I-2.A Edme ou lÕalination mariale
En sa dimension archaque, inassignable, dense et multiple, se dtache la figure de Gaa, telle que la prsente Jean-Pierre Vernant2, une mre universelle, qui conoit tout, qui prvoit tout, qui contient tout. Carl Gustav Jung3 fut le premier psychanalyste reprendre cette figure mythique pour dessiner les grandes ombres de la possession amoureuse meurtrire de certaines mres. En cette toute puissance redoutable, vestige dÕun mythique matriarcat primitif rgi Ç par le respect de la consanguinit È4, la mre peut donner la mort aux enfants qui elle a dÕabord distribu la vie. Le pouvoir dÕassurer la fcondit de la terre dÕabord et de la race humaine ensuite ne parvient pas toujours Ç masquer la contre-partie de cette puissance vitale : la force de lÕemprise que la mre exerce sur ceux qui elle a donn lÕexistence È5. Cette ambigut est galement lÕÏuvre dans le culte marial qui, selon Bndicte Lanot, nÕexiste pas sans grande rsistance, car il rveillerait un Ç fantasme archaque, celui de la mre premire, toute puissante, phallique, qui nÕa pas besoin dÕhomme pour enfanter, qui dispense sa guise la vie et la mort È6. Le personnage dÕEdme dans Jour de
colre est caractris par sa passion mariale qui sÕest Ç insinue tout petits
pas È (JC, 16) pour lÕamener confondre graduellement Ç sa vie et celle des siens avec un perptuel miracle consenti par la Vierge. Elle avait confondu la bouche et le sourire, la parole et la prire, la salive et les larmes. [É] Elle avait confondu la mort et lÕAssomption È (JC, 16). Sa folie, couple de faon antithtique avec celle de Mauperthuis, claire mutuellement les deux personnages et les lie par leur symptme commun qui touche la bouche et la parole. La fcondit accorde Edme fait suite une priode dÕinfertilit qui transforme sa grande pit mariale Ç en absolue adoration lÕoccasion de la naissance de sa fille. Car cÕtait la Vierge, rien quÕ Elle, quÕelle devait la venue
1 Anne-Lise STERN, Le Savoir-dport. Camps, histoire, psychanalyse, Paris, Le Seuil, coll. La librairie du XXIe, 2004, p.195.
2
Jean-Pierre VERNANT, LÕUnivers, les dieux, les hommes, Paris, Seuil, 1999.
3 Carl Gustav JUNG (1954), Les Racines de la conscience, Paris, Buchet/Chastel, 1971. 4
Marie DELCOURT, cite par Raphal DREYFUS dans lÕIntroduction LÕOrestie, Tragiques grecs : Eschyle, Sophocle, Paris, Gallimard, 1967, p.241.
5
Franoise COUCHARD, Emprise et violence maternelles, Paris, Dunod, coll. Psychismes, 2003, p.3. 6
Bndicte LANOT-LEMOINE, LÕUnivers Romanesque de Sylvie Germain : lÕimaginaire thique, thse de doctorat, dir. Alain Goulet, Caen, Universit de Caen, 14 dcembre 2001 [dactyl.], p.227.
au monde de son unique enfant, sa fille Reine, sa passion, son seul bien, sa race. Toute sa gloire È (JC, 21). Le contraste est saisissant entre lÕexubrance laquelle se livre Edme et le personnage biblique de Marie, revtue du manteau de la discrtion et de la dignit. Les vangiles, en effet, ne disent rien de sa vie antrieure lÕAnnonciation de la naissance du Christ par lÕarchange Gabriel (Luc
1, 26-38). Quant son corps, il disparat dans la mort puisquÕil ne livre aucun cadavre et sÕlve au ciel en son Assomption. Edme surcharge, en densit et en profusion, l o Marie sÕefface, ce qui nous laisse aisment imaginer que le personnage dÕEdme est mtin de notre grande anctre biblique, éve, avec laquelle elle partage la pulsion dÕemprise. Edme, contient ainsi les deux silhouettes maternelles centrales de lÕhritage chrtien. Pour lÕglise en effet, la femme Ç a deux visages. éve, tentatrice [É], symbolise des forces dangereuses communes toutes les femmes. Marie, mre de Jsus mais aussi vierge, incarne les vertus de la charit, dÕhumilit, dÕobissance È1. Comme le rappelle Monique Schneider2, ce fond mythique vaut comme fantasmatisation partage, inscrite dans le legs culturel. Edme nÕa de cesse pourtant de louer la Vierge car la conception de Reine se rapproche, selon elle, de celle de Jsus. LÕvangile de Luc dit en effet que lÕenfant ne sÕest pas form dans le sein de Marie par lÕintervention dÕune semence dÕhomme. Ainsi, en est-il dÕEdme qui enfante par la vertu de la prire, barrant insidieusement le pre de son rle de gniteur : Ç Elle considrait le rle de son poux Jous dans cette grossesse pour presque nul. Toute sa gratitude allait la vierge. È (JC, 19). Elle nÕassume pourtant pas la fonction mdiatrice chue Marie qui fait Ç de sa personne la voie dÕaccs par laquelle sÕesquissera un chemin conduisant au-del dÕelle-mme È3 et ne rend pas plus grce Dieu dans les louanges dÕun Magnificat : Ç Oui, dsormais, toutes les gnrations me proclameront bienheureuse, parce que le Tout-Puissant a fait pour moi de grandes choses : saint est son Nom È4. Puisque, selon Edme, cÕest la Vierge, source des grces, qui, conformment aux croyances des catholiques fervents du XIXe sicle5, a intercd en sa faveur dans un rapport de sujet sujet, par le moyen de la prire. Ë ct des rayonnements de la Vierge qui refltent sa puret laquelle se combinent Ç le charme, la candeur surtout, la modestie, la simplicit, la discrtion, la douceur [É] È6,
1 Yvonne KNIBIELHER, Catherine FOUQUET, Histoire des mres du Moyen åge nos jours, op. cit., p.14.
2 Monique SCHNEIDER, Gnalogie du masculin, Paris, Aubier, coll. Psychanalyse, 2000, p.278. 3
Ibid., p.278. 4
Philippe BOUTRY, Ç La spiritualit mariale È, Encyclopdie des religions, op. cit., p.679. 5
Alain CORBIN, Ç LÕemprise de la religion È, Histoire du corps, vol. 2, De la Rvolution la Grande Guerre, Paris, ditions du Seuil, 2005, rd. Coll. Points/histoire, 2011, p.61.
Edme se fraie plutt un chemin dans les rais de lÕavidit dÕéve dont Sylvie Germain prsente la faute comme tant celle :
dÕavoir mordu dans le fruit interdit, dÕavoir voulu consommer le fruit de la connaissance Ð sans sÕtre donn le mal de le cultiver, dÕattendre quÕil soit parvenu sa pleine maturation, sans certainement avoir pris le temps de le contempler avant de le cueillir, dÕen humer le parfum, dÕen caresser la peauÉ Elle se prcipite, saisit le fruit, le croque Ð et finalement sÕy Ç casse les dents È1.
Dans le chapitre 4 de la Gense, aprs le rcit communment nomm la Ç Chute È, éve dit : Ç JÕai acquis un homme de par YHWH È (Gn 4,1). Louable est la rfrence lÕternel pour une procration qui contient cependant une forte pulsion dÕemprise et maintient Adam dans le silence. En dveloppant la thmatique du Ç fruit de lÕarbre du bien et du mal È, Claude Cohen Boulakias crit que Ç éve rivalise avec DÉ puisquÕelle enfante, elle cre È2. Le rcit biblique garde mmoire de cette exclamation par le nom du premier-n, Can, du verbe
qn, qui signifie Ç acqurir È et dsigne la possession en mme temps que la persistance du temps. éve aurait d, la naissance de son fils, annoncer Ç jÕai perdu, au lieu de jÕai acquis È, signifiant ainsi la perte de lÕtre qui participait organiquement son tre. Can est le prolongement dÕéve : Ç il endosse la maldiction, il assume la faute de sa mre, il la dveloppe, il lÕexplicite [É] È3 par le premier meurtre. Il en est de mme pour Reine qui est le prolongement dÕEdme. En tant acquise par Edme, Reine nÕest pas lÕenfant Ç de la rencontre de deux tres È4, elle nÕest pas accueillie dans une situation dÕamour symbolique par laquelle une mre, renonant au rapport de possession, fait place, entre elle et lÕenfant, la mdiation dÕun tiers. En laissant une faible part Jous dans cette naissance, Edme indique que lÕacquis constitue un tout. Il ne manque aucun complment paternel, aussi nul est besoin de le dsigner pas plus quÕil est ncessaire dÕintroduire Ç un rapport de parole mdiatise. È5 Il est vrai que Jous, comme Adam, se signale par son manque de prsence. Son silence, impressionnant en tant que pre, prolonge celui du premier homme envers sa compagne au moment de la dgustation fatale. Edme se livre tout son aise une adoration solitaire, conserve farouchement et orgueilleusement comme un bien. Dans la force de son dsir dvastateur, lÕamour quÕelle porte sa fille est
1 Sylvie GERMAIN, Ç La morsure de lÕenvie : une contrefaon du dsir È, dialogue avec Julia Kristeva, Sylvie Germain, Robert Misrahi et Dagpo Rimpoch, Marie de Solemne (d.), Entre dsir et renoncement, ditions Devry, coll. A vive voix, 1999 [Paris, Albin Michel, coll. Espaces libres, 2005], p.67-68.
2
Claude COHEN BOULAKIAS, Ç Philadelphes des sangs le premier fratricide : Can et Abel È, ros Philadelphe, frre et sÏur, passion secrte, sous la dir. de Wanda Bannour et Philippe Berthier, Colloque de Cerisy, Paris, ditions de flin, 1992, p.21.
3
Claude COHEN BOULAKIAS, Ç Philadelphes des sangs le premier fratricide : Can et Abel È, op. cit., p.21.
4 Ibid.
un moyen de la possder et dÕannuler tout dsir qui se tournerait vers une autre figure que celle de la Vierge. Elle empche lÕouverture dÕune intercession mdiatrice qui permettrait de neutraliser ce couple fusionnel, de librer le mouvement des affects et rcrer un espace identitaire, propre chaque personne, par lÕinstauration dÕune frontire entre elle et les autres. La venue au monde de Reine constitue un triomphe, la fois charnel et cosmique, qui lÕunit aux forces divines et la puissance magique de la pense :
Reine tait en effet le fruit trs admirable de ses entrailles qui longtemps taient demeures striles. Beau fruit tardif survenu tout au bout dÕune esprance ttue, en rcompense des milliers dÕAve Maria ressasss au fil dÕun chapelet [É]. (JC, 21)
Edme donne corps au grand mythe de la parthnognse qui, selon Claude Revault dÕAllonnes, consiste vouloir Ç faire un enfant seule, sans le concours de lÕautre sexe, un enfant n des pousailles du ciel, de la terre et de son corps, un enfant qui nÕest pas vraiment de lui, avec lui, pour lui, un enfant sur lequel ces mythes originels assoient et assurent sa propre puissance È1 en alinant son enfant la seule image maternelle, comme si elle vivait une origine sans commencement. En hommage la Vierge, elle gratifie Ç sa fille du nom de Reine. Sur le registre dÕtat civil elle avait mme fait inscrire toute une srie dÕautres prnoms comme autant dÕexclamations de louange : " REINE, Honore, Victoire, Gloria, Aime, Grce, Dsire, Bate, Marie VERSELAY. " È (JC, 21). Cette nomination amplificatrice cumule les prnoms comme autant dÕactions de grce. Ainsi que lÕnonce Jean-Paul Valabrega2, le don du nom mythique opre une permutation lors de la naissance de lÕenfant et retourne lÕenfant phantasmatique en enfant mythique. LÕenfant tant dsire nÕest pas accueillie dans sa spcificit, mais dans une imagerie fantasmatique difficilement laborable ou dpassable, laquelle ne peut se superposer la petite fille de chair. Selon Maud Mannoni, la mission de lÕenfant de rve est Ç de rtablir, de rparer ce qui dans lÕhistoire de la mre fut jug dficient, ressenti comme manque, ou de prolonger ce quoi elle a d renoncer È3. Reine, toute consacre la dvotion mariale, souffre de lÕexcs de lÕenfant imaginaire. Sa naissance favorise lÕmergence dÕune admiration qui ne contribue pas lÕclosion du sujet fille. Le regard maternel, satur par lÕclat de tant de beaut et de grce, ne permet pas de maintenir les yeux de la raison ouverts. Edme confisque sa fille comme sÕil nÕy avait personne dÕautre que Marie pour Reine et personne dÕautre
1
Claude REVAULT DÕALLONNES, ætre, faire, avoir un enfant, op. cit., p.132-133. 2
Jean-Paul VALABREGA, Ç Le Problme anthropologique du phantasme È, Le Dsir et la perversion, Piera Aulagnier-Spairani, Jean Clavreul et al., Paris, Le Seuil, coll. Points, 1967.
que Reine pour elle. Le futur poux de Reine sera jaug lÕaune de cette mme grille de lecture : Ç Ce simple mortel [É] tait-il digne de recevoir comme pouse sa fille unique et trs admirable [É] Reine relevait-elle du commun ordre des choses, elle qui ne devait sa glorieuse venue en ce monde quÕ la grce consentie par la Trs Sainte Mre de Dieu ? È (JC, 37). Le consentement, dÕabord hsitant, ne provient que de la disgrce dÕEphram qui, soudainement, lÕennoblit Ç et mme [le] sanctifi[e] È (JC, 61). Edme peut ainsi renouer avec le geste dÕonction des femmes bibliques, Ç elle baignait chaque soir le visage meurtri dÕEphram avec un linge humect dÕeau de neige du premier mai. È (JC, 62).
I-2.B Le dploiement corporel
LÕenfant mconnue comme relle, retrouve le statut de poupe, ne ncessitant des soins quÕen fonction des besoins propres de la mre. Reine, idole offerte la dvotion maternelle, est baigne, nourrie, Ç pare È, Ç coiffe È par sa mre qui lve une Ç statue vivante de Vierge obse È (JC, 25). Et lÕon sait, crit Nicole Berry au sujet de la psychose puerprale, Ç combien les poupes peuvent tre amoureusement soignes, parfois ; on sait aussi quel sort moins
enviable leur incombe souvent È1. LÕambivalence touche la fonction
nourricire par la prparation de Ç plats normes È sans jamais parvenir Ç assouvir [l]a faim È (JC, 24) de sa fille, et affecte galement lÕidentification projective qui ne permet pas Edme de reprer la souffrance de sa fille : Ç LÕefflorescence magistrale du corps de sa fille qui intriguait ou amusait tellement les autres ne lÕavait jamais inquite [É] È (JC, 22). Reine vit son corps comme un monde qui ne sÕoffre pas la dcouverte mais conduit sa perte, elle porte dans sa chair une dtresse qui, lÕinverse dÕIsaac, nÕest pas Ç une capacit infinie dÕtonnement È2. De lÕenfance de Reine ne reste que ce corps vaste, encombrant, dÕune extrme passivit. Reine, au regard Ç doux, souvent absent È, vit Ç assoupie È, condamne une existence dÕotage de la folie maternelle, lourdement charge des mythes originels. Surnomme par drision Reinette-la-Grasse, elle donne corps au dsir maternel. En devenant chair elle retourne le phnomne de vampirisation en son contraire par un dploiement corporel quÕelle exhibe : Ç plus sa fille croissait en volume, plus elle rendait grce la Vierge È (JC, 22). LÕidoltrie mariale transforme la grce en graisse. La fonction de stockage des graisses est rapprocher de la fonction
1
Nicole BERRY, Ç Le roman original È, LÕEnfant, op. cit., p. 267. 2
mnsique, le poids pouvant correspondre la prtention du Moi envelopper la totalit de lÕappareil psychique et peser sur son fonctionnement : Ç elle habitait son corps, rien que dans son corps È (JC, 23). La nourriture devient le seul moyen de lÕexpression du lien mortifre. Avec lÕincorporation, la dimension symbolique des mots sÕabrase au profit de lÕacte de se nourrir : Ç sa bouche, minuscule et trs rouge, nÕmettait que des sons gazouillants et de lgers rires en grelots. È (JC, 23). Avaler, engloutir, refuser dÕouvrir la bouche sont autant dÕexpressions de lÕamour et de la haine. Une vague rage parfois se fait jour travers une faim insatiable identifi Ç un petit animal froce, cruel qui la rongeait jusquÕ lÕme È (JC, 23). La confusion dÕEdme entre Ç sa vie et celle des siens È, Ç la bouche et le sourire, la parole et la prire È (JC, 16) sÕinscrit dans le symptme de sa fille dont la gloutonnerie, qui ne connat pas lÕapaisement, interroge le sens mme de la parole, du manque, du dsir et du besoin. Elle ne peut se satisfaire de la confusion et habite un corps dont la clef chappe : Ç espace secret, [É] labyrinthe de chair enclos sous la peau blanche reflets roses et dans lequel elle ne cessait de dambuler ttons È (JC, 23). Alors que les formes des personnages des peintures de Botero associent volontiers beaut et rondeur, celles de Reine, gnreuses, peuvent tout autant symboliser la vie que lÕenfermement sur soi. En cela, elle se rapproche plus des clbres Nanas de Niki de Saint-Phalle, composes de matriaux de rcupration. Son corps chappe, il prolifre comme sÕil nÕtait pas reli lÕtre, et prsente, non pas un visage mais un masque, Ç miniature pos comme par mgarde en surplomb du corps gigantesque È (JC, 22), derrire lequel lÕenfant, reine dÕun royaume interne dvast, ne peut advenir. Les Ç sanglots ne parvenaient jamais jusquÕ ses yeux, tout comme les cris stridents de la faim, ils se perdaient en chemin dans sa graisse [É] È (JC, 24). La bouche de Reine nÕarticule que quelques mots et, si elle nonce des phrases, celles-ci ne parviennent jamais aux lecteurs sous forme de retranscription qui tmoignerait dÕune pense autonome. La mre, toute sa folie, ne donne pas lieu de nouvelles introjections dynamisantes et creuse une lacune. Reine gurit ce manque par lÕingurgitation. Si, comme le pense Franoise Dolto, la chair est Ç lÕpaississement du verbe qui nÕest pas arriv sÕexprimer au niveau o il avait sÕexprimer ni au moment o il avait sÕexprimer È1, ce qui parle alors chez Reine est son corps, cette profusion de chair dbordante qui signe lÕchec de lÕesprit crateur de sens vivant. Son corps reste un corps de besoins et de dsirs cris, pleurs mais non parls.
1
Franoise DOLTO, Grard SVERIN (1978), LÕvangile au risque de la psychanalyse, Paris, Le Seuil, coll. Points, tome II, 1982, p.174.
Bndicte Lanot soulignait dj dans sa thse que le Ç dcalque du traditionnel " Je vous salue, Marie " opre un glissement de Marie Edme : la dvotion la vierge peut ainsi devenir dvotion soi-mme È1. Il y a chez cette dernire une gloire narcissique tre mre, femme heureuse et comble, qui ne laisse aucune place au dsir de vivre du bb. Le surinvestissement de lÕenfant sÕaccompagne dÕun dficit dÕamour rel que Reine transforme en une insatiable faim inassouvie, car lÕamour nÕest jamais dirig vers elle-mme pour elle-mme, mais seulement vers ce dont elle tient lieu, savoir lÕimage idalise de la foi de sa mre. LÕabus narcissique de Reine par Edme se rsume la projection de la mre sur sa fille, qui est exploite non pour dvelopper ses propres ressources mais pour combler la folie mariale. En cela il sÕagit dÕabus narcissique, dÕautant plus facile oprer entre Edme et sa fille, que cette dernire peut raliser les aspirations maternelles insatisfaites ou refoules. Edme a en commun avec les desses-mres le fait de ne reconnaitre Ç quÕune loi, celle du ventre È2. Celui de sa fille permet de suppler Ç ses entrailles qui longtemps taient demeures striles È (JC, 19) et lui permet de vivre, par procuration, une maternit prolifique. Ainsi, lÕinfertilit de la mre rpond lÕextrme fcondit de la fille. Ç ætre mre, cÕest avoir le ventre plein. Plein de son enfant avant lÕaccouchement, la femme peut exiger toute nourriture qui lui plat, puisquÕil est entendu quÕil ne faut rien refuser une femme grosse È3 crivent Yvonne Knibielher et Catherine Fouquet. Dans cette confusion corporelle, pendant plus de six ans, Reine est remplie par la grossesse de ces neuf enfants qui semblent surgir de la nomination