FACULTE DE MEDECINE ET DE PHARMACIE DE BORDEAUX
ANNEE 1897-1898 R|o 45
LE PIAN
THÈSE POUR LE DOCTORAT EN MÉDECINE
présentée et soutenue
publiquement le 24 Décembre 1897
PAR
G-ustave-Théophile-André CADET
NéàPeuplingues
(Pas-de-Calais), le 30 novembre 1872
ÉlèveduService de Santé de la Marine
/ MM. DEMONS professeur.... Président.
Examinateurs de laThèse
:)
) nuRRrnii nDUBREUILHprofesseur
agrege•
\ Juges.LEDANTEG agrégé.
Le Candidat répondra aux
questions qui lui seront faites sur les
diverses parties de
l'Enseignement médical.
BORDEAUX
IMPRIMERIE DU MIDI —
PAUL CASSIGNOL
91 — RUE PORTE-DIJEAUX —
91
1897
Faculté de Médecine et de Pharmacie de Bordeaux
M. PITRES
Doyen.
ritoiMissuuiis MM. MICE..
AZAM .
DUPUY Professeurs honoraires.
MM.
P1. . . . \ PICOT.
Cliniqueinterne ■
PITRES
p.. . , \ DEMONS.
Clinique externe
j
LANEhONGlJE.Pathologie interne... N.
Pathologie et théra¬
peutique générales. VERGELY.
Thérapeutique ARNOZAN.
Médecineopératoire. MASSE.
Clinique d'accouche¬
ments MOUSSOUS.
Anatomie pathologi¬
que COYNE.
Anatomie BOUCHARD.
Anatomie générale et
histologie VIAULT.
MM.
Physiologie JOLYET.
Hygiène LAYET.
Médecinelégale MORACHE.
Physique BERGONIÉ.
Chimie BLAREZ.
Histoire naturelle ... GIJILLAUD.
Pharmacie FIGUIER.
Matière médicale.... i>e NABI AS.
Médecine expérimen¬
tale FERRÉ.
Clinique ophtalmolo¬
gique BADAL.
Clinique des maladies chirurgicales dis en¬
fants." PIÉCHAUD.
Clinique gynécologiqus BOURSIER.
BOA lOYilIttltU :
section demédecine (Pathologie interneet Médecine légale.) MM. MESNARD. | MM. SABRAZÈS.
CASSAET. | Le DANTEC.
AUCHn.
SECTION DE ClUllimclK ET ACCOUCHEMENTS
Accouchements.. .
tMM. RIVIERE.
CHAMBRELENT (MM. VILLAR.
Pathologieêxlerne< BINAUD. | " l
l
BRAQUEHAYEj
SECTION DESSCIENCESANATOMIQUES ET PHYSIOLOGIQUES
JMM. PR1NCETEAU | Physiologie MM. PACHON CANN1EU. I Histoire naturelle BEILUE.
Anatomie
SECTION DESSCIENCES PHYSIQUES
Physique MM. S1GALAS. | Pharmacie M. BARTIIE.
Chimie etToxicologie DEN1GÈS.
j
c»tus < aba i it i;s :
Clinique interne.desenfants MM. MOUSSOUS.
Clinique des maladiescutanées et syphilitiques Clinique des maladies des voies urinaires Maladies du larynx, des oreilles et du nez Maladies mentales
Pathologieexterne Accouchements Chimie
Le Secrétaire de la Faculté.
DUBREUILH.
POUSSON.
MOURE.
RÉGIS.
DENIJCE.
RIVIÈRE.
DENIGES LEMA1RE.
Pardélibération du 5 août1879, la Faculté aarrêté que les opinions émises dans les Theiesqui lui sont présentées doivent être considérées commepropres à leurs auteurs,et qu'elle n'entend leur donnerniapprobationni improbation.
A LA MÉMOIRE DE MON
PÈRE,
LEDOCTEUR T. CADET
A MA MÈRE
jl MES FRÈRES
GEORGES HENRI BUTOR-BLAMONT ET
A MONSIEUR LE PROFESSEUR DUBREUILH
PROFESSEUR AGREGE A LA FACULTE DE MEDECINE DE BORDEAUX
MÉDECIN DES HOPITAUX
CHARGÉ DU COURS DES MALADIES SYPHILITIQUES ET CUTANÉES
A mon Président de Thise
MONSIEUR LE
PROFESSEUR DEMONS
PROFESSEUR DE CLINIQUE CHIRURGICALE A
LA FACULTÉ DE MÉDECINE
DE BORDEAUX
OFFICIER DE LA LÉGION
D'HONNEUR
OFFICIER DE L'INSTRUCTION
PUBLIQUE
MEMBRE CORRESPONDANT DE
L'ACADÉMIE DE MÉDECINE
AVANT-PROPOS
« Rare diseases; veryexceptional
manifestations
; theopinionsofpliysicianslongagodead
;tlieaccounts
ofmaladies which exist only in distant parts of
the
world, areeach and ail often of the ntmost
value to
us, as conducing to asoundand
complété kuowledge
of oui' art. It is only by the inclusive
study of ail
thesethatweareenabledtodischargethe duties
which
the profession ofmedicine
lays
uponail those who
embrace it. »
(J.Hutohinson, inArchives
of Surgery, 1896.)
Je me hasarde à esquisser
dans cette thèse inaugurale
l'histoire d'uneaffection dontje
n'ai
pas vu unseul cas; d'au¬
cuns trouveront la
prétention audacieuse, ou plus simple¬
ment ridicule. Ma
première
excuse setrouve dans l'intérêt
doctrinal de la
question
: quele pian soit ce qu'il veuille, il
existe, mais letout
est de connaître sa nature et il y a long¬
temps qu'on
discute à
cesujet. Précisément, et c'est la se¬
conderaison decetravail, des
documents récents, publiés pour
la plupart à
l'étranger, sont venus jeter un peu de lumière
sur ce point
obscur. Le moment me paraît donc venu de re¬
cueillir lesconclusions éparses
des divers auteurs, de les
confronter, et si
possible de les mettre d'accord. La tâche
n'est pas
toujours facile
;bien souvent llippocrate dit oui,
Galien, non.
Manquant d'expérience personnelle, j'ai es¬
sayéde profiter
de celle des autres; à mes juges de voir si
j'y ai réussi.
Parmi eux, l'un, M.
le professeur agrégé Dubreuilh a été
l'instigateur de cette œuvre
très modeste; qu'il veuille bien
— 10 —
m'excusersi l'élève n'est guère
digne
clu maître, mais qu'ilme permette en toui cas de le remercier de sa bienveillance à
m'accueillir,
comme desalibéralité àm'octroyer
ses con¬seils, et à m'ouvrir en même temps sa
bibliothèque.
Un autre de mesjuges, M. le professeuragrégéLe Dantec,
a bien voulu, avec une extrême
bienveillance,
me fournir plusieurs documents—dont quelques-uns personnels — sur la question ; je l'en remercie vivement.Enfin, que M.le professeur Démons,dans le service
duquel
je suisheureux d'avoirpassé,soit assurédema gratitudepour le grand honneurqu'il me fait de vouloir bien accepter la présidence de cette thèse.INTRODUCTION
Le mot de pian
étant
assez peu connu,disons tout de suite,
sansvouloir en rien préjuger
de
sanature, qu'il désigne une
affection dont le
symptôme essentiel consiste en l'apparition
sur la peau
d'excroissances mamelonnées, verruqueuses,
comparées à des
framboises, à des mûres. Malheureusement
comparaison
n'est
pasraison, et c'est à la faveur de ressem¬
blances plusou
moins lointaines, avec ces fruits qu'on a af¬
fublé du nom de « pian», ou
de
«frambœsia
»,des éruptions
de nature très diverse.
Il y a
trois
moyensd'élucider cette question du pian :
L° L'observation
personnelle des faits cliniques;
2° L'étude des écrits des
médecins modernes;
3° Les recherches
concernant des maladies disparues,
commele Sibbens, le
Button-Scurvy, la Morula, la Frambœsia
Cromwelliana, etc.,
affections qui présentent au moins une
certaineanalogie avec
celle qui m'occupe.
De ces trois éléments
d'information, le premier m'é¬
chappe ; il est
absolument exceptionnel, en effet, d'observer
lepian en Europe, sur
des individus venus des tropiques, si
mêmeon l'ya
jamais
vu.Les deux dernières méthodes seules
me sont donc accessibles. Or,
des interprétations de texte
sont toujours un peu
sujettes à caution, surtout quand il
s'agit d'auteurs
anciens dont la somme de connaissances est
forcément très
incomplète, vis-à-vis de celle que leurs suc¬
cesseurs ont accumulée à notre
profit après
eux.Il est bien
plus facile de tirer
des conclusions de la lecture d'un travail
contemporain,
susceptible de fournir des détails circonstan-
— 12 —
ciés sur la
matière,
et c'estsurtout cette partie de la question quejedévelopperai
ici. Mais que de contradictions encore,sans remonter au delà de 1800; aucune maladie n'a été l'ob¬
jet
d'opinions
plus inexactes et plus contradictoires : ainsiCampet
n'y voit qu'une forme de la variole;Sprengel
cherche àdistinguer
le pian du yaws. Pour Raspail, c'estla tique qui produit le pian et«beaucoup
d'autres maladies de lazonetorride. »
Toutefois, depuis
quelques années le débat s'est resserré biendavantage,
eton ne discute plus guère maintenant quesur les rapports du pian et de la syphilis. Les uns, etce sont surtout les médecins coloniaux qui ont vu et observé la ma¬
ladie sur place, soutiennent que le pian est une maladie par¬
ticulière,
snigeneris,
imitée peut-être quelquefoispar la vé¬role, affection essentiellement
polymorphe,
maisn'ayant
avecelle quedes analogies de symptômes. D'autres, au con¬
traire, et parmi eux on trouve la plupart des
dermatologis-
tes et des
syphiliographes,
étudiant enEurope
les relations de leurs confrèresd'outre-mer,
font du pian une forme par¬ticulière de la syphilis, une
syphilis
modifiéepardes influen¬ces de climat, de race, de condition sociale, etc. C'est entre ces deuxopinions qu'il faut prendre parti.
Il est évident que pour résoudre le problème, recourir aux
médecins antérieurs à Ricordest à peu près inutile. Leurs
descriptions,
intéressantes à plusd'un titre, sont forcément d'une confusion extrême, puisqu'ils nedistinguaient
pas le chancre induré du chancre mou, et faisaient d'accidents se¬condaires et tertiaires les suites d'une vulgaire blennorra¬
gie. Si l'on joint à cela qu'ils étaient loin de connaître toutes les modalités de la
lèpre,
qu'ils observaient fréquemment dans les milieux les plus misérables où le scorbut et tous sessymptômes cutanés devaient paraître dans leur affreuse
splendeur,
on comprendra ladifficulté,
et souvent l'impossi¬bilité absolue de débrouiller un tel chaos
dermatologique.
Aussi, avant 1865, en est-on réduit à faire bien plutôt que l'histoire de la maladie, celle du mot pian et de ses synony-
mes. Ces synonymes
sont clu reste innombrables et c'est par
leur étudeque je
commencerai
pourfaciliter la compréhen¬
sion dece qui
suivra. J'étudierai ensuite succinctement les
relations des médecinsqui
ont observé de visu le pian dans
lesdiverses parties
du monde, et j'en tirerai une description
schématique
de la maladie, puisque la plupart d'entre ces au¬
teurs sont d'avis
qu'elle existe réellement. Alors je donnerai
l'opinion
des principaux dermatologistes européens, telle
qu'ils l'ont tirée de leurs études, le plus souvent purement
théoriques;
c'est ici
que seplacera la discussion des rapports
de la
syphilis et du pian. Je verrai enfin quelles conclusions
il me semble avoir lieude
déduire de cette
vued'ensemble.
I
Synonymie (1).
On s'explique
facilement l'extrême richesse de la synony¬
mie du mal que
j'étudie, quand on pense à son vaste
domaine, à la
diversité de
raceet de langue des peuples qu'il
frappe. De
plus, de même que chez nous, dans le langage
vulgaire, toutes
les dermatoses sont dartres ou boutons, ou
eczémaspour
le praticien
peuau courant de la dermatologie,
elles sont pians, ouyaws, ou
boubas pour le nègre ou l'In¬
dien. Enfin les auteurs
eux-mêmes n'ont pas peu contribué à
augmenter
cette nomenclature baroque, soit parleurs erreurs
de diagnostic,
soit
parleur manie de latiniser en deux mots
leuropinion sur
l'aspect
oula nature delà maladie. Aussi
peut-être
eût-il été plus simple de dire avec de Saintvis de
Bonnifardière
(30)
audébut de son travail : « Je ne donnerai
point au
pian d'autres noms tels que celui d'yaws, ou autres
aussi durs, parce que ces
dénominations sauvages diffèrent
autant qu'ily a
de différentes sortes d'idiomes parmi les
nombreuses hordes de
nègres qui
neme liront jamais et
pour
lesquelles je suis conséquemment loin de vouloir
écrire». C'est pour
être complet que je donne le long tableau
suivant qui
énumère tous les synonymes, avec les contrées
où ils sont en usage, et
les auteurs qui, les premiers, les ont
mentionnés ouinventés.
(Û Pour éviter les redites,
je fais suivre le nom de l'auteur cité d'un
numérod'ordre qui est celui
qu'il
occupedans ma bibliographie ; il sera
ainsifacile desereporter à
l'original.
16 —
i<> Noms
indigènes.
Afrique.
Sénégal :Kandjé.
Guinée : Gattoo.
Yaws
(framboise,
oud'après
Nicholls, du mot celte icis, bouillonner. C'est le nom de la litté¬rature
anglaise).
Calabar : Framosi.
)ubea.
Angola : Momba.
Gabon : Aboukhoué
(Bestion).
Congo : Tetia
(les
Babouinsl'appellent Mebarrha).
Madagascar : Keisseou
Changou
(GreneCDauvin).
Antilles : Pian (framboise. C'est le nom de la littérature
française).
Brésil : Bubas ou Bouba
(Oviedo),
de l'africain Pouba.Chine :
Yang-mey-tcliang (Dabry).
Ceylan :
Paranghi (Kynsey).
Birmanie : Kwe-na
(Nolan).
Moluques : Bouton d'Amboine
(Bontius).
Archipel Malais : Puru
(C. Brown).
Indes Néerlandaises : Pateh (Van
Leent).
Ternate : Bobento.
Amérique.
Asie.
Océanie.
Nouvelle-Calédonie : Tonga
(De Rochas).
Iles Fiji :
Çoco
ou Dthoke(Koniger, Mac-Gregor).
Iles Samoa : Tono, Lupani
(Koniger).
2° Noms
scientifiques
:Frambœsia tropica
(Sauvages). Les auteurs espagnols en
fontFrambuesa,lesauteurs
italiens Framboasia, les auteurs
allemands Beerschwamm
(Paulet).
Phimatosisframbœsia
(Young).
Anthraciarubulœ
(Good).
Lepra
fungifera (Cartheus).
Thymosis (Swediaur).
Mycosis
(Alibert).
Polypapilloma tropicum (Charlouis).
Dermite ulcéro-fongueuse
circonscrite (Corre).
Decette fastidieuse
énumération, il n'y
aguère à retenir
queles termes
de frambœsia, de pian, deyaws et de bouba.
Le premier
est usité dans
ungrand nombre d'ouvrages et
d'articles de dictionnaires, mais
il existe
uneFrambœsia sy-
philitica etmieux vaut éviter la confusion possible. Les trois
derniers sortentde trois
dialectes africains et ont tous trois
la même
signification; chaque nation européenne a adopté
celui qui
lui
aété apporté
parses premiers convois de nègres.
Ne voulant en rien préjuger
de la nature de l'affection, je
suivrai la tradition de nos
anciens colons des Antilles, res¬
pectéedu
reste
parla plupart des auteurs français, et j'em¬
ploierai dans
le
coursde cette étude le mot pian, pour dési¬
gner la maladie
qui m'occupe.
II
Historique et Domaine géographique.
Il s'est— naturellement—
trouvé
unauteur
pourfaire re¬
monterlepian
j usqu'à Hippocrate, et dans un opuscule écrit à
Paris à la fin du siècledernier,
l'honnête Bernard Peyrilhe(16)
sedemande
gravement si le Terminthe ou Térébinthe, qui,
pour
Ilippocrate et Galien, prévenait des marisques, ne serait
pas autre
chose
quele vulgaire pian. Il reconnaît toutefois
que c'est
surtout Dioscoride qui a étudié l'affection dont le
nom est tiré de sa ressemblance comme
forme et comme
couleur (noir
violet),
avecle fruit du Pistachier Térébinthe.
Je ne suivrai pas plus
longtemps Peyrilhe dans ses travaux
d'exégèse
médicale; je
nediscuterai pas davantage la ques¬
tion de savoir si sous lenom de
Safat
ouSahafat, les méde¬
cins arabes du xesiècle Avicenne
et Ali-Abbas ont décrit le
pian ou
bien la syphilis, bien que le savant Sprengel opte
pour
lepremier;
ceproblème est sans intérêt et les auteurs
le résolvent, du reste, tour
à tour dans un sens ou dans l'au¬
tre, suivantleurs
inclinations personnelles.
Je me borneà constater que
la première mention de ce
mal
paraît
dueà Oviedo (q, qui aurait appris à le connaître
à Saint-Domingue au
commencement du xvi° siècle et le
désigne sous
le
nomde Bubas, qu'il porto également au
Brésil. Comme un historique
purement chronologique aurait
l'inconvénient de promener
le lecteur sans aucune transition
d'un point du
globe à
sesantipodes, il est préférable d'es¬
quisser un
bref compte rendu des travaux parus sur la ma¬
ladieen chaque pays.
Débutons par les Antilles, puisque
— 20 -
c'est de là que viennent les premiers documents et aussi, du reste, les plus nombreux.
Le Pian aux Antilles.
A part Oviedo, tous les auteurs qui ont étudié la maladie dans les IndesOccidentalessont
Français
ou Anglais: ils l'ont observée du reste indistinctement dans les Petites et les GrandesAntilles et elle paraîty avoir été généralisée à une certaine époque; mais dans ces dernières années(peut-être
est-ce unrésultat du plus grand soin apporté à
l'observation) l'allureépidémique
du pian et sa restriction à certainspointsparaissent sepréciser.
En 1722, le père Labat
(4),
dans son « Voyage aux îsles del'Amérique»,
signale le pian. Dazille en1742,1-Iillary(9)en
1759aux Barbadesyvoient la syphilis.
En 1776,
Pouppé-Desportes(14),
auteur d'un ouvrageen trois volumes sur les maladies deSaint-Domingue,
en donne unedescription succincte : pustules grosses, écailleuses et for¬
mant au milieu unnombril qui augmente peu à peu en lar¬
geur et en profondeurjusqu'à ce qu'il s'y forme un ulcère.Il ne fait pas difficulté d'y voir le plus souvent un accident
«véroleux»,mais cependant c'est pourlui, dans bien des cas,
« un signe
équivoque
». « D'où vient, dit-il, tant d'enfants,soit à la nourrice, soit sevrés, en sont-ils affligés, pendant qu'une grande quantité de nourrices n'ont donné ni avant ni pendant leur grossesse des signes de pians, et que de même dequatreou cinq enfants qu'auraeus une négresse, il n'y aura que le second ou le troisième qui en sera infecté?
On remarque que parmi les différentes nations nègres, celle des Bambaras, la plus robuste de toutes, enest la plus em¬
poisonnée, sans que, dans la plupart, il précède aucun
symptôme de vérole, comme gonorrhée, poulains, chan¬
cres,etc. »
Les guerres qui ensanglantèrent
Saint-Domingue
au corn-- 21 -
mencement dusiècle nous
ont valu trois thèses
sur cesujet,
soutenuesà Paris en l'an
XIII (1804-1805)
pardes chirurgiens
militaires
(28-29-30)
;malheureusement elles sont des plus
succinctes ; on y trouve un
mélange confus de syphilis, de
lèpre et
de vrai pian.
En 1788
(18), Hunter observe le
yawsà la Jamaïque, où il
atteint non-seulement les
nègres, mais de nombreux soldats;
l'auteur sedéclare
insuffisamment fixé
surle mal des os et
autresdésordresqu'on
attribue, à tort
ouà raison, au yaws.
L'île paraît
avoir été
unfoyer de prédilection, car je
retrouve
signalés des articles de journaux de 1819 et de
1836 ayant
trait
aupian
;mais je n'ai pu me les pro¬
curer.
En 1848, parut
dans les Archives générales de médecine un
intéressant mémoire de Paulet,
de la Havane (57), sur lequel
j'aurai
à revenir à
proposde l'inoculation ; pour Paulet
il nes'agit pas de
syphilis, puisque, dit-il, un homme qui a le
pian et
qui couche
avec unefemme qui a des chancres, con¬
tracte des
chancres.Malheureusement,
onn'avait pas encore
fait la distinction entrele chancre mou
et le chancre hunté-
rien.
Avant que
l'esclavage fût aboli, la question du pian ne res¬
tait pas
indifférente
auxmarchands et aux colons, et on
payait
plus cher l'individu qui avait eu le pian que celui qui
enétaitencore à le contracter;
aussi les mères avaient-elles
coutume «d'acheter le pian»,
c'est-à-dire de l'inoculera leurs
enfants, l'affection
paraissant
enoutre moinssévère chez ces
derniers que
chez les adultes.
Du reste, à chaque
habitation était annexée la case à pian
pour letraitement
des esclaves pianistes.
Mais l'abolition de l'esclavage
ayant rendu aux nègres,
avec la liberté, leur
insouciance native et leur manque
absolu de propreté,
la maladie exerça tout à l'aise ses ra¬
vages chez eux
belle avait fait de tels progrès vers 1875,
dans certaines îles anglaises,
la Dominique, Sainte-Lucie,
Saint-Vincent, Grenade, que
les gouvernements locaux et
— 22 -
même la métropole s'en émurent : il y eut une question du pian; on
imposa
les habitants d'une taxe spéciale pour subvenir aux frais d'entretiend'hôpitaux
spéciaux, où les malades restaient de gré ou de forcejusqu'à
leur guéri-son. Des médecins furent chargés de les soigner et ils
rédigèrent
des rapports fort instructifs sur la maladie.Nous ne pouvons omettre ici les noms deNicholls (la Domi¬
nique 84,
m), Milrôy (7S,
79, 80, 83,88),
Bowerbank(Jamaï¬
que
86),
Tulloch(Tobago 106),
Numa Rat(l08),
Pontoppi-dan
(?3)
qui, jusqu'en ces dernières années, n'ont cessé de donner des détails circonstanciés sur l'affection qui m'oc¬cupe.
Les documentssont infinimentmoins nombreux en ce qui
concerne les seules Antilles encore
françaises,
la Martini¬que et la
Guadeloupe.
Levacher(48)
déclare qu'on y distingue quatre formes de pian : déprimée, exubérante, tuberculeuse,croùteuse;
cepourrait bien être autant d'affections diverses.11 est vrai qu'à la
Martinique,
Rochard fait observer que le pian a disparu, alors qu'il n'en est pas de même du chancre induré. Bérenger-Féraud n'en fait même aucune mention dans son livre(1831).
Le cas n'estdu reste pas isolé, etles auteurs anglaisont noté également ladisparition
du pian de la petite îled'Antigua. Pour ce qui a trait à la Guadeloupe,Lacaze
(102),
qui reçut mission d'y étudier le mal, en a tracéun tableau assez
confus;
il dit bien que « le pian et la vérole sont des maladies tout à fait différentes », mais il néglige complètementd'appuyer
son dire sur une preuve quelcon¬que.
Un médecin qui a
longtemps
exercé dans l'ile m'a assuré quecertains nègresguérissent le pian enquelques
jours, au moyen de plantesdu pays: ce qui l'a poussé à croire qu'ilne s'agissait pas là de syphilis. Voici, par contre, la conclu¬
sion de Dutrouleau : Le pian, à l'heure qu'il est, est une ra¬
reté. Les cas de prétendu pian qui ont passé sous les yeux de Rufz de Lavison pendant une période de plusieurs années
s3 rapportaient à des maladies cutanées d'origine diverse:
— 23 —
eczéma chronique,
pustules ulcérées d'ecthyma, syphilides
classiques. »
Ls Pian aux
Guyanes.
Le pian
d'Amérique
passeen général pour une importation
africaine; on ne
peut donc s'étonner de le voir signalé chez
les noirsdes Guyanes, en
1769
parBancroft (u) (Guyane an¬
glaise),
en1777
parBajon (15) (Cavenne). Bien que certains
auteurs le nomment
bouton indien, ils prennent bien soin
de faire remarquerque ce nom
est mal choisi, les Indiens
non ralliés en étant
généralement exempts. Quelques thèses
venues de Surinam ont
été soutenues sur le sujet : je ne cite¬
rai que
celle de Gewand (lûl) qui est le résultat de l'observa¬
tion
personnelle d'une épidémie qui éclata à la Guyane hol¬
landaise en 1884-85-86,
priva les plantations du tiers de leurs
travailleurs et
nécessita de la part du médecin en chef de la
colonie à peu
près les mêmes mesures coercitives qu'aux
Antilles (Q.
Gewand est très affirmatif pour mettre la syphi¬
lis hors de cause ; c'est
du reste ce qu'avait déjà fait van
Leent
(S4)
etce quevient de faire encore un médecin de Geor¬
getown,
Daniels (122). Au témoignage de ce dernier, lepian ne
sevoit que
dans quelques régions de la Guyane anglaise, en
particulier dans deux petites îles à l'embouchure de l'Esse-
quibo.
Ence qui concerne
la Guyane française, Maurel y place le
pian
parmi les affections vénériennes: mais il avoue que la
doctrine del'identité du
pian et delà syphilis n'est pas en¬
coreau-dessus de toute
discussion. Il attribue l'élévation qui
suit lebouton du pian
à l'exubérance du travail de répara¬
tion dont jouit
la
peaude toutes les races colorées. Mais
cette
explication est inacceptable, car il est certain que les
blancs
peuvent très bien contracter le pian.
Voici, d'autre
part, quelques renseignements que nous a
(D Dès 1838, ou trouve
dans les livres de loi de Surinam des ordonnances
qui prescriventdesmesures pour
l'isolement des pianiques.
- 24 -
fournis M. Le Dantec : on désigneà la Guyane, sous le nom
de pian, des maladies
diverses;
c'est ainsi qu'existent : 1° le pian des enfants, composé detubercules,
souventlépreux;
2° le pian des adultes, dont
l'aspect
estframboise;
3° le pian des bois, mélanged'ecthyma
et d'ulcères.Du reste, voici une observation prise par M. le professeur Le Dantec:
E. S...,
vingt-sept
ans, nègre, chercheur d'or, demeurantà la pointe Macouria, n'ajamais été malade; il a eu, il y atrois ans, une urétrite simple qui guérit au bout dequinzejours. Pas d'accident vénériens de¬puis. Ily a onzemois,ilcontracta le pian. Tout lemonde danssafamille l'avaiteu, mais depuis de longues années. Le malade ne peut rattacher la maladie à aucune origine. C'est une vingtaine de jours après avoir fait prospection à
l'Ovapock
que l'affection débuta,lorsqu'il étaitrevenu danssa famille à lapointe.L'affection débuta à 1a, face interne du tibia droitpar unetache rouge, grandecomme unepièce de cinquante centimes
(pian
rouge) qui s'éten¬dit à toute la peau recouvrant la face internede l'os. Au bout de deux mois latache rouge pâlit et devint pian blanc
(Remède
pour faire virerau blanc: boire infusion salée de verveine). Ni douleurs, ni dé¬
mangeaisons, ni anesthésie. Un mois après la première éruption, érup¬
tion surtout le corps: plaque grande comme une piècede cinq francs à la face externe du pied, pian crabe àla face plantaire gauche; sur le front, quatre taches lie de vin de ladimensiond'unepièce de vingtcenti¬
mes, une dans l'aile du nez; sur le visage, plusieurs taches; sur le cou et lescuisses, dartre pian, d'après le nom créole. Quelques douleurs va¬
gues dans les articulations. La sensibilitéest conservée dans presque toutesles taches. Une seule est anesthésiée,cellede lafacedorsale du pouce droit.
Je nedonne nullement cetteobservation pourdu pian idio- pathique; le malade a été perdu de vue, mais il s'agissait probablement de
lèpre;
c'est l'avis de M. le professeur Le Dantec. Je lacite pour faire toucher du doigt, pourainsi dire, le vague de cette nomenclature créole et montrer avec quelsoin il fautremonter aux
sources d'observation pour avoir
desdonnées tant
soi
peuprécises.
Le Bouba du
Brésil.
Ce terme
dériverait de l'africain Pouba ; il désigne encore
actuellementla
syphilis dans le peuple, ainsi qu'il résulte
d'une lettre du docteur
Tôffali écrite, du Brésil en 1895, à
Bréda : mais ce ne
serait guère un argument que de conclure
de là que tous
les boubas sont syphilitiques : qui ne sait que
l'homme du
peuple.désigne souvent sous le nom de chancre
un simple
ulcère ?
Le mot cité,on l'a vu, pour
la première fois par Oviedo en
1525, se retrouve
dans
unouvrage de Pison (2), médecin de
Leyde(1648), qui fit
auBrésil un voyage en compagnie de Guil¬
laumede Nassau. «
Si cette affection, dit-il, se guérit plus
promptement
parles seuls remèdes indigènes, elle se com¬
munique
aussi
avecplus de facilité que cette autre maladie
appelée
mal français, qui est apportée ici aux habitants.
N'étant pas dans
l'intention d'entrer ici dans aucune dis¬
cussion surcette
dernière maladie, je ne m'arrêterai qu'à la
présente
(bouba) qui, dans quelques circonstances, offre de
l'analogie avec
elle (mal français), quoiqu'il existe cepen¬
dant entre cesdeux
affections une grande différence et dans
les
symptômes et dans le traitement. »
Mentionnépar
Rendu (58) et parSigaud (S9), en 1848, le bouba
a fait l'objet de
plusieurs travaux des médecins du pays et
l'un d'eux, dûau Dr
Gaina Lobo, a été analysé par Bourel-
Roncière
(72j.
On rencontre le
bouba dans toutes les provinces depuis les
Amazones
jusqu'à Saint-Paul, avec des caractères toujours
identiques.
Il atteint non
seulement les nègres, mais aussi les métis,
et
quelquefois les blancs eux-mêmes, ainsi que les Indiens,
du moins les Indiens
ralliés (Sigaud). Quant à ceux qui vi-
- 26 —
vent à
l'écart,
dans leurs forêtsvierges,
il semble certain qu'ils en sontexempts. Ainsicetteaffection, ou d'autresérup¬
tions ayantavec elle des
analogies,
n'ont jamais été ren¬contrées dans les
villages temporaires
ou permanents(malo- cos)
des Indiens qui vivent à la hauteur des sources desrivières,
à plusieurs centaines de lieues, et qui sont visitésune fois par an à peine, pour la récolte de la
salsepareille,
l'extraction de l'huile decopahu, etc. A
Mont-Alègre,
où G. Lobo a exercé lamédecine,
les Indiens descendent tous les ans, àl'époque
des crues des rivières à la recherche de lasalsepareille,
et s'en retournent après unséjour de six mois;on rencontre parmi euxde nombreux individus atteints de fièvre
intermittente,
mais jamais de bouba.Il a
disparu
de Montevideo et deBuenos-Ayres
oùl'impor¬
tation des esclaves a cessé depuis
longtemps
et dont le cli¬mat
tempéré
n'est pas favorable audéveloppement
delà ma¬ladie : son origine semble donc bien être africaine. Les registres de policeont fait la distinctionentre le bouba et la syphilis, car on y trouvesur8.553
nègres importés
au Brésil de 1821 à 1853 :386 boubatiques 92 morts.
604
syphilitiques (macullo)
194 —On
distingue
deux sortes de boubas : le gras oulardacé, plaque
tuberculeuse deconsistance et de couleur lardacées,arrondie et saillante de 2 à 3
millimètres,
d'une étendue de 1 à 3centimètres;
la surface sécrète un pus blanc et est re¬couverte d'une croûte jaunâtre et
lisse;
le bouba sec quiest une petite ulcération de 4 à 8
millimètres présentant une excavation remplie du même pus que celui du bouba gras : lesdeux
formessontcontagieuses
etinoculables, l'expérience
l'a démontré. Il est des insectes qui sucent le pussécrété par les boubas; « fixés sur ces
ulcères,
ilest curieux de voir leur abdomen grossir graduellement et prendre une couleur jau¬nâtre semblable à celle du pus
boubatique:
une fois repus,— 27 —
ils
prennent leur vol ». Qu'ils aillent ensuite se reposer sur
une
ploie, ils l'infectent, et c'est précisément ce qui arriva à
Gama Lobo
lui-même
:il fut blessé au pied droit entre le qua¬
trième et le
cinquième orteil en se baignant dans l'Amazone.
« Ma blessure,
dit-il, dont la guérison était laissée aux soins
dela nature,
fut promptement contaminée par des insectes
qui,
des
corpsdes boubatiques, venaient se reposer sur moi.
J'avais à cette
époque six frères et mes parents qui n'avaient
jamais
eude boubas ; néanmoins cette blessure se transforma
en bouba
lardacé
queje conservai pendant huit ans, et dont
la cicatricene
s'est jamais effacée. En peu de temps, les jam¬
bes, les genoux,
les chevilles, les cuisses et les bras, tout
étaitcouvertde
cette maladie qui, de mois en mois, se repro¬
duisait par
poussées successives. Ce n'est que dans la troi¬
sièmeannée de mes
études médicales que je m'en vis débar¬
rassé. J'ai eu des
enfants, ajoute-t-il, jusqu'ici ils sont sans
tache ». De
même,
unmagistrat qui, après avoir eu des bou¬
bas
pendant huit ans, s'est guéri et a aujourd'hui des enfants
devingt-cinq ans
qui n'ont jamais eu de maladie de peau.
Les travaux les
plus récents sur les boubas sont dus à la
plume
de Breda (118-121) ; il se base sur trois observations, qui,
toutestrois,
sont malheureusement passibles du même repro¬
che : la
possibilité d'une syphilis n'a pas été écartée avec
certitude; les
trois malades de Bréda sont revenus du Brésil
avec le
diagnostic de bouba qu'il a accepté; chez aucun
d'eux il n'a pu
assister au début des accidents, ce qui est un
point
capital; tous trois étaient porteurs de lésions des
muqueusesassez
prononcées ; or elles sont niées par plu¬
sieurs auteurs
dans le vrai pian et regardées par les autres
comme très
inconstantes ; du reste, il semble bien difficile, en
examinant les
planches qui figurent ces lésions, de les diffé¬
rencierd'accidents
syphilitiques vulgaires.
La Buba
du Vénézuéla.
Razetti et
Guardia (127) ont présenté au Congrès pan-améri¬
cain de
Washington, de 1896, une étude clinique sur la buba,
- 28 —
oùon retrouve tous les détails des
descriptions
des autresau¬teurs :c'est,à n'en pas
douter,toujours
la mêmeaffection quiesten jeu.
Presque
tous lesnègres
de la région arrosée par la Luy en sont atteints dans leurenfance,
et ne l'ont qu'une fois; c'est complètement distinct de lasyphilis, et les seuls accidents consécutifs à
l'éruption
sont le «clavo» qui siège à la plante des pieds et la « fierna salada » qui n'est peut-être qu'unsimple
eczéma de la paume desmains(*).
Le Pian en
Afrique.
Le continent noir semble être le berceau de l'affection ; ce¬
pendant de Rochas y voit une
importation
qui suivit la plade des peu¬Peuhls, originaires, semble-il,
del'Orient;
de sorte que le pian, comme lalèpre,
aurait une origineasiatique:
toutcela semble bien
hypothétique.
Le pian a été signalé maintes et maintes fois sur toute la côte occidentale d'Afri¬que, du
Sénégal
au cap deBonne-Espérance;
Bestion(89)
a donné une étude sur 1' « aboukhoué » du Gabon, qui est uni¬quement le résultat
d'observations
personnelles; l'auteur écarte très nettementl'origine syphilitique,
et il a vu des malades atteintsd'aboukhoué,
contracter des chancres indurés.Paulet s'étonnait déjà, en 1848, que le pian n'ait pas été signalé dans le nord de
l'Afrique
par nos médecins militai¬res; mais on paraît n'avoir observé que des cas isolés Algérie
(Guyon 61)
et en Abyssinie(Pruner 36),
surlesquels
enil estimpossible
de tabler.(1) Je ne peux quitterl'Amérique sans dire quleques mots d'une affection qui sévitépidémiquementdans quelqueshautes vallées des Andes, duPérou,
et qui a reçu lenom de «Verruga ». Quelquesauteurs tendent à en faire un
pian d'une gravité exceptionnelle, oucompliqué de malaria; mais la plupart considérantla prédispositiondes blancsà cette maladie, l'extrême gravité de
ses symptômesgénéraux (mortalité des blancs 94 0/0, Hirsch), sa grande tendance aux
hémorragies,
nasales, intestinales, rénales, utérines aussi bien quecutanées, la dysphagietoutespéciale qui
l'accompagne,
l'en diffé¬rencientcomplètement. Jeme range à cette opinion.
- 29 —
Le pian
n'a été que rarement signalé à la Réunion; par
contre, il
serait très commun sur la côte cle Mozambique
et à Madagascar,
où il porte le nom de keisse ou changou. A
Mayotte,
Grenet (68) l'a considéré comme une végétation syphi¬
litique:
il s'agit d'une verrue plus ou moins large, sécrétant
un liquide
ichoreux et que revêt une croûte sèche; la croûte
enlevée laisse à
découvert une surface frambœsoïde faisant
sailliesurla peau...
Le frambœsia débutequelquefois comme
la roséole
syphilitique, par une éruption générale, accompa¬
gnée
d'un mouvement fébrile.
Voici ce que
dit Dauvin (74) :
« Lepian
(frambœsia), exceptionnel à la Réunion, relève
au contraire
très fréquemment à Madagascar de la syphilis,
non seulement
chez l'homme de couleur, mais aussi chez
l'Européen.
Il est
peude régions du globe, je crois, où cette
affection soit
aussi répandue. Il n'y est pour ainsi dire pas
de naturel qui
n'y ait été en proie pendant son enfance:
d'après
cequ'ils en disent eux-mêmes, d'après les preuves
que
l'on
enasous les yeux. On doit rejeter de l'étiologie du
pian
idiopathique l'influence des onctions grasses auxquelles
les médecins des
Antilles accordent une certaine puissance,
carelles n'entrent pas
dans les coutumes malgaches. Il est
surtout commun
dans l'enfance de deux a dix ans; son
siège de
prédilection est la face, surtout au voisinage des
lèvres. Ildébutepar une
petite papule saillante, douloureuse
au toucher. Si
l'éruption tarde à se faire, il survient des dou¬
leursarticulaires
très vives, sans changement de couleur,
sans
augmentation sensible de la température locale. Le
sommetdes
tubercules
sesoulève sous forme d'une petite
vésicule arrondie;
elle
sedéchire, et la sérosité qui s'en
écouleseconcrète
à la surface. Il se forme une croûte très
adhérente: si on
l'enlève,
ontrouve une excroissance rouge,
implantée sur
la peau,qui est unie et lisse et ne présente pas
de
gonflement à la base. On ne constate pas chez l'enfant
cette
segmentation de la surface, qui lui a valu la synonymie
de frambœsia,.
disposition que l'on rencontre au contraire
— 30 —
très
fréquemment
chezl'adulte,
surtout à la région plan¬taire au fond des crevasses qui constituent le crabe. Généra¬
lement bornéà la face, le pian envahit parfois le reste du corps, mais il est discret. Je n'ai rencontréaucunbouton qui méritât réellement le nom de maman-pian. Cette endémiene semble jamais
récidiver,
au dire des habitants mêmes. L'en¬fant porte gaiement sonpian, qui n'a aucun retentissement
sur l'économie. L'affection persiste en moyenne sept ou huit mois dans son siège
initial,
il est très rare de voir se mani¬fester des poussées successives. Quand la guérison a lieu, le tubercule s'affaisse et enfin son
enveloppe
sedétache,
lais¬santà nu une cicatrice lisse —d'une coloration
légèrement
rouge — qui reprend à la
longue
la coloration noire. Sous cetteforme,
le pian est éminemmentcontagieux. Pour Dau-
vin, c'est là lepian à Vétat
idiopathique.
Chez
l'adulte,
le pianse montre encore, mais les symptô¬mes qu'il présente portent à le rattacher à
la syphilis,
le
bouton,
grisâtre, s'élèvebeaucoup
moins qu'il ne le fait chezl'enfant,
il est plus plat. Les croûtes sont brunâtres aulieu d'êtrejaunes. Ici encore pas de
mère-pian.
Un ou deux mois après laguérison complète, presqueinvariablement,
sedéveloppe
un psoriasis palmaireet plantaire qui en semble le successeurobligé.
Dauvin cite encore deux cas de pian chez des blancssyphilitiques,
qu'il décrit ainsi :« C'étaient des noyaux d'indurationsiégeantsurles avant- bras et sur la joue
droite,
peu sensibles à la pression, et dont la coloration rouge cuivrée dénotait parfaitement l'ori¬gine. Je crus d'abord à des tubercules
syphilitiques quoique
cen'enfut paslà
l'aspect ordinaire,
c'étaientplutôt desplaques
que de véritables tubercules. Bientôt
Pépiderme
se souleva, et, sur chacun despoints,
il se formaune pustuleanalogue
à celle deVecthyma,
qui se déchira en laissant écouler unesé¬rosité brunâtre qui se dessécha sur place. Le diagnostic n'était pas douteux »
(???)
Je nésais
trop
pourtant sil'assimilation
que fait Dauvinde ses cas infantiles et de ses cas adultes est bien
fondée;
n'est-il pas étrange
de voir ces enfants exempts de tout
symptôme syphilitique autre que leur pian, alors que les
adultes en
présentent de si frappants? Et si j'ai cité longue¬
ment cetauteur, c'estpour
montrer
unexemple assez net de
la confusion
qu'il
a pufaire
avecbien d'autres entre les sy-
philides tuberculeuses et le pian véritable.
Le Bouton
d'Amboine.
Bontius
(3) écrivait,
en1718 :
«Il s'est répandu à Amboine
et dansles îles Moluques une
maladie endémique qui, par
ses
symptômes, est semblable à la maladie vénérienne. Il y
a cependant
cette différence que le mal en question peut nai-
treet se transmettreen
dehors de tout rapport sexuel. C'est
un mal hideux qui ne
diffère du mal vénérien que parce
qu'ilne
s'accompagne pas de douleurs aussi vives, et n'amène
pas
aussi facilement la carie des os, à moins qu'il ne soit
négligé. »
En 1870, van Leent
(70) fait
uneétude de cette maladie dont
les symptômes
cutanés sont tout à fait ceux du pian; il a une
grandetendance
à admettre qu'elle est très héréditaire. Elle
existe bien plus
à Banda qu'à Amboine. A Ternate, elle porte
le nom deBobento et les
Ternatans sont persuadés qu'elle ne
peut coexister sur
le même individu avec la lèpre; aussi se
font-ils inoculer la
sécrétion du bouton d'Amboine pour
jouir d'une
immunité supposée ou réelle contre la lèpre. A
Timor,le nom est
boba, et comme remède, les indigènes at¬
teintscouvrent le bouton
de boue.
Charlouis
(9!)), médecin militaire à Samerang (Java), a égale¬
ment étudié la maladie,
qu'il appelle Polypapilloma tropi-
cuin; il a
pratiqué des inoculations qui ont réussi; qui plus
est, il n'apas
hésité à inoculer la syphilis à un sujet qui ve¬
naitd'avoir la frambœsia
et il
enest résulté un chancre dur
typiqueavec ses
suites. Un autre malade, ayant contracté
un chancre dursur la verge aucours