de ne plus avoir de prŽtexte, je me suis mise ˆ Žcrire des contes pour enfants. Puis jÕai Žcrit des nouvelles, et cÕest ainsi que, de manire totalement inconsciente et indolore, jÕai publiŽ mon premier roman en 1985.10

1 Ç Entretien avec Sylvie Germain È, Roman 20-50, Roman 20-50, Le Livre des Nuits, Nuit-dÕAmbre et ƒclats de sel, de Sylvie Germain, Marie-HŽlne Boblet et Alain Schaffner (Žd.), n¡39, juin 2005, p.112.

2 Ibid.

3 Aliette ARMEL, Ç Germain Sylvie È, Encyclopaedia universalis SupplŽment vol.1, Paris, 1999, p.457.

4 Milne MORIS-STEFKOVIC, Ç La langue de Sylvie Germain : un style mystique et poŽtique È, La Langue de Sylvie Germain "En mouvement dՎcriture", CŽcile Narjoux et Jacques DŸrrenmatt (dir.), Dijon, ƒditions Universitaires de Dijon, coll. Langages, 2011, p.22.

5 En 1976.

6 Aliette ARMEL, op. cit.

7 ƒmission Ë voix nue : Sylvie GERMAIN. op. cit.

8 Sylvie Germain soutient sa thse ˆ Nanterre ˆ la rentrŽe 1981.

9 Toby GARFITT, Ç Sylvie Germain et Emmanuel Levinas È, LÕUnivers de Sylvie Germain, (Actes du colloque de Cerisy 22-29 aožt 2007), Alain Goulet (dir.), avec la participation de Sylvie Germain, Caen, Presses Universitaires de Caen, 2008, p.79.

10 Isabelle GIRARD, Ç Une Žtoile est nŽe. Sylvie Germain : Si je nՎcris pas, je suffoque È, LՃvŽnement du jeudi, 12-18 septembre 1985.

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Ë lÕimage du romancier contemporain qui a fait des Žtudes supŽrieures, Sylvie Germain Ç affronte consciemment la somme des livres dŽjˆ Žcrits et les multiples systmes de signes dŽjˆ validŽs. Et ne peut pas ne pas se situer par rapport ˆ eux, ne pas instaurer avec eux un dialogue critique. È1 Plus quՈ une conversation, Sylvie Germain convie les Ïuvres et les auteurs ˆ entrer en rŽsonance avec sa pensŽe, et couche sur le papier de longues citations qui se mlent Žtroitement ˆ son Žcriture. Ses pages, ˆ lÕintertextualitŽ foisonnante, bruissent de nombreuses rŽfŽrences culturelles qui participent Ç du processus de crŽation littŽraire È2 et dÕune inscription dans un hŽritage. De ce terreau fŽcond, la Bible, pourvoyeuse dÕimages3 et de scnes marquantes, reste lÕintertexte fondateur de premier plan qui favorise une lecture chrŽtienne du monde et un approfondissement de ses propres interrogations.

I-2 Le pouls dÕune Žpoque

Dans Ateliers de lumire, Sylvie Germain cite les propos de Kandinsky :

Chaque artiste, en tant que crŽateur, doit exprimer ce qui lui est propre [ŽlŽment de la personnalitŽ], chaque artiste, en tant quÕenfant de son Žpoque, doit exprimer ce qui est propre ˆ cette Žpoque [ŽlŽment du style dans sa valeur intŽrieure, composŽ du langage de lՎpoque et du langage de la nation]4. (AL, 39)

RŽfŽrons-nous ˆ cette proposition pour poursuivre notre propos. Sylvie Germain na”t en un monde et en une Žpoque particulire qui reste encore marquŽe par :

lÕÇ extrme indigence morale et spirituelle, laquelle a pour nom tous ceux des champs de bataille, de massacres, qui ont prolifŽrŽ en ce sicle, et ceux des camps et des goulags qui ont meurtri la terre, profanŽ le ciel ˆ travers lÕEurope entire et par delˆ encore. Temps dÕindigence et dÕinfinie dŽtresse dont le nom culmine en celui dÕAuschwitz. (BR, 25)

Certes, nous pourrions penser que Ç les guerres lÕont ŽpargnŽe È5 et pourtant, lÕannŽe mme de sa naissance, le camp retranchŽ de Din Bin Phž tombe et les accords de Genve du 20 juillet 1954 mettent fin ˆ la guerre dÕIndochine. Quant

ˆ celle qui nÕosera se dire que sous les noms feutrŽs dÕÇ ŽvŽnements È ou de Ç pacification È, elle ne tarde pas ˆ se manifester lors du soubresaut du Ç drame de la Toussaint È6 et ˆ surgir dans le paysage national. Alors quÕelle na”t au

1 Michle TOURET, Francine DUGAST-PORTES (dir.), Le Temps des lettres, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2001, p.451.

2 Sylvie DUCAS, Ç "MŽmoire mendiante" et "magie de lÕencre" : lՎcriture au seuil du mythe È, Roman 20-50, n¡39, juin 2005, p.94.

3 Sylvie GERMAIN, Ç Bibliocosmos È, Le Magazine LittŽraire, n¡448, dŽcembre 2005, p.42.

4 Vassily KANDINSKY, Du spirituel dans lÕart, et dans la peinture en particulier, op. cit.

5 Anne Marie KOENIG, Ç Le Frisson du temps È, Magazine LittŽraire, n¡353, 1997.

3 Pascale TISON, Ç Sylvie Germain : lÕobsession du mal È, Magazine LittŽraire, n¡286, mars 1991.

6 Insurrection algŽrienne du 1er novembre 1954.

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Ç moment o lÕempire symbolique des lettres franaises vit sa premire remise en cause [É] o un dŽbut de dŽsorganisation interne secoue la littŽrature sous la poussŽe de Jean-Paul Sartre, de Maurice Blanchot et des formalistes [É] È1, Sylvie Germain constate que parvenir :

ˆ lՉge critique et interrogatif par excellence quÕest lÕadolescence, dans un pays europŽen, un demi-sicle aprs la fin de la Premire Guerre mondiale, un quart de sicle aprs la fin de la Seconde, cÕest se trouver en pŽriode de dŽtresse, malgrŽ la paix rŽinstallŽe, la sŽcuritŽ donnŽe et la prospŽritŽ relancŽe È (RD, 20)

Contrairement aux Žcrivains de lÕaprs-guerre qui Ç vivaient et Žcrivaient dans un rapport de contigu•tŽ avec lÕexpŽrience de la guerre, des annŽes noires et de Vichy È produisant des textes qui Žtaient, pour la plupart, Ç des reprŽsentations de la guerre, des prises de position par rapport ˆ ses enjeux et ses sŽquelles È2, les Žcrivains de la gŽnŽration de Sylvie Germain ne se situent pas dans un lien direct et personnel avec ces expŽriences. Ils prŽsentent un rapport au passŽ qui nÕest pas liŽ Ç logiquement, chronologiquement, historiquement au prŽsent, mais plut™t le hante È3. Leurs textes littŽraires, et les thŽmatiques quÕils traitent, tŽmoignent du poids du traumatisme qui Žchoie ˆ la deuxime gŽnŽration. Sylvie Germain lutte contre lÕeffacement et lÕoubli et ne se satisfait pas de lÕineffable qui nÕest, pour Jorge Semprun :

quÕun alibi, ou signe de paresse. On peut toujours tout dire, le langage contient tout. On peut dire lÕamour le plus fou, la plus terrible cruautŽ. On peut nommer le mal, [É] On peut dire Dieu, et ce nÕest pas peu dire [É]. Mais peut-on tout entendre, tout imaginer ? 4

Les questions se posent autrement avec un temps qui nÕest jamais dŽfinitif, la survenue de nouveaux ŽvŽnements, de nouveaux conflits et massacres, mais aussi, les travaux de recherche qui dŽcouvrent des documents inŽdits, changent lÕapproche du passŽ. Les questions se posent encore car, affirme lÕhistorienne Annette Wieviorka, Ç Il y a encore ˆ chercher, ˆ trouver, ˆ penser, ˆ dire, ˆ

ŽcrireÉ [É]. Oui, encore, toujoursÉ Non, tout nÕa pas ŽtŽ Žcrit et tout ne le sera jamais. È5. Lorsque, deux ans aprs la parution de son premier roman Le Livre des Nuits, Sylvie Germain publie la deuxime partie de son diptyque sous le titre

1 Daniel LAN‚ON, Ç LÕIngŽnuitŽ dÕAndrŽe Chedid È, Cahiers Robinson, Ç AndrŽe Chedid, lÕenfance multiple È, Christiane Chaulet-Achour (dir.), n¡14, 2003, p.17.

2 Richard J. GOLSAN, Ç Vers une dŽfinition du Ç roman occupŽ È depuis 1990 : Dora Bruder de Patrick Modiano, La Compagnie des spectres de Lydie Salvayre, et La Cliente de Pierre Assouline È, Le Roman au tournant du XXIe sicle, Bruno Blanckeman, Aline Mura-Brunel et Marc Dambre (dir.), Paris, Presses Sorbonne Nouvelle, 2004, p.129.

3 Ibid.

4 Jorge SEMPRUN, LՃcriture ou la vie, Paris, Gallimard, 1994.

5 Annette WIEVIORKA, Auschwitz, 60 ans aprs, Paris, Robert Laffont, 2005, p.11.

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de Nuit-dÕAmbre, sÕouvre1, devant la Cour dÕAssises du Rh™ne ˆ Lyon, le procs du nazi Klaus Barbie accusŽ de crimes contre lÕHumanitŽ. Cette actualitŽ ne nous semble pas anodine pour une romancire qui entretient un rapport si particulier

ˆ la mŽmoire dÕun sicle qui vit lÕhumanitŽ sÕemballer pour sa propre destruction et qui laisse dans son sinistre sillage des questions lancinantes qui traversent toute une Ïuvre et ne trouvent pas de repos, telles les ‰mes sans sŽpultures.

Sylvie Germain veille et porte en sa mŽmoire les cicatrices et les agonies des torturŽs et des victimes des holocaustes qui font Žcrire ˆ Vassili Grossman : Ç Combien seront-ils de cette Žpoque inoubliable ˆ tre oubliŽs ? È2. Comme un membre amputŽ, qui, devenu fant™me, hante encore les sensations, une partie de soi pulse en cette absence tellement prŽsente. LÕauteure Ç fouille jusque sous les pieds de Dieu È3 le sens des atrocitŽs et du mystre de lÕexistence humaine, elle interroge et guette Ç parmi les cendres et les dŽcombres des innombrables jours qui auront composŽ ce sicle meurtri ˆ la mesure de sa fŽrocitŽ È (Ec, 15), comme la scansion dÕune mŽditation sur la plainte que lance lÕhomme aprs Job.

Sylvie Germain le rŽpte lors des entretiens ou des confŽrences, lՎnonce et lՎcrit, le Mal constitue une de ses interrogations existentielles. Cette question, qui se trouve au cÏur des rŽflexions philosophiques, morales et religieuses qui traversent les sicles, est, Žcrit Isabelle Dotan, Ç fatalement liŽe ˆ une LittŽrature de la douleur qui sÕarticulerait en vŽhiculant la perception et la vision du monde de lÕauteur soit en la dŽnonant, soit en la commŽmorant ou au contraire en lÕoccultant. È4 Sylvie Germain le reconna”t : Ç On nÕa pas beaucoup dÕidŽes neuves au cours de sa vie, on tourne autour de quelques thmes, on gravite autour dÕun champ de forces, de questions, qui sÕest constituŽ trs t™t, dans lÕenfance, puis sŽdimentŽ. È5 Mais, que lÕon ne sÕy trompe pas, rŽpŽter nÕest pas ressasser constate J.-B. Pontalis :

Peut-tre dis-je toujours la mme chose, et parfois presque dans les mmes mots, mais cÕest par des chemins diffŽrents qui tournent autour dÕun unique centre, un centre introuvable sÕil est vrai quÕil nÕexiste que par son absence. Preuve que je me dŽbats, comme tout un chacun, avecÉ avec je ne sais quoi, toujours mme et autre

ˆ jamais.6

Les questions qui prennent forme dans Perspectives sur le visage rejoignent celle qui se pose dÕemblŽe comme une seule et unique question Ç infiniment plurielle

1 11 mai 1987 pour 37 jours dÕaudience.

2 Vassili GROSSMAN, (1980 pour lÕOccident), Vie et Destin, Paris, trad. Julliard, LÕåge dÕhomme, 1983.

3 Anne-Marie KOENIG, Ç Le Frisson du temps È, Le Magazine LittŽraire, n¡353, 1997, p.104.

4 Isabelle DOTAN, Les Clairs-obscurs de la douleur. Regards sur lÕÏuvre de Sylvie Germain, Namur, Les Žditions namuroises, 2009, p.9.

5 Ç En guise de conclusion : questions ˆ Sylvie Germain È, LÕUnivers de Sylvie Germain, op. cit., p.

319.

6 J.-B. PONTALIS, Fentres, Paris, Gallimard, 2000, p.120.

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en son unicitŽ È, appelŽe ˆ tre Ç vouŽ[e] ˆ lÕinfini de lՎcho È, celle de la rencontre du visage de lÕAutre, Ç sujet et objet de question, de rencontre, de doute, dՎtonnement et de dŽsir ; il est lՎternel questionnement de la Question infinie È (PV, 6).

I-3 Une place insolite dans le paysage littŽraire franais

Le traumatisme de la Seconde Guerre Mondiale a bousculŽ les certitudes qui paraissaient solidement ancrŽes et dŽniŽ toute croyance en un avenir qui annoncerait des lendemains radieux. Les modles culturels, idŽologiques, religieux ou politiques nÕont pu endiguer les massacres, qui laissent les pays exsangues et les consciences dŽsemparŽes. Lorsque Sylvie Germain entre en littŽrature, lՎcriture contemporaine a connu lÕexigence critique de Ç lÕére du soupon È1 qui a traduit radicalement2, dans le champ de la signification, les effets dÕune crise dŽnonant les impostures du sujet. Pour Sylvie Germain en revanche, la modernitŽ ne signifie aucunement la mort de la littŽrature, elle sÕinsurge dÕailleurs contre ce qui ressemble ˆ un prophŽtique lieu commun :

Voilˆ des dŽcennies que lÕon nous parle de Ç la mort du roman È (et de la Ç mort È de lÕart en gŽnŽral Ð on a aussi clamŽ Ç la mort de Dieu È, et celle de lÕhommeÉ) Eh bien ! prenons ce deuil avec vivacitŽ (cÕest-ˆ-dire moins comme une mort que comme une usure au terme de laquelle de nouvelles transformations peuvent surgir) en mlant la luciditŽ (la crise du roman dit Ç traditionnel È est ˆ prendre au sŽrieux, mais pas le dŽsir, ni lÕimaginaire.) Bref, Ç le Roi est mort, Vive le Roi ! È, la littŽrature trouvera toujours de nouveaux hŽritiers au Ç tr™ne È [É]3

En refusant, un tel constat, qui enferme dans un deuil permanent ou donne lieu, selon Antoine Compagnon, ˆ un Ç extraordinaire culte de la littŽrature È4, Sylvie Germain extirpe de la notion de crise, le dynamisme et les ressources dÕun nouvel Žquilibre. En prenant le contre-pied de Marcel Gauchet pour qui e Ç dŽsenchantement du monde È est le sympt™me dÕune Žpoque, Alain Schaffner souligne que :

les romans de Sylvie Germain, sans jamais nier la rŽalitŽ trop souvent atroce du sicle qui vient de sÕachever, proclament au contraire la nŽcessitŽ de rŽenchanter le monde [É] en prtant lÕoreille au silence de Dieu, habitŽ par une absence qui se nomme le sacrŽ.5

1 Nathalie SARRAUTE, LÕére du soupon, Paris, Gallimard, 1956.

2 Julia KRISTEVA, Soleil noir. DŽpression et mŽlancolie, (1987), Paris, Gallimard, coll. Folio essais, 1989, p.230.

3 Arnaud BORDES, Stephan CARBONNAUX, Serge TAKVORIAN, Ç Sylvie Germain È, Enqute sur le roman, 50 Žcrivains dÕaujourdÕhui rŽpondent, Paris, Le Grand Souffle ƒditions, 2007, p.141.

4 Antoine COMPAGNON, La LittŽrature, pourquoi faire ? , Leon inaugurale prononcŽe le jeudi 30 novembre 2006, Leon inaugurale N¡188, Paris, Collge de France/Fayard, 2007, p.31.

5 Alain SCHAFFNER, Ç Le RŽenchantement du monde : Tobie des Marais de Sylvie Germain È, Le Roman au tournant du XXIe sicle, op. cit., p.546.

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La romancire se dŽcale donc dÕune production littŽraire contemporaine pour traverser le champ de la dŽsillusion et de la dŽliaison qui invite ˆ la rŽ-invention pour rŽvŽler, lorsquÕelle est dŽpassŽe, une fŽconditŽ prodigieuse et une force de crŽativitŽ inventive. Pour Jan Baetens, la crise est :

lՎtat le plus aigu, le plus vivant de la crŽation romanesque, ce moment o

lՎcriture se retourne sur elle-mme, met en question ses propres pratiques, interroge la pertinence de ses formes et la lŽgitimitŽ de ses objets.1

Dans cette perspective de crŽativitŽ renouvelŽe, le sujet, pas plus que le rŽcit ou la fiction, ne sÕen reviennent, car lÕidŽe dÕun retour conduit Ç ˆ penser de faon tendancieuse la modernitŽ dŽconstructionniste comme une phase dՎcart sinon dÕaberration, ˆ laquelle succŽderait aujourdÕhui une phase de normalisation. È2 Ils se conoivent autrement et investissent les formes de narration dites classiques pour exposer Ç sous la forme de questions insistantes, de problmes irrŽsolus, de nŽcessitŽs impŽrieuses È3, les vertiges contemporains dÕun monde qui rŽtrŽcit et sÕaccŽlre. La rŽhabilitation de la tradition, Žcrit Bruno Blanckeman, Ç ne se conoit pas comme un retour ˆ lÕacadŽmisme. Elle ne rejette aucun des effets expŽrimentaux hŽritŽs dÕun sicle de manipulations romanesques : elle les dŽcante. È4

Aussi, les premiers romans de Sylvie Germain nÕinvitent pas tant Ç ˆ revisiter lÕHistoire È5, ou ˆ Ç comprendre ce qui sÕest passŽ È6, quՈ proposer, dans le dŽroulement de gŽnŽalogies familiales qui ont les deuils en hŽritage, les consŽquences du traumatisme sur lÕexistence de ses membres, traversŽs par des attentes interminables, par des regrets profonds et des souvenirs empchŽs.

Plus que la volontŽ de retranscrire lÕhistoire du XXe sicle, Sylvie Germain tend, par la dimension de la fable et de la lŽgende, ˆ dŽchiffrer le monde et ˆ prendre en charge la question de la mŽmoire. En multipliant les instances narratives ouvertes aux rves, aux mythes et aux contesÉ elle conoit une Ïuvre polyphonique apte ˆ se saisir dÕune rŽalitŽ historique qui se reprŽsente avec la matire de la poŽsie Žpique et participe dÕun courant romanesque inspirŽ du rŽalisme magique dŽveloppŽ ˆ partir des annŽes 1970 en lÕAmŽrique latine. La

1 Jan BAETENS, Dominique VIART, Ç ƒtats du roman contemporain È, Dominique Viart, Jan Baetens (textes rŽunis par), ƒcritures contemporaines. 2. ƒtat du roman contemporain. Actes du colloque de Calaceite, Fondation Noesis (6-13 juillet 1996), Ç La Revue des lettres modernes È, Paris-Caen, Minard, 1999, p.4.

2 Michle TOURET, Francine DUGAST-PORTES (dir.), Le Temps des lettres, op. cit., p.443.

3 Dominique VIART, Bruno VERCIER (2005), La LittŽrature franaise au prŽsent. HŽritage, modernitŽ, mutations, (en collaboration avec Franck Evrard), 2me Ždition augmentŽe, Paris, Bordas, 2008, p.

19-20.

4 Bruno BLANCKEMAN, Ç Aspects du rŽcit littŽraire actuel È, Dix-neuf/Vingt, n¡2, octobre 1996, p.246.

5 Dominique VIART, Bruno VERCIER (2005), op. cit., p. 129.

6 Ibid., p. 130.

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rŽŽcriture de lÕhistoire passe par une recherche formelle qui puise dans une intense dynamique de lÕexcs et de la luxuriance et porte la narration Ç au dŽbordement, ˆ lÕextravagance, ˆ la dŽmesure du roman romanesque [É]. È1 Quant au personnage romanesque, dŽnoncŽ par Alain Robbe-Grillet comme une notion quÕil juge Ç pŽrimŽe È2, il est rŽhabilitŽ et sÕinvite mme en groupe dans lÕÏuvre germanienne, pour sÕimposer au pluriel dans le titre dÕun essai Les Personnages, et sÕaffirmer comme acteur du processus crŽatif auquel la romancire ne fait quÕobŽir. Au fil des annŽes, les romans tŽmoignent de lՎvolution dÕune Ïuvre riche de plusieurs dŽcennies et de la maturitŽ dÕun

Žcrivain pour qui le monde nÕoffre pas les mmes perspectives et appellent ˆ de nouvelles explorations :

il y a des choses [É] ou des centres qui, tout en gardant le mme intŽrt, avec le temps se dŽplacentÉ mise en perspective, plus de mise ˆ distance, ou obliquement.

Et en chemin on dŽcouvre dÕautres voies dÕaccs, dÕautres ŽlŽments qui ont leur importance et qui mŽritent une attention. (VC, 74)

Le traitement des thŽmatiques Žvolue, la ligne narrative sՎpure, la phrase se rŽduit, lÕexubŽrance mme de lÕonomastique des premiers romans se tempre, le texte se fragmente et affirme le vertige de la dissolution des tres. La fiction se dŽleste de la dŽmesure mythologique et des dŽploiements baroques pour davantage sÕhistoriciser autour de personnages malmenŽs dans leur devenir par une crise existentielle qui atteint lՐtre autant que la sociŽtŽ. Cet allgement nÕest pas ˆ confondre avec la diffraction ou le dŽsengagement spirituel, Ç nul

Žmiettement des formes esthŽtiques, nulle dŽsaxation des structures de la langue, nulle extinction des feux de la conscience [É] È3, prŽcise Bruno Blanckeman. Marie-HŽlne Boblet souligne cependant, quÕen se saisissant Ç des

Žpisodes de lÕhistoire contemporaine È pour nourrir ou dŽfinir le cadre dÕune intrigue, les fictions de Sylvie Germain ne Ç proposent pas de clefs, ni de solutions ˆ la hauteur de ce " monde " È4. Aussi, si les Ç Fables et visions peuvent tre nŽcessaires, [É] comme excursions, dŽtour |É] È5, ˆ dŽfaut dÕimaginer ce quÕil peut advenir dÕun sujet qui doit concevoir sa Ç condition

Žthique et civique È et penser sa place dans un monde o vivre signifie vivre

1 Marie-HŽlne BOBLET, Ç Sylvie Germain È, Roman 20-50, n¡39, juin 2005.

2 Alain ROBBE-GRILLET, Pour un nouveau roman (1956-1963), Paris, Gallimard, 1963.

3 Bruno BLANCKEMAN, Ç A c™tŽ de/aux c™tŽs de : Sylvie Germain, une singularitŽ situŽe È, LÕUnivers de Sylvie Germain, op. cit ;, p.25.

4 Marie-HŽlne BOBLET, Ç Implication Žthique et politique, dÕImmensitŽs ˆ Magnus È, LÕunivers de Sylvie Germain, op. cit., p.58.

5 Marie-HŽlne BOBLET, Ç LÕimmensitŽ en notre finitude : histoire et humanitŽ È, Sylvie Germain.

Regards croisŽs sur ImmensitŽs, Mariska Koopman-Thurlings (dir.), Paris, LÕHarmattan, coll.

Critiques LittŽraires, 2008, p.44.

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avec et parmi les autres, le roman germanien risque Ç dÕillustrer ˆ sa faon la sortie de la politique È1.

II Ð ProblŽmatique

II-1 Des figures de lÕenfantÉ

LÕimportance de lÕÏuvre germanienne, traduite aujourdÕhui dans une vingtaine de langues, se rŽvle ˆ travers le nombre croissant de parutions de travaux littŽraires et dÕorganisations de colloques nationaux et internationaux2 consacrŽs ˆ Sylvie Germain. Cet intŽrt manifeste, pour une Ïuvre dense et riche, se nourrit dÕune pensŽe critique qui continue dÕirriguer les projets de thses. Ces diverses recherches et communications ont contribuŽ ˆ ouvrir des portes en sollicitant la rŽflexion des chercheurs et en proposant des lectures passionnantes qui pointent les spŽcificitŽs dÕune Ïuvre savamment ŽtudiŽe. Pour autant, les sujets des thses, soutenues ou en prŽparation, ainsi que les essais publiŽs, qui pour lÕensemble regroupent des communications de diffŽrents chercheurs sur des thmes nŽcessairement diversifiŽs, nous permettent de nous consacrer ˆ notre sujet sans craindre la redondance. Nous sommes en effet persuadŽe que le corpus scientifique nÕest pas constituŽ une fois pour toute comme un systme clos du savoir, mais demande ˆ tre relu, rŽinterrogŽ et rŽinterprŽtŽ.

Alors que nous commencions cette recherche, nous avions fait le choix de travailler sur les figures de lÕenfant dans lÕÏuvre de Sylvie Germain. Nous avions en effet constatŽ, et le colloque organisŽ par lÕUniversitŽ dÕArtois3 est venu par la suite confirmer notre propos, que la figure de lÕenfant, que Bruno Blanckeman qualifie Ç dÕabsolue È4, se voyait accorder une place prŽpondŽrante, allŽgorique et existentielle dans lÕÏuvre germanienne, bŽnŽficiant dÕun Ç surinvestissement

1 Ibid., p.67.

2 Organisation en Angleterre du premier colloque sur Sylvie Germain par Toby Garfitt en collaboration avec lÕAssociation EuropŽenne Franois Mauriac en 2001 ; JournŽe dՃtudes sur Sylvie Germain ˆ la Sorbonne Nouvelle en 2004, Colloque de lÕUniversitŽ dÕArtois en 2005, Ç Sylvie Germain et son Ïuvre È organisŽ par le GRPC ˆ lÕUniversitŽ dÕHa•fa en mars 2006 ; Colloque de Cerisy-la-Salle en 2007, parution dÕun numŽro spŽcial de la revue turque Litera Ç Sylvie Germain È qui sÕest vu dŽcerner le grand prix de littŽrature Notre-Dame de Sion en Turquie le 14 mai 2010 ; les cahiers de recherche des instituts nŽerlandais de langue et de littŽrature franaise ont fait para”tre en 2011, sous lÕimpulsion de Mariska Koopman-Thurlings, un numŽro consacrŽ aux essais de Sylvie Germain ; les 7es Rencontres de Chaminadour en septembre 2012 consacrŽes ˆ Sylvie Germain, Colloque LÕInexpliquŽ dans lÕÏuvre de Sylvie Germain : mystre, fantastique, merveilleux ˆ lÕAbbaye dÕArdenne en octobre 2012 É

3 Ç LÕenfant dans lÕÏuvre romanesque de Sylvie Germain È, UniversitŽ dÕArtois, 26-27 mai 2005.

4 Bruno BLANCKEMAN, Ç LÕEnfance absolue È, Cahier Robinson, Ç Sylvie Germain, Žclats dÕenfance È, n¡20, 2006, p.7.

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littŽraire et Žthique. È1. LÕenfance, ˆ Ç lՎcho toujours resurgissant È2, laisse au fond de soi les traces les plus vives, interroge notre mŽmoire individuelle et collective. NimbŽe de reconstruction, dÕinterprŽtation, de dŽplacement et de projection, elle est, Žcrit Franois Mauriac, Ç le tout dÕune vie, puisquÕelle nous en livre le secret È3. Une origine ˆ dŽcrypter nous serait ainsi livrŽe dans la richesse des potentialitŽs de celui qui sՎveille au monde et qui conserve, ds lÕincipit de sa vie, une empreinte qui pourrait tre la matrice dÕune destinŽe ainsi que lÕorigine dÕun rve dÕune enfance perdue. Les figures de lÕenfance chez Sylvie Germain, plus que lÕenfant quÕelle englobe, se font, et nous empruntons lÕexpression ˆ AndrŽe ChŽdid, multiples. Ses voix polyphoniques se rŽpondent et

Žvoquent un temps rŽputŽ sans parole qui devient le temps privilŽgiŽ pour engager une rŽflexion Ç sur la voix humaine (ou sur son absence) È4. Par son regard et sa prŽsence cÕest une faon dՐtre au monde qui est prŽsentŽe, cÕest une faon de lÕapprŽhender, de lÕexplorer, de le comprendre, de lui donner sens et vie qui est proposŽe. LÕenfant, par son enfance mme, devient porteur dÕune vŽritŽ et dÕune mŽmoire, autant que des crises et fractures dÕune sociŽtŽ. Aussi est-il le lieu privilŽgiŽ pour interroger le sens du monde ou pour renouer avec lui.

En raison de sa vulnŽrabilitŽ, ou de ce que Jean-Franois Lyotard appelait sa Ç passibilitŽ È5, lÕenfant est la figure gŽnŽrique de lՐtre qui, le plus dŽmuni par la nature, ne peut subvenir ˆ sa survie sans le secours dÕautrui. Figure allŽgorique dŽlibŽrŽment choisie par lÕauteure comme la victime des grandes barbaries6, par le mal qui lui est fait, il illustre le thme de lÕinnocence bafouŽe et de la vulnŽrabilitŽ piŽtinŽe. FoudroyŽ par les guerres au cÏur de sa famille qui ne peut pas toujours lui offrir une protection, son atteinte constitue Ç un crime de lse-humanitŽ È (VC, 33). LÕenfant dŽsigne ici moins le petit dÕhomme que Ç lՉme enfantine elle-mme, exposŽe ˆ lÕeffet traumatique, ˆ lÕimpact dÕun [É]

dehors [É] qui effracte ses constructions tendres et ludiques. È7 Le meurtre de lÕenfant, ou plus encore de lÕenfance Ç dans ce quÕelle a de plus nu, de plus faible È8, interroge le silence de Dieu et la prŽsence du divin, en posant le problme du Ç statut ontologique de la puissance du mal È. En effet, comment

1 Ibid.

2 CŽcile NARJOUX, Ç LՎcriture des commencements de Sylvie Germain ou le lyrisme "au bord extrme du rve" È, Roman 20-50, op. cit., p.73.

3 CitŽ par Michel SUFFRAN, Ç LÕenfance inspiratrice chez Henri Bosco et Franois Mauriac È, Cahiers Robinson, Ç Henri Bosco È, n¡4, 1998, p.270.

4 Giorgio AGAMBEN, Enfance et histoire. Destruction de lÕexpŽrience et origine de lÕhistoire, traduit de lÕitalien par Yves Hersant, Paris, Petite Bibliothque Payot, 2000, p.9.

5 Jean-Franois LYOTARD, Ç Emma È, Nouvelle Revue de Psychanalyse, Ç Excitation È, Paris, Gallimard, n¡39, 1989, p.57.

6 Ç les petites filles [É] sont devenues, hŽlas, emblŽmatiques dÕun crime parmi les pires qui soient È (VC, 30).

7 Dominique SCARFONE, Ç Sexuel et Actuel. RŽflexions ˆ lÕadresse de Daniel Widlšcher È, SexualitŽ

infantile et attachement, Daniel Widlšcher, Jean Laplanche et al. (2000), Paris, PUF, coll. Petite Bibliothque de Psychanalyse, 2007, p.153.

8 Anne DUFOURMANTELLE, La Sauvagerie maternelle, Paris, Calmann-LŽvy, 2001, p.134.

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Ç concilier la rŽvŽlation dÕun Dieu tout puissant et bienveillant avec lÕexpŽrience dÕun mal qui, de plus, semble souvent lÕemporter sur le bien ? È1 LÕenfant qui, tel le suppliant de Blanchot Ç ˆ propos duquel il faut donc poser la question mystŽrieuse entre toutes, celle de lÕorigine È2, nous assigne, selon ƒvelyne Thoizet ˆ soulever Ç la double interrogation mŽtaphysique que soulve lÕÏuvre romanesque de Sylvie Germain : celle du silence du Dieu chrŽtien devant le mal fait aux enfants mais aussi celle du rapport quÕentretiennent lÕinfiniment grand et lÕinfiniment petit, lÕenfant et le cosmos È3. Ç Comment en effet, contempler lÕabsolue nuditŽ des douleurs humaines, sans mourir ˆ soi-mme ? È (PP, 36) demande Sylvie Germain, car lÕenfant Ç qui est ˆ la fois une invention humaine et la rŽinvention de lÕhumain dans chaque homme, constitue la reprŽsentation la plus excellente qui soit du sacrŽ È4 qui fonde et inscrit lÕhumain dans lÕhumain.

II-2 É aux territoires de lÕenfance

Si lÕÏuvre de la romancire est dans son ensemble, ainsi que lՎnonce Laetitia LogiŽ, Ç pŽtrie dÕenfance È5, nous avons progressivement modifiŽ notre angle dÕapproche initial et circonscrit un travail qui sÕannonait trop vaste.

ConsidŽrant que lÕenfant peut devenir Ç la pierre de touche du savoir minimal des hommes et des femmes envers leur communautŽ ŽlŽmentaire È6, nous avons fait le choix de maintenir ouverte la question de lÕenfance ˆ travers les axes prŽcŽdemment exposŽs, non pour en questionner les diffŽrents visages, mais pour approcher les rivages dÕun monde qui borde lÕenfance en sa proximitŽ, qui lÕaccueille, la faonne, lÕentoure, la fait vivre ou mourir : ceux de la famille.

Nous devons reconna”tre que nous avons optŽ pour cette approche suite aux premires rŽflexions dÕAlain Goulet sur les mres germaniennes qui mŽritaient dՐtre prolongŽes sachant qu'il sÕagissait pour lui Ç dÕune clef de lÕÏuvre È7. Ainsi, en dŽplaant notre problŽmatique initiale de lÕenfant ˆ la scne familiale sur laquelle se jouent et se rejouent les drames individuels et collectifs, se fomentent les meurtres comme les rŽconciliations, nous prenons en compte les liens dÕalliances et liens filiaux uniques qui prŽ-existent au sujet et proposent dans leur dimension transgŽnŽrationnelle, des structures de relations

1 Patrick DONDELINGER, Ç Satan dans la Bible È, EncyclopŽdie des religions, FrŽdŽric Lenoir et YsŽ

Tardan-Masquelier, (dir.), tomes II Ç Thmes È, Paris, Bayard ƒditions, 1997, p.1463.

2 Les Personnages, p.16, citation de Blanchot, LÕEntretien infini.

3 ƒvelyne THOIZET, Ç Sylvie Germain, Žclats dÕenfance È, Cahier Robinson, n¡20, 2006, p.5.

4 Bruno HUISMAN, Ç Le visage de lÕenfant ou le paradoxe du sacrŽ È, Spirale, Ç Le BŽbŽ et le sacrŽ È, Ramonville Saint-Agne, n¡ 40, dŽcembre 2006, p.28.

5 Laetitia LOGIƒ, Ç Le corps mŽlancolique : prŽsence de lÕandrogyne dans lÕÏuvre de Sylvie Germain È, Sylvie Germain et son Ïuvre, textes rŽunis et prŽsentŽs par Jacqueline Michel et Isabelle Dotan, Bucarest, EST Samuel Tastet ƒditeur, 2006, p.132.

6 Julia KRISTEVA, Ç SacrŽe mre, sacrŽ enfant È, LibŽration, 20 novembre 1987.

7 Alain GOULET, Ç Des ƒrinyes au sourire maternel dans Le Livre des Nuits È, op. cit., p.39-49.

(24)

fantasmatiques spŽcifiques. Ç Nous sommes faits de la chair des autres È, Žcrit Sylvie Germain :

Il y a ces deux corps qui nous prŽcdent, comme de toute ŽternitŽ, qui nous ont engendrŽ, - ceux des parents. Il y a ceux qui grandirent ˆ nos c™tŽs, nŽs des mmes parents, porteurs dÕune mme mŽmoire enfouie, obscure, dans la chair et le sang, - ceux de la fratrie. (PP, 89)

LÕenfant na”t et sÕinscrit dans une Ç cellule inŽliminable du social quÕest la famille È1, structurŽe par des liens complexes dÕaffiliation, de filiation et dÕalliance. Conue comme un ensemble gŽnŽalogique organisŽ par chaque sociŽtŽ qui prŽcise les liens de parentŽ et dŽsigne la place de chacun de ses membres en son sein, elle est rŽgie par des rgles de transmission parfois complexes et douloureuses. CÕest sur ce terreau de lÕimaginaire familial que sÕorganise la place, ainsi que la reprŽsentation de ses membres, que se construit lÕidentitŽ du sujet en lien avec les autres et que na”t le sentiment dÕappartenance. Selon Jean-Philippe Dubois, on ne se Ç remet pas vraiment facilement È, dՐtre Ç nŽ quelque part, et dÕavoir eu un pre ou une mre, sans parler des frres et sÏurs. È 2 CÕest pourtant sur ces Žvidences que lÕenfant Ç se voit condamnŽ ˆ Žlaborer sa perception du monde et de lui-mme sur ces configurations de base. È3 Ainsi se faonne la mŽmoire de lÕenfance qui, Žcrit

ƒvelyne Thoizet, Ç se manifeste dans la filiation, la chair et le sang, le nom et le signe, les parents, la fratrie et les a•eux [É] È4, car en amont de soi, il y a toujours dÕautres tres, dont la mŽmoire constitue, traverse et atteint le sujet.

Caisse de rŽsonance particulirement sensible aux vibrations qui la traversent, la famille fait parvenir, en sourdine ou en Žclats, les remuements gŽnŽalogiques.

Porteuse dÕune longue et lourde mŽmoire, tŽmoin des temps originaires, dont Ç les souffrances passent clandestinement dÕune gŽnŽration ˆ une autre [É] È5, elle sÕoffre en chambre dՎchos aux dŽsastres du monde. Sur elle se greffe :

la mŽmoire collective, laquelle porte toujours traces des souvenirs de guerres, de grands Žvnements [qui] sÕouvre ˆ une mŽmoire plus vaste et ancestrale encore, plus confuse aussi, une mŽmoire toute pŽtrie de mythes. [É] au-delˆ encore, ˆ la limite de lÕoubli, bŽe une mŽmoire mystŽrieuse, immŽmoriale, celle des origines.6

1 Egle BECCHI, Ç Le XXe sicle È, Histoire de lÕenfance en Occident. 2. Du XVIIIe sicle ˆ nos jours (1996), Egle Becchi et Julia Dominique (dir.), Paris, ƒditions du Seuil, Coll. Points/histoire, 1998, p.430.

2 Jean-Philippe DUBOIS, Ç Incarnation et identificationÈ, PassŽ prŽsent. Dialoguer avec J.-B. Pontalis, Pontalis J.-B. et al., Paris, Presses Universitaires de France, coll. Petite Bibliothque de Psychanalyse, 2007, p.106.

3 Ibid.

4 ƒvelyne THOIZET, Ç Sylvie Germain, Žclats dÕenfance È, Cahier Robinson, op. cit., p.6.

5 Ç Entretien avec Sylvie Germain È, Roman 20-50, op. cit., p.111.

6 Sylvie GERMAIN, Ç Entretien avec Sylvie GERMAIN È, rŽalisŽ par Bruno Carbone, Jean-Pierre Foullonneau, Odile Nublat, Xavier Person, La Plaquette Sylvie Germain, La Rochelle, Office du Livre en Poitou Charente, Bibliothque Municipale de La Rochelle, 1994, p.14.

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