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Collection dirigée par Bernard Delvaille

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Academic year: 2022

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JACQUES RÉDA

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Collection dirigée par Bernard Delvaille

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JEAN MICHEL MAULPOIX

Jacques Réda

Poètes d'aujourd'hui

SEGHERS

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TOUS DROITS DE REPRODUCTION, D'ADAPTATION ET DE TRADUCTION RÉSERVÉS POUR TOUS PAYS

© ÉDITIONS SEGHERS, PARIS, 1986 ISBN 2-232-10001-4

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JACQUES RÉDA

LE DÉSASTRE ET LA MERVEILLE

Le désastre prend soin de tout.

MAURICE BLANCHOT Il n'y a pas, il n'y a sans doute jamais eu de grand poète (et c'est pourquoi les religions du salut au fond ne les aiment guère), de poète si sombre, si désespéré qu'il soit, sans qu'on trouve au fond de lui, tout au fond, le sentiment de la merveille, de la merveille unique que c'est d'avoir vécu dans ce monde et dans nul autre.

JULIEN GRACQ

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I

Depuis la parution, en 1977, des Ruines de Paris, l'on n'est pas loin de faire, à propos de Jacques Réda, le même contresens pares- seux que celui qui contribua à maintenir dans l'ombre l'oeuvre de Cingria. Tracée à grands traits, la figure bonhomme du jazzophile piéton de Paris, pittoresque poète du bitume et des talus, du solex et du tabac, tend à éclipser les ambiguïtés de son œuvre.

Si Jacques Réda occupe une place très singulière dans le paysage poétique contemporain, c'est aussi qu'il reste à l'écart des préoc- cupations les plus insistantes de ce qu'on appelle «la modernité».

A la blancheur, la dislocation du langage, l'émiettement des for- mes, il réplique par des poèmes bizarrement versifiés, des proses verveuses, des paysages, des promenades ou des portraits. A la réflexion paralysante sur les possibilités de l'écriture, il substitue

«une lecture du jazz», aussi inspirée qu'attentive aux figures et aux formes. A ceux qui parlent savamment de la quintessence, il répond :

En ce qui me concerne — mais moi je ne suis qu'un amateur — l'excitation que vous cherchez à raviver autour de la création poétique me bassine de plus en plus. Il me semble que la poésie se prouve d'elle-même ou qu'elle n'existe pas.

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De tels propos rageurs ont sans doute contribué à accréditer l'image simpliste d'un poète dilettante et vagabond. Or son œuvre n'est étrangère à aucun des constats ou des questionnements sur lesquels se fonde la poésie moderne, mais elle les a assimilés et tend plus qu'une autre à réconcilier ce que la démarche poétique a d'aléa- toire, son déchirement ou sa poignance, avec un certain réalisme.

Plutôt que par le creusement et la raréfaction des moyens, c'est du cœur même de la substance que Réda communique le trouble où sa parole a sa source. Ses paysages sont travaillés par le désarroi, et sa langue est aussi bien la plus brillamment classique que la plus élec- trisée ou rompue...

Laissons donc le poète traverser à son rythme les banlieues de la modernité, loin de son laboratoire central, mais en compagnie de quelques inclassables véhéments qui entretiennent comme lui avec la littérature de conflictuels rapports, nourris d'autant de soupçon que de passion, et qui la tiennent, elle et ses questions, à respectable distance lyrique par le rigoureux travail de la forme. Souvenons- nous du mot de Gide: «le classicisme est un romantisme dompté», car paradoxalement il s'applique à Réda dont le phrasé minutieux (qui n'exclut ni la brisure, ni l'excès, ni surtout le rythme du parlé) s'avère la mise en forme d'une insatiable exigence d'absolu ramifiée en tracas et postulations contradictoires dont le désordre tout d'abord a menacé le poète jusque dans ses conditions d'existence.

Réda est classique à la manière du jazz que l'on qualifie ainsi, c'est- à-dire par résistance à l'emportement et dans le sentiment d'une sorte de limite naturelle au-delà de quoi mieux faire ne se peut. C'est contre la littérature et avec elle que le poète, comme en se jouant de soi, s'affranchit «dans l'équivoque d'une liberté indéfinie». Comme Teddy Wilson face à son piano, il a introduit dans sa poésie une réserve consistant à laisser se dire, plutôt que celle de l'instrumen- tiste, la sensibilité de l'instrument. Ses recueils, au fil des ans, tradui- sent un souci croissant de faire parvenir le vers ou la prose à leur pleine vitalité musicale.

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D'une manière plus radicale encore, Réda en vient à considérer la poésie telle une « inflexion anonyme », « commune aux voix les plus diverses », bien que par ailleurs l'amour qu'on lui porte soit celui de l'inimitable. Évoque-t-il dans L'herbe des talus telle partie de pêche au bord de la Meurthe, ou de football sur un terrain pelé de banlieue, qu'il y parle à peine de lui-même, mais de cette forme quasiment dissoute que le «je» devient dans l'encre. Plutôt que sa propre figure ou vision du monde, c'est un ton unique que le poète impose,

«résumé dans ses cadences et sa ponctuation». D'où la prépondé- rance dans cette œuvre de l'élément musical qui apparaît telle une plénitude en ruine au terme de l'ascèse, de la dépossession. La poésie découvre sa valeur dans la possibilité qu'elle offre à l'être solitaire d'atteindre «à la crête d'impersonnel» en «épousant la singularité de sa propre cadence». L'orgueil de l'écrivain tient à son effacement : il est celui qui aide l'impersonnel à « s'établir fugitive- ment dans la parole», et il n'a guère d'identité que par ce qu'il accueille, ce qui le visite et vient parler excessivement en son creux déserté. Réda ajoute:

On est poète toute sa vie, mais en négatif le plus souvent, dans l'attente et dans l'inquiétude. Il aurait fallu ne jamais commencer.

Comme le précise le titre de l'ouvrage où Réda a rassemblé l'essentiel de ses réflexions, la poésie est «celle qui vient à pas légers», la silencieuse, la fugace, qui fait signe mais ne ré- pond pas. On croit la contraindre, on parle de «travail» ou d'« écri- ture», mais son consentement ne peut être forcé. Elle a les traits subtils et dérobés d'un ange, et la tentation est grande de tradui- re en termes religieux la pratique de la poésie: états de grâce, abandons, sentiment de chute et culpabilité corrélative, péchés divers contre l'esprit. Réda se méfie de cette religiosité qui

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contredit l'impersonnalité recherchée ; plutôt que la venue de l'ange, son retard l'intéresse. Seule est essentielle la parole que rien ne supporte, qui ne sait pas vers où elle s'aventure, mais progresse «dans l'abandon vers quelque incertaine ressource». Une telle conception du poétique situe Jacques Réda au cœur de la modernité.

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II

Jacques Réda est né à Lunéville, le 24 janvier 1929. Il a lu Mickey et Bibi Fricotin avant Racine et Rimbaud, il a étudié chez les jésuites, pratiqué le football, puis goûté le jazz, le vin rouge et les cigarettes. Ajoutons qu'il roule à solex, et nous voici revenus à la case départ, parmi ces clichés sympathiques dont la critique fait son régal.

La biographie, en fait, est ici de peu d'importance. A quoi bon éclairer davantage les détails d'une intimité dont le poétique livre la substance par bribes éblouies? Dans ses premiers recueils, Réda suggère quelques images de son enfance: Lunéville, ses casernes de dragons, le père «au dolman noir», l'église, le collège, la cuisine de province, «l'odeur du lait qui chauffe et les cris des enfants». Dans la prose de L'herbe des talus, il se livre davantage, mais ses souve- nirs ne le reconstruisent pas, ils se relèvent dans la mémoire comme les brins d'une herbe opiniâtre, ils restent à l'abandon, ce sont des ruines. Si la biographie importe peu, c'est surtout qu'il s'y superpose l'épreuve déchirante de la déréliction qui, sans répit, chasse le poète loin du cœur paisible de l'origine et le rejette vers des périphéries de plus en plus incertaines où le moi tend à se confondre avec un paysage désolé de plâtras. Réda en dit autant sur lui-même en évoquant à Vélizy la lumière lugubre d'avril qu'en se remémorant telle rencontre qu'il fit un jour au hasard dans Londres. Plutôt que

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de substance, sa mémoire est faite de trous par où s'engouffre un vent impitoyable qui disperse le passé. Ainsi, dès le deuxième poème d'Amen, l'enfance apparaît-elle comme une cime ancienne, une maison où s'effacent «les traces du bonheur obscur» et dont le souvenir coïncide avec le défaut. Le sentiment ravageur du temps contraint l'intime à se déplier dans l'impersonnel. L'enfance fut le lieu même de la déréliction, lointain et minuscule territoire égaré, comme celui que délimite un « soldat de plomb perdu dans l'herbe ».

Réda ne lui porte donc aucune sympathie particulière. Dans L'herbe des talus, il écrit:

A dix ans j'étais déjà vieux. Beaucoup plus tard, ensuite, j'ai rajeuni. Mais il m'en est resté le désenchantement qu'apportent les expériences précoces.

L'inspiration élégiaque des premiers recueils de Jacques Réda ne saurait donc s'expliquer par la nostalgie de l'enfance : il convient de situer en amont de celle-ci le défaut d'être qu'elle pressentit et sur quoi se fonde la poignance des souvenirs. La détresse du poète a sa source en deçà de toute biographie, dans le souci de quelque hypo- thétique patrie dont ce monde-ci serait la ruine. Ce site improbable échappe à la localisation comme à la dévoration du temps, il ne peut être rejoint que fugitivement, au gré des traces obscures qu'il a laissées et que s'attache à déchiffrer la poésie. D'abord immobile, comme fasciné par la réouverture impossible du réduit où il est imparti à tout homme d'exister, Réda parvint ensuite à imprimer son propre mouvement à ce séjour restreint dont il se fit l'explorateur et le témoin. Ce n'est pas le vaste monde qui dès lors le requiert, mais de modestes parcours dans la ville et ses banlieues proches : loin de fuir vers l'ailleurs, il tourne sur des périphéries, et si quel- que voyage le conduit jusqu'à Vienne, Prague, Athènes ou Buda- pest, c'est pour y vérifier encore sa propre condition, non pour s'en affranchir.

A considérer de près les six principaux livres publiés par Réda

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depuis 1968, il apparaît que le désarroi et la nostalgie, dont s'alimente la parole d'Amen et de Récitatif, atteignent une sorte de paroxysme dans La Tourne où cette crise tend à se résoudre lorsque l'expression élégiaque cède la place à l'évocation des paysages urbains qui seront ensuite le cadre des Ruines de Paris et de Hors les murs. Il y a, au fil de ces livres, comme la recherche d'une plus juste posture vis-à-vis de soi-même, du monde et du temps. Ainsi que le suggère son titre, La Tourne est un virage, autant qu'un consente- ment à la répétition du même passage cyclique de l'incertitude et de l'espérance, du silence et de la parole. Réda rompt avec la tiédeur mélancolique du passé lorsqu'il se résout à l'aléatoire comme à l'absence d'identité et d'enracinement : il se découvre un site qui est la ville et un mouvement fait de départs et de retours. La douce odeur du lait qui chauffe au cœur d'une cuisine de province « dans le temps de Noël » est alors rejetée avec brusquerie :

Aussi j'entends sur le réchaud la berceuse du lait qui tourne.

Bon lait chaud d'autrefois je ne supporte plus, qu'il caille Et crève sur le gaz étroit. Dors. Dors, laisse-le dire.

En fait, l'on se fourvoierait à entendre dans ce poème, comme dans le recueil auquel il appartient, un profond reniement : l'œuvre est des plus unies, elle se conforte à mesure qu'elle découvre ses propres ressources. A l'inquiétude qui la travaille, elle n'apporte de réponses que poétiques, délaissant peu à peu l'expression directe du souci au profit d'un discours oblique : cela par quoi le poète est venu à la parole finit par se reconnaître comme le propre de celle-ci et n'a plus besoin pour se dire de parler à voix haute. La part de plus en plus importante prise par la prose traduit le rapprochement fécond du poétique et de la vie. Réda parvient à inscrire concrètement dans l'espace de son propre transit l'inconsolable défaut d'être qui devient ainsi paysage. Lui-même explique sa préférence pour le palpable par quelque chose de paysan, et peut-être de romain qui le préserverait de se laisser duper et affaiblir.

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Il serait donc arbitraire d'établir à l'intérieur de l'œuvre publiée de Réda des divisions nettes, et notamment d'y opposer vers et proses qui subsistent conjointement depuis 1975. En observant la chrono- logie de ces publications, il semble cependant que trois groupes d'inégale importance puissent être dégagés.

Le premier rassemble quatre plaquettes parues entre 1952 et 1955. Aujourd'hui récusées par leur auteur qui n'y fait plus aucune référence, elles ne seront pas ici l'objet d'une étude particulière. La première, Les inconvénients du métier (Seghers, 1952), présente une suite de poèmes fantaisistes en prose influencés par Michaux et les surréalistes. On y voit apparaître déjà la hantise des murs, ainsi que la figure du promeneur solitaire pour qui la chaussée est «un tapis roulant magique». La ville s'avère le lieu privilégié des turbulences de l'imaginaire qui mêlent dans ce premier essai le lyrisme, et le farfelu. La deuxième plaquette a pour titre All stars (Debresse, 1953), ce qui désigne, en argot de jazz, «la réunion, pour une brève série de concerts ou d'enregistrements, de musiciens particulièrement célèbres, sans aucune considération d'affinités de style ou de tempé- rament». C'est là le premier recueil de vers de Jacques Réda, très lyrique, exclamatif, riche d'images et de métaphores, où quelques formules surprennent par leur force singulière, tels les deux premiers vers du poème intitulé « Charlie Parker» : L'oiseau magique / chante avec des rasoirs de nacre dans la gorge. Dans la troisième et la quatrième plaquette, les thèmes propres à Réda s'affirment plus nettement encore. Ainsi l'un des poèmes de Cen- dres chaudes (Les Lettres, 1955) invite-t-il à cheminer avec l'a- mande amère du désir de comprendre / qui n'en finira pas de fondre dans la bouche. Le sentiment apparaît déjà que dans le monde urbain un paysage reste en souffrance car quelque chose s'oppose au déploiement des pavillons lyriques. De même, dans Labou- reur du silence (Cahiers de Rochefort, 1955) qui ne réunit que neuf pages d'hexasyllabes ou d'alexandrins rimés, découvre-t-on l'une des images les plus insistantes d'Amen, celle d'une porte entre-

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bâillée sur l'horizon qui n'autorise que d'improbables échappées.

Puisque Réda jette aujourd'hui un regard sévère sur ces premiers essais pourtant prometteurs, force est de considérer que son œuvre débute réellement, après un «blanc» de treize années, avec la publi- cation aux éditions Gallimard de trois recueils de poèmes en vers : Amen (1968) suivi de Récitatif (1970) et de La Tourne (1975) où réapparaît par trois fois la prose et qui annonce une étape nouvelle...

Ces livres forment un ensemble cohérent et constituent une médita- tion lyrique où le poète prend appui sur « un fondamental désastre », interroge son identité et cerne avec empressement le champ de sa propre parole. La volonté de naissance ou de renaissance apparaît là d'autant plus manifeste que le premier et le cinquième poème d'Amen (titre paradoxal qui fait du recommencement une conclu- sion) sont respectivement intitulés « Mort d'un poète» et «Naissance de Virgile R. », comme pour signifier qu'un véritable départ est ici donné à l'œuvre et à l'existence, mais que nulle solution ne peut être espérée hors la reconquête inlassable d'un assentiment précaire dont le poème serait le lieu. La même inquiétude ontologique travaille ces trois livres qui scrutent le même défaut d'être et se cognent tour à tour contre l'impassibilité du monde. De l'un à l'autre cependant, l'attitude du poète évolue : il prend confiance en ses moyens et, dès Récitatif, commence de sortir de son immobilité végétative pour déployer une voix plus ample qui interpelle la réalité avec plus de brusquerie. Avec La Tourne, un virage est amorcé, qui est aussi bien métamorphose que reprise et répétition : au désarroi de l'intériorité se superpose celui de la cité humaine, et le poète observe au-dehors de soi les figures de son propre souci, éliminant ainsi pour de bon le risque toujours menaçant de se laisser aveugler par la nostalgie et de tourner le dos au monde. On notera que ce recueil est le seul où les

* Sans oublier Le mai sombre, mince plaquette bilingue de poèmes (traduits en italien par Maria Ranghino), éditée en 1968 à Luxembourg par Origine, une revue franco-italienne, et dont certains textes seront repris dans Récitatif.

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textes ne sont pas titrés : ils emportent dans l'orbe de leur méditation nomade les voix désormais enchevêtrées de l'intime et de l'imperson- nel, du moi et des autres, de la ville et de la mémoire. Du primordial regret, ils font en définitive une syntaxe et tentent plus résolument d'établir en surplomb de l'élégie la vérité précaire de la parole, cela sans le secours d'aucune théorie, mais selon l'émerveillante capacité combinatoire du poème.

Avec Les Ruines de Paris (Gallimard, 1977) s'ouvre alors une nouvelle période qui défend et illustre les fragiles conquêtes arrachées par les recueils précédents. Au fil de publications nombreuses (une dizaine à ce jour), Réda suit plusieurs voies, paral- lèles ou convergentes qui le conduisent à parcourir les villes et les banlieues, à visiter les gares, à prendre les trains, à se laisser empor- ter par le jazz ou à flâner dans son propre passé sur une bicyclette motorisée aussi inspirée que celle de Cingria. Depuis 1977, son œuvre n'a cessé de s'ouvrir et de s'émanciper, allant et venant entre poème et prose, paysages et commentaires, toujours conduite par le même mouvement d'improvisation et de flânerie et s'alimentant du même désarroi. Elle évoque une espèce de rocaille, de parterre poétique aux coloris surprenants, de terrain vague où se récupèrent quantité d'objets et de créatures perdus et déclassés, des bribes de paroles, des tôles et des méditations. Sur le désastre ontologique recroît ainsi la «vigoureuse végétation des ruines» qui implique une langue aux inflexions nombreuses, musicale, «souple et heurtée», capable, selon le vœu baudelairien de «s'adapter aux mouvements lyriques de l'âme , aux ondulations de la rêverie, aux soubresauts de la conscience». Cette parole vagabonde et savamment naïve cueille le poème à fleur de terre, un rien l'inspire et l'enchante, elle se fait voyante, non du spectaculaire mais de l'infime, et progresse vers plus de concret, de réalisme et de familiarité sans jamais verser dans le prosaïsme. Dans le même temps, les libertés conquises par l'écri- ture accroissent le caractère aléatoire de l'identité du poète. Inter- rogée avec inquiétude dans les premiers recueils, celle-ci paraît se

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résoudre à ne pas se fixer. D'où cette figure matoise de trouvère bonhomme et bourru qui l'emporte heureusement en fin de compte sur la silhouette éthérée du poète tracassé. Réda écrit à l'aventure : Poète, on ne l'est guère que quelques années dans une vie et, durant ces années, quelques mois ou semaines (je dirais volon- tiers: minutes); qui plus est sans pouvoir sur le retour de ce saisissement qui nous exclut.

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III

Mais qu'il soit dit ici que j'accepte et ne demande rien

Pour prix d'une soumission qui porte en soi la récompense.

Amen est certainement le plus élégiaque des recueils de poèmes de Jacques Réda. L'éloignement, le seuil, le crépuscule, la fuite du temps, la mort, l'automne et la pluie, y composent avec insistance l'atmosphère mélancolique caractéristique de celle que Boileau dénommait «la plaintive élégie en longs habits de deuil» et dont Schiller a précisé qu'elle apparaît «si la nature est représentée comme perdue et l'idéal comme n'étant pas atteint» *. Or, dans Amen, le poète regarde surtout vers l'arrière, il évoque le monde au passé, tel un « bracelet perdu », sur le mode du déclin et de la dispari- tion. Sa parole cependant reste plus méditative que plaintive et s'inquiète davantage de l'âme que du sentiment. Le désarroi de la finitude et de l'exil fondent ici le poème qui s'obstine à rendre habi- table le lieu où l'homme est jeté. Rien ne saurait être fondé que la parole n'ait mis à l'épreuve et qui ne prenne en elle seule son départ

* Schiller, Poésie naïve et poésie sentimentale, Ed. Aubier, p. 157.

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JACQUES REDA.

Né à Luné ville en 1929, Jacques Réda est de ces flâneurs à l'instar des écri- vains qu'il aime, Fargue ou Cingria, rares dans la poésie présente, qui réconcilient l'aléatoire de la démar- che poétique avec un certain réa- lisme.

Ici, pas de dislocation des formes, mais des torsions, des subversions singulières, propres à renouveler les rythmes de la métrique.

Les paysages et les passants de Réda

n'ont rien à craindre du pittoresque : ils sont ruinés de l'intérieur. On ne

saurait dissocier chez ce poète amou-

reux du jazz le sentiment du désastre de celui de la merveille.

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