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I-3.A Les vagues brisantes des angoisses non rŽvolues

La maternalitŽ, terme empruntŽ ˆ Racamier, traverse le temps de la naissance dÕune mre. Il arrive que le dŽsir dÕenfant ne sÕincarne pas dans la venue dÕun bŽbŽ et que la grossesse, pŽriode de crise existentielle, prenne la forme dÕun sŽisme psycho-physiologique de grande amplitude. Les chocs anciens de la vie passŽe remontent alors ˆ la surface pour se vivre et sՎlaborer dans lÕaprs coup. La gestation montre comment le corps des femmes, lieu des malŽdictions et des prophŽties, est celui o sÕexprime la mŽmoire, o se rejouent lՎnigme de lÕorigine et les conflits avec les gŽnŽrations antŽrieures. Lors de la grossesse, les processus de refoulement, qui tiennent habituellement sous le boisseau toutes sortes de pensŽes inconscientes, sont en crise et amŽnagent un lieu de passage entre le conscient et lÕinconscient. La femme enceinte est alors envahie de rŽminiscences infantiles, et la maternitŽ se prŽsente parfois les bras chargŽs de folie. Accepter la grossesse et conserver un sentiment suffisant de sa propre unitŽ et de son identitŽ, malgrŽ les transformations radicales du corps, devient parfois une Žpreuve insurmontable. Chez Douce, les indices de la tempte Žmotionnelle causŽe par le mžrissement de son ventre font surgir les flures de son tre. La grossesse est le seul moment de la vie o lÕobjet interne cesse dՐtre pure mŽtaphore. AnimŽ de mouvements actifs perus de lÕintŽrieur du corps, le fÏtus ne prend une rŽalitŽ que si la femme est en mesure de lui donner une reprŽsentation alors quÕelle ne peut le toucher ou le regarder. Douce ne comprend pas la mŽtamorphose de son corps pour en constituer une rŽalitŽ tangible : Ç Elle sՎtonnait de voir son ventre mžrir comme les fruits, elle sÕaffolait de ce que quelque chose se m”t ˆ bouger, ˆ y cogner par ˆÐcoups. È

(NA, 358). La gestation de lÕenfant avive la mŽmoire de lÕorigine parfois reliŽe ˆ une expŽrience de discontinuitŽ ou dÕinadŽquation des soins, elle ramne la femme au chaos si personne ne lÕaide ˆ dŽcrypter et ˆ Žviter lÕeffondrement : Ç Elle regardait dÕun air anxieux avec ses yeux dÕenfant Septembre et Octobre, tendant ses mains vers leurs visages comme pour chercher au contact de leurs lvres une rŽponse ˆ son inquiŽtude È (NA, 358). Pour une femme enceinte, Žcrit Monique Bydlowski, le bŽbŽ quÕelle fut Ç autrefois fera de nouveau lÕexpŽrience conflictuelle de cette contigu•tŽ avec lÕimage intŽrieure. LÕenfant ˆ venir, reprŽsentant de lÕobjet interne, risquera dՐtre attendu avec effroi È1. LÕenfant mis au monde nÕexiste pas plus que le fÏtus avec lequel, pendant la grossesse, tout commerce imaginaire ou fantasmatique ne peut opŽrer. Il fait lÕobjet dÕun dŽni, comme dans les situations dÕinfanticide ŽtudiŽes par Annie Birraux2, aussi, est-ce une partie de son propre corps qui se prŽsente ˆ Douce comme un objet Žtranger :

La naissance de cette petite fille comme un double miniature et dŽcolorŽ dÕelle-mme, mais qui ne cessait de profŽrer des bruits tant™t en gazouillant, tant™t en pleurant ou criant, lÕavait plongŽe dans une totale panique. (NA, 359)

Anne Bouchard Godard, en reprenant la formulation freudienne de lÕinquiŽtante ŽtrangetŽ, Unheimlich, envisage que lÕenfant, vŽcu comme Ç double narcissique [É] refoulŽ ou projetŽ comme nŽgatif È, est alors Ç irrecevable È car il revient Ç sous la forme de lÕenfant qui se fait alors Žtranger, Žtrangement inquiŽtant, menaant. È3 Aprs lÕaccouchement, Douce semble Žmerger dÕun mauvais rve et ne reconna”t pas lÕenfant, elle reste absente au nouveau-nŽ comme elle lÕa ŽtŽ ˆ lÕenfant in utero. Merveille, malgrŽ sa beautŽ, ne peut tre reue autrement que comme une Žtrangre qui menace, par projection de lÕexpŽrience ancienne, de dangers ˆ la dŽmesure des fantasmes primaires. Ç De quel Ïil la mre voit-elle son enfant qui la regarde ? È4 interroge Michel Schneider dans son essai sur Marcel Proust. Sans doute sÕagit-il lˆ dÕune question dont il nÕest jamais tout ˆ fait possible de cerner la rŽponse. Douce cependant laisse Žmerger ce que peut tre lÕeffroi qui surgit devant la prŽsence du nourrisson. Nous assistons ˆ une vŽritable rŽgression au cours de laquelle elle se ressent comme un tre double, tout ˆ la fois la mre et bŽbŽ. Le sentiment mme dÕexistence du corps et de la

1 Monique BYDLOWSKI, Ç La question des reprŽsentations incestueuses en clinique de la filiation fŽminine È, Incestes, Jacques AndrŽ (dir.), Paris, PUF, coll. Petite Bibliothque de la Psychanalyse, 2001, p.47.

2 Annie BIRRAUX, Ç On tue un nouveau-nŽ. RŽflexions sur lՎnigme de lÕinfanticide È, Incestes, op. cit., p.142.

3

Anne BOUCHART-GODARD, Ç Un Žtranger ˆ demeure È, (1979), Nouvelle Revue de Psychanalyse, Ç LÕEnfant È,Paris, Gallimard, n¡19, 1979, rŽŽd. LÕEnfant, J.-B. Pontalis (dir.), Paris, Gallimard, coll. Folio essais n¡378, 2001, p. 262.

psychŽ ne semble pas pouvoir rŽsister devant le surgissement de la scne originaire. LÕadaptation aux besoins de lÕenfant nŽcessite de mettre ˆ disposition ses propres sensations, Žmotions et reprŽsentations infantiles, dŽposŽes en mŽmoire au fil de sa propre trajectoire de nourrisson, de fille et de femme. Or, Douce possde un Ç langage de tout petit enfant È, elle sÕavance Ç t‰tonnant le visage, le corps des autres È (NA, 356). Enfant sauvage aux sympt™mes autistiques, elle Ç profŽrait juste de lŽgers gŽmissements, tout en mordillant dŽsespŽrŽment ses cheveux et le bout de ses doigts. Elle gŽmissait exactement comme un tout petit chien. È (NA, 355). Encore infans, le langage ne parvient pas ˆ se frayer pour crŽer une enveloppe suffisante entre les ŽprouvŽs sensoriels de la mre et ceux de lÕenfant. Octobre, le pre, ne peut la soutenir tant il partage avec Douce une reprŽsentation fantasmatique de la grossesse particulirement angoissante, il :

se troublait devant cette grossesse comme sÕil sÕagissait non pas dÕun enfant ˆ na”tre mais dÕune voix monstrueuse, en train de gonfler un cri mortel dans les entrailles de Douce. [É] " CÕest moi, rŽpŽtait-il, cÕest moi qui ai portŽ en elle cette malŽdiction, - la malŽdiction que cette mre mÕa infligŽe. Voilˆ ce qui est en train de grossir en elle, cÕest la voix, la voix en crueÉ la mme voix enfle et grandit en elle, et va la dŽchirer, la dŽtruireÉ" (NA, 358)

Les angoisses archa•ques de lÕordre de lÕeffondrement, appelŽes terreur sans nom par Bion, dŽpression catastrophique par Frances Tustin ou encore agonies primitives par Winnicott, se manifestent par un comportement compulsif :

Elle se tenait tout le temps dans un recoin de la serre et repoussait lÕenfant. [É] Et la nuit, elle creusait la terre. Elle creusait sans rel‰che avec ses mains, comme un animal fouissant le sol pour sÕy cacher, sÕy enfoncer. Le moindre babil de lÕenfant la paniquait, comme sÕil pouvait mettre en pŽril sa propre vie. [É] Aussi lui fallait-il chercher ailleurs un g”te, non pas plus loin, mais plus profond. Alors il lui fallait creuser. Et elle creusait, creusait sans fin, ˆ mains nues. (NA, 359)

Douce qui nÕa pas de mot pour se saisir de son vŽcu nÕa plus quՈ se taire. Encore et encore elle creuse et se terre pour quitter cette inquiŽtante intruse au plus vite, dŽlirer et ainsi protŽger lÕenfant de ces idŽes folles, lÕabriter du vide et lÕexiler hors de la souffrance maternelle et de ses identifications aliŽnantes. Merveille ainsi tenue ˆ distance trouvera sa place auprs de ses pres. Sa mre disparait ˆ jamais, ensevelie, enfoncŽe dans les entrailles de la terre : Ç Aussi profond que lÕon creus‰t derrire elle, on ne la retrouva pas. Elle sՎtait enfoncŽe au plus noir de la terre, avait empli sa bouche de boue et de silence È (NA, 359). Douce rejoint un lieu dÕune origine lointaine, Ç Sa peau Žtait brune, couleur de terre au creux des sillons È (NA, 354) et opre une vŽritable rŽgression au cours de laquelle elle retourne dans un monde antŽrieur. En un ultime mouvement de

protection et de survie, elle rŽvle une vŽritŽ qui devait rester enterrŽe. MenacŽe par un sŽisme imaginaire dŽclenchŽ par lÕaccouchement, sa disparition sous terre exprime bien ce vŽcu non Žlaborable qui empche toute constitution dÕun espace de rencontre, et renvoie les angoisses archa•ques de dŽpersonnalisation lˆ o elles auraient dž rester, enfouies. Dans le mme roman, un autre personnage de mre, Mahaut, sÕabsente ds sa grossesse afin de maintenir ˆ distance lÕattaque que reprŽsente lÕenfant persŽcuteur. LÕaccouchement fait suite ˆ une conception survenue dans un contexte Ç dÕabsence au monde, dÕexil hors de tout, de tous et de soi-mme È o les gŽniteurs ne se sont pas vus, mais Ç heurtŽs È, se prenant Ç dans la h‰te avec des gestes dՎgarŽs È (NA, 63) ; Ç ce fut Žgalement comme loin, trs loin dÕeux-mmes, que cela se passa : Mahaut donna naissance ˆ deux fils. JusquÕau bout elle ne tint sa grossesse en aucune considŽration [É] È (NA, 64). La fonction symbolique maternelle ne peut sՎtablir dans ce qui ressemble ˆ un Žcroulement de la transmission gŽnŽrationnelle et ne permet pas au lien mre-enfant de prendre un sens. Le temps de la naissance peut faire Ç effraction dans lÕimaginaire des identifications dÕune femme ˆ sa mre et aux autres figures maternelles È1, or, pour une femme qui est unie ˆ un homme par Ç une commune violence, pour lÕun dÕoubli, pour lÕautre de mŽmoire È (NA, 63), la mŽmoire des gŽnŽrations antŽrieures est en souffrance pour participer ˆ la constitution dÕune fonction maternelle. Mahaut immobilise cette mŽmoire dans un passŽ figŽ et ne peut la transformer en force de transmission. Dans cette crise de la maternalitŽ que traverse Mahaut se joue non seulement lÕidentification de la mre ˆ son nourrisson, Ç mais se rejoue ses identifications ˆ cette propre mre È2. LÕabsence dÕidentifications et dÕinvestissements libidinaux rend inopŽrante la crŽation dÕun lien nŽcessaire ˆ la rencontre de la mre et de ses enfants.

I-3.B LÕempreinte de lÕeffroi

La femme enceinte est davantage tournŽe vers son passŽ que vers son avenir ; ˆ lÕinstar de lÕadolescence, la grossesse joue comme une vŽritable crise maturative sur fond de conflictualitŽ accrue. Aussi peut-elle se rŽvŽler dŽsorganisante en ce quÕelle renvoie ˆ un prŽcŽdent traumatique en faisant Žmerger des reprŽsentations psychiques en rapport avec des fantasmes de

1

Dominique GUYOMARD, Ç La folie maternelle : un paradoxe ? È, La Folie maternelle ordinaire, op. cit., p.115.

scne primitive ou avec la violence de lÕinceste1. La grossesse semble mettre provisoirement un terme aux angoisses enfantines qui ont tourmentŽ longuement les jeunes Blanche et Herminie-Victoire qui partagent outre Ç la fragilitŽ et la peur È (LN, 134), un vŽcu dÕisolement. Blanche Ç se plaisait derrire tous ces murs qui la protŽgeaient de tout et de tous. Car le monde, dont elle ne connaissait rien que pour ne sÕy tre jamais risquŽe, ne lui inspirait que frayeur È (LN, 131), quant ˆ Herminie-Victoire elle refuse de grandir pour Žchapper aux assauts dÕun Ç mŽchant fiancŽ È (LN, 35). Or, toutes deux se portent bien pendant leur grossesse : Ç Blanche se porta ˆ merveillecomme si le poids qui grandissait dans son ventre la lestait enfin pleinement de vie et lui assurait une plus ferme assise dans le monde. È (LN, 136). Cette pause sÕavre cependant tre de courte durŽe sous la pression de lÕaccouchement qui rŽactive les traumatismes antŽrieurs. Comme si la poche amniotique, qui avait bercŽ jusque-lˆ les douces illusions dÕun Žquilibre trouvŽ, libŽrait en se rompant, les angoisses et les terreurs passŽes. Car la naissance, en dŽpit de bien des discours, est violente : Ç violence du corps en travail qui sÕouvre, violence de la sŽparation, de lÕexpŽrience extrme, o donner la vie sÕapparente ˆ fr™ler, donner, prŽparer la mort. È2. Le triomphedesforces de vie sur celles de la mort nÕest pas une Žvidence lorsque, chez Blanche comme chez Herminie-Victoire, le processus de la procrŽation mobilise tant de fant™mes. Selon les propos de Claude Revault-dÕAllonnes, le temps paroxystique de lÕaccouchement fait Ç crise dans la crise È, en raison des caractŽristiques dÕun moment Ç limitŽ, isolable, irrŽversible, crucial, È qui Ç en fait une Žpreuve, le constitue en moment de vŽritŽ, le pose comme un vŽritable "drame" personnel È3. Les peurs et les angoisses, aux potentialitŽs dangereuses et rŽgressives, ne leur permettent pas dÕen triompher. Blanche est ˆ nouveau aux prises avec la fantasmatique faute maternelle :

ds quÕelle accoucha elle sombra ˆ nouveau dans la peur et le doute. Il lui sembla dÕun coup quÕen enfantant ˆ son tour elle venait de perpŽtrer le crime de sa mre. Son crime Žtait dÕailleurs dÕautant plus grave quÕil Žtait double. (LN, 136)

La nouvelle mre reste soudŽe ˆ lÕimage de sa propre mre que lÕoncle nÕa cessŽ de dŽvaloriser durant toute sa petite enfance. Aussi lui est-il trs difficile de sÕidentifier ˆ sa mre pŽcheresse sans se dŽtruire soi-mme, ou sans dŽtruire lÕenfant. Pas plus quÕelle ne peut sÕimaginer diffŽrente de sa mre, elle ne peut

1

Voir la notion de cauchemar de la naissance et le concept de Ç nŽvrose traumatique post-obstŽtricale È dŽcrit par Monique BYDLOWSKI dans son ouvrage La Dette de vie. ItinŽraire psychanalytique de la maternitŽ, op. cit.

2

Claude REVAULT DÕALLONNES, ætre, faire, avoir un enfant, op. cit., p.226.

concevoir la venue de son enfant comme diffŽrenciŽ et dŽtachŽ dÕelle. LÕimage maternelle, qui avait ŽtŽ recouverte par la grossesse, reste invaincue. Blanche ne rŽsiste pas ˆ la rŽgression puerpŽrale, quÕelle ne peut ni assumer, ni contr™ler : Ç Elle ne se releva pas de couches tant cette chose effrayante qui venait de se rŽvŽler ˆ elle la tourmentait et lՎpuisait. [É] Pour la punir dÕavoir osŽ prŽtendre ˆ lÕexistence, dÕavoir osŽ contaminer le monde avec sa faute en enfantant. È (LN, 137). Donner la vie, cÕest se sŽparer de quelque chose que lÕon porte et faire le lien avec les gŽnŽrations prŽcŽdentes. Or, une dette inconsciente lie Blanche ˆ sa mre et au pivot paternel dŽfaillant, la privant de son aptitude ˆ recommencer la vie et ˆ la transmettre. LÕenfantement ouvre ˆ la douleur du monde par une communion avec la souffrance humaine. Blanche se claquemure dans sa chambre envahie des visions funestes dÕun monde mis ˆ sang et ˆ sac, ce qui fera dire ˆ Augustin quelques annŽes plus tard : Ç CÕest pour a quÕelle est morte. Elle Žtait trop douce, trop gentille, Blanche, alors elle est morte de chagrin. CՎtait vraiment trop de douleur. È (LN, 157). Nous retenons lÕhypothse de RenŽ Ka‘s selon laquelle Ç toute rupture, peu ou prou, renvoie ˆ une autre, fondamentale, qui a dŽjˆ eu lieu, et dont lÕexpŽrience a ŽtŽ marquŽe par le sujet par le drame de la Hilflosigkeit, la situation dՐtre sans secours et sans recours È1. Le drame, liŽ ˆ lՎtat de la dŽpendance foncire et vitale ˆ lÕenvironnement maternel, renforce le manque de soutien et le dŽfaut de relations satisfaisantes que Blanche nÕa su trouver auprs de son oncle mal aimant.

Herminie-Victoire est Žgalement une victime qui sÕignore. Le passage ˆ lÕacte incestueux de son pre, ThŽodore Faustin, fait barrage ˆ ce quÕelle redoutait de lÕavnement de la sexualitŽ et de lÕamour avec un inconnu, Žtranger ˆ la cellule familiale. Le pre, objet familier, en habit de Ç mari È, fait cŽder les anciennes terreurs : Ç Elle sentait un vide Žtrange bŽer en elle, et ce vide lui Žtait merveilleusement doux, - elle avait perdu sa peur È (LN, 50). LÕeffraction incestueuse est un ravissement, dans le sens de la folie et de lÕenlvement, de la joie et de lÕextase mlŽes :

Le regard quÕil fixait sur elle la bouleversa tant il Žtait intense et transperant. Elle resta bouche bŽe ˆ la contempler [É] Plus elle voulait se dŽfendre des Žtreintes de son pre, et plus elle sÕy livrait avec une joie obscure qui lÕeffrayait autant quÕelle la ravissait. (LN, 50)

Dans son article Ç Confusion de langue entre adultes et enfants È, Sandor Ferenczi oppose le langage de la tendresse de lÕenfant ˆ celui de la passion de

1

RenŽ KAèS, Ç Introduction ˆ lÕanalyse transitionnelle È, Crise, rupture et dŽpassement (1989), RenŽ Ka‘s et al. (dir.), Paris, Dunod, coll. Inconscient et culture, 1993, p.62.

lÕadulte. Ç CÕest cette mŽconnaissance mutuelle qui au-delˆ de toute violence physique, imprime une dimension traumatique ˆ la provocation sexuelle de lÕadulte È prŽcise Daniel Widlšcher, pour la simple raison que lÕenfant nÕest pas encore en mesure de Ç donner sens au langage sexuel de ce dernier. È1 La dŽtermination pulsionnelle du pre, sans commune mesure avec celle de sa fille, opre une manipulation mutilante qui envahit Herminie-Victoire. Elle ne peut Ç pour survivre, que sÕabandonner ˆ cet autre dans une forme de passivitŽ È2 qui sÕavrera dŽsintŽgrante tant elle gomme ses caractŽristiques et la nie en tant que fille diffŽrenciŽe de sa mre. Sans lՎnonciation de mots et dÕinterdits, la jeune fille se trouve catapultŽe au rang de sa mre sans que sa grand-mre ne trouve ˆ redire : Ç " Voyons, quÕest-ce que tu racontes lˆ ? QuÕest ce que cela veut dire ?É " - " Ce nÕest pas ton affaire ! " rŽtorque la fille È (LN, 50). La fille devient une actrice active du passage ˆ lÕacte. La notion dÕidentification ˆ lÕagresseur, dŽgagŽe par Ferenczi3, est intŽressante dans ce cas puisque, loin de se plaindre, lÕenfant adopte la pensŽe de son abuseur jusquÕau point de se prŽsenter comme son Žpouse, dans la jouissance dÕune toute-puissance jusquÕalors mŽconnue. La fille peut ainsi Ç dÕun air enjouŽ È Ç balan[cer] È ˆ sa grand-mre un : Ç Je suis devenue la femme de mon pre ! È (LN, 50). Lorsque Ferenczi Žtudie les fantasmes ludiques de lÕenfant qui consiste ˆ Ç jouer un r™le maternel ˆ lՎgard de lÕadulte È, il prŽcise que ce jeu peut prendre une forme Žrotique mais quÕil Ç reste cependant toujours au niveau de la tendresse È4. CÕest par lՎlaboration dÕune fantasmatique sexuelle que lÕenfant sÕidentifie ˆ lÕadulte et cÕest par ce processus, qui clive le fantasme infantile et lÕamour tendre, que lÕenfant est en mesure dՎprouver une forme dÕamour objectal. Ainsi, de manire ludique, la sexualitŽ infantile sÕinscrit dans la vie psychique des enfants, qui, presque tous, Ç rvent dÕusurper la place du parent du sexe opposŽ. Ceci, notons-le bien, seulement en tant quÕimagination ; au niveau de la rŽalitŽ, ils ne voudraient, et ne pourraient, se passer de tendresse [É]È5. Herminie-Victoire agit le fantasme, elle :

se considŽra en effet comme la femme de son pre et elle prit place chaque nuit dans son lit. Ce fut au cours dÕune de ces nuits quÕelle conut un enfant et elle le porta avec orgueil et joie. Elle se sentait soudain si forte, si vraiment et pleinement en vie. (LN, 51)

1 Daniel WIDL…CHER, Ç Amour primaire et sexualitŽ infantile : Un dŽbat de toujours È (2000), SexualitŽ infantile et attachement, Daniel Widlšcher, Jean Laplanche et al., Paris, PUF, coll. Petite Bibliothque de Psychanalyse, 2007, p.22-23.

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