I-1.A Les eaux primordiales
Selon Anne Dufourmantelle, Ç Toute mre est sauvage [É] en ce quÕelle appartient une mmoire plus ancienne quÕelle, un corps plus originel que son propre corps, boue, sable, eau, matire, liquide, sang, humeurs, un corps de mort, de pourriture et de guerre, un corps de vierge cleste aussi. È1 Les berges primitives de la maternit sont marques par le fantastique et la dmesure, la filiation est ici de lÕordre de lÕexcs et la dure des grossesses dfie lÕhumaine patience. La strilit, tenace, rappelle la menace qui peut peser sur la fcondit, cependant, miraculeusement vaincue, elle se renverse en une filiation plthorique. Sylvie Germain explore cette nigmatique et loquente maternit qui nous place devant le fait quÕelle ne peut tre, ainsi que le signalait Paul-Laurent Assoun, Ç dÕemble psychologise È2. Les Mres qui Ç mnent ou
1
Anne DUFOURMANTELLE, La Sauvagerie maternelle, op. cit., p.14. 2
Paul-Laurent ASSOUN, Ç Voyage au pays des mres. De Goethe Freud : maternit et savoir faustien È, Nouvelle Revue de Psychanalyse, Ç Les Mres È, Paris, Gallimard, n¡45, 1992, p.109-130.
viennent aux mythes È1, se donnent comme question qui porte sur lÕorigine du monde et pense lÕnigme du passage, du seuil et de la gnalogie. Elles renvoient une maternit archaque et entretiennent un commerce fidle avec les divinits de lÕau-del, tant leurs embarcations ne cessent de naviguer dans des eaux o vie et mort se ctoient en de subtils frlements, et incarnent ainsi le double principe Ç de lÕtre et de la disparition È2, de la fertilit et de la fcondit. La mre est dans un Ç dj-l È qui semble se saisir dans les paysages dÕun temps et dÕun espace primordial o rgne la Desse mre. Avant de basculer de la mmoire collective une mmoire et une conscience plus individuelle, Le
Livre des Nuits prsente un lieu prserv, hors de lÕhistoire, qui contient dans la
description des lieux, les fragments de ce que serait lÕoriginaire. Dans Ç un texte È, crit Jean-Yves Tadi, Ç lÕespace se dfinit [É] comme lÕensemble des signes qui produisent un effet de reprsentation È et Ç donne imaginer È3. Pour Sylvie Germain, Ç les paysages ne sont pas des dcors, ils ont la mme importance que les personnages. Un lieu nÕest jamais neutre, il est plein de forces telluriques et dpt des images qui ont t dposes [É] au fil des sicles È4. La romancire rejoint Yves Bonnefoy pour qui, les paysages dtiennent Ç une parole È et Ç un sens È quÕil convient dÕcouter Ç avec force È5. Les motifs spatiaux, dans lesquels se dploient la premire priode du
Livre des Nuits, proposent les contours flous de lÕlment liquide, vision dÕune
eau matricielle, domestique par le sillon des canaux. Nous nous trouvons dans un temps en suspens, un temps intermdiaire dÕavant la cration, o le monde serait, selon les cosmogonies gyptiennes, une Ç tendue liquide, [É] contenant tous les germes du cosmos venir, mais les maintenant lÕtat de germes. È6 La cration du monde, explique Ys Tardan-Masquelier, sÕexprime dans Ç une succession cohrente dÕactions qui font passer de lÕinorganis lÕorganisation, une sorte de materia prima prexistante, informelle, symbolise par lÕlment aquatique. È7 Quant lÕimage originelle de lÕden, elle est celle dÕun dsert, arros dÕun Ç flot montant de la terre È, qui devient un merveilleux jardin, model dÕhumus et anim du souffle divin.
1Ibid., p.120. 2Ibid., p.121.
3 Jean-Yves TADI, Le Rcit potique, Paris, Gallimard, coll. Tel, 1994, p.48. 4
mission Ë voix nue : Sylvie Germain. Ç Fcondits. Le corps dans tous ses tats. Le sentiment de la nature. Le silence du sacr. Vertiges de lÕcriture. È. Srie dÕentretiens proposs par Anice Clment, Radio France, France Culture, 27,28, 29, 30 et 31 janvier 2003.
5
Yves BONNEFOY, LÕArrire-pays, Genve, Skira, 1972, p.10. 6
Ys TARDAN-MASQUELIER, Ç Les mythes de cration È, Encyclopdie des religions, Frdric Lenoir et Ys Tardan-Masquelier, (dir.), tomes II Ç Thmes È, Paris, Bayard ditions, 1997, p.1526.
Le Ç En ce temps-l È, inaugural du Livre des Nuits, voque le temps du conte et des lgendes, celui o, crit Grimm, Ç on croyait encore au pouvoir des souhaitsÉ È. Ce Temporibus illis est celui de lÕimmmorial qui signale quÕil exista un temps qui ne ft pas le ntre. Plac en exergue de la saga des Pniel, il inscrit une temporalit hors de lÕhistoire, Ç point zro partir de quoi lÕhistoire est devenue possible Ð quoi aussi elle peut toujours retourner. È1 Le rcit permet ainsi, selon Serge Viderman, Ç non pas de se souvenir du pass, de procder une crmonie de la commmoration mais bien de le re-vivre, de le rintgrer chaque fois quÕil est dit, pour assister de nouveau au spectacle des Ïuvres divines et rapprendre des tres fabuleux leur faon cratrice È2. Le premier chapitre du roman, intitul Ç nuit de lÕeau È, prsente une vie sauvage dans un micro-univers telle que les anthropologues du XXe sicle, Jean Malaurie, Marcel Mauss, Claude Lvi-Strauss ou Margaret Mead, ont pu dcrire dans leurs travaux. Le rapport au monde, au temps et lÕespace, est mesur lÕaune des dplacements fluviaux. Les Ç gens de lÕeau-douce È glissent sur une pniche, baptise Ç Ë la grce de Dieu È, au fil des canaux et des rivires, alors que la Providence pourvoit aux ncessits de la vie. La temporalit ne semble pas marquer les tres. Le mouvement, lger et fugace, faonne un paysage Ç glissant [É] fuyant [É] frlant [É] È. La terre est Ç mouvance È, lÕhorizon Ç ternel È, les paysages Ç ouverts lÕinfini È (LN, 15). Le regard se glisse hauteur dÕcluse, et lÕhorizon, dessin par les paysages tout la fois Ç lointains et familiers È (LN, 15) offre une frontire dlicate et scurisante aux habitants qui tirent leurs destins au fil des flots pour quÕils sÕcrivent dans la patience et la lenteur. Les tres se rencontrent par le biais de Ç leur noms, leurs lgendes, leurs marchs et leurs ftes È (LN, 15), la sociabilit est non de salon, mais doucement labore au gr des Ç gares-dÕeau È (LN, 16). Le langage silencieux des paysages semble se dchiffrer aisment et les humeurs de la terre formulent les mois de lÕme et les tremblements des vies humaines : Ç Entre eux, ils parlaient moins encore, et eux-mmes pas du tout, tant leurs paroles toujours retentissaient de lÕcho dissonant dÕun trop profond silence. È (LN, 16). La connaissance se structure dans la proximit des tres et des paysages, la pense, que Claude Lvi-Strauss nomme sauvage3, se prsente centre sur une identification des espces animales ou vgtales et se manifeste dans un sage savoir populaire : Ç Entre gens de lÕeau douce, ils sÕappelaient plus volontiers du nom de leurs bateaux que de leurs propres noms. È (NA, 16). Il y a un encore
1
Serge VIDERMAN, Ç Comme en un miroir obscurmentÉÈ, LÕEspace du rve, J.-B. Pontalis (dir.), Paris, Gallimard, coll. Folio essais, 1972, p. 246.
2 Ibid.
des traces du paradis dans cette immobile srnit qui nÕest pas soumise lÕcoulement du temps. LÕÇ immensit du prsent È (LN, 16) semble co-exister, sans accroche, avec un pass et un futur, dessinant les contours dÕune douce flicit que certains appellent atonie.
De ce monde aux eaux matricielles, surgit la question de la strilit alors mme que les rites de fcondit, et les croyances qui les sous-tendent, rvlent Ç lÕquivalence fondamentale qui sÕtablit dans la psych humaine entre strilit, aridit, scheresse dÕune part, fertilit fcondit, humidit dÕautre part È1. Dj gs, Vitalie et son mari nÕont pas de descendants :
Vitalie Pniel avait mis au monde sept enfants, mais le monde nÕen lut quÕun seul Ð le dernier. Tous les autres taient morts le jour mme de leur naissance sans mme prendre le temps de profrer un cri. (LN, 19)
Alain Goulet prsente Vitalie Ç comme une sorte de desse-mre [É] qui rejoint celle de la mythologie hindoue, kli, donne en fait la mort dans une sorte de Gense inverse, avec ces six premiers enfants mort-ns, signe que la grce divine semble sÕtre mue en maldiction de lÕenfantement, de la transmission de la vie. È2. Vitalie dit la difficult dÕtre en maternit, dans la blessure et lÕamputation dÕun avenir. Plus encore que lÕinfcondit, qui se mesure par lÕchec de la fcondation, les grossesses dfectueuses prsentent le ventre fminin comme tueur de la vie. LÕenfant ne peut sÕinscrire dans le ventre de la femme et cette dernire reste Ç les bras vides et le cÏur plein, dÕavoir t, son insu, porteuse de mort alors quÕelle se voulait, se croyait, porteuse de vie È3. Dans une sorte de folie du corps, en de de la parole, le rceptacle habit se transforme soudainement en un tombeau qui empche les enfants de franchir le seuil du monde. La ligne des Pniel est-elle marque du sceau de lÕinfcondit, comme tant dÕautres familles bibliques pour lesquelles la strilit de leur union Ç est vcue non seulement comme un deuil dÕamour mais aussi comme une honte, voire une faute È (ST, 98) ? Ç Fructifiez et multipliez È, commande la Gense (1,28) et le Talmud affirme, pour sa part, que celui qui nÕa pas dÕenfant peut tre tenu pour mort (Ned 64B). Or, des quatre matriarches de lÕAncien
Testament, trois ne conurent quÕavec difficult : Sarah avait quatre-vingt dix
ans lorsquÕelle fut enceinte dÕIsaac, Rebecca fut strile pendant les vingt premires annes de son mariage avant dÕenfanter les jumeaux Jacob et Esa,
1
Hlne STORK, Ç Les Femmes mdiatrices des traditions familiales È, Encyclopdie des religions, op. cit., p.1354.
2
Alain GOULET, Ç Des rinyes au sourire maternel dans Le Livre des NuitsÈ, Roman 20-50, n¡39, juin 2005, p.44.
et Rachel mourut en mettant Benjamin au monde. Dans un article sur le dfaut de transmission1, Sylvie Faure-Pragier, qui nomme lÕinfcondit des femmes
lÕinconception, associe la maternit la thorie du Tsimtsoum. Selon elle, le
retrait du divin aprs la cration, amnage un espace, entre la crature et le crateur, qui voque lÕespace transitionnel de la mre, qui offre lÕenfant la possibilit dÕtre seul en sa prsence. Si lÕomniprsence divine doit sÕabsenter pour laisser la place la cration comme la crature, le vide serait alors galement indispensable pour quÕadvienne la maternit. La fcondit, retrouve ou donne, marque le signe du sacr, et, dans ce cas l, la maternit transcende, transforme et comble le couple. La naissance de Thodore-Faustin, qui se commet lÕinsu de la femme et se fraie une voie dans le corps maternel, marque la fin de la maldiction que Vitalie Ç avait d souffrir en enfantant tant de fils mort-ns È (LN, 32). La manifestation du divin, lie un contexte hirophanique de nouveaut ou de mystre, est le signe dÕune re nouvelle qui fait de Vitalie, selon la lecture de Bndicte Lanot, une descendante dÕéve, Ç une Hava, mre de tout vivant È.
I-1.B La concentration des signes
Dans toute socit Ç o lÕordre de la nature, lÕordre social et lÕordre divin sont un seul et mme ordre, toute naissance anormale [É] et, dÕune faon gnrale, tout phnomne exceptionnel peut tre lu comme un signe faste ou nfaste È2. Les divers signes qui accompagnent la naissance sont autant une promesse de fcondit quÕune menace de mort. Dans ce contexte, le corps de Vitalie est un corps qui est parl, son ventre est le lieu o a crie :
Le septime, lui, cria ds avant sa naissance. Dans la nuit qui prcda lÕaccouchement Vitalie ressentit une vive douleur quÕelle nÕavait jusquÕalors jamais connue et un cri formidable rsonna dans son ventre. (LN, 19)
Luc, l'vangliste, avait dj voqu les manifestations prcoces de la prsence de lÕinfans in utero : Ç Équand lisabeth entendit la salutation de Marie, lÕenfant tressauta dans son ventre È3, que la littrature et les modles exprimentaux contemporains dcrivent comme la capacit du fÏtus percevoir, laborer et donner une rponse une srie de stimulations intra et extra-utrines. Le rapport au corps, entre lÕenfant et sa mre, est tiss de mots et de cris que Vitalie a reus de sa propre mre. Ces lments langagiers agissent comme une
1 Sylvie FAURE-PRAGIER, Ç Dfaut de transmission du maternel. Absence de fantasme, absence de conception ? È, Mres et filles. La menace de lÕidentique, Jacques Andr (dir.), Paris, PUF, coll. Petite Bibliothque de Psychanalyse, 2003, p.72.
2
Ren ZAZZO, Le Paradoxe des jumeaux. Prcd dÕun dialogue avec Michel Tournier, Paris, Stock, Laurence Pernoud, 1994, p.84.
expropriation subjective, ou littralement, comme un corps tranger. Stigmates du corps, ils commmorent les attentes perdues :
Elle connaissait ce cri pour lÕavoir entendu si souvent autrefois lorsque, presse contre sa mre, elle veillait le retour [des bateaux] [É] bord desquels le pre et les frres taient alls pcher. Oui, elle connaissait bien ce cri mont des brumes pour lÕavoir attendu si longtemps par deux fois et ne lÕavoir retrouv au-del de toute attente. (LN, 19)
Le corps de Vitalie parle la langue dÕune autre, son ventre est un mmorial o se sont inscrits des faits de vie et de mort. rogne, en tant quÕil est ouvert au dsir dÕautrui et au champ du langage, il est galement un corps hystrogne, si lÕon entend sous ce terme, quÕil signale lÕimpact historique de lÕvnement. Le corps excde le vcu phnomnologique et marque, de manire vivante, lÕorigine qui rappelle que lÕhistoire a commenc avant sa venue. Le cri, surgi Ç du trfonds du corps et de lÕoubli È (LN, 19), que les autres enfants nÕont pu profrer leur naissance, est lanc par Thodore-Faustin en amont de sa naissance au cÏur des eaux matricielles. Alors quÕil accompagne habituellement la rupture ombilicale, le cri est ici antrieur lÕaccouchement. Il se donne entendre la mre, non comme le premier cri de lÕenfant, vu et spar dÕelle, Ç boucl dans son sac de peau È1, mais comme un rappel des disparus. Il sÕinscrit dans une gnalogie maternelle, tout en balayant une mmoire souffrante qui emprisonnait le corps dans ses relations signifiantes. LÕenfant est dj sujet dÕun discours qui renforce sa mre dans sa ligne et ses capacits fcondantes. Ainsi, lÕaccouchement, Ç acte de rupture propice au clivage des pulsions de vie et des pulsions de mort È2, restaure Vitalie dans la puissance de son nom pour en faire surgir la vitalit jusque-l touffe. La naissance peut ainsi advenir et relguer dans lÕombre les morts no-natales rptition. Elle prolonge le rire de Sarah et dÕAbraham3 qui Ç ne trouvent aucun mot la mesure de leur stupeur, de leur bonheur È (ST, 106) lorsque lÕhte dit Abraham : Ç Je reviendrai chez toi lÕan prochain ; alors ta femme Sarah aura un fils È. Cette Ç invitation dire NON lÕimpossible, et OUI lÕinsouponn, lÕinconcevable, au merveilleux È (ST, 107) se manifeste galement pour Rose-Hlose dont la Ç tache pourpre qui lui marquait la tempe [É] dÕun coup [É] invers[e] encore le cours de son flux. [É] et elle conut un enfant de Nicaise. È (NA, 327-328).
1
Denis VASSE, LÕOmbilic et la voix. Deux enfants en analyse, Paris, Le Seuil, coll. Le champ freudien, 1974, p.16.
2
Michle ENHAìM, La Folie des mres. JÕai tu mon enfant, Paris, ditions Imago, 1992, p.54. 3Gense, 17, 17 ; Gense 18-12.
Comme tous les grands moments de lÕexprience humaine, la naissance demande des rites. Elle a besoin dÕtre exprime, accompagne et interprte par des gestes et des paroles symboliques qui donnent un sens commun ce qui est toujours un mystre. Celle qui assurera sans faillir la toilette mortuaire de son poux, est interrompue par un songe alors quÕelle entame les gestes de protection sur son fils :
Vitalie se signa puis dessina ce mme signe sur tout le corps du nouveau-n pour carter le malheur du moindre pan de peau de son fils. [É] et sa main retomba avant dÕavoir achev de tracer un dernier signe sur le front de lÕenfant. (LN, 21) Le geste, rest en suspens, ne protge pas le front du nouveau-n. Cette absence, trs courte, est suffisante pour que lÕenveloppe symbolique fasse rsonner lÕcho de la vulnrabilit des hros mythologiques. Ce qui peut passer pour de la ngligence, ou de la non observance dÕun rite ncessaire lÕentre de lÕenfant dans le monde, sÕentend, dans le monde hindou selon la loi du karman,
comme Ç une forme de principe de causalit, en fonction duquel tout acte, toute pense ou tout sentiment entrane ipso facto dÕautres actes, penses ou sentiments qui sÕenchanent chez un mme individu, voire au sein de la famille sur le mode transgnrationnel È1. Il existe alors une faille par laquelle le hros devra souffrir et mourir. Une simple feuille de tilleul tombe entre les paules de Siegfried empche au hros de bnficier de lÕinvulnrabilit acquise par le sang du dragon quÕil vient dÕabattre, il mourra en raison de cette zone aveugle. Achille prira par le talon par lequel sa mre, la desse Thtis, le tenait pour le plonger dans les eaux du Styx afin quÕil perde Ç lÕhumanit È quÕil tenait de son pre. Quant au front de Victor-Flandin, il sera pourfendu par le sabre du Uhlan et sera propice lÕclosion de la folie qui engendrera une ligne incestueuse. Avec son ouvrage, Cent ans de solitude2 Gabriel Garcia Marquez nous avait dj invits, plus dÕune dcennie avant la parution du Livre des Nuits, suivre lÕhistoire dÕun lieu nomm Macondo travers les gnrations de la famille des Buendia depuis la fondation de la ville jusquÕ sa disparition aprs plusieurs gnrations. Si dans
la Bible, le monde a t cr en six jours, dans Le Livre des Nuits, lÕhumanit se
dfait en six variations de Nuits dont lÕobscurit grandissante accrot le monde des tnbres : Nuit de lÕeau, Nuit de la terre, Nuit des roses, Nuit du sang, Nuit des cendres, Nuit nuit la nuit. LÕutilisation du fantastique traduit cette cration rebours de la Cration divine dont le dmon serait le matre-artisan. Marcel Brion demande malicieusement si Ç le diable nÕutilisa pas le dimanche de Dieu pour
1
Hlne STORK, Ç Les femmes mdiatrices des traditions familiales È, Encyclopdie des religions, op. cit., p.1355.
2
Gabriel GARCIA MARQUEZ, Cent Ans de solitude (1967), traduit de lÕespagnol par Claude et Carmen Durand, Paris, Le Seuil, coll. Points, 1968.
sÕen aller jeter le dsordre parmi les instruments que le bon ouvrier venait de fabriquerÉ - et pendant la nuit de repos du Tout-Puissant, quel immense grouillement de larves ne profita-t-il pas de lÕobscurit pour sÕinstaller en plein paradis terrestre ? È1. Les coussins imaginaires des mythes de lÕge dÕor, cousus dÕinnocence et de simplicit, ne peuvent pas amortir ni protger de lÕintrusion du bruit et de la fureur qui renversent la stabilit des valeurs. LÕirruption de la