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époques est une collection

dirigée par joël cornette

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SERVIR NAPOLÉON

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du même auteur

Gendarmes et policiers dans la France de Napoléon : le duel Moncey-Fouché, Maisons-Alfort, SHGN-Phénix Éd., 2002.

La France rébellionnaire. Les résistances à la gendarmerie (1800-18659), Rennes, PUR, 2008.

L’Empire des Français, 1799-1815, Paris, Éditions du Seuil, « L’Univers Historique », 2012.

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Aurélien Lignereux

SERVIR NAPOLÉON

POLICIERS ET GENDARMES

DANS LES DÉPARTEMENTS ANNEXÉS (1796-1814)

Champ Vallon

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Carte 1. La France des 130 départements.

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INTRODUCTION

Le 27 mars 1812, dans un « Appel au public » inséré dans les Feuilles d’af- fi ches, annonces et avis divers de Groningue, M. Hiron, après s’être défendu d’avoir été « employé en aucune manière dans la Police », précisait toutefois, avec malignité, que « tous les Emplois tendent à remplir les vœux et le but de Sa Majesté, dont le trône dépend aussi de la police ». Considérée après deux siècles d’études napoléoniennes, voilà une remarque qui sonne comme un constat d’évidence, tant est notoire le rôle des agents de Fouché, et tant il est admis que la police, centralisée et autoritaire, a constitué l’un des instruments de gouvernement les plus effi caces et les plus emblématiques de Napoléon.

En revanche, publiée dans le cadre étroitement contrôlé et intellectuellement compassé d’un journal départemental en 1812, cette petite note bruissant de sous-entendus subversifs ne pouvait pas manquer de faire scandale, en dési- gnant le pilier honteux d’un Empire de gloire, et en dévoilant les dessous intrusifs et coercitifs d’un régime en quête de légitimité et de consensus. L’in- dignation qu’exprime alors Devilliers du Terrage, le propre directeur général de la police en Hollande, en dit long sur l’ambivalence d’un pouvoir policier qui, pour ses succès autant que pour l’image du régime, doit rester discret1.

L’épisode est révélateur des bases précaires d’un État ombrageux, de son recours à des indicateurs et de l’opprobre qu’inspirent de telles pratiques. On aurait tort pourtant d’en limiter la portée à une pièce à charge à verser dans le vieux débat sur la nature de l’Empire, entre despotisme éclairé et césarisme démocratique, entre dictature militaire et régime policier. L’historiogra- phie napoléonienne a tellement peiné à sortir de l’âge des polémiques qu’il convient d’emblée d’adopter d’autres questionnements2. Au-delà de l’art machiavélien de dissimuler les rouages de l’Empire, cette anecdote ouvre en effet de nouvelles perspectives, pour peu que l’on considère non plus la tête

1. Le directeur général de la police au conseiller d’État chargé du 1er arrondissement de police, 31 mars 1812, AN, F7 8377. Neveu d’un lieutenant-général au service de la Hollande, Hiron s’y est installé à son tour en 1810. Il s’estime en butte à une cabale pouvant lui coûter cher dans la course aux places au sein du petit cercle des Français résidant dans cette pointe septentrionale de l’Empire qu’est l’Ems-Occidental.

2. Natalie Petiteau, Napoléon, de la mythologie à l’histoire, Paris, Seuil, 2004 [1999], 458 p.

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INTRODUCTION

du pouvoir, mais ses agents, afi n d’en examiner les activités professionnelles et les opportunités de carrière. De fait, l’honneur de servir l’Empereur, et de s’assurer ainsi une position sociale et des prérogatives appréciables, peut se concilier avec un poste dans la police à condition de ne pas en faire étalage.

Des jeunes gens bien nés n’hésitent pas à affi rmer leur « désir ardent de se lancer dans la carrière de la police », à l’instar de Joseph Bianchi, fi ls d’un riche propriétaire ligure, frère cadet du chef du secrétariat à la préfecture de Gênes et d’un juge au tribunal prévôtal des douanes1. De même, anticipant la création d’un poste de commissaire spécial à Nice en 1811, son compatriote Antoine Riccardi, ancien capitaine dans l’armée sarde devenu commissaire de police à San-Remo en 1805, manifeste son « zèle ardent de servir [s]on maître avec honneur »2. Les missions délicates qui incombent aux policiers faisant d’eux les sentinelles du régime, c’est l’évidence de ce rôle crucial qui leur apporte la fi erté politique et professionnelle à défaut de prestige et de respectabilité. Jean-Guillaume Haw, fi ls d’un ancien conseiller de l’électeur de Trèves, en témoigne. Licencié en droit à Paris, cet auditeur au conseil d’État peut prétendre à une belle carrière. Attaché à la cour impériale de Trèves comme juge auditeur, il brigue d’abord la place d’avocat général près d’une cour d’appel, avant de faire le pari d’un poste dans la Police générale.

Nommé secrétaire général de la police en Hollande le 14 novembre 1810, il laisse éclater sa satisfaction à l’idée que cette place lui « ouvre une carrière qu’il [lui] est agréable de parcourir parce qu’elle […] offre plus particuliè- rement de faire remarquer d’une manière avantageuse le zèle qui [l]’anime pour le service de S.M. l’Empereur »3. Aussi ostentatoire soit-elle, une telle allégeance donne une première prise pour mieux situer le moment impérial dans le champ dynamique de l’histoire de l’administration4, et ainsi mettre en lumière un autre type d’« hommes de Napoléon »5, son armée de l’inté- rieur, celle de ses fonctionnaires – de la même manière que « l’autre guerre » napoléonienne, celle menée contre les bandits et les guérilleros, a désormais conquis la place qui lui revenait6.

1. Le directeur général de la police des départements au-delà des Alpes au ministre de la Police générale, 1er septembre 1812, AN, F7 9827. Joseph Bianchi est nommé commissaire de police à Novi le 21 décembre 1812.

2. Le commissaire de police à San-Remo au ministre de la Police générale, 8 octobre 1811, AN, F7 9824.

3. Haw au ministre de la Police générale, 4 décembre 1810, AN, F7 8374A. Sur la suite de sa carrière : Roger Dufraisse, « Les notables de la rive gauche du Rhin à l’époque napoléonienne », RHMC, XVII, 1970, p. 760.

4. Champ auquel nous rattache le surtitre ; citons Marc-Olivier Baruch, Servir l’État français. L’administra-

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INTRODUCTION

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Étudier les agents de l’État dans les départements annexés à la France, c’est-à-dire incorporés à son système politique et administratif, offre comme un effet de loupe à l’historien. Ce n’est que replacé dans le cadre d’une terre hier étrangère, où une hostilité de fond sape la domination française, que l’incident liminaire revêt toute sa dimension : la négligence du préfet autochtone (Hindrik Ludolf Wichers est né à Groningue) à cen- surer une telle insolence est interprétée par Devilliers comme une provoca- tion qui refl éterait l’« horreur » de ce préfet, pourtant chevalier de l’ordre de la Réunion, pour « la réunion et le système français »1. Inscrit au sein d’un confl it de pouvoirs caractéristique, cette dissension interne à l’appareil d’État invite opportunément à se prémunir contre une appréhension par trop binaire des oppositions, et donc à se détourner de ces autres querelles historiographiques que sont le bilan de l’impérialisme français – dont la police fi gure au passif – et l’antienne des résistances dites nationales.

En effet, l’essor révolutionnaire de l’État et l’expansion territoriale de la France portent en eux d’autres enjeux. Il y a d’abord la formidable pression des événements, dans un contexte d’opérations militaires, d’occupation et d’imposition d’un nouvel ordre civique, propre à dramatiser l’exercice au quotidien des tâches du gouvernement à une échelle spatiale inédite : compter et prélever, interroger et informer, consulter et contrôler, rallier et récompenser, surveiller et punir… Atteindre ces objectifs suppose un niveau d’encadrement des populations que seul peut fournir un effort de recrutement ; or la tâche s’annonce diffi cile puisqu’elle doit concilier des exigences potentiellement contradictoires, entre loyauté politique et com- pétence professionnelle, entre expérience du terrain local et connaissance des lois de la métropole, entre mise au point de nouveaux savoirs adminis- tratifs et nécessité de s’appuyer sur les pratiques antérieures. L’édifi cation du Nouveau Régime dans les départements réunis, face à des populations rétives, met à nu les ambiguïtés de l’entreprise impériale.

Sous-jacent à bien des ouvrages sur la période, ce nœud problématique n’avait pourtant guère été démêlé au niveau des acteurs avant l’approche de Stuart Woolf, dont l’autorité et le rayonnement attestent le défi cit biblio- graphique qu’elle comble, en partie seulement2. En France, les études napoléoniennes ont longtemps formé un huis-clos historiographique, sans vraies assises ni ouvertures universitaires, où ont pu perdurer des postu- lats méthodologiques indéniablement vieillis. S’il est permis de dresser ce bilan, c’est que justement la situation évolue rapidement sous l’aiguillon d’interrogations prometteuses. Au nombre des « voies nouvelles »3, il faut

1. Le directeur général de la police des départements au-delà des Alpes au ministre de la Police générale, 1er septembre 1812, AN, F7 9827.

2. Stuart Woolf, Napoléon et la conquête de l’Europe, Paris, Flammarion, 1990, 396 p.

3. Natalie Petiteau (dir.), Voies nouvelles pour l’histoire du Premier Empire : territoires, pouvoirs, identités, Paris, La Boutique de l’Histoire, 2003, 302 p.

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INTRODUCTION

assurément ajouter les travaux sur la police et la gendarmerie. Même si le patrimoine historiographique napoléonien semble imposant en la matière1, porté par la fi gure de Fouché et par des sources aussi sollicitées que les bulletins de police, force est de convenir des insuffi sances de cette produc- tion, centrée sur Paris et polarisée autour de deux tendances : d’une part, le champ strict d’une histoire institutionnelle, privilégiant la lettre des lois, décrets et arrêtés ; d’autre part, une histoire des grands policiers voire le récit d’enquêtes policières restreintes en pratique aux complots.

Doté d’une richesse, d’un charme et d’une utilité indéniables, ce legs, sauf exceptions2, s’avère en complet porte-à-faux avec les manières actuelles d’envisager la police. En effet, une succession d’initiatives scientifi ques a rénové le domaine du maintien de l’ordre, et les dernières années ont vu s’ouvrir un authentique moment historiographique3, dont vient de prendre acte une première synthèse globale quoique centrée sur les xxe et xxie siècles4. Des approches anglo-saxonnes, qui ont su valoriser les dividendes engrangés par les premiers travaux sur la police comme indicateur de la croissance de l’État, il est ressorti d’une part, une catégorisation des forces de police consacrant le modèle d’une police continentale, à statut militaire et à vocation rurale5 – perspective aujourd’hui remise en question6 mais qui a eu sa vertu heuristique –, et d’autre part, une contribution signifi cative aux modes de diffusion de l’État-Nation dans l’Europe du xixe siècle7. L’ère napoléonienne en constitue la matrice, à l’heure où l’État issu de la Révo- lution investit de nouveaux champs d’action, tout en spécialisant ses admi- nistrations : la police perd défi nitivement son sens de bon gouvernement pour désigner la branche chargée de la tranquillité publique. La rupture est

1. Pour une synthèse des acquis : Jean Tulard, « L’organisation de la police », dans Michel Aubouin, Arnaud Teyssier, Jean Tulard (dir.), Histoire et dictionnaire de la police : du Moyen âge à nos jours, Paris, Robert Laffont, 2005, p. 268-305.

2. Notamment les notes pionnières de Jean Tulard sur le recrutement et le travail des commissaires de police : Paris et son administration (1800-1830), Paris, Commission des travaux historiques, 1976, p. 140-144.

3. Vincent Milliot, « Histoire des polices : l’ouverture d’un moment historiographique », RHMC, 54 2007- 2, p. 162-177.

4. Jean-Marc Berlière et René Lévy, Histoire des polices en France de l’Ancien Régime à nos jours, Paris, Nouveau Monde éd., 2011, 768 p.

5. Clive Emsley, « Évolution de la gendarmerie en milieu rural de l’Empire à nos jours », Les Cahiers de la sécurité intérieure, 11, novembre 1992-janvier 1993, Gendarmeries et polices à statut militaire, p. 25-41 ; « A Typo- logy of Nineteenth-Century Police », Crime, histoire et sociétés, 3, 1999, p. 29-44. Ce n’est là que l’un des points de départ d’une réfl exion portée par l’International Centre for the History of Crime, Policing and Justice (Open University), qui a démythifi é l’expérience anglaise sans pour autant renoncer au contraste avec les polices conti-

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INTRODUCTION

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encore redoublée dans les départements annexés, où les polices françaises sont perçues comme le fer de lance de la Grande Nation. La gendarmerie, exemple achevé de cette nouvelle police disciplinée au service d’un État nouveau, a déjà donné lieu à de fortes pages1.

Grâce au chantier ouvert à l’université Paris IV- Sorbonne par Jean-Noël Luc, cet intérêt pour le corps est désormais systématisé. La vague de mémoires universitaires2 ainsi que la publication d’un guide de recherches3 prouvent la richesse du gisement. Pour la période napoléonienne, ces travaux auront per- mis de revisiter de façon circonstanciée quelques-uns des lieux de mémoire du corps – l’Inspection générale sous la direction du maréchal Moncey ou la gendarmerie d’Espagne. Quant au programme CIRSAP, soutenu par l’Agence Nationale de la Recherche, sur la circulation et la construction des savoirs policiers européens, il a consacré, sous la direction de Catherine Denys, la visibilité et la fécondité des études policières. Outre sa capacité à fédérer et à démultiplier les recherches au niveau international4, l’intérêt de ce programme tient à l’approche comparée des polices, saisies dans la conti- nuité des fonctions par-delà leur pluralité, en rupture avec les études étroite- ment institutionnelles et nationales. Un tel décloisonnement a su tirer profi t de la mise en évidence de la construction du droit de police à l’âge classique, et de la remise en cause de ce cadre normatif par l’affi rmation d’une police moderne, réactive, dans la seconde moitié du xviiie siècle. Le glissement de l’un à l’autre est néanmoins tempéré par l’inertie des techniques détermi- nées par cet invariant qu’est l’adaptation constante à l’espace social5. Affran- chies de l’horizon exclusif de la police parisienne, ces approches poussent à la révision de l’histoire policière en Europe sous la domination de Napoléon, c’est-à-dire à dissocier le constat de l’exportation des institutions françaises du concept vacillant de « modèle »6, et à retrouver la spécifi cité du moment impérial dans le temps long des échanges policiers.

Les remaniements de la carte de l’Europe ont abouti non seulement à la confrontation de traditions policières contrastées, mais encore et sur-

1. Michael Broers, « La gendarmerie et le maintien de l’ordre public dans l’Italie napoléonienne, 1800- 1814. Institutions françaises et société baroque : la culture et la police », dans Xavier Rousseaux, Marie-Sylvie Dupont-Bouchat et Claude Vael (dir.), Révolutions et justice pénale en Europe. Modèles français et traditions nationales (1780-1830), Paris, L’Harmattan, 1999, p. 179-187 ; « Policing the Empire : the Pacifi cation of Europe », dans Philip G. Dwyer (dir.), Napoleon and Europe, Londres, Longman, 2001, p. 153-168.

2. Au 1er janvier 2010, soit en dix ans de recherches, 108 mémoires avaient été soutenus (70 maîtrises ou Master 1, 28 DEA ou Master 2, 10 doctorats), 22 autres étaient en cours à cette date.

3. Jean-Noël Luc (dir.), Histoire de la maréchaussée et de la gendarmerie. Guide de recherches, Maisons-Alfort, SHGN, 2005, 1 105 p.

4. Des contacts répétés entre historiens européens de la police ont été également noués à la faveur des colloques organisés par Livio Antonielli à Messine. Les actes paraissent régulièrement dans la collection « Stato, esercito e controllo del territorio », chez l’éditeur Rubbettino.

5. Paolo Napoli, Naissance de la police moderne. Pouvoir, normes, société, Paris, La Découverte, 2003, 308 p.

6. C’est cependant à ce patron que l’on doit l’une des meilleures analyses de la police napoléonienne (Jean- Marc Berlière, « Un «modèle napoléonien» de police ? », dans Jean-Jacques Clère et Jean-Louis Halpérin, (dir.), Ordre et désordre dans le système napoléonien, Paris, La Mémoire du Droit, 2003, p. 177-186).

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tout à la cohabitation imposée entre des peuples attachés à cultiver leurs différences. La réfl exion sur le mot d’ordre civilisateur1 et la mise en évi- dence de tendances ségrégatives de la part des fonctionnaires français expa- triés2 ont suscité un vif débat sur la pertinence de la notion d’impérialisme culturel3, qui brouille la distinction, indiscutée jusqu’à ces dernières années pour la période napoléonienne, entre l’Empire (continental) et les colonies (outre-mer). Éloquents mais limités à la péninsule italienne, ces aperçus sont contredits par les enseignements d’une plongée dans le quotidien des conscrits et des gendarmes d’un canton de la Meuse-inférieure4. Pour dépasser le relevé des contrastes au gré des territoires étudiés – ce dernier département fi gurant au nombre des plus dociles à l’ordre conscriptionnel et gendarmique –, il importe de conduire une analyse systématique des principes, des personnels et des pratiques des polices françaises en terre annexée. Panoramique, cette approche servira de test décisif. Sans nulle- ment les assimiler d’emblée au colonial policing, cette discussion ne peut que profi ter de l’installation récente des polices coloniales britanniques5, fran- çaises6, belges ou néerlandaises7 sur le devant de la scène historiographique.

Dès à présent, les acquis de cette dynamique d’ensemble doivent servir de levain aux nouvelles histoires de la police. Premièrement, il n’est plus envisageable d’aborder celle-ci en se référant à quelque tempérament policier inné, comme y a incité l’ombre de Fouché8 : la police est d’abord et avant

1. Stuart Woolf, « French Civilization and Ethnicity in the Napoleonic Empire », Past and Present, 124, août 1989, p. 96-120.

2. Michael Broers, « Cultural imperialism in a European context ? Political culture and cultural politics in Napoleonic Italy », Past and Present, 170, février 2001, p. 152-180 ; « Les Français au-delà des Alpes : le laager français en Italie de 1796 à 1814 », dans Nicolas Bourguinat et Sylvain Venayre (dir.), Voyager en Europe de Humboldt à Stendhal. Consciences nationales et tentations cosmopolites, 1790-1840, Paris, Nouveau Monde éd., 2007, p. 71-94.

3. Michael Broers, The Napoleonic Empire in Italy, 1796-1814. Cultural Imperialism in a European Context ?, Basingstoke, Palgrave Macmillan, 2005, 368 p. ; Geoffrey Ellis, « The nature of Napoleonic imperialism », dans Philip G. Dwyer (dir.), Napoleon and Europe, op. cit., p. 101-108 ; Steve Englund, « Historiographical review.

Monstre sacré : the question of cultural imperialism and the Napoleonic Empire », The Historical Journal, 51, 2008-1, p. 215-250. La notion a fait l’objet d’un examen en règle pour être en défi nitive validée dans le champ spécifi que du théâtre (Rahul Markovits, Un « empire culturel » ? Le théâtre français au XVIIIe siècle (des années 1730 à 1814), doctorat, dir. Alain Cabantous, Paris 1 Panthéon-Sorbonne, 2010, chap. VIII).

4. Joost Welten, In dienst voor Napoleons Europese droom. De verstoring van de plattelandssamenleving in Weert, Louvain, Davidsfonds, 2007, 751 p. C’est par le biais de son compte rendu par Annie Jourdan (AHRF, 354, 2008-4), que les apports de ce livre en néerlandais, original aussi bien par son point de vue cantonal que par le mode de la chronique qui le caractérise, sont appréciés. Cela suffi t néanmoins pour souligner, une fois passé une laborieuse installation, la réelle intégration locale des gendarmes par le mariage et par les cercles de sociabilité, en dépit de la crainte qu’inspirent leurs fonctions.

5. Pour un éventail de cas : David M. Anderson et David Killingray (dir.), Policing the Empire. Government,

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tout un métier. En rupture avec des représentations complaisantes, le policier doit être considéré comme un travailleur ordinaire, avec des préoccupations banales en matière de rétribution ou de conditions de travail1. Bref, la police est un métier qui se prend et s’apprend, d’où une nécessaire réfl exion sur les modes de professionnalisation et l’évolution de leurs critères. Deuxième- ment, la police, ce sont des métiers2, et l’on ne saurait trop faire fructifi er cette pluralité : au-delà de la capitale, il existe des polices provinciales ; au- delà des polices nationales, des municipales ; au-delà de la ville, des polices rurales. Encore faut-il ne pas durcir les différences et rappeler qu’un même agent peut endosser plusieurs identités, à l’instar de cet « homme de l’entre- deux » qu’est le commissaire de police, placé ex offi cio entre le pouvoir central et le pouvoir local, entre l’État et la société, entre les élites sociales et le petit peuple3. Au-delà de la France, il existe d’autres dispositifs policiers en Europe, qu’il conviendrait non plus d’opposer mais de décomposer pour en identifi er les traits communs. Troisièmement, la police, ce sont des hommes qui agis- sent sur d’autres hommes, avec lesquels ils sont au contact, un contact biaisé par la fonction ou par les représentations sociales qui contribuent à l’éti- quetage de certains administrés, mais aussi à l’isolement du policier. C’est dire combien il importe d’être attentif aux interactions sociales par lesquelles prennent forme les activités policières dans l’espace public4. Quatrièmement, la police, ce sont des individus, dont il reste à connaître les liens familiaux, les itinéraires sociaux et les réseaux de sociabilité. En défi nitive, toutes ces lignes directrices sont conditionnées par le recentrement fondamental, à l’œuvre ces vingt dernières années, qui a fait accéder le policier au rang de sujet d’histoire et non plus seulement de producteur d’archives. C’est le sta- tut même des sources qui a été renversé ou plutôt redressé : utilisées pour ce qu’elles rapportaient sur la société (les luttes politiques ou la délinquance), les archives policières sont désormais interrogées également pour ce qu’elles disent des codes auxquels elles obéissent, et des savoirs qu’elles mobilisent.

À l’énoncé de ces exigences, il devient patent que la période napoléonienne reste dépourvue d’une histoire de la police satisfaisante, en dépit d’une multi-

du génie de la police (« La naissance de la police moderne sous le Consulat et l’Empire », dans Christine Le Bozec et Éric Wauters (dir.), Pour la Révolution française. En hommage à Claude Mazauric, Rouen, Publications de l’uni- versité de Rouen, 1998, p. 359-364).

1. Clive Emsley, The English Police. A Political and Social History, Londres, Longman, 1996 [1991], 287 p. ; The Great British Bobby. A History of British policing from the 18th century to the present, Londres, Quercus, 2009, 324 p. D’utiles prolongements ont été menés à bien (Joanne Klein, Invisible Men. The Secret Lives of Police Con- stables in Liverpool, Manchester, and Birmingham, 1900-1939, Liverpool, Liverpool University Press, 2010, 334 p.).

2. Tournant entériné par le volume Métiers de police : être policier en Europe, XVIIIe-XXe siècle, Jean-Marc Berlière, Catherine Denys, Dominique Kalifa et Vincent Milliot (dir.), Rennes, PUR, 2008, 560 p.

3. Dominique Kalifa et Pierre Karila-Cohen, « L’homme de l’entre-deux. L’identité brouillée du commis- saire de police au xixe siècle », dans Dominique Kalifa et Pierre Karila-Cohen (dir.), Le Commissaire de police au

XIXe siècle, Paris, Publications de la Sorbonne, 2008, p. 7-23.

4. Arlette Farge, La Vie fragile. Violence, pouvoirs et solidarité à Paris au XVIIIe siècle, Paris, Hachette, 1986, 355 p. Et désormais pour le xixe siècle : Quentin Deluermoz, Policiers dans la ville. La construction d’un ordre public à Paris, 1854-1914, Paris, Publications de la Sorbonne, 2012, 408 p.

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plication d’approches stimulantes1. Or la situation est d’autant plus mûre que la confi guration générale de l’historiographie napoléonienne est elle-même en pleine mue. La réécriture de l’histoire des polices en est indissociablement une cause et une conséquence. La percée des recherches sur le maintien de l’ordre a déjà servi à relancer les débats sur l’articulation de la Révolution et de l’Empire, à l’exemple des travaux sur l’ordre républicain menés par Xavier Rousseaux, Stephen Clay ou Emmanuel Berger, et la controverse suscitée par l’introduction de la terminologie alternative de liberal authoritarism2. Parce que la césure de brumaire an VIII n’est donc que partiellement opératoire pour les institutions policières et l’administration des territoires annexés, ce livre prend en compte le socle du Directoire, ne serait-ce que pour s’inscrire en faux contre le discours brumairien et la vulgate dérivée, qui attribuent au seul Consulat le mérite de la régénérescence policière. Plus largement, la notion d’Empire et sa traduction territoriale, antérieures au régime écha- faudé en 18043, guident ici une démarche sensible à la diversité des espaces.

À défaut de pouvoir tout embrasser, un large coup de sonde s’impose, et, dans cette perspective, la police fournit l’outil adéquat, notamment en termes de réception par les populations. L’intérêt renouvelé que suscitent les révoltes a en effet tout à gagner d’une histoire sociale des policiers et des gendarmes qui soit en mesure de rompre avec la conception d’agents interchangeables du pouvoir coercitif. Mais c’est d’abord par ce qu’il révélera des ancrages de ces hommes que cet ouvrage sera peut-être le plus utile, en offrant un exemple d’étude de fonctionnaires expatriés en situation.

Pour atteindre ces objectifs, plusieurs choix seront assumés, à commen- cer par le pari d’une histoire conjuguant enfi n celle de la police et celle de la gendarmerie. Il est certain d’ailleurs que Napoléon avait une vision glo- bale des dispositifs de contrôle de son Empire, comme le signalent, le même jour, l’adoption du décret du 25 mars 1811, qui refond l’organigramme de la Police générale, et la dictée d’un important billet incitant le ministre de la Guerre à presser la formation de la gendarmerie dans les territoires annexés :

« L’organisation de la gendarmerie n’avance nulle part. Ni la légion de Cata- logne, ni celle de Hollande, ni celle d’Illyrie ne sont organisées, enfi n l’or- ganisation de la gendarmerie des trois départements de Hambourg n’est pas même commencée. C’est cependant une opération fort importante »4. Encore

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faut-il préciser que le but est moins d’offrir un tableau à prétention exhaus- tive des effectifs et des attributions de toutes les forces de l’ordre, depuis les gardes champêtres jusqu’aux soldats des compagnies de réserve départemen- tale1, que de suggérer une dynamique, afi n de respecter davantage la nature d’un système qui n’a rien de fi gé. Procéder de la sorte ne signifi e pas qu’en dehors de la Police générale et de la gendarmerie, le rôle des autres agents soit minoré, ni que les collaborations obligées soient négligées. On peut consi- dérer à bon droit que la gendarmerie était au centre de la machine policière impériale2, mais s’il faut alors en démonter l’articulation et en déceler les blocages, il est surtout temps de dépasser la mécanique institutionnelle. L’en- quête portera donc sur l’ensemble des gendarmes, sous-offi ciers et offi ciers en poste dans les compagnies implantées dans les nouveaux départements3, ainsi que sur les 620 commissaires de police qui se sont succédé dans les villes de ces territoires. Ce portrait de groupe devrait permettre de ne plus se conten- ter de relater ce que font les gendarmes, ni de gloser à partir de ce qu’écrivent les policiers, mais de les saisir dans leur épaisseur professionnelle et sociale.

La prise en compte de la dimension pleinement européenne de l’expé- rience napoléonienne est au cœur du renouveau de la période. Satisfaire les attentes actuelles et à venir impose donc un second parti pris, celui de ne pas s’en tenir aux territoires français en 1791 ou restés tels après 1815.

Pour se préserver du risque de tropisme franco-français, il ne faut pas même craindre de délaisser la vieille France. Cependant, prendre l’Europe entière pour champ d’étude suppose des compétences linguistiques et une connais- sance des dépôts d’archives telles qu’elles requièrent le travail coordonné d’une équipe de chercheurs. De plus, l’entreprise risquerait d’aboutir à un simple inventaire des points communs et des différences, notamment entre la gendarmerie française et les polices militaires créées à son image dans le canton de Vaud (1803), dans la Confédération du Rhin ( Lippe-Detmold en 1808, Wurtemberg en 1811, Bade et Bavière en 1812) et même dans les États rivaux (Russie en 1811, Prusse en 1812). Se limiter, pour ainsi dire, au Grand Empire, soit les territoires sous tutelle française, n’est pas plus satisfaisant. En dépit d’un même modèle, le royaume d’Italie, la Westpha- lie ou le Grand-duché de Varsovie sont soumis à des législations et à des institutions qui leur sont propres, or cette hétérogénéité ruine à l’avance tout dessein comparatiste. Par conséquent, le cadre adopté sera résolument original, et même inédit, puisque centré sur les départements annexés sous

1. À la façon pédagogique mais par trop théorique de Georges Carrot, Le Maintien de l’ordre en France, depuis la fi n de l’Ancien régime jusqu’à 1968, t. 1 : 1789-1830, Toulouse, Presses de l’IEP de Toulouse, 1984, 413 p.

2. Clive Emsley, Gendarmes and the State, op. cit., p. 172.

3. À la fi n de l’Empire, ces derniers comptent 7 317 hommes, soit 26 % des 28 051 hommes du corps (chiffre incluant les 1 074 membres de la gendarmerie d’élite, les 854 de la gendarmerie de la ville de Paris, et les 6 283 des Légions d’Espagne et de Catalogne) ou 37 % des seules compagnies départementales (19 841), État de la gendarmerie au 1er janvier 1814, SHD-DAT, 1 M 1957 (5).

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INTRODUCTION

la Révolution et l’Empire, dans leur totalité1, et ce, par contraste avec le format usuel des monographies régionales ou départementales.

Délimiter un tel espace, c’est concevoir un objet d’étude neuf, celui de l’administration des prolongements de la Grande Nation. Ce choix de la France-Europe des 45 nouveaux départements ménage une belle diversité des confi gurations, tant le dégradé des situations, de Rome à Hambourg, est diffracté à souhait. Surtout, cette large bande territoriale, véritable épine dorsale du Grand Empire, constitue par excellence un espace inter- médiaire entre l’ancienne France et l’Europe, avec tout ce que cela implique en termes de confrontations institutionnelles et culturelles, de luttes d’in- fl uences et d’échanges. Malgré un discours unitaire et une législation uni- formisatrice, il s’agit en outre d’un espace policier spécifi que, sur lequel pèse une vigilance accrue, un espace qui est en voie d’institutionnalisation : le décret du 25 mars 1811 ne met-il pas en place cinq directions générales de police pour les départements au-delà des Alpes, pour le grand-duché de Toscane, pour les gouvernements de Rome et de la Hollande, et enfi n pour les départements hanséatiques ?

Pareil découpage, calqué sur la géographie administrative, prête néan- moins à discussion. Il est vrai que ce n’est pas tant le fait que ces territoires aient été réunis à la France à partir de la République qui leur confère une unité, que leur perte commune par les traités de 1814-1815. En outre, ce choix laisserait craindre la perpétuation de la dichotomie entre la vieille France et ses extensions. Or il ne s’agit pas de fi ger cette distinction mais de se donner les moyens de la comparaison. La pertinence de cette der- nière est toutefois à interroger2. Michael Broers propose de faire éclater la tripartition traditionnelle (qui repose sur une base institutionnelle et politique), entre la France de l’Intérieur, les départements annexés et les États satellites, pour lui substituer une autre division tripartite, mais sur une base structurelle, en degrés d’intégration. L’Empire napoléonien com- prendrait d’une part, un noyau dur, sur l’axe Rhin-Rhône étendu à la plaine du Pô, réceptif socialement et culturellement aux innovations et en tout cas aisément contrôlable ; d’autre part, les arrière-pays traditionnellement dépendants des villes de l’axe précédent ; enfi n, les marges montagneuses, soumises en surface mais cultivant une quasi-indépendance de fait. C’est donc raisonner en termes de réception, à partir des données fournies par

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INTRODUCTION

tées par l’introduction du système policier français ne sont connues que de manière superfi cielle. En proposant une étude complète des polices fran- çaises au sein de l’ensemble des départements annexés (espace qui a l’intérêt de comprendre des territoires qui se répartissent dans les trois catégories – intégrés, dépendants et réfractaires), ce livre va permettre d’évaluer la pro- fondeur et le sens de l’expérience expansionniste française tout en mettant à l’épreuve les tendances du renouveau historiographique.

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