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CHEMINS D'IDENTITÉ Collection dirigée par Philippe Conrath et Daniel Radford

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CHEMINS D'IDENTITÉ Collection dirigée par Philippe Conrath et Daniel Radford

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DU MÊME AUTEUR POÉSIE Étincelles, Imprimerie de l'État, Haïti, 1945.

Gerbe de sang, Imprimerie de l'État, Haïti, 1946.

Végétation de clartés, Pierre Seghers, Paris, 1951.

Traduit du grand large, Pierre Seghers, Paris, 1952.

Minerai noir, Éditions Présence Africaine, Paris, 1957.

Journal d'un animal marin, Pierre Seghers, Paris, 1964.

Un arc-en-ciel pour l'Occident chrétien, Présence Africaine, 1966.

Cantate d'octobre, Institut du livre (bilingue), La Havane, 1968.

Poète à Cuba, Éditions Pierre-Jean Oswald, Paris, 1976.

En état de poésie, Messidor Temps actuels, collection La Petite Sirène, 1980.

PROSE

Pour la révolution pour la poésie (essai), Éditions Léméac, Montréal, 1974.

Le Mat de cocagne (roman), Gallimard, 1979.

Alleluia pour une femme-jardin (nouvelles), Gallimard, 1981, Bourse Goncourt de la nouvelle 1982.

Hadriana dans tous mes rêves (roman), Gallimard, 1988, Prix Renaudot, 1988.

TRADUCTIONS

Le grand zoo, de Nicolas Guillen, Pierre Seghers, Paris, 1966.

Poésie cubaine, 1959-1966, Édition bilingue, Institut du livre, La Havane, 1967.

Avec les mêmes mains, de Roberto Fernandez Rétamar, Éditions Pierre-Jean Oswald, Paris, 1968.

EN PRÉPARATION Éros dans un train chinois (récits).

Les aveugles font l'amour à midi (récits).

Prose du grand hôtel de l'abime (récits).

La veuve de César (roman).

Retour à la maison, tome 1 (autobiographie).

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RENÉ DEPESTRE

BONJOUR ET ADIEU A LA NÉGRITUDE

suivi de

TRAVAUX D'IDENTITÉ

essais

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© Éditions Robert Laffont, S.A., Paris, 1980 ISBN 2-232-10218-1

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PRÉAMBULE

Il était une fois une catégorie d'êtres humains que la colonisation baptisa génériquement et péjorativement nègres. Ainsi dénommés, les Africains, ci-devant membres d'ethnies et de peuples aux cultures diverses, furent réduits à l'état de combustible biologique. La combustion des nègres dans les plantations et les ateliers des Amériques rendit possible !e siècle des lumières, la vapeur et l'électri- cité, et les autres conquêtes de la première révolution industrielle du monde moderne.

« L'institution singulière » de l'esclavage racialisa les relations entre les colons venus de l'Europe occidentale et les colonisés de l'Afrique sub-saharienne déportés sur les terres américaines. Ce processus historique d'interver- sion de l'ordre des apparences et de l'essence des êtres intégra à la hiérarchie des classes une fantastique hiérar- chie dite raciale. L'une et l'autre couleur de l'espèce, la

« blanche » et la « noire », qui n'ont, en soi, aucune signi- fication, ni en bien ni en mal, furent arbitrairement érigées en signes sociaux.

A partir de critères ethnocentristes d'évaluation et de hiérarchisation des rapports humains, une prétendue

« essence inférieure » de nègre fut incorporée à l'histoire des peuples africains. Dans un sens symétriquement inverse, une promotion complaisante de l'être fut sura- joutée à l'expérience historique des « blancs ». Cette double permutation, sémiotique et mythologique, la première

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orientée vers le bas, la seconde vers le haut de l'échelle des sociétés, devait caractériser l'aventure négrière et coloniale.

Dans la conception et l'exécution de ses projets d'outre- mer, l'Europe se donna une scandaleuse bonne conscience.

Cette tranquillité d'esprit lui permit d'imposer au reste du monde, outre l'impétuosité juvénile de son mode de pro- duction, son évangile, ses mœurs, ses idées, ses supersti- tions, et surtout le seul modèle d'homme à ses yeux concevable et valable : l'homme européen, et bientôt blanc par la grâce de Dieu ! De son côté, l'Afrique inter-tropicale, vaincue et encerclée, fut amenée à coups de fouets à inté- rioriser la sémiotique coloniale et les mythes sous-dévelop- pants par lesquels on s'employa à noircir sa place au soleil des civilisations.

Des contradictions foncièrement sociales prirent les formes et les apparences de conflits raciaux. Ceux-ci greffèrent sur les antagonismes de classe de redoutables crises d'identité. Les effets de ces crises, des décennies après l'abolition de l'esclavage — et malgré le processus général de décolonisation —, agissent encore, à des degrés divers, sur les mentalités et sur les conduites des popula- tions qui forment la communauté internationale. De nos jours encore, les corps féminins et masculins, les traits physiques des gens continuent à véhiculer un code moral et esthétique qui glorifie ou avilit à simple vue leur commune humanité. La perception immédiate que les êtres ont les uns des autres reste largement tributaire de l'extravagant sottisier échafaudé à l'époque de la colonisation. Des millions de personnes sur la planète ont l'esprit et le corps empêtrés dans le blancotropisme de fond qui postula un jour une identité de droit divin entre le concept typique- ment colonial de « blanc » et celui de l'humain universel.

L'objet principal de ce livre est de démythifier les rap- ports de réciprocité que l'anthropologie spéculative a entretenus avec les scandales de l'âge colonial. J'ai essayé de débarrasser la connaissance de notre identité des mythiques connotations raciales qui ont été, après coup, ajoutées à l'heureuse diversité de nos corps et de nos cul- tures humainement apparentés dans l'histoire de l'univers.

En ce temps-là, au visage du monde, dans le système symbolique et idéologique de la colonisation, le « noir » fonctionnait comme une verrue de l'histoire, le « blanc »

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comme un grain de beauté. Une fois décolonisées, les notions magiques de « blanc », de « noir », de « métis », révèlent ce qu'elles ont toujours été dans leur structure intime : des signes et des pièges grossiers, propres à l'ima- ginaire du colonialisme. L'effort de déchiffrer ces figures illusoires et ternaires de « l'inhumanité de l'homme envers l'homme » est d'autant plus impératif et payant qu'aujour- d'hui les biologistes eux-mêmes, dans le dernier domaine où la notion de « race » semblait avoir quelque réalité, la tiennent néanmoins, de plus en plus, pour un outil concep- tuel à la fois flou, désuet et déshonorant !

Au cours des derniers siècles, les peuples du monde ont donc vécu sous la fausse identité de « blancs », de « noirs », de « jaunes » et « d'indiens », à défaut de vivre leur identité panhumaine. Ce déguisement ontologique généralisé visait à créer partout des sous-Europes, peuplées de sous-Latins et de sous-Anglo-Saxons, c'est-à-dire de simples appendices de l'archétype platonicien « blanc ». Cette tératologie expé- rimentale connut cependant un échec flagrant. Des peuples nouveaux se constituèrent dans les colonies, doués de leur propre créativité, différents du modèle qu'on avait posé sous leurs yeux comme la mesure idéale de la condition humaine.

Les types sociaux des colonies opérèrent une mutation syncrétique des diverses composantes de l'histoire qui leur était imposée. Dans ce processus, il n'y a pas eu une banale addition de valeurs, ni un phénomène unilatéral d'accul- turation des « noirs » aux desseins achevés des « blancs », comme l'anthropologie des seconds l'a fait croire pendant longtemps aux premiers. Des peuples originaux se mirent à exercer, de naissance comme de droit, en toute légitimité décolonisante, leur faculté autonome d'invention. La créo- lité inventive des Amériques (comme d'ailleurs des Afri- ques) devait avec succès déseuropéaniser les héritages cul- turels français, anglais, espagnol, portugais, hollandais, sans pour autant les abâtardir, les dégrader ou les amoin- drir. L'apport européen, intégré dans ce qu'il avait de meil- leur à d'autres métabolismes sociaux, déboucha sur des échelles de valeurs, des règles de vie, des expériences exis- tentielles, des formes de merveilleux qui, à travers la diver- sité des cultures nationales, constituent un nouvel imagi- naire, celui des temps de la décolonisation.

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Soumis aux contraintes des pouvoirs coloniaux, les peu- ples mirent tout en œuvre pour éviter le naufrage absolu de leur être social. Peuples-zombis, ils se firent ardemment voleurs du feu et du sel qui réveillent l'homme dans l'esclave. Ils eurent recours au marronnage pour déjouer les mécanismes d'assimilation qui conspiraient contre leur humanité. L'opération de marronnage permit à l'homme colonisé de se servir du dynamisme même de sa souffrance sans fond pour une remontée vers le sens de la dignité et de la liberté. Sous sa forme sociopolitique (désertion de la plantation, abandon des ateliers de travail), comme sous son caractère culturel (création d'un nouvel ima- ginaire), le marronnage fut un phénomène précoce de dézombification et de quête d'identité. Il fut un effort collectif et individuel de connaissance et de saisie de soi ; un retour passionné au centre le plus rafraîchissant et le plus « noir » de soi, pour se protéger de l'insolation « blanche ».

Le marronnage fut d'abord l'affaire des masses oppri- mées. Plus tard, quand des nègres purent aller à l'école et s'élever à l'intelligence théorique du sort de leur « race », les meilleurs parmi eux se mirent à marronner les outilla- ges mentaux des maîtres. Ils tinrent pour exotiques (et non comme l'unique mesure de la civilisation) les valeurs philosophiques, les habitudes de la pensée, les formes de sensibilité que l'on inculquait par la force aux colonisés.

La négritude est née dans le droit fil du mouvement de marronnage conduit par des intelligentsias « noires ».

La négritude, comme avant elle le vaudou, a servi de réserve d'espérance et de révolte, pour alimenter la faculté de résistance et de contestation des opprimés.

Le moteur du marronnage a eu toutefois des ratés, à toutes les étapes du processus de décolonisation. Sous la domination coloniale, nos diverses sociétés ont connu les attitudes déprimantes de la résignation, de la soumis- sion, de l'imitation forcenée de la culture des occupants.

Le célèbre personnage de l'Oncle Tom a existé partout, de même que le bovarysme intellectuel des pseudo-élites. S'il en était autrement, on n'aurait pas eu, dans de nombreux pays, à la place de la décolonisation âprement convoitée par les peuples, le processus bien connu d'indigénisation des violences et des dénis de justice de l'époque coloniale.

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Malgré ces ombres sinistres, dans la plupart des sociétés nationales issues des épreuves de la colonisation, des générations d'hommes et de femmes ont déjà montré qu'elles sont capables de maintenir, sur un pied d'égalité, un dialogue interculturel avec l'Europe et les autres foyers de civilisation. L'ancien européo-centrisme a reculé devant l'aspiration des peuples et des intelligentsias à une confluence culturelle mondiale compatible avec la problé- matique historique de chaque nation. Aujourd'hui des oiseaux chantent juste au printemps de chaque culture, malgré les affres du sous-développement. Est-il utopique de penser que les hirondelles qui font la diversité cultu- relle du monde pourraient voler en harmonie vers le même horizon ?

Qu'est-ce qui retarde l'épanouissement de cet âge de raison et de fraternité ? Les multiples menaces qui pèsent sur notre vie. A la banque de la terreur, chacun des quatre milliards d'humains qui peuplent la Terre possè- de un compte hallucinant qu'on estime à quatre tonnes d'explosifs. De prodigieuses ressources sont gaspillées chaque jour dans la course aux armements la plus spec- taculaire de tous les temps. La planète a l'air de courir à sa perte. Il y a des matins où l'on croirait volontiers que vouloir un changement de qualité dans les relations humaines est plus chimérique encore que de vouloir modifier le rythme des marées ou la direction des cyclones !

La dette des pays sous-développés s'élève à 325 mil- liards de dollars. Le décalage entre l'opulence d'un petit nombre de pays et la déchéance de la plupart des autres va s'aggravant. De la Cordillère des Andes aux confins de l'Asie, une énorme masse humaine, inconnue, méprisée, compartimentée et balkanisée par toutes sortes d'archaïs- mes et de dissonances tragiques, s'empêtre dans un fouillis inextricable de problèmes économiques, techni- ques, démographiques, linguistiques, sanitaires, religieux, psychologiques et culturels. L'iniquité coloniale et

« raciale » livre un combat d'arrière-garde sous la direc- tion des « derniers blancs » de l'Afrique du Sud, mais de nombreuses indépendances demeurent nominales, subjec- tives, affreusement hérissées de structures aussi stérilisan- tes que celles du passé. Chassé par la porte, le vieux

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colonialisme trouve des complices qui sont enchantés de lui faciliter le retour par la fenêtre. Le revenu moyen d'un habitant des pays développés dépasse de quatorze fois celui d'un sous-humain du tiers monde. L'échange inégal prend des proportions dramatiques : personne n'a démenti l'homme d'Etat qui, il n'y a pas longtemps, a tiré la sonnette d'alarme, en rappelant qu'une heure de travail dans les pays développés s'échange contre dix heures de labeur dans les pays en voie de développement.

L'actuel système monétaire international patauge dans un gâchis financier sans précédent. Partout l'inflation, le chômage, le déficit commercial atteignent des courbes folles. Les écrans de télévision éclatent sous les images atroces de populations d'enfants et d'adultes qui n'ont plus dans les yeux une goutte de tendresse pour implorer la solidarité ou la compassion de leurs semblables : toi, moi, et les autres privilégiés de la « ménagerie » interna- tionale du bien-être et du savoir. Aucune société n'est encore parvenue à réaliser la synthèse des libertés sociales et des droits de l'homme, de la libération économique et de l'émancipation culturelle des esprits. Nulle part sur la pla- nète, les structures élémentaires de la liberté sont réelle- ment vivables, et vécues quotidiennement par chacun et par tous, dans l'égalité économique et la plénitude des facultés spirituelles. Dans tous les systèmes qui mobilisent les passions des peuples, l'arbitraire, le dogmatisme, l'absolutisme de droite ou de gauche, les avarices de l'esprit et de la sensibilité, prennent avec un égal entrain le visage de la science et de l'espoir !

Comme par hasard, c'est ce moment crucial de crise d'identité à l'échelle de l'espèce, que choisissent des for- cenés de tous bords pour remettre en vogue des théories de la « race », des thèses rageusement élitistes, des dérai- sons d'Etat aus dents de requins, des cannibalismes trans- nationaux, des nationalismes aux appétits de tigres, tout un bric-à-brac effrayant d'idéologies et de pratiques qu'on a cru trop tôt mortes et enterrées dans la fosse commune du nazisme et du fascisme. Le vieux moulin du racisme, du fanatisme et du despotisme continue à moudre les mythes homicides qui, dans le passé, n'ont jamais fait autre chose qu'avilir et traîner dans la boue, le sang, les larmes, l'unité de notre espèce.

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Pourtant, à aucun autre moment de l'histoire, l'huma- nité n'a eu à sa disposition autant de moyens scientifiques et techniques pour transcender ses modes de vie, et les ordonner intelligemment, dans l'intérêt de tous les peu- ples, à des fins de sagesse et de solidarité. Aujourd'hui, à l'échelle planétaire, les conditions se trouvent merveilleu- sement réunies pour la mutation d'identité qui ferait de l'existence de tous les humains une « rose de raison » dans une joyeuse aventure individuelle et collective.

Parallèlement aux dérèglements meurtriers du monde, un formidable mouvement d'effervescence emporte les êtres, les idées et les choses qui nous entourent. On assiste, fascinés, à la plus considérable fermentation intellectuelle de l'histoire. La percée culturelle qui se poursuit sous nos yeux, grâce à la révolution des média, pourrait assurer une décisive communicabilité entre les êtres humains. Des structures de raison et de fraternité, si nous le voulions, pourraient irréversiblement se substi- tuer aux vieilles structures magiques, théocratiques, scien- tistes, autour desquelles la notion de progrès a été jusqu'ici conçue et vécue seulement par des minorités.

Maintenant, les sujets de l'éternel humain, hommes et femmes, possèdent les moyens d'agir sur la nature et la société, en agents véritablement responsables de l'homi- nisation du globe terrestre. Plus que jamais nous avons à notre portée des ressources mentales comme la connais- sance, la sensibilité, la force du doute et de l'espérance, l'humour et la bonté, la poésie et la maturité, qui permet- traient à notre imagination d'exercer librement cette glo- rieuse responsabilité. Je vois dans le retour en force du surnaturel et de l'intolérance religieuse le déguisement qu'empruntent des idéologies obsolètes pour se retirer de la scène historique.

Face aux défis existentiels — ponctuels ou stratégiques — de l'époque, les anciennes théologies comme les magies vétustes, qui ont jusqu'ici alimenté la foi et l'espérance de l'humanité, ne sont plus que des étoiles mortes. La fabuleuse énergie spirituelle qui est dépensée chaque jour en invocations, prières, transes et lamentations, si elle était coalisée vers un effort d'unification des intérêts de la liberté, pourrait lever autour de nos ténèbres un soleil formidable de sagesse et de miséricorde. Tout se passe

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comme si les religions, des plus prestigieuses aux plus humbles, n'avaient plus de certitudes et de rêves pour rafraîchir les torpeurs des millions de fidèles qui traver- sent, du matin au soir, les déserts et les vallées de larmes qui servent actuellement d'horizons à notre faculté d'aimer le monde.

Pourtant, à travers les livres et les débats les plus avancés de ce temps, nous prenons conscience qu'êtres humains, animaux, plantes, micro-organismes, nous for- mons un seul trésor protoplasmique que nous avons le suprême devoir de protéger globalement pour le salut de la vie et de la tendresse sur la terre. Dans cette lutte épique pour un renouvellement radical des données de la condition humaine, nous avons, on l'a dit, comme alliée, la créativité de tous les savants, les poètes, les pro- phètes, les maîtres du naturel et du surnaturel, qui, avant nous, se sont émerveillés devant les possibilités d'humani- sation de la vie dans la nature et dans la société. Il suffirait d'enlever le plomb qui est encore chevillé à nos consciences, pour nous mettre à administrer et à autogérer sagement les richesses et les conflits de l'univers, et à nous envoler avec nos fusées spirituelles dans l'air d'un émerveillement sans fin.

A une époque qui ne manque pas de capacité d'analyse et de force créatrice, ni d'audace, ni d'esprit d'aventure et d'exploration de l'inconnu, est-ce jouer puérilement au royaume des fées que d'envisager l'accès immédiat de tous les humains à la sécurité, à la justice, à la joie et à la liberté de vivre ?

Adieu à la négritude, et après, qui être ? Où qu'il se trouve, en ces temps de feu et de sang, l'être humain est sommé de répondre à cette question. Les identités singu- lières, régionales ou nationales, ont toutes besoin d'être recyclées dans le courant principal de l'évolution du monde : la lutte pour une identité panhumaine.

Nous allons vers une reconversion des notions histo- riques de sacré, de bien et de mal, qui ont bercé l'enfance de la raison. Si vient un cataclysme thermonucléaire, les images paternelles divinisées dans le Christianisme, l'Islam, le Bouddhisme, l'Hindouisme, le Taoïsme, le Judaisme, ou dans le Vaudou, resteront impuissantes

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devant la super-désolation qui éteindra la maison des vivants.

Un devoir sacré frappe à chaque porte : dans l'espace planétaire qui est de plus en plus notre foyer, il nous faut nourrir l'éternel humain, l'alphabétiser, le loger, le soigner, le défendre, le bercer de tendresse et de poésie, l'éclairer jour et nuit des mille et une victoires que la modernité remporte dans la science et dans les arts.

Une nouvelle histoire peut commencer si, tous ensemble, guéris des vermines tapies dans nos cœurs, guéris de nos haines et de nos médiocrités morales, nous osons repren- dre le cri de joie libératrice de Schiller, magnifié dans une symphonie de Beethoven : tous les hommes sont frères ! Vive la grande famille humaine !

René DEPESTRE.

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PREMIÈRE PARTIE BONJOUR ET ADIEU

A LA NÉGRITUDE I, too, am America.

Langston HUGHES.

... saberse negro mientras aplaude el bulevar, y frente a la envidia de los blancos hablar en negro de verdad.

Nicolas GUILLEN.

Moins le Blanc est intelligent plus le Noir lui paraît bête.

André GIDE.

Tout humanisme est dérisoire qui ne se propose pas pour premier objectif de mettre hors la loi le racisme.

ETIEMBLE.

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CHAPITRE PREMIER

LES AVENTURES DU NÉGRTSME EN AMÉRIQUE LATINE

Qu'est-ce que le négrisme ?

Le mot ne figure pas dans le Larousse, ni dans le Robert (entre négrillon et négritude). Comme idéolo- gie. le négrisme est plus fondé sur des faits de création littéraire que sur un corps de doctrine ou un système esthétique plus ou moins cohérent. Il n'y a pas de lois ni de règles du négrisme, à partir desquelles on pourrait tirer un code particulier ou universel, euro- péen ou américain. A considérer les réalités spiri- tuelles que le mot recouvre, on serait plus enclin à parler de recettes que de principes négristes. Il semble aussi qu'en Amérique-(latine) le négrisme, de son vivant, prospéra plus dans la poésie que dans le roman, le théâtre ou les arts plastiques. Les premiers usages du mot datent des années 20 du siècle, bien que les productions « négristes » remontent loin dans le passé de l'Occident. En Amérique-(latine), pas plus qu'en Europe, aucun théoricien n'a essayé d'ériger le négrisme en concept métaphysique ou en ontologie (ni même en esthétique particulière), comme on l'a fait avec la notion de négritude.

Personne, à notre connaissance, n'est allé jusqu'à dire que le négrisme, outre les arts et les lettres,

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englobe également les mœurs, les sciences ou les techniques. Nul n'a soutenu que le négrisme est « fils de la race, de la géographie et de l'histoire » ou l'a associé aux manières de rêver, de sentir, de penser et d'agir d'un groupe de types sociaux spécifiques.

Parmi les hommes que l'on peut tenir à bon droit pour des animateurs du mouvement négriste, en art et en littérature, on trouve plus de Blancs que de Noirs. Les descendants d'Africains n'avaient pas encore commencé à parler en nègres véritables, à produire dans leurs pays respectifs, une littérature d'identifi- cation, pour exprimer du dedans les malheurs, les vérités et les espoirs de la « condition nègre » en Amérique et en Afrique, qu'il existait déjà en Occi- dent des faits littéraires qui relevaient d'un négrisme avant la lettre, c'est-à-dire d'un mode évolutif de représentation de l'Africain sub-saharien et de ses descendants américains dans les lettres et les arts des sociétés impériales. A définir le négrisme comme

« l'ensemble des valeurs de la civilisation — cultu- relles, économiques, sociales, politiques — telles qu'elles s'expriment dans la vie et les œuvres des Noirs », on tomberait dans une approximation idéolo- gique aussi confuse que celle qui consiste à donner une semblable définition au concept de « négritude ».

Le négrisme n'est pas une doctrine littéraire ou artistique, ni une culture dans le sens que l'anthropo- logie donne à ce terme, c'est-à-dire une échelle de valeurs communes à une ethnie ou à un ensemble d'ethnies et qui feraient leur unité. Le négrisme n'est pas, non plus, une déclaration d'identité lancée par les descendants d'Africains eux-mêmes. Ses expres- sions sont groupées sous des noms multiples : art nègre, roman nègre, poésie noire, poésie afro-améri- caine, poésie mulâtre, poésie négroïde, littérature néo- africaine, poésie indomulâtre, autant d'appellations qui, loin d'être innocentes, véhiculent une hiérarchie très subtilement raciste. Ces dénominations, pour

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bien intentionnés qu'aient pu être ceux qui les employaient, établissaient insidieusement un lien de cause à effet entre une certaine couleur de peau et l'expression poétique, romanesque et plastique. Par ailleurs, aucun doctrinaire n'a eu la fantaisie de considérer divers courants du pan-africanisme amé- ricain (Silvester Williams, W.E.B. Du Bois, George Padmore, Marcus Garvey, C.I.R. James, etc.) comme des projections politiques du négrisme. Le négrisme n'a jamais, en art et en littérature, constitué un mou- vement bien structuré, sinon un état changeant d'esprit et de sensibilité à l'égard du destin historique de l'Afrique sub-saharienne et de ses habitants dépor- tés dans les Amériques. Le négrisme n'a pas donné lieu à des manifestes, des colloques, séminaires ou congrès. Il n'y a pas eu de festival régional, interamé- ricain ou mondial des arts et des lettres négristes.

Aucun poète, romancier ou peintre célèbre n'a été invité dans une capitale à donner droit de cité au négrisme. De même, il n'a pas suscité beaucoup d'études, de thèses ou de mémoires universitaires.

Rares aussi sont les ouvrages de synthèse qui lui ont été consacrés

1. Contexte socio-historique du négrisme Pour une histoire du négrisme en Amérique-(latine) et dans la Caraïbe, il est inévitable de considérer le passé du même phénomène en Europe, si nous le tenons comme l'ensemble des images variables, qu'à travers les stéréotypes du racisme, on s'est formé des hommes « noirs ». Avant d'être un mouvement d'avant- garde ou de fournir des éléments d'avant-gardisme

1. Le plus important est, sans doute, le livre de Mônica Mansour, La poesia negrista, Ediciones Era, Mexico, 1973.

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à l'art et à la poésie modernes (cubisme, fauvisme, futurisme, modernisme, post-modernisme, modernisme brésilien, mouvement Dada, surréalisme, etc.), le négrisme était, sous ses formes primitives (contes de fées, récits de voyages, textes négrophages), présent dans des écrits de voyageurs, de géographes et de capitaines négriers. Au siècle des Lumières, on trouve ses traces chez des écrivains professionnels, dans toutes sortes de textes, moqueurs ou attendrissants, jusqu'au romantisme abolitionniste et paternaliste.

Après l'abolition de l'esclavage, au XIX siècle, il y aura une nouvelle promotion de l'image du Noir, s'exprimant de diverses manières, d'une société colo- niale à l'autre. Aux Etats-Unis, on aura la littérature de la Reconstruction, moins dénigrante que celle qui l'avait précédée, surtout après La Case de l'Oncle Tom, de miss E. B. Stowe. Mais la tradition de la planta- tion se maintiendra jusqu'à ce que des intelligentsias

« noires » prennent elles-mêmes la parole ; on aura le négrisme des écrivains blancs du Vieux Sud, avec les Thomas Dunn English, Irwin Russell, Joël Chand- ler Harris, T.N. Page, A.C. Gordon, etc., toute une littérature idyllique de la plantation qui fit des Noirs des bouffons de l'histoire nord-américaine. C'est le même négrisme qui animait les spectacles des « mins- trels » ou baladins qui se noircissaient le visage au bouchon brûlé, avant leur entrée en scène2.

En littérature, aux U.S.A. comme en Amérique-(la-

tine), avant l'arrivée de Du Bois, Langston Hughes,

Claude McKay, Countee Cullen, Price-Mars, Jacques Roumain, Emile Roumer, Jean F. Brierre, Nicolas

Guillen, Regino Pedroso, Césaire, Damas, etc. (à part

les œuvres de Luis Pales Matos, Emilio Ballagas,

Manuel del Cabral, Jorge de Lima, qui ont parfois

2. Jean Wagner, Les Poètes nègres des Etats-Unis, Istra,

Paris, 1963. - LeRoi Jones, Le Peuple du blues, Gallimard, Paris, 1968.

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« d'heureux moments de sincérité »), la poésie négriste, généralement, répand plus ou moins une odeur de bouchon brûlé. Au Brésil, on a le cas des poètes qui sont des descendants d'Africains ayant parvenu à une belle maîtrise de leurs moyens d'expression, mais qui n'expriment pas dans leurs écrits les contradictions classe/race qui ont déterminé la vie du pays : Luis Gama, Tobias Barreto, Cruz e Souza, et avant eux, Manuel da Silva Alvarenga et Francisco Octaviano.

Ils ont leurs homologues à Cuba chez des poètes de talent comme Juan Francisco Manzano et Gabriel de la Concepciòn Valdès (Plàcido). Il n'en est pas de même du poète colombien Candelario Obeso en qui on note déjà un souci, encore timide, de recherche d'identité. Il faut dire qu'au XIX siècle, c'est seulement en Haïti, dans l'hémisphère occidental, qu'on pouvait trouver une intelligentsia organique d'hommes « noirs » qui, dans l'essai, la poésie, le théâtre, le roman, l'his- toriographie, consacraient des travaux de valeur à la

« réhabilitation de la race noire ». Déjà en 1885, Anté- nor Firmin était en mesure — de même que ses collègues Edmond Paul, Louis-Joseph Janvier, Hanni- bal Price — de combattre avec des arguments décisifs les thèses de Gobineau, de Quatrefages, Lapouge, et autres idéologues racistes, touchant « l'inégalité des races humaines ».

Mais en Europe, à la même époque, en riposte à l'offensive des théories pseudo-scientifiques qui accom- pagnaient le Congrès de Berlin (1884) où trois ou quatre empires se repartagèrent le monde, Georg Schweinfurth (1836-1925), précédant Léo Frobénius, dans la voie de la revalorisation de l'Afrique sub- saharienne, avait publié un ouvrage sur les cultures africaines. Longtemps avant ces deux pionniers alle- mands, en maintes occasions, dès la fin du Moyen

3. Anténor Firmin, De l'égalité des races humaines, F. Pichon, Paris. 1885.

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Age, de loin en loin, était parvenue à la connaissance de l'Europe la nouvelle qu'il existait des cultures et des civilisations en Afrique de l'Ouest Dès 1470, un voyageur portugais avait vendu à Charles le Téméraire des pièces sculptées sur bois provenant de l'Ouest africain. Quinze ans plus tard, en 1486, un autre Por- tugais, Diego Cao, avait acquis au Congo des statuettes en ivoire. Au début du XVI siècle, Ferdinand, archiduc du Tyrol, possédait des trompes en ivoire, en prove- nance d'un pays africain. En 1527, François-I put apprécier chez un de ses amis, un patricien de Dieppe, des statuettes en ivoire également originaires de la Nigritie. Michel Leiris rapporte également qu'au XVII siècle, un père jésuite, Athanasius Kircher, fonda à Rome un musée ethnographique, peut-être le pre- mier de l'Europe, qui exposait des œuvres d'art du Bas-Congo. Au même siècle, Dapper, un géographe hollandais, après une visite au Bénin (royaume du Dahomey), parla avec admiration, à son retour, des bas-reliefs en bronze qui l'avaient ébloui au palais des princes dahoméyens. Au XVIII siècle, ce sera le voya- geur et médecin d'Ecosse, Mungo Park (1771-1806) qui fera l'éloge des forgerons mandings pour les objets merveilleux qu'ils savaient tirer de l'or. Mais jusqu'à Schweinfurth et Frobenius, l'européo-centrisme qui prédominait déjà dans les pays qui forment « l'extrê- me cap de l'Asie » ne permettait pas de considérer comme de l'art des productions qui avaient des carac- téristiques différentes de celles des cultures gréco- latines. Dans les collections de riches amateurs d'art, elles étaient, dit Leiris, de simples « curiosités » exotiques. Dans le dernier quart du XIX siècle, les choses prirent un tour nouveau. En 1879, fut créé à Paris le musée ethnographique du Trocadéro. Quel-

4. Michel Leiris et Jacqueline Delange, Afrique noire, La création plastique (Col. L'Univers des formes), Gallimard, Paris, 1967.

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ques années plus tard, plusieurs expositions furent consacrées à l'art africain: Leipzig (1892), Anvers (1894), Bruxelles (1897), Dresde (1903). Au début du siè- cle, des auteurs allemands et anglais « découvrent » tout l'art ancien du Bénin (F. von Luschan, Read, Dal- ton, Pitt-Rivers, etc.) à la suite d'une expédition mili- taire britannique qui avait pillé les trésors de la ville et emporté vers les musées de Londres et de Berlin environ trois mille œuvres d'art en ivoire et en bronze Dès lors, entre le nouveau partage du monde, la nouvelle vague de colonisation, et le regard ethno- logique de l'Occident chrétien, se renforce un proces- sus, amorcé au XVIII siècle, de rapports réciproques d'expression. La connaissance anthropologique de l'Afrique, de son art, de ses cultures, de ses ethnies — comme de ses apports à la formation des sociétés métissées d'Amérique — passera plus ou moins direc- tement au service de l'ethno-européo-centrisme des empires modernes d'Occident. On verra naître de plus en plus une disproportion de type colonial entre le savoir que l'anthropologie acquiert des sociétés afri- caines et américaines et les médiocres résultats que les peuples tirent de ces savants travaux entrepris sur leur terrain. Mais cette dialectique qui lie historique- ment le couple colonialisme/anthropologie, agissant parfois dans un sens imprévu, inverse, donnera lieu à des phénomènes d'interculturation. Ce fait se pro- duisit, en Europe, pour la première fois, quand la découverte des arts sculpturaux d'Afrique coïncida avec la crise de l'impressionnisme et des modes plus ou moins naturalistes de figuration. Expressionnistes, fauvistes, et surtout cubistes, désireux d'explorer de nouvelles formes de création plastique, se chargèrent d'intégrer à leurs propres recherches les expériences africaines en matière d'art. Avant même la Première

5. Denise Paulme, Les Sculptures de l'Afrique noire, Presses universitaires de France, Paris, 1956.

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Guerre mondiale l'influence relative de l'Afrique s'éten- dra aussi à la poésie, au roman, à la musique. Avec le conflit une crise sans précédent commença à acca- bler la conscience et la sensibilité européennes. Cher- chant une nouvelle identité, artistes et poètes deman- dèrent des enseignements, des sensations, des émotions à « l'art nègre », au jazz, aux blues, aux danses des Etats-Unis et de la Caraïbe. A la même époque, paral- lèlement à cet intérêt des intellectuels d'Europe, arri- vaient sur les scènes de l'art et de la littérature des intelligentsias noires décidées, comme devait dire Nicolas Guillen, à hablar en negro de verdad. Outre en Haïti où ce réveil des esprits remontait aux années 1875-1910 (avec les Firmin, Janvier, O. Durand, Mas- sillon Coicou, Frédéric Marcelin, Fernand Hibbert, Justin Lhérisson, etc.), aux Etats-Unis, Du Bois, James Weldon Johnson, Alain Locke, après Paul Laurence Dunbar, intimement liés au peuple du jazz et du blues, préparaient le climat de renaissance où devait s'épa- nouir, quelques années plus tard, la génération des Langston Hughes, Countee Cullen, Sterling Brown, Claude McKay, Richard Wright, etc.

Aussi bien aux Etats-Unis qu'aux Antilles, les intel- ligentsias « de couleur » accueillirent favorablement l'ethnologie qui commençait à présenter sous un nou- veau jour les réalités dites nègres. Informés également des recherches des ethnologues, les intellectuels blancs d'avant-garde parvenaient à une sorte de reconnais- sance timide, nuancée d'humour, d'ironie, d'humani- tarisme amusé, touchant la valeur de l'apport africain au métabolisme des identités (latino)-américaines. Dès 1892, Ruben Darío fera du négrisme un des éléments esthétiques qu'on trouvera à toutes les étapes d'évolu- tion du modernisme et du post-modernisme sans toutefois atteindre la prémonition et la maturité

6. Mônica Mansour, op. cit., pp. 107-130.

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idéologiques de José Marti qui fut le seul intellectuel

« blanc » de l'Amérique-(latine), dans sa poésie comme dans ses essais, à poser les éléments d'une anthropo- logie libérée de tout sentiment de condescendance ou de paternalisme à l'égard de l'héritage africain de nos sociétés.

On ne peut dire autant du négrisme des autres modernistes ou post-modernistes : Diego Vicente Tejera, Manuel Serafin Pichardo, José Manuel Poveda, Jorge Luis Borgès, Alfonso Reyes, Felipe Pichardo Moya, Andrès Eloy Blanco, José Juan Tablada, Jorge Carrera Andrade ; ni du négrisme qui, de façon le plus souvent éphémère, féconda plus tard les œuvres de Miguel Otero Silva, I. Pereda Valdès, J.Z. Tallet, Ramon Guirao. et tant d'autres poètes et écrivains qui, dans leurs créations, accordèrent au « thème nègre » une place au soleil. La même observation est valable à propos des libéraux blancs nord-américains, qui, comme Vachel Lindsay dans les années 20, mirent une

« corde noire » à leur arc : Eugène O'Neill, dans ses pièces, The Emperor Jones (1920) et All God's Chillun Got Wings ; Waldo Franck (Holiday, 1923) ; Sherwood Anderson (Dark Laugther, 1925) ; Carl Van Vechten (Nigger Heaven, 1926) et d'autres, qui, confondant après la guerre crise du système capitaliste et crise de la civilisation tout court, continuèrent à voir dans les Nègres (avec leur musique, leurs chants, leurs danses, leur littérature orale et écrite) les bons sau- vages qui apportaient « un supplément d'âme » à un Occident fatigué de ses propres conquêtes techno- logiques...

Mais dans l'histoire des arts et des lettres, la ques- tion du négrisme est beaucoup plus complexe qu'elle ne paraît à première vue : elle n'est pas réductible à une simple mode, à un engouement passager, à une

« crise nègre », plus ou moins articulés aux préoc- cupations esthétiques des avant-gardes littéraires et artistiques du siècle. Le phénomène négriste est lié

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René Depestre est né à Jacmel (Haïti) en 1926. Poète de stature universelle, exilé de son pays depuis 1946, il a voyagé dans le monde entier. Il est l'auteur de livres dont la plupart ont été traduits en plusieurs langues, parmi lesquels Journal d'un animal marin (Pierre Seg- hers), Minerai noir, Un arc-en-ciel pour l'Occident chrétien (Présence Africaine), Le mât de Cocagne (Gallimard). Après avoir vécu vingt ans à Cuba, il réside aujourd'hui en France. Il a obtenu le prix Renaudot 1988 pour Hadriana dans tous mes rêves (Gallimard). Claude Couffon lui a consacré chez Seghers un volume dans la collection "Poètes d'aujourd'hui".

Bonjour et adieu à la négritude est le résultat de plusieurs années de recherche et d'expériences vécues dans différents pays de la Caraïbe et de l'Amérique latine. L'auteur passe au crible le processus historique qui devait intervertir l'ordre des apparences et de l'essence des êtres humains, en donnant une signification morale et esthétique à la couleur de leur peau et à leurs traits physiques. Ainsi se trouve démythifiée l'épo- que où, au visage du monde, le "noir" fonctionnait comme une verrue de l'Histoire, et le "blanc" comme un grain de beauté. Une fois décolonisées, les notions mythiques de "blanc", de "noir", de "jaune", de "métis" et d'"indien" révèlent ce qu'elles ont toujours été : des pièges grossiers, des signes de l'imaginaire du colonialisme, des figures illusoires de "l'inhu- manité de l'homme envers l'homme".

A travers une approche du mouvement qui a défini le concept de négri- tude, René Depestre plaide aujourd'hui pour une mutation d'identité qui ferait de tous les humains une glorieuse aventure individuelle et collective.

Adieu à la négritude, et après, qui être ?

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