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Out of Africa, ou le pillage d'un patrimoine archéologique

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Academic year: 2022

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Out of Africa, ou le pillage d'un patrimoine archéologique

HUYSECOM, Eric

HUYSECOM, Eric. Out of Africa, ou le pillage d'un patrimoine archéologique. Newsletter de la Société suisse d'études africaines , 2009, vol. 1, no. 2, p. 14-17

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:81951

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l’exposition « terres cuites africaines : un héritage millénaire » à voir depuis mars dernier au musée Barbier-Mueller de Genève est à l’origine d’un nouveau débat autour de la question, sensible s’il en est, du pillage du patrimoine archéologi- que africain. elle relance ainsi une problématique qui a déjà suscité maints ouvrages, conférences et prises de position tant en Afrique qu’aux etats-Unis , en europe ou en suisse, comme il y a une dizaine d’années à l’instigation notam- ment de la Fondation suisse-lichtenstein pour les recherches archéologiques suisses à l’étranger .

en effet, après des reportages du journaliste Arnaud robert sur la radio suisse romande et dans le quotidien le temps qui posaient la question de l’origine de certaines des pièces exposées, la parution du catalogue de l’exposition sous la direction de Floriane Morin, conservatrice au musée Barbier-Mueller et Boris wastiau, nouveau directeur du Musée d’ethnographie de Genève (MeG), a susci- té une vive réaction de la part du professeur d’archéologie africaine eric Huyse- com, publiée dans une tribune du temps le 27 avril dernier et co-signée par une quinzaines de personnalités suisses et internationales.

en tant qu’association concernée par les enjeux politiques, historiques et cultu- rels liant l’Afrique à la suisse, il nous a semblé important de relayer ce débat auprès de nos membres en publiant une version légèrement modifiée du texte du prof. Huysecom paru dans le temps. en effet, l’enjeu de ce débat dépasse lar- gement le contexte genevois et même celui de l’archéologie africaine : il touche directement la question de la relance du processus de ratification de la conven- tion UNIdroIt sur les biens culturels volés ou bien illicitement exportés , que la suisse a signée en 1996.

dans un souci d’équilibre, nous avons offert la possibilité à Boris wastiau de s’ex- primer également dans les colonnes de notre Newsletter, mais ce dernier n’a pas souhaité répondre à notre sollicitation.

déBAt / deBAtte

le comité de la sseA

out of Africa, ou le pillage d’un patrimoine archéologique

erIC HUYseCoM, ProFesseUr d‘ArCHeoloGIe AUx UNIVersItés de GeNèVe et BAMAKo

les archéologues africanistes ne peuvent rester muets : pour la première fois en suisse, un lot important d’objets archéologiques africains issus du pillage sont publiés par un responsable de collections publiques, ce qui soulève plusieurs questions de déontologie.

en effet, le catalogue d’exposition « terres cuites africaines: un héritage millénai- re » (Morin et wastiau éds 2008) présente 236 terres cuites, parmi lesquels 97 sont des objets archéologiques, dont 65 sont inscrits sur les « listes rouges » de l’ICoM (International Council of Museums). Ces listes rouges, établies en 1997, détaillent les ensembles culturels particulièrement menacés, à savoir, dans le cas qui nous préoccupe ici, les cultures de Nok, Katsina, sokoto et Ife au Nigeria, les cultures de la vallée du Niger au Mali, le système de Bura au Niger et au Burkina Faso, ainsi que la culture du Komaland au Ghana. l’ICoM précise à propos des objets figurant sur ces listes : Ces objets sont parmi les biens culturels les plus touchés par le pillage et le vol. Protégés par les législations de leur pays, ils sont interdits d’exportation et ne doivent en aucun cas être proposés à la vente. Un appel est donc lancé aux musées, salles des ventes, marchands et collection- neurs afin qu’ils n’achètent plus ces objets. […] devant toute pièce archéologi- que en vente se pose la question de la légalité de son exportation (http://icom.

museum/redlist/afrique/french/intro.html#redlist).

rappelons ici que les conditions de «découverte» d’un objet archéologique sont bien différentes de celles relatives à un objet ethnographique : l’objet archéolo-

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gique doit, dans la grande majorité des scénarios, être exhumé du sol, et seuls deux cas sont alors envisageables. dans le premier cas, il est découvert fortuite- ment, par exemple lors de labours, d’érosions naturelles ou d’exploitations de carrières ; les archéologues s’accordent à dire que, globalement, au maximum 5

% des objets africains sont mis au jour dans de telles circonstances. dans le se- cond cas, il a fait l’objet de «recherches» en vue d’être exhumé. Ces recherches peuvent alors être légales, dans le cadre de travaux scientifiques autorisés, ou il- légales, dans le cadre de pillages plus ou moins organisés, depuis l’intérieur ou l’extérieur du pays. si les objets issus du premier type de recherches ne se re- trouvent en principe pas sur le marché de l’art, on évalue en revanche à 95% les pièces archéologiques africaines issues du pillage organisé. Ainsi, nous devons être bien conscients que la grande majorité des terres cuites archéologiques vi- sibles dans l’exposition sont issues de ces fouilles illégales.

Par ailleurs, il faut savoir que selon les lois des Pays d’Afrique concernés, le patri- moine archéologique est la propriété de l’etat, ce qui n’est en général pas le cas des objets ethnographiques, pour lesquels il est possible de défendre un «droit à vendre» du propriétaire, tout spécialement lorsqu’il s’agit d’une personne privée.

Ces pays ont édicté des lois strictes, concernant tant la recherche que l’exporta- tion des pièces archéologiques. si ces lois sont entrées en application à des da- tes qui varient selon les pays (généralement entre 1965 et 1985), elles ont elles- mêmes été précédées par des lois coloniales, remontant pour la plupart à la période de l’entre-deux guerres. or la grande majorité des 97 objets archéologi- ques exposés appartiennent à des ensembles culturels qui n’ont été révélés qu’après 1979, ce qui signifie qu’elles sont sorties après l’entrée en vigueur des lois nationales protégeant le patrimoine archéologique. Notons au passage que J.-P. Barbier-Mueller lui-même reconnaît, dans la préface du catalogue en ques-

tion, avoir débuté ce pan de sa collection récemment : « les terres cuites africai- nes firent leur entrée de façon tout à fait imprévue dans ma vie de collection- neur et à une date assez tardive (il y a une quinzaine d’années tout au plus) ».

(Morin & wastiau éds 2008, p. 8).

de fait, sur le terrain, nous assistons depuis une trentaine d’années à une mise à sac des sites archéologiques d’Afrique de l’ouest, qui sont pillés par des paysans parmi les plus pauvres de la planète, au profit d’exportateurs clandestins qui en- richissent des collections occidentales. on estime que dans le delta intérieur du Niger, au Mali, d’où proviennent 35 objets de cette collection, 80 à 90% des sites archéologiques sont touchés par les déprédations (http://icom.museum/redlist/

afrique/french/page04.htm). Au Nigeria de même, certaines régions ont été complètement déforestées lors de telles activités, illicites mais lucratives (com- munication personnelle Prof. Peter Breunig, directeur du programme de recher- che archéologique à Nok). Un continent est ainsi dépossédé de son patrimoine, et tout un pan des archives de l’histoire africaine est perdu pour les générations futures.

Pour endiguer ce fléau, outre l’élaboration de lois, la plupart des pays africains ont, dès le début des saccages, mis sur pied des brigades spéciales de douane et de gendarmerie, des bureaux chargés de la gestion et de la protection du patri- moine, des musées, des programmes de recherche archéologique nationaux et internationaux. Mais le combat reste inégal. Comment empêcher de creuser un trou destiné à trouver un objet qui peut être vendu jusqu’à CHF 1.000.- (soit deux ans de salaire pour un paysan), à un revendeur africain qui le cèdera pour CHF 10.000.- à un antiquaire européen, qui le remettra à un collectionneur pour plus de CHF 100.000.- , qui enfin le liquidera en vente publique, une fois valorisé

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par des expositions et des publications luxueuses, pour CHF 1.000.000.- ? les sommes en jeu autorisent toutes les stratégies de corruption ou de substitution d’œuvres. la démarche est bien connue: sortie illégale de l’objet du pays, établis- sement d’un «pedigree» (pseudo-autorisation d’exportation, inventaire de suc- cession, certificat de vente, etc.), et blanchiment dans un pays laxiste, par une exposition et un catalogue, si possible cautionné par un professionnel, avant la mise en vente. Ce qu’on appelle « vente illicite » d’objets archéologiques lorsqu’il s’agit de pays occidentaux devient du « sauvetage » s’agissant de biens culturels africains !

Pour défendre leurs agissements, marchands et collectionneurs s’appuient sur des arguments fallacieux, qui trouvent dans l’ignorance du public occidental sur l’Afrique un terrain fertile :

• « Les pays africains ne sont pas intéressés par leur patrimoine archéologique ».

Mais dans ce cas pourquoi ces pays si pauvres auraient-ils promulgué des lois de protection, la plupart beaucoup plus strictes que celles en vigueur dans nos pays

? Pourquoi consacrent-ils une part non négligeable de leurs budgets, déjà limi- tés, à payer des fonctionnaires chargés de protéger la culture? Pourquoi relève-t- on autant d’étudiants en archéologie dans leurs universités ?

• « Les Africains sont incapables de protéger localement leur patrimoine ». Tous les pays concernés ont construit des musées, mais le pillage de n’importe quel musée du monde est possible si l’on met en jeu des sommes disproportionnées à l’échelle locale !

• « Les pays africains n’organisent pas de recherches archéologiques et ne lais- sent pas les équipes internationales fouiller ». Mais que font alors, notamment au Mali, au Niger et au Nigeria, la centaine d’archéologues professionnels membres de l’Association ouest-africaine d’archéologie (AoAA) ?

• « Les populations africaines tirent profit de la vente de ces pièces ». Peut-on prétendre que concéder 0,1% de la valeur marchande d’un objet au paysan dé- couvreur et 1% à l’antiquaire africain correspond à un profit équitable ?

• « L’art africain est universel et doit être accessible à tous. ». Comment expliquer dans ce cas qu’il soit la propriété quasi exclusive de riches collectionneurs occi- dentaux ?

• « Les Africains sont insensibles à l’esthétique des objets, seul leur caractère fonctionnel les intéresse ». » Il reste que ce sont bien des Africains qui ont créé tant de chefs d’œuvre.

la presque totalité des objets archéologiques africains détenus dans les pays in- dustrialisés proviennent de pillages récents et du commerce illicite. Il ne peut y avoir d’autorisation d’exportation authentique, c’est-à-dire obtenue légalement pour ces objets. Acquérir de tels biens auprès d’antiquaires ayant pignon sur rue n’enlève rien à la qualification illicite de l’opération: ceci est particulièrement bien défini par le code de déontologie prescrit par l’ICoM, qui distingue claire- ment le titre légal de propriété (une facture par exemple) du titre valide de pro- priété, soit le droit incontestable à faire valoir la propriété d’un objet au moyen de l’historique complet dudit objet depuis le moment de la découverte ou de la création, (http://icom.museum/ethics_fr.html, articles 2.2 et sq., glossaire). Par déontologie, aucun chercheur ne peut accepter le « blanchiment par valorisation scientifique » de collections issues de pillages (code de déontologie de l’ICoM, article 4.5 notamment), d’autant plus s’il s’agit d’objets inscrits sur les « listes rou- ges ». dans le cas du présent catalogue, la situation est d’autant plus grave que les éléments du « titre valide de propriété », tels que définis par l’ICoM (dates d’acquisition, lieux d’acquisition, historiques d’acquisition), ont été omis au pro- fit d’un numéro d’inventaire aux collections Barbier-Mueller servant de référen-

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ce, non décriptable par le lecteur, ceci au mépris de toute transparence, déonto- logie et sérieux scientifique. s’il nous est donc aisé de démontrer que ces objets sont issus de pillages archéologiques, il nous est en revanche impossible de re- tracer leurs parcours ou de situer le moment de leur acquisition par rapport à l’entrée en vigueur des différentes législations locales.

dans cette optique, il serait temps de respecter les conventions et codes inter- nationaux, et tout particulièrement la Convention de l’UNesCo de 1970, concer- nant les mesures à prendre pour interdire et empêcher l’importation, l’exporta- tion et le transfert de propriété illicites de biens culturels, ratifiée par la Confédération suisse le 3 octobre 2003.

l’Afrique n’a malheureusement pas l’exclusivité du pillage archéologique. Mais ici, comme en Amérique du sud ou en Asie, celui-ci est une conséquence des rapports inégaux entre les Pays du Nord et ceux du sud. Ce comportement « d’arrière-garde » va à contre-courant des préceptes diplomatiques actuels, qui visent à encourager le partenariat nord-sud. Il est temps que les pays occiden- taux adoptent et appliquent une législation sanctionnant l’importation d’objets archéologiques provenant d’Afrique et d’autres régions défavorisées, à l’image de ce qu’ils ont fait pour les pays méditerranéens.

en cette période où la place financière suisse est la cible de nombreuses atta- ques, le respect des règles internationales strictes en matière de déontologie et d’éthique, dans ce domaine, est plus nécessaire que jamais… Mais peut-être est- il aussi temps que les instances de l’ICoM imposent plus strictement à leurs membres le respect de leurs propres réglementations et prescriptions.

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