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Théâtre populaire, théâtre prolétarien : les frères ennemis?

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1 | 2012

Des théâtres populaires

Théâtre populaire, théâtre prolétarien : les frères ennemis ?

Nathalie Coutelet

Édition électronique

URL : https://journals.openedition.org/ht/1945 DOI : 10.4000/ht.1945

ISSN : 2678-5420 Éditeur

Presses universitaires de Bordeaux Édition imprimée

Date de publication : 1 janvier 2012 Pagination : 26-42

ISSN : 2261-4591 Référence électronique

Nathalie Coutelet, « Théâtre populaire, théâtre prolétarien : les frères ennemis ? », Horizons/Théâtre [En ligne], 1 | 2012, mis en ligne le 12 avril 2022, consulté le 29 juin 2022. URL : http://

journals.openedition.org/ht/1945 ; DOI : https://doi.org/10.4000/ht.1945

La revue Horizons/Théâtre est mise à disposition selon les termes de la Licence Creative Commons Attribution - Pas d'Utilisation Commerciale - Pas de Modification 4.0 International.

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Résumé : Polysémique et polémique, le théâtre populaire erre, selon les définitions, entre un théâtre plébéien et un théâtre de réconciliation sociale. Le théâtre prolétarien, lui, semble afficher sa couleur politique et envisager une classe sociale déterminée comme seul destinataire.

Tous deux présentent néanmoins des similitudes quant à la volonté de rénovation dramaturgique et scénique, écornant au passage le mythe d’une pratique qui se distinguerait uniquement par son indigence esthétique et des tarifs modiques.

Contemporaines, ces formes profitent d’un contexte sociopolitique favorable pour opérer une démocratisation du spectacle, donc une ouverture plus large au public, avec des objectifs didactiques et artistiques relativement proches. Le refus d’un spectacle mercantile, la recherche d’un théâtre politique – au sens large ou au sens restreint –, la réflexion sur la communion du public par le biais du spectacle se retrouvent au sein des deux courants.

À travers les exemples français, soviétique et alle-

mand, des points de convergence se dessinent. En particulier, la commune quête d’un théâtre social – c’est-à-dire lié intimement à la société – dont l’objectif politique n’est jamais dissocié de l’objec- tif esthétique.

En effet, la dramaturgie et la scénographie ont été affectées par les formes « populaires », qui ont tenté de penser de nouvelles écritures et de nouvelles techniques scéniques afin de répondre à leurs exigences idéologiques. Du répertoire au jeu de l’acteur, chaque étape du processus théâtral est questionnée et adaptée au projet politique.

La confrontation de diverses expériences permet de les replacer dans un vaste mouvement européen, de mettre en évidence les continuités et les ruptures entre théâtre populaire et théâtre pro- létarien, ainsi que l’alliance entre réforme politique et sociale et réforme esthétique.

Mots clés : théâtre, populaire, prolétarien, dé- mocratisation, réforme esthétique

Abstract : Polysemous, polemical, popular theater wanders, as defined, between a plebeian theater and a theater for the social reconciliation.

Proletarian theater, it seems his political view and considers social class as one recipient.

Both nevertheless have similarities as to the willingness of dramatic and scenic renova- tion, dehorned passing myth of a practice which differs only by his lack of aesthetic and low rates. Contemporary forms benefit from a favorable socio-political context to bring about a democratization of the show, so a wider opening to the public, educational and artistic goals are relatively close. The refusal of a show mercantile seeking political theater – broad or narrow sense – the reflection on the communion of the public through the show, are found in both streams.

Through the examples French, Soviet and German points of convergence are emerging. In particular,

the common pursuit of a social drama – that is to say, intimately linked to the company – whose political goal is never divorced from the aesthetic objective.

Indeed, drama and stagecraft were affected by the forms «popular», who tried to think of new writing and new theatrical techniques to meet their ideo- logical demands. Directory to set the actor, every step of the theater is questioned and adapted to the political project.

The comparison of various experiments places them in a vast European movement to highlight the continuities and discontinuities between pro- letarian and folk theater, and the alliance between political reform and social reform and aesthetics.

Keywords : theatre, popular, proletarian, demo- cratization, aesthetic reform

l’historiographie des pratiques scéniques et mène des recherches sur le théâtre populaire et la démocratisation du spectacle, le théâtre politique, l’histoire des premiers artistes noirs du spectacle français (dernier tiers du XIXe siècle-première moitié du XXe siècle).

Mail : nathalie.coutelet@libertysurf.fr

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Dans le premier tiers du xxe siècle, deux courants, opposés sur plusieurs points et néanmoins souvent confondus, ont coexisté en Europe. La polysémie du mot « peuple » a entraîné le mélange, dans l’esprit de nombreux critiques et spectateurs, entre théâtre « populaire » et théâtre « prolétarien », alors que les objectifs visés et les concepts fondateurs sont très différents. Sous l’égide de la révolution d’octobre en Russie, les formes de théâtre ouvrier et d’agit-prop1 sont apparues ; des artistes tels que Maïakovski et Meyerhold se sont emparés de l’esprit révolutionnaire, appliqué à l’art scénique. Ces formes se sont développées peu à peu dans toute l’Europe, grâce au soutien de l’Internationale communiste, notamment en Allemagne avec les cercles ouvriers d’agitation et l’œuvre de metteurs en scène comme Piscator, mais également en France, avec la création des groupes « Octobre » (1932-1936),

« Prémices » (1927-1936) ou encore de la Fédération du Théâtre Ouvrier, créée en 1931.

Dès la fin du XIXe siècle, des théories de théâtre populaire s’étaient épanouies en Allemagne et en France ; les « Volksbühnen »2, les Maisons du Peuple, Théâtres du Peuple ou Théâtres Populaires, éphémères ou durables, ont surgi. Le système républicain, qui fait place aux revendications sociales et repense la place et la fonction des masses, rapproche ainsi le théâtre populaire du théâtre prolétarien. Plus encore, ils convoitaient l’un et l’autre un auditoire neuf, ordinairement délaissé par le spectacle ; une reconsidération de l’art dramatique dans sa totalité, répertoire, jeu et mise en scène, est donc indispensable. À partir d’un échantillon représentatif des formes de théâtre

« populaire » et « prolétarien », il s’agit donc d’établir les points communs aux deux mouvements comme les divergences, en examinant successivement l’idéologie, l’attitude face au répertoire, à la mise en scène et au jeu de l’acteur.

Le théâtre prolétarien connaît une expansion européenne par le biais des partis communistes locaux et possède à ce titre une ligne de conduite relativement uniforme. En revanche, le théâtre populaire, concept fluctuant selon les époques et les promoteurs, est protéiforme. Il se fonde toujours sur

prolétarien : les frères ennemis ?

prolétarien : les frères ennemis ?

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l’accession des franges les plus défavorisées au spectacle, mais oscille entre

« plebs » et « populus », en visant prioritairement soit les classes démunies, soit l’ensemble de la population.

Concepts fondateurs

Nés à quelques années d’intervalle, ils résultent aussi de la situation de l’art dramatique contemporain, unanimement considérée comme décadente. L’un de leurs buts consiste donc à rénover le théâtre : industrie de luxe, commerce florissant réservé à une élite sociale, les animateurs – y compris hors des mou- vements populaire et prolétarien, comme chez Jacques Copeau par exemple – estiment que l’art s’est transformé en pur divertissement, ce qui a entraîné sa dégénérescence. Le partage du public s’est en effet opéré au cours du XIXe siècle et à chaque type de classe sociale correspond un lieu scénique ; la bourgeoisie, partout en Europe, détient les établissements et dicte ses goûts. Le prix des places, prohibitif pour une majorité des bourses, est perçu comme un instrument de ségrégation. Le répertoire, reflet de la domination bourgeoise, ne propose que des pièces légères, dénuées de réflexion sur la société, individualistes et non universelles.

Le théâtre est politique dans le sens où il se définit par son rapport à la vie publique et n’accède pleinement à son existence que lorsqu’il est représenté face à une assistance. Aucune forme de spectacle, en ce sens, ne l’est plus qu’une autre, mais c’est bien entendu sur une autre acception du terme que s’est créée la fracture entre « populaire » et « prolétarien ». La montée du syndicalisme ouvrier, l’importance croissante des mouvements socialistes et sociaux ont favorisé leur éclosion. Leurs promoteurs ont tous des affinités de gauche, plus ou moins marquées3. Les contextes de la IIIe  République en France, de la République de Weimar et de la révolution spartakiste en Allemagne, de la création de l’URSS, expliquent la force avec laquelle surgit la question de la démocratisation du spectacle à cette époque.

La Volksbühne, scène populaire allemande, voit le jour avec le soutien des sociaux-démocrates, tandis que l’Arbeitertheaterbund, Union du théâtre ouvrier, s’ancre plus à gauche et dénonce la frilosité politique de sa sœur aînée.

Néanmoins, des hommes tels que Piscator ou Jessner font le lien entre les deux instances en travaillant successivement pour l’une et l’autre, preuve que les frontières ne sont pas toujours aussi imperméables qu’elles le paraissent 4. L’Union Internationale du Théâtre Ouvrier ne voit le jour qu’en 1930, à l’initiative des Allemands, Français, Tchèques, Belges et Soviétiques et de la

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Fédération du Théâtre Ouvrier de France – section nationale de l’U.I.T.O.

– l’année suivante. Auparavant, l’agence télégraphique russe, ROSTA, a créé dès 1918 les trains d’agitation dépêchés au front ; la direction politique des Soviets militaires révolutionnaires a organisé et subventionné des troupes locales ; le Commissariat du peuple à l’Instruction Publique, le Narkompros, a fondé des brigades, conseillé les clubs et leur a fourni textes et matériels.

Cependant, les uns revendiquent une responsabilité civique et artistique du théâtre, tandis que les autres cherchent à mettre le spectacle au service d’une cause révolutionnaire. Le théâtre populaire se veut une école de civisme et de culture, le théâtre prolétarien tente de propager un credo politique – au sens restreint du terme. Tous deux, néanmoins, assument leurs aspects didactiques, liés à leurs aspirations politiques : il s’agit bien de transmettre une doctrine par le biais du théâtre et seuls le contenu du message et les moyens de son expression diffèrent. Le théâtre prolétarien et l’agit-prop, basés sur la forme épique, semblent plus ouvertement pédagogiques, mais le théâtre populaire place également l’éducation du spectateur comme principe directeur de ses entreprises.

Le projet didactique implique une attention accrue envers le public, la réception des œuvres et c’est ce qui rapproche les deux courants, qui ont basé leur rénovation sur l’auditoire. Le théâtre populaire se veut, dans la majorité des cas, un théâtre d’union, réunissant toutes les classes sociales, les faisant communier dans une même émotion esthétique. Le modèle régulièrement convoqué est alors le théâtre antique grec, dont les gradins et la vocation citoyenne apparaissent comme des idéaux pour le théâtre populaire du XXe siècle. Maurice Pottecher fait inscrire au fronton du Théâtre de Bussang la devise : « Par l’art, pour l’humanité ». Devise programmatique du théâtre populaire en général, elle condense les principes éthiques et politiques du mouvement. Certains animateurs ont pris le mot « peuple » dans une acception plus restreinte, celle de masse ouvrière, et les organisateurs des établissements populaires eux-mêmes ne sont pas exempts de contradiction ; néanmoins, le principe d’action demeure le plus souvent dirigé vers l’ensemble d’une nation. Le but du spectacle est alors de transformer le rassemblement composite d’individus en une unité, une collectivité, mais aussi : « 1o Procurer un délassement physique et moral ; 2o Être une source d’énergie (soutenir et exalter l’âme) ; 3o Être une lumière pour l’intelligence (éveiller la pensée, apprendre à voir et à juger les choses, les hommes et soi- même). »5 Cette déclaration du Théâtre Populaire de Belleville est tout à fait

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emblématique des ambitions affichées par la démocratisation du spectacle ; elle résonne aussi en écho aux propositions de Rolland, qui attend du spectacle qu’il soit « une lumière pour l’intelligence »6. La qualité du spectacle doit se mesurer à l’impact culturel sur le public, à son aspect éducatif et collectif.

Le plaisir spectaculaire est couplé à l’éducation culturelle, qui vise donc préférentiellement les classes les plus défavorisées et les moins instruites.

Ce qui nuance l’exigence de communion interclasse posée comme le socle éthique du théâtre populaire. Entre la volonté de toucher l’ensemble de la nation et la nécessité de reconquérir prioritairement les masses laborieuses, le théâtre populaire doit souvent ménager la chèvre et le chou.

Le théâtre prolétarien, quant à lui, se base sur la lutte des classes, déclare appartenir à une seule couche de la population et ne s’adresser qu’à elle.

Toutefois, même si un metteur en scène comme Piscator affiche son refus d’accueillir des critiques bourgeois dans ses établissements, son public fut vraisemblablement représentatif d’une certaine mixité sociale. Le théâtre prolétarien cherche certes à rassembler, mais en fonction d’une conviction politique et d’un statut social. Il refuse le divertissement pour exalter les principes socialistes, veut éveiller les consciences prolétaires et appeler à la lutte révolutionnaire :

1. Livrer sous forme théâtrale un matériau d’agitation qui est livré d’habitude sous forme de conférence, de meetings, de journaux, etc.

2. Fournir ce matériau sous une forme telle que le spectateur sache exactement ce qu’il doit faire (par exemple, élever la production du travail) ou ne pas faire (déserter le front du travail).

3. Fournir ce matériau sous des formes théâtrales qui permettent d’éviter deux défauts : d’un côté, le meeting déguisé, c’est-à-dire le bavardage on ne peut plus assommant d’acteurs qui contrefont des orateurs véritables ; de l’autre, les roue- ries d’une intrigue captivante par elle-même et additionnée de quelques phrases de meeting absolument inutiles et, par conséquent, désagréables au spectateur.

4. Fournir ce matériau en tenant strictement compte du moment, du lieu et du spectateur.7

D’abord tribune, comme le nom du théâtre fondé par R. Leonhard8, le mouvement prolétarien utilise clairement le plateau pour véhiculer un message politique. Par conséquent, il va vers le public ouvrier, alors que le théâtre populaire compte plutôt sur la démarche inverse. Néanmoins, la définition politique causa de nombreuses confusions, y compris dans les rangs des animateurs ; ainsi, Camille de Sainte-Croix, qui mena campagne durant de

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longues années en faveur de l’établissement de théâtres populaires, déclara-t- il : « Le théâtre sera socialiste ou il ne sera pas. »9 À l’inverse, Ivanov, membre de la section théâtrale du TEO, préconise la recherche d’une communion dynamique des masses. Il est aisé de comprendre que ces deux esthétiques sont régulièrement associées et confondues puisque les artistes eux-mêmes affichent des contradictions. Les esthétiques populaire et prolétarienne ont fondé leur rénovation sur l’angle de la réception, le public conditionnant la réflexion sur la dramaturgie, l’architecture du lieu scénique, etc. Cette prise en compte de l’assistance conditionne l’apparition d’œuvres nouvelles, le réaménagement du plateau et la modification des techniques de jeu.

Répertoires

Rejetant unanimement la production dramatique contemporaine, les deux courants se mettent en quête de textes, mais le répertoire constitue la pierre d’achoppement pour chacun. Il ne suffit pas d’appeler de ses vœux une dramaturgie nouvelle pour qu’elle se réalise immédiatement et encore faut-il auparavant définir sa teneur. Les animateurs, pleinement conscients de cette difficulté, auraient voulu disposer de chefs-d’œuvre à portée universelle, non individuelle, car la perspective communiste, d’une part, envisage de réunir l’ensemble des prolétaires à travers le monde et celle de la démocratisation théâtrale, d’autre part, ambitionne la cohésion sociale et internationale par le plaisir artistique partagé : « Le passé nous offre peu. Le présent presque rien.

– C’est donc qu’il va falloir se rabattre sur l’avenir ! Il le faut, en effet. Il faut, pour que surgissent des pièces dignes du peuple, que d’abord existe un théâtre qui les joue. »10 La création d’un corpus approprié aux objectifs nouveaux rassemble les praticiens, mais l’urgence oblige bien souvent à recourir aux œuvres déjà écrites, en attendant la composition des pièces adéquates.

Les organisations culturelles prolétariennes, après avoir hésité, ont majoritairement refusé le recours aux classiques, considérés comme l’apanage de la bourgeoisie. Cependant, certaines troupes d’agit-prop mettent en scène des œuvres anciennes ; Meyerhold, par exemple, monte le Revizor, adapté d’après Gogol et la Forêt, d’Ostrovski11, avec de grandes libertés.

Maïakovski veut plutôt « balancer par-dessus bord »12 les classiques, mais Meyerhold et Eisenstein préfèrent actualiser les textes, les utiliser comme matériaux afin de développer des œuvres d’agitation. De même, Jessner, en Allemagne, dépoussière-t-il la pièce populaire Guillaume Tell (1919) et le classique shakespearien Macbeth (1922). La 4e Olympiade Internationale

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du Théâtre ouvrier (Moscou, 1932), élabore d’ailleurs comme mot d’ordre l’appropriation critique de l’héritage culturel mondial, parallèlement à la création de pièces liées à la construction socialiste. Si, dans un premier temps, le répertoire classique a été associé au gouvernement impérial, il devient un outil de la dialectique marxiste grâce à l’action d’ateliers de réécriture et dans le cadre d’une société réformée par la N.E.P (La Nouvelle politique économique).

Le théâtre populaire, en revanche, pense majoritairement la démocratisation de la culture comme la diffusion de l’héritage classique au sein des couches défavorisées, la réappropriation des chefs-d’œuvre par l’ensemble du peuple.

Pottecher monte par exemple à Bussang Macbeth, en 1902, sans rendre avec exactitude la pièce shakespearienne, mais en conservant l’émotion et le rythme.

La vulgarisation, au sens noble, constitue un objectif fort de l’entreprise, mais la création de pièces à résonance sociale et politique se pose comme une nécessité. En France, le Théâtre Civique de Louis Lumet promène dans les quartiers parisiens et les banlieues un répertoire politiquement engagé13 ; le Théâtre Populaire de Belleville, fondé en 1903 par Émile Berny joue Danton de Romain Rolland pour sa soirée inaugurale ; le Théâtre National Ambulant ou le Théâtre National Populaire de Gémier14 mêlent les classiques et les textes modernes susceptibles de rassembler le plus grand nombre, c’est-à-dire ceux dont le contenu est universel ou bien contemporain. Les Universités populaires, issues du syndicalisme, réclament elles aussi l’accession de tous à la culture :

Nous voulons que le peuple soit admis à participer à ces biens qui constituent le patrimoine propre à l’humanité […].

Notre association ne propage aucune doctrine politique, religieuse ou philosophique particulière. Elle est une œuvre d’enseignement supérieur populaire et d’éducation éthique sociale. Elle s’interdit donc tout prosélytisme et n’exclut que l’exclusion.15 Le refus de propagande éloigne donc le théâtre populaire du théâtre prolétarien. La Volksbühne prend comme ligne directrice la vulgarisation de l’héritage national et international, mais promeut également un répertoire social, sous l’influence du naturalisme : Ibsen, Hauptmann et Strindberg y sont joués. Les théâtres académiques de l’Union Soviétique, de même, sont chargés de diffuser le patrimoine culturel. L’attitude face aux classiques procède, certes, d’une nécessité de fournir un répertoire immédiat à ces théâtres « populaires » ou « prolétariens », donc de recourir à une matière dramaturgique de qualité et disponible. Mais il s’agit aussi, plus

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profondément, de transmettre un patrimoine à une partie de la population qui n’y avait pas accès – donc de vulgariser – et de travailler ces pièces en fonction d’idéologies nouvelles : réécriture des classiques exécutée par l’Atelier de la Dramaturgie Communiste en URSS, adaptation du Tableau des Merveilles de Cervantès par le groupe Octobre et Jean-Louis Barrault (1935), mises en scène shakespeariennes et moliéresques réalisées par Gémier au Théâtre Antoine16. La voie majoritaire semble donc être celle d’un cocktail composé de pièces contemporaines à tendance sociale et de classiques, afin de répondre aux besoins divers exprimés par un public hétérogène.

Le théâtre prolétarien décide majoritairement de privilégier les formes brèves et d’utiliser l’actualité. En Allemagne notamment, l’agit-prop se développe surtout à partir du chœur parlé, la déclamation orale étant très répandue dans le monde ouvrier. Les groupes français interviennent dans la grève des textiles du Nord, avec des thèmes propagandistes ; le groupe Mars, les Blouses Bleues de Bobigny et la Phalange du 18e interprètent seize chœurs parlés ou chantés à la Fête de l’Humanité de 1933 ; le groupe Octobre enchaîne les chœurs parlés en fonction des thèmes d’actualité : Citroën, L’Avènement d’Hitler, Il faut sauver les nègres de Scottsborough, etc.17 Le chœur possède l’avantage d’être l’expression collective de la troupe et de s’adapter parfaitement à l’actualité. Le contenu porte généralement sur les problèmes de l’édification socialiste. Le chœur prolétarien doit symboliser la masse des travailleurs, le refus de l’individualité, alors que le chœur populaire tente de renouer avec la dramaturgie ancienne et sa fonction d’intermédiaire entre acteurs et spectateurs.

Les scènes courtes s’imposent comme la forme idéale puisqu’elle se prête parfaitement à la diffusion massive et à la production collective, tandis que le théâtre populaire se donna pour mission la lutte contre les petites intrigues en un acte qui fleurissaient sur les boulevards parisiens et les scènes allemandes. Le reproche principal adressé à ce type de pièces est la légèreté, l’absence de réflexion et d’éducation ; les animateurs préfèrent les œuvres exaltant les sentiments communs, les événements du passé, mais en dépit des déclarations d’intention en faveur de ce nouveau répertoire, aucune dramaturgie « populaire » ne naît. Les animateurs dressent les griefs contre l’ancien répertoire, inapproprié aux idéaux de la démocratisation du spectacle, mais semblent incapables de définir ce que doit être le répertoire d’un théâtre populaire. Rolland, cependant, tente de résoudre ce problème en composant son Théâtre de la Révolution, mis en scène dans les Universités

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Populaires et dans les théâtres de Gémier. Mais l’épopée révolutionnaire, qu’il propose comme modèle, de même que les pièces sociales de Mirbeau, elles aussi choisies par les théâtres populaires, ne réalisent pas pleinement les attentes dramaturgiques des promoteurs.

L’agit-prop, au contraire, créa plusieurs formes inédites, telles que les journaux vivants ; nés de la lecture des journaux à haute voix, imposée par la rareté des exemplaires et du nombre d’analphabètes, ils proposent des articles, enquêtes, feuilletons, etc. Composés à partir d’informations fournies par les correspondants ouvriers et ruraux, ils doivent susciter l’intérêt et l’adhésion des auditoires. Les procès d’agitation suivent le schéma d’un véritable procès, mettant en accusation un fait de la vie quotidienne de l’homme soviétique : la situation des paysans, les mœurs, l’hygiène, etc. Les pièces d’agitation, brèves, sont créées sur un point particulier pour amplifier une campagne d’agitation plus générale : la nécessité de l’alphabétisation ou la propagande pour le commerce coopératif d’État par exemple. Les scénisations retracent un événement de l’histoire révolutionnaire avec discours et informations de l’époque. Les montages littéraires réunissent des textes de différents auteurs afin de constituer une chronologie et une explication sur un thème révolutionnaire.

Autre point commun entre les deux pratiques : le renouvellement des formes traditionnelles, théâtre de foire et music-hall. En effet, le théâtre prolétarien engendra le cabaret rouge, avec numéros de variétés humoristiques et parodiques ; le guignol rouge, hérité de Petrouchka en Union Soviétique, avec dialogues brefs, chansons et jeux de mots ; la revue, à l’instar de la RRR, Revue Roter Rummel, mise en scène par Piscator en novembre 1924 au Central Theater, avec sketches de propagande, combats de boxe etc. ; le mélodrame révolutionnaire, manichéen, souvent consacré à la guerre civile et visant à en- tretenir la haine contre les ennemis de classe18 ; enfin, les vaudevilles et opé- rettes, adaptés aux conditions socialistes, faisant la part belle à l’ironie, à la danse et à la gymnastique. Meyerhold, de la Baraque de foire au Mystère-Bouffe, en passant par sa mise en scène du Cocu magnifique (1922), met à profit les techniques de la foire, du music-hall, du cirque.

Le théâtre populaire s’inspire lui aussi de cet héritage, qui a les faveurs du public et possède à ce titre des facultés de rassemblement ; plus souple, il s’adapte mieux à un auditoire large et parfois peu cultivé. Gémier monte ainsi plusieurs revues au Théâtre Antoine et à l’Odéon et transpose dans ses mises en scène des pratiques issues du music-hall et du cirque. Les Universités

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Populaires proposent des pièces divertissantes. Ces quelques cas démontrent la faiblesse du répertoire, peu différent de celui qui est proposé par les autres établissements. La tentative régionaliste, celle de Pottecher, de Copeau, est la seule à définir une ligne dramaturgique adaptée à un public spécifique.

Pottecher et Copeau tentent de composer sur mesure un répertoire destiné aux spectateurs locaux, vosgiens ou bourguignons. Ce qui constitue une entorse au principe de communion nationale, au-delà des différences sociales, géographiques et culturelles.

Mise en scène

Le théâtre, dès la fin du XIXe siècle, tente de s’évader de la scène à l’italienne, qui concentre les reproches de la plupart des animateurs. Trouver d’autres lieux de spectacle est donc une préoccupation constante, répondant également aux objectifs esthétiques. Tout d’abord, l’élargissement de l’auditoire implique celui de l’espace scénique, donc la construction de vastes salles ou bien le jeu en plein air. L’aspect massif caractérise le théâtre populaire comme le théâtre prolétarien, de même que la référence festive. Pour s’adresser à la foule et obtenir son adhésion – émotionnelle ou politique –, les spectacles grandioses en dehors des établissements traditionnels semblent particulièrement adéquats. La première solution proposée est le recours à de vastes lieux, comme le Trocadéro de 5 000 places, le Grosses Schauspielhaus allemand, chargés de refléter non plus la hiérarchie sociale, mais l’égalité démocratique.

La seconde possibilité, l’installation en plein air, au milieu des populations, est plus simple et plus rapide à mettre en place. Et symboliquement plus juste par rapport à la référence antique grecque tant recherchée.

Lounatcharski, commissaire du Peuple à l’Instruction Publique, encourage donc les fêtes de masse, considérées comme une école d’éducation morale et révolutionnaire, un ciment unissant les prolétaires. De nombreuses scénisations commémorant les dates importantes ont lieu à partir de la guerre civile, avec le soutien de l’Armée Rouge : Vers la Commune universelle, les 19 et 20 juillet 1920 à Petrograd, par exemple, pour l’ouverture du deuxième Congrès de la IIIe Internationale, avec 4 000 participants, la « Fête de l’Huma », en France, qui propose la « Fête de la fraternisation » en 1924, ou encore la revue historique Malgré tout, montée par Piscator et Gasbarra en 1925, avec 2 000 personnes. Le théâtre populaire théorise également la fête, avec des influences identiques – celles de Rolland, du « Festspiel » suisse et des fêtes de la Révolution française – et des modalités assez semblables.

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L’histoire commune est utilisée pour souder les participants, comme à la Fête pour l’entrée du Canton de Vaud dans la Confédération Helvétique, mise en scène par Gémier en 1903.

Le théâtre de rue et la décentralisation constituent également une préoccupation forte, car il faut conquérir de nouveaux auditeurs, soit pour généraliser le message politique, soit pour offrir à tous l’accès à la culture. Les camions, trains et bateaux d’agitation sillonnent les routes afin de toucher les campagnes, les cours d’immeubles ou les usines. Le Comité d’éducation politique du Narkompros crée en 1920 un réseau de troupes ambulantes dans le cadre de campagnes d’information en direction des paysans, les « brigades de choc » interviennent dans les usines, de même que les collectifs artistiques ambulants des « Blouses », spécialistes du journal vivant.

Le théâtre populaire, soucieux de démocratiser le spectacle, a recours aux mêmes procédés. Le T.N.A. fondé en 1910 par Gémier tente de planter son chapiteau dans les plus petits villages, les Copiaus expérimentent en Bourgogne les représentations en milieu rural, de même que Pottecher à Bussang. Ces esthétiques ont œuvré en vue d’une fusion entre les participants, d’une implication du public dans le spectacle ; les instances officielles d’agit-prop parlaient même de « co-jeu » du public, qui pouvait également participer à la préparation matérielle de la représentation. Interpellations, apostrophes et jeu direct au milieu de l’assistance, suppression de la rampe sont autant de pratiques que l’on retrouve indifféremment dans l’une ou l’autre :

Faire participer la masse des spectateurs à l’action… un pont doit être jeté entre la réalité dans laquelle vit le prolétaire et le jeu des acteurs ouvriers. Ici il n’y a pas comme dans le théâtre bourgeois des artistes et un public, mais une action collective qui réunit ceux qui traduisent les sentiments de la masse de façon vivante avec cette masse elle- même. Une telle manière d’exprimer les luttes, les aspirations des travailleurs, renforce leur désir d’action, exalte le sentiment de leur force, augmente leur certitude dans le succès de la lutte finale.19

Les deux courants font un usage similaire des praticables, estrades et escaliers, rétablissent le proscenium et suppriment la rampe. Le résultat espéré est la multiplication des aires de jeu, notamment pour les scènes de foule, mais aussi le contact avec le public. Les spectacles d’agit-prop, en règle générale, présentent un partage manichéen de l’espace, deux estrades, deux plates-formes, etc., reliées par un pont, afin de matérialiser l’affrontement de deux camps, celui de la révolution et celui des capitalistes et autres ennemis.

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Les pièces populaires destinent cette installation du plateau aux groupements de figurants, semblables à des tableaux, au rapprochement de l’auditoire.

En matière de décor, les différences sont très sensibles d’une esthétique à l’autre. Les costumes de l’agit-prop se muent en uniformes : les « prozodejdas » soviétiques (bleus de travail) sont repris dans les autres pays sous forme de blouses, qui donnent leur nom à de nombreuses troupes20. Quelques accessoires symboliques – chapeau haut-de-forme pour un personnage capitaliste, outil pour un prolétaire – complètent l’apparence. Les dispositifs sont simples, tout d’abord parce qu’il faut pouvoir se déplacer et s’adapter à n’importe quel lieu, mais encore car la priorité est donnée au message, non à la forme. Les pancartes-slogans, diagrammes et écriteaux constituent la base du matériel de scène, avec les accessoires authentiques tels que les baïonnettes, les tambours ou les chaises, et ceux qui sont figurés sur du carton. La grande nouveauté est néanmoins l’introduction de séquences cinématographiques, de danses rythmées et de groupements géométriques, voire de dessins animés et de tapis roulants chez Piscator. Le matériel de propagande, photos, films documentaires, affiches etc., est inséré dans tous les types de spectacle, à la manière d’un montage visuel. Ces éléments d’information constituent en effet un raccourci didactique percutant. De plus, les slogans simples, destinés à être scandés, les chansons symboliques, comme l’Internationale ou la Marseillaise, facilitent l’implication du public dans le spectacle.

Les théâtres populaires conservent les costumes liés aux fonctions des personnages et les décors construits ; tandis que l’agit-prop est contrainte, par la nécessité d’être accessible à un large public, à une simplicité expressive des formes, ils se caractérisent plutôt par un foisonnement de propositions pour aménager le plateau. Les théâtres populaires ambulants eux-mêmes partent avec un matériel lourd et leurs décors simplifiés sont encore très conséquents en regard des simples rideaux des brigades volantes de propagande prolétarienne. Les décors du théâtre prolétarien sont majoritairement constructivistes, abstraits, alors que les systèmes utilisés par le théâtre populaire demeurent en général réalistes.

Théâtre populaire et théâtre prolétarien s’appuient cependant l’un et l’autre sur la théorie de spectacle total héritée du « Gesamtkunstwerk » de Wagner, en mêlant danse, chant, récitation et jeu. La représentation d’Œdipe, roi de Thèbes, de Saint-Georges de Bouhélier, mis en scène par Gémier au Cirque d’Hiver en 1919, est emblématique de cette recherche de syncrétisme. Le nombre massif de figurants, de spectateurs, la présence de sportifs exécutant

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des exercices, les chorégraphies et tableaux d’ensemble rapprochent cet événement des pièces d’agitation soviétiques.

Face au metteur en scène, les attitudes divergent : collectif créateur du spectacle d’un côté, démiurge de l’autre, reflet d’une opposition dans la conception du théâtre. L’agit-prop garde de sa mission politique l’obligation de desservir un message et donc d’effacer les individualités au profit de la cause ; le théâtre populaire est animé par des hommes qui ont revendiqué l’autonomie de la scène par rapport au texte et qui, tout en professant une stricte obédience, orchestrent les éléments du spectacle selon leur vision personnelle. Néanmoins, Meyerhold ou Piscator, dans la mouvance prolétarienne, s’affirment comme des auteurs à part entière en s’arrogeant le droit de modifier les dialogues et en se singularisant de l’équipe.

Le théâtre prolétarien est globalement un théâtre d’amateurs, même si des hommes tels que Meyerhold ou Piscator y ont travaillé. Il est l’œuvre de cercles ou clubs ouvriers, du courant auto-actif, c’est-à-dire de l’action des masses pour créer la nouvelle culture sociale. Il faut substituer aux vedettes un groupe anonyme d’interprètes, afin de lutter contre le cabotinage et l’individualisme.

Le terme d’« acteur » est d’ailleurs banni au profit de celui d’« exécutant » :

« Ce qu’il y avait d’intéressant, c’est qu’il n’y avait ni programme, ni noms d’acteurs, c’était l’anonymat le plus complet, c’est ce qui en faisait le charme, l’intensité, l’utilité. »21

Le groupe Octobre, même si les frères Prévert connaissent une activité professionnelle au cinéma, repose essentiellement sur le concours d’amateurs, ouvriers ou employés. Cependant, les groupes d’agitation se sont progressivement professionnalisés. Meyerhold et Piscator, rapidement, ont été confrontés aux limites esthétiques du théâtre amateur et engagent des professionnels. Les Universités Populaires, par essence, sont l’œuvre d’amateurs bénévoles, qui font partager leurs savoirs et leurs passions, mais le théâtre populaire, globalement, est professionnel. Quelques tentatives éphémères et isolées, certes, sont l’œuvre d’amateurs passionnés : Théâtre Populaire de la Mothe-Saint-Héraye22, Théâtre Civique de Lumet (soutenu néanmoins par des artistes professionnels comme Mévisto ou Gémier).

La Volksbühne allemande fait appel à des acteurs et metteurs en scène professionnels, dont Piscator et Jessner, de même que le Théâtre National Populaire français dirigé par Gémier.

Les troupes d’agit-prop refusent l’analyse psychologique et l’incarnation du personnage, pour prôner une distance critique. L’illusion théâtrale bannie, le

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rôle des comédiens consiste tout d’abord à engager le spectateur à participer.

Le recours aux exercices de gymnastique et d’acrobatie, au chant et à la danse constitue une caractéristique fondamentale de ce style d’interprétation. La biomécanique de Meyerhold se développe rapidement et permet d’organiser des mouvements d’ensemble et une géométrisation des déplacements. Les dialogues sont souvent très réduits, remplacés par des pantomimes, le cri de slogans, la déclamation chorale.

Le théâtre populaire, en revanche, ne créa pas de forme de jeu spécifique.

Naturalisme, symbolisme, romantisme, toutes les tendances se retrouvent, en fonction des pièces et des metteurs en scène. Les techniques s’enrichissent de l’observation du music-hall et du cirque, dont les artistes sont fréquemment invités par les établissements. Les Fratellini donnent ainsi des cours à l’école du Vieux-Colombier fondée par Jacques Copeau ; les clowns Chocolat et Foottit, les artistes de music-hall, prêtent leur concours aux mises en scène de Gémier.

La mission assignée consiste à faciliter la compréhension de la parole poétique pour le public, ce qui laisse une large place à la mimique, la gestuelle et, plus généralement, à la réhabilitation du visuel. L’acteur devient essentiel parce qu’il est doté d’une mission citoyenne, au sein du théâtre populaire comme du théâtre prolétarien. Il n’est plus seulement l’interprète du texte, mais le représentant de la communauté, ce qui engendre une refonte de la vision du jeu.

Le théâtre prolétarien a affirmé sa volonté de destruction du théâtre, dorénavant conçu comme un canal, un moyen de communication politique, non comme une expression artistique. Le jeu, le style et la mise en scène étaient strictement subordonnés au message, à l’information. En remettant en question l’art dramatique en tant que tel, le théâtre prolétarien a produit des formes scéniques et dramaturgiques nouvelles, journal vivant, chœur parlé ou chanté, qui subirent l’influence des recherches constructivistes, formalistes et expressionnistes. La richesse de leurs trouvailles scéniques provenait, pour une large part, des contraintes matérielles, mais encore de l’apport de précieux animateurs, tels que Meyerhold, Jessner ou Piscator.

Le théâtre populaire, quant à lui, a prôné une rénovation en apportant le spectacle aux couches qui en étaient habituellement privées. Cependant, la modestie des tarifs et la recherche de qualité ne purent compenser l’impuissance à créer un répertoire, un style de jeu et une mise en scène spécifiques. Copie moins onéreuse des établissements traditionnels, les vœux

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des promoteurs ne furent pas réalisés. Des professionnels comme Gémier et Copeau en France, Reinhardt en Allemagne, ont réussi à intéresser les autorités et l’opinion, à réaliser ponctuellement des spectacles qui faisaient communier un large public autour d’œuvres éducatives, mais la réforme dramaturgique et scénique ne fut pas globale. Cependant, les institutions et les pensées survécurent aux hommes et aux gouvernements ; le théâtre populaire s’inscrivit dans la durée, tandis que le théâtre prolétarien demeura étroitement lié à la révolution socialiste. La question d’un art dramatique citoyen, voué à l’ensemble d’un peuple, reste d’actualité et continue à agiter les débats, mais celle d’une lutte des classes prenant le théâtre comme arme de combat semble désormais dépassée pour ces pays qui en furent les ardents défenseurs.

Bibliographie

« Chocolat, du Nouveau-Cirque aux Folies-Bergère : tribulations d’un clown noir », in Les Arts de la scène à l’épreuve de l’histoire, Paris, Honoré Champion, 2011.

Le Théâtre populaire de Firmin Gémier, Sarrebruck, Éditions Européennes, 2010.

Firmin Gémier, le démocrate du théâtre, Montpellier, L’Entretemps, coll.

« Champ théâtral », 2008.

« Théâtre populaire » et « Universités Populaires », in Dictionnaire Octave Mirbeau, Lausanne, L’Âge d’Homme, 2011.

« Le Quatorze Juillet de Romain Rolland ou l’épopée au répertoire du théâtre du peuple », in Théâtre/Public, n° 195, avril 2010.

« La pensée libertaire de Lucien Descaves : La Clairière, un exemple de théâtre social », in Cahiers naturalistes, n° 84, septembre 2010.

Notes :

1. L’agit-prop, ou agitation et propagande, est une notion née dans la Russie révolutionnaire. Elle désigne la propagande politique notamment menée par le biais du spectacle.

2. La Volksbühne se traduit en français par « théâtre du peuple ». À la fin du XIXe siècle, en Allemagne, le mouvement social entreprend une éducation par le spectacle à destination prioritaire des masses.

3. Meyerhold est chargé en 1920 de la direction du Département théâtral de Moscou et de celle du Premier Théâtre de la République Socialiste Fédérative des Soviets de Russie ; il est le chef du mouvement de l’« Octobre théâtral ». Piscator fonda

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plusieurs théâtres prolétariens. Jessner, directeur du Staatliches Schauspielhaus, applique ses principes politiques à la tentative d’un théâtre national, lieu de cohésion de l’ensemble de la population. Firmin Gémier fut l’ami d’hommes politiques tels que Paul-Boncour, Édouard Herriot ou Aristide Briand. Voir Nathalie Coutelet, Firmin Gémier, le démocrate du théâtre, Montpellier, L’Entretemps, coll. « Champ théâtral », 2008.

4. Piscator fut metteur en scène à la Volksbühne, où il monta par exemple, en 1924, Drapeaux, d’Alfons Paquet et, en 1927, Tempête sur le Gottland, qui entraîna son renvoi, ses options révolutionnaires devenant gênantes pour la direction de l’établissement. Léopold Jessner, directeur du Staatliches Schauspielhaus, exerce son action dans un lieu officiel.

5. Emile Berny, cité par Eugène Morel, « Discours pour l’ouverture d’un théâtre populaire », in la Revue d’Art dramatique, 15 octobre 1903, 18e année, p. 279.

6. Romain Rolland, « Le théâtre du peuple », in les Cahiers de la Quinzaine, 4e cahier de la 5e série, 1903.

7. Plan de travail artistique et politique du Terevsat (Théâtre de la Jeunesse ouvrière) pour 1921, in Le Théâtre d’agit-prop de 1917 à 1932, t. II : L’U.R.S.S. – Écrits théoriques-Pièces, Lausanne, La Cité-L’Âge d’Homme, coll. « Théâtre années 20 », 1977, p. 20.

8. Le théâtre Die Tribüne fut fondé le 1er septembre 1919 par Rudolf Leonhard et le metteur en scène Karlheinz Martin.

9. C. de Sainte-Croix, cité par Alphonse Séché, « À propos du théâtre populaire », in la Revue d’Art dramatique, 15 août 1903.

10. E. Morel, « Discours pour l’ouverture d’un théâtre populaire », op. cit., p. 280-281.

11. Le Revizor est créé le 9 décembre 1926 au GOSTIM de Moscou, Théâtre d’État de Meyerhold ; La Forêt, en 1924.

12. Maïakovski, cité par Béatrice Picon-Vallin, « «Le Revizor» de Gogol-Meyerhold », in Les Voies de la création théâtrale, vol. VII, « Mises en scène années 20 et 30 », Paris, Éditions du CNRS, 1979, p. 68.

13. Des textes en prose et en vers de Jules Michelet, Jules Vallès, Georges Clémenceau, Eugène Pottier, Danton de Rolland, etc.

14. Nathalie Coutelet, « L’aventure du Théâtre National Ambulant de Firmin Gémier », in les Cahiers du Théâtre Démontable, n° 2, Les Fouineurs d’Archives, juillet 2001.

15. Georges Deherme, « À propos de l’Université populaire », in la Revue des Deux Mondes, 15 septembre 1904. Nathalie Coutelet, « Le théâtre populaire de la Coopération des Idées », in Cahiers Octave Mirbeau, n° 15, mars 2008.

16. Le Marchand de Venise, Théâtre Antoine, 1917 ; Antoine et Cléopâtre, Théâtre Antoine, 1918 ; Œdipe, roi de Thèbes, Cirque d’Hiver, 1919 ; Le Bourgeois gentilhomme, Comédie-Montaigne, 1920, par exemple.

17. Jacques Prévert, Octobre. Textes pour le groupe Octobre (1932-1936), Paris, Gallimard, coll. « Hors série littérature », 2007.

18. La Ville dans l’anneau, de Minine, par exemple, fut représentée en 1920 au Terevsat.

19. Yacheck, in l’Humanité, 22 août 1934. Metteur en scène et décorateur, il a participé au Bauhaus, a travaillé à la Maison de la Culture de Paris et animé, en 1934, le

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20. « Blouses Bleues de Bobigny », « Blouses Rouges » américaines, « Blouses Bleues » et « Blouses Rouges » en Allemagne, etc.

21. Jacques Prévert, cité par Michel Fauré, Le Groupe Octobre, Paris, Christian Bourgeois éditeur, 1977.

22. Fondé par Pierre Corneille dans les Deux-Sèvres en 1897, il se propose de donner avec les amateurs de toute la région, des spectacles de plein air.

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